Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant XI (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE XI
DEUILS - POURPARLERS - GESTE DE CAMILLE
Conseil de guerre chez les Latins (11, 213-444)
Diomède refuse son aide aux Latins divisés (11, 213-299)
Au cours des manifestations de deuil dans la ville de Latinus, deux clans apparaissent : celui de Drancès qui présente Turnus comme le vrai responsable de la guerre, et celui de la reine Amata, toujours favorable au roi des Rutules. Les ambassadeurs envoyés chez Diomède sont rentrés bredouilles, et Latinus prie leur porte-parole Vénulus de rapporter dans le détail devant le conseil la réponse du héros grec. (11, 213-242)
Diomède déconseille aux Latins de se lancer dans une guerre contre les Troyens, en évoquant sa propre expérience et celle d'autres Grecs, qui connurent bien des malheurs après la chute de Troie. Lui personnellement, conscient d'avoir offensé Vénus, refuse de s'exposer désormais, d'autant qu'Énée est un guerrier aussi valeureux que pieux. Et il conseille aux Latins de conclure la paix avec les Troyens. (11, 243-299)
Iam uero in tectis, praediuitis urbe Latini, praecipuus fragor et longi pars maxima luctus. |
En vérité, dans les maisons, dans la ville du riche Latinus, on perçoit surtout les cris et des signes très nets d'un long deuil. |
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Hic matres miseraeque nurus, hic cara sororum pectora maerentum puerique parentibus orbi dirum exsecrantur bellum Turnique hymenaeos : ipsum armis ipsumque iubent decernere ferro, qui regnum Italiae et primos sibi poscat honores. |
Voici des mères, des brus malheureuses, des soeurs chéries au coeur affligé et des enfants privés de leurs pères, qui maudissent la guerre cruelle et l'hymen de Turnus ; celui-ci est prié de mettre fin à la querelle par les armes et le fer, puisqu'il revendique pour lui le trône d'Italie et les honneurs suprêmes. |
11, 215 |
Ingrauat haec saeuus Drances solumque uocari testatur, solum posci in certamina Turnum. Multa simul contra uariis sententia dictis pro Turno, et magnum reginae nomen obumbrat, multa uirum meritis sustentat fama tropaeis. |
Le farouche Drancès renchérit ; il affirme que seul Turnus est appelé au combat et attendu sur le champ de bataille. Mais cependant beaucoup s'expriment en faveur de Turnus, le héros protégé à l'ombre du grand nom de la reine, et soutenu par l'immense gloire des trophées qu'il a mérités. |
11, 220 |
Hos inter motus, medio in flagrante tumultu, ecce super maesti magna Diomedis ab urbe legati responsa ferunt : nihil omnibus actum tantorum impensis operum, nil dona neque aurum nec magnas ualuisse preces, alia arma Latinis |
En outre, dans cette agitation, dans ce bouillonnant désordre, les ambassadeurs consternés rapportent de la grande cité de Diomède des réponses disant que les efforts et les dépenses, n'ont donné aucun résultat, que rien, ni présents, ni or, ni prières pressantes n'ont eu d'effet ; il reste aux Latins de chercher |
11, 225 |
quaerenda aut pacem Troiano ab rege petendum. Deficit ingenti luctu rex ipse Latinus. Fatalem Aenean manifesto numine ferri admonet ira deum tumulique ante ora recentes. Ergo concilium magnum primosque suorum |
d'autres armes, ou de demander la paix au roi des Troyens. Le roi Latinus lui-même est abattu, en proie àun immense chagrin : la volonté divine montre à l'évidence qu'Énée est l'homme du destin : la colère des dieux et les tombes fraîches sous leurs yeux le prouvent. Dès lors, usant de son pouvoir, Latinus convoque et réunit |
11, 230 |
imperio accitos alta intra limina cogit. Olli conuenere fluuntque ad regia plenis tecta uiis. Sedet in mediis et maximus aeuo et primus sceptris haud laeta fronte Latinus. Atque hic legatos Aetola ex urbe remissos, |
le grand conseil et les premiers des siens en sa haute demeure. Rassemblés, emplissant lesrues, ils affluent vers le palais royal. Latinus siège au milieu d'eux ; étant le plus élevé en âge, et le premier par le sceptre, il n'affiche pas un visage serein. Il ordonne aux ambassadeurs rentrés de la ville étolienne |
11, 235 |
quae referant, fari iubet et responsa reposcit ordine cuncta suo. Tum facta silentia linguis, et Venulus dicto parens ita farier infit :
« Vidimus, o ciues, Diomedem Argiuaque castra atque iter emensi casus superauimus omnis |
de faire leur rapport, exigeant d'entendre toutes les réponses, dans l'ordre où elles furent faites. Alors, les langues se taisent, et Vénulus, obéissant à l'ordre du roi, se met à parler :
« Citoyens, nous avons vu Diomède et son camp argien ; au cours de ce voyage, nous avons surmonté diverses péripéties, |
11, 240 |
contigimusque manum, qua concidit Ilia tellus. Ille urbem Argyripam patriae cognomine gentis uictor Gargani condebat Iapygis agris. Postquam introgressi et coram data copia fandi, munera praeferimus, nomen patriamque docemus, |
et avons touché la main qui fit tomber la terre d'Ilion. Après sa victoire dans les champs iapygiens du Gargano, il fondait la ville d'Argyrippe, au nom tiré de son pays d'origine. Introduits et invités à lui parler en face, nous lui avons offert nos présents, décliné notre nom et celui de notre patrie, |
11, 245 |
qui bellum intulerint, quae causa attraxerit Arpos. Auditis ille haec placido sic reddidit ore : ʻ O fortunatae gentes, Saturnia regna, antiqui Ausonii, quae uos fortuna quietos sollicitat suadetque ignota lacessere bella ? |
précisé les responsables de la guerre et ce qui nous attirait à Arpi. Après nous avoir écoutés, il nous répondit, d'une voix tranquille : ʻ Ô heureux peuples, royaumes de Saturne, antiques Ausoniens, quel malheur vient troubler votre quiétude et vous pousse à engager des guerres hasardeuses ? |
11, 250 |
Quicumque Iliacos ferro uiolauimus agros, mitto ea, quae muris bellando exhausta sub altis, quos Simois premat ille uiros, infanda per orbem supplicia et scelerum poenas expendimus omnes, uel Priamo miseranda manus : scit triste Mineruae |
Nous tous qui avons profané par le fer les champs d'Ilion, – je tais ces combats, bus jusqu'à la lie sous ses hautes murailles, et ces héros engloutis par l'illustre Simoïs – , de par le monde nous expions en supplices indicibles les châtiments de nos crimes, poignée d'hommes que Priam même prendrait en pitié : la funeste constellation de Minerve, les écueils d'Eubée |
11, 255 |
sidus et Euboicae cautes ultorque Caphareus. Militia ex illa diuersum ad litus abacti Atrides Protei Menelaus adusque columnas exsulat, Aetnaeos uidit Cyclopas Vlixes. Regna Neoptolemi referam uersosque penates |
et le Caphérée vengeur le savent. Après cette expédition, nous avons été emportés vers différents rivages : l'Atride Ménélas vit exilé près des lointaines colonnes de Protée, et Ulysse a visité les Cyclopes de l'Etna. Dois-je rappeler le royaume de Néoptolème, et les bouleversements de la maison |
11, 260 |
Idomenei ? Libycone habitantis litore Locros ? Ipse Mycenaeus magnorum ductor Achiuom coniugis infandae prima inter limina dextra oppetiit : deuictam Asiam subsedit adulter. Inuidisse deos, patriis ut redditus aris |
d'Idoménée ? Et les Locriens installés sur le rivage de Libye ? Le chef des puissants Achéens, Agamemnon lui-même, est tombé au seuil de sa demeure, sous les coups d'une épouse infâme. Un amant adultère attendait à l'affût la défaite de l'Asie, Dirai-je que, une fois rentré, la haine des dieux m'a empêché de revoir, |
11, 265 |
coniugium optatum et pulchram Calydona uiderem ? Nunc etiam horribili uisu portenta sequuntur, et socii amissi petierunt aethera pennis fluminibusque uagantur aues, heu dira meorum supplicia, et scopulos lacrimosis uocibus implent. |
près des autels paternels, une épouse désirée et ma belle Calydon ! Maintenant encore, des prodiges affreux me poursuivent : je vois que mes compagnons perdus ont gagné l'éther à tire-d'aile, mués en oiseaux errant le long des fleuves,(cruel supplice, hélas, pour mes hommes !) et emplissent les rochers de leurs cris plaintifs. |
11, 270 |
Haec adeo ex illo mihi iam speranda fuerunt tempore, cum ferro caelestia corpora demens adpetii et Veneris uiolaui uolnere dextram. Ne uero, ne me ad talis impellite pugnas : nec mihi cum Teucris ullum post eruta bellum |
Certes, j'aurais dû m'attendre à tous ces désastres, depuis le jour où, dans ma folie, j'ai voulu porter l'épée contre des divinités et outragé Vénus, la blessant à la main. Non, vraiment, ne me poussez pas à de tels combats. Depuis la ruine de Pergame, je ne combats plus contre les Troyens, |
11, 275 |
Pergama, nec ueterum memini laetorue malorum. Munera, quae patriis ad me portatis ab oris, uertite ad Aenean. Stetimus tela aspera contra contulimusque manus : experto credite, quantus in clipeum adsurgat, quo turbine torqueat hastam. |
et je n'ai point plaisir à évoquer ces anciens malheurs. Les présents que vous m'apportez des rivages de votre patrie, adressez-les à Énée. Nous avons affronté ses armes intraitables, nous avons combattu contre lui ; croyez en mon expérience : quelle force quand il surgit avec son bouclier, quel tourbillon |
11, 280 |
Si duo praeterea talis Idaea tulisset terra uiros, ultro Inachias uenisset ad urbes Dardanus, et uersis lugeret Graecia fatis. Quidquid apud durae cessatum est moenia Troiae, Hectoris Aeneaeque manu uictoria Graium |
quand il bandit sa pique ! Si la terre de l'Ida avait porté deux héros comme lui, Dardanus aurait le premier atteint les villes d'Inachos et, avec des destins inversés, c'est la Grèce qui pleurerait. Tout le temps où l'on resta bloqué sous les murs de la farouche Troie, la victoire des Grecs, entravée par les bras d'Hector et d'Énée, |
11, 285 |
haesit et in decimum uestigia rettulit annum. Ambo animis, ambo insignes praestantibus armis hic pietate prior. Coeant in foedera dextrae, qua datur ; ast armis concurrant arma cauete.ʼ Et responsa simul quae sint, rex optime, regis |
a été retardée jusqu'à la dixième année. Tous deux se distinguaient par leur courage, leurs exploits prestigieux ; mais Énée l'emportait par la piété. Unissez vos mains pour un accord : vous le pouvez ; mais évitez que vos armes rencontrent les siennesʼ. Tu viens d'entendre, ô excellent roi, les réponses d'un roi, |
11, 290 |
audisti et quae sit magno sententia bello. » Vix ea legati, uariusque per ora cucurrit Ausonidum turbata fremor : ceu saxa morantur cum rapidos amnis, fit clauso gurgite murmur uicinaeque fremunt ripae crepitantibus undis. |
et tu sais quel est son avis sur cette grande guerre. » Ce rapport des ambassadeurs à peine fini, un murmure confus courut sur les lèvres des Ausoniens troublés ; ainsi, quand des rochers freinent des torrents rapides, le flot contenu gronde et les rives voisines répercutent le bruit des ondes. |
11, 295 |
Les partisans de la paix (11, 300-375)
Latinus propose un traité de paix avec les Troyens, tout en évitant de heurter de front Turnus. Il fait part au conseil de l'erreur commise et du caractère désespéré de leur situation. Il envisage de composer avec les Troyens, en leur cédant une partie de ses propres domaines, ou en les aidant à s'équiper, s'ils désirent partir ailleurs. (11, 300-335)
Le vieux Drancès, ennemi de Turnus, orateur influent chez les Latins, approuve Latinus, développant le point de vue des partisans de la paix. Prétendant refléter l'opinion générale, il rend Turnus responsable de la défaite des Latins et suggère à Latinus d'aller plus loin dans ses propositions aux Troyens, en offrant sa fille en mariage à Énée. Ensuite, il supplie directement Turnus de renoncer à son orgueil et de se plier aux décrets du destin, avant de le provoquer en évoquant sa superbe, son avidité, sa possible lâcheté. (11, 336-375)
Vt primum placati animi et trepida ora quierunt, praefatus diuos solio rex infit ab alto : « Ante equidem summa de re statuisse, Latini, et uellem et fuerat melius, non tempore tali cogere concilium. cum muros adsidet hostis. |
Dès que les esprits furent apaisés et que se turent les bouches excitées, le roi d'abord pria les dieux, puis du haut de son trône prit la parole : « En vérité, Latins, j'aurais voulu avoir pris plus tôt une décision en cette importante affaire – c'eût été mieux – , et ne pas réunir le conseil quand l'ennemi se trouve sous nos murs. Citoyens, |
11, 300 |
Bellum importunum, ciues, cum gente deorum inuictisque uiris gerimus, quos nulla fatigant proelia : nec uicti possunt absistere ferro. Spem siquam adscitis Aetolum habuistis in armis, ponite. Spes sibi quisque, sed haec quam angusta uidetis ; |
nous menons une guerre fâcheuse contre une race de dieux et contre des hommes invincibles : nul combat ne les épuise ; même vaincus, ils ne peuvent renoncer à se battre. Si vous avez espéré l'assistance des armes des Étoliens, oubliez-la. On ne doit compter que sur soi, mais vous voyez combien l'espoir |
11, 305 |
cetera qua rerum iaceant perculsa ruina, ante oculos interque manus sunt omnia uestras. Nec quemquam incuso : potuit quae plurima uirtus esse, fuit ; toto certatum est corpore regni. Nunc adeo quae sit dubiae sententia menti |
est mince et combien la ruine nous abattus dans toutes nos affaires : tout est là, sous vos yeux, et entre vos mains. Et je n'accuse personne : toute la vaillance qu'on pouvait déployer l'a été pleinement ; l'ensemble des forces du royaume s'est battu Maintenant je vais expliquer l'avis qui frappe mon esprit hésitant ; |
11, 310 |
expediam et paucis, animos adhibete, docebo. Est antiquus ager Tusco mihi proximus amni, longus in occasum, finis super usque Sicanos ; Aurunci Rutulique serunt et uomere duros exercent colles atque horum asperrima pascunt. |
et, soyez attentifs, en quelques mots je vais vous en instruire. Je tiens de mes pères une terre, très proche du fleuve toscan ; elle s'étend vers le couchant au-delà du pays des Sicanes ; Auronques et Rutules la cultivent ; de leurs socs ils en travaillent les dures collines, usent des zones les plus arides comme pâturages. |
11, 315 |
Haec omnis regio et celsi plaga pinea montis cedat amicitiae Teucrorum, et foederis aequas dicamus leges sociosque in regna uocemus. Considant, si tantus amor, et moenia condant. Sin alios finis aliamque capessere gentem |
Toute cette région et la forêt de pins du sommet de la montagne, cédons-les aux Troyens en échange de leur amitié, établissons les règles d'un accord équitable et invitons-les à s'associer à notre royaume : qu'ils s'y installent, s'ils le désirent tellement, et construisent des remparts. Mais si leur intention est de gagner un autre territoire, une autre nation, |
11, 320 |
est animus possuntque solo decedere nostro : bis denas Italo texamus robore nauis seu pluris complere ualent, iacet omnis ad undam materies, ipsi numerumque modumque carinis praecipiant, nos aera manus naualia demus. |
et s'ils ont la possibilité de s'éloigner de notre sol, pour eux construisons en chêne d'Italie vingt navires ou davantage, s'ils peuvent en équiper plus ; il y a près du fleuve tout le bois nécessaire : qu'ils précisent eux-mêmes le nombre et la taille des bateaux ; et nous, fournissons-leur le bronze, nos mains, nos chantiers. |
11, 325 |
Praeterea qui dicta ferant et foedera firment centum oratores prima de gente Latinos ire placet pacisque manu praetendere ramos, munera portantis aurique eborisque talenta et sellam regni trabeamque insignia nostri. |
En outre, pour porter ces propositions et confirmer les accords, nous envisageons d'envoyer cent Latins des meilleures familles, en ambassadeurs, tenant dans leurs mains en guise de présents des rameaux de paix, des talents d'or et d'ivoire, le trône et la trabée, ces insignes de notre royauté. |
11, 330 |
Consulite in medium et rebus succurrite fessis. »
Tum Drances idem infensus, quem gloria Turni obliqua inuidia stimulisque agitabat amaris, largus opum et lingua melior, sed frigida bello dextera, consiliis habitus non futilis auctor, |
Discutez-en entre vous, et secourez notre État épuisé. »
Alors, Drancès, toujours agressif, à cause de la gloire de Turnus, était agité par des aiguillons amers d'une envie insidieuse : prodigue de ses richesses, excellent orateur, il était piètre guerrier, ses avis dans les assemblées n'étaient pas tenus pour négligeables, |
11, 335 |
seditione potens genus huic materna superbum nobilitas dabat, incertum de patre ferebat, surgit et his onerat dictis atque aggerat iras : « Rem nulli obscuram nostrae nec uocis egentem consulis, O bone rex : cuncti se scire fatentur, |
et il pouvait provoquer des désordres civils ; la noblesse de sa mère le rendait orgueilleux de sa naissance ; celle de son père était obscure. Drancès se lève donc, sa parole stimule et accroît les colères : « Tu nous consultes sur une affaire qui n'est obscure pour personne, et qui n'a nul besoin de ma voix, ô bon roi : tous avouent savoir |
11, 340 |
quid fortuna ferat populi, sed dicere mussant. Det libertatem fandi flatusque remittat cuius ob auspicium infaustum moresque sinistros dicam equidem, licet arma mihi mortemque minetur lumina tot cecidisse ducum totamque uidemus |
quelle est la destinée de notre peuple, mais hésitent à le dire. Qu'il nous laisse la liberté de parler, qu'il renonce à ses grands airs, l'homme qui, par sa mauvaise étoile et ses sinistres dispositions – car je parlerai, dût-il me menacer de mort avec ses armes – , a fait tomber, nous le voyons, tant de chefs illustres, |
11, 345 |
consedisse urbem luctu, dum Troia temptat castra fugae fidens et caelum territat armis. Vnum etiam donis istis, quae plurima mitti Dardanidis dicique iubes, unum, optime regum, adicias nec te ullius uiolentia uincat, |
et plongé la ville dans le deuil, lorsque, sûr de pouvoir fuir, il provoqua le camp troyen et terrifia le ciel du fracas de ses armes. À ces dons si nombreux que tu veux offrir aux Dardaniens, ajoutes-en encore un, un seul, ô toi, le meilleur des rois, et qu'aucune violence ne te fasse renoncer, toi son père, |
11, 350 |
quin natam egregio genero dignisque hymenaeis des, pater, et pacem hanc aeterno foedere iungas.
Quod si tantus habet mentes et pectora terror, ipsum obtestemur ueniamque oremus ab ipso : cedat, ius proprium regi patriaeque remittat. |
à donner ta fille à un gendre illustre, en un mariage honorable, scellant ainsi par une alliance éternelle cette paix qui s'offre à nous.
Et si nos esprits et nos coeurs sont tellement effrayés, conjurons-le lui-même, implorons de lui cette faveur : qu'il cède, qu'il rende au roi et à la patrie les droits qui sont les leurs. |
11, 355 |
Quid miseros totiens in aperta pericula ciues proicis, O Latio caput horum et causa malorum ? Nulla salus bello : pacem te poscimus omnes, Turne, simul pacis solum inuiolabile pignus. Primus ego, inuisum quem tu tibi fingis, et esse |
Pourquoi [Turnus], exposes-tu si souvent tes concitoyens malheureux à des périls inévitables, toi source et cause de malheurs pour le Latium ? Il n'est point de salut dans la guerre ; tous nous te demandons la paix, Turnus, et en même temps qu'elle, son seul garant inviolable. Moi le premier, que tu imagines ton ennemi – et peu m'importe – , |
11, 360 |
nil moror, en supplex uenio. Miserere tuorum, pone animos et pulsus abi. Sat funera fusi uidimus ingentis et desolauimus agros. Aut si fama mouet, si tantum pectore robur concipis et si adeo dotalis regia cordi est, |
me voici, je viens à toi en suppliant. Aie pitié des tiens, renonce à ton orgueil et va-t-en, étant repoussé. Notre défaite a vu assez de morts et nous avons dépeuplé de vastes campagnes. Ou au contraire, si tu agis pour la gloire, si tu te sens assez fort, si tu tiens tellement à recevoir en dot la royauté, sois audacieux, |
11, 365 |
aude atque aduersum fidens fer pectus in hostem. Scilicet ut Turno contingat regia coniunx, nos animae uiles, inhumata infletaque turba, sternamur campis. Etiam tu, siqua tibi uis, si patrii quid Martis habes, illum aspice contra, |
fonce sur l'ennemi, avec confiance, poitrine offerte. Mais vraiment, pour qu'à Turnus échoit une épouse royale, nous, vil troupeau, foule privée de tombeaux et de pleurs, devrons-nous rester étendus dans les plaines. Eh bien toi ! Si tu as du coeur, si tu possèdes un peu du Mars de tes pères |
11, 370 |
qui uocat. » |
regarde en face cet homme qui t'appelle. » |
11, 375 |
Turnus partisan de la guerre (11, 376-444)
Turnus répond avec âpreté à Drancès, l'accusant à son tour d'être un lâche. Puis il se défend d'avoir fui, en rappelant ses faits d'armes, notamment la mort de Pallas et les massacres accomplis à l'intérieur des murs troyens. Critiquant ensuite le point de vue des « pacifistes », il prétend que la solution est de recourir à la guerre, et se montre très méprisant pour la couardise de son adversaire. (11, 376-409)
Turnus alors s'adresse de façon plus posée à Latinus, dont il semble comprendre le point de vue défaitiste. Mais bientôt, il retrouve sa fougue, son énergie et sa logique, pour prôner la reprise de la lutte ; il évoque les forces qui leur restent, les pertes subies par les Troyens, le caractère changeant de la Fortune, les héros sur qui ils peuvent compter. Enfin, il se dit prêt à assumer seul le combat contre Énée. (11, 410-444)
Talibus exarsit dictis uiolentia Turni ; dat gemitum rumpitque has imo pectore uoces « Larga quidem, Drance, semper tibi copia fandi tum, cum bella manus poscunt, patribusque uocatis |
Ces paroles embrasèrent la violence de Turnus ; il gémit et laisse éclater ces mots du fond de sa poitrine : « Bien sûr, Drancès, tu es toujours en veine de discours, quand la guerre réclame des bras et, quand on convoque le sénat, |
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primus ades. Sed non replenda est curia uerbis, quae tuto tibi magna uolant, dum distinet hostem agger murorum nec inundant sanguine fossae. Proinde tona eloquio, solitum tibi, meque timoris argue tu, Drance, quando tot stragis aceruos |
tu es là le premier. Mais la curie n'a que faire de grands mots qui volent de tes lèvres quand tu es à l'abri, quand le rempart des murs tient l'ennemi à distance et quand le sang n'inonde pas les fossés. Vas-y, fais retentir ton éloquence, c'est ton habitude, et taxe-moi de couardise, toi, Drancès, qui de ta main as immolé et massacré |
11, 380 |
Teucrorum tua dextra dedit passimque tropaeis insignis agros. Possit quid uiuida uirtus, experiare licet ; nec longe scilicet hostes quaerendi nobis : circumstant undique muros. Imus in aduersos : quid cessas ? An tibi Mauors |
des Troyens par monceaux, et qui as illustré par tes trophées nos campagnes un peu partout. Il t'est permis d'expérimenter ce que peut une vaillante ardeur ; bien sûr, nous n'avons pas à chercher bien loin des ennemis : partout ils entourent nos murailles. |
11, 385 |
uentosa in lingua pedibusque fugacibus istis semper erit ? Pulsus ego ? Aut quisquam merito, foedissime, pulsum arguet, Iliaco tumidum qui crescere Thybrim sanguine et Euandri totam cum stirpe uidebit |
Ou bien pour toi, Mars restera-t-il toujours sur ta langue de vent et dans tes pieds prompts à la fuite ? Repoussé, moi ? Infâme ! Qui peut vraiment m'en accuser qui verra le Tibre monter, gonflé du sang d'Ilion, et toute la maison d'Évandre anéantie avec sa descendance, |
11, 390 |
procubuisse domum atque exutos Arcadas armis ? Haud ita me experti Bitias et Pandarus ingens et quos mille die uictor sub Tartara misi, inclusus muris hostilique aggere saeptus. Nulla salus bello. Capiti cane talia, demens, |
et les Arcadiens dépouillés de leurs armes ? Ce n'est pas sous ce jour que m'ont connu, Bitias et le géant Pandare, et les mille guerriers que j'ai vaincus et envoyés en un seul jour au Tartare, quand j'étais enfermé dans les murs, prisonnier du rempart ennemi ! Il n'y a point de salut dans la guerre ! Insensé, chante ce genre de chanson |
11, 395 |
Dardanio rebusque tuis. Proinde omnia magno ne cessa turbare metu atque extollere uires gentis bis uictae, contra premere arma Latini. Nunc et Myrmidonum proceres Phrygia arma tremescunt, nunc et Tydides et Larissaeus Achilles, |
au chef dardanien et à tes partisans. Vas-y, continue de semer partout le trouble et la crainte, continue d'exalter les forces d'une nation deux fois vaincue, tout en dénigrant les armes de Latinus. Maintenant même les chefs des Myrmidons et le fils de Tydée et Achille de Larissa se mettent à trembler devant les armes phrygiennes, |
11, 400 |
amnis et Hadriacas retro fugit Aufidus undas. Vel cum se pauidum contra mea iurgia fingit artificis scelus et formidine crimen acerbat. Numquam animam talem dextra hac, absiste moueri, amittes : habitet tecum et sit pectore in isto.
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et le cours de l'Aufide recule et fuit les eaux de l'Adriatique. Et quand il se dit effrayé par mes invectives, c'est une scélératesse de comédien, qui aggrave l'accusation en simulant la crainte. Jamais ton âme si noble tu ne la perdras par la main que voici, n'aie pas peur ! Garde-la pour toi, qu'elle reste dans ta poitrine. |
11, 405 |
Nunc ad te et tua magna, pater, consulta reuertor. Si nullam nostris ultra spem ponis in armis, si tam deserti sumus et semel agmine uerso funditus occidimus neque habet Fortuna regressum ? oremus pacem et dextras tendamus inertis. |
Maintenant, ô père, je reviens à toi et à tes grands projets. Si désormais tu ne fondes plus aucun espoir sur nos armes, si nous sommes à ce point abandonnés et complètement anéantis après un seul revers de notre armée, et si la Fortune n'a point de retour, implorons la paix et tendons des mains sans énergie. |
11, 410 |
Quamquam, O si solitae quicquam uirtutis adesset ! ille mihi ante alios fortunatusque laborum egregiusque animi, qui, nequid tale uideret, procubuit moriens et humum semel ore momordit. Sin et opes nobis et adhuc intacta iuuentus |
Et pourtant – Ah ! si subsistait un peu de notre valeur ancestrale ! – à mes yeux, plus que tout autre dans ses malheurs, il est heureux et noble de coeur celui qui, pour ne pas vivre une telle honte, s'est affalé mourant, mordant du même coup la poussière. Mais si nos ressources et notre armée sont toujours intactes, |
11, 415 |
auxilioque urbes Italae populique supersunt, sin et Troianis cum multo gloria uenit sanguine, sunt illis sua funera parque per omnis tempestas : cur indecores in limine primo deficimus ? Cur ante tubam tremor occupat artus ? |
si les villes et les peuples d'Italie restent nos alliés, si de plus les Troyens paient leur gloire de flots de sang – ils ont aussi leurs morts, et la tempête est la même pour tous – , pourquoi, au seuil de la guerre, laisser honteusement tomber les bras ? Pourquoi trembler de tous nos membres avant que sonne la trompette ? |
11, 420 |
Multa dies uariique labor mutabilis aeui rettulit in melius, multos alterna reuisens lusit et in solido rursus Fortuna locauit. Non erit auxilio nobis Aetolus et Arpi : at Messapus erit felixque Tolumnius et quos |
Les jours qui passent et l'oeuvre d'un temps changeant et variable ont rétabli bien des revers ; l'instable Fortune, allant et venant, s'est jouée de bien des gens, puis les a ramenés sur un sol ferme. aucun secours ne nous viendra ni de l'Étolien ni d'Arpi: |
11, 425 |
tot populi misere duces, nec parua sequetur gloria delectos Latio et Laurentibus agris. Est et Volscorum egregia de gente Camilla, agmen agens equitum et florentis aere cateruas. Quod si me solum Teucri in certamina poscunt |
et tous les chefs envoyés par tant de peuples ; une gloire infinie s'attachera à ces hommes d'élite du Latium et du pays laurente. Il y a aussi, de l'illustre nation des Volsques, Camille, à la tête de ses cavaliers et de ses escadrons éclatants de bronze. Et si c'est moi seul que les Troyens réclament en combat singulier, |
11, 430 |
idque placet tantumque bonis communibus obsto, non adeo has exosa manus Victoria fugit, ut tanta quicquam pro spe temptare recusem. Ibo animis contra, uel magnum praestet Achillem factaque Vulcani manibus paria induat arma |
et si vous pensez que je suis un tel obstacle au bien commun, la Victoire n'est pas à ce point hostile et ne délaisse pas mes mains , pour que je renonce à tout tenter devant un si grand espoir. J'irai avec ardeur à l'ennemi, dût-il l'emporter sur le grand Achille, et revêtir des armes forgées par les mains de Vulcain. |
11, 435 |
ille licet. Vobis animam hanc soceroque Latino Turnus ego, haud ulli ueterum uirtute secundus, deuoui. Solum Aeneas uocat : et uocet oro, nec Drances potius, siue est haec ira deorum, morte luat, siue est uirtus et gloria, tollat. » |
À vous et à mon beau-père Latinus, j'ai voué ma vie, moi, Turnus, qui en valeur ne le cède à aucun de nos ancêtres. C'est moi seul qu'Énée provoque ? Qu'il m'appelle, je l'en prie ; et si les dieux sont en colère, ce ne sera pas Drancès qui par sa mort les apaisera ou retirera de l'affrontement gloire et valeur ». |
11, 440 |
Notes (11, 213-444)
Voici des mères etc. (11, 215-216). Pour l'énumération, on verra 6, 306-308.
hymen de Turnus (11, 217). Les prétentions de Turnus à la main de Lavinia sont ici présentées comme la cause de la guerre. Ce passage évoque le discours que Calybé/Allecto tient à Turnus en 7, 421-434, ainsi que l'invective de Pandarus au même Turnus en 9, 737-739.
Drancès (11, 220). Déjà présenté au vers 122 comme un ennemi personnel de Turnus, Drancès se fait ici l'interprète du parti opposé à Turnus. Il interviendra encore plusieurs fois dans la suite.
le grand nom de la reine (11, 223). La reine Amata (7, 341-405) qui soutient Turnus.
l'immense gloire des trophées (11, 224). Turnus est généralement présenté comme une sorte d'Achille italien. Il a notamment été question de ses exploits au chant 9 (l'incendie de la flotte ; les ravages opérés dans le camp troyen où il s'est laissé enfermer) et au chant 10 (duel contre Pallas). Turnus lui-même évoquera d'ailleurs ces faits un peu plus loin. Mais sa réputation de guerrier est antérieure à l'arrivée d'Énée dans le Latium.
les ambassadeurs (11, 226-227). En 8, 9-17, une ambassade latine avait été envoyée à Diomède pour lui demander du secours contre les Troyens. Elle revient avec la réponse du héros grec, lequel, après la guerre de Troie, s'était installé dans le sud de l'Italie, à Argyripa (Arpi). Sur Diomède, outre 8, 9-17, voir aussi 1, 752 et 10, 581.
Le roi Latinus (11, 231-241). Latinus n'était plus intervenu depuis 7, 594-600, lorsque, tout en désapprouvant Turnus, il avait paru lui laisser la direction des opérations. Ici, il semble avoir rallié la politique de Turnus et repris ses prérogatives de roi.
le grand conseil etc. (11, 234-238). Manifestement, l'assemblée ne réunit pas seulement les principaux Laurentes, mais aussi les chefs des alliés. Latinus a toutefois sur eux une certaine suprématie : il est le plus âgé et il est roi.
la ville étolienne (11, 239). C'est Argyrippe (Arpi), une ville fondée par Diomède. Elle est qualifiée ici d'étolienne parce que Diomède était le fils de Tydée, roi d'Étolie.
Vénulus (11, 242). C'était le chef de l'ambassade. Virgile, en 11, 758, en fera un Tiburtin. On peut dès lors penser qu'il était d'origine argienne, comme Catillus et Cora (7, 670-677), d'où cette mission dont on l'aurait chargé auprès de Diomède, qui avait Argos pour patrie d'adoption. Son récit contient un long discours, rapportant les termes mêmes du refus de Diomède. Vénulus mourra plus loin des mains de Tarchon en 11, 742-758.
Diomède et son camp argien (11, 243-245). Originaire d'Étolie (11, 239), Diomède était lié à Argos par sa mère et par son mariage ; il avait largement contribué à la chute de Troie. Il a notamment assisté Ulysse dans nombre de missions délicates (épisode de Dolon ; épisode du rapt du Palladion).
les champs iapygiens du Gargano (11, 246-247). Le Gargano est une montagne du nord de l'Apulie, une région appelée parfois Iapygie par les poètes.
Argyripe, au nom tiré de son pays d'origine (11, 247). Rapprochement artificiel entre le nom d'Argyrippe (Arpi) et celui d'Argos. Selon une version légendaire, une fois arrivé en Italie, Diomède avait aidé Daunus, roi des Dauniens, dans sa lutte contre contre les Messapiens ; en remerciement, Daunus lui avait cédé un territoire pour fonder la ville d'Argyrippe (Arpi).
royaumes de Saturne (11, 252). On sait que Saturne, quand il fut chassé du ciel par son fils Jupiter, arriva au Latium, où il fut bien accueilli et enseigna aux habitants l'art de cultiver la terre. Son règne est associé à l'idée de l'âge d'or (cfr notamment 8, 319-325). La périphrase désigne donc les Latins.
antiques Ausoniens (11, 253). Autre périphrase qui s'applique cette fois aux habitants de l'Italie (Ausonie) et pas seulement aux Latins.
Nous tous etc. (11, 255-270). Diomède va évoquer le sort malheureux qu'ont connu divers héros grecs après la chute de Troie. Il y voit le châtiment de leur conduite impie à l'égard des dieux protecteurs de la ville.
Simoïs (11, 257). C'est une des rivières de Troade, évoquée à diverses reprises par Virgile (1, 100 ; 1, 618 ; 3, 302 ; 5, 261 ; 5, 634 ; 5, 803 ; 6, 88 ; 10, 61).
constellation de Minerve etc. (11, 259-260). Les Anciens associaient les tempêtes aux astres. Il est fait ici allusion à la constellation responsable de la tempête que Minerve déchaîna contre les Grecs revenant de Troie. Les vaisseaux échouèrent sur les rochers du cap Caphérée en Eubée. Ajax périt foudroyé et la flotte fut engloutie ; la déesse se vengeait ainsi d'Ajax qui avait violenté Cassandre, sa prêtresse, pour s'emparer du Palladium. Cette tempête est évoquée en 1, 39-41.
Ménélas etc. (11, 261-263). Après la chute de Troie, Ménélas fut emporté par la tempête dans l'île de Pharos, en Égypte, où régnait le roi Protée (cfr Odyssée, 4, 351-592). Les « colonnes de Protée », pour les Anciens, constituaient l'extrémité orientale de la Méditerranée, l'extrémité occidentale se trouvant aux « colonnes d'Hercule » (détroit de Gibraltar). Les aventures d'Ulysse chez les Cyclopes sont racontées par Homère (Odyssée, 9, 166-540). En 3, 613-681, Virgile évoque cet épisode en imaginant le personnage d'Achéménide.
Néoptolème (11, 264). Néoptolème, appelé aussi Pyrrhus, fils d'Achille, avait tué Priam sur l'autel du palais, un acte sacrilège évoqué par Énée en 2, 506-558. Après avoir fondé un royaume en Épire, Néoptolème épousa Andromaque sa captive, puis Hermione la Lacédémonienne, avant d'être assassiné à son tour par Oreste ; Hélénus lui succéda (cfr 3, 321-332). Sur ce personnage, voir aussi 2, 263n.
Idoménée (11, 264-265). En rentrant de Troie dans son royaume de Crète, Idoménée fut lui aussi surpris par une tempête. Il fit voeu de sacrifier à Neptune, s'il était sauvé, le premier être qu'il rencontrerait dès son arrivée. Ce fut son propre fils, qu'il immola. Une peste éclata aussitôt ; considérant Idoménée comme responsable, les Crétois le détrônèrent et le contraignirent à l'exil ; il s'installa à Salente, en Italie (cfr 3, 121-123 ; 3, 400-401).
Locriens (11, 265). Après le naufrage en Eubée où avait péri leur chef Ajax (11, 259-260), certains des Locriens rescapés s'établirent sur la côte de Libye, au nord de l'Afrique.
Agamemnon (11, 266-270). À peine revenu de Troie, Agamemnon fut assassiné par son épouse Clytemnestre, devenue la maîtresse d'Égisthe.
haine des dieux etc. (11, 269-270). Dans la version virgilienne, Diomède, rentrant de Troie, n'aurait pas retrouvé sa patrie, ni son épouse Aigialè à Argos ; ni, en Étolie, la ville de Calydon, d'où son père Tydée avait émigré à Argos. Manifestement Virgile a modifié sur plusieurs points les données traditionnelles. Des récits plus largement répandus racontaient en effet que Diomède était bien rentré à Argos, mais pour y trouver une épouse infidèle aux pièges de laquelle il n'aurait échappé que de justesse (on songe aux rapports entre Agamemnon et Clytemnestre, une autre épouse infidèle). C'est alors que le héros se serait enfui en Italie, auprès du roi Daunus.
des prodiges affreux etc. (11, 271-274). Un de ces prodiges est la métamorphose en hérons des compagnons de Diomède ; l'épisode est évoqué par Ovide (Mét., 14, 483-511), qui y voit aussi une punition infligée à Diomède par la déesse Vénus.
j'ai voulu porter l'épée etc. (11, 275-277). Homère raconte que Diomède avait blessé Vénus (Iliade, 5, 297-431), descendue sur le champ de bataille pour venir en aide à Énée ; un peu plus loin dans le même livre (5, 847-906), Diomède blesse le dieu Mars.
Nous avons affronté etc. (11, 282-284). En fait, dans le récit homérique de l'affrontement entre Diomède et Énée, ce dernier n'apparaît guère à son avantage. Il aurait même péri s'il n'avait pas bénéficié de l'aide des dieux. Virgile attribue naturellement à Énée une valeur plus grande que ne le fait Homère dans l'Iliade.
si la terre de l'Ida etc. (11, 285-287). L'idée est que si Troie avait eu deux héros comme Énée, tout aurait été différent : les Troyens auraient attaqué les Grecs et les auraient vaincus. La formulation est recherchée. La « terre de l'Ida », c'est la Troade, où se dresse le mont Ida. Dardanus, fondateur de Troie, désigne ici les Troyens, tandis que l'expression « les villes d'Inachos » renvoie à la Grèce, les Grecs étant considérés comme les descendants d'Inachos, fondateur et roi d'Argos.
Tout le temps où l'on resta bloqué etc. (11, 288-291). Dans l'Iliade (17, 513), Hector et Énée sont désignés comme « les plus vaillants des Troyens ». Chez Virgile, en 9, 154-155, Turnus attribue aussi à Hector la prolongation de la guerre pendant dix ans. Une autre allusion à la durée du siège de Troie se trouve en 2, 197-198.
mais Énée l'emportait par la piété (11, 291). La piété d'Énée est déjà mentionnée chez Homère (Iliade, 20, 298, par exemple), mais c'est surtout Virgile qui a exploité ce trait (cfr entre autres 1, 9).
ainsi, quand des rochers... (11,297-299). La comparaison pourrait être inspirée d'Homère (Iliade, 2, 144-147 et 394-397).
d'abord pria les dieux (11, 301). Servius signale l'habitude qu'avaient les Anciens de faire précéder leurs discours d'une prière.
se trouve sous nos murs (11, 304). Exagération, car la ville de Latinus n'est pas encore assiégée.
des hommes invincibles (11, 306). Les Troyens, bien que vaincus à Troie, restent invaincus. L'idée se retrouve en 7, 293-296. Cfr aussi Horace, Odes, IV, 4, 53-68 (sur le thème de la « renaissance » de Troie), ou Tite-Live, 27, 14, 1 (où Hannibal fait l'éloge des Romains).
les armes des Étoliens (11, 308). C'est-à-dire l'aide de Diomède, originaire d'Étolie, comme on l'a vu plus haut (11, 239).
Et je n'accuse personne (11, 312). Latinus reconnaît indirectement la bravoure de Turnus et de tous les combattants.
fleuve toscan (11, 316). Le fleuve toscan (ou étrusque) est le Tibre, qui, sur une partie de son cours, sépare le Latium de l'Étrurie. Une allusion au domaine personnel de Latinus se trouve en 9, 274, lorsqu'Ascagne énumère les récompenses qu'il réserve à Euryale.
Sicanes, Auronques, Rutules (11, 317-318). Sicanes, Auronques et Rutules sont déjà cités ensemble en 7, 795, dans le Catalogue des Italiens ; cette géographie du Latium ancien est quelque peu obscure ; nous n'y reviendrons pas.
Cédons-les (11, 320-324). Il ne semble pas que, dans les chants précédents, Latinus ait fait formellement cette proposition d'accorder une terre aux arrivants.
s'ils ont la possibilité (11, 325). Ce qui n'est pas probable, en raison des décrets du destin.
vingt navires (11, 326). C'est-à-dire le nombre exact de navires avec lesquels Énée était parti (1, 381).
des rameaux de paix (11, 332). C'est-à-dire des rameaux d'olivier symbolisant la paix (cfr par exemple 11, 101). Le chiffre de cent est symbolique.
des talents (11, 333). Dans l'antiquité, le talent était une unité de poids, variable selon les époques et les cités ; cfr 9, 265.
insignes de notre royauté (11, 334). Le français « trône » traduit le latin sella, qui désigne vraisemblablement le « siège curule » (sella curulis), sur lequel s'asseyaient sous la République les magistrats supérieurs et qui symbolisait leur pouvoir. Quant à la trabée, c'était une variété de toge censée être le manteau des rois (cfr 7, 187). C'étaient donc des insignes royaux. En les envoyant à Énée, Latinus veut manifestement lui proposer de partager le pouvoir.
Drancès (11, 336). Les vers 11, 122-131 avaient déjà présenté ce rival de Turnus, porte-parole des Latins qui demandaient une trêve à Énée. Les vers 11, 220-221 l'avaient montré dans un rôle de meneur. Dans les vers suivants, son portrait va être tracé de façon plus explicite.
quelle est la destinée de notre peuple (11, 345). Tout le monde sait que sont acquises la victoire et l'installation des Troyens dans le Latium.
l'homme (11, 347). Il s'agit de Turnus, que Drancès ne cite pas nommément.
sûr de pouvoir fuir etc. (11, 350). Au chant 9, Turnus, qui avait pénétré dans le camp des Troyens, réussit finalement à se sauver en plongeant dans le Tibre (cfr 9, 815). Peut-être y a-t-il aussi une allusion à l'épisode où, abusé par Junon qui veut le sauver, il fuit à la poursuite du fantôme d'Énée (10, 607-689).
un, un seul etc. (11, 353-356). Le mariage d'Énée et de Lavinia, proposé par Latinus en 7, 268, devait sceller, sur le plan domestique, l'alliance officielle entre Latins et Troyens (Tite-Live, 1, 1, 9). En 7, 313-322, Junon, sachant pourtant l'union inéluctable, s'acharne contre elle ; en 7, 359-372, Amata plaide auprès de Turnus contre cette union.
aucune violence (11, 354). On peut penser évidemment à Turnus, mais aussi à Amata.
conjurons-le etc. (11, 358-359). Ces vers sont d'une ironie amère ; on peut comprendre que Turnus s'était approprié indûment le droit de décider de la guerre, et de prétendre à la main de Lavinia, contre la volonté des oracles.
Il n'est point de salut dans la guerre (11, 362). Peut-être peut-on entendre ici la voix de Virgile lui-même.
son seul garant inviolable (11, 363). C'est-à-dire le mariage d'Énée et de Lavinia, la seule chose qui puisse garantir durablement la paix.
cet homme (11, 375). Un des deux vers incomplets du chant 11. Il s'agit d'Énée, qui tuera Turnus. Nouvelle annonce du duel final du chant 12.
tu es toujours en veine de discours etc. (11, 378-382). Développement peut-être inspiré d'Homère, Iliade, 2, 246-264, à propos d'Ulysse et de Thersite ; cfr aussi Iliade, 16, 631, où Énée dit à Mérion : « Ce qu'il faut, ce n'est pas entasser des mots, c'est se battre ».
la curie (11, 380). La curie est le lieu de réunion du Sénat, dans la Rome « historique ». Virgile imagine le Conseil des Latins sur le modèle du Sénat romain.
toi, Drancès, dont etc. (11, 384-386). Ironie bien sûr, après tout ce qui vient d'être dit de Drancès.
Mars (11, 389). La valeur guerrière est ici désignée par le nom du dieu Mars ; ceci est une réponse au dernier passage du discours de Drancès (vers 374).
Repoussé, moi ? (11, 392-395). Turnus répond au vers 366, où Drancès lui avait dit de s'en aller, puisqu'il avait été repoussé. La suite est marquée par l'exagération épique.
le Tibre monter (11, 393). L'évocation du Tibre gonflé du sang des victimes troyennes rappelle la prophétie de la Sibylle (6, 86-87) : « Je vois des guerres, d'horribles guerres, et le Tibre tout écumant de sang ».
avec sa descendance (11, 394). Turnus a tué Pallas, le fils unique d'Évandre, anéantissant ainsi sa dynastie.
Bitias et Pandare etc. (11, 396-398). Les deux géants qui, par bravade, ont laissé Turnus pénétrer dans le camp troyen. Ils seront tués tous les deux, en même temps que beaucoup d'autres Troyens. Cet épisode, raconté en 9, 672-817, passe pour l'un des plus grands exploits de Turnus.
au chef dardanien et à tes partisans (11, 400). C'est-à-dire à Énée et aux partisans de la paix. On peut considérer qu'ici Turnus accuse implicitement Drancès d'être un traître. Refuser de se battre, c'est faire le jeu d'Énée.
deux fois vaincue (11, 400-402). En 9, 598, Numanus, beau-frère de Turnus, avait déjà évoqué cette double défaite de Troie. Il s'agit du premier sac de Troie par Hercule, sous Laomédon, et du second sous Priam.
chefs des Myrmidons etc. (403-405). Turnus ironise en imaginant le caractère invraisemblable des suggestions de Drancès : le fait que les Troyens fassent trembler des Grecs, comme Achille ou Diomède, est aussi impossible qu'un changement du cours de l'Aufide. Rappelons qu'Achille était venu de Thessalie, dont la capitale était Larissa, à la tête du peuple des Myrmidons. L'Aufide était un fleuve qui se jetait dans l'Adriatique, après avoir traversé l'Apulie, la région où était désormais installé Diomède, fils de Tydée.
il se dit (11, 406-409). Il s'agit de Drancès, dont Turnus parle avec mépris en s'adressant au Conseil, avant de passer à la deuxième personne (408-9), se montrant plus méprisant encore.
ô père (11, 410). Latinus est non seulement le roi, mais aussi le père de Lavinia, dont Turnus se considère toujours le fiancé.
après un seul revers de notre armée (11, 412-413). Turnus vise la défaite au cours de laquelle, au livre 10, Lausus et Mézence notamment ont été tués, ce qui a poussé les Latins à demander une trève, au début du chant 11. Turnus la considère toutefois comme un simple revers.
La fuite des jours etc. (11, 425-427). Ces vers sont peut-être inspirés d'Ennius, Annales, 284-286 Warmington :
... multa dies in bello conficit unus...
et rursus multae fortunae forte recumbunt ;
haudquaquam quemquam semper fortuna secuta estavec toutefois un sens plus optimiste, car Turnus veut remonter le moral des Latins. Peut-être pourrait-on y voir aussi une allusion au retour de Turnus sur la terre ferme, après sa malheureuse poursuite derrière le fantôme d'Énée (10, 606-688).
Ni l'Étolien, ni Arpi (11, 428). Il s'agit de Diomède, originaire d'Étolie, et régnant à Arpi, en Apulie. Turnus a bien pris connaissance du message des ambassadeurs.
Messapus... Tolumnius (11, 429-431). Le Catalogue des Italiens (7, 691-692) présente Messapus comme le fils de Neptune, invulnérable au fer et au feu. Tolumnius, lui, est un augure qui joue un rôle relativement important en 12, 258-268.
Camille (11, 432). Présentée dans le Catalogue des Italiens (7, 803-817), elle occupe toute la seconde partie du livre 11.
un si grand espoir (11, 434-437). L'idée est la suivante : « je suis prêt à me mesurer moi seul contre les Troyens, si telle est la volonté du Conseil ; je suis assez confiant en ma destinée et en mon courage, pour ne pas saisir cette chance de sauver notre peuple ».
sur le grand Achille (11, 438-439). Énée est ici mis en relation avec Achille. Le livre 8 (370-406 et 608-625 notamment) a rapporté la démarche de Vénus pour obtenir de Vulcain des armes pour son fils, tout comme Thétis en avait demandé à Héphaistos pour Achille. En 9, 148-149, Turnus a évoqué les armes divines que Thétis avait remises à Achille, sans savoir à ce moment-là qu'Énée allait en posséder lui aussi.
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