Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant XII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE XII
LE DÉNOUEMENT
Rupture de trêve (12, 216-382)
Double intervention de Juturne (12, 216-256)
Tandis que les Rutules sont partagés et inquiets à la perspective du duel, Juturne, sous les traits de Camers, se mêle aux rangs des Italiens et, par ses reproches et ses exhortations, les pousse à reprendre les armes. (12, 216-243)
Ensuite, elle suscite un prodige (un aigle contraint par les oiseaux qu'il pourchassait de lâcher sa proie et de s'enfuir) propre à influencer, bien qu'en les abusant, les alliés de Turnus. (12, 244-256)
At uero Rutulis inpar ea pugna uideri iamdudum et uario misceri pectora motu, tum magis, ut propius cernunt non uiribus aequis. Adiuuat incessu tacito progressus et aram |
Mais les Rutules trouvaient ce combat déséquilibré, depuis longtemps déjà, et ils éprouvaient des sentiments, surtout en voyant de plus près que les forces étaient inégales. Turnus renforce cette émotion : il s'avance d'un pas silencieux |
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suppliciter uenerans demisso lumine Turnus pubentesque genae et iuuenali in corpore pallor. Quem simul ac Iuturna soror crebrescere uidit sermonem et uolgi uariare labantia corda, in medias acies, formam adsimulata Camerti, |
allant vénérer l'autel, les yeux baissés comme un suppliant, les joues fraîches et la pâleur répandue sur son corps juvénile. Dès que sa soeur Juturne voit ces rumeurs s'intensifier, et les coeurs instables de la foule se mettre à chanceler, elle se mêle aux rangs de l'armée, sous les traits de Camers, |
12, 220 |
cui genus a proauis ingens clarumque paternae nomen erat uirtutis, et ipse acerrimus armis, in medias dat sese acies haud nescia rerum rumoresque serit uarios ac talia fatur : « Non pudet, O Rutuli, pro cunctis talibus unam |
aux ancêtres prestigieux, jouissant d'un nom illustre grâce à la vaillance de son père, et lui-même très rude guerrier ; elle se lance donc au milieu des rangs et, très habilement, fait courir diverses rumeurs en disant notamment ceci : « Rutules, n'est-il pas honteux qu'un seul être expose sa vie |
12, 225 |
obiectare animam ? Numerone an uiribus aequi non sumus ? En omnes et Troes et Arcades hi sunt fatalesque manus, infensa Etruria Turno : uix hostem, alterni si congrediamur, habemus. Ille quidem ad superos, quorum se deuouet aris, |
pour sauver la vie de tous ? En nombre et en forces, ne les valons-nous pas ? Tous, Troyens et Arcadiens, sont là, et l'armée fatale des Étrusques, hostile à Turnus : à peine un adversaire pour chacun, si nous étions un sur deux à combattre. Ce Turnus en vérité, qui vivant se dévoue sur leurs autels, voisinera |
12, 230 |
succedet fama uiuusque per ora feretur : nos patria amissa dominis parere superbis cogemur, qui nunc lenti consedimus aruis. » Talibus incensa est iuuenum sententia dictis iam magis atque magis, serpitque per agmina murmur ; |
les dieux par la renommée, et vivra sur toutes les lèvres ; et nous, privés de notre patrie, nous serons contraints d'obéir à des maîtres orgueilleux, nous qui restons passifs dans nos champs. » De telles paroles enflamment l'opinion des combattants, et bientôt de plus en plus, un murmure se répand à travers leurs rangs ; |
12, 235 |
ipsi Laurentes mutati ipsique Latini. Qui sibi iam requiem pugnae rebusque salutem sperabant, nunc arma uolunt foedusque precantur infectum et Turni sortem miserantur iniquam.
His aliud maius Iuturna adiungit et alto |
les esprits des Laurentes ont changé, et aussi ceux des Latins. Ils avaient espéré pour eux le repos et le salut de leurs biens loin du combat ; ils veulent maintenant des armes, demandent le retrait du traité et déplorent le sort injuste réservé à Turnus.
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12, 240 |
dat signum caelo, quo non praesentius ullum turbauit mentes Italas monstroque fefellit. Namque uolans rubra fuluus Iouis ales in aethra litoreas agitabat aues turbamque sonantem agminis aligeri, subito cum lapsus ad undas |
plus fort et plus propre que tout autre à perturber et abuser par son caractère prodigieux les esprits des Italiens. L'oiseau fauve de Jupiter, volant dans la lumière rougeoyante du ciel, pourchassait une troupe bruyante, masse ailée d'oiseaux du rivage, lorsque, s'abattant soudain sur les ondes, le rapace cruel |
12, 245 |
cycnum excellentem pedibus rapit improbus uncis. Adrexere animos Itali, cunctaeque uolucres conuertunt clamore fugam, mirabile uisu, aetheraque obscurant pennis hostemque per auras facta nube premunt, donec ui uictus et ipso |
saisit dans ses serres crochues le cygne le plus beau. Les Italiens retinrent leur respiration, et tous les oiseaux, à grands cris arrêtent leur fuite, – spectacle étonnant – ; obscurcissent le ciel de leurs ailes et, formant une nuée, ils pressent leur ennemi à travers les airs ; finalement, l'aigle |
12, 250 |
pondere defecit, praedamque ex unguibus ales proiecit fluuio penitusque in nubila fugit. |
vaincu par leur force et sa charge, laisse tomber dans le fleuve
la proie que serraient ses griffes, fuit et s'enfonce dans les nuages. |
12, 255 |
Reprise des combats (12, 257-310)
L'augure Tolumnius, interprétant ce prodige au sens apparemment si clair, lance aussitôt un trait contre un groupe de neuf frères Troyens ; l'un d'entre eux est abattu, ce qui provoque la réaction immédiate des huit autres. (12, 257-279)
Aussitôt, les adversaires des deux camps qui assistaient au sacrifice reprennent le combat, tandis que Latinus s'enfuit impuissant, rappelant cependant la volonté des dieux. Les combats singuliers font rage, vainqueurs et vaincus appartenant aux deux camps. (12, 280-310)
Tum uero augurium Rutuli clamore salutant expediuntque manus ; primusque Tolumnius augur « Hoc erat, hoc, uotis » inquit, « quod saepe petiui. |
Alors les Rutules saluent par des cris cet augure, et se préparent ; Tolumnius l'augure est le premier à s'écrier : « C'était cela, oui cela, que j'ai souvent appelé de mes voeux. |
12, 257 |
Accipio adgnoscoque deos ; me, me duce ferrum corripite, O miseri, quos improbus aduena bello territat inualidas ut aues et litora uestra ui populat : petet ille fugam penitusque profundo uela dabit. Vos unanimi densete cateruas |
J'accepte l'augure et y reconnais nos dieux ; sous ma conduite, saisissez vos armes, vous, malheureux, comme de faibles oiseaux, que combat et terrifie un audacieux étranger qui dévaste vos rivages. Il cherchera à fuir et mettra les voiles, s'enfonçant vers le large ; vous, d'un seul coeur, resserrez vos rangs |
12, 260 |
et regem uobis pugna defendite raptum. » Dixit et aduersos telum contorsit in hostis procurrens : sonitum dat stridula cornus et auras certa secat. Simul hoc, simul ingens clamor et omnes turbati cunei calefactaque corda tumultu. |
et, en combattant, défendez le roi qui vous fut ravi ». Il parla, courut face aux ennemis et leur décocha un javelot ; le trait en bois de cornouiller émet un son strident et fend les airs suivant sa route. Aussitôt un grand cri s'élève ; tous les assistants d'un même élan s'agitent et dans le tumulte les coeurs s'échauffent. |
12, 265 |
Hasta uolans, ut forte nouem pulcherrima fratrum corpora constiterant contra, quos fida crearat una tot Arcadio coniunx Tyrrhena Gylippo, horum unum ad medium, teritur qua sutilis aluo balteus et laterum iuncturas fibula mordet |
La pique vole. En face se trouvait un groupe de jeunes gens, neuf frères de belle prestance, tous fils d'une Tyrrhénienne qui, épouse fidèle, les avait donnés à l'arcadien Gylippe ; la pique en atteint un à mi-corps, là où la couture du baudrier presse le ventre et où une fibule en resserre les bords assemblés ; |
12, 270 |
egregium forma iuuenem et fulgentibus armis transadigit costas fuluaque effundit harena. At fratres, animosa phalanx accensaque luctu, pars, gladios stringunt manibus, pars missile ferrum corripiunt caecique ruunt. Quos agmina contra |
elle traverse les côtes de ce jeune d'une remarquable beauté et équipé d'armes rutilantes, qui reste étendu sur le sable fauve. Mais voici la troupe de ses frères courageux et brûlants de douleur ; les uns brandissent leurs glaives, les autres saisissent un trait et foncent en aveugles. Contre eux accourent des Laurentes ; |
12, 275 |
procurrunt Laurentum, hinc densi rursus inundant Troes Agyllinique et pictis Arcades armis : sic omnis amor unus habet decernere ferro. Diripuere aras, it toto turbida caelo tempestas telorum ac ferreus ingruit imber, |
et voici que déferlent, reformés en rangs serrés, Troyens, Agylliens et Arcadiens avec leurs armes peintes : la même passion les habite tous : en finir par les armes. Ils ont saccagé les autels ; une tempête de traits traverse le ciel comme un tourbillon, tandis que s'abat une pluie de fer ; |
12, 280 |
craterasque focosque ferunt. Fugit ipse Latinus pulsatos referens infecto foedere diuos. Infrenant alii currus aut corpora saltu subiciunt in equos et strictis ensibus adsunt. Messapus regem regisque insigne gerentem, |
on emporte cratères et foyers sacrés. Latinus même s'enfuit, en rappelant que le non-respect du traité a outragé les dieux. Certains attellent les chars ou d'un bond enfourchent leurs chevaux et brandissant leurs épées, ils sont prêts au combat. Messapus voyant un roi, revêtu de ses insignes royaux, |
12, 285 |
Tyrrhenum Aulesten, auidus confundere foedus, aduerso proterret equo : ruit ille recedens et miser oppositis a tergo inuoluitur aris in caput inque umeros. At feruidus aduolat hasta Messapus teloque orantem multa trabali |
le tyrrhénien Aulestès, et avide de confondre les accords, il l'effraie en poussant vers lui son cheval ; le malheureux recule, s'écroule et roule sur les autels dressés derrière lui, les heurtant de la tête et des épaules. Alors, armé d'une pique, arrive le bouillant Messapus. De son cheval, il lui assène |
12, 290 |
desuper altus equo grauiter ferit atque ita fatur : « Hoc habet, haec melior magnis data uictima diuis. » Concurrunt Itali spoliantque calentia membra. Obuius ambustum torrem Corynaeus ab ara corripit et uenienti Ebuso plagamque ferenti |
malgré ses prières, un trait épais lourd comme une poutre, disant : « Voilà pour lui ; c'est une excellente victime offerte aux grands dieux. » Les Italiens accourent et dépouillent ses membres encore chauds. Corynée survient, arrache à l'autel un tison ardent et, tandis qu' Ébysus arrive pour lui porter un coup, |
12, 295 |
occupat os flammis : olli ingens barba reluxit nidoremque ambusta dedit. Super ipse secutus caesariem laeua turbati corripit hostis inpressoque genu nitens terrae adplicat ipsum : sic rigido latus ense ferit. Podalirius Alsum |
il le devance en le brûlant au visage : sa longue barbe s'embrase et dégage une odeur de brûlé ; alors, Corynée le poursuit et, de la main gauche, saisit la chevelure de son ennemi éperdu ; d'une pression de genou, il s'appuie sur lui et le cloue au sol ; puis, de son glaive rigide, il lui perce le flanc. Podalire, épée levée, |
12, 300 |
pastorem primaque acie per tela ruentem, ense sequens nudo superimminet : ille securi aduersi frontem mediam mentumque reducta disicit et sparso late rigat arma cruore. Olli dura quies oculos et ferreus urget |
poursuit Alsus le berger qui se ruait en première ligne à travers les traits, et le domine de toute sa hauteur ; mais Alsus, levant sa hache, fend d'un coup le front et le menton de son adversaire, par le milieu, et ses armes baignent dans des flots de sang. Un lourd repos, un sommeil de plomb écrasent ses paupières , |
12, 305 |
somnus, in aeternam conduntur lumina noctem. | et ses regards s'enfoncent dans une éternelle nuit. |
12, 310 |
Blessure d'Énée et fougue retrouvée de Turnus (12, 311-382)
Tandis qu'il cherche vainement à rappeler le duel qui devait être décisif, Enée est blessé par une flèche anonyme. Turnus voyant son adversaire hors de combat reprend espoir, et avec une fougue digne de Mars se lance dans d'épiques combats. (12, 311-345)
Rien ni personne ne résiste à son ardeur ni à sa fierté hargneuse, et nombre de Troyens y laissent leur vie. (12, 346-383)
At pius Aeneas dextram tendebat inermem nudato capite atque suos clamore uocabat : « Quo ruitis ? Quaeue ista repens discordia surgit ? O cohibete iras ! Ictum iam foedus et omnes |
De son côté le pieux Énée tendait une main désarmée, il avait la tête nue et à grands cris appelait les siens : « Où courez-vous ? Quelle discorde subite surgit entre vous ? Contenez vos colères ! Désormais un pacte est conclu, |
12, 311 |
compositae leges ; mihi ius concurrere soli ; me sinite atque auferte metus ; ego foedera faxo firma manu ; Turnum debent haec iam mihi sacra. »
Has inter uoces, media inter talia uerba ecce uiro stridens alis adlapsa sagitta est |
les règles en sont établies ; moi seul ai le droit de combattre ; laissez-moi agir, et bannissez toute crainte ; seul, d'une main ferme j'accomplirai l'accord ; ces rites sacrés me réservent Turnus. »
Pendant qu'il parlait ainsi, au milieu de ce discours, voilà qu'une flèche ailée siffle et atteint le héros ; |
12, 315 |
incertum qua pulsa manu, quo turbine adacta, Quis tantam Rutulis laudem, casusne deusne, adtulerit : pressa est insignis gloria facti. nec sese Aeneae iactauit uulnere quisquam. Turnus ut Aenean cedentem ex agmine uidit |
quelle main la lança, quel tourbillon la dirigea, quel hasard, quel dieu offrit aux Rutules une telle source de fierté, on ne le sait : la gloire de cet exploit insigne resta cachée, et personne ne se vanta d'avoir blessé Énée. Turnus voit qu' Énée quitte le combat et que les chefs |
12, 320 |
turbatosque duces, subita spe feruidus ardet : poscit equos atque arma simul saltuque superbus emicat in currum et manibus molitur habenas. Multa uirum uolitans dat fortia corpora leto, semineces uoluit multos aut agmina curru |
sont décontenancés ; un espoir soudain le brûle, l'embrase ; il réclame ses chevaux et ses armes ; en même temps, superbe, il bondit sur son char et manie les rênes qu'il tient en mains. Il vole, tuant une foule de vaillants héros et fait rouler sur le sol nombre de guerriers à demi-morts, ou écrase des bataillons |
12, 325 |
proterit aut raptas fugientibus ingerit hastas. Qualis apud gelidi cum flumina concitus Hebri sanguineus Mauors clipeo increpat atque furentis bella mouens immittit equos ; illi aequore aperto ante Notos Zephyrumque uolant ; gemit ultima pulsu |
sous son char ou crible les fuyards des piques qu'il leur a enlevées. Ainsi Mars sanglant, lorsqu'il s'ébranle près de l'Hèbre glacé, fait retentir son bouclier et lorsqu'il déclenche les guerres, et lance en avant ses chevaux furieux ; dans la plaine dégagée, ils volent plus vite que Notus et Zéphyr ; sous leurs pas, gémissent |
12, 330 |
Thraca pedum ; circumque atrae Formidinis ora Iraeque Insidiaeque, dei comitatus, aguntur : talis equos alacer media inter proelia Turnus fumantis sudore quatit, miserabile caesis hostibus insultans ; spargit rapida ungula rores |
les confins de Thrace ; dans leur sillage s'agite le cortège du dieu : l'Épouvante au noir visage, la Colère et les Embuscades. Tel est l'ardent Turnus qui, au milieu des combats, pousse ses chevaux fumants de sueur, et saute par-dessus les corps des ennemis misérablement abattus ; les sabots agiles répandent |
12, 335 |
sanguineos, mixtaque cruor calcatur harena. Iamque neci Sthenelumque dedit Thamyrumque Pholumque, hunc congressus et hunc, illum eminus ; eminus ambo Imbrasidas, Glaucum atque Laden, quos Imbrasus ipse nutrierat Lycia paribusque ornauerat armis, |
des flots sanglants, et piétinent le sang qui se mêle au sable. Et déjà, il a livré à la mort Sthénélus, Thamyrus et Pholus, le premier et le second, en combat rapproché ; le troisième, de loin ; de loin aussi, Glaucus et Ladès, les deux fils qu'Imbrasus leur père avait lui-même élevés en Lycie, et avait équipés des mêmes armes, |
12, 340 |
uel conferre manum uel equo praeuertere uentos.
Parte alia media Eumedes in proelia fertur, antiqui proles bello praeclara Dolonis, nomine auum referens, animo manibusque parentem, qui quondam, castra ut Danaum speculator adiret, |
pour les corps à corps ou pour devancer les vents sur leur monture.
Dans un autre endroit, Eumède entre en plein dans la mêlée ; illustre à la guerre, il descend du vieux Dolon ; par son nom, il rappelle son aïeul ; par son courage et son bras, c'est son père |
12, 345 |
ausus Pelidae pretium sibi poscere currus ; illum Tydides alio pro talibus ausis adfecit pretio, nec equis adspirat Achillis. Hunc procul ut campo Turnus prospexit aperto, ante leui iaculo longum per inane secutus |
osa réclamer comme récompense le char du Péléide ; le fils de Tydée, pour prix d'une telle audace, le récompensa autrement et il ne convoite plus les chevaux d'Achille. Dès que Turnus l'aperçoit au loin dans la plaine dégagée, il l'atteint d'abord avec un javelot léger, lancé à bonne distance ; |
12, 350 |
sistit equos biiugis et curru desilit atque semianimi lapsoque superuenit et pede collo impresso dextrae mucronem extorquet et alto fulgentem tinguit iugulo atque haec insuper addit : « En agros et quam bello, Troiane, petisti, |
puis il arrête ses deux chevaux, saute à bas de son char, et tombe sur le corps de son adversaire, affalé, à demi-mort ; du pied, il lui presse le cou, arrache le poignard de sa main droite, lui plonge une lame brillante au fond de la gorge, et ajoute : « Voilà, Troyen, les champs d'Hespérie que tu as voulu conquérir, |
12, 355 |
Hesperiam metire iacens : haec praemia qui me ferro ausi temptare ferunt, sic moenia condunt. » Huic comitem Asbyten coniecta cuspide mittit. Chloreaque Sybarimque Daretaque Thersilochumque et sternacis equi lapsum ceruice Thymoeten. |
mesure-les, de tout ton long : telle est la récompense des audacieux qui m'ont provoqué par le fer ; ils fondent ainsi leurs remparts. » Lançant un trait, il envoie Asbytès le rejoindre, puis Chlorée, et Sybaris, et Darès, et Thersiloque, et enfin Thymétès, qui tombe, lâchant l'encolure de son cheval cabré. |
12, 360 |
Ac uelut Edoni Boreae cum spiritus alto insonat Aegaeo sequiturque ad litora fluctus, qua uenti incubuere, fugam dant nubila caelo : sic Turno, quacumque uiam secat, agmina cedunt conuersaeque ruunt acies ; fert impetus ipsum, |
Ainsi, quand du pays des Édoniens le souffle de Borée résonne au large de l'Égée et chasse les flots vers les rivages, partout où les vents ont pesé, les nuages fuient dans le ciel : ainsi, les bataillons cèdent devant Turnus ; où qu'il se fraie un passage, les armées font volte-face et fuient ; son propre élan l'emporte |
12, 365 |
et cristam aduerso curru quatit aura uolantem. Non tulit instantem Phegeus animisque frementem : obiecit sese ad currum et spumantia frenis ora citatorum dextra detorsit equorum. Dum trahitur pendetque iugis, hunc lata retectum |
et, sur son char roulant face au vent, son panache vole et s'agite. Phégée n'a pas supporté sa menace et sa fougue frémissante ; il s'est jeté devant le char et, de la main, a détourné dans leur élan ses chevaux aux bouches écumantes sous leurs mors. Il est emporté, suspendu aux harnais, le flan découvert, |
12, 370 |
lancea consequitur rumpitque infixa bilicem loricam et summum degustat uolnere corpus. Ille tamen clipeo obiecto conuersus in hostem ibat et auxilium ducto mucrone petebat : cum rota praecipitem et procursu concitus axis |
quand une lance à large lame l'atteint, brise les doubles mailles de sa cuirasse et s'y fixe, le coup n'effleurant que légèrement son corps. Phégée cependant, derrière son bouclier, s'était retourné vers son adversaire et cherchait à s'aider en brandissant de pique, quand une roue et son essieu lancé par la course le précipite |
12, 375 |
impulit effunditque solo, Turnusque secutus imam inter galeam summi thoracis et oras abstulit ense caput truncumque reliquit harenae. |
tête en avant et l'étend sur le sol ; Turnus, qui le poursuivait, lui tranche la tête d'un coup d'épée, entre la base du casque et le haut de la cuirasse, et abandonne son tronc sur le sable. |
12, 380 |
Notes (12, 216-382)
forces étaient inégales (12, 218). « Au moment, précise J. Perret, où Énée et Turnus, l'un à côté de l'autre, s'offrent tout proches à leurs regards, les Rutules s'avisent de l'inégalité physique des deux hommes et elle leur est un motif supplémentaire de tenir ce duel pour inégal ».
juvénile (12, 221). On ne se trompera pas sur le sens de ce terme. En fait à Rome, on est iuuenis (jeune) jusqu'à 45 ans. Turnus n'est plus un gamin, l'Énéide le présente comme un homme fait (en particulier 11, 174). La pâleur, normale chez un malade ou chez un vieillard, frappe quand il s'agit, comme ici, d'un homme dans toute sa force. Turnus est manifestement ému et troublé, et peut-être aussi conscient de son infériorité dans le combat.
sa soeur Juturne (12, 222). Ce n'est pas la première métamorphose d'une divinité dans le récit. On songera à Iris (5, 618-622), prenant les traits de Béroé pour pousser les Troyennes à incendier les vaisseaux, à Allecto revêtant l'apparence de Calybé pour se présenter à Turnus (7, 415-420), à Apollon changeant son visage en celui du vieux Butès (9, 647) pour conseiller à Ascagne de ne plus intervenir dans la guerre.
Camers (12, 224-226). Il a déjà été question de Camers en 10, 562. Le rôle de Juturne/Camers pourrait avoir été inspiré par Homère (Iliade, 4, 75) où Athéna descend du ciel pour pousser à la rupture d'un traité, mais chez Homère la divinité ne se dissimule pas sous les traits d'un humain.
Étrurie, armée fatale, hostile à Turnus (12, 232). Les Étrusques, pour obéir aux oracles, avaient attendu un chef étranger. Ils s'étaient alliés à Énée, à cause de leur haine pour Mézence, qu'ils avaient exilé et qui avait été accueilli par Turnus (8, 478 et suivants).
un sur deux (12, 233). Nous sommes deux fois plus nombreux que nos ennemis.
vivra sur toutes les lèvres (12, 235). Souvenir de la célèbre épitaphe d'Ennius, conservée par Cicéron (Tusculanes, 1, 15, 34 ; 1, 49, 117) et dont voici le début : « Point de larmes à mon sujet » et la fin « À quoi bon ? Je suis vivant et je vole de bouche en bouche ».
oiseau fauve de Jupiter (12, 247-256). L'aigle. Cet augure peut être inspiré d'Homère (Iliade, 12, 200-229), qui reste cependant assez loin de Virgile. Quoi qu'il en soit, il n'est pas rare que l'aigle intervienne dans des prodiges ou des présages, tant chez Homère que dans la tradition romaine. Qu'on songe à son rôle dans l'histoire légendaire de Rome lorsque le futur Tarquin l'Ancien arrive en vue de Rome (Tite-Live, 1, 34, 8-9).
se préparent (12, 258). Le texte latin dit « dégagent leurs mains », mais le sens n'est pas clair. Peut-être est-ce pour prendre leurs armes. P. Veyne (Virgile Énéide, 2012, p. 391) traduit : « C'est alors qu'on voit les Rutules saluer à grands cris cet augure et dégager leurs mains », et explique en note : « en signe de surprise et / ou d'approbation admirative. Leurs mains étaient sous leur manteau, car il n'était pas convenable, en public, de laisser voir ses mains et encore moins de les agiter.»
Tolumnius l'augure (12, 258-263). Il apparaissait déjà en 11, 429, avec l'épithète de « heureux » (felix). Rien de tel ici, et le lecteur pressent que l'augure va se tromper dans l'interprétation du prodige.
le roi qui vous fut ravi (12, 265). Turnus, à qui Latinus a préféré Énée.
le trait en bois de cornouiller (12, 267). Le bois du cornouiller (cornus en latin), très dur, servait à fabriquer javelots et lances. Cfr aussi 9, 698.
neuf frères (12, 270). Comme l'observe J. Perret (Virgile. Énéide III, 1980, p. 135, n. 1), ces neuf frères rappellent les sept fils de Phorcus, en 10, 328-330.
Gylippe (12, 272). Ce nom n'est connu ni de l'épopée, ni de la mythologie, mais il fut porté par des personnages historiques, notamment un général lacédémonien de la guerre du Péloponnèse (Thucydide, 6, 93, 2).
Agylliens (12, 281). Ce sont les guerriers venus d'Agylla, c'est-à-dire Caeré, la ville étrusque qui avait chassé Mézence le tyran. Les Agylliens ici évoqués combattaient donc du côté des Troyens et des Arcadiens (8, 475-496), et non du côté des Italiens (7, 649-654).
leurs armes peintes (12, 281). En 8, 588, l'arcadien Pallas est décrit avec des armes peintes, ainsi que les Amazones, en 11, 660.
saccagé les autels (12, 283). Dans la mêlée, les combattants saccagent les autels auprès desquels s'était déroulée la cérémonie de la conclusion de l'accord.
cratères et foyers sacrés (12, 285). Les prêtres emportent dans la précipitation vases et foyers portatifs.
en rappelant (12, 286). Comme l'observe J. Perret, Virgile s'abstient de prendre parti sur la légitimité de cette reprise des combats. Latinus, au contraire, extériorise ses sentiments et ses jugements.
Messapus (12, 289). Première mention en 7, 691, de cet Italien, souvent nommé, y compris dans ce chant (cfr 12, 128).
Aulestès (12, 290). Mentionné en 10, 207, comme commandant d'un vaisseau tyrrhénien.
Corynée (12, 298). Ce nom semble s'appliquer à un Troyen. Un Corynée est cité en 6, 228. En 9, 571, un Corynée est abattu par Asilas.
Ébysus (12, 299). Ce guerrier rutule n'est mentionné qu'ici dans l'Énéide.
Podalire... Alsus (12, 304-305). Podalire, un Troyen, et Alsus, un Latin (?) ne sont mentionnés qu'ici.
Un lourd repos (12, 309-310). Ces deux vers sont repris presque textuellement de 10, 745-746, où Virgile les applique à Orodès.
tête nue (12, 312). Probablement pour être reconnu. C'est pour la même raison qu'Ascagne avait jeté son casque, pour être reconnu des femmes troyennes qui incendiaient la flotte (5, 673).
Où courez-vous (12, 313). On songera au cri désespéré jeté par Horace (Epodes, 7, 1 : Quo, quo scelesti ruitis ?) lorsqu'il sent venir de nouvelles guerres civiles (cfr 12, 503-504). On notera la présence du mot « discorde », un peu plus loin dans le vers.
Ainsi Mars (12, 331). Comme l'observe J. Perret, la comparaison qui va suivre, prise d'Iliade, 13, 298-303, a été développée, aggravée dans le sens du fantastique et de la violence.
Hèbre glacé (12, 331). L'Hèbre est un fleuve de Thrace (aujourd'hui la Maritza), qui prenait sa source dans les monts Rhodope et se jetait dans la mer Égée (cfr 1, 317 ; Bucoliques, 10, 65 ; Géorgiques, 4, 463 et 524). La Thrace, pays de guerriers, était un des séjours favoris de Mars (Homère, Odyssée, 8, 361 ; Virgile, Géorgiques, 4, 463).
fait retentir son bouclier (12, 332). En le frappant de sa lance (cf. Callimaque, Hymne à Délos, 136), ce qui était une façon pour les guerriers de s'exciter avant la bataille.
Notus et Zéphyr (12, 334). Ici, les vents en général. Le Notus ou Auster est le vent du sud ; le Zéphyre ou Favonius, le vent d'ouest.
Épouvante, Colère, Embûches (12, 335-336). Pour Hésiode (Bouclier, 195), l'Épouvante est la fille de Mars ; Homère (Iliade, 4, 440) en fait la compagne de Mars, avec la Terreur et la Dispute. L'expression même de « le visage de la noire Épouvante » (atrae Formidinis ora) est reprise par Virgile à Lucrèce, 4, 173. Les Anciens avaient régulièrement recours aux abstractions personnifiées (ici il s'agit de sentiments et de réalités militaires, mais on en rencontre bien d'autres en 6, 274-281, dans la description du vestibule des enfers).
Sthénélus (12, 341). Le Troyen Sthénélus n'est signalé qu'ici ; un autre Sthénélus, un Grec cette fois, est signalé à l'intérieur du cheval de Troie en 2, 261.
Thamyrus et Pholus (12, 341-342). Ces guerriers ne sont signalés qu'ici.
Glaucus... Ladès... (12, 343-344). Un « Asius, fils d'Imbrasus» a été mentionné en 10, 123 ; un Glaucus, Troyen mort sur le champ de bataille, se trouve dans les enfers, en 6, 483. Ladès n'est nommé qu'ici.
Lycie (12, 344). La Lycie était une contrée d'Asie mineure, sur la mer Méditerranée. Elle est citée plusieurs fois dans l'Énéide (par exemple 4, 143 ; 7, 721 ; 10, 126 et aussi 12, 516).
Eumède... Dolon... Danaens... Péléide... le fils de Tydée... (12, 346-353). Le Troyen Eumède, qui n'est nommé qu'ici, est présenté par Virgile comme le fils de Dolon, fils lui-même d'un héraut nommé Eumène. L'histoire de Dolon occupe une bonne partie du chant 10 de l'Iliade (« la Dolonie »). Guerrier troyen, il avait proposé à Hector d'aller espionner le camp des Grecs (les Danaens), à condition d'obtenir le char et les chevaux d'Achille, fils de Pélée (Péléide). Hector les lui avait promis. Mais, au cours de son expédition nocturne, Dolon fut surpris par Ulysse et Diomède, le fils de Tydée. Les deux Grecs le tuèrent après s'être fait indiquer par lui l'emplacement du camp de Rhésos, le roi de Thrace, venu au secours de Troie. Ulysse et Diomède tuèrent Rhésus et emmenèrent ses chevaux.
Hespérie (12, 359-360). L'Hespérie ou pays du Couchant (Hesper ou Vesper) désigne dans l'Énéide l'Italie (cfr par exemple 7, 4).
mesure-les (12, 360). Tu pourras les mesurer (avec ton cadavre) lorsque tu seras étendu mort sur le sol. Jeu de mots cruel, note M. Rat, il était d'usage, en effet, après une victoire, de mesurer et de partager aux soldats vainqueurs les terres conquises.
Asbytès...Chlorée... Sybaris... Darès...Thersiloque...Thymétès (12, 362-364). Autre série de victimes de Turnus. Asbytès et Sybaris, guerriers troyens, sont nommés seulement ici. Un Chlorée, prêtre de Cybèle, intervient en 11, 768, affolant Camille avec son luxueux vêtement ; c'est sans doute le même. Darès est plusieurs fois cité au livre 5 (par exemple en 5, 363) et Thersiloque apparaît en 6, 483. Quant à Thymétès, fils d'Hicétaon, il défend le camp troyen contre l'assaut rutule en 10, 123. En 2, 32-34, il était le premier Troyen à vouloir introduire le cheval dans Troie.
Édoniens... Borée (12, 365). On appelait Édonie la partie de la Thrace voisine du mont Édon, dans le massif de l'Hémus, et célèbre par ses hivers glacés (cf. Stace, Thébaïde, 5, 78). Le mot est souvent appliqué par les poètes au culte de Bacchus, célébré sur l'Édon, et aux Bacchantes (cf. Horace, Odes, 2, 7, 26 et Ovide, Mét., 11, 69). Quant à Borée, le dieu qui personnifie le vent du nord, le plus rapide et le plus furieux des vents, il était, suivant Hésiode, fils du Titan Astrée et de l'Aurore ; il avait enlevé Orythie, fille d'Érechthée, roi d'Athènes, et fondé un royaume en Thrace (M. Rat).
Phégée (12, 371). Phégée est un nom emprunté au grec. Un guerrier troyen du même nom intervient encore en 5, 263 et en 9, 765, où il est tué par Turnus.
tranche la tête (12, 382). Il lui tranche la tête pour l'emporter avec le casque comme trophée, comme le suggère P. Veyne, p. 396, n. 1 et 2, qui renvoie à XII, 522.
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