Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant VII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE VII
ARRIVÉE AU LATIUM - MENACE DE GUERRE
Premiers contacts latins et troyens (7, 148-285)
Les Troyens envoient une ambassade et découvrent le palais de Latinus (7, 148-191)
Les Troyens reconnaissent les lieux, pays des valeureux Latins. Ensuite, Énée décide d'envoyer des ambassadeurs auprès de leur roi, pour demander la paix. Aussitôt il commence à jeter les bases d'une installation durable au bord du fleuve. (7, 148-159)
La délégation troyenne parvenue aux portes d'une ville respirant puissance et prospérité est introduite auprès du roi. (7, 160-169)
Suit la description du palais royal, inspirée de réalités historiques romaines, avec les trophées guerriers et les portraits des ancêtres, etc... (7, 170-191)
Postera cum prima lustrabat lampade terras orta dies, urbem et finis et litora gentis |
Le lendemain, aux premières lueurs du jour naissant sur la terre, les Troyens se dispersent pour explorer la ville, les bornes |
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diuersi explorant ; haec fontis stagna Numici, hunc Thybrim fluuium, hic fortis habitare Latinos. Tum satus Anchisa delectos ordine ab omni centum oratores augusta ad moenia regis ire iubet, ramis uelatos Palladis omnis, |
et le rivage du pays. Voici les marais
près de la source du Numicus, et voici le fleuve Thybris ; voici où habitent les vaillants Latins. Alors le fils d'Anchise choisit dans ses rangs cent ambassadeurs et leur ordonne de se rendre au palais vénérable du roi, tous voilés des rameaux de Pallas, de lui offrir des présents |
7, 150 |
donaque ferre uiro pacemque exposcere Teucris. Haud mora, festinant iussi rapidisque feruntur passibus. Ipse humili designat moenia fossa moliturque locum primasque in litore sedes castrorum in morem pinnis atque aggere cingit.
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et de lui demander
d'accorder la paix aux Troyens. Sans délai, ils se hâtent d'obéir, et s'en vont d'un pas rapide. Énée d'un modeste sillon marque l'emplacement de ses murs, fortifie l'endroit et, sur le rivage construit ses premières installations, qu'il entoure de palissades et d'un talus, comme pour un camp. |
7, 155 |
Iamque iter emensi turris ac tecta Latinorum ardua cernebant iuuenes muroque subibant. Ante urbem pueri et primaeuo flore iuuentus exercentur equis domitantque in puluere currus aut acris tendunt arcus aut lenta lacertis |
Déjà au bout de leur route, les messagers apercevaient les tours
et les hautes demeures des Latins et s'approchaient des murailles. Devant la ville, des enfants et des adolescents dans la fleur de l'âge s'exercent à l'équitation et à la maîtrise des chars dans la poussière, ou de leurs bras tendent des arcs puissants ou brandissent |
7, 160 |
spicula contorquent cursuque ictuque lacessunt, cum praeuectus equo longaeui regis ad auris nuntius ingentis ignota in ueste reportat aduenisse uiros. Ille intra tecta uocari imperat et solio medius consedit auito.
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de souples
javelots, et se provoquent à la course et à la lutte, quand un messager sur son cheval prend les devants et rapporte aux oreilles du vieux roi l'arrivée d'hommes imposants, étrangement vêtus. Le roi ordonne de les introduire sous son toit et s'installe au centre du palais sur le trône ancestral. |
7, 165 |
Tectum augustum ingens, centum sublime columnis, urbe fuit summa, Laurentis regia Pici, horrendum siluis et religione parentum. Hic sceptra accipere et primos attollere fasces regibus omen erat, hoc illis curia templum, |
Demeure auguste, immense,
soutenue par cent colonnes, elle occupait le sommet de la ville ; palais de Picus, le roi Laurente, dont le bois sacré et la religion ancestrale inspirent une horreur sacrée. Recevoir ici leur sceptre et lever ici leurs premiers faisceaux était pour les rois un bon présage ; ce temple était leur curie, |
7, 170 |
hae sacris sedes epulis, hic ariete caeso perpetuis soliti patres considere mensis. Quin etiam ueterum effigies ex ordine auorum antiqua e cedro, Italusque paterque Sabinus uitisator, curuam seruans sub imagine falcem, |
le siège des banquets sacrés ; ici, après l'immolation d'un bélier, les Pères avaient coutume de prendre place à ces longues tables. Il y avait aussi la série des effigies des lointains ancêtres, sculptées dans du vieux cèdre : Italus, et le vénérable Sabinus, |
7, 175 |
Saturnusque senex Ianique bifrontis imago uestibulo astabant, aliique ab origine reges Martiaque ob patriam pugnando uolnera passi. Multaque praeterea sacris in postibus arma, captiui pendent currus curuaeque secures |
et le vieillard Saturne, et l'image de Janus aux deux visages. Tous se dressaient dans l'entrée ; et les autres rois aussi, depuis l'origine, et les guerriers qui, pour la patrie, subirent les blessures de Mars. En outre, devant le portail sacré, des armes innombrables sont suspendues : des chars pris à l'ennemi, des haches au fer incurvé, |
7, 180 |
et cristae capitum et portarum ingentia claustra spiculaque clipeique ereptaque rostra carinis. Ipse Quirinali lituo paruaque sedebat succinctus trabea laeuaque ancile gerebat Picus, equum domitor ; quem capta cupidine coniunx |
des panaches de casques et d'énormes
verrous de portes, des javelots et des boucliers, et des rostres arrachés aux navires. Muni de son bâton quirinal, vêtu d'une courte trabée, un ancile à la main gauche, siégeait Picus, dompteur de chevaux ; |
7, 185 |
aurea percussum uirga uersumque uenenis fecit auem Circe sparsitque coloribus alas. |
de sa baguette
d'or et avec ses breuvages,
l'avait transformé en oiseau, ornant ses ailes de couleurs. |
7, 190 |
Échange de discours et de présents (7, 192-285)
Le roi Latinus, au fait du destin de Troie et de l'odyssée des Troyens sur les mers, offre avec bienveillance l'hospitalité aux nouveaux venus, évoquant les liens de sa race avec celle des Troyens, dont l'ancêtre Dardanus était originaire d'Italie. (7, 192-211)
Ilionée, porte-parole des Troyens, présente leur arrivée non comme accidentelle, mais voulue par leur chef illustre Énée qui, comme le royaume d'où ils viennent, prétend descendre de Jupiter. Rappelant les épreuves subies après la chute de Troie, ils demandent l'hospitalité, promettant d'apporter un grand renom aux Latins. Leur présence au Latium est voulue par les destins et les dieux. C'est l'oracle d'Apollon, à Délos, qui les a envoyés dans la région, qui n'est autre que la patrie d'origine de Dardanus. Le discours s'achève par l'offrande de présents sauvés de Troie, symboles du pouvoir royal. (7, 212-248)
Devant les propositions troyennes, Latinus reste pensif. Faisant le rapprochement avec l'oracle de Faunus, sa seule pensée est de donner sa fille en mariage au chef des étrangers. Il agrée à la demande d'Ilionée et accepte ses présents. Il le prie de porter sa réponse positive à Énée, de lui proposer sa fille en mariage, au nom des destins qui lui prédisent un grand avenir. En gage d'alliance, il offre alors aux Troyens de somptueux présents. (7, 249-285)
Tali intus templo diuom patriaque Latinus sede sedens Teucros ad sese in tecta uocauit, atque haec ingressis placido prior edidit ore : |
Dans le temple de ces dieux, Latinus, occupant le siège de ses pères, appela les Troyens dans sa demeure. À leur entrée, il parla le premier d'une voix paisible disant : |
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« Dicite, Dardanidae neque enim nescimus et urbem et genus, auditique aduertitis aequore cursum, quid petitis ? Quae causa rates aut cuius egentis litus ad Ausonium tot per uada caerula uexit ? Siue errore uiae seu tempestatibus acti, |
« Dites-moi,
Dardanides – car
nous n'ignorons ni votre ville ni votre race, et avons appris que de la mer votre course venait vers nous –, que cherchez-vous ? Quelle raison ou quel besoin a poussé vos navires vers le rivage d'Ausonie à travers tant de sombres mers ? Que vous soyez égarés ou dévoyés par les intempéries, |
7, 195 |
qualia multa mari nautae patiuntur in alto, fluminis intrastis ripas portuque sedetis, ne fugite hospitium neue ignorate Latinos Saturni gentem, haud uinclo nec legibus aequam, sponte sua ueterisque dei se more tenentem. |
victimes de ces
malheurs qui épouvent les marins en pleine mer, vous avez pénétré nos rives, et vous êtes au port ; ne refusez pas notre hospitalité ; ne méconnaissez pas les Latins, race de Saturne, un peuple qui n'a ni prison ni lois, juste par nature et qui s'en tient aux moeurs du dieu des temps anciens. |
7, 200 |
Atque equidem memini fama est obscurior annis Auruncos ita ferre senes, his ortus ut agris Dardanus Idaeas Phrygiae penetrauit ad urbes Threiciamque Samum, quae nunc Samothracia fertur. Hinc illum, Corythi Tyrrhena ab sede profectum, |
Et même, je me souviens
– c'est un peu obscur, vu les années –, que des vieillards auronques racontaient comment Dardanus, né dans notre pays, était allé jusqu'aux villes de l'Ida de Phrygie et jusqu'à Samos de Thrace, aujourd'hui Samothrace. Il était parti d'ici, de la ville tyrrhénienne de Corythus ; |
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aurea nunc solio stellantis regia caeli accipit et numerum diuorum altaribus auget. »
Dixerat, et dicta Ilioneus sic uoce secutus : « Rex, genus egregium Fauni, nec fluctibus actos, atra subegit hiems uestris succedere terris |
il siège maintenant dans
les ors du palais céleste constellé d'étoiles, et avec ses autels, il augmente d'une unité le nombre des dieux ».
Lorsque Latinus eut fini de parler, Ilionée poursuivit ainsi : « Roi, illustre rejeton de Faunus, ce n'est pas une sombre tempête qui nous a ballottés sur les flots et poussés vers vos terres ; |
7, 210 |
nec sidus regione uiae litusue fefellit ; consilio hanc omnes animisque uolentibus urbem, adferimur, pulsi regnis, quae maxima quondam extremo ueniens Sol aspiciebat Olympo. Ab Ioue principium generis, Ioue Dardana pubes |
aucun astre non plus, aucun rivage ne nous ont
égarés : de propos délibéré, par une volonté unanime, nous nous portons vers cette ville : nous avons été chassés du plus grand royaume qu'apercevait jadis le Soleil quand il venait de l'extrémité de l'Olympe. Jupiter est à l'origine de notre race ; le peuple dardanien se glorifie |
7, 215 |
gaudet auo, rex ipse Iouis de gente suprema, Troius Aeneas, tua nos ad limina misit. Quanta per Idaeos saeuis effusa Mycenis tempestas ierit campos, quibus actus uterque Europae atque Asiae fatis concurrerit orbis, |
de son ancêtre Jupiter, et notre roi
en personne, le Troyen Énée, issu de la très haute famille de Jupiter, nous a envoyés vers toi. La terrible tempête qui, partie de la cruelle Mycènes, a parcouru les campagnes de l'Ida, les destins qui firent s'affronter les deux mondes, l'Europe et l'Asie, |
7, 220 |
audiit et siquem tellus extrema refuso summouet oceano et siquem extenta plagarum quattuor in medio dirimit plaga solis iniqui. Diluuio ex illo tot uasta per aequora uecti dis sedem exiguam patriis litusque rogamus |
chacun en a entendu
parler, qu'il soit retenu loin à l'écart
en une terre née du reflux de l'Océan, ou séparé de tout par la zone au soleil implacable, située au centre des quatre autres. À la suite de ce désastre, après avoir traversé l'immensité marine, nous ne demandons pour les dieux de nos pères, qu'un endroit exigu |
7, 225 |
innocuum et cunctis undamque auramque patentem. Non erimus regno indecores, nec uestra feretur fama leuis tantique abolescet gratia facti, nec Troiam Ausonios gremio excepisse pigebit. Fata per Aeneae iuro dextramque potentem |
et un rivage paisible, l'air et l'eau,
ces biens à la disposition de tous. Nous ne ferons pas honte à votre royaume, dont le renom s'imposera, prestigieux, et notre reconnaissance pour un tel bienfait ne faiblira jamais ; les Ausoniens ne regretteront pas d'avoir accueilli les Troyens en leur sein. J'en fais le serment par le destin d'Énée et par sa dextre puissante, |
7, 230 |
siue fide seu quis bello est expertus et armis ; multi nos populi, multae ne temne, quod ultro praeferimus manibus uittas ac uerba precantia et petiere sibi et uoluere adiungere gentes ; sed nos fata deum uestras exquirere terras |
soit pour sa
droiture, soit qu'il ait prouvé sa valeur par ses faits d'armes. Bien des peuples – ne nous méprise pas si nous venons à toi spontanément, bandelettes à la main et supplications aux lèvres – bien des nations nous ont fait des avances, voulant nous joindre à elles. |
7, 235 |
imperiis egere suis. Hinc Dardanus ortus ; huc repetit iussisque ingentibus urguet Apollo Tyrrhenum ad Thybrim et fontis uada sacra Numici. Dat tibi praeterea fortunae parua prioris munera, reliquias Troia ex ardente receptas. |
à rechercher
votre terre. D'ici est issu Dardanus ; il revient ici et les ordres impérieux d'Apollon nous pressent de gagner le Thybris tyrrhénien et la source et les marais sacrés du Numicus. En outre, Énée t'offre ces maigres présents, ces restes de notre fortune d'antan arrachés aux flammes de Troie. |
7, 240 |
Hoc pater Anchises auro libabat ad aras ; hoc Priami gestamen erat, cum iura uocatis more daret populis, sceptrumque sacerque tiaras Iliadumque labor uestes. »
Talibus Ilionei dictis defixa Latinus |
Avec ce vase
d'or, le vénérable Anchise faisait des libations près des autels ; Priam portait cette parure pour rendre la justice selon la coutume à ses peuples rassemblés ; et voici son sceptre et sa tiare sacrée, et son manteau qu'ont tissé les Troyennes ».
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7, 245 |
obtutu tenet ora soloque immobilis haeret intentos uoluens oculos. Nec purpura regem picta mouet nec sceptra mouent Priameia tantum, quantum in conubio natae thalamoque moratur, et ueteris Fauni uoluit sub pectore sortem, |
tout à sa
contemplation, reste immobile, cloué sur place, regardant de ses yeux attentifs. La pourpre brodée et le sceptre de Priam l'émeuvent et l'absorbent moins que la pensée du mariage et des noces de sa fille, tandis qu'il revoit en pensée l'oracle du vieux Faunus : |
7, 250 |
ʻhunc illum fatis externa ab sede profectum portendi generum paribusque in regna uocari auspiciis, huic progeniem uirtute futuram egregiam et totum quae uiribus occupet orbem.ʼ Tandem laetus ait : « Di nostra incepta secundent |
ʻC'est donc lui le gendre, venu de l'étranger,
annoncé par les destins, appelé à régner avec moi sous des auspices égaux ; par sa vaillance il illustrera sa descendance et imposera sa puissance à l'univers tout entierʼ. Enfin, tout à sa joie, il dit : « Que les dieux secondent nos plans, |
7, 255 |
auguriumque suum ; dabitur, Troiane, quod optas, munera nec sperno. Non uobis rege Latino diuitis uber agri Troiaeue opulentia deerit. Ipse modo Aeneas, nostri si tanta cupido est, si iungi hospitio properat sociusque uocari, |
et ce qu'ils
nous ont
annoncé ! Ton
souhait, Troyen,
te sera accordé, et je ne refuse pas vos présents. Latinus vivant, vous ne manquerez ni d'une terre riche et féconde ni de l'opulence de Troie. Qu'Énée lui-même, s'il désire tellement nous rencontrer, s'il a hâte de nouer des liens d'hospitalité, de se dire notre allié, |
7, 260 |
adueniat uoltus neue exhorrescat amicos : pars mihi pacis erit dextram tetigisse tyranni. Vos contra regi mea nunc mandata referte. Est mihi nata, uiro gentis quam iungere nostrae non patrio ex adyto sortes, non plurima caelo |
vienne en personne, sans craindre des visages qui sont amis : une partie de l'accord sera pour moi d'avoir touché la droite du roi. Quant à vous, portez maintenant à votre roi mon message : j'ai une fille, qui ne peut être unie à un époux de notre nation : les oracles issus du sanctuaire de mon père l'interdisent, |
7, 265 |
monstra sinunt ; generos externis adfore ab oris, hoc Latio restare canunt, qui sanguine nostrum nomen in astra ferant. Hunc illum poscere fata et reor et, siquid ueri mens augurat, opto. »
Haec effatus equos numero pater eligit omni |
et aussi de
nombreux présages ; venus de rivages étrangers
– ce qu'attend le Latium, selon les oracles – se présenteront des gendres dont le sang portera notre nom jusqu'aux astres. Les destins le réclament, j'en suis sûr, et c'est lui que je souhaite, si mon esprit augure la vérité ».
Après ce discours, le roi choisit des chevaux de ses écuries. |
7, 270 |
stabant ter centum nitidi in praesaepibus altis ; omnibus extemplo Teucris iubet ordine duci instratos ostro alipedes pictisque tapetis ; aurea pectoribus demissa monilia pendent, tecti auro fuluum mandunt sub dentibus aurum ; |
Dans ses hauts
enclos, il en possédait trois cents, magnifiques ; aussitôt il ordonne d'amener en bon ordre à tous les Troyens ces coursiers rapides, caparaçonnés de pourpre et de housses brodées ; de longs colliers dorés pendent sur leur poitrail ; ils sont couverts d'or, et leurs dents rongent des mors d'or fauve. |
7, 275 |
absenti Aeneae currunt geminosque iugalis semine ab aetherio, spirantis naribus ignem, illorum de gente, patri quos daedala Circe supposita de matre nothos furata creauit. Talibus Aeneadae donis dictisque Latini |
Pour Énée,
l'absent, un char et un attelage de deux chevaux, nés d'une semence céleste, et soufflant le feu par leurs naseaux ; ils sont de la race de ces bâtards que l'ingénieuse Circé créa, en dérobant au Soleil son père un étalon qu'elle accoupla à sa jument. Les Énéades, avec ces présents et ces paroles de Latinus, |
7, 280 |
sublimes in equis redeunt pacemque reportant. | s'en retournent sur leurs coursiers, pleins de fierté et porteurs de paix. | 7, 285 |
Notes (7, 148-285)
explorer... (7, 148-151). Les Troyens reconnaissent les environs. Virgile nomme deux cours d'eau, le Numicus ou Numicius (on rencontre les deux formes), qui coule en formant des marécages, et le Tibre, désigné ici par son nom habituel. Quant aux habitants de l'endroit, il nous apprend aussi qu'ils sont vaillants et s'appellent « Latins ».
ambassadeurs... (7, 153-157). Les ambassadeurs sont au nombre de cent (7, 153), mais comme dans le cas des animaux offerts par Latinus à Faunus (7, 93), ce chiffre n'est pas à prendre au sens propre : il désigne un grand nombre. À Rome, les ambassadeurs sont habituellement beaucoup moins nombreux (deux, trois, cinq, éventuellement dix). Les envoyés portent ici des « rameaux de Pallas ». Comme l'olivier est l'arbre de Pallas Athéna, l'expression désigne des rameaux d'olivier, symbole de paix. Ce type de rameaux sera utilisé plus loin, par exemple lors de la visite d'Énée à Pallantée en 8, 116, et lorsque les Latins viendront demander une trève à Énée pour enterrer leurs morts en 11, 101.
Énée d'un modeste sillon... (7, 157-159). Dès le départ de l'ambassade, Énée commence à s'installer. Il s'agit encore d'un simple camp (castrorum in morem), mais le terme latin moenia « remparts, murailles » convient mieux à une véritable ville qu'à un camp militaire. On en connaîtra le nom plus tard (10, 214) : Troia.
La demeure du roi Latinus (7, 170-191). Suit la description détaillée de l'édifice, qui domine la ville ; il aurait été construit par Picus, grand-père de Latinus (7, 47). Il est présenté à la fois comme le palais du roi et le siège du sénat (« curie » désigne le sénat, et le mot « Pères » renvoie aux sénateurs). Ce n'est pas un temple au sens moderne du mot. Templum en latin caractérise, au sens strict, tout emplacement qui a été « inauguré », c'est-à-dire rituellement délimité par des prêtres spécialisés appelés augures. En tout cas, Virgile imagine que dans ce bâtiment les rois du Latium étaient intronisés (sceptre et faisceaux étant les emblèmes de leur pouvoir), que les sénateurs y tenaient séance, qu'y étaient organisés les banquets sacrés et qu'y étaient reçus les ambassadeurs. À l'image de ce qu'on rencontre dans la partie publique des grandes demeures romaines, Virgile y a aussi placé les statues des ancêtres (Italus, Sabinus, Saturne, Janus, Picus et d'autres personnages encore, rois ou héros) ainsi que différents trophées de guerre. -- Selon Servius (ad Aen., 7, 170), Virgle aurait voulu faire ici l'éloge, au passage (per transitum), de la maison d'Auguste sur le Palatin. En tout cas, il utilise à deux reprises l'adjectif latin augustus (vers 153 et 170).
lointains ancêtres... (7, 177-182). Les anciens maîtres de la région : Italus, grand-père de Latinus, est tout simplement l'éponyme de l'Italie : il aurait donné son nom au pays où il s'était établi. Sabinus est l'éponyme de la Sabine, où étaient produits plusieurs vins célèbres ; il est censé y avoir planté la vigne. Saturne a déjà été présenté plus haut (7, 49). Janus est en réalité une ancienne divinité romaine, qui patronne les passages et qui, à ce titre, était souvent représentée avec deux visages, l'un regardant vers l'avant, l'autre vers l'arrière.
armes innombrables (7, 183-186). Des trophées de guerre sont suspendus aux portes ou aux colonnes de la demeure. Le terme chars ne désigne pas nécessairement des chars complets, mais des caisses de chars de combat, relativement légères. Les verrous ou barres concernaient les portes des villes conquises. Quant aux rostres, c'étaient des éperons enlevés à la proue des navires pris à l'ennemi. En 8, 721-722, dans la description du bouclier d'Énée, on retrouve la même coutume d'accrocher des objets aux montants des portes d'un temple.
Trabée (7, 186). La trabée était une variété de toge comportant une ou plusieurs bandes horizontales de couleur. Censée être le manteau des rois, elle était portée par les consuls dans certaines cérémonies publiques (cfr 7, 612, pour l'ouverture des Portes de la Guerre), par les augures et par certains prêtres, ainsi que par les chevaliers lorsqu'ils se présentaient devant le censeur (cfr Servius, 6, 612). La couleur des bandes ornementales variait : pourpre pour les rois; pourpre et jaune pour les augures ; pourpre et écarlate pour les chevaliers, etc. L'adjectif « courte » (parua) utilisé ici par Virgile laisserait croire qu'il en existait une forme réduite, peut-être avec des dimensions et des plis moins amples. En 11, 334, la trabée est présentée comme un des insignes de la royauté.
Picus (7, 187-191). Virgile fait une place particulière à Picus. Non seulement il n'est pas mentionné plus haut avec les autres rois, mais il est représenté assis, tandis que les autres étaient debout. Il a été dit en 7, 171 qu'il avait construit le palais. Cinq vers lui sont consacrés. Selon la légende, il aurait été transformé en pivert (Picus est le nom latin du pivert) par la magicienne Circé dont il avait rejeté l'amour. Il est possible, mais on n'en a pas la preuve, qu'il était, lui aussi (comme Janus, Saturnus et Faunus), une ancienne divinité. Quoi qu'il en soit, les insignes que lui attribue Virgile soulignent son rôle multiforme : la trabée est un manteau royal ; le bâton qu'il tient en main est techniquement un lituus, qui sert à l'augure pour délimiter rituellement des espaces dans le ciel ou sur la terre, et que portera plus tard Romulus (d'où l'adjectif « quirinal ») ; l'ancile est un bouclier sacré, une sorte de talisman d'empire pour Rome, confié à la garde des Saliens ; quant à ses liens privilégiés avec les chevaux, ils ne sont pas clairement attestés ailleurs. L'épithète « dompteur de chevaux » (traduction du mot grec hippodamos, qui caractérise assez souvent les héros homériques) pourrait n'être qu'ornementale (cfr en 7, 650-651, la caractérisation de Lausus comme « dompteur de chevaux et chasseur de fauves »).
Dardanides (7, 195). Latinus qualifie les Troyens de Dardanides parce qu'ils sont les descendants de Dardanus (l'ancêtre des rois de Troie).
La race de Saturne (7, 203). Les Latins sont un peuple juste, bien digne de leur ancêtre Saturne, le dieu de l'âge d'or.
Les Auronques (7, 206). Les Auronques ou Auronces, autre nom des Ausones (cfr le terme Ausonie), étaient une ancienne population (latine ?) qu'on localise entre les Volsques et les Campaniens, sur les deux rives du Liris. Leur capitale était Suessa Aurunca (auj. Sezza). En 7, 727, ils apparaissent liés à la Campanie. On les retrouve encore en 7, 795 ; en 10, 353 ; en 11, 318 et en 12, 94. La tradition ancienne est loin d'être claire à leur sujet.
Dardanus, héros italien (7, 205-209). Latinus fait état devant les ambassadeurs troyens d'un très vieux récit, d'après lequel leur ancêtre Dardanus serait en réalité originaire d'Italie ; il aurait quitté la ville étrusque de son père, Corythus (Cortona selon certains), pour gagner l'île de Samothrace dans la mer Égée, puis la Troade (= les villes de Phrygie voisines de l'Ida). En cela, Virgile innove manifestement ; nulle part avant lui, il n'est question d'une origine italienne de Dardanus. Mais le poète tient beaucoup à cette invention, qu'il a déjà mentionnée plus haut à deux reprises (3, 94-96 ; 3, 163-171 ; cfr aussi 1, 380) et qui sera encore évoquée en 8, 36. La transformation apportée à la tradition prévirgilienne était d'importance. Devenu maintenant le descendant lointain d'un Italien, le troyen Énée n'arrive plus en Italie comme un étranger ; il rentre dans sa patrie. Ces informations, Latinus déclare les tenir de sages auronques.
au nombre des dieux (7, 210-211). À propos du sort de Dardanus après sa mort, Énée, en 6, 648-650, l'a vu aux Champs Élysées, dans le séjour des bienheureux, et Latinus ici le place au rang des dieux.
Ilionée (7, 212). Un des plus âgés parmi les compagnons d'Énée, qui fut aussi le porte-parole des Troyens auprès de Didon (1, 120-124 ; 1, 520-560). Il est aussi présent en 9, 501 et en 9, 569.
Le plus grand royaume... (7, 218-219). Il s'agit de Troie. C'est le plus grand royaume que pouvait contempler le Soleil, lorsque, une fois levé, il arrivait de l'extrémité du ciel (Olympe = ciel). Par rapport à l'Italie, Troie se trouvait dans l'Est lointain.
Jupiter, les Troyens et Énée (7, 219-220). Selon la généalogie traditionnelle, Dardanus était fils de Zeus et d'Électre, une fille d'Atlas. Son pays d'origine était Samothrace, qu'il aurait quitté pour gagner la Troade (cfr 7, 205-209). Descendants de Dardanus, les Troyens remontent donc bien à Jupiter (cfr aussi 5, 45). C'est également le cas d'Énée, car sa mère (Aphrodite-Vénus) passe, dans certaines versions mythologiques, pour une fille de Jupiter. On aura remarqué l'insistance avec laquelle Ilionée souligne cette ascendance jupitérienne.
La terrible tempête...(7, 222-224). La Guerre de Troie, universellement connue, est présentée comme une tempête venue de Mycènes, patrie d'Agamemnon, le chef grec de l'expédition. Elle est vue également comme un affrontement entre Europe et Asie (un peu comme la guerre d'Octave contre Antoine, qui se terminera à Actium par la victoire de l'Europe ; cfr 8, 678-688, dans la description du bouclier d'Énée).
on en a entendu parler... (7, 225-227). La guerre deTroie est connue de l'univers entier, même de ceux qui habitent aux extrémités de la terre. Virgile illustre ce point par deux exemples. Il songe d'abord à l'habitant d'une île lointaine, qui n'est pas autrement nommée, dans un Océan mythique encerclant notre monde ; certains commentateurs modernes y ont vu une allusion à Thulé. Le poète évoque ensuite quelqu'un qui habiterait une région séparée de nous par la zone torride, nous dirions aujourd'hui équatoriale. D'après certaines conceptions antiques, la surface terreste était divisée en cinq zones : la région équatoriale, brûlée par le soleil, et au nord et au sud de celle-ci, deux zones au climat plus supportable.
Les bandelettes (7, 237). Des bandelettes ou rubans (uittae), de divers types et placées en divers endroits, servaient à marquer le caractère sacré de celui qui les portait. On en trouvait sur les victimes animales qui allaient être sacrifiées ; on en trouvait sur les prêtres et les prêtresses, sur les poètes, et aussi – c'est le cas ici – sur des suppliants qui les tenaient dans leurs mains.
Les avances faites aux Troyens (7, 236-238). On songe essentiellement à la proposition de Didon d'unir son peuple à celui d'Énée (cfr par exemple 1, 572-574).
Les ordres impérieux d'Apollon (7, 241). Lors de l'escale à Délos (3, 73-101), Apollon avait prescrit aux Troyens de retourner dans la terre d'où ils étaient originaires. Anchise s'était trompé en les envoyant en Crète. De là les Pénates, apparaissant à Énée, les avaient dirigés vers l'Italie, patrie de Dardanus. En évoquant cette origine italienne de Dardanus, Ilionée reprend donc le motif que vient de développer Latinus. Si l'on veut être tout à fait précis, on dira qu'au livre trois, l'oracle d'Apollon n'avait parlé ni du Tibre lydien ni de la source du Numicus.
Les cadeaux des Troyens (7, 240-248). L'usage était, dans des rencontres de ce genre, de s'offrir mutuellement des cadeaux. Ceux des Troyens sont présentés comme de modestes restes de leur antique richesse. Mais ils sont symboliquement porteurs de valeurs religieuses et royales. Le terme « parure » (gestamen en latin) est développé par les mots : sceptre, tiare et manteau, la tiare (ou mitre) étant la couronne caractéristique des rois orientaux. Ces objets évoquent toutefois le luxe, la grandeur et la puissance. Même exilés, même pauvres, les Troyens doivent malgré tout impressionner.
Sous des auspices égaux (7, 256). Les magistrats romains avaient le droit de prendre les auspices (ius auspiciorum), c'est-à-dire d'interroger les dieux. Mais la qualité et l'importance de ce droit étaient fonction de leur position dans la hiérarchie ; les consuls par exemple avaient des auspicia plus élevés que des préteurs. L'expression « sous des auspices égaux » signifie donc « avec des pouvoirs égaux ». En d'autres termes, Latinus offre à Énée de partager avec lui le pouvoir. Les deux chefs seront associés dans la royauté. Au chant 4, Junon avait également proposé à Vénus que les Tyriens de Didon et les Troyens d'Énée fusionnent « sous des auspices égaux » (4, 102).
Ce qu'ils ont annoncé (7, 260). On songe à l'oracle de Faunus et peut-être aussi au message que les dieux avaient transmis aux Laurentes à travers le présage des abeilles et celui de la chevelure enflammée de Lavinia (7, 59-80).
Terre riche et féconde (7, 262). Les Troyens n'avaient demandé qu'un petit coin de terre (7, 239-240). Ils vont donc être comblés bien au-delà de leurs espérances.
Les cadeaux de Latinus (7, 274-283). Ils sont importants : les chevaux offerts représentent un tiers des écuries du roi. Ils sont aussi somptueux : non seulement les bêtes sont splendides, mais elles sont couvertes d'ornements de grande valeur. Les deux animaux destinés à Énée ont un statut particulier. Leur histoire est évoquée ici par Virgile. En secret, Circé avait accouplé une cavale ordinaire à un des chevaux tirant le char du Soleil, son père, ce qui avait donné naissance à une race spéciale, des sangs mêlés bien sûr, mais d'origine céleste. Le motif pourrait avoir été inspiré par Homère (Iliade, 5, 265-272) chez qui les chevaux d'Énée ont eux aussi une provenance divine. Qu'on en juge : « Leur race est celle dont Zeus, le dieu à la grande voix, donna jadis les rejetons à Trôs en rançon de son Ganymède, parce que c'était celle des meilleurs coursiers qui soient sous l'aube et le soleil. De ce sang-là, Anchise, protecteur de son peuple, a su dérober un peu : à l'insu de Laomédon, il a fait saillir ses juments par eux. Six poulains lui en sont nés dans son manoir : il en garde pour lui quatre, qu'il a nourris à la crèche ; il a donné à Énée les deux autres ; ce sont des maîtres de déroute. » (trad. P. Mazon).
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