Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant XI (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE XI
DEUILS - POURPARLERS - GESTE DE CAMILLE
Funérailles et trêve (11, 1-212)
Prologue : Énée honore les dieux et les morts (11, 1-28)
Énée offre au dieu de la guerre le trophée de Mézence, mais ce triomphe et la confiance retrouvée ne l'empêchent pas d'ordonner à ses troupes de commencer par honorer les morts, en particulier Pallas.
Oceanum interea surgens Aurora reliquit : Aeneas, quamquam et sociis dare tempus humandis praecipitant curae turbataque funere mens est, uota deum primo uictor soluebat Eoo. |
Pendant ce temps, l'Aurore, quittant l'Océan, s'est levée. Énée, malgré son souci d'enterrer sans délai ses compagnons et le trouble qu'avait jeté dans son esprit la mort de Pallas, étant vainqueur, s'acquitta, dès l'aube, de ses voeux envers les dieux. |
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Ingentem quercum decisis undique ramis constituit tumulo fulgentiaque induit arma, Mezenti ducis exuuias, tibi, magne, tropaeum, bellipotens : aptat rorantis sanguine cristas telaque trunca uiri et bis sex thoraca petitum |
Il fait couper toutes les branches d'un immense chêne, qu'il place sur un tertre et couvre des armes étincelantes du roi Mézence, dépouilles qui te sont offertes en trophée ô puissant dieu de la guerre ; il y fixe l'aigrette dégoutante de sang, les traits brisés du guerrier, et sa cuirasse, cible douze fois perforée ; |
11, 5 |
perfossumque locis clipeumque ex aere sinistrae subligat atque ensem collo suspendit eburnum. Tum socios, namque omnis eum stipata tegebat turba ducum, sic incipiens hortatur ouantis : « Maxima res effecta, uiri ; timor omnis abesto, |
sur la gauche, il y attache le bouclier de bronze, et suspend à la hauteur du cou l'épée à garde d'ivoire. Ensuite, entouré de toutes parts par la foule des chefs, il se met à exhorter ainsi ses compagnons qui l'ovationnent : « Guerriers, l'essentiel est fait ; pour ce qui reste à faire, |
11, 10 |
quod superest : haec sunt spolia et de rege superbo primitiae, manibusque meis Mezentius hic est. Nunc iter ad regem nobis murosque Latinos. Arma parate animis et spe praesumite bellum, ne qua mora ignaros, ubi primum uellere signa |
bannissons toute crainte ; voici les dépouilles d'un roi orgueilleux, offertes en prémices ; voici Mézence, exécuté par mes mains. La route nous est maintenant ouverte vers le roi et les murs des Latins. Préparez vos armes avec coeur et envisagez la guerre avec espoir, afin que, quand les dieux auront approuvé que nous, avertis de la situation, |
11, 15 |
adnuerint superi pubemque educere castris, impediat segnisue metu sententia tardet.
Interea socios inhumataque corpora terrae mandemus, qui solus honos Acheronte sub imo est. Ite » ait, « egregias animas, quae sanguine nobis |
nous arrachions nos enseignes et sortions du camp notre jeunesse, aucun délai, aucun avis inspiré par la crainte ne ralentisse notre action.
Cependant, confions à la terre les corps de nos compagnons laissés sans sépulture : c'est le seul honneur valable au fond de l'Achéron. Allez ! », dit-il, « À ces âmes d'élite qui, au prix de leur sang, |
11, 20 |
hanc patriam peperere suo, decorate supremis muneribus, maestamque Euandri primus ad urbem mittatur Pallas, quem non uirtutis egentem abstulit atra dies et funere mersit acerbo. » |
nous ont créé une patrie, rendez les hommages suprêmes ; et en premier lieu, que l'on renvoie Pallas dans la ville d'Évandre, plongée dans l'affliction ; lui qui ne manquait pas de valeur, un jour noir l'a ravi, et l'a englouti dans une mort prématurée ». |
11, 25 |
Cortège funèbre de Pallas (11, 29-99)
Énée s'apitoie sur la dépouille de Pallas, veillée par son écuyer Acétès. Il exprime aussi sa compassion pour Évandre, qui lui avait confié son fils. (11, 29-58)
Il organise le convoi funèbre comme une sorte de cortège triomphal, qui doit reconduire Pallas à Pallantée : escorte de mille hommes ; litière soignée, recouverte de tissus somptueux, présents de Didon ; chevaux et butin pris à l'ennemi ; prisonniers destinés à périr sur le bûcher ; trophées portés par les chefs ; Acétès, l'écuyer, et Éthon, le cheval du défunt ; ce qui reste des armes de Pallas ; puis les groupes des Troyens, des Arcadiens et des Étrusques. Le cortège s'ébranle après un dernier adieu d'Énée qui s'en retourne vers son camp. (11, 59-99)
Sic ait inlacrimans recipitque ad limina gressum, |
Ainsi parla-t-il tout en pleurant, et il retourna au seuil de la demeure |
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corpus ubi exanimi positum Pallantis Acoetes seruabat senior, qui Parrhasio Euandro armiger ante fuit, sed non felicibus aeque tum comes auspiciis caro datus ibat alumno. Circum omnis famulumque manus Troianaque turba |
où était exposé le corps sans vie de Pallas ; le vieil Acétès, jadis écuyer d'Évandre le parrhasien, le veillait, lui qui maintenant, sous de moins heureux auspices, était le compagnon de son élève qu'il chérissait. Autour il y avait la troupe de ses serviteurs, une foule de Troyens, |
11, 30 |
et maestum Iliades crinem de more solutae. Vt uero Aeneas foribus sese intulit altis, ingentem gemitum tunsis ad sidera tollunt pectoribus, maestoque immugit regia luctu. Ipse caput niuei fultum Pallantis et ora |
et les femmes d'Ilion, la chevelure dénouée, selon le rite du deuil. Mais, dès qu'Énée se fut approché de l'imposante entrée, un immense gémissement monta vers le ciel, on se frappa la poitrine, et la demeure royale retentit d'une plainte douloureuse. Quand Énée vit sur un coussin la tête et le visage de Pallas, |
11, 35 |
ut uidit leuique patens in pectore uulnus cuspidis Ausoniae, lacrimis ita fatur obortis. « Tene, » inquit, « miserande puer, cum laeta ueniret, inuidit Fortuna mihi, ne regna uideres nostra neque ad sedes uictor ueherere paternas ? |
blanc comme neige, et la blessure béante faite à sa jeune poitrine par la pointe ausonienne, il parla ainsi, les yeux pleins de larmes : « Malheureux enfant, au moment où elle me souriait, la Fortune, jalouse de ta présence à mes côtés, t'a refusé de voir notre royaume et d'être ramené en vainqueur au pays de ton père ! |
11, 40 |
Non haec Euandro de te promissa parenti discedens dederam, cum me complexus euntem mitteret in magnum imperium metuensque moneret acris esse uiros, cum dura proelia gente. Et nunc ille quidem spe multum captus inani |
Ce n'est pas ce que j'avais promis pour toi à ton père Évandre, en l'embrassant au moment du départ, lorsqu'il m'envoya prendre le commandement suprême, m'annonçant, plein de crainte, d'âpres guerriers, et des combats contre une nation indomptable. Peut-être est-il en ce moment entièrement abusé par un vain espoir, |
11, 45 |
fors et uota facit cumulatque altaria donis : nos iuuenem exanimum et nil iam caelestibus ullis debentem uano maesti comitamur honore. Infelix, nati funus crudele uidebis ! Hi nostri reditus expectatique triumphi ! |
peut-être fait-il des voeux, et charge-t-il les autels d'offrandes, alors que nous pleurons, l'entourant d'inutiles honneurs, ce jeune homme sans vie, qui ne doit plus rien aux dieux du ciel ! Infortuné, tu verras la cruelle cérémonie funèbre de ton enfant ! Ce n'est pas là le retour et le triomphe que nous attendions ! |
11, 50 |
Haec mea magna fides ! At non, Euandre, pudendis uulneribus pulsum adspicies nec sospite dirum optabis nato funus pater. Ei mihi, quantum praesidium Ausonia et quantum tu perdis, Iule ! »
Haec ubi defleuit, tolli miserabile corpus |
Est-ce là ma solennelle promesse ? Au moins, Évandre, tu ne verras pas ton fils refoulé avec des blessures infamantes, et toi, son père, ne souhaiteras pas à un fils en vie une mort cruelle. Hélas !, ô Ausonie, et toi, Iule, quel soutien vous perdez ! »
Après avoir ainsi pleuré, il fait enlever le pitoyable cadavre. |
11, 55 |
imperat et toto lectos ex agmine mittit mille uiros, qui supremum comitentur honorem intersintque patris lacrimis, solacia luctus exigua ingentis, misero sed debita patri. Haud segnes alii crates et molle feretrum |
Dans toute l'armée il désigne mille hommes pour honorer de leur présence le convoi suprême et pour participer aux larmes d'un père : faible consolation pour une douleur infinie, mais due à un père malheureux. Sans perdre de temps, on tresse les claies d'un souple brancard |
11, 60 |
arbuteis texunt uirgis et uimine querno exstructosque toros obtentu frondis inumbrant. Hic iuuenem agresti sublimem stramine ponunt, qualem uirgineo demessum pollice florem seu mollis uiolae seu languentis hyacinthi, |
avec des tiges d'arbousiers et de jeunes rameaux de chêne ; le lit se dresse, ombragé par un dais de feuillage. On y dépose le jeune homme en haut d'une couche de verdure : telle une fleur, cueillie par une main virginale, humble violette ou jacinthe languissante, son éclat et sa beauté |
11, 65 |
cui neque fulgor adhuc necdum sua forma recessit : non iam mater alit tellus uiresque ministrat. Tum geminas uestes auroque ostroque rigentis extulit Aeneas, quas illi laeta laborum ipsa suis quondam manibus Sidonia Dido |
ne l'ont pas quittée encore, mais déjà sa mère la terre a cessé de la nourrir et de lui donner des forces. Alors Énée apporte deux vêtements, raides d'or et de pourpre, que la sidonienne Didon, heureuse de travailler pour lui, avait jadis confectionnés de ses propres mains, |
11, 70 |
fecerat et tenui telas discreuerat auro. Harum unam iuueni supremum maestus honorem induit arsurasque comas obnubit amictu, multaque praeterea Laurentis praemia pugnae aggerat et longo praedam iubet ordine duci. |
insérant dans leur trame de minces fils d'or. Dans sa tristesse, en ultime hommage, il en prend un pour envelopper le jeune homme, et voiler la chevelure, qui bientôt sera la proie des flammes. Ensuite, il entasse les nombreuses dépouilles prises aux Laurentes et ordonne de faire défiler le butin en un long cortège, |
11, 75 |
Addit equos et tela, quibus spoliauerat hostem. Vinxerat et post terga manus, quos mitteret umbris inferias, caeso sparsuros sanguine flammas, indutosque iubet truncos hostilibus armis ipsos ferre duces inimicaque nomina figi. |
y ajoutant les armes et les chevaux enlevés à l'ennemi. Il avait aussi enchaîné, mains derrière le dos, les victimes infernales destinées aux ombres et dont le sang devait asperger les flammes. Il ordonne que les chefs portent en personne des troncs d'arbre couverts des armes des ennemis, gravées de leurs noms détestés. |
11, 80 |
Ducitur infelix aeuo confectus Acoetes : pectora nunc foedans pugnis, nunc unguibus ora sternitur et toto proiectus corpore terrae. Ducunt et Rutulo perfusos sanguine currus. Post bellator equus positis insignibus Aethon |
On amène l'infortuné Acétès, épuisé par les ans ; il meurtrit sa poitrine de ses poings, son visage de ses ongles, se laisse tomber sur le sol, et de tout son long reste étendu. On amène aussi des chars baignés de sang rutule. Derrière Éthon, le cheval de guerre de Pallas, privé de ses insignes, |
11, 85 |
it lacrimans guttisque umectat grandibus ora. Hastam alii galeamque ferunt, nam cetera Turnus uictor habet. Tum maesta phalanx Teucrique sequuntur Tyrrhenique omnes et uersis Arcades armis. Postquam omnis longe comitum praecesserat ordo, |
chemine en pleurant, de grosses larmes lui inondant la face. On porte la lance et le casque, le reste étant entre les mains de Turnus, son vainqueur. Suit une phalange endeuillée : les Troyens, tous les Étrusques, les Arcadiens qui pointent leurs armes vers le sol. Lorsque se fut ébranlé le long cortège de tous ses compagnons, |
11, 90 |
substitit Aeneas gemituque haec addidit alto : « Nos alias hinc ad lacrimas eadem horrida belli fata uocant : salue aeternum mihi, maxime Palla, aeternumque uale. » Nec plura effatus ad altos tendebat muros gressumque in castra ferebat. |
Énée s'arrêta, ajoutant, avec un profond gémissement : « Les destins toujours horribles de la guerre nous appellent loin d'ici, vers d'autres larmes : je te salue à jamais, très magnanime Pallas, adieu à jamais ». Et sans en dire davantage, il se mit à marcher vers les hautes murailles, dirigeant ses pas vers le camp. |
11, 95 |
Trêve funèbre (11, 100-138)
Énée accorde aux ambassadeurs latins une trêve pour honorer leurs morts et, en redisant sa volonté d'un accord pacifique avec les Latins, lance une sorte de défi à Turnus, responsable de la guerre. (11, 100-119)
Le porte-parole des Latins, Drancès, hostile à Turnus, approuve Énée. Une trêve de douze jours est décrétée, au cours de laquelle Latins et Troyens préparent les bûchers. (11, 120-138)
Iamque oratores aderant ex urbe Latina, uelati ramis oleae ueniamque rogantes : corpora, per campos ferro quae fusa iacebant, redderet ac tumulo sineret succedere terrae ; nullum cum uictis certamen et aethere cassis ; |
Et déjà des ambassadeurs latins arrivaient de leur ville ; voilés de rameaux d'olivier, ils demandaient une faveur : qu'Énée leur rende les corps dispersés par les armes dans les plaines, qu'il leur permette de les recouvrir d'un tertre de terre ; point de combat contre des vaincus et des êtres privés de lumière ; |
11, 100 |
parceret hospitibus quondam socerisque uocatis. Quos bonus Aeneas haud aspernanda precantis prosequitur uenia et uerbis haec insuper addit : « Quaenam uos tanto fortuna indigna, Latini, implicuit bello, qui nos fugiatis amicos ? |
qu'il épargne ceux que naguère il appelait hôtes et beaux-pères. Le bon Énée, trouvant leur prière tout à fait recevable, leur réserve un accueil favorable, ajoutant ces paroles : « Latins, quelle fortune indigne vous a donc mêlés à une si grande guerre, au point de fuir notre amitié ? |
11, 105 |
Pacem me exanimis et Martis sorte peremptis oratis ? Equidem et uiuis concedere uellem. Nec ueni, nisi fata locum sedemque dedissent, nec bellum cum gente gero : rex nostra reliquit hospitia et Turni potius se credidit armis. |
Vous demandez la paix pour des morts, victimes des aléas de Mars ? En vérité, c'est à des vivants aussi que je voudrais l'accorder ! Non, je ne serais pas venu si le destin ne m'avait fixé ce séjour, et je ne fais pas la guerre à une nation ; votre roi a cessé de nous accueillir et a préféré se confier aux armes de Turnus. |
11, 110 |
Aequius huic Turnum fuerat se opponere morti. Si bellum finire manu, si pellere Teucros apparat, his mecum decuit concurrere telis : uixet, cui uitam deus aut sua dextra dedisset. Nunc ite et miseris supponite ciuibus ignem. »
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Il eût été plus juste que Turnus ait eu à affronter cette mort. S'il se prépare à finir la guerre avec la force de son bras et à chasser les Troyens, c'est à mes armes qu'il aurait dû se mesurer : celui à qui la divinité ou son bras aurait donné de vivre aurait survécu . Maintenant allez, allumez les bûchers pour vos malheureux citoyens. » |
11, 115 |
Dixerat Aeneas. Illi obstipuere silentes conuersique oculos inter se atque ora tenebant. Tum senior semperque odiis et crimine Drances infensus iuueni Turno sic ore uicissim orsa refert : « O fama ingens, ingentior armis |
Énée avait fini de parler. Les légats stupéfaits restèrent silencieux, puis, se tournant les uns vers les autres, échangaient regards et signes. Alors le vieux Drancès, de tout temps plein de haine et de griefs à l'égard du jeune Turnus, prit la parole à son tour : « Tu es grand par ton renom, plus grand encore par tes faits d'armes, |
11, 120 |
uir Troiane, quibus caelo te laudibus aequem ? Iustitiaene prius mirer belline laborum ? Nos uero haec patriam grati referemus ad urbem et te, siqua uiam dederit fortuna, Latino iungemus regi : quaerat sibi foedera Turnus. |
ô héros de Troie ; par quels éloges pourrais-je t'élever jusqu'au ciel ? T'admirerais-je en louant ta justice ou plutôt tes actions guerrières ? Nous, avec reconnaissance, nous allons transmettre tes paroles dans notre patrie et, si la Fortune nous en donne l'occasion, nous t'unirons au roi Latinus. Que Turnus se cherche des alliances. |
11, 125 |
Quin et fatalis murorum attollere moles saxaque subuectare umeris Troiana iuuabit. » Dixerat haec, unoque omnes eadem ore fremebant. Bis senos pepigere dies et pace sequestra per siluas Teucri mixtique inpune Latini |
Bien plus, ce sera pour nous une joie d'élever ces murs massifs exigés par le destin et de porter sur nos épaules les pierres d'une Troie. » Il avait parlé, et tous approuvaient bruyamment, d'une voix unanime. Ils s'accordèrent sur douze jours et, à la faveur de cette trêve, Troyens et Latins se mêlèrent sans risque à travers les bois, |
11, 130 |
errauere iugis. Ferro sonat alta bipenni fraxinus, euertunt actas ad sidera pinus, robora nec cuneis et olentem scindere cedrum nec plaustris cessant uectare gementibus ornos. |
allant et venant par les crêtes. Sous le fer de la double hache le frêne altier résonne ; on abat des pins qui s'élèvent jusqu'aux astres ; à l'aide de coins, on ne cesse de fendre chênes et cèdres odorants, et sans relâche on transporte des ornes sur des chariots gémissants. |
11, 135 |
Douleur d'un père (11, 139-181)
Le convoi arrive à Pallantée. Les Arcadiens munis de torches se portent à sa rencontre, et les mères manifestent leur douleur par des cris. Évandre, penché sur le cadavre, exprime sa tristesse et ses regrets de survivre à son fils. (11, 139-159)
Mais, puisque le destin veut voir les Troyens au Latium, il se résigne. Toutefois, en faisant l'éloge de Pallas, il charge indirectement Énée de le venger en tuant Turnus. (11, 160-181)
Et iam Fama uolans, tanti praenuntia luctus, |
Mais déjà la Renommée ailée a annoncé ce grand deuil. |
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Euandrum Euandrique domos et moenia replet, quae modo uictorem Latio Pallanta ferebat. Arcades ad portas ruere et de more uetusto funereas rapuere faces ; lucet uia longo ordine flammarum et late discriminat agros. |
Elle emplit la personne d'Évandre, sa maison et ses remparts, elle qui naguère faisait part au Latium des victoires de Pallas. Les Arcadiens se ruent vers les portes et, selon l'antique coutume, saisissent les torches funéraires ; une longue ligne enflammée éclaire la route et sillonne les champs sur un large espace. |
11, 140 |
Contra turba Phrygum ueniens plangentia iungit agmina. Quae postquam matres succedere tectis uiderunt, maestam incendunt clamoribus urbem. At non Euandrum potis est uis ulla tenere, sed uenit in medios. Feretro Pallanta reposto |
Les Phrygiens en foule venant vers eux se mêle aux rangs éplorés. Lorsque les mères les voient s'approcher des maisons, elles embrasent la ville endeuillée de leurs clameurs. Quant à Évandre, nulle force ne pouvant le retenir, il s'avance parmi la foule. La civière déposée, il se penche |
11, 145 |
procubuit super atque haeret lacrimansque gemensque, et uia uix tandem uocis laxata dolore est. « Non haec, O Palla, dederas promissa parenti, cautius ut saeuo uelles te credere Marti ; haud ignarus eram, quantum noua gloria in armis |
sur le corps de Pallas, s'y agrippe, pleurant et gémissant, et, enfin, d'une voix que la douleur rend à peine perceptible : « Ce n'est pas là, ô Pallas, ce que tu avais promis à ton père : disant que tu voulais rester prudent en te livrant au cruel Mars. Je n'ignorais combien une nouvelle gloire, acquise par les armes, |
11, 150 |
et praedulce decus primo certamine posset. Primitiae iuuenis miserae bellique propinqui dura rudimenta et nulli exaudita deorum uota precesque meae ! Tuque, O sanctissima coniunx, felix morte tua neque in hunc seruata dolorem !
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et l''éclat d'un premier combat peuvent être agréables. Malheureuses prémices pour un jeune homme ! Cruels débuts pour une guerre avec des voisins ! Mes voeux et mes prières, aucun des dieux ne les a entendus ! Et toi, ma très vénérée épouse, heureuse es-tu d'être morte, épargnée ainsi par une telle douleur !
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11, 155 |
Contra ego uiuendo uici mea fata, superstes restarem ut genitor. Troum socia arma secutum obruerent Rutuli telis ! Animam ipse dedissem atque haec pompa domum me, non Pallanta, referret, nec uos arguerim, Teucri, nec foedera nec quas |
Moi, au contraire, restant en vie, j'ai vaincu mon destin ; moi, son père, je lui survis. Ah ! si j'avais suivi nos alliés troyens, les Rutules m'auraient accablé de leurs traits ! J'aurais donné ma vie, et c'est moi et non Pallas, que ce cortège ramènerait en sa demeure ! Troyens, je ne vous incriminerai pas, ni les traités, ni ces mains |
11, 160 |
iunximus hospitio dextras : sors ista senectae debita erat nostrae. Quod si immatura manebat mors natum, caesis Volscorum milibus ante ducentem in Latium Teucros cecidisse iuuabit. Quin ego non alio digner te funere, Palla, |
qu'en signe d'hospitalité nous avons jointes : tel était le sort réservé à ma vieillesse. Mais puisqu'une mort prématurée attendait mon fils, cela m'aidera de penser qu'il a abattu des milliers de Volsques avant de tomber, quand il conduisait les Troyens vers le Latium. D'ailleurs, je ne pourrais t'assurer, ô Pallas, des funérailles plus dignes |
11, 165 |
quam pius Aeneas et quam magni Phryges et quam Tyrrhenique duces, Tyrrhenum exercitus omnis. Magna tropaea ferunt, quos dat tua dextera Leto : tu quoque nunc stares immanis truncus in armis, esset par aetas et idem si robur ab annis, |
que celles que t'ont faites le pieux Énée et les vaillants Phrygiens, les chefs Tyrrhéniens et toute l'armée des Tyrrhènes. Ils portent les grands trophées de ceux que ton bras a livrés à la mort. Toi aussi, tu serais maintenant un tronc monstrueux couvert d' armes, s'il avait été ton égal par l'âge et la force qui vient avec les ans, ô Turnus. |
11, 170 |
Turne. Sed infelix Teucros quid demoror armis ? Vadite et haec memores regi mandata referte : quod uitam moror inuisam Pallante perempto, dextera causa tua est, Turnum natoque patrique quam debere uides. Meritis uacat hic tibi solus |
Mais pourquoi, malheureux, écarterais-je les Teucères des combats ? Allez, et gardant ce message en mémoire, rapportez-le à votre roi. La raison qui me garde en vie, une vie odieuse puisque Pallas est mort, c'est ta main droite ; tu vois qu'elle doit immoler Turnus au fils et au père. C'est le seul point où il te reste à manifester tes mérites et ta chance. |
11, 175 |
fortunaeque locus. Non uitae gaudia quaero, nec fas, sed nato Manis perferre sub imos. » |
Je ne demande pas cette joie pour ma vie, ce serait impie ! mais pour la porter à mon fils, au profond séjour des Mânes ». |
11, 180 |
Honneurs rendus aux morts (11, 182-212)
Troyens et Étrusques dressent des bûchers sur le rivage, honorant leurs morts selon la coutume ancestrale (rites, pleurs, cris, sacrifices d'animaux, etc.). (11, 182-202)
De leur côté, les Latins brûlent certains des leurs sur place et en renvoient d'autres dans la ville ; mais les victimes sont si nombreuses qu'il faut envisager des bûchers de masse. (11, 203-212)
Aurora interea miseris mortalibus almam extulerat lucem, referens opera atque labores : iam pater Aeneas, iam curuo in litore Tarchon |
Pendant ce temps, l'Aurore avait répandu sa lumière bienfaisante sur les pauvres mortels, ramenant leurs travaux et leurs peines. Déjà le vénérable Énée, déjà Tarchon ont installé les bûchers |
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constituere pyras. Huc corpora quisque suorum more tulere patrum, subiectisque ignibus atris conditur in tenebras altum caligine caelum. Ter circum accensos cincti fulgentibus armis decurrere rogos, ter maestum funeris ignem |
sur une courbe du rivage. Chacun y a porté les cadavres des siens, selon la coutume ancestrale et, une fois les sombres feux allumés, la voûte du ciel disparaît, obscurcie par un brouillard de fumée. Trois fois des hommes ceints d'armes rutilantes ont couru autour des bûchers allumés ; trois fois, sur leurs montures, |
11, 185 |
lustrauere in equis ululatusque ore dedere ; spargitur et tellus lacrimis, sparguntur et arma : it caelo clamorque uirum clangorque tubarum. Hic alii spolia occisis derepta Latinis coniciunt igni, galeas ensesque decoros |
d'autres ont fait le tour du triste bûcher, en poussant des cris. La terre est inondée de larmes ; les armes aussi en sont baignées ; vers le ciel montent la clameur des guerriers et le son des trompettes. Ici, les uns jettent dans les flammes les dépouilles arrachées aux Latins abattus : casques, épées magnifiques, rênes |
11, 190 |
frenaque feruentisque rotas ; pars munera nota, ipsorum clipeos et non felicia tela. Multa boum circa mactantur corpora Morti, saetigerosque sues raptasque ex omnibus agris in flammam iugulant pecudes. Tum litore toto |
et roues brûlantes ; d'autres apportent des offrandes familières : les boucliers des morts et les traits qui n'ont pas atteint leur cible. Tout autour, on immole, les livrant à la mort, des boeufs innombrables ; on égorge des porcs au dos soyeux et des brebis saisies dans les champs, pour les jeter dans les flammes. Alors, tous sur le rivage, |
11, 195 |
ardentis spectant socios semustaque seruant busta neque auelli possunt, nox umida donec inuertit caelum stellis ardentibus aptum.
Nec minus et miseri diuersa in parte Latini innumeras struxere pyras, et corpora partim |
regardent brûler leurs compagnons ; ils veillent les bûchers à demi consumés ; et rien ne les en arrache jusqu'à l'heure où la nuit humide fait tourner le ciel attaché aux étoiles brillantes.
Et les malheureux Latins tout autant ont dressé, en un endroit opposé, un grand nombre de bûchers et mettent en terre des cadavres |
11, 200 |
multa uirum terrae infodiunt auectaque partim finitimos tollunt in agros urbique remittunt, cetera confusaeque ingentem caedis aceruum nec numero nec honore cremant : tunc undique uasti certatim crebris conlucent ignibus agri. |
de héros sans nombre ; sur leurs chars, ils en transportent d'autres dans les territoires voisins ou les ramènent dans leur cité. Tous ceux qui restent, amas énorme résultant d'un massacre confus, ils les brûlent, sans les compter, sans les honorer d'un nom ; alors, partout, une multitude de feux à l'envi éclairent la vaste campagne. |
11, 205 |
Tertia lux gelidam caelo dimouerat umbram : maerentes altum cinerem et confusa ruebant ossa focis tepidoque onerabant aggere terrae. |
Une troisième aube avait chassé du ciel l'ombre glacée : attristés, les hommes remuaient dans les brasiers la cendre épaisse et les os mêlés, qu'ils recouvraient d'un tas de terre tiède. |
11, 210 |
Notes (11, 1-212)
L'Aurore (11, 1). Ce vers reproduit 4, 129. Fille du Titan Hypérion et épouse de Tithon, l'Aurore quittait le matin la couche de son époux et, sur son char, surgissait de l'Océan, précédant son frère le Soleil. Cfr aussi 11, 182 et la note ad locum.
ses voeux envers les dieux (11, 4). C'était l'usage, dans l'antiquité, de faire des voeux aux dieux avant d'engager une bataille. Énée avait dû se conformer à cette habitude, sans que Virgile ait jugé bon de le signaler explicitement. Une fois vainqueur (uictor), il s'exécute. On évoquera 8, 59-62, où le dieu Tibre dit entre autres choses à Énée : « Une fois vainqueur (uictor), tu me rendras les honneurs que tu me dois » (8, 62).
Il fait couper toutes les branches etc. (11, 5-11). Description de l'érection d'un trophée de guerre, c'est-à-dire ici d'un tronc d'arbre, représentant symboliquement l'ennemi mort au combat et sur lequel les différentes armes sont disposées, comme elles l'auraient été sur lui. La consécration pouvait avoir lieu sur le champ de bataille en utilisant un arbre ébréché ; mais dans la suite, on réalisera des trophées monumentaux, en marbre ou en bronze, qui seront placés dans des temples ou dans des lieux publics. Cette coutume était très répandue à l'époque d'Auguste. Virgile imagine ici un trophée primitif, consistant en un simple tronc d'arbre. Énée célèbre ainsi sa victoire sur le roi Mézence, qu'il a blessé (10, 783-788), puis tué (10, 873-908). Il sera encore question plus loin (11, 83-84, et 11, 172-174) de ces trophées rudimentaires. Le dieu de la guerre, mentionné ici, est évidemment Mars.
cible douze fois perforée (11, 9). Dans le récit virgilien, Énée a tué Mézence d'un seul coup d'épée (10, 907), mais le roi avait été blessé (10, 834). Cela n'explique toutefois pas ces douze perforations qui, au dire de Servius, auraient été faites après la mort du roi. Avant de fixer la cuirasse sur le trophée, on l'aurait transpercée, tout comme on aurait brisé ses javelots (cfr « les traits brisés du guerrier »).
prémices (11, 16). Tout comme on offrait à Cérès les prémices des récoltes, pour attirer ses faveurs sur les moissons (Ovide, Fastes, II, 520), Énée offre à Mars les dépouilles de Mézence pour attirer la faveur du dieu sur la suite de la guerre.
le roi et les murs des Latins (11, 17). Il s'agit du roi Latinus et de sa ville.
arracher les enseignes (11, 20). En campagne, les enseignes étaient fixées dans le sol devant la tente des chefs ; quand l'armée se mettait en route ou engageait un combat, elles étaient arrachées du sol et portées en tête des troupes.
Achéron (11, 23). Le fleuve des Enfers est utilisé pour désigner le séjour des morts en général. On sait, notamment par le livre 6 et l'exemple de Palinure (6, 337-383), l'importance de l'inhumation pour que le défunt puisse trouver le repos.
Pallas (11, 26-27). Son cadavre, abandonné par Turnus sur le champ de bataille, avait été ramené au camp d'Énée, en grande pompe, par ses compagnons (10, 505-506).
un jour noir l'a ravi (11, 28). Le vers se trouve aussi en 6, 429, où il s'applique aux enfants morts en bas-âge.
Acétès (11, 30-31). Cet écuyer de Pallas n'est mentionné qu'ici et au vers 1, 85.
le parrhasien (11, 31). Parrhasia étant une ville d'Arcadie, l'adjectif parrhasien est généralement synonyme d'arcadien.
les femmes d'Ilion (11, 35). On sait que des femmes, telle la mère d'Euryale (9, 284-6), avaient quitté Troie avec Énée. Ces Troyennes s'adonnent ici à la coutume des pleureuses, générale dans l'antiquité, et se perpétuant encore de nos jours chez certains peuples.
jeune poitrine (11, 40). Lisse, sans poils, pour souligner la jeunesse de Pallas.
la pointe ausonienne (11, 41). Turnus, le meurtrier de Pallas (10, 439-509), est « ausonien », c'est-à-dire italien. On sait qu'en poésie, l'Ausonie désigne l'Italie.
la Fortune (11, 42-3). La divinité a donné la victoire à Énée, mais lui a enlevé Pallas. Elle aurait été jalouse de voir le Troyen trop heureux.
Ce n'est pas ce que j'avais promis (11, 45). Le chant 8 ne conserve pas le souvenir explicite d'une promesse faite par Énée à Évandre, mais on peut facilement imaginer qu'Énée s'est engagé envers le vieux roi à protéger son fils.
commandement suprême (11, 47). Évandre avait proposé à Énée de prendre le commandement de l'armée étrusque rassemblée contre Mézence (8, 494-519). Le héros troyen se trouve donc à la tête d'une vaste coalition de Troyens, d'Arcadiens et d'Étrusques.
ne doit plus rien aux dieux du ciel (11, 52). Pallas est désormais aux mains des dieux des Enfers.
Au moins Évandre etc. (11, 55-57). L'idée est : « Au moins, tu n'auras jamais à rougir de la lâcheté d'un fils ». La seule consolation d'Évandre sera d'avoir échappé à la honte de survivre à un fils lâche.
des blessures infamantes (11, 56). Infamantes, parce qu'elles auraient été reçues dans le dos.
Ausonie... Iule (11, 58). Énée semble se préoccuper de l'avenir de l'Italie (= Ausonie) plutôt que du présent. Ou bien est-ce la jeunesse de Pallas qui lui suggère l'évocation de son propre fils, Iule ?
Dans toute l'armée etc. (11, 59-93). J. Perret (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 216) fait remarquer que la pompe funèbre est ordonnée comme une pompe triomphale : d'abord le butin (11, 78-80), puis les victimes du sacrifice (11, 81-82), les trophées (11, 83-84), les proches et les objets personnels du triomphateur (11, 85-92a), les troupes (11, 92b-93), tous éléments qui ont leur place dans les triomphes classiques. La litière, qui tient lieu du char du triomphateur, est décrite, quant à elle (11, 64-67), en dehors du cortège.
telle une fleur etc. (11, 68-71). La comparaison peut être rapprochée de celle qui suit le récit de la mort d'Euryale (cfr la note à 9, 435-7).
la sidonnienne Didon (11, 72). Didon, la reine de Carthage, était originaire de Tyr, une colonie de Sidon (cfr 9, 266 et surtout 1, 12).
en insérant dans leur trame (11, 75). Le vers est repris de 4, 264, où il est question d'un vêtement offert par Didon à Énée.
Laurentes (11, 78). C'est le nom utilisé par Virgile pour désigner les Latins, le peuple de Latinus.
Il avait enchaîné... victimes infernales (11, 81-82). Allusion à une immolation, sans doute inspirée d'Homère (Iliade, 11, 534-535), où Achille sacrifia douze prisonniers sur le bûcher de Patrocle. On sait qu'Énée avait fait prisonniers les quatre fils de Sulmon, précisément pour les sacrifier (cfr 10, 517-520). S'agirait-il d'eux ici ?
les chefs portent eux-mêmes (11, 83-84). Ce sont autant de trophées rudimentaires, analogues à celui de Mézence plus longuement décrit au début du chant. Ce seraient donc des officiers d'Énée qui, pour honorer Pallas, auraient porté ces troncs-trophées dans le cortège. Un passage de Tacite (Annales, 2, 18) fait allusion à l'inscription sur les trophées du nom des peuples vaincus. Pour une autre interprétation de ces vers dont le sens était déjà discuté dans l'antiquité, voir J. Perret, Virgile. Énéide, III, 1980, p. 87 avec la note, p. 216).
Acétès (11, 85-87). C'est l'écuyer de Pallas mentionné en 11, 30.
des chars baignés de sang rutule (11, 88). Servius se demande s'il s'agit des chars enlevés aux ennemis ou du char de Pallas, auquel cas on se trouverait en présence d'un pluriel poétique. J. Perret (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 217) penche pour la seconde interprétation.
Éthon (11, 89-90). Le nom donné par Virgile au cheval de Pallas est inspiré de celui d'un des chevaux d'Hector (Iliade, 8, 185). Lors de son ultime combat contre Turnus (10, 453-489), comme Pallas était à pied, son cheval avait survécu, ce qui ne semble pas avoir été le cas du cheval de guerre de Mézence (cfr 10, 888-894). Homère décrit les pleurs des chevaux d'Achille lors de la mort de Patrocle (Iliade, 17, 426-428 et 437-439). Ce motif qui a manifestement inspiré Virgile, a aussi trouvé un écho chez Pline (Histoire naturelle, 8, 64, 157 : « les chevaux pleurent leur maître et versent parfois des larmes de regret ») et chez Suétone (César, 81), lequel raconte que les chevaux de César pleurèrent quand ils eurent perdu leur maître.
le reste étant entre les mains de Turnus (11, 91-92). Il s'agit du baudrier (10, 496-500), dont on reparlera en 12, 941-942, et qui jouera un grand rôle lors de la confrontation finale entre Énée et Turnus.
leurs armes vers le sol (11, 93). En signe de deuil. Tacite (Annales, 3, 2) parle des faisceaux renversés lors des funérailles de Germanicus.
Énée s'arrêta etc. (11, 95-99). Le discours bref mais émouvant d'Énée peut avoir été inspiré par les adieux d'Achille à Patrocle (Iliade, 23, 179-183), encore qu'on n'y trouve chez Énée aucun désir de vengeance. On évoquera aussi les adieux d'Énée à Andromaque (3, 493-494), lorsqu'il la quitte à Buthrote pour poursuivre sa route.
voilés de rameaux d'olivier (11, 101). Les suppliants portaient des rameaux d'olivier, symbole de paix. On les retrouve, par exemple, en 7, 154, lors de l'ambassade des Troyens à Latinus, et en 8, 116, lors de la visite d'Énée à Pallantée.
êtres privés de lumière (11, 104). C'est-à-dire des morts.
hôtes et beaux-pères (11, 105). Allusion au projet de Latinus, désireux de prendre Énée pour gendre (7, 249-273). Le pluriel poétique étend ici à tous les Latins ce qui se rapporte strictement à Latinus ; cfr dans le même sens, le pluriel « des gendres » en 7, 98.
je ne serais pas venu etc. (11, 112). Le motif est récurrent dans l'Énéide : Énée, instrument du destin, n'a pas quitté Troie de sa propre initiative (cfr, par exemple, 4, 340-347).
votre roi (11, 113). Il s'agit de Latinus, qui est en fait, lui aussi, à la merci d'une puissance supérieure, celle de Junon (cfr 7, 592 : « les choses obéissent à la volonté de la cruelle Junon »), que le vieux roi confondra d'ailleurs avec le destin (cfr 7, 594 : « Hélas ! Les destins nous brisent ! » )
c'est à mes armes (11, 117-118). Plutôt qu'à celles de Pallas. Le passage annonce évidemment le duel entre Turnus et Énée qui marquera la fin de l'Énéide.
Drancès (11, 122). C'est la première apparition d'un personnage qui n'interviendra que dans le livre 11 (vers 122, 220, 336, 378, 384, 443), même si l'on rencontre une allusion à ses discours en 12, 644. Ce vieillard latin, qui semble une création virgilienne, est présenté comme un ennemi personnel de Turnus, prêt à collaborer avec les Troyens. D'intéressantes précisions sur lui seront données en 11, 336-375.
nous t'unirons au roi Latinus (11, 128-129). On est reporté aux propositions faites par Latinus à Ilionée (7, 259-266), mais Drancès semble parler ici à titre personnel.
une Troie (11, 132). Énée doit construire une nouvelle ville pour abriter les Pénates de la première Troie.
ils s'accordèrent sur douze jours (11, 133). Cette trêve de douze jours est inspirée de celle conclue pour les funérailles d'Hector (Homère, Iliade, 24, 664-667).
Sous le fer de la hache etc. (11, 135-138). Ce passage, qui décrit l'abattage des arbres destinés aux bûchers, est inspiré d'Homère (Iliade, 23, 113-122, pour les funérailles de Patrocle), lequel fut également utilisé par Ennius (Annales, 6, 181-185 Warmington).
Renommée etc. (11, 139-141). La Renommée (Fama) intervient à diverses reprises dans l'Énéide (en 4, 173-188 où elle est assez longuement présentée ; 4, 298 ; 4, 666 ; en 7, 104 ; en 9, 473-475 : la mort d'Euryale parvient aux oreilles de sa mère).
selon l'antique coutume (11, 142). Les Romains utilisaient des torches allumées lors des funérailles, même lorsqu'elles avaient lieu en plein jour. Servius rapporte qu'il était d'usage, si un fils de famille mourait en dehors de la ville, que ses amis, des flambeaux à la main, aillent chercher son corps pour le ramener chez lui.
nulle force (11, 148). On a donc essayé de retenir Évandre et de l'empêcher d'aller au-devant du convoi funèbre.
la civière posée etc. (11, 147). La tradition manuscrite est hésitante. Nous suivons dans la traduction les manuscrits qui portent l'accusatif Pallanta.
ce que tu avais promis à ton père (11, 152). Il n'est question nulle part dans le texte virgilien de promesses que Pallas auraient faites à son père. En fait, en 8, 514-517, Évandre confie Pallas à Énée pour que son fils s'habitue au métier des armes et voie les exploits du héros troyen.
j'ai vaincu mon destin (11, 160-161). Normalement c'est le père qui doit mourir avant son fils. Évandre n'a donc pas suivi l'ordre normal des choses, le destin en quelque sorte. Le topos du vieillard déplorant la mort de ses fils à la guerre remonte à Homère, (Iliade, 24, 485-506) ; cfr aussi Euripide, Alceste, 939-940, où il est aussi question du destin. Dans l'Énéide, on verra 10, 846-856, où Mézence déplore la mort de Lausus, et on se rappellera les adieux d'Évandre à son fils (8, 572-584).
des milliers de Volsques (11, 167). Les Volsques étaient venus se joindre aux Latins, sous la conduite de leur reine Camille (7, 803). Dans le récit des exploits de Pallas au chant 10, 362ss, il n'est pas question de ce peuple. Le terme « Volsques » devrait donc être pris au sens général d'« ennemis » ; quant à la précision « des milliers », elle relève de l'exagération épique.
grands trophées (11, 172). Ce sont les troncs chargés des dépouilles des ennemis tués, dont il a été question plus haut, à deux reprises (11, 5-11, et 83-84).
votre roi (11, 176). Il s'agit bien sûr d'Énée, à qui la fin du discours d'Évandre est destinée. Le héros tuera Turnus à la fin du chant 12, mais ce ne sera pas uniquement pour s'acquitter de sa dette à l'égard d'Évandre.
l'Aurore (11, 182-183). Le motif de l'Aurore ramenant aux hommes les travaux et les peines est inspiré de la littérature grecque.
Tarchon (11,184). Ce roi étrusque était apparu pour la première fois en 8, 505. C'est lui qui, après la fuite de Mézence, avait pris le commandement des troupes étrusques. Il fait alliance avec Énée (10, 148-156), et s'illustre dans un combat de cavalerie (11, 725-758). Il est également cité en 8, 603 ; 10, 153, 290, 299, 302.
selon la coutume ancestrale (11, 186). Le plus proche parent portait ou conduisait au bûcher le corps du mort. Les rites des Troyens et des Étrusques sont ici évoqués dans un style épique. On verra aussi en 6, 212-235 le cérémonial funéraire en l'honneur de Misène, et on n'oubliera pas le modèle homérique des funérailles de Patrocle au chant 23 de l'Iliade.
Trois fois (11, 188-189). Cfr Homère, Iliade, 23, 13-14 : « Trois fois autour du cadavre [= de Patrocle], ils poussent leurs chevaux aux belles crinières en se lamentant ». Le rituel de la triple circumambulatio était bien connu dans la religion romaine, mais, dans la forme que lui donne ici Virgile, il ne semble pas avoir fait partie du cérémonial funéraire type.
brûlantes (11, 195). L'adjectif (ardentes en latin) s'applique conventionnellement aux roues des chars, qui s'échauffent à cause de la vitesse (par exemple, Horace, Odes, 1, 1, 4). Certains éditeurs le trouvent inapproprié ici. J. Perret traduit « roues naguère fièvreuses ».
familières (11, 195). Ce sont des objets qui appartenaient aux morts et que leurs compagnons connaissaient bien.
on immole... (11, 197). L'énumération des animaux sacrifiés (boeufs, porcs, brebis) montre qu'on est en présence du groupement caractéristique dans les suouetaurilia (sus, iouis, taurus), un sacrifice de purification bien connu à Rome. On retrouvera en 5, 96 la même association générique (bovin, ovin, porcin).
la nuit humide (11, 201). Apparemment le ciel apparaît ici formé de deux hémisphères, l'un clair, l'autre obscur, qui, en tournant, apportent successivement le jour et la nuit.
mettent en terre (11, 204). Au cours de sa longue histoire, Rome a connu deux rites funéraires différents, l'inhumation et l'incinération. À l'époque historique, les deux rites coexistaient. Virgile les évoque l'un et l'autre lorsqu'il s'agit des Latins, alors qu'il n'avait envisagé que la crémation dans le cas des Troyens et de leurs alliés étrusques. On se gardera de voir là un trait d'histoire authentique.
territoires voisins (11, 206). Dans les campagnes des alentours, manifestement pour les rendre à leurs familles. D'autres seront ramenés dans la ville de Latinus, la cité des Laurentes.
Une troisième aube (11, 210). Les cérémonies ont donc duré deux jours.
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