Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant VIII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE VIII
LA ROME FUTURE : PALLANTÉE - BOUCLIER D'ÉNÉE
Énée décide de passer à l'action (8, 541-625)
Énée quitte Pallantée (8, 541-584)
Énée, désormais résolu, procède à divers rites et sacrifices, puis renvoie auprès des Troyens ceux qui l'avaient accompagné, ne conservant avec lui que les plus vaillants. Équipés de montures, Énée et quelques hommes se préparent à partir chez les Étrusques, dans une atmosphère de guerre de plus en plus perceptible (8, 541-557).
Évandre en particulier, regrettant sa vigueur passée et son impuissance présente, prend congé de son fils Pallas avec beaucoup d'émotion (8, 558-584).
Haec ubi dicta dedit, solio se tollit ab alto et primum Herculeis sopitas ignibus aras excitat hesternumque larem paruosque penatis laetus adit : mactant lectas de more bidentis |
Aussitôt ces paroles prononcées, Énée quitta son haut siège et commença par attiser sur l'autel d'Hercule les feux endormis ; puis joyeux il se rend vers le lare et les modestes pénates visités la veille. Avec Évandre, avec les jeunes Troyens, |
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Euandrus pariter, pariter Troiana iuuentus. Post hinc ad nauis graditur sociosque reuisit. Quorum de numero qui sese in bella sequantur praestantis uirtute legit ; pars cetera prona fertur aqua segnisque secundo defluit amni, |
il immole des brebis de deux ans, choisies selon les rites. Ensuite il s'éloigne vers ses navires, retrouve ses compagnons ; parmi eux, il désigne les plus valeureux, qui le suivront à la guerre. Le reste de la troupe se laisse glisser tout à l'aise au fil de l'eau et, sans effort, descend le cours du fleuve, avec la mission |
8, 545 |
nuntia uentura Ascanio rerumque patrisque. Dantur equi Teucris Tyrrhena petentibus arua ; ducunt exsortem Aeneae, quem fulua leonis pellis obit totum, praefulgens unguibus aureis.
Fama uolat paruam subito
uolgata per urbem, |
de porter à Ascagne des nouvelles de la situation et de son père. On donne des chevaux aux Troyens qui partent pour les champs tyrrhéniens ; à Énée, on en amène un, exceptionnel, entièrement couvert de la toison d'un lion fauve, dont les griffes d'or lancent des éclairs. Une rumeur s'est soudain répandue à travers la petite ville : |
8, 550 |
ocius ire equites Tyrrheni ad litora regis. Vota metu duplicant matres, propiusque periclo it timor, et maior Martis iam apparet imago.
Tum pater Euandrus dextram complexus euntis haeret. inexpletus lacrimans, ac talia fatur : |
des cavaliers se dirigent en hâte vers les rivages du roi tyrrhénien. Craintives, les mères redoublent de voeux ; plus le danger est proche, plus s'accroît la peur, et plus grande déjà se profile l'image de Mars.
Alors Évandre, pressant la main de son fils prêt au départ, ne parvient pas à s'en arracher et, en pleurant, il lui dit : |
8, 555 |
« O mihi praeteritos referat si Iuppiter annos, qualis eram, cum primam aciem Praeneste sub ipsa straui scutorumque incendi uictor aceruos et regem hac Erulum dextra sub Tartara misi, nascenti cui tris animas Feronia mater |
« Ah si Jupiter me rendait mes années passées, si j'étais celui que j'étais quand, sous les murs de Préneste, j'ai anéanti une première armée, quand vainqueur j'ai fait brûler des monceaux de boucliers, et envoyé de cette main au fond du Tartare le roi Érylus, gratifié à sa naissance de trois vies par sa mère Féronia, |
8, 560 |
horrendum dictu dederat ; terna arma mouenda, ter leto sternendus erat ; cui tunc tamen omnis abstulit haec animas dextra et totidem exuit armis : non ego nunc dulci amplexu diuellerer usquam, nate, tuo, neque finitimo Mezentius umquam |
c'est horrible à dire ! je devais déplacer trois armures, et par trois fois l'étendre dans la mort ; c'est alors cependant que ma droite l'a dépouillé de toutes ses vies et de ses armes. En aucun cas je n'aurais été arraché à la douceur de notre étreinte, ô mon fils, et jamais Mézence, me bravant moi, son voisin, |
8, 565 |
huic capiti insultans tot ferro saeua dedisset funera, tam multis uiduasset ciuibus urbem.
At uos, o superi, et diuom tu maxume rector Iuppiter, Arcadii, quaeso, miserescite regis et patrias audite preces. Si numina uestra |
n'aurait provoqué de son épée tant de morts cruelles, ni dépeuplé sa ville d'un si gand nombre de citoyens.
Mais vous, divinités d'en-haut, et toi surtout, Jupiter, maître des dieux, je vous en supplie, ayez pitié du roi arcadien, et écoutez les prières d'un père. Si votre puissance divine, |
8, 570 |
incolumem Pallanta mihi, si fata reseruant, si uisurus eum uiuo et uenturus in unum : uitam oro, patior quemuis durare laborem. Sin aliquem infandum casum, Fortuna, minaris : nunc, nunc o liceat crudelem abrumpere uitam, |
si les destins me conservent Pallas sain et sauf, si je vis, assuré de le revoir et d'être réuni avec lui, je souhaite vivre, prêt à endurer n'importe quelle épreuve. Mais si, ô Fortune, tu nous menaces d'un malheur indicible, puissé-je maintenant, que je suis accablé de ces soucis angoissants, |
8, 575 |
dum curae ambiguae, dum spes incerta futuri, dum te, care puer, mea sera et sola uoluptas,
complexu teneo, grauior neu
nuntius auris uolneret. » Haec genitor
digressu dicta supremo fundebat : famuli conlapsum in tecta ferebant.
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devant un avenir incertain, quitter tout nde suite cette vie cruelle, pendant que je te tiens dans mes bras, toi, cher enfant, seul bonheur de mes vieux jours ; et puisse une nouvelle insupportable ne pas me blesser les oreilles ! » Telles étaient les paroles d'un père à l'heure suprême du départ ; ses serviteurs le ramenèrent effondré chez lui. |
8, 580 |
Énée au camp de Tarchon (8, 585-607)
Magnifiquement équipés, Énée, Pallas et leur groupe de cavaliers prennent le chemin du camp de l'Étrusque Tarchon qu'ils rejoignent sans difficultés.
Iamque adeo exierat portis equitatus apertis, Aeneas inter primos et fidus Achates, inde alii Troiae proceres, ipse agmine Pallas in medio chlamyde et pictis conspectus in armis : qualis ubi Oceani perfusus Lucifer unda, |
Et déjà, par les portes ouvertes, la cavalerie était sortie ; en tête, s'avaçaient Énée et son fidèle Achate, suivis des autres nobles Troyens. On remarque Pallas au mileu de la colonne, avec sa chlamyde et ses armes peintes, telle l'Étoile du matin, ruisselante de l'onde de l'Océan, |
8, 585 |
quem Venus ante alios astrorum diligit ignis, extulit os sacrum caelo tenebrasque resoluit. Stant pauidae in muris matres oculisque sequuntur pulueream nubem et fulgentis aere cateruas. Olli per dumos, qua proxuma meta uiarum, |
et plus chère à Vénus que les autres feux célestes, quand elle élève dans le ciel sa face sacrée et chasse les ténèbres. Les mères, apeurées, restent debout sur les remparts, suivant des yeux le nuage de poussière que soulèvent les escadrons rutilants de bronze. Les hommes, en armes, s'avancent à travers les buissons, |
8, 590 |
armati tendunt ; it clamor, et agmine facto quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.
Est ingens gelidum lucus prope Caeritis amnem, religione patrum late sacer ; undique colles inclusere caui et nigra nemus abiete cingunt. |
par les raccourcis. Un cri s'élève et, une fois la colonne formée, la plaine poudreuse résonne sous le martèlement des sabots des chevaux.
Près du fleuve rafraîchissant de Caeré s'étend un vaste bois sacré, largement célébré par la piété de nos pères ; au creux de collines il enfermé de tous côtés, et entouré de noirs sapins. |
8, 595 |
Siluano fama est ueteres sacrasse Pelasgos, aruorum pecorisque deo, lucumque diemque, qui primi finis aliquando habuere Latinos. Haud procul hinc Tarcho et Tyrrheni tuta tenebant castra locis, celsoque omnis de colle uideri |
Selon la tradition, les anciens Pélasges consacrèrent ce bois et un jour de fête à Silvain, dieu des champs et des troupeaux, eux qui furent les premiers à occuper jadis les confins du Latium. Non loin de là, Tarchon et ses Tyrrhènes avaient installé leur camp en un lieu protégé ; du haut de la colline, déjà on pouvait voir |
8, 600 |
iam poterat legio et latis tendebat in aruis. Huc pater Aeneas et bello lecta iuuentus succedunt fessique et equos et corpora curant. |
toute l'armée dressant ses tentes sur l'étendue de la plaine. C'est là qu'arrivent le vénérable Énée et les jeunes guerriers qu'il a choisis ; épuisés, eux et leurs chevaux veillent alors à se reposer, . |
8, 605 |
La panoplie d'Énée (8, 608-625)
Vénus apporte à Énée l'armure promise, forgée à sa demande par Vulcain.
At Venus aetherios inter
dea candida nimbos
dona ferens aderat ;
natumque in ualle reducta |
Mais, parmi les nuages de l'éther Vénus, la déesse éclatante était là, apportant ses présents ; dès qu'elle aperçut son fils, |
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ut procul egelido secretum
flumine uidit, talibus adfata est dictis seque obtulit ultro : « En perfecta mei promissa coniugis arte munera, ne mox aut Laurentis, nate, superbos aut acrem dubites in proelia poscere Turnum ». |
dans un vallon retiré, près du fleuve aux eaux rafraîchissantes, elle se présenta à lui et la première lui adressa ces paroles : « Voici les présents promis, façonnés avec art par mon époux. N'hésite pas, mon fils, à provoquer bientôt au combat les orgueilleux Laurentes ou l'ardent Turnus ». |
8, 610 |
Dixit et amplexus nati Cytherea petiuit, arma sub aduersa posuit radiantia quercu. Ille, deae donis et tanto laetus honore, expleri nequit atque oculos per singula uoluit miraturque interque manus et bracchia uersat |
Ainsi parla Cythérée. Elle vint embrasser son fils, puis déposa au pied d'un chêne, devant lui, des armes étincelantes. Lui, heureux des présents de la déesse et d'un si grand honneur, ne peut se rassasier du spectacle ; il parcourt des yeux chaque objet ; il admire et serre dans ses bras, tourne et retourne dans ses mains |
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terribilem cristis galeam flammasque uomentem fatiferumque ensem, loricam ex aere rigentem
sanguineam ingentem, qualis
cum caerula nubes solis inardescit radiis longeque refulget ; tum leuis ocreas electro auroque recocto |
le casque à la crête menaçante, qui crache des flammes, et le glaive porteur de mort, la cuirasse de bronze rigide, couleur de sang, immense, telle une nuée sombre, qui s'embrase sous les rayons du soleil et brille au loin ; puis ce sont les jambières polies, d'électrum et d'or recuits, |
8, 620 |
hastamque et clipei non enarrabile textum. |
et la lance et le bouclier, aux figures difficiles à décrire. |
8, 625 |
Notes (8, 541-625)
les feux endormis (8, 542). Le sacrifice solennel à Hercule avait eu lieu la veille. Énée ranime la flamme sur les autels, voulant manifestement offrir au dieu un nouveau sacrifice.
lare et des modestes pénates (8, 543). Au sens propre, le Lare et les Pénates sont des divinités protectrices de la maison, différentes au départ mais souvent confondues. Les termes, pris au sens large, ont fini par désigner la maison comme telle. Énée se dirige donc vers la modeste demeure où il avait passé la nuit.
immole des brebis (8, 545). À qui est offert ce sacrifice ? À Hercule ou aux divinités protectrices de la maison ? La chose n'est pas claire.
Ascagne (8, 550). Ascagne était resté au camp troyen à l'embouchure du Tibre.
donne des chevaux (8, 551). Quatre cents cavaliers arcadiens (8, 518-519) vont partir avec Énée pour l'Étrurie, mais comme les Troyens sont venus en bateau, Évandre doit également leur fournir des chevaux. Énée recevra une bête exceptionnelle richement harnachée.
griffes d'or (8, 553). Détail ornemental, qui tranche sur la pauvreté et la simplicité de ce monde des Arcadiens d'Évandre. Sur cette coutume de dorer les griffes d'une peau de lion, on pourra voir 5, 352 où, lors de la course à pied, le prix de Salius consiste en la « toison d'un lion de Gétulie, lourde de sa crinière et de ses griffes dorées ».
roi tyrrhène (8, 555). Le roi Tarchon dont il sera question un peu plus loin, dès les vers 585-607.
sous les murs de Préneste (8, 561). Il a déjà été fait allusion à Préneste, cité latine, en 7, 678ss. Dans les vers suivants, Évandre évoque ses exploits guerriers et sa lutte victorieuse contre Érylus, un roi de Préneste doté de trois vies distinctes et de trois corps (ce dernier point faisant songer à Géryon ; cfr 8, 202). Virgile est seul à mentionner ce curieux épisode, ce qui ne veut pas dire qu'il l'ait imaginé de toutes pièces. Érylus devait être un héros légendaire de Préneste.
brûler des monceaux de boucliers (8, 562). Rituel militaire romain qui consistait à brûler les armes des ennemis, en hommage à Vulcain, le dieu du feu destructeur.
Féronia (8, 564). Une divinité ancienne des sources et des bois, vénérée en plusieurs endroits de l'Italie centrale (cfr 7, 800).
chlamyde (8, 588). Cfr 8, 167.
ses armes peintes (8, 588). Leurs boucliers étaient décorés d'images diverses (cfr 7, 658, pour la décoration complexe du bouclier d'Aventinus). En 12, 281, il est également question des « Arcadiens aux armes peintes ». Rappelons que les carènes des bateaux aussi pouvaient être peintes (8, 93).
telle l'Étoile du matin (8, 589). Comparaison inspirée de l'Iliade, 22, 317, où Homère toutefois compare l'étoile du soir avec d'autres astres. L'étoile du matin est aussi appelée l'étoile de Vénus, d'où l'expression « chérie de Vénus ». L'étoile semble sortir de la mer.
fleuve rafraîchissant de Caeré (8, 597). Pline (Histoire naturelle, 3, 8, 2) parle de ce fleuve en lui donnant le simple nom de Caeretanus amnis « le fleuve de Caeré ». C'est aujourd'hui le Fiume Vaccino.
Pélasges (8, 600). Les textes antiques désignent sous le nom de Pélasges un groupe de populations mythiques qu'ils localisent dans plusieurs coins de la Grèce et de la mer Égée. Certaines traditions les font venir en Italie, surtout en Italie centrale. Les Étrusques ont ainsi été mis en rapport avec eux. Virgile semble ici les présenter comme les premiers habitants de Caeré / Agylla. Cfr aussi 1, 624 ; 2, 83 et 9, 155.
Silvain (8, 600). Silvain, que Virgile présente comme « un dieu des champs et des troupeaux », est une ancienne divinité latine, champêtre comme Faunus, duquel il ne se distingue pas toujours très bien, à nos yeux du moins. Comme Faunus, il sera parfois d'ailleurs identifié au dieu Pan.
confins du Latium (8, 602). Les confins seulement, car la tradition ne semble pas compter les Pélasges au nombre des anciens occupants du Latium.
Cythérée (8, 615). Vénus (cfr 8, 523).
qui crache des flammes (8, 620). Probablement représentait-elle une chimère vomissant des flammes. C'était ainsi en tout cas pour la décoration du casque de Turnus (7, 786).
électrum (8, 624). Pour l'électrum, cfr 8, 402.
bouclier (8, 625). La description d'objets (ekphrasis) est une caractéristique de l'épopée. Celle des boucliers ne fait pas exception. La description du bouclier d'Achille chez Homère (Iliade,18, 478-608) est particulièrement connue et Virgile s'en est inspiré ; Hésiode avait décrit le bouclier d'Héraclès (Bouclier, 139-321). Influencés par Virgile, Silius Italicus décrira le bouclier d'Hannibal (2, 406-452) et Stace, très brièvement, celui de Crénée (Thébaïde, 9, 332-338).
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