Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant IV (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE IV
LE ROMAN D'ÉNÉE ET DE DIDON
Mort secrètement programmée (4, 450-553)
Didon planifie son suicide (4, 450-521)
Didon songe à mourir, suite à des présages sinistres et à l'appel de Sychée qu'elle croit voir en songe ; en outre, d'anciennes prédictions, le sentiment de sa solitude et de sa culpabilité l'assimilent à Penthée ou à Oreste (4, 450-473).
En dissimulant son plan à Anne, Didon, soi-disant sur les conseils d'une sorcière très puissante, feint de vouloir guérir sa passion par la magie. Et quand Didon ordonne à Anne de dresser un bûcher pour y brûler les souvenirs laissés par Énée, celle-ci obéit sans pressentir la destination réelle du bûcher (4, 474-503).
Aidée par la prêtresse, Didon accomplit une série de rites magiques et invoque les dieux dans une atmosphère annonciatrice de mort (4, 504-521).
Tum uero infelix fatis exterrita Dido mortem orat ; taedet caeli conuexa tueri. Quo magis inceptum peragat lucemque relinquat, uidit, turicremis cum dona imponeret aris, horrendum dictu, latices nigrescere sacros, |
Alors, la pitoyable Didon, terrifiée par les destins, appelle la mort ; elle est lasse de voir la voûte du ciel. Pour la pousser à exécuter son dessein et à quitter la vie, au moment où elle posait des offrandes sur les autels fumant d'encens, elle voit, chose horrible à dire !, la liqueur sacrée devenir noire |
4, 450 |
fusaque in obscenum se uertere uina cruorem. Hoc uisum nulli, non ipsi effata sorori. Praeterea fuit in tectis de marmore templum coniugis antiqui, miro quod honore colebat, uelleribus niueis et festa fronde reuinctum : |
et le vin des libations se changer en un sang de sinistre présage. Personne d'autre n'avait vu ce signe ; elle n'en dit rien à sa soeur. En outre, il y avait dans sa demeure un sanctuaire de marbre dédié à son premier mari, à qui elle rendait un culte fervent, l'ornant de toisons de neige et de guirlandes de fête : |
4, 455 |
hinc exaudiri uoces et uerba uocantis uisa uiri, nox cum terras obscura teneret ; solaque culminibus ferali carmine bubo saepe queri et longas in fletum ducere uoces ; multaque praeterea uatum praedicta priorum |
il lui sembla entendre des paroles en sortir, la voix de son époux qui l'appelait quand la nuit enveloppait la terre d'obscurité ; il lui sembla qu'un hibou solitaire égrenait souvent sur les toits son chant funèbre et que sa longue complainte se muait en pleurs. Outre cela, par leur terrible rappel, maintes prédictions anciennes |
4, 460 |
terribili monitu horrificant. Agit ipse furentem in somnis ferus Aeneas ; semperque relinqui sola sibi, semper longam incomitata uidetur ire uiam, et Tyrios deserta quaerere terra. Eumenidum ueluti demens uidet agmina Pentheus, |
l'emplissent d'effroi. Elle est poursuivie dans ses songes délirants, par le cruel Énée en personne ; elle se voit pour toujours abandonnée, solitaire, sur une longue route, toujours sans escorte, à la recherche de ses Tyriens en plein désert ; elle est comme Penthée qui voit dans sa démence des bataillons d'Euménides, |
4, 465 |
et solem geminum et duplicis se ostendere Thebas ; aut Agamemnonius scaenis agitatus Orestes armatam facibus matrem et serpentibus atris cum fugit, ultricesque sedent in limine Dirae.
Ergo ubi concepit furias euicta dolore |
et à qui apparaissent un double soleil et deux Thèbes ; ou comme Oreste, fils d'Agamemnon, sur une scène de théâtre, lorsque, délirant, il fuit sa mère armée de torches et de noirs serpents, tandis que sur le seuil trônent les Furies vengeresses.
Alors, écrasée de douleur, Didon prit conscience de sa folie |
4, 470 |
decreuitque mori, tempus secum ipsa modumque exigit, et, maestam dictis adgressa sororem, consilium uoltu tegit, ac spem fronte serenat : « Inueni, germana, uiam – gratare sorori – quae mihi reddat eum, uel eo me soluat amantem. |
et décida de mourir : elle en régla seule le moment et la manière. S'adressant à sa soeur affligée, Didon par son visage cache son plan et par son front serein lui rend espoir : « Soeur chérie, – tu peux me féliciter – , j'ai trouvé un moyen qui me le rendra ou me délivrera de mon amour pour lui. |
4, 475 |
Oceani finem iuxta solemque cadentem ultimus Aethiopum locus est, ubi maxumus Atlas axem humero torquet stellis ardentibus aptum : hinc mihi Massylae gentis monstrata sacerdos, Hesperidum templi custos, epulasque draconi |
Près des limites de l'Océan, là où se couche le Soleil, il est un lieu, aux confins de l'Éthiopie, où le géant Atlas fait tourner sur ses épaules l'axe parsemé d'étoiles de feu : on m'a présenté une prêtresse massylienne issue de là-bas ; gardienne du temple des Hespérides, elle donnait sa pâture |
4, 480 |
quae dabat, et sacros seruabat in arbore ramos, spargens umida mella soporiferumque papauer. Haec se carminibus promittit soluere mentes quas uelit, ast aliis duras immittere curas, sistere aquam fluuiis, et uertere sidera retro ; |
au dragon et surveillait les rameaux sacrés sur leur arbre, répandant des liqueurs de miel et le pavot porteur de sommeil. Elle prétend, par ses formules, libérer les esprits à son gré, mais peut aussi envoyer à d'autres de durs soucis, arrêter le cours des fleuves et faire reculer les astres ; |
4, 485 |
nocturnosque mouet Manis : mugire uidebis sub pedibus terram, et descendere montibus ornos. Testor, cara, deos et te, germana, tuumque dulce caput, magicas inuitam accingier artes. Tu secreta pyram tecto interiore sub auras |
elle fait aussi surgir les Mânes nocturnes ; tu verras la terre mugir sous ses pieds et les ornes descendre des monts. Soeur chérie, je le jure par les dieux, par toi, par ta tête aimée, c'est à contrecoeur que je recours aux arts de la magie. Tu feras dresser secrètement un bûcher dans palais, à ciel ouvert ; |
4, 490 |
erige, et arma uiri, thalamo quae fixa reliquit impius, exuuiasque omnis, lectumque iugalem, quo perii, superimponas : abolere nefandi cuncta uiri monumenta iuuat, monstratque sacerdos. » Haec effata silet ; pallor simul occupat ora. |
et les armes que cet impie a laissées accrochées dans ma chambre, tous ses vêtements, et le lit conjugal, qui causa ma perte, pose-les au-dessus du bûcher : détruire tous les souvenirs de l'infâme, telles sont les directives de la prêtresse. » Ces paroles dites, elle reste silencieuse, tandis que la pâleur a gagné son visage. |
4, 495 |
Non tamen Anna nouis praetexere funera sacris germanam credit, nec tantos mente furores concipit, aut grauiora timet, quam morte Sychaei : ergo iussa parat.
At regina, pyra penetrali in sede sub auras |
Cependant, Anne ne croit pas que sa soeur, sous ces rites étranges, cache ses funérailles et n'imagine pas de telles divagations en son esprit ; elle ne craint pas non plus de réactions plus graves qu'à la mort de Sychée. Donc, elle exécute ses ordres.
De son côté, la reine, après avoir fait dresser à ciel ouvert, |
4, 500 |
erecta ingenti taedis atque ilice secta, intenditque locum sertis, et fronde coronat funerea ; super exuuias ensemque relictum effigiemque toro locat, haud ignara futuri. Stant arae circum, et crines effusa sacerdos |
dans un endroit retiré l'immense bûcher de bois de pin et de chêne, fait tendre la cour de guirlandes et de couronnes de feuillage funèbre ; sur le bûcher, elle pose les vêtements et le glaive qu'Énée a laissés et, sur le lit, elle place son effigie, consciente de ce qui va se passer. Des autels se dressent tout autour. La prêtresse, cheveux défaits, |
4, 505 |
ter centum tonat ore deos, Erebumque Chaosque, tergeminamque Hecaten, tria uirginis ora Dianae. Sparserat et latices simulatos fontis Auerni, falcibus et messae ad lunam quaeruntur aenis pubentes herbae nigri cum lacte ueneni ; |
appelle d'une voix tonnante trois fois les cent dieux, et l'Érèbe et le Chaos, et la triple Hécate, les trois faces de la vierge Diane. En outre, elle avait répandu de l'eau, figurant la source de l'Averne ; elle a fait chercher des herbes tendres, cueillies au clair de lune avec des faucilles d'airain, et mêlées au lait d'un noir poison. |
4, 510 |
quaeritur et nascentis equi de fronte reuolsus et matri praereptus amor. Ipsa mola manibusque piis altaria iuxta, unum exuta pedem uinclis, in ueste recincta, testatur moritura deos et conscia fati |
On cherche aussi, arraché au front d'un jeune poulain un charme amoureux, arraché à sa mère. Près des autels, offrant de ses mains purifiées la farine sacrée, un pied dégagé de liens, la robe dénouée, Didon, près de mourir prend à témoin les dieux et les astres avertis de sa destinée. |
4, 515 |
sidera ; tum, si quod non aequo foedere amantes curae numen habet iustumque memorque, precatur. |
Ensuite, s'il existe une divinité, équitable et dotée de mémoire, préoccupée des amants mal aimés, elle lui adresse ses prières. |
4, 520 |
Didon se sent acculée à la mort (4, 522-553)
Didon, seul être à ne pas jouir du repos nocturne, reprise par son délire amoureux, furieuse, passe en revue, dans une sorte de monologue intérieur, les possibilités, de toute manière inacceptables, auxquelles elle est réduite : soit recourir à ses prétendants africains, qu'elle a naguère repoussés, soit partir seule avec les Troyens et leur obéir, soit les poursuivre avec son armée (4, 522-546).
Sa seule issue est la mort, qu'elle estime avoir méritée et qu'elle se donnera par le fer, non sans reprocher à Anna de l'avoir poussée à trahir sa fidélité à Sychée (547-553).
Nox erat, et placidum carpebant fessa soporem corpora per terras, siluaeque et saeua quierant aequora : cum medio uoluuntur sidera lapsu, |
C'était la nuit, et par toute la terre, les corps épuisés jouissaient de la paix du sommeil ; les forêts et les mers cruelles étaient au repos, au moment où les astres roulent, au milieu de leur course, |
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cum tacet omnis ager, pecudes pictaeque uolucres, quaeque lacus late liquidos, quaeque aspera dumis rura tenent, somno positae sub nocte silenti lenibant curas, et corda oblita laborum. At non infelix animi Phoenissa, nec umquam |
quand partout les champs se taisent : troupeaux et oiseaux bigarrés, habitants des lacs aux eaux limpides et hôtes des épaisses broussailles dans les campagnes, tous reposent la nuit dans un sommeil silencieux. [Ils allégeaient leurs soucis ; leurs coeurs oubliaient leurs épreuves.] Mais l'infortunée Phénicienne, jamais le sommeil ne la délivre ; |
4, 525 |
soluitur in somnos, oculisue aut pectore noctem accipit : ingeminant curae, rursusque resurgens saeuit amor, magnoque irarum fluctuat aestu. Sic adeo insistit, secumque ita corde uolutat : « En, quid ago ? Rursusne procos inrisa priores |
jamais la nuit ne vient visiter ni ses yeux ni son coeur : ses angoisses redoublent et son amour resurgit, se déchaîne et est ballotté sur les flots déchaînés de la colère. Elle en est à ce point qu'elle s'arrête, agite ces pensées en son coeur : « Et voilà, que faire ? Vais-je à nouveau subir les railleries |
4, 530 |
experiar, Nomadumque petam conubia supplex, quos ego sim totiens iam dedignata maritos? Iliacas igitur classes atque ultima Teucrum iussa sequar ? Quiane auxilio iuuat ante leuatos, et bene apud memores ueteris stat gratia facti ? |
de mes premiers prétendants et aller, suppliante, prier les Nomades de m'épouser, eux que tant de fois déjà j'ai dédaignés comme maris ? Vais-je suivre la flotte d'Ilion et me plier aux dernières exigences des Troyens ? Ne leur plaît-il pas d'avoir été secourus naguère, et ceux qui se souviennent d'un ancien bienfait n'ont-ils pas de gratitude ? |
4, 535 |
Quis me autem, fac uelle, sinet, ratibusue superbis inuisam accipiet ? Nescis heu, perdita, necdum Laomedonteae sentis periuria gentis ? Quid tum, sola fuga nautas comitabor ouantes, an Tyriis omnique manu stipata meorum |
Mais, à supposer que je le veuille, qui tolérera ou accueillera sur ses fiers navires une femme haïe ? Ignores-tu hélas, infortunée, n'es-tu pas encore consciente des parjures de la race de Laomédon ? Quoi alors ? Vais-je seule escorter dans leur fuite ces marins triomphants ? Ou entourée des Tyriens et de toute mon armée, me lancerai-je |
4, 540 |
inferar, et, quos Sidonia uix urbe reuelli, rursus agam pelago, et uentis dare uela iubebo?
Quin morere, ut merita es, ferroque auerte dolorem. Tu lacrimis euicta meis, tu prima furentem his, germana, malis oneras atque obicis hosti. |
et remettrai-je une fois encore à la mer ceux que j'ai à grand peine arrachés de la ville de Sidon, en leur ordonnant de livrer leurs voiles aux vents ?
Non, meurs plutôt comme tu l'as mérité, et que le fer mette fin à ta douleur. C'est toi la première, ma soeur, qui, vaincue par mes larmes, accable sous ces maux mon âme folle, et me livre à l'ennemi. |
4, 545 |
Non licuit thalami expertem sine crimine uitam degere, more ferae, tales nec tangere curas ! Non seruata fides cineri promissa Sychaeo ! » Tantos illa suo rumpebat pectore questus. |
Il ne m'a pas été donné de vivre irréprochable, en dehors du mariage , à la manière d'une bête sauvage, et d'ignorer de tels tourments ; je n'ai pas respecté la foi promise aux cendres de Sychée. » Ces plaintes si grandes s'échappaient de son coeur ! |
4, 550 |
Notes (4, 450-553)
la liqueur sacrée, etc. (4, 454-455). L'expression latine (latices... sacros) peut s'appliquer à plusieurs types de liquides. J. Perret et R.D. Williams y voient de l'eau ; pour Servius, il s'agirait de vin ; dans ce cas, les deux propositions exprimeraient le même prodige. Quoiqu'il en soit, ces transformations sont de mauvais présages.
un sanctuaire de marbre (4, 457-458). Une sorte de monument funéraire (Virgile utilise le mot templum) qu'elle avait élevé en l'honneur de Sychée, son ancien mari à qui, jusqu'à l'arrivée d'Énée, elle était restée irréprochablement fidèle (4, 15ss). Les dimensions de ce sanctuaire, que Servius (6, 132) appelle cénotaphe, ne sont pas autrement précisées.
toisons de neige, etc. (4, 459). La laine des moutons servait à faire les bandelettes blanches utilisées lors des sacrifices, tandis que des feuilles de myrte ou de cyprès, par exemple, servaient à tresser des guirlandes. Ovide, dans la lettre de Didon à Énée (= Héroïdes, 7, 99-100), utilisera ce passage virgilien : « J'ai dans un temple de marbre l'image sacrée de Sychée ; des guirlandes de feuillage et de blanches toisons la recouvrent » (trad. M. Prévost). Il a été souvent question dans l'Énéide de guirlandes et/ou de bandelettes, qui décorent et / ou consacrent des personnes ou des objets (par exemple 1, 416 ; 1, 724 ; 2, 132 ; 2, 296 ; 3, 525 ; 3, 370 ; 4, 202 ; 4, 418 ; 7, 237 ; 7, 488 ; 8, 128 ; 9, 627 ; 10, 538.
hibou (4, 462-463). Le hibou était un oiseau de mauvais augure (cfr 12, 861-864 ; Ovide, Mét., 5, 543ss).
prédictions anciennes (4, 464). Il n'en a pas été question précédemment.
ses songes délirants, etc. (4, 465-468). Les songes de Didon sont le reflet de son état d'esprit. Ce n'est pas tellement courant dans la littérature ancienne, qui utilise généralement les songes pour introduire des prophéties. Virgile peut avoir été influencé par le rêve de Médée chez Apollonius de Rhodes (Argonautiques, 3, 616-632).
Penthée, etc. (4, 469-470). Selon Euripide (Bacchantes, 918-919), Penthée, roi de Thèbes en Béotie, qui s'était opposé à l'introduction du culte de Dionysos (= Bacchus), fut frappé de folie : il voyait deux soleils dans le ciel et deux villes de Thèbes. La pièce d'Euripide avait fait l'objet d'adaptations romaines par Pacuvius et par Accius.
Euménides (4, 469). En fait, Penthée est poursuivi par les Bacchantes, et non par les Furies, ou Dirae, appelées par euphémisme les Euménides, c'est-à-dire les « Bienveillantes ». Les Furies, ou Dirae, ou Euménides, interviennent souvent dans l'Énéide : cfr par exemple 4, 610 ; 6, 250 ; 6, 280 ; 6, 374 ; 8, 701 ; 12, 845 ; 12, 869.
Oreste etc. (4, 471-473). Oreste tua sa mère Clytemnestre, pour venger le meurtre de son père Agamemnon (cfr 3, 331). Frappé de folie, il fut poursuivi par le fantôme de sa mère et par les Furies vengeresses. Ce sujet, traité par Eschyle, Euménides, et par Euripide, Oreste, fut également représenté sur la scène romaine, notamment par Ennius et par Pacuvius.
de torches et de noirs serpents (4, 473). Ce sont les attributs caractéristiques des Furies, que l'on retrouvera notamment dans la description d'Allecto au chant 7 (par exemple 7, 346 ; 7, 456).
Éthiopie (4, 481). Terme grec qui signifie étymologiquement la « terre des hommes au visage brûlé ». Il s'applique en particulier aux territoires situés au sud de l'Égypte, mais il est l'objet d'autres délimitations, beaucoup plus vagues ; en effet le mot Éthiopie caractérise aussi diverses régions d'Afrique du nord, entre l'Équateur, la mer Rouge et l'Atantique. Selon Eschyle, on trouvait aussi des Éthiopiens aux Indes. C'est dire l'imprécision géographique qui entoure ce terme. Dans le cas présent, la référence à l'Atlas montre que Didon a en tête l'Afrique du Nord occidentale.
Atlas (4, 481). Pour Atlas, cfr 1, 740ss et les notes.
fait tourner, etc. (4, 482). Le vers 482 se retrouve en 6, 797, et est inspiré d'Ennius (Annales, 162 et 332 Warmington).
massylienne (4, 484). Pour les Massyles, un peuple africain à l'ouest de Carthage, cfr 4, 132 et 6, 60.
Hespérides, etc. (4, 484). Allusion à une autre légende, celles des Hespérides ou « Nymphes du Couchant », censées habiter à l'extrême Occident, puis, à mesure que le monde occidental fut mieux connu, au pied du mont Atlas. Dans la mythologie, leur fonction essentielle était de veiller, avec l'aide d'un dragon, sur le jardin des dieux où poussaient les pommes d'or, présent fait autrefois par la Terre à Héra lors de ses noces avec Zeus. Elles chantent en choeur, auprès de sources jaillissantes qui répandent l'ambroisie. Elles sont liées au cycle d'Héraclès ; auprès d'elles, le héros va chercher les fruits d'immortalité, et sa quête des pommes d'or est déjà la figure de son apothéose. Les auteurs ne s'accordent pas sur le nombre des Hespérides, mais le plus souvent ils en nomment trois (d'après P. Grimal, Dictionnaire, Paris, 1969, p. 209).
répandant, etc. (4, 484). Le rôle exact de la prêtresse n'est pas clair. On a peine à croire qu'elle donne au dragon des nourritures assoupissantes. Aussi a-t-on pensé que le miel et le pavot n'avaient rien à voir avec le dragon, et qu'il s'agissait d'ingrédients qui devaient servir à des pratiques magiques. Quoi qu'il en soit, il semble que Virgile ait imaginé la prêtresse massylienne un peu sur le modèle de la magicienne Médée, laquelle, chez Apollonius de Rhodes (Argonautiques, 4, 127-166), avait endormi avec des drogues le dragon veillant sur la Toison d'or.
Elle prétend, etc. (4, 487-491). L'énumération des effets de la magie est relativement classique. On pourra lire par exemple Ovide, Mét., 7, 199ss (c'est Médée qui parle) ou bien Apulée, Mét., 1, 8, 1 (Socrate raconte son histoire à Aristomène). Ce sont des textes relativement détaillés, mais il y a en beaucoup d'autres. Ainsi, dans la huitième Bucolique de Virgile, la magie est censée avoir le pouvoir de faire descendre la lune du ciel, de métamorphoser les gens (vers 69 et 70), d'évoquer les âmes du fond des tombeaux et de transporter les moissons d'un champ dans un autre (vers 98 et 99). Chez Apollonius de Rhodes (Argonautiques, 3, 532-533), Médée est capable d'arrêter les fleuves sonores, et d'enchaîner les astres ou le cours de la lune. Pour plus de détails sur la magie chez Virgile, on verra A.M. Tupet, La magie dans la poésie latine. I. Des origines à la fin du règne d'Auguste, Paris, 1976, 450 p. (Collection d'études anciennes), qui étudie notamment sous cet angle le quatrième chant de l'Énéide et la huitième Bucolique.
libérer les coeurs (4, 487). Libérer des coeurs de leurs soucis et de leurs souffrances.
à contrecoeur (4, 493). Les Romains ont toujours officiellement condamné les pratiques magiques, ce qui n'empêchait évidemment pas certains d'entre eux d'y avoir recours. Didon semble en quelque sorte s'excuser.
impie (4, 495). Piquant, appliqué au « pieux Énée ».
le lit conjugal (4, 496). Didon s'estimait mariée (cfr 4, 172 ; 4, 316). En 4, 648, elle parlera encore du « lit familier ».
son effigie (4, 508). Une représentation de la personne que l'on veut atteindre par la magie (cfr Virgile, Bucoliques, 8, 7 ; Horace, Satires, 1, 8, 30).
cheveux défaits (4, 509). Les noeuds et les liens sont exclus des pratiques magiques (cfr 4, 518).
trois fois les cent dieux (4, 510). L'utilisation du nombre trois était fréquent dans la magie. Ici, comme ailleurs dans l'Énéide, le chiffre cent ne doit pas être pris au sens strict. Il désigne un grand nombre. Et de fait, dans les papyrus magiques que nous avons conservés sont invoquées de très nombreuses divinités infernales.
Érèbe (4, 510). Synonyme du monde souterrain ou des Enfers (cfr 4, 26).
Chaos (4, 511). Père de l'Érèbe et placé à l'origine du monde, Chaos représente l'état primitif de l'univers (tous les éléments existaient, mais dans un état de totale indifférenciation). Il devint une divinité infernale confondue avec les Enfers. Cfr aussi 6, 265.
triple Hécate, etc. (4, 511). C'est la première apparition d'Hécate dans l'Énéide. Il s'agit d'une déesse complexe dont le signalement à l'époque ancienne, relativement mystérieux, la rapproche d'Artémis. Dans nos textes, elle apparaît comme une divinité infernale, de la magie et des enchantements. « Comme magicienne, elle préside aux carrefours, qui sont les lieux par excellence de la magie. On y dresse sa statue, sous la forme d'une femme à trois corps ou bien d'une femme à trois têtes » (P. Grimal). D'où l'adjectif triple qui lui est souvent accolé. Ses liens privilégiés avec les carrefours (triuium en latin) font qu'elle est souvent qualifiée de « triuia » (cfr 4, 609 ; 6, 10). Sous ce nom d'Hécate, elle joue un grand rôle dans le récit de la descente aux Enfers du chant six (6, 118 ; 6, 247 ; 6, 564).
les trois faces de la vierge Diane (4, 511). Au sens propre, Diane (cfr 1, 499 ; 3, 681) est une ancienne divinité latine au signalement complexe, une vierge, qui fut identifiée très tôt à l'Artémis grecque. Elle est bien autre chose que la déesse de la chasse, protectrice des chasseurs, « la Diane chasseresse », sous l'image de laquelle elle est souvent représentée par les artistes. Diane-Artémis sur la terre, elle était aussi Phébé (la Lune) dans le ciel et Hécate dans les enfers. Elle régnait donc sur les trois mondes, d'où ses « trois faces » et l'adjectif « triple » qui lui est souvent attribué. Dans le texte de Virgile, il y a équivalence entre « la triple Hécate » et « les trois faces de la vierge Diane ». C'est la même divinité qui est visée. On la rencontrera encore au chant six (6, 13), sous le nom de Trivia, au chant sept (7, 306 à propos de Calydon ; 7, 764ss, à propos d'Aricie et d'Hippolyte) et au chant onze, dans l'histoire de Camille (11, 532ss ; 11, 582 ; 11, 652 ; 11, 843 ; 11, 857).
Averne (4, 511). Un lac de la région de Cumes, en Campanie, que les Anciens considéraient comme une entrée vers le monde souterrain (cfr 3, 386 et 3, 442 avec les notes). On le retrouvera en 6, 237ss.
herbes, etc. (4, 513-514). Des herbes interviennent régulièrement dans les pratiques magiques. Elles devaient être cueillies dans des conditions particulières. On évoque ici le clair de lune, et l'utilisation de faucilles en bronze. Le fer était tabou (cfr par exemple Ovide, Mét., 7, 222, et Macrobe, Saturnales, 5, 19, 7-14).
lait d'un noir poison (4, 514). Alliance hardie du blanc et du noir. En réalité, le suc de certaines plantes peut être noir, mais la formule suggère des rituels sombres, la « magie noire ».
charme amoureux (4, 515-516). Le charme d'amour est l'hippomane, un terme qui peut avoir plusieurs sens. Il s'agit ici de l'excroissance de chair noire sur la tête du poulain : elle posséderait des vertus magiques. Pline (Histoire naturelle, 8, 165) raconte que quand la jument la dévorait, elle éprouvait un amour violent pour son petit.
farine sacrée... mains purifiées (4, 517-518). Le premier détail renvoie à la mola salsa utilisée dans le rituel officiel du sacrifice à Rome (cfr 2, 133). La purification des mains est une autre exigence religieuse.
dégagé de liens (4, 518). L'usage était, dans les opérations magiques, de se dégager de tout lien (cfr 4, 509). Horace (Satires, 1, 8, 24), décrivant une sorcière, la présente « les pieds nus et les cheveux épars ». Mais, chez Virgile, le texte latin insiste sur le fait que Didon n'a délié qu'une seule de ses sandales. Servius suggère qu'en agissant ainsi, elle liait Énée avec l'autre.
robe dénouée (4, 518). Cfr la note précédente.
C'était la nuit, etc. (4, 522-532). On peut comparer ce passage à Apollonius de Rhodes, 3, 744-751, où le même contraste est évoqué, quand seule Médée ne peut trouver le sommeil. À rapprocher aussi de 8, 26-30 et de 9, 224-228.
Ils allégeaient leurs soucis... (4, 528). Vers presque semblable à 9, 225, et absent des meilleurs manuscrits. Plusieurs éditeurs modernes le mettent entre parenthèses.
agite ces pensées en son coeur, etc. (4, 533-552). Ce long monologue intérieur où Didon exprime son désespoir peut être comparé aux plaintes d'Ariane chez Catulle (64, 158-201) et à celles de la Didon d'Ovide (Héroïdes, 7, 168-196).
dédaignés comme maris (4, 536). Allusion à Iarbas (cfr 4, 36).
parjures de la race de Laomédon (4, 542). Cfr 3, 248 ; 5, 811 et ailleurs.
à grand peine arrachés (4, 545). Cfr 1, 360-364 où il ne semble toutefois pas que Didon ait eu du mal à réunir des compagnons.
C'est toi, ma soeur, etc. (4, 548-549). Anne n'est pas présente ; Didon, tout en se sentant coupable, rappelle cependant le rôle joué par sa soeur (cfr 4, 31-53).
une bête sauvage (4, 550-551). Une vie libre, dégagée de toute obligation sociale et personnelle, comme celle d'un animal dans la nature.
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Bibliotheca Classica Selecta - UCL (FIAL)