Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant II (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE II
CHUTE DE TROIE - MISSION D'ÉNÉE
Énée entre en scène (2, 268-437)
Conseil d'Hector à Énée : fuir avec les Pénates (2, 268-297)
Au cours de la nuit qu'il passe dans la demeure de son père, Énée voit en songe le fantôme d'Hector, se présentant sous l'aspect du guerrier vaincu marqué par les blessures de ses combats devant Troie ; Énée l'interroge avec un certain espoir mais sans se défaire de sa tristesse et de son découragement (2, 268-286).
Hector affirme que Troie est irrévocablement perdue ; il conseille à Énée de fuir avec les objets sacrés et les Pénates de la ville, pour les établir, après un long périple sur mer, dans une ville nouvelle (2, 287-297).
Tempus erat, quo prima quies mortalibus aegris incipit, et dono diuom gratissima serpit. |
Pour les infortunés mortels, c'était l'heure du premier sommeil, don divin qui les pénètre de sa bienfaisante douceur. |
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In somnis, ecce, ante oculos maestissimus Hector uisus adesse mihi, largosque effundere fletus, raptatus bigis, ut quondam, aterque cruento puluere, perque pedes traiectus lora tumentis. Ei mihi, qualis erat, quantum mutatus ab illo |
En songe, voici que sous mes yeux, Hector a paru se dresser devant moi, infiniment triste, versant d'abondantes larmes ; comme naguère, il était tout noir de sang et de poussière, traîné par l'attelage, les pieds gonflés et déchirés par une courroie. Hélas pour moi ! dans quel état était-il ! Combien il était différent |
2, 270 |
Hectore, qui redit exuuias indutus Achilli, uel Danaum Phrygios iaculatus puppibus ignis, squalentem barbam et concretos sanguine crinis uolneraque illa gerens, quae circum plurima muros accepit patrios. Vltro flens ipse uidebar |
du brillant Hector rentrant chargé des dépouilles d'Achille, ou ayant lancé les feux phrygiens sur les navires des Danaens ! Il avait la barbe hirsute et les cheveux collés de sang, marqué par les blessures si nombreuses qu'il avait subies autour des murs de sa patrie. En pleurs moi aussi, je me voyais |
2, 275 |
compellare uirum et maestas expromere uoces : ʻ O lux Dardaniae, spes O fidissima Teucrum, quae tantae tenuere morae ? Quibus Hector ab oris exspectate uenis ? Vt te post multa tuorum funera, post uarios hominumque urbisque labores |
adressant le premier au héros ces paroles attristées : ʻToi, lumière de la Dardanie, toi le plus sûr espoir des Troyens, pourquoi de tels retards? De quels rivages arrives-tu, Hector tant attendu ? Après la mort de beaucoup des tiens, après les diverses épreuves de nos hommes et notre cité, |
2, 280 |
defessi aspicimus ; quae causa indigna serenos foedauit uoltus ? Aut cur haec uolnera cerno ? ʼ
Ille nihil, nec me quaerentem uana moratur, sed grauiter gemitus imo de pectore ducens, ʻ Heu fuge, nate dea, teque his, ait, eripe flammis. |
épuisés que nous sommes, nous te voyons ; quelle raison indigne a souillé ton calme visage ? Pourquoi ces blessures que j'aperçois ?ʼ
Lui, sans nullement s'attarder à mes questions vaines, pousse un pesant soupir du fond de sa poitrine et dit : |
2, 285 |
Hostis habet muros ; ruit alto a culmine Troia. Sat patriae Priamoque datum : si Pergama dextra defendi possent, etiam hac defensa fuissent. Sacra suosque tibi commendat Troia penatis : hos cape fatorum comites, his moenia quaere |
L'ennemi tient nos murs ; de toute sa hauteur Troie s'écroule. On en a assez fait pour la patrie et Priam : si un bras pouvait défendre Pergame, le mien aussi l'aurait défendue. Troie te confie ses objets sacrés et ses Pénates ; prends-les, qu'ils accompagnent ton destin ; cherche pour eux de hauts remparts, |
2, 290 |
magna, pererrato statues quae denique ponto. ʼ Sic ait, et manibus uittas Vestamque potentem aeternumque adytis effert penetralibus ignem. |
que tu dresseras enfin après tes errances sur la merʼ. Sur ces mots, de mains il retire du fond du sanctuaire les bandelettes sacrées, la puissante Vesta et le feu éternel. |
2, 295 |
Énée choisit de résister et entraîne ses compagnons (2, 298-360)
Énée, qui voit la demeure de son père entourée de flammes, aspire à combattre, contre toute raison, pour connaître une noble mort (2, 298-317).
Panthus, le prêtre d'Apollon, qui arrive avec des objets sacrés près de la demeure d'Anchise, informe Énée de l'étendue du désastre et de la lutte désespérée des Troyens contre leurs envahisseurs. Énée alors, animé de fureur guerrière et poussé par la volonté divine, décide de se rendre sur le théâtre des opérations. De nombreux compagnons le rejoignent, dont Corèbe, amoureux de Cassandre (2, 317-346).
Énée encourage ses compagnons à lutter avec lui jusqu'à la mort et les mène au combat (2, 347-360).
Diuerso interea miscentur moenia luctu, et magis atque magis, quamquam secreta parentis |
Cependant, les remparts résonnent de plaintes mêlées ; et bien que la demeure de mon père Anchise soit en retrait, |
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Anchisae domus arboribusque obtecta recessit, clarescunt sonitus, armorumque ingruit horror. Excutior somno, et summi fastigia tecti ascensu supero, atque arrectis auribus adsto : in segetem ueluti cum flamma furentibus austris |
cachée et protégée par des arbres, de plus en plus les sons se font distincts, et l'horreur des combats s'approche. Je suis tiré de mon sommeil, je grimpe sur le toit, à l'endroit le plus élevé, et je reste là, oreillles tendues. Lorsqu' un incendie attisé par les Austers furieux, |
2, 300 |
incidit, aut rapidus montano flumine torrens sternit agros, sternit sata laeta boumque labores, praecipitisque trahit siluas, stupet inscius alto accipiens sonitum saxi de uertice pastor.
Tum uero manifesta fides, Danaumque patescunt |
embrase les moissons, qu'un torrent furieux, dévalant de la montagne écrase les champs, les riches semailles et les travaux des boeufs, déracine et emporte les arbres , ainsi, un berger, en haut de son rocher, est frappé de stupeur quand il entend un bruit sans le comprendre.
Mais maintenant l'évidence est là ; le piège des Danaens est clair. |
2, 305 |
insidiae. Iam Deiphobi dedit ampla ruinam Volcano superante domus ; iam proxumus ardet Vcalegon ; Sigea igni freta lata relucent. Exoritur clamorque uirum clangorque tubarum. Arma amens capio ; nec sat rationis in armis, |
Déjà l'immense demeure de Déiphobe n'est plus que ruines, proie de Vulcain ; toute proche celle d' Ucalégon déjà s'embrase ; et au large l'incendie illumine le promontoire de Sigée. On entend s'élever les cris des hommes et le son des trompettes. Affolé je saisis mes armes ; ce geste n'est guère raisonnable |
2, 310 |
sed glomerare manum bello et concurrere in arcem cum sociis ardent animi ; furor iraque mentem praecipitant, pulchrumque mori succurrit in armis.
Ecce autem telis Panthus elapsus Achiuom, Panthus Othryades, arcis Phoebique sacerdos, |
mais je brûle du désir de rassembler une troupe pour combattre, de courir à la citadelle avec mes compagnons ; la fureur et la colère me fouettent l'esprit ; je trouve beau de mourir les armes à la main.
Voici alors que Panthus, échappé aux traits des Achéens, Panthus, fils d'Othrys, prêtre de la citadelle et de Phébus ; |
2, 315 |
sacra manu uictosque deos paruumque nepotem ipse trahit, cursuque amens ad limina tendit. ʻQuo res summa loco, Panthu? Quam prendimus arcem ?ʼ Vix ea fatus eram, gemitu cum talia reddit : ʻ Venit summa dies et ineluctabile tempus |
tenant en main les objets du culte et les dieux vaincus, tirant aussi son petit-fils, il accourt affolé et se dirige vers notre demeure. ʻOù en est la situation, Panthus ? Quelle colline prendre ?' J'avais à peine parlé, et il répondit dans un soupir : ʻLe jour suprême est arrivé, fin inéluctable de la Dardanie. |
2, 320 |
Dardaniae : fuimus Troes, fuit Ilium et ingens gloria Teucrorum ; ferus omnia Iuppiter Argos transtulit ; incensa Danai dominantur in urbe. Arduus armatos mediis in moenibus adstans fundit equus, uictorque Sinon incendia miscet |
Nous fûmes les Troyens ; Ilion et la gloire immense des Teucères ont vécu elles aussi ; Jupiter, dans sa cruauté, a tout transmis à Argos ; les Danaens sont maîtres de la ville incendiée. Le cheval dressé de toute sa hauteur à l'intérieur de nos remparts, déverse des guerriers armés, et Sinon, victorieux, répand le feu |
2, 325 |
insultans ; portis alii bipatentibus adsunt, milia quot magnis umquam uenere Mycenis ; obsedere alii telis angusta uiarum oppositi ; stat ferri acies mucrone corusco stricta, parata neci ; uix primi proelia temptant |
avec insolence. Par nos portes larges ouvertes, des milliers d'hommes affluent, aussi nombreux que ceux qui vinrent jadis de la grande Mycènes. D'autres encore ont occupé les passages étroits, faisant barrage avec leurs armes. Ils ont dégaîné une rangée d'épées, aux lames luisantes, prêtes au carnage. En première ligne, les gardes des portes |
2, 330 |
portarum uigiles, et caeco Marte resistunt. ʼ
Talibus Othryadae dictis et numine diuom in flammas et in arma feror, quo tristis Erinys, quo fremitus uocat et sublatus ad aethera clamor. Addunt se socios Rhipeus et maximus armis |
tentent à grand peine de combattre et résistent dans une lutte aveugleʼ.
À ces paroles de l'Othryade, poussé par la puissance divine, je me porte vers l'incendie, vers le combat, où m'appellent la triste Érinye et le tumulte et les cris qui s'élèvent vers le ciel. À notre aide, à la faveur du clair de lune, voici Rhipée |
2, 335 |
Epytus oblati per lunam Hypanisque Dymasque, et lateri adglomerant nostro, iuuenisque Coroebus, Mygdonides : illis ad Troiam forte diebus uenerat, insano Cassandrae incensus amore, et gener auxilium Priamo Phrygibusque ferebat, |
et le très grand manieur d'armes Épytus ; Hypanis et Dymas se joignent à nos côtés, ainsi que le jeune Corèbe, fils de Mygdon ; arrivé à Troie justement ces jours-là, lui qui brûlait d'un amour insensé pour Cassandre, il apportait à Priam et aux Phrygiens le secours d'un gendre, |
2, 340 |
infelix, qui non sponsae praecepta furentis audierit.
Quos ubi confertos audere in proelia uidi, incipio super his : ʻ Iuuenes, fortissima frustra pectora, si uobis audentem extrema cupido |
le malheureux, qui n'avait pas écouté les avis de sa fiancée dans ses transes prophétiques !
Les voyant pleins d'audace pour combattre, je me mets à ajouter encore : ʻ Jeunes gens, coeurs vainement valeureux, si vous êtes vraiment désireux de suivre un homme prêt |
2, 345 |
certa sequi, quae sit rebus fortuna uidetis : excessere omnes, adytis arisque relictis, di, quibus imperium hoc steterat ; succurritis urbi incensae ; moriamur et in media arma ruamus. Vna salus uictis, nullam sperare salutem. ʼ |
à tenter l'impossible, voyez quel sort nous attend : les dieux qui soutinrent notre empire ont déserté les autels et quitté les sanctuaires ; vous courez au secours d'une ville en flammes. Mourons et jetons-nous au coeur des combats. Le seul espoir pour les vaincus, c'est de n'espérer aucun salut !ʼ |
2, 350 |
Sic animis iuuenum furor additus : inde, lupi ceu raptores atra in nebula, quos improba uentris exegit caecos rabies, catulique relicti faucibus exspectant siccis, per tela, per hostis uadimus haud dubiam in mortem, mediaeque tenemus |
Ainsi une ardente fureur redouble dans les coeurs des jeunes gens. Alors, tels des loups rapaces, perdus dans un épais brouillard, qu'une faim rageuse tient au ventre et qu'attendent leurs petits, laissés au gîte la gorge sèche, nous allons à une mort certaine, sous les traits ennemis, en marchant vers le coeur de la ville. |
2, 355 |
urbis iter ; nox atra caua circumuolat umbra. |
Une nuit sombre plane et englobe tout au creux de son ombre. |
2, 360 |
Ultime et vaine résistance des Troyens (2, 361-437)
Après quelques vers introduisant le récit des derniers combats de Troie, au cours desquels les deux camps payent leur tribut à la mort, le Grec Androgée, qui prend les compagnons d'Énée pour des compatriotes, se fait abattre avec ses hommes, ce qui rend momentanément aux Troyens l'espoir d'un retour de la Fortune. (2, 361-385)
À l'initiative de Corèbe, les Troyens revêtent les armes de leurs victimes et, ainsi déguisés, livrent maints combats, semant la mort et la panique dans les rangs grecs (2, 386-401).
Mais Corèbe, ne supportant pas de voir Cassandre captive, attaque les ravisseurs de la princesse. Ses compagnons et lui deviennent une cible pour d'autres Troyens ainsi que pour les Grecs qui, ayant fini par comprendre leur méprise, se regroupent et réagissent, provoquant la mort de plusieurs Troyens, pourtant particulièrement fidèles et pieux (2, 402-430).
Énée comprenant son impuissance face aux destins, se dirige avec deux compagnons, vers le palais de Priam (2, 431-437).
Quis cladem illius noctis, quis funera fando explicet, aut possit lacrimis aequare labores? Vrbs antiqua ruit, multos dominata per annos ; plurima perque uias sternuntur inertia passim |
Qui pourrait relater le désastre de cette nuit, en énumérer les morts ? Qui pourrait verser des larmes à la mesure de nos épreuves ? L'antique cité, qui tant d'années régna souveraine, s'est écroulée ; des corps sans nombre gisent inertes, partout, dans les rues |
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corpora, perque domos et religiosa deorum limina. Nec soli poenas dant sanguine Teucri ; quondam etiam uictis redit in praecordia uirtus uictoresque cadunt Danai : crudelis ubique luctus, ubique pauor, et plurima mortis imago. |
et dans les maisons et sur les parvis sacrés des temples. Les Teucriens ne sont pas seuls à payer de leur sang ; parfois même le courage renaît dans les coeurs des vaincus, et les vainqueurs Danaens tombent. Le deuil cruel est partout, et partout l'épouvante et la mort aux multiples visages. |
2, 365 |
Primus se, Danaum magna comitante caterua, Androgeos offert nobis, socia agmina credens inscius, atque ultro uerbis compellat amicis : ʻ Festinate, uiri : nam quae tam sera moratur segnities ? Alii rapiunt incensa feruntque |
Le premier à se présenter, escorté de nombreux Danaens c'est Androgée ; l'inconscient nous prend pour ses alliés, et d'emblée s'adresse à nous, en termes amicaux : ʻ Pressez-vous, camarades ! Quelle lenteur vous retarde ainsi ? D'autres Grecs ont incendié Pergame qu'ils pillent et dévalisent : |
2, 370 |
Pergama ; uos celsis nunc primum a nauibus itis. ʼ Dixit, et extemplo, neque enim responsa dabantur fida satis, sensit medios delapsus in hostis. Obstipuit, retroque pedem cum uoce repressit : inprouisum aspris ueluti qui sentibus anguem |
et vous, vous venez d'arriver de vos hauts navires ? ʼ Il dit et, ne recevant pas en effet de réponse crédible, il comprit aussitôt qu'il était tombé au milieu d'ennemis. Il resta interdit et, tout en reculant, se retint de parler. Tel un promeneur qui, dans d'épineux buissons, piétine sans le voir |
2, 375 |
pressit humi nitens, trepidusque repente refugit attollentem iras et caerula colla tumentem ; haud secus Androgeos uisu tremefactus abibat. Inruimus, densis et circumfundimur armis, ignarosque loci passim et formidine captos |
un serpent qu'il cloue au sol, puis se met tout à coup à trembler et s'écarte de la bête qui relève son cou bleuâtre gonflé de colère, ainsi, tremblant à notre vue, Androgée cherchait à fuir. Nous fonçons et en rangs serrés nous encerclons et pêle-mêle abattons ces hommes saisis de peur et ignorants des lieux : |
2, 380 |
sternimus : adspirat primo fortuna labori.
Atque hic successu exsultans animisque Coroebus, ʻ O socii, qua primaʼ inquit ʻ fortuna salutis monstrat iter, quoque ostendit se dextra, sequamur mutemus clipeos, Danaumque insignia nobis |
la Fortune souffle sur notre premier engagement.
Alors devant ce succès, Corèbe exulte en son coeur et dit : ʻ Mes amis, pour la première fois, la Fortune nous indique une voie de salut, elle se montre bienveillante, suivons cette route : échangeons nos boucliers et arborons les insignes des Danaens. |
2, 385 |
aptemus : dolus an uirtus, quis in hoste requirat? Arma dabunt ipsi.ʼ Sic fatus, deinde comantem Androgei galeam clipeique insigne decorum induitur, laterique Argiuum accommodat ensem. Hoc Rhipeus, hoc ipse Dymas omnisque iuuentus |
Est-ce ruse ou bravoure ? Qui s'en soucierait chez un ennemi ? Eux-mêmes nous donneront des armesʼ. Après avoir ainsi parlé, il revêt le casque à panache et le magnifique bouclier d'Androgée, et il attache à son flanc une épée argienne. Rhipée, et Dymas aussi, et tous les jeunes gens l'imitent |
2, 390 |
laeta facit ; spoliis se quisque recentibus armat. Vadimus immixti Danais haud numine nostro, multaque per caecam congressi proelia noctem conserimus, multos Danaum demittimus Orco. Diffugiunt alii ad nauis, et litora cursu |
allègrement : chacun s'arme de ces nouvelles dépouilles. Mêlés aux Danaens, sous des dieux qui ne sont pas les nôtres, nous avançons, et, dans la nuit aveugle, en de nombreux combats, nous engageons la lutte et envoyons en masse des Danaens chez Orcus. D'autres fuient vers les navires et courent vers le rivage rassurant ; |
2, 395 |
fida petunt : pars ingentem formidine turpi scandunt rursus equum et nota conduntur in aluo.
Heu nihil inuitis fas quemquam fidere diuis ; Ecce trahebatur passis Priameia uirgo crinibus a templo Cassandra adytisque Mineruae, |
certains parmi eux, saisis d'une lâche épouvante, remontent dans le cheval géant et se cachent dans le ventre qu'ils connaissent.
Hélas, nul ne peut se fier à des dieux, s'ils sont hostiles ! Voici que du temple et du fond du sanctuaire de Minerve, on traînait la fille de Priam, Cassandre ; cheveux épars, |
2, 400 |
ad caelum tendens ardentia lumina frustra, -- lumina, nam teneras arcebant uincula palmas. Non tulit hanc speciem furiata mente Coroebus, et sese medium iniecit periturus in agmen. Consequimur cuncti et densis incurrimus armis. |
elle tendait en vain vers le ciel des yeux enflammés, des yeux seulement, car des liens entravaient ses mains délicates. Corèbe, fou de colère, ne supporta pas cette vision ; il se jeta au milieu de la troupe, prêt à mourir au combat. Tous nous le suivons et fonçons en avant, en rangs serrés. |
2, 405 |
Hic primum ex alto delubri culmine telis nostrorum obruimur, oriturque miserrima caedes armorum facie et Graiarum errore iubarum. Tum Danai gemitu atque ereptae uirginis ira undique collecti inuadunt, acerrimus Aiax, |
Alors, depuis le toit du sanctuaire nos soldats tout d'abord, nous écrasent de leurs traits, causant le plus désastreux des carnages ; ils étaient trompés par l'aspect des armes et les panaches grecs. Ensuite, les Danaens, hurlant de colère de se voir reprendre la jeune fille, arrivent de partout et nous attaquent : le très fougueux Ajax, |
2, 410 |
et gemini Atridae, Dolopumque exercitus omnis ; aduersi rupto ceu quondam turbine uenti confligunt, Zephyrusque Notusque et laetus Eois Eurus equis ; stridunt siluae, saeuitque tridenti spumeus atque imo Nereus ciet aequora fundo. |
et les deux Atrides, et toute l'armée des Dolopes. Ainsi parfois, quand éclate une tempête, des vents contraires s'affrontent le Zéphyr, le Notus et l'Eurus, fier de ses chevaux venant de l'Aurore ; les forêts sifflent ; et tout couvert d'écume, armé de son trident, Nérée se déchaîne et du fond de l'abîme soulève les flots. |
2, 415 |
Illi etiam, si quos obscura nocte per umbram fudimus insidiis totaque agitauimus urbe, apparent ; primi clipeos mentitaque tela adgnoscunt, atque ora sono discordia signant. Ilicet obruimur numero ; primusque Coroebus |
Et ces hommes, que notre ruse avait mis en fuite et dispersés dans toute la ville à la faveur de l'ombre d'une nuit obscure, voilà qu'ils reparaissent : les premiers, ils reconnaissent les boucliers et les armes trompeuses, ils remarquent nos voix à l'accent discordant. Aussitôt, nous sommes écrasés sous le nombre. Corèbe, le premier, |
2, 420 |
Penelei dextra diuae armipotentis ad aram procumbit ; cadit et Rhipeus, iustissimus unus qui fuit in Teucris et seruantissimus aequi : dis aliter uisum ; pereunt Hypanisque Dymasque confixi a sociis ; nec te tua plurima, Panthu, |
succombe de la main de Pénélée, près de l'autel de la déesse, la puissante guerrière ; Rhipée tombe aussi, qui fut juste entre tous, et le plus grand serviteur de l'équité parmi les Troyens ! Les dieux en ont jugé autrement ! Hypanis et Dymas périrent aussi, transpercés par des compagnons d'armes ; et toi, Panthus, dans ta chute, |
2, 425 |
labentem pietas nec Apollinis infula texit.
Iliaci cineres et flamma extrema meorum, testor, in occasu uestro nec tela nec ullas uitauisse uices Danaum, et, si fata fuissent ut caderem, meruisse manu. Diuellimur inde, |
ni ton immense piété ni ton bandeau de prêtre d'Apollon ne t'ont protégé.
Cendres d'Ilion, ultimes flammes de mes proches, je l'atteste : lors de votre chute, je n'ai évité aucun trait, aucun risque des Grecs, et si tel avait été mon destin, j'aurais mérité de tomber sous leur main. Nous nous arrachons de là, |
2, 430 |
Iphitus et Pelias mecum, quorum Iphitus aeuo iam grauior, Pelias et uolnere tardus Vlixi ; protinus ad sedes Priami clamore uocati. |
Iphitus et Pélias et moi, Iphitus, un peu lourd déjà, vu son âge, et Pélias, ralenti par un coup que lui avait porté Ulysse. Des cris nous conduisent tout droit au palais de Priam. |
2, 435 |
Notes (2, 268-437)
Hector (2, 270). Cfr 1, 6n ; 1, 98n ; 1, 483-487n.
ses objets sacrés et ses Pénates (2, 293). Cfr 1, 6n ; 1, 67n ; 1, 292n.
Vesta (2, 296). Cfr 1, 292. Dans les versions de la légende antérieures à Virgile, Énée emporte bien de Troie des dieux ancestraux que les Romains appellent volontiers Pénates, mais il n'est jamais question de Vesta. Ce motif semble être une création de Virgile, soucieux d'enraciner dans le plus ancien passé romain une divinité pour laquelle Auguste avait une vénération particulière et qui passait d'ailleurs pour garantir la pérennité de Rome. D'où l'évocation de la flamme éternelle de Vesta. On sait que les Vestales avaient la garde du feu sacré sur lequel elles devaient veiller.
père Anchise (2, 299-300). Cfr 1, 617.
Lorsque des flammes... (2, 303-308). Comparaisons librement inspirées d'Homère : « Quand le feu destructeur à la cime d'un mont embrase une immense forêt, sa clarté brille au loin » (Iliade, 2, 455-456) ; « Tels des torrents, dévalant du haut des montagnes, au confluent de deux vallées, réunissent leurs eaux puissantes, jaillies de sources copieuses dans le fond d'un ravin creux - et le berger dans la montagne en perçoit le fracas au loin » (Iliade, 4, 452-455) ; « Ainsi l'on voit s'abattre sur un bois épais un feu destructeur, que le vent tourbillonnant va portant dans tous les sens ; les fûts alors, de haut en bas, tombent sous l'élan pressant de la flamme » (Iliade, 11, 155-157).
Déiphobe (2, 310). Un des fils de Priam et d'Hécube, qui épousa Hélène après la mort de Pâris à Troie. Une fois la ville prise, Hélène le livra aux Grecs. Son ombre aux enfers racontera à Énée les circonstances de sa mort (6, 494-546).
Vulcain (2, 311). C'est-à-dire le feu, personnifié parVulcain, le dieu du feu. Cfr notamment en 7, 77 la description de Lavinia dont la chevelure en feu « répand Vulcain dans toute la demeure ».
Ucalégon (2, 311-312). Cité ici seulement par Virgile. Pour Homère (Iliade, 3, 148), Oucalégon est un des sages vieillards, qui entourent Priam près des portes Scées et qui contemplent les combats des Grecs et des Troyens. Le nom sera repris par Juvénal (Satires, 3, 199) dans un récit d'incendie.
Sigée (2, 312). Le Cap Sigée est un promontoire du nord-ouest de la Troade. Cfr 7, 294.
Panthus (2, 319). Panthoos est cité aussi par Homère (Iliade, 3, 146) parmi les vieillards entourant Priam. Virgile lui attribue un père inconnu d'Homère et en fait un prêtre de Phébus-Apollon, qui ne sera pas sauvé par sa piété (2, 429).
tirant aussi ... (2, 320). La description évoque la situation d'Énée lui-même, à la fin du chant 2.
Argos (2, 326-327). Comme on l'a vu à plusieurs reprises déjà (cfr par exemple 1, 24), cette ville symbolise les Grecs en général.
Othryade (2, 336). Le fils d'Othrys, c'est-à-dire Panthus mentionné quelques vers plus haut (en 2, 318-319).
Érinye (2, 337-338). Les Érinyes (ou Furies), appelées aussi Euménides (« Bienveillantes ») par antiphrase ou pour éviter de les mécontenter, sont des divinités infernales, généralement au nombre de trois : Allecto, Mégère et Tisiphone ; on les retrouvera en divers passages de l'Énéide : par exemple en 6, 570-571 pour Tisiphone ; en 7, 324 et suivants pour Allecto (voir la note ad locum) ; en 12, 846 pour Mégère. Il n'est pas rare qu'elles interviennent en tant que déesses de la vengeance, en particulier pour châtier les crimes contre la famille. Dans le présent contexte, le nom d'Érinye pourrait symboliser le désir de vengeance d'Énée. Appliqué à Hélène en 2, 573, il évoquera plutôt un être maléfique.
Rhipée (2, 339). Ce personnage semble inconnu avant Virgile et interviendra encore dans le récit en 2, 394 et en 2, 426 (« Rhipée, qui fut juste entre tous, et, parmi les Troyens, le plus grand serviteur de l'équité ! »). Ovide (Mét., 12, 352) en fera le nom d'un centaure. L'origine du mot est peut-être géographique : il existait en effet des monts Riphées en Scythie.
Épytus (2, 339-340). Cité uniquement ici dans l'Énéide et lui aussi inconnu avant Virgile. On trouve toutefois un Épytidès, « gouverneur et compagnon du jeune Ascagne », en 5, 547 et 5, 579.
Hypanis (2, 340). Cité aussi avec Dymas en 2, 428, Hypanis est inconnu avant Virgile.
Dymas (2, 340). Cité aussi avec Rhipée en 2, 394 et avec Hypanis en 2, 428, Dymas pourrait devoir son nom chez Virgile à celui du père d'Hécube (Iliade, 16, 718).
Corèbe, fils de Mygdon (2, 341). Mygdon, roi de Phrygie, qui avait été soutenu par Priam contre les Amazones, envoya son fils Corèbe au secours de Troie, quand elle fut assiégée. Chez Homère (Iliade, 13, 363), l'amoureux de Cassandre est Othryonée, un vantard plutôt déplaisant. On retrouvera Corèbe à trois reprises encore dans le livre 2 (2, 386 ; 2, 407 ; 2, 424). Selon J. Perret, Virgile. Énéide, I, 1981, p. 51, n. 1, Corèbe est « caractérisé plutôt de façon pitoyable comme celui qui embrasse une cause décidément perdue. Virgile n'a voulu retenir que la ferveur de son amour ».
Cassandre (2, 342-345). Cfr 2, 246. On la retrouvera en 2, 404 ; 3, 183, 3,187 ; 5, 636 ; 10, 68.
ont quitté les sanctuaires (2, 352). Les anciens croyaient que les dieux étaient susceptibles, dans certaines conditions, d'abandonner une ville qu'ils avaient protégée. Quinte-Curce (4, 3, 22) par exemple raconte qu'à Tyr, assiégée par Alexandre, on avait enchaîné la statue d'Apollon avec une chaîne d'or pour l'empêcher de partir.
Androgée (2, 371). Ce Grec, qui n'intervient que dans le livre 2 de l'Énéide, porte le même nom que le fils de Minos et de Pasiphaé, cité par Virgile en 6, 20, avec qui il ne faut pas le confondre. Ce guerrier grec périra victime de sa méprise (2, 382-384), et sera dépouillé de ses armes par Corèbe (2, 392-393).
Rhipée et aussi Dymas (2, 394). Cfr 2, 339-340.
sous des dieux qui ne sont pas les nôtres (2, 396). C'est la traduction de J. Perret, qui la justifie de la manière suivante : « L'expression semble en rapport avec le déguisement décrit aux vers précédents : les armes n'apportent pas seulement la protection de leur métal ; elles sont chargées d'une vertu surnaturelle, liées à tel possesseur, à tel protecteur divin. C'est pourquoi il est généralement très périlleux de se revêtir des armes d'autrui ; les dieux y voient à leur égard une sorte de fraude qu'ils ne tolèrent pas longtemps » (J. Perret, Virgile. Énéide, I, 1981, p. 162).
Orcus (2, 398). « Nom d'une divinité infernale, et, par extension, des Enfers, puis de la mort chez les anciens Romains » (M. Rat). Cfr 4, 242 ; 4, 699 ; 6, 273 ; 8, 296 ; 9, 527 ; 9, 785.
Minerve (2, 403). Celui de Pallas-Athéna, « la cruelle Tritonienne », qui s'élevait dans la citadelle et où étaient allés se cacher les deux serpents meurtriers de Laocoon et ses fils. Cfr 2, 31 ; 2, 226-227. Cassandre avait cru pouvoir y trouver refuge et protection. Dans l'antiquité en effet, certains temples (pas nécessairement tous) étaient considérés comme des lieux d'asile. En principe l'asile conférait à celui qui s'y était réfugié une inviolabilité temporaire, aussi longtemps qu'il restait dans l'enceinte sacrée. Peut-être à l'origine, tous les temples fonctionnaient-ils comme des lieux d'asile, mais il n'en fut plus de même dans la suite : ce droit ne fut plus accordé qu'à quelques sanctuaires. Virgile reviendra sur cette notion d'asile en 2, 761, à propos du temple de Junon à Troie.
Cassandre (2, 404). Cfr 2, 246-247et 10, 68.
Corèbe (2, 407). Cfr 2, 341.
trompés par l'aspect... (2, 412). Suite à la manoeuvre proposée par Corèbe en 2, 386ss.
Ajax (2, 414). Cfr 1, 39-45.
Atrides (2, 415). Agamemnon et Ménélas. Cfr 1, 458 et 2, 104.
Dolopes (2, 415). Cfr 2, 7 et 2, 29.
Zéphyr... Notus ... Eurus (2, 417). Sur ces vents, cfr 1, 84-86 et 1, 131.
Aurore (2, 417). L'Eurus, vent du sud-est, est traîné par des chevaux venant de l'Orient, c'est-à-dire du côté de l'Aurore. Il ne s'agit évidemment pas des chevaux qui tirent le char du Soleil, mais de ceux qui tirent le char de l'Eurus auroral. Horace (Odes, IV, 4, 44) fera lui aussi allusion aux chevaux de l'Eurus. Euripide (Phéniciennes, 218) évoque de même le char du Zéphyr.
Nérée (2, 419). Dieu marin, père des cinquante Néréides, dont faisait partie la célèbre Thétis, mère d'Achille (cfr aussi 8, 383 et 10, 764). Symbole de la mer bienfaisante, il était généralement représenté comme un vieillard chenu, armé d'un trident et d'un sceptre ; il avait parfois une queue de poisson.
Pénélée (2, 425). Cité uniquement ici dans l'Énéide. Homère (Iliade, 2, 494) signale un Pénélée, chef des Béotiens, qui, selon Pausanias (9, 5, 15), aurait péri sous les murs de Troie.
la déesse (2, 425-426). Pallas-Athéna, la Tritonienne, en latin Minerve.
Rhipée (2, 426-427). Cfr 2, 339 et 2, 394. L'éloge de Virgile valut à Rhipée de figurer parmi les justes, dans le Paradis de Dante.
Hypanis et Dymas (2, 428). Cfr 2, 340 et 2, 394.
Panthus... Apollon... (2, 429-430). Panthus était prêtre d'Apollon (cfr 2, 319-321 et 2, 336).
Iphitus (2, 435). Le personnage n'est cité qu'ici dans l'Énéide. Plusieurs guerriers de ce nom apparaissent chez Homère.
Pélias (2, 435-436). Le personnage n'est cité qu'ici dans l'Énéide. Ce nom est porté dans la mythologie par le fils de Neptune et de Tyro.
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