Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant VII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante


ÉNÉIDE, LIVRE VII

 

 ARRIVÉE AU LATIUM - MENACE DE GUERRE

Intervention de Junon (4) : Allecto chez les bergers du Latium (7, 475-539)

 

Allecto provoque un casus belli : un Troyen blesse un cerf apprivoisé par des Latins (7, 475-504)

Allecto poursuit son oeuvre en provoquant un casus belli entre les Troyens et les paysans du Latium. Elle pousse le Troyen Iule-Ascagne à blesser à la chasse un cerf apprivoisé par la famille du maître des troupeaux royaux. Cet incident met le feu aux poudres.

Dum Turnus Rutulos animis audacibus implet,

Allecto in Teucros Stygiis se concitat alis,

arte noua speculata locum, quo litore pulcher

insidiis cursuque feras agitabat Iulus.

Hic subitam canibus rabiem Cocytia uirgo

Tandis que Turnus emplit les Rutules de sentiments audacieux,

Allecto s'empresse de joindre les Troyens sur ses ailes stygiennes.

Usant d'une nouvelle ruse, elle a observé sur le rivage un endroit

où le beau Iule chassait les fauves, les poursuivant et tendant des pièges. 

À ce moment, la vierge du Cocyte insuffla aux chiens du chasseur

7, 475

obicit et noto naris contingit odore,

ut ceruum ardentes agerent ; quae prima laborum

causa fuit belloque animos accendit agrestis.

 

Ceruus erat forma praestanti et cornibus ingens,

Tyrrhidae pueri quem matris ab ubere raptum

une rage soudaine, flattant leurs narines d'une odeur familière,

pour les exciter à poursuivre un cerf. Ce fut le début des épreuves,

la cause qui alluma dans les âmes des paysans le feu de la guerre.

 

Un cerf de belle prestance, aux cornes majestueuses était là ;

les enfants de Tyrrhus l'avaient enlevé au sein de sa mère,

7, 480

nutribant Tyrrhusque pater, cui regia parent

armenta et late custodia credita campi.

Adsuetum imperiis soror omni Siluia cura

mollibus intexens ornabat cornua sertis

pectebatque ferum puroque in fonte lauabat.

et l'élevaient, aidés de leur père Tyrrhus, maître des troupeaux du roi,

chargé aussi de la surveillance de ses vastes domaines.

Le cerf était apprivoisé ; la petite Silvia avec grand soin

lui ornait les cornes, les entrelaçant de souples guirlandes ;

elle brossait son pelage fauve, le baignait à une source claire.

7, 485

Ille, manum patiens mensaeque adsuetus erili,

errabat siluis rursusque ad limina nota

ipse domum sera quamuis se nocte ferebat.

Hunc procul errantem rabidae uenantis Iuli

commouere canes, fluuio cum forte secundo

Il se laissait caresser, habitué à la table de ses maîtres ;

il errait dans les forêts et, se retrouvant près de l'entrée familière,

il rentrait de lui-même au logis, même dans la nuit avancée.

Un jour où il s'était éloigné, les chiennes enragées du chasseur Iule

relancèrent l'animal qui s'était laissé porter par le courant

7, 490

deflueret ripaque aestus uiridante leuaret.

Ipse etiam, eximiae laudis succensus amore,

Ascanius curuo direxit spicula cornu ;

nec dextrae erranti deus afuit, actaque multo

perque uterum sonitu perque ilia uenit harundo.

et sur la rive verdoyante s'abritait de la chaleur.

Ascagne aussi, enflammé par le désir d'une gloire éclatante,

banda son arc recourbé et lança des traits.

La divinité ne s'abstint pas de guider sa main hésitante :

une flèche, à grand bruit, transperça le ventre et les flancs de l'animal.

7, 495

Saucius at quadrupes nota intra tecta refugit

successitque gemens stabulis questuque cruentus

atque imploranti similis tectum omne replebat.

Siluia prima soror, palmis percussa lacertos,

auxilium uocat et duros conclamat agrestis.

Le cerf blessé trouve refuge dans la maison familière ;

il se glisse gémissant dans l'étable et, tout couvert de sang,

tel un suppliant, il emplissait de ses plaintes toute la demeure .

La première, Silvia, la soeur, se frappe les bras et les mains,

appelle à l'aide et à grands cris ameute les rudes paysans.

7, 500

 

Les  bergers  se muent en guerriers (7, 505-539)

Les bergers, à l'appel de Tyrrhus, se rassemblent, faisant arme de tout bois. Au signal de ralliement sonné par Allecto, le pays entier s'implique. Dans le camp troyen aussi, la guerre se prépare. Les premières victimes tombent.

Olli, pestis enim tacitis latet aspera siluis,

inprouisi adsunt, hic torre armatus obusto,

stipitis hic grauidi nodis ; quod cuique repertum

rimanti, telum ira facit. Vocat agmina Tyrrhus,

quadrifidam quercum cuneis ut forte coactis

Ces hommes, l'âpre peste étant tapie dans la forêt silencieuse

arrivent sur le champ : l'un est armé d'un tison durci au feu,

un autre d'un lourd bâton noueux : de tout objet à portée de main,

leur colère en fait une arme. Tyrrhus convoque ses hommes :

occupé justement  à fendre en quatre un chêne ,

7, 505

scindebat, rapta spirans immane securi.

At saeua e speculis tempus dea nacta nocendi

ardua tecta petit stabuli et de culmine summo

pastorale canit signum cornuque recuruo

Tartaream intendit uocem, qua protinus omne

à l'aide de coins, il avait saisi sa hache, soufflant sauvagement.

Mais la déesse cruelle, aux aguets, trouve l'occasion de nuire :

elle fonce vers le toit d'une étable, et du haut du faîte,

entonne le signal de ralliement des bergers,

et sa trompe recourbée enfle sa voix tartaréenne, qui aussitôt

7, 510

contremuit nemus et siluae insonuere profundae ;

audiit et Triuiae longe lacus, audiit amnis

sulfurea Nar albus aqua fontesque Velini,

et trepidae matres pressere ad pectora natos.

Tum uero ad uocem celeres, qua bucina signum

fait trembler tout le bois et retentir les forêts profondes ;

de loin, le lac de Diane Trivia l'a entendue, et aussi

le Nar blanc, le fleuve de soufre, et même les sources du Vélin.

Les mères tremblantes ont serré leurs enfants sur leurs coeurs.

Alors, prompts à réagir au signal de l'âpre trompette,

7, 515

dira dedit, raptis concurrunt undique telis

indomiti agricolae ; nec non et Troia pubes

Ascanio auxilium castris effundit apertis.

Direxere acies. Non iam certamine agresti,

stipitibus duris agitur sudibusue praeustis,

les paysans farouches saisissent leurs armes

et accourent de partout ; et les jeunes Troyens aussi,

ouvrent leur camp et en masse portent secours à Ascagne.

On aligne les troupes. Il ne s'agit plus désormais de paysans

qui s'affrontent avec de lourds bâtons ou des pieux durcis au feu.

7, 520

sed ferro ancipiti decernunt atraque late

horrescit strictis seges ensibus aeraque fulgent

sole lacessita et lucem sub nubila iactant ;

fluctus uti primo coepit cum albescere uento,

paulatim sese tollit mare et altius undas

On se bat avec des fers à double tranchant et, à perte de vue,

 la sombre moisson se hérisse d'épées brandies ; l'airain étincelle,

frappé par le soleil, les armes lancent leur éclairs vers les nuages :

ainsi, au premier souffle de vent, les vagues commencent à blanchir ;

la mer peu à peu se soulève, faisant surgir d'énormes vagues,

7, 525

erigit, inde imo consurgit ad aethera fundo.

Hic iuuenis primam ante aciem stridente sagitta,

natorum Tyrrhi fuerat qui maximus, Almo,

sternitur ; haesit enim sub gutture uolnus et udae

uocis iter tenuemque inclusit sanguine uitam.

et du plus profond de l'abîme elle se dresse vers le ciel.

Voici qu'au premier rang, frappé par une flèche stridente,

le jeune Almon, l'aîné des enfants de Tyrrhus, est abattu ;

le trait reste fiché au fond de sa gorge et a noyé de sang

le canal humide de sa voix et le faible souffle de sa vie.

7, 530

Corpora multa uirum circa seniorque Galaesus,

dum paci medium se offert, iustissimus unus

qui fuit Ausoniisque olim ditissimus aruis ;

quinque greges illi balantum, quina redibant

armenta, et terram centum uertebat aratris.

Alentour nombreux gisent des corps de guerriers, et parmi eux,

le vieux Galèse tandis qu'il s'offre pour faire la paix ;

juste entre tous, il était le plus riche dans les campagnes d'Ausonie :

il possédait cinq troupeaux de brebis ; dans ses étables rentraient

cinq troupeaux de boeufs, et cent charrues retournaient ses terres.

7, 535

Page suivante


 

Notes (7, 475-539)

Stygiennes (7, 476). Stygiennes, c'est-à-dire infernales, le Styx étant un des fleuves des enfers (cfr 6, 154 et 6, 439).

Cocyte (7, 479). Autre fleuve des enfers (cfr 6, 132 ; 6, 297 ; 6, 323).

Tyrrhus (7, 484-5). Comme l'indique la suite du texte, ce personnage, dont le nom semble une création virgilienne, était donc le maître des troupeaux de Latinus, chargé de la surveillance générale de la zone. On songe au Faustulus de la légende de Romulus et de Rémus.

Silvia (7, 487). C'était la fille de Tyrrhus. Le nom que Virgile lui a donné renvoie à la préhistoire albaine de Rome (Réa Silvia et tous les autres membres de la gens Siluia).

Divinité (7, 498). Il s'agit d'Allecto ou de Junon.

Se frapper (7, 503). C'est ainsi que les Anciens manifestaient leur douleur.

Lac de Diane Trivia (7, 516). Diane, déesse italique des bois et de la nature, également protectrice des femmes, était identifiée à l'Artémis grecque. Un de ses sanctuaires importants se trouvait à Aricie, dans les monts Albains, sur les rives du lac de Némi, que l'on appelait « le miroir de Diane ». L'épiclèse Trivia, utilisée ici par Virgile, est secondaire : elle vient des rapports qui furent établis à une certaine époque entre Diane et Hécate, une déesse complexe, perçue comme une magicienne, présidant à ce titre aux carrefours (trivia) et souvent représentée avec trois corps ou trois têtes.

Nar blanc (7, 517). Le Nar (auj. Nera) est une rivière de Sabine, aux eaux blanches et sulfureuses. Elle se jette dans le Tibre après avoir reçu comme affluent le Vélin (auj. Velino) qui prend sa source dans la province actuelle d'Aquila.

Ainsi (7, 528). Comparaison imitée d'Homère (IIiade, 4, 422-426) et qu'on trouve aussi dans les Géorg., 3, 237ss.

Almon (7, 532). Ce frère aîné de Silvia porte le nom d'un petit ruisseau, l'Almon (auj. Aquataccio), qui se jette dans le Tibre au sud de Rome.

Galèse (7, 536). Ici encore ce personnage, riche et pacifique, porte le nom d'un cours d'eau, le Galesus (auj. Galeso) étant un fleuve côtier du golfe de Tarente.


Énéide - Chant VII (Plan) - Page précédente - Page suivante

Bibliotheca Classica Selecta - UCL (FLTR)