Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant VI (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE VI
LA DESCENTE AUX ENFERS
Damnés et bienheureux (6, 548-678)
Le Tartare, ses occupants et leurs châtiments (6, 548-627)
Énée aperçoit alors une sorte de bastion puissamment fortifié, gardé par Tisiphone, d'où l'on entend gémir des suppliciés ; le héros intrigué interroge la prêtresse sur la nature des crimes commis et sur leurs châtiments (6, 548-561).
La Sibylle, en tant que prêtresse d'Hécate, connaît bien le Tartare et le lui décrit, car le lieu est inaccessible à Énée. Les coupables, jugés par Rhadamanthe, y sont châtiés par Tisiphone, qui garde les portes ouvrant sur les profondeurs du Tartare qui s'enfonce sous la terre (6, 562-579).
La Sibylle énumère ensuite une série de grands coupables de la mythologie, en décrivant leurs crimes et leurs supplices : les Titans, les Aloïdes, Salmonée, Tityos, les Lapithes avec Ixion et Pirithoüs (6, 580-607).
Vient ensuite la description des damnés anonymes, illustrant les vices courants des humains, à Rome en particulier, et subissant les mêmes supplices que les damnés mythologiques (6, 608-627).
Respicit Aeneas subito, et sub rupe sinistra moenia lata uidet, triplici circumdata muro, |
Énée se retourne soudain, et au pied de la roche, sur la gauche, aperçoit de larges bâtisses ceintes d'une triple muraille ; |
|
quae rapidus flammis ambit torrentibus amnis, Tartareus Phlegethon, torquetque sonantia saxa. Porta aduersa ingens, solidoque adamante columnae, uis ut nulla uirum, non ipsi exscindere bello caelicolae ualeant ; stat ferrea turris ad auras, |
dans un torrent de flammes, un fleuve rapide les entoure, le Phlégéthon du Tartare, qui charrie des rocs avec fracas. Devant eux se dresse une porte énorme, aux solides colonnes d'acier : aucune force humaine, les dieux du ciel mêmes ne réussiraient à les détruire dans une guerre; une tour de fer s'élève dans les airs, |
6, 550 |
Tisiphoneque sedens, palla succincta cruenta, uestibulum exsomnis seruat noctesque diesque, Hinc exaudiri gemitus, et saeua sonare uerbera ; tum stridor ferri, tractaeque catenae. Constitit Aeneas, strepitumque exterritus hausit. |
et
Tisiphone, ayant
retroussé sa robe toute tachée de sang, est assise et garde l'entrée, sans fermer l'oeil, ni la nuit, ni le jour. De là on entend des gémissements et de cruels claquements de fouets ainsi que des grincements de fer et des chaînes que l'on traîne. Énée s'arrête et est submergé par ce vacarme qui l'effraie : |
6, 555 |
« Quae scelerum facies, O uirgo, effare ; quibusue urguentur poenis ? Quis tantus plangor ad auras ? » Tum uates sic orsa loqui : « Dux inclute Teucrum, nulli fas casto sceleratum insistere limen ; sed me cum lucis Hecate praefecit Auernis, |
« De quels crimes s'agit-il ? Parle, ô vierge ;
de quelles peines sont-ils accablés ? Quels sont ces coups si forts qui s'élèvent ? » Alors la prophétesse prit la parole : « Illustre chef des Teucères, |
6, 560 |
ipsa deum poenas docuit, perque omnia duxit. Gnosius haec Rhadamanthus habet, durissima regna, castigatque auditque dolos, subigitque fateri, quae quis apud superos, furto laetatus inani, distulit in seram commissa piacula mortem. |
m'a instruite des châtiments
fixés par les dieux, et m'a menée partout. Rhadamanthe de Cnosse règne sur ces royaumes impitoyables ; il châtie, instruit les crimes cachés et pousse aux aveux celui qui, tout heureux sur terre d'un vain forfait, a reporté l'expiation requise à l'heure lointaine de la mort. |
|
Continuo sontes ultrix accincta flagello Tisiphone quatit insultans, toruosque sinistra intentans angues uocat agmina saeua sororum. Tum demum horrisono stridentes cardine sacrae panduntur portae. Cernis custodia qualis |
Aussitôt, Tisiphone,
la vengeresse, munie d'un fouet, saute sur les coupables, les frappe et, brandissant en sa main gauche des serpents menaçants, elle appelle la troupe cruelle de ses soeurs. Alors finalement, grinçant horriblement sur leurs gonds, les portes maudites s'ouvrent. Tu vois la sentinelle |
6, 570 |
uestibulo sedeat, facies quae limina seruet ? Quinquaginta atris immanis hiatibus Hydra saeuior intus habet sedem. Tum Tartarus ipse bis patet in praeceps tantum tenditque sub umbras, quantus ad aetherium caeli suspectus Olympum. |
qui siège dans le
vestibule, la figure qui surveille l'entrée ? Une hydre énorme, pourvue de cinquante gueules noires, monstre plus cruel encore, siège à l'intérieur. Alors s'ouvre le vrai Tartare, qui s'enfonce sous les ombres deux fois autant que ne le suggère la vue du ciel s'élevant vers l'Olympe éthéré. |
6, 575 |
Hic genus antiquum Terrae, Titania pubes, fulmine deiecti fundo uoluuntur in imo. Hic et Aloidas geminos immania uidi corpora, qui manibus magnum rescindere caelum adgressi, superisque Iouem detrudere regnis. |
C'est ici que
l'antique race née de la Terre, le peuple des
Titans abattus par la foudre, roule tout au fond de l'abîme. Ici j'ai vu les deux Aloïdes, aux corps démesurés, qui avaient entrepris d'ouvrir de leurs mains le domaine du vaste ciel et d'expulser Jupiter du royaume céleste. |
|
Vidi et crudeles dantem Salmonea poenas, dum flammas Iouis et sonitus imitatur Olympi. Quattuor hic inuectus equis et lampada quassans per Graium populos mediaeque per Elidis urbem ibat ouans, diuomque sibi poscebat honorem, |
J'ai vu aussi
Salmonée, subissant un cruel châtiment tandis qu'il imitait les feux de Jupiter et le fracas de l'Olympe. Tiré par quatre chevaux et agitant une torche, Salmonée traversait les peuples de Grèce et sa ville au centre de l'Élide, allant tel un triomphateur et réclamant pour lui les honneurs divins ; |
6, 585 |
demens, qui nimbos et non imitabile fulmen aere et cornipedum pulsu simularet equorum. At pater omnipotens densa inter nubila telum contorsit, ‒ non ille faces nec fumea taedis lumina ‒ , praecipitemque immani turbine adegit. |
l'insensé
prétendait simuler l'orage et l'inimitable foudre avec du bronze et la poussée des sabots de ses chevaux. Mais le père tout-puissant, à travers l'épaisseur des nuages, lança un trait ‒ ce n'était pas des torches ni des flambeaux fumeux ‒, et le précipita dans le vide dans un immense tourbillon. |
6, 590 |
Nec non et Tityon, Terrae omniparentis alumnum, cernere erat, per tota nouem cui iubera corpus porrigitur, rostroque immanis uoltur obunco immortale iecur tondens fecundaque poenis uiscera, rimaturque epulis, habitatque sub alto |
On pouvait voir
aussi le nourrisson de la Terre, mère universelle, Tityos, dont le corps s'étend sur une longueur de neuf arpents ; un énorme vautour dévore de son bec crochu le foie immortel et pour sa pâture fouille ces entrailles fécondes en supplices ; il est installé à demeure sous la haute poitrine du géant, |
|
pectore, nec fibris requies datur ulla renatis. Quid memorem Lapithas, Ixiona Pirithoumque ? Quos super atra silex iam iam lapsura cadentique imminet adsimilis ; lucent genialibus altis aurea fulcra toris, epulaeque ante ora paratae |
sans laisser le moindre répit au foie qui renaît sans fin. Pourquoi évoquer les Lapithes, Ixion et Pirithoüs ? Au-dessus d'eux, un noir rocher, toujours prêt à glisser, les menace, sembant tomber. Sur de hauts lits de fête brillent des accoudoirs d'or, et sous les yeux des damnés |
6, 600 |
regifico luxu ; Furiarum maxima iuxta accubat, et manibus prohibet contingere mensas, exsurgitque facem attollens, atque intonat ore.
Hic, quibus inuisi fratres, dum uita manebat, pulsatusue parens, et fraus innexa clienti, |
s'étalent des mets dignes de rois ;
mais tout près est couchée l'aînée des Furies, qui se dresse en brandissant sa torche et, de sa voix tonitruante les empêche de mettre la main sur les tables.
Ici on trouve ceux qui, leur vie durant, ont haï leurs frères, ou maltraité un père ou abusé de la confiance d'un client ; |
6, 605 |
aut qui diuitiis soli incubuere repertis, nec partem posuere suis quae maxima turba est, quique ob adulterium caesi, quique arma secuti impia nec ueriti dominorum fallere dextras, inclusi poenam exspectant. Ne quaere doceri |
tous ceux, et ce
sont les plus nombreux, qui ont amassé un trésor et l'ont couvé pour eux seuls, sans rien en réserver à leurs proches ; ceux qui furent tués pour cause d'adultère, ceux qui ont participé à des guerres impies, sans crainte de trahir la foi donnée à leurs maîtres : prisonniers, ils attendent leur punition. Ne cherche pas à connaître |
6, 610 |
quam poenam, aut quae forma uiros fortunaue mersit. Saxum ingens uoluunt alii, radiisque rotarum districti pendent ; sedet, aeternumque sedebit, infelix Theseus ; Phlegyasque miserrimus omnis admonet, et magna testatur uoce per umbras : |
quel châtiment,
quel type de crime ou quel sort ont perdu ces hommes. Certains roulent une énorme pierre ; d'autres sont suspendus, écartelés sur les rayons d'une roue ; l'infortuné Thésée est assis, et le restera éternellement. Phlégyas, le plus malheureux, les avertit tous et témoigne à haute voix parmi les ombres : |
6, 615 |
ʻ Discite iustitiam moniti, et non temnere diuos. ʼ Vendidit hic auro patriam, dominumque potentem imposuit ; fixit leges pretio atque refixit ; hic thalamum inuasit natae uetitosque hymenaeos ; ausi omnes immane nefas, ausoque potiti. |
ʻ Vous
êtes avertis, apprenez la justice et le respect des dieux ʼ. L'un pour de l'or a vendu sa patrie et l'a soumise à un maître puissant ; il a fixé ou aboli des lois à prix d'argent ; tel autre a investi la couche de sa fille, pour des noces interdites : tous ont osé un sacrilège monstrueux et joui du fruit de leur audace. |
6, 620 |
Non, mihi si linguae centum sint oraque centum, ferrea uox, omnis scelerum comprendere formas, omnia poenarum percurrere nomina possim. » |
Non, même si je disposais
de cent langues et de cent bouches, si ma voix était de fer, toutes les formes de crimes je ne pourrais les décrire ni citer les noms de toute la liste des supplices. » |
6, 625 |
Les bienheureux (6, 628-678)
La prêtresse pousse Énée à poursuivre sa route, lui montrant l'endroit où il doit déposer le rameau d'or, à l'entrée de l'Élysée (6, 628-636).
Ils parviennent dans un lieu très agréable, où les bienheureux s'adonnent dans la paix, à des jeux, à des danses et à des chants, tels le poète Orphée et les fondateurs de la race troyenne. Ils rencontrent ensuite des anonymes, récompensés pour leurs mérites et leurs vertus : soldats, prêtres, poètes et artistes (6, 637-665).
À la Sibylle qui demande où se trouve Anchise, le poète Musée donne quelques détails sur la vie en ces lieux, puis leur indique la voie à suivre (666-678).
Haec ubi dicta dedit Phoebi longaeua sacerdos : « Sed iam age, carpe uiam et susceptum perfice munus ; |
Après ce discours,
la vieille prêtresse de Phébus reprend : « Mais, maintenant, allons, en route, et achève la mission entreprise ; |
|
adceleremus » ait ; « Cyclopum educta caminis moenia conspicio atque aduerso fornice portas, haec ubi nos praecepta iubent deponere dona. » Dixerat et pariter gressi per opaca uiarum, corripiunt spatium medium, foribusque propinquant. |
pressons le pas. J'aperçois les murs
élevés dans les forges des Cyclopes et, devant nous les portes cintrées où les ordres nous prescrivent de déposer cette offrande. » Elle avait parlé et, s'avançant d'un même pas sur le chemin obscur, ils parcourent rapidement l'intervalle et s'approchent de l'entrée. |
6, 630 |
Occupat Aeneas aditum, corpusque recenti spargit aqua, ramumque aduerso in limine figit.
His demum exactis, perfecto munere diuae, deuenere locos laetos et amoena uirecta fortunatorum nemorum sedesque beatas. |
Énée franchit le
premier l'entrée, s'asperge d'eau fraîche et sur la porte qui lui fait face il fixe le rameau d'or.
Enfin, cela fait, l'hommage à la déesse dûment rempli, ils parviennent aux lieux plaisants, aux aimables prairies des bois fortunés et aux demeures bienheureuses. |
6, 635 |
Largior hic campos aether et lumine uestit purpureo, solemque suum, sua sidera norunt. Pars in gramineis exercent membra palaestris, contendunt ludo et fulua luctantur harena ; pars pedibus plaudunt choreas et carmina dicunt. |
Ici,
un éther très
vaste éclaire ces plaines de lumière pourpre, les occupants y connaissent leur propre soleil et leurs astres. Les uns exercent leurs corps sur des palestres de gazon, s'affrontent dans des jeux et des luttes sur le sable fauve ; d'autres rythment du pied des choeurs et chantent des poèmes. |
6, 640 |
Nec non Threicius longa cum ueste sacerdos obloquitur numeris septem discrimina uocum, iamque eadem digitis, iam pectine pulsat eburno. Hic genus antiquum Teucri, pulcherrima proles, magnanimi heroes, nati melioribus annis, |
Et même voici le
prêtre de Thrace, revêtu d'une longue robe, qui chante en cadence, faisant vibrer les sept notes de sa lyre, tantôt avec ses doigts, tantôt avec son plectre d'ivoire. Voici l'antique race de Teucer, descendance magnifique, |
6, 645 |
Ilusque Assaracusque et Troiae Dardanus auctor. Arma procul currusque uirum miratur inanes. Stant terra defixae hastae, passimque soluti per campum pascuntur equi. Quae gratia currum armorumque fuit uiuis, quae cura nitentis |
Ilus et
Assaracus et
Dardanus, le fondateur de Troie. Au loin on aperçoit les armes des guerriers et leurs chars vides. Des javelots se dressent fichés dans la terre, des chevaux non attelés paissent dispersés dans la plaine. Ce charme des chars et des armes, qu'ils ont éprouvé de leur vivant, ce soin à élever de brillants chevaux |
6, 650 |
pascere equos, eadem sequitur tellure repostos. Conspicit, ecce, alios dextra laeuaque per herbam uescentis, laetumque choro paeana canentis inter odoratum lauri nemus, unde superne plurimus Eridani per siluam uoluitur amnis. |
subsistent intacts
et les suivent, après qu'ils leur mise en
terre. Voilà qu' Énée en aperçoit d'autres à droite et à gauche, mangeant dans l'herbe et chantant en choeur un joyeux péan, au milieu d'un bois de lauriers parfumés d'où, refluant vers le haut, le fleuve Éridan roule ses eaux abondantes à travers la forêt. |
6, 655 |
Hic manus ob patriam pugnando uolnera passi, quique sacerdotes casti, dum uita manebat, quique pii uates et Phoebo digna locuti, inuentas aut qui uitam excoluere per artes, quique sui memores alios fecere merendo, |
Voici la troupe des
héros blessés en combattant pour leur patrie, et ceux qui, durant leur vie furent des prêtres vertueux, les prophètes pieux, qui ont parlé un langage digne de Phébus, ou ceux qui ont embelli la vie grâce aux arts qu'ils ont inventés ou ceux dont les mérites ont laissé le nom dans les mémoires ; |
6, 660 |
omnibus his niuea cinguntur tempora uitta.
Quos circumfusos sic est adfata Sybilla, Musaeum ante omnes, medium nam plurima turba hunc habet, atque umeris exstantem suspicit altis : « Dicite, felices animae, tuque, optime uates, |
tous ces êtres ont le
front ceint d'un bandeau blanc couleur de neige.
La Sibylle s'adresse ainsi à ces gens présents autour d'elle, et avant tout autre à Musée, – il est entouré d'une foule nombreuse, levant ses regards vers lui, qui les dépasse de ses hautes épaules – : « Dites-moi, âmes bienheureuses, et toi, le meilleur des poètes, |
6, 665 |
quae regio Anchisen, quis habet locus ? Illius ergo uenimus, et magnos Erebi transnauimus amnes. » Atque huic responsum paucis ita reddidit heros : « Nulli certa domus ; lucis habitamus opacis, riparumque toros et prata recentia riuis |
où se trouve Anchise, de quel côté, en quel lieu ? C'est pour lui en fait que nous venons et avons traversé les grands fleuves de l'Érèbe ». Alors le héros lui répondit brièvement en ces termes : « Aucun de nous n'a de demeure fixe ; nous habitons des bois épais, nous avons pour logement les berges et les fraîches prairies, |
6, 670 |
incolimus. Sed uos, si fert ita corde uoluntas, hoc superate iugum ; et facili iam tramite sistam. » Dixit, et ante tulit gressum, camposque nitentis desuper ostentat ; dehinc summa cacumina linquunt. |
le long des rivières. Mais vous, si tel est le
souhait de votre coeur, escaladez cette hauteur, et alors je vous mettrai sur un sentier facile ». Il finit de parler et, marchant devant eux, leur montre d'en haut une plaine éclatante ; ils s'éloignent et quittent le sommet de la hauteur. |
6, 675 |
Notes (6, 548-678)
Phlégéthon (6, 551). Cfr 6, 265.
Tisiphone (6, 555). Soeur d'Allecto et de Mégère, Tisiphone est une des Furies, appelées aussi Euménides ou Érinyes (cfr 6, 280). En 6, 570, elle sera présentée, armée d'un fouet dans la main droite et de serpents dans l'autre (cfr aussi 10, 761).
Hécate... Averne... (6, 564). Cfr 6, 118.
Rhadamante (6, 566). Frère de Minos (cfr 6, 14 ; 6, 432), Rhadamante de Cnossos (c'est-à-dire de Crète) était comme lui et comme son autre frère Éaque, juge aux Enfers. Il était renommé pour sa sagesse et sa justice. On lui attribuait l'organisation du code de lois crétois, qui avait servi de modèle à plusieurs cités grecques. Cfr aussi Ovide, Mét., 9, 435.
sentinelle (6, 574). Il s'agit de Tisiphone. L'idée est : « Tu vois Tisiphone, sur le seuil ? L'hydre, à l'intérieur, est pire encore ».
hydre (6, 576). Un serpent, comparable à l'Hydre de Lerne (cfr 6, 287), qui se tient à la porte du Tartare.
Olympe (6, 579). Montagne de Thessalie, l'Olympe était considérée comme la demeure des dieux (cfr notamment 4, 268). Cfr Homère, Iliade, 8, 16 (où le Tartare se voit placé « aussi loin au-dessous de l'Hadès que le ciel l'est au-dessus de la terre »), et Lucrèce, De la nature des choses, 4, 418 (« dont la profondeur égale celle du gouffre qui s'étend entre le ciel et la terre »). Les vers 577-579 opposent le Tartare souterrain, demeure des Damnés, à l'Olympe céleste, demeure des dieux.
Titans (6, 580). Les Titans, fils du Ciel et de la Terre, en lutte contre Zeus, montèrent à l'assaut de l'Olympe. Ils furent foudroyés et précipités au fond du Tartare.
les deux Aloïdes (6, 582). On donne ce nom d'Aloïdes (ou Aloades) aux fils que Poséidon eut d'Iphimédie, l'épouse d'Aloée. La légende raconte que Iphimédie, amoureuse de Poséidon, avait coutume de se promener au bord de la mer, puisant des vagues dans sa main et se les versant sur la poitrine. Finalement Poséidon céda à son amour et lui donna deux fils, Otos et Éphialtès, les Aloades. C'étaient des géants, à la croissance extraordinaire (chaque année, ils grandissaient en largeur de quelque 50 cm et en hauteur de quelque 150 cm). À neuf ans, hauts de 17 mètres et larges de 4, ils décidèrent de faire la guerre aux dieux. Pour cela, ils mirent l'Ossa sur l'Olympe, et le Pélion par-dessus ces deux montagnes, menaçant d'escalader le ciel. Puis ils annoncèrent qu'ils rempliraient la mer avec des montagnes pour la mettre à sec, et qu'ils mettraient la mer là où, jusque là, était la terre. Ils se mirent ensuite à faire la cour aux déesses, l'un à Héra, l'autre à Artémis. Ils s'emparèrent d'Arès, l'enchaînèrent et l'enfermèrent dans un pot de bronze. Ils le laissèrent ainsi 13 mois jusqu'à ce qu'Hermès réussisse à le délivrer dans un état d'épuisement extrême. Tous ces exploits démesurés finirent par attirer sur les deux frères le châtiment des dieux. Zeus, selon une version (car il y en a plusieurs autres), les foudroya et les précipita dans les Enfers.
Salmonée (6, 585). Fils d'Éole, et donc descendant de Deucalion et de Pyrrha, Salmonée, frère de Sisyphe, appartient à la série des mortels qui ont voulu rivaliser avec les dieux. Il passait pour avoir fait construire une route pavée de bronze sur laquelle il passait dans un char de bronze, avec des roues de cuivre et de fer, traînant des chaînes derrière lui, lançant des torches allumées, tout cela pour imiter à la fois le tonnerre et les éclairs, et donc contrefaire Zeus. Cette impiété fut cruellement punie par Zeus qui le foudroya. Il est le fondateur et l'éponyme mythique d'un endroit appelé Salmoné en Élide (pas très loin d'Olympie), où Jupiter jouissait d'un culte particulier. Cette légende semble un souvenir de certaines pratiques magiques destinées à mettre fin aux sécheresses ; il existait en Thessalie un chariot de bronze qu'on faisait rouler pour forcer le ciel à verser ses pluies.
Élide (6, 588). L'Élide, contrée occidentale du Péloponnèse, dans le voisinage d'Olympie.
Tityos (6, 595-600). Un géant, fils de Jupiter et d'Élara. Il osa outrager Latone, et fut tué par Diane et Apollon, vengeant leur mère. Une forme de la légende veut que Jupiter, pour soustraire Élara à la jalousie d'Héra, l'avait cachée, enceinte, dans les profondeurs de la terre. Comme Tityos en était sorti à la naissance, il est ici appelé « nourrisson de la terre ». Comme châtiment, il fut cloué, étendu de tout son long (9 x 28.800 pieds carrés, c'est-à-dire 225 ares environ) sur le sol des Enfers, et livré à deux vautours (ou aigles, ou serpents, cela varie selon les versions) qui dévoraient son foie sans cesse renaissant. Voir Homère, Odyssée, 11, 576-581, et Lucrèce, De la nature des choses, 3, 984-994.
Lapithes (6, 601). Peuple légendaire de Thessalie, les Lapithes eurent pour rois Ixion, puis Pirithoüs (cfr 6, 393). Au mariage de Pirithoüs, les Lapithes entrèrent en conflit avec les Centaures (cfr 6, 286) qui, s'étant enivrés, voulaient faire violence aux femmes lapithes. Aidés de Thésée (cfr 6, 122), ils triomphèrent des Centaures, mais furent finalement exterminés par Héraclès / Hercule.
Ixion (6, 601). Ixion, roi des Lapithes, osa poursuivre Héra / Junon de ses assiduités. Zeus / Jupiter, pour le surprendre, donna à une nuée la forme de Héra ; Ixion s'accoupla à la nuée (cfr 7, 674), et en eut un fils, Centaurus, qui, s'unissant aux cavales de Magnésie (contrée orientale de Thessalie), eut pour fils les Centaures (6, 286). Selon les versions les plus répandues, Ixion fut puni du supplice de la roue.
Pirithoüs (6, 601-607). Pirithoüs, compagnon de Thésée aux Enfers et victime, comme lui, de sa témérité (cfr 6, 122 ; 6, 393 ; 6, 618). Aux Enfers, les deux héros furent apparemment bien accueillis par Hadès, qui les invita à s'asseoir à sa table pour prendre part à un banquet. Mais rivés à leur siège, ils ne purent plus se lever et furent retenus prisonniers. Lorsqu'Héraclès descendit aux Enfers, il voulut les délivrer; mais seul Thésée reçut des dieux l'autorisation de remonter sur terre. Pirithoüs demeura éternellement assis sur la « Chaise d'Oubli ». On racontait qu'en faisant effort pour s'arracher à son siège, Thésée y avait laissé une partie de lui-même, ce qui expliquait que les Athéniens aient eu, de tout temps, des hanches fort peu charnues. Virgile (en 6, 618 ) semble suivre une tradition rare d'après laquelle Thésée serait demeuré aux Enfers, assis sur un siège qui, miraculeusement, se serait soudé à son corps. Par contre en 6, 122, lorsqu'Énée évoque les précédents mythiques intégrant l'aller et retour, Virgile semblait suivre la légende plus connue du retour de Thésée sur Terre. Inadvertance ? Difficile à dire ; les commentateurs en tout cas sont partagés sur la question. Le problème est rendu plus compliqué encore par le fait que les vers 604-605 évoquent le supplice habituellement attribué à Tantale. D'où des discussions entre spécialistes sur l'ordre des vers. Nous avons conservé ici l'ordre traditionnel.
l'aînée des Furies (6, 605). Au sens strict l'expression devrait désigner Allecto, les autres Furies étant Mégère et Tisiphone (cfr 6, 280). Mais en 3, 252, la même formule latine (Furiarum maxima) s'appliquait à la Harpye Céléno. Il faut dire que le monstre est décrit ici dans une activité bien proche de celle des Harpyes. L'expression est peut-être à prendre au sens large. Pour Servius, il s'agirait ici de « la Faim » (Fames).
maltraité un père (6, 609). Une vieille loi romaine maudissait l'enfant qui avait frappé ses parents.
un client (6, 609). Pour le dire en très bref, le « client » à Rome était un homme libre qui s'attachait à un « patron » puissant à qui il rendait des services en échange de sa protection. Les liens de clientèle comportaient des obligations légales. Selon la Loi des XII Tables (milieu du 5e siècle a.C.n.), tromper un client était un crime.
pour eux seuls (6, 610). « La bienfaisance, c'est-à-dire le partage de ses propres biens avec des parents ou des amis moins fortunés, était une obligation antique à laquelle Cicéron, dans le De Officiis, et Sénèque, dans le De beneficiis, ont consacré bien des pages » (A.-M. Guillemin, Virgile. Énéide. Livre VI, 1947, p. 87).
pour cause d'adultère (6, 612). À Rome, le mari trompé pouvait tuer sa femme et l'amant de celle-ci. Les lois d'Auguste (lex Iulia de adulteriis) en 17 a.C.n. adoucirent le droit ancien, mais excusent encore le meurtre en cas de flagrant délit.
guerres impies (6, 613). Allusion aux guerres civiles, qui avaient récemment ravagé la société romaine.
la foi donnée à leurs maîtres (6, 613). Allusion peut-être « aux esclaves dénonçant leurs maîtres en temps de proscription pour obtenir la liberté offerte par la loi en échange de cette trahison » (A.-M. Guillemin, Virgile. Énéide. Livre VI, 1947, p. 87).
Certains roulent... (6, 616-617). Les supplices que Virgile applique dans ces deux vers à des anonymes sont inspirés de ceux qui sont réservés traditionnellement à Sisyphe (le rocher) et à Ixion (la roue).
Thésée (6, 617). Cfr 6, 122 et 6, 393. Selon R.D. Williams (p. 497), Virgile s'écarte de la légende traditionnelle de Thésée qui, puni pour avoir tenté d'enlever Proserpine (6, 122), aurait été détaché par Hercule du siège où il était fixé. Pour Hygin (Aulu-Gelle, Nuits Attiques, 10, 16), Virgile aurait commis une erreur. Le commentaire de Servius est à relever : « les poètes transforment souvent les légendes » (frequenter variant fabulas poetae).
Phlégyas (6, 618). Roi des Phlégiens, en Béotie, et père d'Ixion. En mettant le feu au temple de Delphes, il avait voulu se venger d'Apollon qui avait enlevé sa fille Coronis. Il est de tous le plus malheureux parce qu'il assiste au supplice de ses fils et petits-fils, ou parce qu'il est le plus lucide.
pour de l'or (6, 621). De la mythologie, Virgile revient à des réalités plus contemporaines, mais qu'il est difficile (et peut-être vain) de vouloir préciser. Il se pourrait que Virgile ait ici songé à Curion qui vendit Rome à César (Lucain, Guerre civile, 4, 819-824).
a fixé (6, 622). On a vu dans ce comportement une allusion possible à Antoine. « Les lois fabriquées et supprimées par lui sont les fameux Acta Caesaris dont Cicéron lui reproche la falsification » (A.-M. Guillemin, Virgile. Énéide. Livre VI, 1947, p. 87). Le verbe « a fixé » est à prendre au sens propre : à Rome, les lois étaient gravées sur des plaques de bronze, lesquelles étaient clouées sur les murs de certains bâtiments ; c'était l'équivalent de notre affichage.
de cent langues et de cent bouches... (6, 625-627). Vers repris des Géorgiques, 2, 43-44, et inspirés d'Homère, Iliade, 2, 489-490 (cfr aussi Ennius, Annales, 547-548 Warmington).
Cyclopes (6, 630). Les murs de l'Élysée, où les vivants ne peuvent pénétrer sans le talisman du rameau d'or (cfr 6, 137-144), auraient été dressés par Vulcain et les Cyclopes, dont il sera longuement question en 8, 418- 440. Les Cyclopes d'Homère, avec lesquels Ulysse dut se mesurer dans l'Odyssée (9, 170-540) et autour desquels Virgile a construit l'épisode d'Achéménide (3, 568-683), n'ont pas grand-chose en commun, sinon le nom, avec les forgerons dont il est question ici et au chant 8.
demeures bienheureuses (6, 639). Selon A.-M. Guillemin (Virgile. Énéide. Livre VI, 1947, p. 88), « pour la description des Champs-Élysées, Virgile ne possédait pas la riche matière de légendes qu'il a utilisée pour le Tartare ; il existait cependant des traditions, surtout celle d'un splendide jardin des dieux, situé aux extrémités de la terre, tantôt au nord, tantôt à l'est, tantôt à l'ouest; Virgile le fait confiner à la partie des Enfers qu'il vient de décrire. La beauté de ce jardin consiste principalement dans la radieuse lumière qui l'inonde ; sur ce fond lumineux, se profilent deux traits, l'un grec, venu peut-être d'un thrène de Pindare dont nous possédons quelques fragments : la joie des sports et des danses en plein air ; l'autre romain, attesté par Lucrèce, Horace et d'autres : les plaisirs simples du repos et du commerce entre amis dans une campagne ombragée et arrosée ». M. Rat, pour sa part, suggère de comparer la description des Champs Élysées aux passages d'Homère (Odyssée, 4, 561-568 ; 6, 42-44) ; d'Hésiode, Les Travaux et les Jours, 170-173 ; de Pindare, Olympiques, 2, 67-88 ; de Platon, République, 10, 614a et suivants (le Mythe d'Er le Pamphylien) ; de Tibulle, 1, 3, 57-66.
un éther (6, 640-641). On comparera Homère décrivant l'Olympe : « là-haut, jamais de neige ; mais en tout temps l'éther, déployé sans nuage, couronne le sommet d'une blanche clarté » (Odyssée, 6, 44-45), et Lucrèce décrivant le séjour des dieux (De la nature des choses, 3, 21-22) : « un éther toujours sans nuage les couvre de sa voûte, et leur verse à larges flots sa riante lumière ».
leur soleil et leurs astres (6, 641). Ce ne sont donc pas les nôtres.
le prêtre de Thrace (6, 645). C'est Orphée qui a été présenté en 6, 119-120.
Teucer (6, 648). C'est l'ancêtre lointain de la famille royale de Troie. Les Troyens sont régulièrement appelés de son nom Teucères (cfr par exemple 1, 38n).
Ilus (6, 650). Un des plus anciens rois de Troie, fils de Tros et de Callirhoè (cf 1, 267-268n).
Assaracus (6, 650). Ancien roi de Troie, grand-père d'Anchise (cfr 1, 284).
Dardanus (6, 650). C'est lui qui bâtit la citadelle de Troie. Voir 1, 380n et 3, 167.
péan (6, 657). Le péan est un chant joyeux, généralement en l'honneur d'Apollon, le protecteur des poètes, à qui du reste le laurier (6, 658) est consacré.
Éridan (6, 658). Fleuve légendaire, que les poètes ont placé en divers endroits et qu'on a parfois identifié avec le Rhône ou le Pô. Selon Pline, l'Éridan, non loin de sa source, disparaissait et coulait sous terre : on croyait qu'il arrosait les Enfers.
Musée (6, 667). Fils d'Eumolpe et de la Lune, disciple d'Orphée (6, 119) ; poète légendaire dont les chants sacrés passaient pour contenir les vérités fondamentales de la morale et de la société. On lui attribuait, comme à Orphée, un grand rôle dans le développement de la poésie et de la civilisation.
Érèbe (6, 671). Cfr 6, 247.
Énéide - Chant VI (Plan) - Page précédente - Page suivante