Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant V (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE V
ESCALE EN SICILE. JEUX FUNÈBRES
Retrouvailles - Hommage à Anchise (5, 1-113)
Troyens accueillis en Sicile (5, 1-41)
Énée vogue résolument vers l'Italie, malgré les mauvais pressentiments que suscite la vue de flammes sur les remparts de Carthage. En pleine mer, Palinure le pilote suggère de gagner la Sicile proche, vu la menace d'une tempête (5, 1-25).
Énée est convaincu d'emblée, d'autant que des souvenirs chers l'attachent à la Sicile. La flotte aborde joyeusement à Drépane, où le Troyen Aceste réserve à ses compatriotes un accueil chaleureux (5, 26-41).
Interea medium Aeneas iam classe tenebat certus iter fluctusque atros Aquilone secabat moenia respiciens, quae iam infelicis Elissae conlucent flammis. Quae tantum accenderit ignem |
Pendant ce temps, Énée, avec sa flotte voguait déjà en pleine mer sûr de sa route et fendait les flots assombris par l'Aquilon ; se retournant, il voyait les remparts de l'infortunée Élissa, éclairés par des flammes. Qui a allumé un pareil brasier, |
5, 1 |
causa latet ; duri magno sed amore dolores polluto, notumque furens quid femina possit, triste per augurium Teucrorum pectora ducunt. Vt pelagus tenuere rates nec iam amplius ulla occurrit tellus, maria undique et undique caelum, |
on l'ignore ; mais les dures souffrances d'un grand amour brisé et l'expérience de ce que peut une femme en délire éveillent dans les coeurs des Teucères de tristes pressentiments. Dès que les navires eurent gagné le large, sans terre en vue désormais mais uniquement et partout le ciel et la mer, |
5, 5 |
olli caeruleus supra caput astitit imber noctem hiememque ferens et inhorruit unda tenebris. Ipse gubernator puppi Palinurus ab alta : « Heu quianam tanti cinxerunt aethera nimbi ? Quidue, pater Neptune, paras ? » Sic deinde locutus |
une sombre nuée, porteuse de nuit et d'orage, s'arrêta au-dessus de leurs têtes et la mer se hérissa dans l'obscurité. Du haut de la poupe, le pilote Palinure lui même s'écria : « Pourquoi ces nuages si lourds ont-ils envahi le ciel ? Que prépares-tu donc, seigneur Neptune ? » Après ces paroles, |
5, 10 |
colligere arma iubet ualidisque incumbere remis, obliquatque sinus in uentum ac talia fatur : « Magnanime Aenea, non, si mihi Iuppiter auctor spondeat, hoc sperem Italiam contingere caelo. |
il ordonne de réduire les voiles, de peser sur les rames puissantes, puis obliquement présente au vent ses voiles pliées, en disant : « Magnanime Énée, même si Jupiter m'en faisait la promesse, sous un pareil ciel, non, je n'espérerais pas atteindre l'Italie. Les vents ont tourné, surgis du sombre Couchant, |
5, 15 |
consurgunt uenti, atque in nubem cogitur aer. Nec nos obniti contra nec tendere tantum sufficimus. Superat quoniam Fortuna, sequamur, quoque uocat uertamus iter. Nec litora longe fida reor fraterna Erycis portusque Sicanos, |
et grondent sur nos flancs, et l'air n'est plus que brouillard. Et nous, malgré nos efforts, nous ne pouvons leur résister ni même tenir le cap. La Fortune est souveraine, suivons-la, et faisons route vers où elle nous appelle. Je pense proches les rivages sûrs et fraternels d' Éryx et les ports de Sicanie, |
5, 20 |
si modo rite memor seruata remetior astra. »
Tum pius Aeneas : « Equidem sic poscere uentos iamdudum et frustra cerno te tendere contra. Flecte uiam uelis. An sit mihi gratior ulla, quoue magis fessas optem dimittere nauis, |
si je me souviens de mes calculs basés sur l'observation des astres. »
Alors le pieux Énée : « C'est bien cela qu'exigent les vents et, depuis un moment déjà, je te vois en vain lutter contre les éléments. Hisse les voiles, change de direction. Pourrait-il exister à mes yeux endroit plus cher ou havre plus désirable pour mes navires épuisés |
5, 25 |
quam quae Dardanium tellus mihi seruat Acesten et patris Anchisae gremio complectitur ossa ? » Haec ubi dicta, petunt portus et uela secundi intendunt Zephyri ; fertur cita gurgite classis, et tandem laeti notae aduertuntur harenae. |
que cette terre qui me conserve vivant le Dardanien Aceste, et qui conserve en son sein les ossements de mon père Anchise ? » Ces paroles dites, on tend vers un port, des Zéphyrs favorables gonflent les voiles et la flotte est rapidement emportée sur les flots ; finalement, on se dirige avec joie vers une plage bien connue. |
5, 30 |
At procul ex celso miratus uertice montis aduentum sociasque rates occurrit Acestes, horridus in iaculis et pelle Libystidis ursae, Troia Criniso conceptum flumine mater quem genuit. Veterum non immemor ille parentum |
Par ailleurs, Aceste, qui de loin du haut d'un mont élevé, avait observé l'arrivée de vaisseaux amis, court à leur rencontre, armé de javelots effrayants et vêtu de la peau d'une ourse de Libye ; la mère Troyenne qui le mit au monde l'avait conçu du fleuve Crinisus. Il n'avait pas oublié ses lointains ancêtres, applaudit ces revenants |
5, 35 |
gratatur reduces et gaza laetus agresti excipit, ac fessos opibus solatur amicis. |
et, tout heureux, avec un faste champêtre, accueille ces hommes épisés , et leur apporte le réconfort de ses ressources amicales. |
5, 40 |
Institution d'une fête en l'honneur d'Anchise (5, 42-71)
Dès l'aube du lendemain, qui coïncidait avec le premier anniversaire de la mort d'Anchise, Énée informe ses compagnons que chaque année il célébrera des cérémonies rituelles en l'honneur de son père (5, 42-54).
Interprétant leur arrivée près du tombeau d'Anchise comme un signe bienveillant des dieux, il ordonne aussitôt d'organiser en commun avec Aceste une cérémonie qui sera suivie, neuf jours plus tard de jeux : régates, course à pied, lutte et tir à l'arc (5, 55-71).
Postera cum primo stellas Oriente fugarat clara dies, socios in coetum litore ab omni aduocat Aeneas tumulique ex aggere fatur : |
Le lendemain, au lever du Soleil, quand la clarté du jour eut mis en fuite les étoiles, Énée convoque ses compagnons de tous les points du rivage et, du haut d'un tertre, il dit : |
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« Dardanidae magni, genus alto a sanguine diuum, annuus exactis completur mensibus orbis, ex quo reliquias diuinique ossa parentis condidimus terra maestasque sacrauimus aras ; iamque dies, nisi fallor, adest, quem semper acerbum, |
« Illustres Dardanides, race issue du noble sang des dieux, les mois ont passé, leur cycle annuel s'est accompli depuis le jour où nous avons enseveli les ossements, restes de mon divin père, et lui avons consacré deux autels, témoins de notre douleur. Voici revenu, si je ne m'abuse, ce jour qui sera toujours pour moi |
5, 45 |
semper honoratum sic di uoluistis habebo. Hunc ego Gaetulis agerem si Syrtibus exsul, Argolicoue mari deprensus et urbe Mycenae, annua uota tamen sollemnisque ordine pompas exsequerer strueremque suis altaria donis. |
un jour de deuil, toujours sacré, comme vous l'avez voulu, ô dieux ! Ce jour-là, même si j'étais exilé dans les Syrtes gétules, ou captif sur la mer d'Argos ou dans la ville de Mycènes, j'accomplirais mes voeux annuels, j'ordonnerais une procession rituelle, et je chargerais les autels des offrandes dues à mon père. |
5, 50 |
Nunc ultro ad cineres ipsius et ossa parentis haud equidem sine mente, reor, sine numine diuum adsumus et portus delati intramus amicos. Ergo agite et laetum cuncti celebremus honorem : poscamus uentos, atque haec me sacra quotannis |
Et par miracle, nous voici près des cendres, des ossements de mon père ; ce n'est pas, je pense, sans l'intention des dieux, sans leur volonté que nous sommes ici déportés et entrons dans un port ami. Venez donc, et tous ensemble honorons-le dans la joie : implorons les vents et, puisse mon père vouloir que, chaque année, |
5, 55 |
urbe uelit posita templis sibi ferre dicatis. bina boum uobis Troia generatus Acestes dat numero capita in nauis ; adhibete penatis et patrios epulis et quos colit hospes Acestes. Praeterea, si nona diem mortalibus almum |
dans la ville que je fonderai, j'apporte des offrandes dans ses temples. Aceste, originaire de Troie, vous offre à chacun des boeufs, deux bêtes par navire ; invitez à un banquet les Pénates, ceux de notre patrie et ceux qu'honore notre hôte Aceste. Et, quand la neuvième Aurore aura fait se lever pour les mortels, |
5, 60 |
Aurora extulerit radiisque retexerit orbem, prima citae Teucris ponam certamina classis ; quique pedum cursu ualet, et qui uiribus audax aut iaculo incedit melior leuibusque sagittis, seu crudo fidit pugnam committere caestu, |
le jour béni, et de ses rayons aura libéré la terre de ses voiles, j'instaurerai les premières courses navales pour les Troyens. Et que les meilleurs à la course à pied, les audacieux, sûrs de leur force, qui prétendent exceller au lancement du javelot ou des flèches légères, ou ceux qui osent engager la lutte, armés du ceste en cuir cru, |
5, 65 |
cuncti adsint meritaeque exspectent praemia palmae. Ore fauete omnes et cingite tempora ramis. » |
que tous se présentent, et espèrent la récompense d'une palme méritée. Tous, faites silence, et ceignez vos tempes de rameaux de feuillage ». |
5, 70 |
Cérémonie funèbre et inauguration des jeux (5, 72-113)
Énée, le front ceint de myrte, suivi d'une foule nombreuse, se rend au tombeau d'Anchise, fait des libations et s'adresse à l'ombre de son père (5, 72-83).
Un énorme serpent surgi du tombeau effraie Énée, mais se révèle inoffensif, rampant parmi les offrandes qu'il goûte avant de disparaître. Ce prodige rassurant manifeste la présence d'Anchise, et n'interrompt pas la cérémonie du sacrifice (5, 84-103).
Neuf jours plus tard, nombreux sont les concurrents et les spectateurs réunis pour les jeux. Les prix sont exposés et le son de la trompette ouvre les jeux (5, 104-113).
Sic fatus uelat materna tempora myrto. hoc Helymus facit, hoc aeui maturus Acestes, hoc puer Ascanius, sequitur quos cetera pubes. |
Après ce discours, Énée se voile les tempes du myrte sacré de sa mère. Hélymus fait de même, ainsi qu'Aceste, dans la maturité de son âge, et puis le jeune Ascagne, imité par le reste de la jeunesse. |
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Ille e concilio multis cum milibus ibat ad tumulum magna medius comitante caterua. Hic duo rite mero libans carchesia Baccho fundit humi, duo lacte nouo, duo sanguine sacro, purpureosque iacit flores ac talia fatur : |
Énée lui, à l'issue de l'assemblée, se dirigeait vers le tombeau, suivi de milliers de personnes et entouré d'une nombreuse escorte. Là, il fait une libation rituelle à Bacchus, verse sur le sol deux coupes de vin pur, deux de lait frais, deux de sang consacré, puis jette des fleurs couleur de pourpre en déclarant : |
5, 75 |
« Salue, sancte parens, iterum ; saluete, recepti nequiquam cineres animaeque umbraeque paternae. Non licuit finis Italos fataliaque arua nec tecum Ausonium, quicumque est, quaerere Thybrim. »
Dixerat haec, adytis cum lubricus anguis ab imis |
« Salut, père divin, une seconde fois ; salut à vous, cendres, âme et ombre paternelles, retrouvées, bien en vain. Il ne nous a pas été donné d'aller ensemble en quête de l'Italie et des terres promises, ni du Thybris ausonien, quel qu'il soit ».
Il avait fini de parler, quand du fond du sanctuaire se glissa |
5, 80 |
septem ingens gyros, septena uolumina traxit amplexus placide tumulum lapsusque per aras, caeruleae cui terga notae maculosus et auro squamam incendebat fulgor, ceu nubibus arcus mille iacit uarios aduerso sole colores. |
un énorme serpent, traînant sept anneaux, sept replis ondoyants. Il enlaça paisiblement le tombeau, puis se coula entre les autels. Son échine marquée de taches sombres et ses écailles flamboyantes avaient l'éclat de l'or, tel un arc-en-ciel qui, face au soleil, lance à travers les nuages tout l'éventail de ses couleurs. |
5, 85 |
Obstipuit uisu Aeneas. Ille agmine longo tandem inter pateras et leuia pocula serpens libauitque dapes rursusque innoxius imo successit tumulo et depasta altaria liquit. Hoc magis inceptos genitori instaurat honores, |
À cette vue, Énée se figea de stupeur. En une longue progression, le serpent enfin rampa parmi les patères et les coupes délicates, goûta aux offrandes sacrées, puis s'en retourna, sans faire de mal, au fond du tombeau, délaissant les autels où il s'était nourri. |
5, 90 |
incertus geniumne loci famulumne parentis esse putet ; caedit binas de more bidentis totque sues, totidem nigrantis terga iuuencos, uinaque fundebat pateris animamque uocabat Anchisae magni manisque Acheronte remissos. |
en l'honneur de son père, ne sachant s'il s'agit du génie du lieu ou d'un servant de son père ; il immole selon l'usage deux brebis de deux ans, deux porcs et deux taurillons aux noires échines ; répandant le vin des patères, il invoqua l'âme du grand Anchise et ses Mânes renvoyés de l'Achéron. |
5, 95 |
Nec non et socii, quae cuique est copia, laeti dona ferunt, onerant aras mactantque iuuencos ; ordine aena locant alii fusique per herbam subiciunt ueribus prunas et uiscera torrent.
Exspectata dies aderat nonamque serena |
Ses compagnons aussi, chacun selon ses moyens, tout heureux, apportent des offrandes, en chargent les autels et immolent des boeufs ; d'autres mettent en place les chaudrons et, étendus dans l'herbe, attisent les braises sous les broches et font griller les viandes.
Le jour attendu était arrivé, et déjà, dans la lumière limpide, |
5, 100 |
Auroram Phaethontis equi iam luce uehebant, famaque finitimos et clari nomen Acestae excierat ; laeto complerant litora coetu uisuri Aeneadas, pars et certare parati. Munera principio ante oculos circoque locantur : |
les chevaux de Phaéthon amenaient la neuvième Aurore. La nouvelle des jeux, le nom de l'illustre Aceste avaient attiré les gens des environs : en une joyeuse cohue ils avaient couvert le rivage, dans leur désir de voir les Énéades ; certains étaient prêts à concourir. Tout d'abord, les prix sont placés bien en vue, au centre du cercle : |
5, 105 |
in medio, sacri tripodes uiridesque coronae et palmae pretium uictoribus, armaque et ostro perfusae uestes, argenti aurique talenta ; et tuba commissos medio canit aggere ludos. |
des trépieds sacrés et des couronnes verdoyantes, et des palmes, toutes les récompenses destinées aux vainqueurs, des armes, et des vêtements de pourpre, des talents d'or et d'argent. Au centre, du haut d'un tertre, la trompette, sonne l'ouverture des jeux. |
5, 110 |
Notes (5, 1-113)
Pendant ce temps (5, 1). Il s'agit de la mort de Didon racontée à la fin du chant 4.
avec sa flotte (5, 1). Composée désormais de 19 bateaux, sur les vingt qu'elle comptait au départ. Cfr la note à 1,399-400.
Aquilon (5,2). Vent du nord, souvent lié aux tempêtes. Cfr notamment 1, 102 ; 1, 391, etc. C'était donc un vent contraire aux Troyens qui se dirigeaient vers le nord.
Élissa (5,3). Nom phénicien de Didon. Cfr 4, 335 ; 4, 610.
de tristes pressentiments (5, 4-7). Ce passage évoque les paroles de malédiction prononcées par Didon en 4, 661-662.
Dès que les navires, etc. (5, 8-11). Quatre vers très proches de 3, 192-195, et inspirés d'Homère (Odyssée, 12, 403-406 = 14, 301-304).
Palinure (5, 12). Palinure est le pilote ou timonier d'Énée (cfr 3, 202 ; 3, 513 et 3, 562). Il mourra, victime du dieu Sommeil, à la fin du chant 5 (835-860), et encore évoqué en 6, 337-383.
Neptune (5, 14). Poséidon en grec, le dieu de la mer, généralement favorable aux Troyens. Cfr 1, 124-125 ; 1, 138-139 ; 2, 610 avec notes ; 3, 74 et 3, 119.
Les vents ont tourné, etc. (5, 19-20). Du nord (cfr le vers 2), ils soufflent maintenant du Couchant, c'est-à-dire de l'ouest. Venant de Carthage la flotte d'Énée qui se dirigeait vers le nord, est poussée par les vents d'ouest vers la côte ouest de la Sicile.
Éryx (5, 24). Le héros Éryx (cfr 1, 570 avec les notes), fils d'Aphrodite (et donc demi-frère d'Énée), aurait été tué par Hercule, et enterré en Sicile. Il aurait donné son nom à la montagne où se dressait un temple célèbre de Vénus Érycine, à l'extrémité nord-ouest de la Sicile.
Sicanie (5, 24). Autre nom de la Sicile. Cfr 1, 557.
Aceste (5, 30ss). Sur ce roi de Sicile, fils d'une Troyenne et du dieu fleuve sicilien Crinisus, cfr 1, 195-196 avec la note ; 1, 550 et 1, 570. Appelé aussi Ségeste et considéré comme le fondateur de la ville de Ségeste, le personnage sert dans l'Énéide à illustrer les rapports historiques étroits qui ont lié Rome à la Sicile.
ossements de mon père Anchise (5, 31). Cfr 3, 709-715, où Énée raconte la mort d'Anchise à Drépane.
plage bien connue (5, 34). Le port de Drépane (actuel Trapani), d'où les Troyens sont partis en quittant la Sicile. On n'est pas loin de l'Éryx et de la ville de Ségeste, où régnait Aceste.
ourse de Libye (5, 37). Plusieurs textes anciens évoquent la présence d'ours en Libye, tandis que d'autres l'excluent. Peu importe pour nous, le fait est que Virgile présente ici Aceste dans un accoutrement de chasseur un peu rustique.
du haut d'un tertre (5, 44). Comme les généraux romains haranguant leurs troupes.
Dardanides (5, 45). Dans l'Énéide, les termes Teucères, Dardaniens, Dardanides et Troyens sont équivalents. Les Troyens descendent de Dardanus, fils de Zeus et d'Électre, une fille d'Atlas (cfr 7, 219-220).
cycle annuel (5, 46). Il y a donc à peu près un an qu'Anchise est mort, ce qui n'implique pas nécessairement que le séjour à Carthage ait duré une année, car il n'est pas sûr que les Troyens aient quitté Drépane immédiatement après la mort du vieillard.
divin père (5, 48). L'adjectif « divin » n'implique pas nécessairement que Anchise soit devenu un dieu au sens technique du terme. Dans la pensée romaine, les morts sont vénérés sous le nom de diui parentes, ou diui parentum, le sens de cette expression n'étant pas facile à cerner.
Syrtes gétules (5, 51). Les Syrtes étaient deux golfes formés par la Méditerranée sur la côte nord de l'Afrique entre Cyrène et Carthage. La navigation y était dangereuse, à cause de la présence de nombreux bas-fonds (cfr 1, 111 ; 4, 41 ; 6, 60 ; 7, 302). Les Gétules furent dans l'histoire une peuplade nomade d'Afrique du Nord, installée au sud du territoire des Numides (cfr aussi 4, 40). L'adjectif gétules est associé aux Syrtes, à cause de la proximité géographique.
la mer d'Argos (5, 51). Surpris, sans doute par une tempête, dans la mer Égée, qui baigne les côtes de l'Argolide.
Mycènes (5, 52). La ville d'Agamemnon, le pire ennemi des Troyens.
dans la joie (5, 58). Il s'agit bien sûr de rites funèbres, mais aussi d'une fête, Anchise étant en quelque sorte devenu une puissance protectrice.
chaque année (5, 59). Certains commentateurs modernes pensent que Virgile pourrait avoir imaginé les cérémonies en l'honneur d'Anchise, un peu sur le modèle des Parentalia, les fêtes des morts, qui, dans le calendrier romain, se déroulaient du 13 au 21 février. Pour Ovide, en tout cas (Fastes, 2, 543-544), Énée aurait « institué » ces fêtes des morts du mois de février.
Pénates (5, 62-63). Ici encore, l'association des dieux protecteurs de Troie, qu'Énée transportait avec lui, et des dieux protecteurs de Ségeste, la ville d'Aceste, pourrait préfigurer les liens étroits qui existeront dans l'histoire ultérieure entre Rome et la Sicile.
neuvième Aurore (5, 64-65). À Rome, les Parentalia duraient 9 jours, du 13 au 21 février. La cérémonie publique des Feralia avait lieu le dernier jour. Les autres jours étaient occupés par des commémorations privées, près des tombeaux familiaux. Sur un plan plus général, une cérémonie avait lieu 9 jours après les funérailles, l'impureté résultant d'un décès cessant huit jours après la sépulture. Cela explique les expressions composées du terme « neuf », pour désigner cette cérémonie de clôture : nouendiale sacrum (Tite-Live, 21, 62) ; nouendialis cena (Tacite, Annales, 6, 5), et plus tard nouendial (Augustin, Quaestiones in Heptateuchum, 1, 172), pour ne donner que quelques exemples.
j'instaurerai (5, 66-70). Énée annonce les compétitions qui seront détaillées dans la suite du chant : les régates (5, 114-285) ; la course à pied (5, 286-361) ; la lutte au ceste (5, 362-484) ; le tir à l'arc (5, 485-544). Mais la présentation n'est pas rigoureuse : on relève une interversion entre le tir à l'arc et la lutte ; et par ailleurs, Virgile ne traitera pas le lancement de javelot annoncé en 5, 68.
ceste (5, 69). Le ceste sera présenté plus en détail en 5, 364.
palme (5, 70). La palme, comme récompense pour les vainqueurs des jeux, n'apparaît pas en Grèce avant 400 avant Jésus-Christ. Selon Tite-Live (10, 47, 3), elle ne fut introduite à Rome qu'en 293 avant Jésus-Christ. C'est donc un anachronisme, parmi beaucoup d'autres dans l'Énéide.
faites silence (5, 71). Dans les cérémonies religieuses, la coutume était de garder le silence, pour éviter de prononcer des paroles de mauvais augure. Un autre usage était de s'entourer la tête de feuillage, parfois de bandelettes. Dans le vers suivant, le front d'Énée est ceint de myrte.
myrte (5, 72). Plante odoriférante, à feuillage toujours vert et à petites fleurs blanches, consacrée à Vénus, la mère d'Énée (cfr 6, 444).
Hélymus (5, 73). Jeune compagnon d'Aceste, il serait arrivé avec lui en Sicile, où il aurait fondé plusieurs villes, dans la région occupée par les Hélymes, qui tiendraient de lui leur nom (cfr Denys d'Halicarnasse 1, 47, 2 ; 1, 52, 1 ; 1, 53, 1). Virgile fera participer cet Hélymus à la course à pied (5, 300 ; 5, 323 ; 5, 339).
coupes (5, 78). Le même type d'offrandes (vin, lait, sang des victimes) se retrouve dans les cérémonies en l'honneur de Polydore, en 3, 66-67. On aura noté que les offrandes vont par deux. Il en sera de même des animaux sacrifiés, en 5, 96-97.
une seconde fois (5, 80). L'interprétation courante est que le « premier » salut aurait eu lieu, un an plus tôt, lors de la mise d'Anchise au tombeau. Énée n'imaginait pas revenir.
bien en vain (5, 81). « Vainement retrouvées », écrit J. Perret (Virgile. Énéide, II, 1982, p. 155), « parce que la sagesse commune s'attriste souvent de l'inefficacité pratique des honneurs rendus aux morts et parce qu'Anchise ne pourra pas atteindre l'Italie » avec son fils.
Thybris ausonien (5, 83). Le Tibre italien, par l'estuaire duquel Énée pénétrera dans le Latium (7, 30-36). La première mention de Thybris, accompagné de l'adjectif « lydien », se trouve dans la prophétie de Créuse en 2, 782. Il sera souvent question dans la suite du Thybris (par exemple en 3, 500, dans la prophétie d'Hélénus à Buthrote) et passim dans les chants suivants. Quant aux termes « ausonien » et « Ausonie », on sait qu'ils sont largement utilisés dans le sens de « italien » et « Italie » (première mention en 3, 171).
sept anneaux (5, 85). Le chiffre sept a une valeur religieuse (cfr aussi 6, 38), mais Servius y voyait une allusion aux sept années d'errance d'Énée. D'autres serpents apparaissent dans l'Énéide (cfr 2, 203-227 [dans l'épisode de Laocoon] ; 2, 471-475 [dans une comparaison] ; 5, 273-280 [dans une comparaison]. L'interprétation à donner à la présente apparition sera discutée un peu plus loin par Virgile lui-même (5, 95).
un arc-en-ciel (5, 88-89). Passage à rapprocher de 4, 701.
ne sachant... (5, 95). Dans la mentalité religieuse ancienne, chaque lieu (rivière, arbre, etc...) avait son génie ou sa divinité protectrice (cfr 7, 136), qui pourrait se manifester ici sous la forme d'un serpent. Par ailleurs, l'âme d'un mort étant souvent représentée par un serpent, il pourrait tout aussi bien s'agir du génie d'Anchise. Le texte latin dit cependant famulum parentis, ce qui, traduit littéralement, signifie « un serviteur de son père ». On pourrait dans ces conditions envisager que le serpent est une sorte de garde. On sait par Pline (Histoire naturelle, 16, 234) qu'un dragon veillait sur les mânes de Scipion l'Africain, dans la grotte de Literne où il reposait.
il immole... (5, 96). L'énumération des animaux sacrifiés (brebis, porcs, taureaux) montre qu'on est en présence du groupement caractéristique dans les suouetaurilia (sus, ouis, taurus), un sacrifice de purification bien connu à Rome. On retrouvera en 11, 197-199 la même association générique (bovin, ovin, porcin). Il est aussi question de brebis de deux ans en 4, 57. On aura noté que les offrandes vont par deux. Il en avait été de même des libations rituelles, en 5, 77-78. Les échines sont noires, parce que les victimes étaient destinées aux divinités infernales.
renvoyés de l'Achéron (5, 99). Pour participer à la cérémonie, l'âme d'Anchise revient momentanément du monde des morts, désignés ici par un des fleuves infernaux, l'Achéron, dont c'est ici la première mention, mais qu'on retrouvera plus loin, notamment au livre 6 (6, 107 ; 6, 295) et au livre 7 (7, 91 ; 7, 312 ; 7, 569).
le jour attendu (5, 104-105). Le neuvième jour, dont il a été question en 5, 64-65.
Phaéthon (5, 105). La légende de Phaéthon (littéralement le « Brillant ») est célèbre. Il était le fils du Soleil, mais avait ignoré cette filiation pendant son enfance ; en guise de preuve de cette origine, il voulut obtenir la permission de conduire le char du Soleil. Ce dernier, après bien des hésitations et des recommandations, y consentit et laissa les rênes des chevaux à son fils. Mais Phaéthon, effrayé par l'altitude et les animaux du Zodiaque, prit peur. Quittant la trajectoire qui lui avait été tracée, tantôt il descendait trop près de la terre qu'il menaçait de brûler, tantôt il s'élevait trop près des astres qui se plaignirent à Zeus ; celui-ci, pour éviter une catastrophe générale, foudroya le jeune Phaéthon et le précipita dans le fleuve Éridan, identifié au Pô dans certains récits légendaires (cfr 10, 189). En fait, ici, Phaéthon désigne le Soleil, sur le modèle peut-être de Homère, Iliade, 11, 735.
La nouvelle des jeux... (5, 106). On pourrait rapprocher les vers 106-108 de l'épisode de l'organisation des Consualia par Romulus (Tite-Live, 1, 9, 6-8).
Énéades (5, 108). Le terme désigne ici les compagnons d'Énée, mais il s'applique parfois en poésie aux Romains en général, qui sont les lointains descendants d'Énée (cfr 1, 157 ; 1, 565 ; etc.).
au centre du cercle (5, 109-110). Il n'est pas facile de se représenter concrètement la disposition des lieux. Peut-être les spectateurs étaient-ils placés en demi-cercle (circus en latin veut dire « cercle »), face à la mer, et les prix se trouvaient-ils au centre.
prix (5, 109-112). L'énumération comporte des objets de valeur, ainsi que des récompenses seulement honorifiques, comme c'est le cas chez Homère (Iliade, 23, 259-270), dont Virgile s'inspire partiellement. Auguste, qui attachait beaucoup d'importance aux jeux, avait voulu restaurer à Rome les habitudes des Jeux Olympiques, où n'étaient décernés que des prix honorifiques.
talents (5, 112). Dans l'antiquité, le talent était une unité de poids, variable selon les régions et les époques. À l'époque historique, il oscilla entre 25 à 37 kilos, mais cela n'implique pas qu'il en était de même chez Virgile, lequel s'inspire tout simplement d'Homère. Chez ce dernier (Iliade, 23, 269), « deux talents d'or » représentent le quatrième prix de la course des chars, entre un bassin tout neuf (le troisième prix) et une amphore neuve également (le cinquième prix). Cfr aussi 5, 247 et 9, 265.
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