Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant VII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE VII
ARRIVÉE AU LATIUM - MENACE DE GUERRE
Arrivée des Troyens au Latium (7, 1-147)
La dernière étape des errances d'Énée (7, 1-36)
Au sortir des Enfers, Énée quitte la Campanie et va mouiller dans un port du sud du Latium, auquel il donne le nom de Caiète, en l'honneur de sa nourrice Caieta, qui vient de mourir. Après lui avoir assuré des funérailles rituelles, les Troyens s'en vont, pleins de confiance et d'espoir. (7, 1-9)
Les éléments leur sont favorables, et Neptune lui-même leur évite les pièges de l'île de Circé, décrite comme une dangereuse magicienne. (7, 10-24)
Cette évocation effrayante contraste avec le passage suivant, qui décrit le bonheur des Troyens découvrant l'embouchure du Tibre, où ils décident de s'arrêter. (7, 25-36)
Tu quoque litoribus nostris, Aeneia nutrix, aeternam moriens famam, Caieta, dedisti ; et nunc seruat honos sedem tuus ossaque nomen Hesperia in magna, siqua est ea gloria, signat. |
Toi aussi, Caiète, nourrice d'Énée, par ta mort tu as donné à nos rivages une gloire éternelle ; et maintenant, ton honneur se perpétue et ton nom, dans la grande Hespérie, signale le lieu où reposent tes os, si cette gloire a quelque valeur. |
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At pius exsequiis Aeneas rite solutis, aggere composito tumuli, postquam alta quierunt aequora, tendit iter uelis portumque relinquit. Adspirant aurae in noctem nec candida cursus Luna negat, splendet tremulo sub lumine pontus. |
Le pieux Énée a accompli selon les rites les cérémonies funèbres a fait recouvrir le tertre de terre et, une fois apaisées la plaine de la mer, il part voiles tendues et quitte le port. Les brises soufflent dans la nuit, et la clarté de la lune favorise la course et la mer scintille sous sa tremblante lumière. |
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Proxima Circaeae raduntur litora terrae, diues inaccessos ubi Solis filia lucos adsiduo resonat cantu tectisque superbis urit odoratam nocturna in lumina cedrum, arguto tenuis percurrens pectine telas. |
La flotte rase les côtes toutes proches de la terre de Circé ; là où la riche fille du Soleil emplit de son chant incessant les bois inaccessibles et, dans sa fière demeure, brûle du cèdre odorant pour éclairer la nuit, et fait courir un peigne sonore sur des toiles fines. |
7, 10 |
Hinc exaudiri gemitus iraeque leonum uincla recusantum et sera sub nocte rudentum, saetigerique sues atque in praesaepibus ursi saeuire ac formae magnorum ululare luporum, quos hominum ex facie dea saeua potentibus herbis |
De ce lieu montaient les gémissements furieux de lions refusant leurs chaînes et rugissant dans la nuit ; des sangliers velus et des ours se démenaient rageusement dans leurs enclos et des loups aux silhouettes énormes.hurlaient ; Circé, la cruelle déesse, avec ses herbes puissantes, avait donné |
7, 15 |
induerat Circe in uoltus ac terga ferarum. Quae ne monstra pii paterentur talia Troes delati in portus neu litora dira subirent, Neptunus uentis impleuit uela secundis atque fugam dedit et praeter uada feruida uexit. |
à des figures humaines une tête et une échine de bête sauvage. Pour éviter aux pieux Troyens d'être entraînés vers ces ports, d'approcher ces côtes sinistres et de subir de telles atrocités, Neptune fit souffler dans leurs voiles des vents favorables et favorisa leur fuite, les emportant au-delà de ces fonds bouillonnants. |
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Iamque rubescebat radiis mare et aethere ab alto Aurora in roseis fulgebat lutea bigis ; cum uenti posuere omnisque repente resedit : flatus et in lento luctantur marmore tonsae. Atque hic Aeneas ingentem ex aequore lucum |
Et déjà la mer s'empourprait sous les rayons et, depuis l'éther, l'Aurore safranée brillait sur son char couleur de rose, quand soudain les vents tombèrent sans le moindre souffle : les rames luttaient sur le marbre d'une mer immobile. Alors du large, Énée aperçoit un bois immense. |
7, 25 |
prospicit. Hunc inter fluuio Tiberinus amoeno uerticibus rapidis et multa flauus arena in mare prorumpit. Variae circumque supraque adsuetae ripis uolucres et fluminis alueo aethera mulcebant cantu lucoque uolabant. |
Au milieu de ce bois, le charmant dieu du fleuve Tibérinus, aux tourbillons rapides et aux flots jaunis par le sable, se déverse dans la mer. Tout autour et par-dessus, des oiseaux de toutes sortes, familiers de ses rives, charment le ciel de leurs chants et survolent le bois. |
7, 30 |
Flectere iter sociis terraeque aduertere proras imperat et laetus fluuio succedit opaco. |
Énée ordonne à ses compagnons de tourner les proues vers la terre, et pénètre heureux dans l'estuaire ombragé. |
7, 35 |
Invocation à la muse (7, 37-45a)
Servant de transition, une invocation à la Muse peut être considérée comme l'introduction de la deuxième partie de l'Énéide, consacrée aux guerres provoquées en Italie par l'arrivée des Troyens. (7, 37-45a)
Nunc age, qui reges, Erato, quae tempora rerum, quis Latio antiquo fuerit status, aduena classem cum primum Ausoniis exercitus appulit oris, |
Et maintenant, Érato, je vais évoquer les rois, les événements, l'état de l'antique Latium, lorsque pour la première fois une armée étrangère poussa sa flotte vers les rivages ausoniens, |
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expediam et primae reuocabo exordia pugnae. Tu uatem, tu, diua, mone. Dicam horrida bella, dicam acies actosque animis in funera reges Tyrrhenamque manum totamque sub arma coactam Hesperiam. Maior rerum mihi nascitur ordo, |
et je raconterai les débuts du tout premier combat. Toi, déesse, oui toi, inspire ton poète. Je dirai les guerres affreuses, je dirai les batailles et les rois que leur ardeur poussa vers la mort, et la troupe tyrrhénienne, et l'Hespérie tout entière, rassemblée sous les armes. Plus grand est l'ordre qui naît, |
7, 40 |
maius opus moueo. |
plus grande est l'oeuvre que j'entreprends. |
7, 45a |
Les dieux manifestent leur volonté aux Latins (7, 45b-106)
Virgile décrit la situation du Latium. La région vit en paix, sous le sceptre de Latinus, dont nous sont décrites la généalogie et la situation familiale : Lavinia, sa fille, est promise à Turnus, soutenu par la reine Amata. Ce tableau serein est ponctué par une note inquiétante : les destins manifestent leur volonté par deux prodiges, interprétés comme annonciateurs de domination étrangère, de gloire mais aussi de douleur. (7, 45-80)
Latinus va consulter l'oracle du dieu-devin Faunus, son père, en respectant strictement un rituel imposé. Faunus livre sa réponse, conseillant à Latinus de prendre pour gendre un étranger, qui conférera la gloire à sa race. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. (7, 81-106)
Rex arua Latinus et urbes iam senior longa placidas in pace regebat. Hunc Fauno et nympha genitum Laurente Marica accipimus, Fauno Picus pater isque parentem te, Saturne, refert, tu sanguinis ultimus auctor. |
Le roi Latinus, bien vieux déjà, régnait sur des villes et des campagnes depuis longtemps pacifiées et sereines. Il était né de Faunus et de la nymphe laurente Marica, nous dit la tradition. Le père de Faunus était Picus, qui te nommes père, toi Saturne, l'auteur le plus ancien de cette race. |
7, 45b |
Filius huic fato diuom prolesque uirilis nulla fuit primaque oriens erepta iuuenta est. Sola domum et tantas seruabat filia sedes, iam matura uiro, iam plenis nubilis annis. Multi illam magno e Latio totaque petebant |
Le destin divin a voulu que Latinus n'ait aucune descendance mâle, un fils lui ayant été arraché à l'aube de sa première jeunesse. Seule une fille assurait le salut de cette maison et d'un trône si puissant, une fille mûre déjà pour le mariage, nubile déjà, en pleine fleur. Nombreux étaient ses prétendants dans le vaste Latium |
7, 50 |
Ausonia. Petit ante alios pulcherrimus omnis Turnus, auis atauisque potens, quem regia coniunx adiungi generum miro properabat amore. Sed uariis portenta deum terroribus obstant. Laurus erat tecti medio in penetralibus altis, |
et toute l'Ausonie. Le plus beau de tous, c'était Turnus, fort de ses aïeux et de ses ancêtres ; Amata, l'épouse du roi, avec un empressement étonnant s'acharnait à le vouloir pour gendre. Mais diverses terreurs nées de présages divins s'y opposent. Au milieu du palais, au fond de la haute demeure, poussait un laurier : |
7, 55 |
sacra comam multosque metu seruata per annos, quam pater inuentam, primas cum conderet arces, ipse ferebatur Phoebo sacrasse Latinus Laurentisque ab ea nomen posuisse colonis. Huius apes summum densae mirabile dictu, |
depuis de longues années, son feuillage sacré était scrupuleusement gardé. Le vénérable Latinus, dit-on, l'avait trouvé lors de la fondation de sa citadelle, l'avait consacré à Phébus et avait appelé son peuple les « Laurentes » d'après son nom. Des abeilles, récit merveilleux !, traversèrent en rangs serrés, dans un intense bourdonnement, |
7, 60 |
stridore ingenti liquidum trans aethera uectae, obsedere apicem, ex pedibus per mutua nexis examen subitum ramo frondente pependit. Continuo uates : « Externum cernimus, » inquit, « aduentare uirum et partis petere agmen easdem |
l'éther limpide et se posèrent tout en haut du laurier ; de leurs pattes entremêlées se forma aussitôt un essaim qui se suspendit à un rameau verdoyant. Aussiôt le devin dit : « Je vois s'avancer un étranger, et du même côté sa troupe qui tend vers le même endroit, |
7, 65 |
partibus ex isdem et summa dominarier arce. » Praeterea, castis adolet dum altaria taedis et iuxta genitorem adstat Lauinia uirgo, uisa nefas longis comprendere crinibus ignem, atque omnem ornatum flamma crepitante cremari |
et établit sa domination en haut de la citadelle ». En outre, tandis que, près des autels, près de son père, la jeune Lavinia allumait les torches rituelles, ô horreur !, on vit le feu saisir ses longs cheveux, toute sa parure brûler sous les flammes crépitantes, |
7, 70 |
regalisque accensa comas, accensa coronam insignem gemmis, tum fumida lumine fuluo inuolui ac totis Volcanum spargere tectis. Id uero horrendum ac uisu mirabile ferri ; namque fore inlustrem fama fatisque canebant |
et s'embraser sa royale chevelure et sa couronne ornée de pierreries. Alors, dans un halo de lumière fauve, enveloppée de fumée, elle répand Vulcain dans toute la demeure. Cette vision passa en vérité pour effrayante mais aussi admirable : c'était pour Lavinia l'annonce d'un grand renom et d'un illustre destin ; |
7, 75 |
ipsam, sed populo magnum portendere bellum.
At rex sollicitus monstris oracula Fauni, fatidici genitoris, adit lucosque sub alta consulit Albunea, nemorum quae maxima sacro fonte sonat saeuamque exhalat opaca mephitim. |
mais pour le peuple, cela présageait une longue guerre.
Alors, préoccupé par ces prodiges, le roi recourt à l'oracle de son père Faunus, divin prophète ; il gagne ses bois sacrés et le consulte au pied de l'altière Albunée, en une immense forêt, où résonne la source sainte exhalant dans l'obscurité une acre odeur de soufre. |
7, 80 |
Hinc Italae gentes omnisque Oenotria tellus in dubiis responsa petunt ; huc dona sacerdos cum tulit et caesarum ouium sub nocte silenti pellibus incubuit stratis somnosque petiuit, multa modis simulacra uidet uolitantia miris |
C'est ici que les peuples d'Italie et toute la terre d'Oenotrie viennent chercher des réponses à leurs doutes. Lorsque le prêtre a apporté ses offrandes et dans la nuit silencieuse s'est couché sur un tapis de peaux des brebis immolées, avant de trouver le sommeil, il voit des fantômes de toutes sortes voltigeant d'étrange façon ; |
7, 85 |
et uarias audit uoces fruiturque deorum conloquio atque imis Acheronta adfatur Auernis. Hic et tum pater ipse petens responsa Latinus centum lanigeras mactabat rite bidentis atque harum effultus tergo stratisque iacebat |
il entend diverses voix, converse avec les dieux, et parle à l'Achéron dans les profondeurs de l'Averne. Là, le vénérable Latinus lui aussi, en quête de réponses, avait immolé selon le rite cent brebis laineuses de deux ans, et, couché, il reposait sur leurs toisons étendues sur le sol. |
7, 90 |
uelleribus ; subita ex alto uox reddita luco est : « Ne pete conubiis natam sociare Latinis, O mea progenies, thalamis neu crede paratis ; externi uenient generi, qui sanguine nostrum nomen in astra ferant quorumque a stirpe nepotes |
Une voix soudaine est alors renvoyée du fond du bois : « Ne cherche pas à unir ta fille à un époux latin, ô mon fils ; ne la confie pas à ce lit qu'on lui a préparé. De l'étranger viendront des gendres, dont le sang portera notre nom jusqu'aux astres. Nés de leur souche, nos descendants |
7, 95 |
omnia sub pedibus, qua Sol utrumque recurrens aspicit Oceanum, uertique regique uidebunt. » Haec responsa patris Fauni monitusque silenti nocte datos non ipse suo premit ore Latinus, sed circum late uolitans iam Fama per urbes |
verront sous leurs pieds tourner l'univers entier soumis à leurs lois, tout ce qu'aperçoit le soleil allant et venant d'un Océan à l'autre ».
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7, 100 |
Ausonias tulerat, cum Laomedontia pubes gramineo ripae religauit ab aggere classem. |
vinrent amarrer leur flotte au remblai couvert de gazon près de la rive. |
7, 105 |
La manducation des tables : un présage positif pour les Troyens (7, 107-147)
Les Troyens au bord du fleuve font un maigre repas de fruits sauvages posés sur des galettes de blé. N'étant pas rassasiés, ils se mettent à manger aussi ces dernières. Iule en plaisantant fait remarquer qu'ils ont mangé leurs tables. Énée se souvient alors d'une prophétie qu'aurait faite Anchise et comprend qu'il touche la « terre promise ». (7, 107-134)
Énée invoque alors diverses divinités protectrices, et lorsque Jupiter se manifeste, les Troyens osent enfin s'abandonner à la joie, se croyant près du but. (7, 135-147)
Aeneas primique duces et pulcher Iulus corpora sub ramis deponunt arboris altae instituuntque dapes et adorea liba per herbam |
Énée, les principaux chefs et le beau Iule s'étendent sous les branches d'un grand arbre ; ils préparent un repas, et comme le recommendait Jupiter, |
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subiciunt epulis sic Iuppiter ipse monebat et Cereale solum pomis agrestibus augent. Consumptis hic forte aliis ut uertere morsus exiguam in Cererem penuria adegit edendi et uiolare manu malisque audacibus orbem |
ils placent dans l'herbe, sous les mets des galettes de farine de blé, puis chargent ce socle de Cérès de fruits champêtres. Alors, ayant tout consommé, vu la nourriure insuffisante, ils furent poussés à mordre dans la mince galette de Cérès et violèrent de leurs mains et de leurs mâchoires hardies, |
7, 110 |
fatalis crusti patulis nec parcere quadris. « Heus ! etiam mensas consumimus, » inquit Iulus, nec plura adludens. Ea uox audita laborum prima tulit finem, primamque loquentis ab ore eripuit pater ac stupefactus numine pressit. |
l'assiette de gâteau prophétique, n'en épargnant pas de larges morceaux : « Hé, nous mangeons aussi nos tables ! » dit Iule en riant, sans plus. Entendre cette parole fut le premier signal de la fin de leurs épreuves : Énée la cueillit sur ses lèvres et tout de suite l'interrompit., frappé par une volonté divine. |
7, 115 |
Continuo : « Salue fatis mihi debita tellus uosque, » ait, « O fidi Troiae saluete penates ; hic domus, haec patria est. Genitor mihi talia namque nunc repeto Anchises fatorum arcana reliquit : ʻ Cum te, nate, fames ignota ad litora uectum |
Il dit aussitôt : « Salut, terre que me devait le destin, et salut à vous, Pénates de Troie, dignes de notre confiance. Ceci est notre demeure, voici notre patrie. Mon père Anchise en effet, je m'en souviens maintenant, m'a confié ces secrets du destin : ʻ Mon fils, lorsque tu te trouveras transporté sur un rivage inconnu, |
7, 120 |
accisis coget dapibus consumere mensas, tum sperare domos defessus ibique memento prima locare manu molirique aggere tecta. ʼ Haec erat illa fames ; haec nos suprema manebat, exiliis positura modum. |
et lorsque, par manque de vivres, la faim te forcera à manger les tables, alors, lassé d'espérer une demeure, souviens-toi, d' installer de tes mains tes premières constructions, et d'élever un retranchement.ʼ C'était bien cette famine, l'ultime épreuve qui nous attendait, qui allait mettre un terme à nos malheurs. |
7, 125 |
Quare agite et primo laeti cum lumine solis quae loca, quiue habeant homines, ubi moenia gentis, uestigemus et a portu diuersa petamus. Nunc pateras libate Ioui precibusque uocate Anchisen genitorem, et uina reponite mensis. »
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C'est pourquoi, en avant. Et le coeur joyeux, à la première lueur du soleil, cherchons à connaître ces lieux, leurs habitants, où sont leurs murailles et, depuis notre ancrage explorons dans diverses directions. Maintenant, offrez vos coupes de libations à Jupiter ; dans vos prières, invoquez Anchise mon père, et replacez le vin sur les tables. » |
7, 130 |
Sic deinde effatus frondenti tempora ramo implicat et geniumque loci primamque deorum Tellurem nymphasque et adhuc ignota precatur flumina, tum Noctem Noctisque orientia signa Idaeumque Iouem Phrygiamque ex ordine matrem |
Sur ces paroles, le front ceint d'un rameau verdoyant, Énée invoque successivement le génie du lieu, puis Tellus, la première des divinités, les Nymphes et les fleuves, encore inconnus, |
7, 135 |
inuocat et duplicis caeloque ereboque parentis. Hic pater omnipotens ter caelo clarus ab alto intonuit radiisque ardentem lucis et auro ipse manu quatiens ostendit ab aethere nubem. Diditur hic subito Troiana per agmina rumor |
enfin ses parents, sa mère dans le Ciel et son père dans l'Érèbe. Alors, du haut du ciel, l'illustre Père tout puissant tonna par trois fois et, du haut du ciel agita de sa propre main une nuée ardente qui apparut toute rayonnante d'or et de lumière. Aussitôt, une rumeur se répand dans les rangs troyens : |
7, 140 |
aduenisse diem, quo debita moenia condant. Certatim instaurant epulas atque omine magno crateras laeti statuunt et uina coronant. |
« Le jour est venu, où ils élèveront les murs qu'ils attendent en droit ». Pleins d'ardeur, ils reprennent le festin, joyeux de ce grand présage, |
7, 145 |
Notes (7, 1-147)
Le début du livre 7 marque la transition entre les deux grandes parties de l'Énéide : les errances d'Énée, qui occupent les six premiers chants, correspondant à l'Odyssée, et l'installation troyenne en Italie, décrite dans les six derniers chants, correspondant à l'Iliade.
Caiète (7, 1). Caiète est une ville et un port du sud du Latium (aujourd'hui Gaeta en italien). La légende de la nourrice d'Énée, probablement inspirée par celle de la nourrice d'Ulysse (Odyssée, 1, 429), est une étiologie imaginée par Virgile pour expliquer l'origine du nom de la ville. Au livre précédent, le trompette Misène (6, 234-235), et le pilote Palinure (6, 380-381), avaient eux aussi, une fois morts, donné leur nom, l'un au cap Misène et l'autre au cap Palinure.
Hespérie (7, 4). Appellation courante pour l'Italie, chez Virgile. Cfr déjà en 1, 530.
Circé (7, 10). Fille du Soleil, Circé est, dans la légende, une magicienne dangereuse, qui transforme en animaux les hommes qui l'approchent et qu'elle touche de sa baguette. À la différence d'Homère, qui consacre un très beau et très long passage à la rencontre d'Ulysse et de Circé (Odyssée, 10, 136ss), Virgile n'envisage pas d'escale dans l'île de la magicienne. Les Troyens passent au large, favorisés ici encore par Neptune. Dans la géographie ancienne de l'Italie, une ville (Circei) et un promontoire étaient censés porter le nom de la magicienne. La toponymie moderne prolonge ces dénominations antiques (Monte Circeo, Felice Circeo). Ici encore peut-être, le nom géographique a pu donner naissance à la légende de Circé, qui est cependant bien antérieure à Virgile. Circé a déjà été citée en 3, 386, dans la prophétie d'Hélénus. On la retrouvera en 7, 191 pour ses rapports avec Picus ; et en 7, 283, à propos des chevaux du Soleil, son père. Le récit de Macarée, chez Ovide, Mét., 14, 223-319, comporte un long développement sur Circé et Ulysse.
Tiberinus (7, 25-36). Dans la tradition antérieure à Virgile, les Troyens débarquaient plus au sud, dans le territoire laurentin, c'est-à-dire la région des Laurentes chez qui Énée fondera plus tard la ville de Lavinium. Pour des raisons qui ne nous sont pas claires, Virgile a modifié cette vision des choses, en choisissant l'embouchure du Tibre comme lieu de débarquement. Ce faisant, il privilégiait Ostie et le fleuve qui la reliait à Rome. Le contraste est frappant entre le tableau idyllique brossé par Virgile et ce que devait être à l'époque du poète l'animation d'un grand port commercial. Le Tibre est ici désigné par le nom du dieu du fleuve, Tibérinus, qui va jouer un rôle au livre suivant, en délivrant en personne une prophétie à Énée (8, 31-65).
Érato (7, 37). Nouvelle invocation à la Muse (Cfr celle de 1, 8 ss : « Muse, apprends-moi les causes... »). C'est une manière pour le poète de souligner un moment important du récit. Le chant sept compte deux invocations aux Muses, celle-ci et celle de 7, 641. Dans le groupe des neuf Muses, Érato patronne spécifiquement la poésie érotique, mais elle intervient ici simplement en tant que Muse.
Les rivages ausoniens (7, 39). L'Ausonie est le nom d'une partie de l'Italie, au sud du Latium (cfr aussi 8, 328), dont l'éponyme était Auson (un fils d'Ulysse), mais Virgile l'utilise, comme il le fait du mot Hespérie (cfr 7, 3), pour désigner toute l'Italie. En recourant à l'expression « l'Hespérie tout entière », le poète ne craint pas l'hyperbole. En effet, comme le montrera la suite du récit, toute l'Italie ne sera pas engagée dans la guerre.
L'ordre qui naît... (7, 44-45). Ces vers dénotent l'importance du sujet abordé ici, qui est l'objet essentiel de l'Énéide : Énée est maintenant dans le Latium, la « terre promise », et il s'agit de la naissance du monde romain. Un ordre nouveau va s'installer en Italie après un déchaînement de violence. Ce texte devait ramener à l'esprit des contemporains de Virgile les récents événements des guerres civiles et l'ordre nouveau qu'Auguste avait réussi à établir.
La généalogie de Latinus (7, 45-49). Virgile dresse rapidement la généalogie du roi Latinus, héros éponyme de la race latine et roi du Latium, qui semble bien être un personnage artificiel, inventé par les historiens et les poètes. Il est présenté ici comme le fils de Faunus, le petit-fils de Picus, et il descend, si l'on saute les intermédiaires, de Saturne, le roi de l'âge d'or. Sa généalogie toutefois n'était pas fixe : Hésiode (Théogonie, 1011-1013), par exemple, en faisait un fils d'Ulysse et de Circé. Virgile semble avoir innové en donnant à Latinus, comme père, Faunus et, comme mère, Marica, une nymphe vénérée sur les bords du Liris, près de Minturnes. Denys d'Halicarnasse (1, 43, 1) en fait un fils d'Hercule (cfr aussi 7, 657, à propos d'Aventinus). Quoi qu'il en soit, les Latins ont ici une ascendance divine, très vénérable, puisqu'ils remontent au-delà même de Jupiter, jusqu'à Saturne.
Faunus (7, 47). Faunus, présenté comme le père de Latinus et comme un des rois mythiques du Latium, était une divinité de la nature sauvage, avec ses puissances mystérieuses de fertilité. Il présidait notamment à la fécondité des troupeaux. On lui attribuait aussi des qualités oraculaires, dont il sera question en 7, 81-106. En 196 a.C.n., on lui éleva un temple dans l'île Tibérine, avec le produit d'amendes imposées aux fermiers des pâturages publics.
Picus (7, 48). Picus est le nom latin du pivert, dont Virgile fait également un roi du Latium, père de Faunus. Il en sera question à propos de la demeure de Latinus en 7, 171 et surtout en 7, 187-191. Peut-être était-il lui aussi un dieu de la nature sauvage, comme Faunus, mais ce n'est pas sûr. Sur le roi Picus et sa transformation en oiseau, voir Ovide, Mét., 14, 320-396.
Saturne (7, 49). Saturne était une ancienne divinité latine, dont les Romains firent un dieu des semailles, mais son signalement primitif est loin d'être clair. Quoi qu'il en soit, il a été identifié au Cronos grec, père de Jupiter et le dieu de l'âge d'or. Une tradition raconte qu'après avoir été détrôné par son fils Jupiter, il serait venu se réfugier dans la région pour s'y cacher (en latin latere), lui donnant son nom (Latium) (cfr 8, 319-325). Il est considéré par Virgile comme un des rois mythiques du Latium (cfr 1, 569).
Lavinia, Turnus et Amata (7, 50-57). Après l'ascendance de Latinus, quelques mots sur sa famille. Marié à Amata, il ne lui reste qu'une fille, Lavinia, que recherche assidûment Turnus, roi des Rutules, un ancien peuple du Latium, dont la capitale est Ardée. Première mention ici d'un personnage, Turnus, qui, dans la suite de l'épopée, jouera un rôle très important, comparable, par certains aspects, à celui joué par Achille dans l'Iliade. On le retrouvera dans le catalogue des Italiens (7, 783-802).
La notion de présages (7, 59-80). Les Romains attachaient une valeur de présages à des prodiges, c'est-à-dire des événements qui sortaient de l'ordinaire. Ils étaient censés transmettre des messages divins, qui devaient être interprétés par du personnel qualifié, à savoir des devins. Deux prodiges sont évoqués ici.
Laurier et Laurentes (7, 59-70). Le premier présage touche un arbre sacré fort ancien, un laurier, qui poussait, semble-t-il, au sommet de la citadelle, dans une cour intérieure du palais de Latinus. C'est à ce laurier que le peuple devait son nom de Laurentes. Rien d'étrange qu'il ait été consacré à Phébus-Apollon dont le laurier était l'arbre sacré. Un essaim d'abeilles, venu de l'extérieur, vient s'y installer. Le sens est clair : des étrangers vont occuper la place.
La chevelure enflammée de Lavinia (7, 71-80). Le second prodige touche Lavinia elle-même, dont la longue chevelure s'enflamme accidentellement lors d'un sacrifice. En s'enfuyant les cheveux en feu, elle « répand » Vulcain, c'est-à-dire le feu, dans tout le palais. Si le premier présage était réaliste, le second relève plutôt du fantastique. Ni Lavinia ni le palais ne prennent réellement feu. L'interprétation est ici plus nuancée, car le feu est un symbole ambigu, positif (il éclaire) et négatif (il détruit). Le prodige est censé annoncer la grandeur du destin de Lavinia (et de Rome ?) mais aussi la longue guerre qui va frapper le peuple. Cfr aussi 2, 680-684, où une aigrette de feu apparaît sur la tête de Iule. De même, dans la description du bouclier d'Énée (en 8, 680-681) une aigrette de feu entoure la tête d'Octave-Auguste. Un prodige comparable est rapporté à propos de Servius Tullius, qui fut ainsi désigné pour succéder à Tarquin l'Ancien (Tite-Live, 1, 39, 1).
l'oracle de son père... (7, 81-95). L'interprétation des prodiges était une forme de divination, mais l'antiquité avait d'autres moyens de communiquer avec les dieux. L'incubation était l'un d'eux. Elle consistait, après une purification rituelle et des sacrifices, à passer la nuit dans un temple, pour recevoir du dieu, en rêve, diverses indications. Cela se passait surtout avec Asclépios-Esculape, dieu guérisseur, qui transmettait de la sorte ses « ordonnances » au malade. Ici toutefois, il ne s'agit pas de guérir une maladie, et Asclépios-Esculape n'est pas en cause. Latinus va consulter son père Faunus qui, entre autres fonctions, avait celle de rendre des oracles, dévoilant l'avenir grâce notamment aux voix surnaturelles émises par les bosquets sacrés.
L'Albunée (7, 83). L'Albunée dont parle Virgile est bien connue et localisée près de Tibur (aujourd'hui Tivoli). C'est en fait une source et un ruisseau sulfureux, célèbre par une cascade. À la nymphe patronne de l'endroit, Albunea, on attribuait des dons prophétiques, et Varron (chez Lactance, Institutions divines, 1, 6, 12) la classait même au nombre des Sibylles d'Italie. Virgile semble avoir imaginé la présence à cet endroit d'un sanctuaire à Faunus, tout comme il semble avoir transféré sur Faunus le rituel de l'incubation valable pour d'autres dieux. En fait, aucun autre témoignage fiable ne vient confirmer cette description virgilienne, qui par ailleurs ne manque ni d'allure ni de force.
Oenotrie (7, 85). Au sens strict, l'Oenotrie est une contrée située entre Paestum et Tarente. Le terme est ici utilisé pour désigner l'Italie (cfr déjà en 1, 532). L'exagération épique est manifeste. Autre exemple d'exagération : au vers 7, 93, Latinus n'immole pas moins de cent brebis.
Achéron... Averne (7, 91). Deux termes, dont il a été beaucoup question dans le chant 6, évoquent le royaume des morts : l'Achéron (6, 107 ; 6, 295), une rivière des enfers et l'Averne (6, 118 ; 6, 126 ; 6, 201 ; 6, 564), un lac non loin de Cumes, réputé comme une bouche des enfers, et désignant par métonymie les enfers eux-mêmes. Cette allusion s'explique peut-être par la présence de soufre, censé venir du monde d'en-bas, dans les eaux de l'Albunea.
une voix... (7, 96-101). La réponse de Faunus est nette. Latinus doit marier sa fille, non à Turnus, mais à un étranger. Le peuple qui naîtra de cette union dominera la terre entière, de l'Orient à l'Occident (7, 100-101). Exaltation, bien évidemment, de la puissance romaine.
réponses... (7, 102-106). L'information fait le tour de toute l'Italie (= Ausonie). Virgile ramène alors l'attention sur les Troyens, désignés par une périphrase, Laomédon étant le roi de Troie qui précéda Priam.
La manducation des tables (7, 107-134). Cet épisode renvoie à diverses prophéties antérieures ; contrairement à ce que dit Énée (7, 122-127), dans le récit lui-même, ce n'est pas Anchise, mais Céléno la Harpye (3, 255-257) et Hélénus (3, 394-395) le devin, qui les avaient faites. La première avait prophétisé en substance que les Troyens ne pourraient construire la ville qui leur était destinée avant que la faim ne les ait forcés à dévorer leurs tables. Hélénus, à Buthrote, avait tenté de les rassurer sur ce point. La solution présentée ici montre que les Troyens n'avaient pas de raison particulière de s'inquiéter.
Énée la cueillit... (7, 117-129). La manière dont Énée « cueille » la formule sur les lèvres de Iule est typique de la conception que la religion romaine se fait des omina, c'est-à-dire les présages entendus. Il faut savoir en effet que toute parole prononcée par quelqu'un dans une intention particulière, si elle peut s'appliquer aux préoccupations et à la conduite d'une autre personne, constitue un présage, effrayant ou rassurant. Il s'agit là aussi d'avertissements envoyés par les dieux aux hommes pour les confirmer dans leurs entreprises ou bien au contraire pour les en détourner. Mais la liberté du Romain vis-à-vis de ces présages reste grande. Il peut en effet soit donner valeur à la parole annonciatrice en disant qu'il l'accepte (omen accipere), soit refuser religieusement le présage funeste (omen exsecrari, abominari), soit encore le transformer par des paroles adroites qui en modifient efficacement la valeur. C'est ce que fait ici Énée qui applique la plaisanterie, innocente, de Iule à la prophétie qui avait été adressée aux Troyens.
invoque... (7, 135-140). Dans la conception religieuse romaine, chaque endroit possède son « génie » protecteur, le « génie du lieu ». Énée s'adresse d'abord à lui, puis à Tellus, la Terre-Mère en général, puis aux divinités locales des sources et des eaux qu'il ne peut encore citer par leur nom, puisqu'il ne les connaît pas encore. Après les divinités de l'endroit, le héros s'adresse aux divinités du moment. La scène se passe manifestement le soir, pendant une nuit étoilée. Les Romains n'ont pas divinisé la nuit, mais dans la mythologie grecque, que Virgile suit probablement ici, la Nuit (Nyx) était une grande figure mythologique (cfr aussi 12, 846). Quant aux étoiles, une forme de religion, dite astrale, différente de la religion officielle, en faisait des êtres divins. Enfin Énée prie Jupiter-Zeus et Cybèle (= la mère phrygienne), deux divinités vénérées sur le mont Ida, en Troade, avant de songer à sa mère, Aphrodite-Vénus, qui est au ciel, et à son père, Anchise, qui est dans l'Érèbe, c'est-à-dire dans le royaume des morts. Pour prier, Énée s'est entouré la tête d'une couronne végétale.
Érèbe (7, 140). L'Érèbe, synonyme du monde souterrain ou des Enfers (cfr 4, 26 ; 4, 510 ; 6, 247 ; 6, 404 ; 6, 671).
le Père tout puissant... (7, 141-147). Jupiter manifeste alors son approbation par trois coups de tonnerre et en illuminant les nuages avec les éclairs. C'est un signe de bon augure. Les Troyens ne s'y trompent pas, qui mangent et boivent dans la joie.
Les cratères et les couronnes (7, 147). Les cratères sont de grands vases, où les Anciens, qui normalement ne buvaient pas le vin pur, le mélangeaient à l'eau. C'est avec le mélange obtenu dans ce cratère qu'on remplissait les coupes à boire. Quant aux couronnes autour des vases, elles étaient des ornements de fête.
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