Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant XII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE XII
LE DÉNOUEMENT
Accord conclu : un duel et un traité (12, 1-215)
Turnus résolu au duel (12, 1-80)
Turnus se décide à se mesurer à Énée en duel, seule issue possible selon lui pour résoudre le conflit. Malgré les tentatives vaines de Latinus pour le dissuader, il refuse de se soumettre à la volonté du destin. (12, 1-53)
Les pleurs et les supplications d'Amata et la présence silencieuse de Lavinia ne font que le renforcer encore dans sa résolution de rencontrer Énée à qui, par l'intermédiaire d'un messager, il propose un duel. (12, 54-80)
Turnus ut infractos aduerso Marte Latinos defecisse uidet, sua nunc promissa reposci, se signari oculis, ultro implacabilis ardet attollitque animos. Poenorum qualis in aruis |
Turnus voit que les Latins, brisés par un combat malheureux ont perdu courage ; maintenant on lui rappelle ses promesses, sur lui se portent les regards ; alors, impossible à contenir, spontanément, il s'enflamme et s'exalte. Ainsi dans les champs puniques, |
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saucius ille graui uenantum uulnere pectus tum demum mouet arma leo gaudetque comantis excutiens ceruice toros fixumque latronis inpauidus frangit telum et fremit ore cruento : haud secus adcenso gliscit uiolentia Turno. |
lorsque le coup puissant des chasseurs l'a blessé à la poitrine, le lion alors finalement va au combat, se plaisant à secouer sur son cou sa crinière ondoyante, impavide il brise le trait que lui a fiché un brigand et rugit, la gueule ensanglantée. De même s'embrase la violence du bouillant Turnus. |
12, 005 |
Tum sic adfatur regem atque ita turbidus infit : « Nulla mora in Turno ; nihil est quod dicta retractent ignaui Aeneadae, nec quae pepigere recusent. Congredior, fer sacra, pater, et concipe foedus. Aut hac Dardanium dextra sub Tartara mittam, |
Alors, il s'adresse au roi et, au comble de l'excitation, dit : « Un Turnus n'hésite pas un instant ; les lâches Énéades raisonnablement ne peuvent revenir sur leur parole ou renoncer aux pactes conclus : je vais me battre. Apporte les objets sacrés, ô père, et conçois un traité. Soit ma droite enverra au Tartare le Dardanien, |
12, 010 |
desertorem Asiae sedeant spectentque Latini, et solus ferro crimen commune refellam, aut habeat uictos, cedat Lauinia coniunx. » Olli sedato respondit corde Latinus : « O praestans animi iuuenis, quantum ipse feroci |
ce déserteur de l'Asie – que les Latins s'installent en spectateurs ! –, et moi seul, avec mon épée, j'effacerai le reproche qui nous atteint tous. Soit, s'il nous vainc, Lavinia deviendra son épouse soumise ». Latinus, avec une calme sérénité, lui répondit : « O jeune âme sublime, plus tu l'emportes par ta vaillance , |
12, 015 |
uirtute exsuperas, tanto me impensius aequum est consulere atque omnis metuentem expendere casus. Sunt tibi regna patris Dauni, sunt oppida capta multa manu, nec non aurumque animusque Latino est ; sunt aliae innuptae Latio et Laurentibus aruis, |
et ta fougue, plus il est juste que je réfléchisse intensément et que j'évalue, en les redoutant, toutes les éventualités possibles. Tu disposes du royaume de Daunus, ton père, et des cités nombreuses conquises par ton bras ; de plus, Latinus ne manque pas d'or et de générosité ; il y a, au Latium et chez les Laurentes, d'autres jeunes filles à marier, |
12, 020 |
nec genus indecores. Sine me haec haud mollia fatu sublatis aperire dolis, simul hoc animo hauri. Me natam nulli ueterum sociare procorum fas erat, idque omnes diuique hominesque canebant. Victus amore tui, cognato sanguine uictus |
dont la naissance n'est pas sans éclat. Laisse-moi, sans aucun détour, te faire une révélation difficile, et qu'ainsi ton coeur s'en imprègne : je n'avais pas le droit d'unir ma fille à l'un de ses anciens prétendants ; ainsi de tous côtés le proclamaient les dieux et les hommes. Cédant à mon affection pour toi, cédant à nos liens de sang |
12, 025 |
coniugis et maestae lacrumis, uincla omnia rupi : promissam eripui genero, arma impia sumpsi. Ex illo qui me casus, quae, Turne, sequantur bella, uides, quantos primus patiare labores. Bis magna uicti pugna uix urbe tuemur |
et aux larmes d'une épouse affligée, j'ai rompu tous les liens ; j'ai arraché une fiancée à mon gendre et entrepris une guerre impie. Depuis lors, Turnus, tu vois quels malheurs me poursuivent, et de quelles guerres, de quelles lourdes épreuves tu es le premier à souffrir. Deux fois vaincus en un long combat, nous peinons à défendre |
12, 030 |
spes Italas ; recalent nostro Thybrina fluenta sanguine adhuc campique ingentes ossibus albent. Quo referor totiens ? Quae mentem insania mutat ? Si Turno exstincto socios sum adscire paratus, cur non incolumi potius certamina tollo ? |
dans notre cité les espoirs italiens ; les flots du Tibre sont encore chauds du sang des nôtres, dont les ossements blanchissent l'immensité des champs. Pourquoi tant d'hésitation en moi ? Quelle folie me fait changer d'avis ? Si je suis prêt à admettre les Troyens comme alliés, si Turnus meurt, pourquoi plutôt ne pas renoncer aux combats, tant qu'il est vivant ? |
12, 035 |
Quid consanguinei Rutuli, quid cetera dicet Italia, ad mortem si te – Fors dicta refutet ! – prodiderim, natam et conubia nostra petentem ? Respice res bello uarias ; miserere parentis longaeui, quem nunc maestum patria Ardea longe |
Que diront les Rutules nos frères ? Que dira le reste de l'Italie, si – puisse le sort me contredire ! – je te livre à la mort, toi qui réclames notre fille et une alliance avec nous ? Considère les aléas de la guerre ; aie pitié de ton vieux père qui, en ce moment, séparé de toi, est bien triste dans sa patrie d'Ardée. » |
12, 040 |
diuidit. » Haudquaquam dictis uiolentia Turni flectitur : exsuperat magis aegrescitque medendo. Vt primum fari potuit, sic institit ore : « Quam pro me curam geris, hanc precor, optime, pro me deponas letumque sinas pro laude pacisci : |
Ces paroles ne fléchissent aucunement la violence de Turnus, et voulant la soigner, Latinus ne fait que l'enfler et l'envenimer. Dès qu'il put parler, Turnus répondit ainsi : « Ô le meilleur des rois, je t'en prie, renonces à ce soin pour moi et permets-moi d'engager ma vie pour ma gloire. |
12, 045 |
et nos tela, pater, ferrumque haud debile dextra spargimus ; et nostro sequitur de uolnere sanguis. longe illi dea mater erit, quae nube fugacem feminea tegat et uanis sese occulat umbris. »
At regina, noua pugnae conterrita sorte, |
Nous aussi, père, nous semons des traits, notre main envoie des traits qui ne sont pas sans force ; le sang jaillit aussi de nos coups. Et la déesse sa mère sera trop loin de lui pour couvrir sa fuite d'un nuage féminin et se cacher dans des ombres inconsistantes. »
La reine, elle, épouvantée par le tour nouveau du combat, pleurait |
12, 050 |
flebat et ardentem generum moritura tenebat : « Turne, per has ego te lacrimas, per siquis Amatae tangit honos animum spes tu nunc una, senectae tu requies miserae, decus imperiumque Latini te penes, in te omnis domus inclinata recumbit. |
et, disposée à mourir, tentait de contenir la fougue de son gendre : « Turnus, par ces larmes que je verse, par l'honneur d'Amata, pour peu qu'il te touche, tu es désormais le seul espoir, le seul repos de notre pitoyable vieillesse ; l'honneur, le pouvoir de Latinus sont entre tes mains ; sur toi repose toute notre maison chancelante. |
12, 055 |
unum oro : desiste manum committere Teucris. Qui te cumque manent isto certamine casus, et me, Turne, manent : simul haec inuisa relinquam lumina nec generum Aenean captiua uidebo. » Accepit uocem lacrimis Lauinia matris |
Je te demande une seule chose : cesse de te mesurer aux Teucères. Quel que soit le sort qui t'attend à l'issue de ton combat, Turnus, il sera aussi le mien. Au même instant, je quitterai cette vie odieuse et je ne verrai pas, captive, Énée devenir mon gendre. » Lavinia en entendant les paroles de sa mère, |
12, 060 |
flagrantis perfusa genas, cui plurimus ignem subiecit rubor et calefacta per ora cucurrit. Indum sanguineo ueluti uiolauerit ostro siquis ebur, aut mixta rubent ubi lilia multa alba rosa : talis uirgo dabat ore colores. |
versait des larmes inondant ses joues brûlantes ; une vive rougeur embrasa son visage et parcourut ses traits en feu. De même que l'on teinte de pourpre sanguine un ivoire indien, ou que rougissent des lis blancs mêlés à une profusion de roses, les traits de la jeune fille se présentaient sous cette couleur. |
12, 065 |
Illum turbat amor, figitque in uirgine uoltus : ardet in arma magis paucisque adfatur Amatam. « Ne, quaeso, ne me lacrimis neue omine tanto prosequere in duri certamina Martis euntem, O mater ; neque enim Turno mora libera mortis. |
Lui, troublé par la passion, tient ses regards fixés sur elle ; son ardeur guerrière grandit et il répond brièvement à Amata : « Non, je t'en prie, ô mère, que tes larmes ni un si lourd présage, ne m'accablent pas au moment où je rejoins les combats de Mars ; et d'ailleurs, Turnus n'est pas libre de retarder la mort. |
12, 070 |
Nuntius haec Idmon Phrygio mea dicta tyranno haud placitura refer : cum primum crastina caelo puniceis inuecta rotis Aurora rubebit, non Teucros agat in Rutulos, Teucrum arma quiescant et Rutuli ; nostro dirimamus sanguine bellum, |
Idmon, sois mon messager ; va porter au tyran phrygien ces paroles qui ne lui seront pas agréables : demain, dès que rougira dans le ciel l'Aurore emportée sur son char de pourpre, qu'il ne mène pas les Troyens contre les Rutules ; que les Rutules aussi laissent en repos les armes des Troyens ; concluons la guerre dans notre propre sang ; |
12, 075 |
illo quaeratur coniunx Lauinia campo. » |
que sur ce champ de bataille se conquière la main de Lavinia. » |
12, 080 |
Préparatifs du combat (12, 81-133)
Aussitôt, Turnus s'en va préparer ses armes et son char, proférant des menaces méprisantes à l'égard d'Énée, tandis que celui-ci, heureux de la proposition, mentalement prêt au combat, rassure les siens et décide de préciser à Latinus ses conditions. (12, 81-112)
Dès l'aube du lendemain, dans les deux camps on aménage le terrain où se dérouleront le combat et la cérémonie rituelle du traité. De part et d'autre, les troupes sortent de leurs campements et s'installent en position de repos, tandis que des Latins curieux en foule s'apprêtent à contempler le spectacle depuis les remparts de la ville. (12, 113-133)
Haec ubi dicta dedit rapidusque in tecta recessit. poscit equos gaudetque tuens ante ora frementis, Pilumno quos ipsa decus dedit Orithyia, qui candore niues anteirent, cursibus auras. |
Sur ces paroles, Turnus se retire en hâte en sa demeure, réclame ses chevaux, qu'il aime voir frémissants devant lui ; Orithye en personne avait offert en hommage à Pilumnus ces bêtes qui surpassaient la neige en blancheur et les vents à la course. |
12, 081 |
Circumstant properi aurigae manibusque lacessunt pectora plausa cauis et colla comantia pectunt. Ipse dehinc auro squalentem alboque orichalco circumdat loricam umeris ; simul aptat habendo ensemque clipeumque et rubrae cornua cristae |
Des cochers s'empressent autour d'eux ; du creux de la main, ils tapotent leurs poitrails, peignent leurs encolures chevelues. Lui revêt une cuirasse aux écailles d'or et d'orichalque blanc, et en même temps pour en assurer le maintien, il ajuste son épée, son bouclier et les cornes de son casque au rouge panache ; |
12, 085 |
ensem, quem Dauno ignipotens deus ipse parenti fecerat et Stygia candientem tinxerat unda. Exin quae mediis ingenti adnixa columnae aedibus adstabat, ualidam ui corripit hastam, Actoris Aurunci spolium, quassatque trementem |
cette épée, le divin maître du feu l'avait forgée pour Daunus, son père et l'avait plongée toute brûlante dans l'onde du Styx. Puis, il saisit avec rage une lance puissante dressée au centre du palais, appuyée à une immense colonne, dépouille d'Actor l'Auronce ; il la brandit et l'agite, tout en criant : |
12, 090 |
uociferans : « Nunc, O numquam frustrata uocatus hasta meos, nunc tempus adest : te maximus Actor te Turni nunc dextra gerit. Da sternere corpus loricamque manu ualida lacerare reuulsam semiuiri Phrygis et foedare in puluere crinis |
« Maintenant, ô lance qui jamais n'as déçu mes appels, maintenant, le moment est venu : jadis aux mains du puissant Actor, tu es maintenant dans la droite de Turnus ; accorde-lui de terrasser le corps de cet eunuque de Phrygien, d'arracher d'une main ferme sa cuirasse et de la déchirer, |
12, 95 |
uibratos calido ferro murraque madentis. » His agitur furiis ; totoque ardentis ab ore scintillae absistunt, oculis micat acribus ignis : mugitus ueluti cum prima in proelia taurus terrificos ciet atque irasci in cornua temptat, |
de souiller de poussière ses cheveux ondulés au fer, imbibés de myrrhe ». Ainsi est-il la proie des furies ; desa face enflammée partent des étincelles ; le feu brille dans ses yeux féroces ; il est comme un taureau au début du combat, qui mugit à faire peur ou presse de ses cornes le tronc un arbre ; |
12, 100 |
arboris obnixus trunco, uentosque lacessit ictibus aut sparsa ad pugnam proludit harena. Nec minus interea maternis saeuos in armis Aeneas acuit Martem et se suscitat ira, oblato gaudens componi foedere bellum, |
cherchant à passer sa colère, il frappe l'air de ses pattes ou prélude au combat en faisant voler le sable de l'arène. Pendant ce temps, Énée portant les armes de sa mère, est aussi redoutable ; il aiguise Mars en lui, fait monter sa colère, se réjouissant de l'accord proposé pour mettre fin à la guerre. |
12, 105 |
tum socios maestique metum solatur Iuli, fata docens, regique iubet responsa Latino certa referre uiros et pacis dicere leges.
Postera uix summos spargebat lumine montis orta dies, cum primum alto se gurgite tollunt |
Puis il rassure ses compagnons et Iule plein de crainte et de tristesse, les renseignant sur les destins et les chargeant de porter sa réponse ferme au roi Latinus, en lui énonçant les conditions de la paix.
Le lendemain, le jour naissant répandait à peine sa lumière sur les cimes des montagnes, quand surgissent du fond de l'abîme |
12, 110 |
solis equi lucemque elatis naribus efflant : campum ad certamen magnae sub moenibus urbis dimensi Rutulique uiri Teucrique parabant in medioque focos et dis communibus aras gramineas. Alii fontemque ignemque ferebant, |
les chevaux du Soleil, soufflant la lumière de leurs naseaux dilatés : au pied des remparts de la vaste cité, Rutules et Troyens mesuraient et et délimitaient le terrain du combat ; au centre, ils dressaient des foyers et des autels de gazon en l'honneur de leurs dieux communs. D'autres, voilés de lin, |
12, 115 |
uelati limo et uerbena tempora uincti. Procedit legio Ausonidum, pilataque plenis agmina se fundunt portis. Hinc Troius omnis Tyrrhenusque ruit uariis exercitus armis, haud secus instructi ferro, quam si aspera Martis |
le front ceint de rameaux de verveine, apportaient de l'eau et du feu. La légion des Ausoniens s'avance et à pleines portes s'écoulent des troupes armées de javelots ; voici que se rue toute l'armée des Troyens et des Étrusques, revêtus de leurs armes diverses, bardés de fer comme si Mars les appelait à d'âpres combats. |
12, 120 |
pugna uocet ; nec non mediis in milibus ipsi ductores auro uolitant ostroque decori, et genus Assaraci Mnestheus et fortis Asilas et Messapus equum domitor, Neptunia proles. Vtque dato signo spatia in sua quisque recessit, |
Et, parmi ces milliers d'hommes, les chefs eux-mêmes courent partout, superbes sous l'or et la pourpre, Mnesthée, de la race d'Assaracus, et le vaillant Asilas, et le dompteur de chevaux, Messapus, rejeton de Neptune. Dès que, au signal donné, chacun a gagné sa place, |
12, 125 |
defigunt tellure hastas et scuta reclinant. Tum studio effusae matres et uolgus inermum inualidique senes turris ac tecta domorum obsedere, alii portis sublimibus adstant. |
on fiche les piques dans le sol, on y appuie les boucliers. Alors affluent des mères curieuses, une foule sans armes, des vieillards invalides, occupant les tours et les toits, tandis que d'autres se tiennent debout en haut des portes. |
12, 130 |
Un pacte menacé par Junon (12, 134-160)
Junon, bien que connaissant l'arrêt irrévocable de Jupiter, tente cependant encore de sauver Turnus, en poussant la nymphe Juturne à soustraire son frère au combat et à la mort.
At Iuno e summo, qui nunc Albanus habetur, |
Mais Junon, du sommet du mont à présent appelé Albain | |
tum neque nomen erat nec honos aut gloria monti, prospiciens tumulo campum aspectabat et ambas Laurentum Troumque acies urbemque Latini. Extemplo Turni sic est adfata sororem diua deam, stagnis quae fluminibusque sonoris |
– en ce temps-là, la colline ne possédait ni nom, ni honneur, ni gloire – , observait la plaine et voyait les deux armées des Laurentes et des Troyens, et la ville de Latinus. Aussitôt, elle s'adressa à la soeur de Turnus. En déesse, elle parlait à la déesse protectrice des étangs |
12, 135 |
praesidet hunc illi rex aetheris altus honorem Iuppiter erepta pro uirginitate sacrauit : « Nympha, decus fluuiorum, animo gratissima nostro, scis ut te cunctis unam, quaecumque Latinae magnanimi Iouis ingratum ascendere cubile, |
et des fleuves sonores – Jupiter, le puissant roi de l'éther, l'avait ainsi honorée, pour lui avoir ravi sa virginité – : « Nymphe, honneur des fleuves, très chère à mon coeur, tu sais comment, parmi toutes les femmes du Latium qui montèrent dans le lit ingrat du magnanime Jupiter, |
12, 140 |
praetulerim caelique lubens in parte locarim : disce tuum, ne me incuses, Iuturna, dolorem. Qua uisa est Fortuna pati Parcaeque sinebant cedere res Latio, Turnum et tua moenia texi : nunc iuuenem imparibus uideo concurrere fatis, |
je t'ai choisie, toi seule, et ai aimé t'installer en un point du ciel : apprends le malheur qui te frappe, Juturne, et ne m'en accuse pas. Tant que la Fortune sembla le permettre, tant que les Parques consentirent à la prospérité du Latium, j'ai protégé Turnus et tes murs ; maintenant je vois ce jeune homme confronté à des destins inégaux : |
12, 145 |
Parcarumque dies et uis inimica propinquat. Non pugnam aspicere hanc oculis, non foedera possum. Tu pro germano siquid praesentius audes, perge : decet. Forsan miseros meliora sequentur. » Vix ea, cum lacrimas oculis Iuturna profudit |
le jour des Parques et une puissance hostile sont proches. Je ne puis supporter de voir de mes yeux ni ce combat, ni ces accords. Si toi, tu as l'audace de tenter pour ton frère une action plus directe, vas-y à fond ; c'est bien. Peut-être un sort meilleur suivra-t-il nos malheurs ». À peine avait-elle fini de parler que Juturne fondit en larmes ; |
12, 150 |
terque quaterque manu pectus percussit honestum. « Non lacrumis hoc tempus » ait Saturnia Iuno : « Adcetera et fratrem, siquis modus, eripe morti, aut tu bella cie conceptumque excute foedus : auctor ego audendi. » Sic exhortata reliquit |
trois fois, quatre fois, de la main elle frappa sa noble poitrine. « Ce n'est pas le moment de pleurer », dit Junon la Saturnienne : « hâte-toi et, si c'est possible, arrache ton frère à la mort ; ou provoque toi-même la guerre et réduis à néant l'accord envisagé. Moi, je me porte garante de ton audace ». Sur ces exhortations, |
12, 155 |
incertam et tristi turbatam uolnere mentis. | elle la laissa indécise, l'esprit bouleversé par ce coup douloureux. | 12, 160 |
Le serment des rois (12, 161-215)
Entre-temps, Latinus accompagné de Turnus, et Énée flanqué d'Ascagne, s'avancent pour sceller le traité par des sacrifices et des offrandes. Énée s'engage solennellement, en cas de défaite, à renoncer à toute prétention sur le territoire latin et, en cas de victoire, à réunir les deux peuples sous les mêmes lois et les mêmes dieux. L'autorité suprême et le commandement militaire iront à son beau-père Latinus, et les Troyens construiront une ville nouvelle, Lavinium. (12, 161-194)
Latinus s'engage tout aussi solennellement à respecter ces conventions, et la cérémonie s'achève par des sacrifices rituels. (12, 195-215).
Interea reges, ingenti mole Latinus quadriiugo uehitur curru, cui tempora circum aurati bis sex radii fulgentia cingunt, Solis aui specimen ; bigis it Turnus in albis, |
Pendant ce temps, voici les rois. Latinus, à la stature imposante, arrive sur un quadrige ; ses tempes sont resplendissantes, ceintes de douze rayons d'or, emblème du Soleil, son aïeul. Turnus s'avance sur un char tiré par deux chevaux blancs, |
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bina manu lato crispans hastilia ferro ; hinc pater Aeneas, Romanae stirpis origo, sidereo flagrans clipeo et caelestibus armis, et iuxta Ascanius, magnae spes altera Romae, procedunt castris, puraque in ueste sacerdos |
serrant dans sa main deux javelots à large lame. Voici le vénérable Énée, souche de la race romaine, avec son bouclier étincelant comme un astre et ses armes célestes, et, près de lui, Ascagne, le second espoir d'une Rome majestueuse ; ils viennent du camp. Revêtu d'une tenue immaculée, |
12, 165 |
saetigeri fetum suis intonsamque bidentem adtulit admouitque pecus flagrantibus aris. Illi ad surgentem conuersi lumina solem dant fruges manibus salsas et tempora ferro summa notant pecudum paterisque altaria libant. |
un prêtre amène un porcelet au dos soyeux et une jeune brebis à la toison intacte ; il les pousse vers les autels brûlants. Les rois, les regards tournés vers le Soleil levant, répandent de leurs mains la farine salée, marquent au fer le front des victimes et leurs patères versent des libations sur les autels. |
12, 170 |
Tum pius Aeneas stricto sic ense precatur : « Esto nunc Sol testis et haec mihi Terra uoeanti, quam propter tantos potui perferre labores, et pater omnipotens et tu Saturnia coniunx, iam melior, iam, diua, precor, tuque inclute Mauors, |
Alors, le pieux Énée, épée dégainée, fait cette prière : « Maintenant, Soleil, moi qui t'implore, je te prends à témoin, et toi aussi, Terre, pour qui j'ai pu endurer tant d'épreuves, et toi, Père tout-puissant, et toi Saturnienne son épouse, dans de meilleures dispositions désormais, je t'en prie, ô déesse, |
12, 175 |
cuncta tuo qui bella, pater, sub numine torques ; fontisque fluuiosque uoco, quaeque aetheris alti religio et quae caeruleo sunt numina ponto : cesserit Ausonio si fors uictoria Turno, conuenit Euandri uictos discedere ad urbem, |
et toi, illustre Mars, père, toi qui régentes à ton gré toutes les guerres. J'invoque aussi les fontaines et les rivières, et tout objet de vénération, dans le haut éther, et toutes les divinités révérées sur la mer azurée. Si le hasard veut que la victoire revienne à l'Ausonien Turnus, les vaincus, c'est convenu, s'en iront pour la ville d'Évandre ; |
12, 180 |
cedet Iulus agris, nec post arma ulla rebelles Aeneadae referent ferroue haec regna lacessent, sin nostrum adnuerit nobis Victoria Martem ut potius reor et potius di numine firment, non ego nec Teucris Italos parere iubebo |
Iule se retirera du territoire, et jamais plus les rebelles Énéades ne prendront les armes, ni ne harcèleront ce royaume par le fer. Si au contraire la Victoire se montre favorable à notre combat – je le pense certes, mais puissent la volonté des dieux le confirmer ! – je l'assure, je n'ordonnerai pas aux Italiens d'obéir aux Teucères |
12, 185 |
nec mihi regna peto : paribus se legibus ambae inuictae gentes aeterna in foedera mittant. Sacra deosque dabo ; socer arma Latinus habeto, imperium sollemne socer ; mihi moenia Teucri constituent, urbique dabit Lauinia nomen. » |
et je ne réclame pas pour moi la royauté : que sous des lois égales, les deux nations invaincues s'unissent en une alliance éternelle. Je leur donnerai mes rites et mes dieux ; que mon beau-père Latinus détienne le pouvoir des armes, qu'il ait l'autorité sacrée. Pour moi, les Troyens construiront des murs, et Lavinia donnera son nom à la ville. » |
12, 190 |
Sic prior Aeneas ; sequitur sic deinde Latinus suspiciens caelum tenditque ad sidera dextram : « Haec eadem, Aenea, terram mare sidera iuro Latonaeque genus duplex Ianumque bifrontem uimque deum infernam et duri sacraria Ditis ; |
Ainsi Énée intervient d'abord ; puis vient le tour de Latinus. Regardant le ciel, il tend la main vers les astres : « Énée, je prends les mêmes engagements, j'en atteste la terre, la mer et les astres, la double progéniture de Latone, et Janus aux deux visages, et la puissance infernale des dieux, et les sanctuaires de Dis le cruel ; |
12, 195 |
audiat haec genitor, qui foedera fulmine sancit. Tango aras, medios ignis et numina testor : nulla dies pacem hanc Italis nec foedera rumpet, quo res cumque cadent ; nec me uis ulla uolentem auertet, non, si tellurem effundat in undas |
puisse Jupiter qui par sa foudre sanctionne les traités entendre ma prière. Je touche les autels, j'en atteste les feux et les dieux présents parmi nous : aucun jour jamais, quoi qu'il advienne, ne rompra du côté italien cette paix et ces traités ; nulle puissance ne fera fléchir ma volonté, |
12, 200 |
diluuio miscens caelumque in Tartara soluat ; ut sceptrum hoc – dextra sceptrum nam forte gerebat – numquam fronde leui fundet uirgulta nec umbras, cum semel in siluis imo de stirpe recisum matre caret posuitque comas et bracchia ferro, |
disparaître la terre dans les flots, et le ciel dans le Tartare. Ainsi ce sceptre – il tenait son sceptre à la main – plus jamais ne produira ni verdure ni ombrage, depuis que, déraciné dans la forêt, privé de sa mère, il a perdu sous la serpe ses feuilles et ses branches ; |
12, 205 |
olim arbos, nunc artificis manus aere decoro inclusit patribusque dedit gesture Latinis. » Talibus inter se firmabant foedera dictis conspectu in medio procerum. Tum rite sacratas in flammam iugulant pecudes et uiscera uiuis |
il fut arbre autrefois, maintenant il est enveloppé de bronze ciselé par la main d'un artiste, pour que le portent les pères du Latium. » Par ces paroles, ils scellaient entre eux les traités, sous les yeux d'un cercle de notables. Alors, selon les rites, les victimes sacrées sont égorgées pour être brûlées ; leurs entrailles sont arrachées |
12, 210 |
eripiunt cumulantque oneratis lancibus aras. | encore palpitantes et emplissent des bassins posés sur les autels. |
12, 215 |
Notes (12, 1-215)
Les Latins brisés (12, 1). Dans la dernière partie du livre 11, un violent combat de cavalerie avait opposé les Latins et leurs alliés (en particulier les Volsques de Camille) à leurs adversaires troyens, étrusques et arcadiens. Les opérations, qui s'étaient déroulées sous les murs de la ville de Latinus, avaient tourné à la déroute du camp latin, dont Turnus était en quelque sorte le généralissime.
ses promesses (12, 2). La formule d'un combat singulier entre Turnus et Énée pour mettre fin à la guerre, proposée par Énée (11, 115-118) et acceptée par Turnus (11, 434-444), apparaît maintenant comme la seule solution possible.
spontanément (12, 3). De lui-même, sans attendre qu'on le lui demande.
Ainsi dans les champs puniques etc. (12, 4-9). La comparaison pourrait s'inspirer de deux passages d'Homère (Iliade, 5, 136-140 ; 20, 164-173).
au roi (12, 10). Il s'agit de Latinus, que Turnus appelle pater (12, 13), terme qui marque le respect.
revenir sur leur parole... (12, 11-12). Énée devant les ambassadeurs latins avait effectivement évoqué la solution d'un combat singulier entre lui et Turnus (11, 115-118), mais il ne semble pas avoir été question dans le texte d'un engagement solennel.
Apporte les objets sacrés... (12, 13). La conclusion d'un accord (foedus) de ce type était entourée d'un cérémonial religieux particulier, dont les détails seront évoqués plus loin. Tite-Live décrit longuement (1, 24-25) une convention comparable entre Romains et Albains, au temps de Tullus Hostilius, le troisième roi de Rome, convention qui aboutira au combat célèbre des Horaces et des Curiaces. Là aussi le destin de deux villes et de deux peuples avait été confié à des champions, en l'espèce des trijumeaux. Virgile s'est peut-être inspiré ici de cet exemple légendaire.
ce déserteur de l'Asie (12, 15). Turnus suggère ici qu'Énée n'est qu'un lâche, qui aurait abandonné Troie pour s'enfuir. Certaines traditions considéraient même qu'Énée était un traître, qui avait livré sa patrie aux Grecs.
le reproche qui tous nous atteint (12, 16). À savoir le reproche d'avoir laissé s'installer les Troyens, sans parvenir à les repousser.
Daunus (12, 22). Turnus, roi des Rutules, est le fils de Daunus (10, 616 et 688).
Laurentes (12, 24). Les habitants de la région où avaient débarqué les Troyens et où s'élevait la ville de Latinus (cfr notamment 7, 63).
les dieux et les hommes (12, 28). Latinus fait allusion aux oracles de Faunus (7, 81-106), selon lesquels il devait marier sa fille à un étranger. Les oracles s'étaient largement répandus à travers l'Italie (7, 103-105) et tout le peuple les connaissait.
nos liens de sang (12, 29). Certaines traditions faisaient d'Amata, épouse de Latinus, la tante de Turnus. Autre allusion à la parenté entre Latins et Rutules en 12, 40.
j'ai rompu tous les liens (12, 30). Latinus fait allusion à sa proposition de donner sa fille en mariage à Énée (7, 268-273). Au chant 7, il avait résisté longtemps à tout son entourage, avant de retirer son épingle du jeu (7, 585-619). Au chant 11, lors du grand conseil, il était revenu sur son projet d'alliance avec Énée (11, 302-335), mais une attaque troyenne l'avait contraint à y renoncer (11, 469-472).
mon gendre (12, 31). En appelant Énée son gendre, Latinus semble considérer que ce mariage était une affaire conclue.
impie (12, 31). Parce qu'il avait pris les armes contre son hôte Énée, au mépris des lois de l'hospitalité.
Deux fois vaincus (12, 34). Une première fois, dans le combat où périt Mézence, évoqué par les flots du Tibre (cfr 10, 833), la seconde fois, dans la plaine où périt Camille (cfr 11, 599).
nos frères (12, 40). Les Rutules sont apparentés aux Latins de Latinus (cfr aussi 12, 29).
ton vieux père (12, 43). Daunus (cfr 12, 22).
la déesse sa mère (12, 52-53). Allusion au secours que Vénus a apporté à Énée dans son combat contre Diomède chez Homère (Iliade, 5, 311-317) ; toutefois Vénus avait alors protégé son fils en l'enveloppant non pas d'un nuage, mais de son manteau. On pourrait aussi penser que Turnus se souvient ici de l'épisode (10, 633-688) où, poursuivant lui-même Énée (c'était en fait un fantôme suscité par Junon, mais Turnus ne l'a jamais su), il l'a vu disparaître dans un nuage, nuage où, suppose-t-il, Vénus l'attendait cachée.
qu'épouvantait le tour nouveau du combat (12, 54-55). Amata est effarée de voir la guerre se transformer en un combat singulier, qu'elle sait devoir être fatal à Turnus, qu'elle appelle ici son gendre. Le suicide d'Amata, qui se réalisera en 12, 595-603, est suggéré dès maintenant.
Lavinia (12, 64-69). Elle manifeste un trouble certain, qui paraît impossible à interpréter, même si on pencherait pour un signe de son amour pour Turnus (P. Veyne, Virgile, l'Énéide, p. 383, n. 1). Il est sûr qu'elle n'a pas voix au chapitre.
on teinte de pourpre (12, 67-68). L'expression « altérer, souiller » (gr. miainein, lat. uiolare, corrumpere, medicare) l'ivoire se retrouve chez Homère (Iliade, 4, 141), chez Horace (Odes, III, 5, 28), chez Stace (Achilléide, 137). On altérait, en effet, en le teignant, la couleur primitive de l'ivoire. L'ivoire de l'Inde était renommé (Géorgiques, 1, 57).
un si lourd présage (12, 72). Dans l'esprit de Turnus, Amata a prononcé des paroles de mauvais augure en déclarant qu'elle ne lui survivrait pas (12, 62-63).
retarder la mort (12, 74). S'il doit mourir, il mourra. Le passage n'exprime qu'un banal fatalisme. On songe aux mots d'Hector à Andromaque (Homère, Iliade, 6, 487-489) : « Nul mortel ne saurait me jeter en pâture à Hadès avant l'heure fixée. Je te le dis ; il n'est pas d'homme, lâche ou brave, qui échappe à son destin, du jour qu'il est né ». Curieusement, Servius met ce passage au nombre des treize vers de Virgile « difficiles à expliquer ».
Idmon (12, 75). Ce guerrier rutule n'est nommé qu'ici dans l'Énéide.
son char de pourpre (12, 77). On trouve d'autres caractérisations virgiliennes de l'Aurore en 7, 26 (« l'Aurore couleur de feu brillait sur son char vermeil ») et en 9, 460 (« l'Aurore, qui délaissait le lit doré de Tithon ». Ovide (Mét., 3, 150) évoque son char de pourpre.
ses chevaux etc. (12, 82-83). Les chevaux de Turnus auraient donc été offerts à son aïeul Pilumnus (9, 4), père de Daunus, par Orithye, fille du roi d'Athènes Érechthée, que Borée avait enlevée pour faire d'elle une reine de Thrace. Les chevaux de Thrace étaient célèbres (5, 565 et 9, 49). Homère par exemple les disait « fils des vents » ou de Borée (Iliade, 16, 149-151 et 20, 223-225). Mais Virgile ne dit pas comment Orithye, qui n'est citée qu'ici dans l'Énéide, a pu donner des chevaux à l'Italien Pilumne. Dans son commentaire ad locum, J. Perret hésite à croire que Virgile a inventé cet épisode de toutes pièces. Selon le savant français, l'histoire pourrait refléter une des nombreuses tentatives faites pour implanter en Italie centrale des légendes qui, de plus ou moins loin, servaient les intérêts d'Athènes.
orichalque (12, 87-88). L'orichalque est un métal fabuleux, que Platon, dans son Atlantide, place immédiatement après l'or. On donnait ce nom à un alliage de cuivre et d'airain.
cornes (12, 89). Ce sont les proéminences du cimier supportant l'aigrette.
divin maître du feu (12, 90). L'épée de Turnus était donc d'origine divine ; elle avait été forgée par Vulcain lui-même, qui l'avait trempée dans le Styx. En 8, 450, les Cyclopes, qui fabriquaient les armes d'Énée sous la direction de Vulcain, avaient simplement plongé le bronze dans un bassin d'eau. L'épée divine de Turnus jouera un rôle plus loin, en 12, 731-741 et 783-785.
Actor l'Auronce (12, 94). Il a déjà été question des Auronces plus haut, à plusieurs reprises (cfr 7, 206 avec les autres références). Peut-être Turnus aurait-il dépouillé Actor de sa lance lors d'un combat contre les Auronces ; peut-être aussi Actor l'aurait-il offerte à Turnus dans des circonstances moins violentes. On ne le sait pas. En tout cas, on ne confondra pas cet Auronce Actor avec le guerrier troyen du même nom (9, 500).
cet eunuque de Phrygien etc. (12, 98). Le texte latin parle de semiuir, terme utilisé pour désigner « un eunuque, un efféminé, un débauché, un personnage amolli par les plaisirs ». Les Phrygiens étaient méprisés pour la mollesse de leurs mœurs (cfr la caractérisation de Pâris, en 4, 215).
ondulés au fer (12, 100). La mode des cheveux frisés au fer ou calamistrés commença à apparaître à Rome au temps de César, mais ne fut pas suivie par Auguste, lequel portait les cheveux coupés court avec une frange sur le front.
myrrhe (12, 100). La myrrhe, dont certains Anciens se mouillaient les cheveux (cfr Ovide, Mét., 5, 53), était un parfum produit par un arbre qui poussait surtout en Arabie.
comme un taureau (12, 103-106). Le passage est proche de Géorgiques, 3, 232-234.
des armes de sa mère (12, 107). Les armes fabriquées par Vulcain et apportées par Vénus à son fils (8, 608-616).
aiguise Mars en lui (12, 108). L'Énée de Virgile n'est pas naturellement porté à se battre alors que, note J. Perret, les guerriers d'Homère sont souvent animés de sentiments très violents et qu'on ne les voit guère s'appliquer à les exciter en eux.
renseignant sur les destins (12, 111). Apparemment Énée connaît bien ses destins. Virgile ne donne pas de détails précis, mais on se souviendra qu'en 6, 759, Anchise avait dit à Énée, avant de lui présenter les futurs héros de Rome : « Je vais t'instruire de tes destins ».
les conditions de la paix (12, 112). Ces clauses ne sont pas détaillées ici, mais seront très clairement précisées ultérieurement, lors du serment des chefs (12, 183-194).
la vaste cité (12,116). La ville de Latinus, capitale des Laurentes.
dieux communs (12, 118). C'est-à-dire ceux qui allaient être invoqués par les deux parties.
voile de lin (12, 119). La traduction proposée ici suit le texte uelati lino, mais la tradition manuscrite hésite entre lino et limo. Le lin (linum) était considéré comme une matière religieusement pure, et le carbasus était une variété raffinée de lin. Les Vestales par exemple portaient des voiles de carbasus (Denys d'Halicarnasse, 2, 68, 5 ; Properce, 4, 11, 54), et dans la religion isiaque, prêtres et initiés portaient des vêtements de lin (par exemple Apulée, Métamorphoses, 11, 10). Rien d'étonnant dans ces conditions que, dans l'Énéide même (8, 34), le dieu du Tibre soit apparu à Énée drapé dans un tissu de carbasus. En réalité, le rôle du lin reste relativement limité dans le rituel proprement romain de l'époque historique. Mais Virgile était évidemment libre d'imaginer le vêtement des officiants. Certains éditeurs adoptent la leçon limo. Il s'agit alors de tout autre chose : le limus est « une sorte de jupon, tombant depuis la ceinture jusqu'aux pieds, et bordé dans le bas, tout autour, d'une bande de pourpre. C'était le costume propre du victimaire, qui frappait l'animal que l'on offrait aux dieux » (A. Rich, Dictionnaire des antiquités, 1995, p. 366).
rameaux (18,120). Dans la religion romaine, certains rameaux (verveine, romarin, laurier, myrte, olivier) pouvaient garnir des autels (par exemple Horace, Odes, 4, 11, 6) ou couronner la tête de certains officiants.
Ausoniens (12, 121). C'est-à-dire les Latins. On sait (cfr notamment 7, 39n.) qu'en poésie, Ausonie désigne l'Italie.
javelots (12, 121). Il a souvent été question de javelot (pilum) dans l'Énéide. Le javelot était la principale arme offensive du légionnaire. « Elle servait surtout comme arme de jet, mais était aussi employée comme pique pour charger l'ennemi. Un peu plus courte que la lance, elle était armée d'un fer plus fort et plus large. Il semble qu'elle ait varié un peu de longueur aux différentes époques, la moyenne étant d'environ 1 m 90, de l'extrémité du fer à celle du bois. Le bois était de la même longueur que le fer, le fer, dans les deux tiers de sa longueur, était creux ; le manche y entrait, solidement fixé par des clous, et il restait au bout, comme pointe, environ 22 cm de métal massif » (A. Rich, Dictionnaire des antiquités, 1995, p. 487). Son poids variait de 2 kg à 2 kg 1/2 ; sa portée, de 20 à 40 m.
Mnesthée (12, 127). Mnesthée est un Troyen, maintes fois nommé, qui apparaît comme un homme de confiance d'Énée (4, 288 ; 5, 116, 117, 184, 189, 194, 210, 218, 493, 494, 507 ; 9, 171, 306, 779, 781, 812 ; 10, 143). Quant à Assaracus, c'est un lointain ancêtre d'Énée (cfr 9, 259).
Asilas (12, 127). Dans l'Énéide plusieurs personnages portent ce nom, notamment un chef étrusque (10, 175), un guerrier rutule (9, 571) et un guerrier troyen (11, 620). Il s'agit probablement ici du Troyen.
Messapus (12, 128). Un Italien, maintes fois nommé dans l'Énéide (7, 691 ; 8, 6 ; 9, 27, 124, 160, 351, 365, 458, 523 ; 10, 354, 749 ; 11, 429, 464, 518, 520, 603 ; 12, 128, etc.).
Junon (12, 134). L'ennemie acharmée des Troyens se sent désormais impuissante, mais elle ne renonce pas encore complètement à défendre Turnus qu'elle sait pourtant perdu.
mont Albain (12, 134). Le mont Albain, aujourd'hui monte Cavo, est situé à quelque vingt-cinq kilomètres au sud-est de Rome. C'est un des plus hautes montagnes (949 mètres) de la plaine du Latium. Son sommet abritait un sanctuaire en l'honneur du Jupiter Latial (Iuppiter Latiaris) ; chaque année, au printemps, à l'occasion des Féries Latines (Feriae Latinae) les délégués d'une série de peuples latins s'y rassemblaient pour un sacrifice commun. L'endroit formait, avec Lavinium, une des métropoles religieuses de la Rome historique. Les généraux auxquels le Sénat romain avait refusé les honneurs du triomphe à Rome le célébraient parfois sur ce mont. Si Junon s'y est installée, c'est manifestement parce que c'était de là qu'on voyait le mieux l'ensemble du Latium, et donc les deux armées en présence.
soeur de Turnus (12, 138-146). Juturne, dont le nom, à date ancienne, se rencontre sous la forme Diuturna, au lieu de Iuturna, est une nymphe des sources, qui était honorée au bord du Numicius, non loin de Lavinium. À Rome, on appelait lacus Iuturnae (bassin de Juturne) une source située sur le Forum romain, non loin du temple de Vesta. On avait élevé un temple à la déesse en 78 av. J.-C. au Champ de Mars, à l'endroit où aboutit l'aqueduc de l'Aqua Virgo ; sa fête (les Iuturnalia) était célébrée le 13 janvier ; y participaient les fontainiers ainsi que les personnes qui avaient dans l'année échappé à un incendie. Juturne doit sans doute à son nom, interprété comme « celle qui aide Turnus », le rôle que lui donne ici Virgile. Le poète en fait la soeur de Turnus, participant aux combats aux côtés de son frère. Il imagine qu'elle aurait été aimée de Jupiter lequel, pour la récompenser, lui aurait accordé l'immortalité ainsi que le patronage sur les étangs et les fleuves sonores. Junon, qui a besoin de Juturne, prend bien soin de préciser qu'elle n'avait pas éprouvé d'hostilité, bien au contraire, à l'égard de sa rivale. On sait que Junon, pour parvenir à ses fins, utilise régulièrement des divinités secondaires (par exemple Allecto en 7, 324).
le malheur qui te frappe (12, 146). Il s'agit du risque mortel que va courir Turnus dans ce combat singulier.
destins inégaux (12, 149). Turnus a moins de forces qu'Énée, et Jupiter ne le protège pas.
le jour des Parques (12, 150). Le jour de la mort.
ces accords (12, 151). Le pacte implique un combat singulier entre Énée et Turnus.
sort meilleur (12, 153). Mais Junon croit-elle vraiment que la situation pourra s'améliorer en sa faveur ?
l'accord envisagé (12, 158). Cet accord va être formellement conclu un peu plus tard. Ici l'idée est que la seule solution pour sauver Turnus, c'est de reprendre la guerre.
les rois (12, 161). Essentiellement Latinus et Énée, respectivement flanqués des princes Turnus et Ascagne. Pour le serment des rois, Virgile a pris comme modèle, au chant 3 de l'Iliade d'Homère (vers 245-309), le pacte conclu entre Priam et Agamemnon, avant le combat singulier que se livreront Pâris et Ménélas.
stature imposante (12, 161). Dans l'Iliade aussi, les rois ont une stature imposante; on verra chez Virgile l'impression que donne Priam mort en 2, 557. Certains Modernes traduisent toutefois « avec une escorte imposante ».
Soleil, son aïeul (12, 164). Virgile, on l'a vu, fait de Latinus le fils de Faunus et de la nymphe Marica. Selon Servius (ad locum), beaucoup identifiaient Marica à Circé, fille du Soleil. Mais il se pourrait que Virgile évoque ici la tradition d'Hésiode (Théogonie, 1011-1013), qui faisait de Latinus un fils d'Ulysse et de Circé. Quoi qu'il en soit, par Circé, nous remontons au Soleil.
serrant dans sa main (12, 165). Ce vers reprend textuellement 1, 313.
un porcelet au dos soyeux et une jeune brebis (12, 170). Dans le cérémonial de la conclusion d'un traité, les Latins immolaient un porc ou une truie (8, 639-641). Le texte latin précise qu'il s'agit d'une brebis « de deux dents », ce qu'explique M. Rat (p. 420, n. 3307) : « À un an, les ovins perdent les deux dents du devant de la mâchoire inférieure, à dix-huit mois les deux dents voisines. La brebis de deux dents est donc une brebis qui a entre un an et dix-huit mois, celle que les paysans appellent une brebis antenaise, c'est-à-dire née l'année précédente ». Ces jeunes brebis, que les Romains immolaient comme victimes, n'avaient pas encore subi la tonte. Pour le sacrifice d'une brebis lors de la conclusion d'un traité, il n'existe pas d'autre parallèle dans le rituel romain. Il est probable que Virgile a suivi sur ce point son modèle homérique, où des agneaux sont sacrifiés (Iliade, 3, 292).
farine salée (12, 173). C'est, dans le rituel romain, le cérémonial de l'immolatio (au sens technique du terme) : avant de la tuer, on aspergeait la victime de mola salsa, c'est-à-dire de la farine de blé torréfié additionnée de sel et préparée rituellement par les Vestales trois fois par an. Cfr aussi, 2, 133.
marquent au fer (12, 173). Toujours avant de la tuer, on passait le couteau sur le dos de la victime, de la tête à la queue. C'était une prise de possession symbolique, qui achevait la consecratio. Dans le rite grec, on coupait quelques poils sur la tête de la victime (Iliade, 3, 273).
libations (12, 174). Des libations de vin (sur l'autel, sur la tête aussi de la victime) complétaient le cérémonial. On utilisait pour cela des patères, qui étaient des vases peu profonds de forme circulaire.
épée dégainée (12, 175). Ce détail ne semble pas correspondre à quelque chose de précis dans le rituel romain. On soupçonne l'influence du modèle homérique, où Agamemnon tranche lui-même la gorge aux animaux (Iliade, 3, 292).
cette prière (12, 175). Il est intéressant de rapprocher la prière d'Énée de celle d'Agamemnon (Iliade, 3, 276-291), pour ses similitudes et ses différences. Cfr la note de J. Perret (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 131, n. 1 : « De là [= d'Homère] viennent Jupiter et les puissances cosmiques (soleil, astres, terre et fleuves), mais Énée omet les dieux infernaux. En revanche, il ajoute les dieux de la mer (ses navigations), Junon (dont il doit désarmer la colère), Mars (père des Romains), et s'approprie de façon émouvante l'invocation à la terre ».
Soleil (12, 176). Le Soleil était une divinité romaine, à laquelle on offrait un sacrifice public le 9 août, mais le culte du Soleil ne prendra de l'extension que sous l'empire au moment de la diffusion des divinités orientales (les Baals syriens ; Mithra).
Terre (12, 176). La Terre était aussi une divinité romaine (Tellus Mater ou Terra Mater), mais il semble qu'Énée ait ici à l'esprit la terre du Latium.
ton épouse, la Saturnienne (12, 178). Énée tente toujours d'amadouer l'ennemie acharnée des Troyens, ce qui ne sera définitif qu'à la fin du chant 12.
père (12,180). L'appellation « père » paraît heureuse (en dépit de l'anachronisme), Mars étant père de Romulus et partant de la nation romaine.
la ville d'Évandre (12, 184). Pallantée, d'où viennent les Arcadiens qui combattent aux côtés d'Énée et dont le jeune chef, Pallas, a été tué par Turnus au chant 10.
Iule (12, 185). La victoire de Turnus impliquerait la mort d'Énée, et ferait de Iule le chef des Troyens, ou Énéades.
Victoire (12, 187). La déesse Victoire avait dès le IIIe siècle av. J.-C. sa statue à Rome sur le Forum. En 294 av. J.-C, le consul Mégellus lui construisit un temple sur le Palatin à l'endroit où se trouvait autrefois, dit-on, un autel dédié à la déesse par Évandre. Auguste restaura le temple construit par Mégellus, fit de la Victoire, après Actium, la protectrice du nouveau régime, lui dressa un autel en plein Sénat et institua la fête annuelle du 28 août, où la Victoire, « compagne de l'Empereur » était associée à la Fortune impériale. À Lyon, l'énorme autel de Rome et d'Auguste fut dominé par la double image de la Victoire de Rome et de la Victoire d'Auguste. Virgile n'a pas omis de faire invoquer par Énée une divinité à la fois si ancienne et si à la mode (d'après M. Rat).
invaincues (12, 191). Aucune ne souffrira la honte de la conquête, aucune ne vivra sous les lois de l'autre.
mes rites et mes dieux (12, 192). Nous suivons ici l'interprétation de P. Veyne, Virgile, Énéide, 2012, p. 388, avec la note 2.
Lavinia donnera son nom à la ville (12, 194). La ville que fondera Énée à côté de la cité des Laurentes s'appellera Lavinium (par exemple, Tite-Live, I, 1, 11). Sur l'ensemble de cet engagement d'Énée, on verra le commentaire de J. Perret (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 246), résumé ci-après : « L'avenir envisagé est celui d'une communauté unique dont Énée réglera la vie religieuse ; les Troyens n'auront pas de royaume distinct. Dans cette communauté, Énée ne revendique pas l'autorité royale : les Italiens ne seront pas les sujets des Troyens ; les deux peuples originels seront égaux sous de mêmes lois. Dans cet organisme nouveau, Latinus ne peut, évidement, conserver telles quelles ses fonctions anciennes, en rapport avec l'exercice d'une autorité qui se limitait aux Laurentes et aux Latins ; mais avec l'agrandissement de son peuple, elles seront plutôt dilatées que réduites : il aura le pouvoir militaire ; il aura aussi l'autorité politique dans toute son étendue et telle que la confèrent les rites. Énée organisera la vie religieuse de la communauté, mais il n'habitera pas dans la capitale de l'État (évidemment l'urbs Latini) ; il se retirera dans une ville nouvellement édifiée et dont le nom, pris de celui de Lavinia, marquera son dévouement et sa piété envers Latinus son beau-père. ».
les mêmes engagements (12, 197). Sur ce point, Latinus est très peu explicite : il entend souscrire purement et simplement aux dispositions prises par Énée.
la double progéniture de Latone (12, 198). Il s'agit d'Apollon et de Diane.
Janus aux deux visages (12, 198). Janus, une ancienne divinité romaine, dieu des commencements et des passages, était régulièrement représenté avec deux visages, l'un regardant devant lui et l'autre derrière lui. On en avait fait un ancien roi du Latium, qui aurait donné son nom à une des collines romaines, le Janicule, et on avait considéré qu'il avait été déifié après un règne pacifique. Sur cette divinité, voir aussi 7, 177-182n, 7, 601-610n et 8, 357n.
Dis le cruel (12, 199). Dis est une ancienne divinité romaine des enfers, qui fut identifiée à Pluton. Il représente ici à les puissances infernales.
Jupiter qui par sa foudre (12, 200). Les traités étaient placés sous la protection de Jupiter, qui était censé frapper de sa foudre ceux qui violeraient leur serment.
touche les autels (12, 201). C'était l'attitude habituelle des suppliants et de ceux qui prêtaient serment (cfr par exemple 4, 219).
ainsi ce sceptre (12, 206-211). La comparaison est inspirée d'Homère (Iliade, 1, 234-239).
pères du Latium (12, 211). Le modèle homérique dit (Iliade, 1, 237-239) : « Le voici maintenant entre les mains des fils des Achéens qui rendent la justice et, au nom de Zeus, maintiennent le droit » . Virgile transpose en évoquant les pères du Latium, à savoir les rois du Latium. Le sceptre de Latinus serait celui des rois du Latium.
bassins (12, 215). Reprise de la fin du vers 8, 284. C'est la continuation du sacrifice. Mais Virgile n'est pas très précis. S'agit-il des exta, la partie réservée aux dieux, ou des chairs mêmes, qui sont consommées par les participants ? Cfr 8, 180n.
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