Bibliotheca Classica Selecta - Fastes d'Ovide (Introduction) - Livre 4 (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante

MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


OVIDE, FASTES IV - AVRIL


AUTOUR DES CEREALIA : 5 - 12 AVRIL (4,373-620)


 Avant la fête - Éloge de Cérès et sacrifices requis (4,373-416)

 

Quelques précisions d'ordre historique et astronomique (consécration, le 5 avril, d'un temple à la Fortuna publica sur le Quirinal ; anniversaire de la bataille de Thapsos et coucher de la Balance, le 6 avril ; coucher d'Orion, le 9 avril ; fin des Megalensia le 10 avril, marqués par la procession et les courses de chevaux au Grand Cirque) précèdent un long exposé consacré aux Cerealia. (4,373-392)

La mention des jeux en l'honneur de Cérès, commençant le 12 avril, introduit un éloge de Cérès, la déesse de l'agriculture, qui pour les progrès qu'elle apporta à l'alimentation des hommes et pour la paix qu'elle favorise, doit être célébrée par les paysans avec des offrandes modestes mais pures. (4,393-416)

 

Lorsque l'Aurore suivante, fille de Pallas, éclairera le ciel dégagé d'étoiles,

   et lorsque la Lune aura dételé ses blancs chevaux,

4, 375

celui qui dira : "Autrefois, en ce jour, on a consacré un temple

   à la Fortune Publique, sur le Quirinal", sera dans le vrai.

C'était, je m'en souviens, le troisième jour des jeux,

   et, près de moi, un autre spectateur assez âgé dit :

"C'est ce jour-là que, sur la côte de Libye, César a écrasé

4, 380

   les armées traîtresses du valeureux Juba.

Mon chef était César, et je suis fier de l'avoir servi comme tribun :

   il avait le commandement quand j'étais en service.

Moi, je dois ce siège à ma vie de soldat, toi, c'est en temps de paix

   que tu l'as gagné, exerçant ta charge parmi les décemvirs".

4, 385

Nous allions bavarder davantage quand une averse soudaine nous sépara.

   La Balance inclinée ébranlait les eaux du ciel.

Cependant, avant que le dernier jour ne mette fin aux spectacles,

   Orion, le porteur de glaive, aura plongé dans la mer.

Lorsque l'Aurore suivante aura vu la Rome victorieuse

4, 390

   et lorsque les étoiles en fuite auront fait place à Phébus,

une procession et des dieux en foule empliront le Cirque ;

   les chevaux rapides comme le vent aspireront à la palme.

 

Ensuite viennent les jeux de Cérès : indiquer leur raison d'être est superflu ;

   les faveurs et les mérites de la déesse sont évidents.

4, 395

Les premiers hommes avaient en guise de pain les herbes vertes

   offertes par la terre, sans que personne ne le demande ;

tantôt ils cueillaient les plantes poussant sur le sol,

   tantôt les pointes des tendres frondaisons faisaient leur repas.

Après cela, on connut le gland : c'était bien déjà d'avoir trouvé le gland ;

4, 400

  du reste, les ressources du robuste chêne étaient magnifiques.

Cérès la première invita l'homme à mieux s'alimenter

   et remplaça les glands par une nourriture plus salutaire.

Elle contraignit les taureaux à tendre le cou sous le joug ;

   alors on creusa la terre qui pour la première fois vit le soleil.

4, 405

Le bronze avait du prix, le fer des Chalybes restait caché.

   Hélas ! Que n'est-il resté enfoui à jamais !

La paix rend Cérès heureuse ; et vous, paysans,

   priez pour obtenir une paix perpétuelle et un chef pacifique.

Vous pouvez offrir à la déesse de l'épeautre, lui faire l'hommage

4, 410

   d'un peu de sel brillant et de grains d'encens jetés dans un vieux foyer ;

et si vous n'avez pas d'encens, enduisez des torches de poix et allumez-les ;

   la bonne Cérès agrée une offrande modeste, pourvu qu'elle soit pure.

Sacrificateurs à la tunique retroussée, écartez du boeuf vos couteaux ;

   le boeuf doit labourer ; immolez une truie paresseuse.

4, 415

Une hache ne doit pas frapper cette nuque faite pour le joug :

   que le boeuf vive et peine souvent à travailler la terre dure !

 


L'enlèvement de Proserpine et la quête de Cérès en Sicile (4,417-494)

 

Vient ensuite le récit du rapt de Perséphone-Corè, fille de Déméter-Cérès, légende très connue en Grèce. En Sicile, lors d'une fête réunissant de vénérables divinités, dont Cérès, la fille de cette dernière, sortie avec ses compagnes pour cueillir des fleurs dans les prés, s'écarte inconsciemment de son groupe. (4,417-444)

Son oncle Hadès l'aperçoit, l'enlève et l'emmène dans son royaume, les Enfers, tandis que ses compagnes l'appellent en vain. (4,445-455)

Alertée par leurs cris, Cérès s'affole et part à la recherche de sa fille à travers toute la Sicile, dont Ovide énumère avec complaisance une foule de lieux. Les appels désespérés de la mère ne sont pas entendus ; le soir venu, au terme de sa quête vaine, Cérès parvient près de l'Etna, où elle allume deux pins en guise de lampes, ce qui explique la torche allumée lors des Cerealia. (4,456-494)

 

À ce point du récit, je dois parler du rapt de la fille de Cérès.

   tu reconnaîtras la plupart des faits ; tu n'apprendras pas grand-chose.

La terre aux trois promontoires s'avance dans la vaste mer ;

4, 420

   la Trinacrie, qui tient son nom de la configuration du lieu,

est un séjour aimé de Cérès : elle y possède de nombreuses villes,

   parmi lesquelles la fertile Henna aux terres bien cultivées.

La fraîche Aréthuse avait invité des divinités vénérables ;

   et la blonde déesse était venue au banquet sacré.

4, 425

Sa fille, avec son escorte habituelle de jeunes filles,

   errait, pieds nus, dans les prés qui lui étaient familiers.

Au fond d'un val ombragé, il est un endroit humide

   abondamment arrosé par une eau cascadant d'une hauteur.

Là se trouvaient tous les tons qui existent dans la nature

4, 430

   et la terre brillait, piquée de fleurs de toutes sortes.

Dès qu'elle l'aperçut, la jeune fille dit : "Mes amies, venez,

   et reportons ensemble des fleurs, emplissant les plis de nos robes!"

Les jeunes filles sont ravies à la pensée de ce butin léger,

   et malgré leur ardeur, elles ne sentent pas la fatigue.

4, 435

L'une emplit des paniers tressés de souple osier,

   une autre son jupon, cette autre les plis de son corsage.

Celle-là cueille des soucis, celle-ci cherche les violettes,

   celle-là d'un coup d'ongle coupe des têtes de pavots.

Jacinthe, tu retiens ces filles-ci ; amarante, tu en retardes d'autres, là.

4, 440

   Certaines aiment le thym, d'autres le coquelicot et le mélilot.

Les roses surtout sont cueillies en masse, et aussi des fleurs sans nom.

   Corè, pour sa part, choisit de frêles crocus et des lis blancs.

Dans son zèle pour les cueillir, elle s'écarte un peu trop

   et, par malheur, aucune compagne n'a suivi sa maîtresse.

4, 445

Son oncle paternel la voit ; l'ayant vue, il l'enlève prestement

   et sur ses sombres chevaux l'emporte dans son royaume.

Elle pourtant criait : "Ah! Mère chérie, on m'enlève!",

   tout en déchirant le devant de sa robe ; entre-temps,

une voie s'est ouverte devant Dis : c'est que les chevaux,

4, 450

   ne sont pas habitués et supportent à peine la lumière du jour.

Mais le choeur de ses amies, ses suivantes toutes chargées de fleurs,

   se mettent à crier "Perséphone, viens voir nos présents !"

Comme ces appels restent sans réponse, elles emplissent les monts de leurs cris

   et pleines de tristesse, frappent de leurs mains leurs poitrines dénudées.

4, 455

Cérès atterrée par ces gémissements (elle venait d'arriver à Henna),

  dit sans attendre : "Malheur à moi ! Ma fille, où es-tu ?

L'esprit égaré, elle s'emporte, telles les Ménades de Thrace

   qui, comme on nous l'a dit souvent, s'en vont cheveux défaits.

Quand son veau est arraché à sa mamelle, une mère mugit

4, 460

   et cherche ses petits à travers l'ensemble des bois,

ainsi la déesse, ne contenant pas ses gémissements,

   s'élança en une course effrénée, à partir de tes plaines, Henna.

Ensuite elle trouva des marques de pas de sa fille

   et remarqua sur la terre foulée une empreinte connue.

4, 465

Peut-être ce jour-là aurait-il été le dernier de son errance,

   si des porcs n'avaient brouillé les traces qu'elle avait découvertes.

Et déjà dans sa course, elle a dépassé Leontini

   et le cours d'eau Amenanos, et toi, Acis, aux rives herbeuses.

Elle dépasse encore la Cyanè et les sources du paisible Anapus,

4, 470

   et toi, Gélas, que tes tourbillons rendent inaccessible.

Elle avait quitté Ortygie et Mégare et le Pantagias

   ainsi que la mer où se jettent les eaux du Symèthe,

les antres brûlés des Cyclopes avec leurs cheminées dressées,

   et cet endroit qui porte le nom d'une faucille incurvée,

4, 475

et Himère, et Didyme, et Acragas et Tauroménium,

   et aussi le Mélas, les fertiles pâtures des boeufs sacrés.

Après cela, elle gagne Camérina, Thapsos et la Tempé de l'Hélore,

   et l'endroit où s'étend l'Éryx, toujours ouvert au zéphyr.

Déjà elle avait parcouru Pélorias et Lilybée,

4, 480

   déjà aussi Pachynum, les promontoires de sa terre.

Où qu'elle pénètre, elle emplit tous les lieux de ses plaintes,

   tel l'oiseau qui gémit sur la perte d'Itys.

Et tour à tour, elle crie, tantôt : "Perséphone !", et tantôt : "ma fille !",

   elle crie et lance alternativement chacun des deux noms ;

4, 485

mais Perséphone n'entend pas Cérès, la fille n'entend pas sa mère,

   les deux noms l'un après l'autre se perdent.

Avait-elle aperçu un berger ou un laboureur dans son champ,

   elle répétait cette seule phrase :"Une fille n'est-elle pas passée par ici ?"

Bientôt la couleur des choses devient uniforme,

4, 490

  l'obscurité recouvre tout ; déjà les chiens vigilants se sont tus.

L'Etna altier s'étend par-dessus les gueules de l'immense Typhée

   dont l'haleine de feu embrase la terre.

Là, elle alluma deux pins en guise de lampes ;

   d'où encore de nos jours, lors de ses fêtes, on offre une torche à Cérès.

 


Cérès à Éleusis fait de Triptolème le premier laboureur (4,495-562)

 

Cérès, par une caverne inaccessible, quitte la Sicile sur son char que tirent des dragons ailés ; cette voie lui permet d'échapper à de graves dangers (les Syrtes, Charybde et Scylla). Par l'Adriatique et Corinthe, elle parvient alors en Attique, où, accablée de tristesse, elle reste assise, sur le "rocher triste". (4,495-506)

Un jour, un vieillard d'Éleusis, Célée, revenant de la montagne avec sa fillette, rencontre la déesse seule et accablée. La conversation s'engage ; la déesse, qui a pris les traits d'une vieille femme, confie à Célée que sa fille lui a été enlevée ; le vieillard lui propose l'hospitalité dans son humble demeure et lui apprend qu'il a un fils malade. En cheminant, la déesse cueille des pavots et, y goûtant distraitement, met un terme à son long jeûne. (4,507-536)

Arrivés chez Célée, ils apprennent que l'enfant est mourant ; Cérès salue Métanire, la mère éplorée, et rend la vie à son fils, à la grande joie de toute la maisonnée. Cérès s'abstient de prendre des mets qui sont servis et donne à l'enfant un breuvage soporifique. Durant la nuit, la déesse, prononçant des incantations, entreprend de rendre l'enfant immortel en le plongeant dans la cendre du foyer, mais Métanire méfiante l'interrompt, si bien que Triptolème restera mortel. Cependant la déesse, avant de disparaître dans une nuée, annonce qu'il sera le premier cultivateur. (4,537-562)

 

4, 495

Il existe une caverne creusée dans la pierre ponce rugueuse et rongée,

   endroit où n'ont accès ni homme, ni bête sauvage ;

dès qu'elle y parvient, elle attelle à son char des serpents bridés

   et franchit sans se mouiller les eaux de la plaine marine.

Évitant les Syrtes, elle vous échappa, toi, Charybde de Zancle,

4, 500

   et vous, chiens de Nisus, monstres naufrageurs ;

et survolant l'immense Adriatique et Corinthe aux deux mers,

   elle parvint ainsi à ton port, ô terre d'Attique.

Là, sur un roc glacé, elle s'assit pour la première fois, accablée de tristesse :

   de nos jours encore les Cécropides appellent cet endroit le "rocher triste".

4, 505

À la belle étoile, de nombreux jours durant, elle resta là

   sans bouger, endurant les nuits lunaires et les eaux de pluie.

 

À chaque lieu son destin : les terres appelées aujourd'hui l'Éleusis de Cérès,

  appartenaient autrefois au vieux Célée.

Il rapportait chez lui des glands et des mûres, qu'il avait cueillies

4, 510

   en secouant les ronces, et du bois sec pour allumer ses feux.

Sa petite fille ramenait deux chèvres de la montagne,

   et son fils, un bambin délicat, était malade, dans son berceau.

"Mère !", dit la fillette (la déesse, entendant le mot mère, s'émut),

   "Que fais-tu en ces lieux déserts, sans personne qui t'accompagne ?"

4, 515

Le vieillard aussi s'arrêta, malgré le poids de sa charge, et la pria

   de pénétrer sous son toit, si petite que soit sa chaumière.

Elle refusa (elle avait prit l'apparence d'un vieille femme

   et serré ses cheveux dans un turban) ; elle lui dit, comme il insistait :

"Je te souhaite bonne santé, et d'être toujours père. Ma fille a été enlevée.

4, 520

   Hélas ! Combien ton sort est meilleur que le mien !"

À ces mots, telle une larme (car les dieux ne pleurent pas),

   une goutte toute brillante tomba sur son sein tiède.

Vieillard et fillette ont le coeur ému et pleurent à l'unisson ;

   après quoi le bon vieillard énonça ces mots :

4, 525

"Que la fille enlevée que tu recherches te revienne saine et sauve ;

   mais lève-toi et ne dédaigne pas le toit de ma modeste maison."

La déesse lui dit : "Guide-moi ! Tu as su trouver le moyen de me forcer" ;

   Alors elle se lève de son rocher et suit le vieil homme.

Chemin faisant, il raconte à sa compagne que son fils est très malade :

4, 530

   il ne dort plus et ses souffrances le tiennent éveillé.

Avant d'entrer dans la chaumière, elle ramasse sur le sol en friche

   de doux pavots qui apportent le sommeil.

On dit que, tout en les cueillant, elle y goûta machinalement,

   et que, sans y penser, elle apaisa sa longue faim.

4, 535

Parce que son jeûne prit fin au début de la nuit, les mystes

   ont vu que l'apparition des étoiles marquait le moment de manger.

Dès qu'elle eut franchi le seuil, elle vit toute la maison en deuil ;

   pour l'enfant, il n'y avait plus aucun espoir de salut.

La déesse salua la mère, qui s'appelait Métanire,

4, 540

   et consentit à poser sa bouche sur celle de l'enfant.

La pâleur disparaît et soudain on voit les forces regagner le corps :

   si grande est la vigueur émanant de la bouche divine.

Toute la maison est en fête, à savoir le père, la mère et la fille :

   à eux trois, ils constituaient toute la maison.

4, 545

Bientôt, un repas est servi, du lait caillé,

   des fruits et du miel doré dans ses rayons.

La bienveillante Cérès s'abstient, et pour t'endormir,

   enfant, elle te donne du pavot à boire avec du lait tiède.

C'était le milieu de la nuit, où régnait le silence d'un paisible sommeil.

4, 550

   La déesse souleva Triptolème sur ses genoux

et trois fois le caressa de la main, chanta trois incantations,

   incantations que ne peut reproduire une voix humaine ;

de la cendre ardente d'un foyer elle couvrit le corps de l'enfant,

   afin que le feu le purifiât de son poids humain.

4, 555

La mère, sottement attentionnée, se réveille, et s'écrie, hors d'elle :

   "Que fais-tu ?", et elle retire du feu le corps de l'enfant.

La déesse lui dit : "Sans le vouloir, tu es devenue criminelle :

   ta crainte de mère a réduit à néant mes dons.

Toutefois, cet enfant, qui sera mortel certes, le premier labourera,

4, 560

   sèmera et récoltera les fruits d'une terre cultivée."

Cérès finit de parler et, en sortant, elle attire vers elle une nuée,

   se dirige vers ses dragons et est emportée sur son char ailé.


Cérès retrouve Proserpine (4,563-620)

 

Quittant Éleusis et la Grèce, Cérès sur son char attelé de dragons ailés, parcourt le monde de l'Orient à l'Occident, survolant l'est de la Méditerranée, l'Asie, l'Afrique, l'Europe. Toujours à la recherche de sa fille, elle apprend par le Soleil que Proserpine (Perséphone-Corè) est devenue l'épouse d'Hadès. (4,563-584)

Désemparée, elle s'adresse alors à Jupiter, lui rappelant qu'il est le père de Proserpine, et lui demandant qu'il punisse le ravisseur, ou qu'à tout le moins, il lui permette, à elle, de récupérer sa fille. Jupiter tente de la calmer, en faisant valoir qu'Hadès, qui règne sur un tiers de l'univers, n'est pas un gendre indigne ; toutefois, à condition que Proserpine soit restée à jeun, Cérès pourra récupérer sa fille. Le messager Hermès (Mercure) aussitôt dépêché annonce que la jeune femme, ayant avalé des graines de grenade, doit devenir reine des Enfers, ce qui désespère Cérès. (4,585-610)

Comme elle refuse dès lors de vivre avec les dieux du ciel, Jupiter trouve un compromis, acceptant que Proserpine séjourne durant six mois auprès de sa mère. Cérès satisfaite, les moissons redevinrent abondantes. On fête Cérès avec des vêtements blancs. (4,611-620)

 

La déesse quitte le cap Sounion exposé aux vents,

   la sûre retraite du Pirée et le rivage qui s'étend sur sa droite.

4, 565

Ensuite elle pénètre dans la mer Égée, et y voit toutes les Cyclades ;

   elle choisit l'impétueuse mer bordant l'Ionie et la mer Icarienne,

puis, survolant les villes d'Asie, rejoint l'Hellespont étiré.

   Suspendue dans les airs, elle poursuit en tous sens ses errances.

D'en haut, elle aperçoit tantôt les Arabes cueilleurs d'encens, tantôt les Indiens ;

4, 570

   ensuite, sous ses yeux voici la Libye, puis Méroé et sa terre desséchée.

Ensuite elle aborde les terres occidentales, le Rhin, le Rhône, le Pô,

   et toi, Thybris, destiné à devenir le père d'un fleuve puissant.

Où suis-je emporté ? C'est une tâche immense de citer les terres parcourues :

   dans le monde, il n'est point de lieu où ne soit passée Cérès.

4, 575

Elle erre encore dans le ciel, s'adressant aux constellations

   voisines du pôle glacé, qui ne sombrent pas dans la mer limpide :

"Étoiles de Parrhasie (oui, vous pouvez tout connaître,

   puisque jamais vous ne plongez dans les ondes marines),

montrez à une mère malheureuse sa fille Perséphone !"

4, 580

   Elle avait fini de parler. Hélicé lui répond en ces termes :

"La Nuit est exempte de tout reproche ; sur le rapt de cette jeune fille,

   consulte le Soleil, qui voit largement les événements diurnes."

Le Soleil abordé dit : "Ne te donne pas de mal en vain : tu cherches

   l'épouse du frère de Jupiter, celle qui règne sur le troisième royaume."

4, 585

Longtemps elle se lamenta seule, puis elle s'adressa ainsi au dieu Tonnant,

   le visage marqué par une très vive souffrance :

"Si tu te souviens de qui est née ma fille Proserpine,

   elle doit faire pour moitié l'objet de ton souci.

Errant à travers le monde, j'ai constaté une seule injustice commise :

4, 590

   c'est le ravisseur qui est récompensé pour sa faute.

Mais Perséphone n'a pas mérité un mari qui soit un brigand,

   et nous ne devions pas nous trouver un gendre de cette façon-là.

M'imaginant captive de Gygès victorieux, qu'aurais-je subi de pire

   que mon sort présent, alors que tu détiens le sceptre du ciel ?

4, 595

En vérité, qu'il reste impuni, je supporterai de n'être pas vengée ;

   pourvu qu'il la rende et que sa conduite nouvelle corrige ses actes passés."

Jupiter la calme et justifie ce rapt par l'amour, et dit :

   "Mais il n'est pas un gendre dont nous ayons à rougir ;

moi-même, je ne le surpasse pas en noblesse ; le royaume du ciel m'est échu,

4, 600

   un autre règne sur les eaux, un autre sur le monde vain des ténèbres.

Mais si d'aventure tu ne peux changer ton coeur,

   Si tu as vraiment décidé de briser les liens d'un mariage conclu,

faisons encore un essai, si du moins elle est restée à jeun ;

   sinon, elle sera l'épouse d'un conjoint infernal."

4, 605

Sur ordre, le porteur du caducée prend ses ailes, gagne le Tartare,

   revient plus vite qu'espéré et rapporte ce qu'il a vu, de source sûre :

"Une fois enlevée", dit-il, "elle a rompu son jeûne avec trois graines

   enveloppées dans la souple écorce d'une grenade.

La mère affligée gémit tout autant que si sa fille venait d'être enlevée ;

4, 610

   et mit un long moment à se remettre, à grand-peine.

 

Puis elle dit ainsi : "Pour moi, habiter au ciel n'est plus possible ;

   ordonne que l'on m'accueille aussi dans la vallée du Ténare !"

Et elle allait passer à l'acte, si Jupiter n'avait convenu

   que Proserpine vivrait au ciel durant six mois.

4, 615

Alors enfin Cérès retrouva son sourire et ses esprits

   et posa sur sa chevelure une couronne d'épis.

Dans les champs laissés en jachère on récolta une abondante moisson,

   et l'aire contint avec peine les richesses qu'on y amassait.

Le blanc sied à Cérès : aux fêtes de Cérès, portez des vêtements blancs ;

4, 620

de nos jours l'usage de laine sombre a disparu.

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Notes (4,373-620)

 
fille de Pallas (4,373). L’Aurore, Eos, passe généralement pour la fille du Titan Hypérion (Hésiode, Théogonie, 371) ; cfr aussi Fastes, 5, 159. Toutefois, ici, elle est appelée fille de Pallas, nom d'un Titan peu connu (cité dans Hymne homérique à Hermès, 1, 100). Quoi qu'il en soit, la périphrase désigne le 5 avril.

Fortune Publique, sur le Quirinal (4,375-376). Le 5 avril marquait l’anniversaire d’un sanctuaire consacré, sur la colline du Quirinal, à la "Fortune Publique du peuple romain des Quirites" (en latin Fortuna Publica populi Romani Quiritium). Rien n'est connu de la forme et de l'histoire de ce temple. Fortuna est une abstraction personnifiée de date ancienne qui sera assimilée plus tard à la Tychè grecque ("le Hasard, le Sort") et subira de profondes transformations. De nombreux temples lui sont consacrés à Rome sous des épithètes variées, les Romains spécifiant "la notion suivant ses points et ses temps d'application" (G. Dumézil). On a rencontré plus haut (4, 145) la Fortuna Virilis et la Fortuna Muliebris, liées respectivement aux hommes et aux femmes. La Fortuna en question ici était celle du peuple romain dans son ensemble. On retrouvera en 5, 729-730 un autre sanctuaire à la Fortune Publique également sur le Quirinal.

troisième jour des jeux (4,377). Il s’agit des Jeux en l’honneur de la Grande Mère, les Megalensia (4,357), qui commencent le 4 avril. Nous sommes donc ici le 6 avril.

César a écrasé... Juba (4,379-380). Le 6 avril est l’anniversaire de la bataille de Thapsos, en Afrique du nord, au cours de laquelle Jules César défit en 46 a.C. le roi Juba de Numidie, qualifié ici de "traître" parce qu'il s'était allié à Q. Metellus Scipion, partisan de Pompée, l'adversaire de César.

tribun (4,381). Les tribuns étaient des officiers supérieurs de l'armée romaine : il y en avait six par légion. Ovide assiste donc aux jeux en compagnie d’un "ancien combattant" de la bataille de Thapsos.

je dois ce siège (4,383). À l'époque d'Ovide, une loi (Lex Roscia theatralis) datant de 67 a.C. réservait les quatorze premières rangées aux membres de l'ordre équestre (les chevaliers), qui constituait la seconde classe sociale en dignité à Rome.

décemvirs (4,384). Les décemvirs (membres d'un collège de dix personnes) évoqués ici étaient des magistrats recrutés parmi les chevaliers et chargés d’affaires civiles. Cette charge permettait à Ovide de bénéficier d'une place privilégiée aux spectacles. C'était également le cas de l’ancien tribun de César.

Balance (4,386). Sur ce signe du Zodiaque qu'est la Balance (en latin Libra), cfr Chevaliers du Zodiaque et Astronomie virtuelle.

Orion (4,388). Il s’agit ici du 9 avril et il sera encore question d'Orion en 5, 493-544, à la date du 11 mai, et en 6, 788. Orion était un chasseur géant (Virgile, Énéide,1, 535 ; 7, 719 ; 10, 763) qui fut mis au rang des astres. Il est représenté ici avec un glaive en main. Cfr aussi Chevaliers du Zodiaque et Observational Astronomy. Sur le site d'Astronomie virtuelle, il est précisé qu'Orion est "une des constellations les plus caractéristiques du ciel. Les Babyloniens y voyaient Mardouk ; les Égyptiens Osiris. Le célèbre chasseur Orion fut tué par un Scorpion : c'est pourquoi la constellation d'Orion apparaît en hiver et reste invisible en été, quand se montre celle du Scorpion."

l'Aurore suivante... Cirque (4,389-392). Le 10 avril, dernier jour des Megalensia, était la date anniversaire de la dédicace du temple de la Magna Mater sur le Palatin, en 191 a.C. (Tite-Live, 36, 36, 3). Ce jour était marqué par des jeux au Grand Cirque, comportant des courses de chevaux, le tout précédé par une procession au cours de laquelle étaient portées les images des dieux.

jeux de Cérès (4,393). Les Ludi Cereri, jeux de caractère plébéien, se déroulaient du 12 au 19 avril, succédant presque immédiatement aux Megalensia. Il a déjà été question de Cérès en 1, 349 et en 2, 520. Pour présenter la divinité en quelques mots, on dira que Cérès est une ancienne divinité romaine de la croissance, formée sur la même racine que le verbe crescere, qui veut dire "croître". Elle patronnait la fécondité des champs. Très vite, elle sera assimilée à la Déméter grecque, dont elle reprendra les attributs, les fonctions et les légendes. Ovide va s'attarder longuement (4, 393-620) sur Cérès, mais c'est en fait de la Déméter grecque qu'il sera essentiellement question. De nombreux vers étant consacrés à l'évocation du rapt de Corè-Perséphone, fille de Déméter, devenue Proserpine à Rome, il pourrait être utile au lecteur d'avoir à l'esprit l’Hymne homérique à Déméter. Ovide a également traité le sujet de Cérès et de Proserpine dans ses Métamorphoses (5, 341-571).

Les premiers hommes (4,395). Ovide entame l'éloge de Cérès par une évocation de la vie primitive. Pour d'autres évocations, cfr aussi 2, 291-300, à propos des Arcadiens, "un peuple plus ancien que la Lune" ; et surtout Lucrèce, 5, 925-1010.

le gland (4,399). Il en a déjà été question en 1, 676. Chez Virgile, Géorgiques, 1, 8, et chez Tibulle, 2, 1, 38, le gland est la première nourriture des hommes. Ici il intervient en second lieu, après les herbes et avant que Cérès ne leur donne le pain.

fer des Chalybes (4,405-406). Le minerai de fer, chalybeia massa, aurait été découvert et travaillé par les Chalybes, habitants d’Asie Mineure au sud-est du Pont-Euxin. Ici, Ovide reproche au fer d’avoir servi à fabriquer des armes. Cfr Virgile, Énéide, n. à 8, 421 et 10, 174.

épeautre (4,409). Il a souvent été question dans les Fastes de cette céréale très ancienne, notamment à propos de sa torréfaction (2, 519-525). On s'en servait pour fabriquer des gâteaux qui étaient offerts aux dieux, par exemple à Janus (1, 276) ou à Cérès (1, 672). Elle intervenait aussi dans la fabrication par les Vestales de la mola salsa (1, 128 ; 1, 338 avec la n.). C'était, comme le sel, une offrande traditionnelle.

sel (4,410). Dans l'antiquité, le sel était considérée comme une substance purificatrice, dont on pouvait offrir aux dieux des grains. Il constituait, comme l'épeautre, une offrande traditionnelle. Cfr 1, 337 : "Autrefois, ce qui aidait l'homme à se concilier les dieux, c'était une galette d'épeautre et un grain brillant de sel pur." Le sel intervenait aussi, avec l'épeautre, dans la fabrication de la mola salsa (1, 128 ; 1, 338 avec la n.).

encens (4,410). L'encens, lui, n'est arrivé que plus tard, de l'étranger. Cfr 1, 341 : "L'Euphrate n'avait pas envoyé son encens". C'était donc une offrande plus tardive et d'origine étrangère.

sacrificateurs (4,413). Dans le sacrifice, les victimarii et cultrarii assistaient l'officiant et se chargeaient de l'exécution des victimes (cfr 1, 319-322).

boeuf (4,413). Sur le boeuf, victime innocente, cfr 1, 362-385, où le sacrifice de cet animal est expliqué par la légende d'Aristée, qui, pour récupérer ses abeilles perdues, dut, sur les conseils de Protée, immoler un taureau, de la peau décomposée duquel surgit un nouvel essaim.

truie (4,414). À la différence du boeuf, la truie n'est pas une victime innocente : elle fut immolée à Cérès pour avoir saccagé les moissons (cfr 1, 349-352).

fille de Cérès (4,417). La fille de Cérès-Déméter et de Zeus s’appelle en grec Perséphone ou Corè, en latin Proserpine. Ovide entame ici le récit du rapt de Corè, une légende très célèbre en Grèce et qu'il racontera aussi dans les Métamorphoses (5, 341-571). Le lecteur aura également intérêt à se reporter au texte de l’Hymne homérique à Démèter, qui rapporte l'histoire en détail.

Trinacrie (4,419-420). C'est la désignation poétique de la Sicile (cfr 4, 287, et Virgile, Énéide, 1, 195). L'expression grecque signifie "aux trois promontoires" ; ces promontoires seront cités par Ovide en 4, 479-480. Cfr aussi Mét., 5, 346-353, avec une illustration.

Henna (4,422). Dans l'Hymne homérique à Déméter, l'enlèvement de Corè est situé dans la "plaine nysienne" (vers 17), un lieu non autrement identifié et qui semble mythique. Les auteurs plus récents l'ont placé à Henna, au centre de la Sicile. Cfr Cicéron, Verrines, 4, 106 : "L'enlèvement de Libéra, que les Siciliens appellent Proserpine, eut lieu dans le bois d'Henna, nommé le nombril de la Sicile, parce qu'il est situé au milieu de l'île. Cérès, voulant suivre sa fille à la trace et aller la reprendre, alluma, dit-on, des torches aux flammes qui s'élancent de la cime de l'Etna ; en les portant devant elle, elle parcourut l'univers entier" (trad. G. Rabaud).

Aréthuse (4,423). Aréthuse était une nymphe d’Achaïe, qui, se baignant dans les eaux de l'Alphée, fut poursuivie par le dieu du fleuve. Au terme d'aventures compliquées, elle se retrouve, transformée en fontaine, en Sicile, près de Syracuse, dans l'île d'Ortygie. Ovide raconte son histoire en détail dans les Métamorphoses (5, 577-641). Cfr aussi Virgile, Énéide, 3, 694-696.

blonde déesse (4,424). Cérès, la déesse blonde comme les blés, dont elle est couronnée (cfr 4, 616). L'épithète "blonde" lui est fréquemment appliquée.

mélilot (4,440). Genre de papillonacées, comprenant des herbes fourragères et officinales.

son oncle paternel (4,445). Hadès, dieu des enfers, est le frère de Zeus. Comme Corè est la fille de Zeus, Hadès est donc son oncle.

Dis (4,449). Dis, un dieu romain du monde souterrain, a été de très bonne heure identifié à Hadès, qui avait comme surnom rituel Pluton (en grec "Le Riche"). Le mot latin Dis a le même sens.

frappent de leurs mains (4,454). Manifestation rituelle de la douleur. Cfr 3, 864.

Ménades de Thrace (4,457-458). Les Ménades ou Bacchantes sont les femmes qui, plongées dans le délire extatique, forment le cortège de Bacchus-Dionysos. Cfr 3, 721 ; 3, 764 ; 6, 504 (pour les Ménades d'Ausonie).

des porcs (4,466). En 1, 349-353, Ovide expliquait le sacrifice de la truie à Cérès, par le fait que cet animal aurait arraché "les pousses semées au début du printemps dans les sillons ameublis". Ici des porcs auraient brouillé les traces de Perséphone enlevée. Serait-ce pour cette raison que la truie est sacrifiée à Cérès ? Ovide ne le dit pas explicitement.

Leontini... Amenanos... Acis (4, 467-468). Leontini (actuel Lentini) est une ville située à une dizaine de kilomètres de la côte entre Catane et Syracuse ; l’Amenanos et l’Acis sont des rivières qui viennent de l’Etna et qui se jettent non loin de Catane.

Cyanè... Anapus (4, 469). "Cyanè désigne une source (cfr Métamorphoses, 5, 409-437) qui a donné son nom à un cours d'eau qui devient l'affluent de l'Anapus. Ce dernier prend sa source près de la ville d'Acrae et finit sa course dans le port de Syracuse" (R. Schilling).

Gélas (4,470). Le Gélas "coule dans la partie méridionale de la Sicile et se jette dans la mer à Gela qui lui doit son nom (aux environs de l'actuelle Terranova)" (R. Schilling).

Ortygie... Mégare... Pantagias... Symèthe (4, 471-472). Ortygie est une île en face de Syracuse (cfr 4, 423, à propos d'Aréthuse ; Virgile, Énéide, 3, 692-3). Mégare est une ville de la côte est, entre Leontini et Syracuse. Le Pantagias (aujourd'hui Fiume di Porcari) a son embouchure sur la côte. Le Symèthe (aujourd'hui Simeto) est un fleuve de la Sicile orientale, qui se jette dans la mer au sud de Catane (Énéide, 9, 584) et qu'on retrouvera chez  Ovide, Métamorphoses, 13, 750.

antres brûlés des Cyclopes (4,473). Désigne l’Etna. Cfr 4, 287-288 ("où Brontès, Stéropès et Acmonidès s'occupent à tremper le fer brûlant") et Virgile, Énéide, 8, 418-419.

nom d'une faucille (4,474). Il s’agit de Zancle (= "faucille" en grec), ancien nom de Messine, à l'extrémité nord-est de l'île.

Himère... Didyme... Acragas... Tauroménium (4,475). Himère est une ville à l’ouest, sur la côte nord de Sicile ; Didyme est une des îles Lipari ; Acragas est l’ancien nom d’Agrigente, sur la côte sud ; Tauromenium s'élève sur la côte est, entre Messine et Catane.

Melas (4,476). Cette rivière n'a pas été identifiée avec certitude.

Camérina...Thapsos (4,477). Camérina est une ville sur la côte sud de la Sicile ; Thapsos, sur la côte est, est située entre Syracuse et Mégare. On ne la confondra avec la ville africaine de même nom, siège de la bataille dont il a été question en 4, 379-380.

Tempé de l'Hélore (4,477). L’Hélore est le nom d’un fleuve du sud de la Sicile, qui se jette dans la mer Ionienne, au nord du promontoire de Pachynum. Le terme grec Tempe évoque une riante vallée ; c'est le nom que porte la vallée du Pénée, en Thessalie.

Éryx (4,478). Mont du nord-ouest de Sicile, réputé pour son temple à Aphrodite-Vénus. Cfr 4, 872 et Virgile, Énéide, n. à 1, 570

Pélorias... Lilybée... Pachynum (4,479-480). C'est le nom des trois promontoires situés respectivement aux extrémités nord-est, ouest et sud de la Sicile, et qui justifient le nom poétique de l’île, à savoir Trinacrie (cfr 4, 420). Le parcours sicilien de Déméter ne présente aucune logique géographique, ce qui montre bien son désarroi.

Itys (4,482). Itys est la fille du roi de Thrace Térée, qui périt de la main de sa tante Philomèle. Térée, raconte-t-on, s'était épris de Philomèle, la soeur de sa femme Procné, et l'avait violée. Pour dissimuler sa faute, il avait arraché la langue de Philomèle, qui parvint cependant à avertir Procné. Les deux soeurs se vengèrent en tuant Itys, qu'elles servirent à dîner à Térée. Jupiter les métamorphosa en oiseaux : les deux soeurs en rossignol et en hirondelle, Térée en huppe. L'histoire est longuement racontée par Ovide dans ses Métamorphoses, 6, 412-674. Cfr aussi 2, 629.

Typhée (4,491). Typhée est un monstre, fils de Gaia et du Tartare, qui avait attaqué les dieux. Zeus finira par l'abattre et par l'écraser sous l'Etna. C'est lui qui vomit les flammes que crache le volcan. Cfr 1, 573-574.

deux pins (4,493). Cfr le texte de Cicéron (Verrines, 4, 106), déjà cité plus haut, à la n. 422  : "Cérès, voulant suivre sa fille à la trace et aller la reprendre, alluma, dit-on, des torches aux flammes qui s'élancent de la cime de l'Etna ; en les portant devant elle, elle parcourut l'univers entier" (trad. G. Rabaud). Cela explique la présence de torches dans la liturgie de Cérès ; cela explique aussi que, dans l'iconographie, la torche soit un attribut habituel de la déesse.

une caverne (4,495). La description de Cicéron (Verrines, 4, 107) fait état de l'existence, dans les environs du lieu de l'enlèvement de Corè, "d'une caverne tournée vers le nord, d'une profondeur insondable", de laquelle a surgi le char de Pluton.

des serpents (4,497). Déméter - Cérès est souvent représentée sur un char tiré par des dragons ailés.

Syrtes (4,499). Dans la géographie ancienne, le terme Syrtes, d'origine grecque, désignait deux golfes formés par la Méditerranée sur la côte nord de l'Afrique entre Cyrène et Carthage, Syrtis minor (ou petite Syrte, aujourd'hui golfe de Sidra) à l'ouest, et Syrtis maior (ou grande Syrte, aujourd'hui golfe de Gabès) à l'est. La navigation y était dangereuse, notamment à cause de la présence de nombreux hauts-fonds. Cfr Énéide, 1, 111 ; 5, 51 ; 7, 302.

Charybde de Zancle (4,499). Dans le détroit de Messine (pour Zancle, cfr n. à 4, 474), Scylla est un écueil et Charybde un tourbillon voisin, tous deux très dangereux pour les navigateurs (cfr Virgile, Énéide, n. à 1, 200 ; 3, 420 ; 7, 302). Ces deux noms sont bien connus grâce à l'expression devenue proverbiale "tomber de Charybde en Scylla", c'est-à-dire tomber d'un mal dans un mal pire encore.

chiens de Nisus (4,500). Pour Homère (Odyssée, 12, 85-101), Scylla, "la terrible aboyeuse", est un monstre à six cous et à six têtes, chacune avec "trois rangs de dents serrées". Dans l'Énéide (3, 424), Virgile la voit autrement : "de prime abord, elle a un aspect humain, jeune fille au beau torse jusqu'à la base du tronc, ensuite baleine au corps énorme, joignant des queues de dauphin à un ventre de loup". Mais dans les Bucoliques (6, 74-75), il la présente avec "sa ceinture de monstres aboyants autour de son aîne blanche" (trad. E. de Saint-Pierre). La légende la plus accréditée raconte que Scylla était une nymphe sicilienne, aimée de Glaucus et métamorphosée par la jalousie de Circé en un monstre horrible ; désespérée, elle se jeta à la mer où elle causait la perte des matelots. Ovide (Métamorphoses, 13, 719-968) s'attarde sur son histoire. -- Il existait aussi une autre Scylla, qui était la fille de Nisus, roi de Mégare, et qui avait trahi sa patrie assiégée par Minos (cfr Mét., note à 8, 7) . La mention de Nisus dans le texte montre qu'Ovide a mélangé les deux mythes, mais Virgile, dans les Bucoliques (6, 74-75), avait déjà fait de la Scylla sicilienne "la fille de Nisus".

Cécropides (4,504). Le terme désigne les Athéniens, dont un roi mythique s’appelait Cécrops. Cfr 3, 81.

"rocher triste" (4,504). À Éleusis, on montrait un rocher qui se dressait près d'un puits sur lequel Déméter (Hymne homérique à Déméter, 98-99) se serait assise "le coeur triste". On l'appelait en grec agelastos petra, littéralement "le rocher triste".

Éleusis de Cérès (4,507). À quelque vingt kilomètres d'Athènes, Éleusis était dans l'antiquité un centre religieux très important, célèbre pour ses mystères consacrés à Déméter et à Corè ("Les Deux Déesses"). Les cérémonies comportaient en fait des Petits Mystères et des Grands Mystères. Les Petits Mystères se déroulaient en février-mars, non pas à Éleusis même, mais dans un sanctuaire de Déméter et Corè dans un faubourg d'Athènes. Coïncidant avec la venue du printemps, ils commémoraient le retour de Corè et n'étaient pas secrets. Les Grands Mystères, qui avaient lieu en septembre-octobre, étaient célébrés à Éleusis et pour une bonne partie frappés du secret, secret relativement bien gardé, puisque nous ne savons toujours pas avec précision ce qui s'y passait. Les Mystères d'Éleusis eurent un très grand renom dans l'Antiquité ; ils furent célébrés pour la dernière fois à l'extrême fin du IVe siècle p.C.n. L'Hymne homérique à Déméter en constitue en quelque sorte le récit de fondation.

Célée (4,508). Ce Célée, un vieillard, présenté ici par Ovide comme un paysan modeste, époux de Métanire, père d’une fillette et de Triptolème, ne correspond pas parfaitement à celui que nous connaissons par l’Hymne homérique à Déméter, qui en fait un roi d’Éleusis, père de quatre filles et d’un fils nommé Démophon.

les dieux ne pleurent pas (4,521). Il ne faut pas généraliser. Ovide lui-même n'est pas cohérent en la matière ; dans les Métamorphoses (2, 621), il fait dire à Apollon que "les larmes ne peuvent baigner les visages célestes", mais dans les Amours (3, 9, 1), il fait pleurer les déesses Aurore et Thétis.

les mystes (4,535-536). Allusion à un rite suivi par les initiés aux Mystères d’Éleusis, où le jeûne prenait fin le soir. Cette coutume était censée trouver son origine dans une attitude de Déméter (Hymne homérique à Déméter, 199-211).

enfant (4,538). D’après Ovide, cet enfant s’appelait Triptolème (cfr 4, 550). Dans l'Hymne homérique à Déméter (vers 234), le fils de Célée et de Métanire porte le nom de Démophon ; Triptolème, pour sa part, est un sage de la région d’Éleusis (vers 153), un notable à qui Déméter enseignera, comme à plusieurs de ses concitoyens, "l'accomplissement du ministère sacré" (vers 474-476), c'est-à-dire les Mystères d'Éleusis.

poser sa bouche (4,540). "Ce baiser sur la bouche fait passer directement dans le corps de l'enfant l'influx divin qui le guérit miraculeusement" (H. Le Bonniec). Cfr Hymne homérique à Déméter, vers 231-238 : l'enfant "grandissait comme un être divin, sans prendre le sein ni aucune nourriture : Déméter en effet le frottait avec de l'ambroisie, comme s'il fût né d'un dieu, et soufflait doucement sur lui en le tenant sur son coeur" (trad. J. Humbert).

la cendre ardente d'un foyer (4,553). "Le feu purificateur doit anéantir chez Triptolème, comme chez Hercule sur le bûcher (Métamorphoses, 9, 250-256), l'élément humain et lui conférer l'immortalité" (H. Le Bonniec). Le même procédé est utilisé dans l'Hymne homérique à Déméter (vers 239-265), et dans les deux cas il échoue, parce que la mère de l'enfant, "sottement attentionnée", ne comprend pas ce qui se passe.

le premier (4,559). Déméter passe pour avoir enseigné à Triptolème tout ce qui concerne l'agriculture. Dans les Métamorphoses d'Ovide (5, 645-656), la déesse confie son char ailé au jeune homme, et "lui donne des semences qu'elle lui prescrit de répandre les unes dans des terres jusque-là incultes, les autres dans des terres remises en culture après un long intervalle" ; Triptolème va alors diffuser sur toute la terre "les dons de Cérès". Ovide le voit ici comme un mortel, mais Virgile (Géorgiques, 1, 19) le place sur le même plan que les dieux.

cap Sounion (4,563). Le Cap Sounion forme l'extrémité sud-est de l'Attique. L'imposant temple à Poséidon, dieu de la mer, qui s'y dressait était visible de loin et signalait aux marins qu'ils approchaient de l'Attique.

Pirée (4,564). Le Pirée est le port d'Athènes.

mer Icarienne (4,566). Chez Homère déjà (Iliade, 2, 145), l'expression désigne la partie méridionale de la mer Égée. Elle doit son nom à Icare, le fils de Dédale, qui y était tombé (cfr Ovide, Métamorphoses, 8, 195-235). Cfr 4, 283-286.

Arabes... encens... Indiens (4,569). Cfr 3, 720 et n. à 1, 341.

Méroé (4,570). Ville de Nubie, sur la rive droite du Nil, entre la cinquième et la sixième cataracte (aujourd'hui au Soudan). Elle compte de nombreux vestiges archéologiques.

Thybris (4,572). Autre nom pour Tiberis, le Tibre, qui désigne ici le dieu du fleuve.

Où suis-je emporté... (4,573-574). Ces deux vers concluent de manière très évocatrice ce tour du monde où se manifeste Cérès.

voisines du pôle glacé (4,575-576). Il s'agit de la Grande Ourse et de la Petite Ourse. L'intérêt de ces étoiles pour les habitants de l'hémisphère nord est qu'elles sont toujours visibles au-dessus de l'horizon (cfr 3,107-108). La Petite Ourse, appelée aussi Cynosure, était appréciée des marins phéniciens tandis que la Grande Ourse, Hélicé était plutôt un repère astronomique pour les Grecs. Cfr aussi 2, 155 et 6, 235-236.

Parrhasie (4,577). La Parrhasie est une région (ou une ville) d'Arcadie, et l'adjectif "parrhasien" est utilisé comme synonyme poétique de "arcadien" (cfr n. à 1, 478). C'est une allusion savante à Callisto, nymphe d'Arcadie, qui fut transformée en Ourse par la haine de Junon et catastérisée par Jupiter (cfr 2, 153-192).

Hélicé (4,580). C'est le nom donné à la Grande Ourse. Cfr 3, 108.

frère de Jupiter (4,584). Le frère de Jupiter est Hadès, alias Pluton, alias Dis, le dieu des enfers. Cfr 4, 445-449, avec les notes. Hélicé annonce donc à Déméter que sa fille est devenue l'épouse d'Hadès. La mention de "troisième royaume" fait allusion au partage de l’univers entre les trois fils de Cronos, après sa chute : à Zeus le ciel, à Poséidon la mer, et à Hadès le royaume des ombres, tandis qu’ils disposaient tous trois de la terre et du haut Olympe. (Homère, Iliade, 15, 187-193). Corè est donc la reine du troisième royaume, celui des morts.

dieu Tonnant (4,585). C'est une des épithètes cultuelles portées à Rome par Jupiter. Ce Jupiter Tonnant était en faveur sous Auguste, depuis que cet empereur avait été "miraculeusement" épargné par la foudre lors d'une expédition en Espagne (Suétone, Auguste, 29, 5).

pour moitié (4,588). Rappelons que Corè était la fille de Déméter et de Zeus.

Gygès (4,593). Gygès, aussi appelé Gyès ou Gyas, est un des trois monstres aux cent bras (Hécatonchires), qui selon Hésiode (Théogonie, 670-675) étaient les alliés de Zeus, dans son combat contre les Titans. Mais ici Ovide les présente plutôt comme des ennemis de Zeus-Jupiter. En 3, 805 avec la note, on a pu observer la même transformation à propos de Briarée, un autre des Hécatonchires.

royaume du ciel... (4,599-600). Allusion au partage de l'univers entre les trois fils de Cronos, dont il a été question plus haut dans la note 4, 584.

restée à jeun (4,603). Avoir goûté à la nourriture des morts empêcherait de retourner chez les vivants.

porteur du caducée (4,605). Mercure-Hermès, messager attitré des dieux, dont un des attributs est le caducée, baguette de bois d’olivier, entourée de serpents. Cfr Virgile, Énéide, 4, 242. On en reparlera dans le chant 5, 447-449.

Tartare (4,605). C'est la région la plus basse des Enfers. Cfr Enéide, 4, 243.

avec trois graines (4,607). Dans l'Hymne homérique à Déméter (vers 371-374), Hadès donne "un pépin doux et sucré de grenade" à manger à Perséphone. Dans ce passage, Ovide parle de trois graines ; dans les Métamorphoses (5, 537), de sept, trois et sept étant deux chiffres sacrés. D'après Pausanias (8, 37, 7), le grenadier aurait été frappé d'interdit dans le culte de Perséphone.

Ténare (4,612). Promontoire à l’extrémité sud du Péloponnèse, où se trouvait une grotte censée être une entrée des Enfers.

convenu (4,613). Un compromis est donc trouvé : Perséphone passera six mois avec sa mère et six mois avec son époux, dans les Enfers. Dans d'autres versions de la légende, la proportion est différente (par exemple huit mois et quatre mois). On n'oubliera pas que dans l'Antiquité, Perséphone était censée symboliser les semences, qui, après être restées en terre un certain temps, remontent à la lumière pour donner une plante nouvelle.

couronne d'épis (4,616). Attribut principal de Cérès, déesse des moissons. Cfr 4, 424.

blanc (4,619). Le vêtement blanc, "symbole de pureté rituelle et d'allégresse" (H. Le Bonniec) est en général une tenue de fête (cfr 1, 79-80 pour les calendes de janvier ; 2, 654 pour les Terminalia ; 4, 906, pour les Robigalia), mais la blancheur rituelle est particulièrement de mise pour les fêtes de Cérès.


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