Bibliotheca Classica Selecta - Fastes d'Ovide (Introduction) - Livre 6 (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
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Célébration de Carna et autres rites liés au 1er juin (6,101-196)
Le 1er juin est consacré à Carna, déesse du gond. Selon Ovide, Carna (ou mieux Craniè) est une nymphe (née du dieu Helernus), assez comparable à Diane-Phébé-Artémis. Fort courtisée, elle rusait pour décourager ses prétendants, mais ne put échapper à Janus qui lui enleva sa virginité, et en compensation la préposa aux gonds, lui confiant le pouvoir de protéger les portes, en la dotant d'une branche d'aubépine. (6,101-130)Un second récit raconte que des Striges, oiseaux voraces, avaient commencé à sucer le sang du nourrisson Procas. Craniè, appelée à l'aide par la nourrice, sauva l'enfant par des gestes rituels, le sacrifice d'un goret substitué à l'enfant, des formules et des interdictions ; elle le protégea des oiseaux maléfiques, en déposant la branche d'aubépine près de l'entrée de sa chambre, manifestant ainsi son pouvoir. (6,131-168)
Enfin, une coutume consistant à manger du lard avec un mélange de fèves et de farine d'épeautre atteste l'ancienneté et la simplicité de Carna, restée étrangère au goût de luxe contemporain. (6,169-182)
Le 1er juin, on célèbre aussi la dédicace de plusieurs temples : à Junon Moneta, à Mars, à Tempestas, et on assiste au lever de la Constellation de l'Aigle. (6,183-196)
Le premier jour t'est consacré, Carna. C'est la déesse du gond : son pouvoir lui permet d'ouvrir ce qui est fermé, de fermer ce qui est ouvert. Sur l'origine de ces dons il existe une tradition obscurcie par les ans : |
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L'antique bois sacré d'Helernus s'étend près du Tibre : de nos jours encore les Pontifes y portent des offrandes sacrées. Il fut le père d'une nymphe (les Anciens l'ont appelée Craniè), que souvent en vain sollicitèrent de nombreux prétendants. Elle avait l'habitude de parcourir les champs, de poursuivre de ses traits |
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les bêtes sauvages et de tendre les noeuds de ses filets au creux de la vallée. Elle n'avait pas de carquois ; pourtant, on la croyait soeur de Phébus, et elle ne t'aurait pas fait honte, ô Phébus. Si un jeune homme lui tenait des propos galants, elle lui faisait aussitôt ce genre de réponse : |
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"Ici il y a trop de lumière, et la lumière gêne ma pudeur ; si tu me mènes vers une grotte plus en retrait, je te suis." Crédule, il la précède, mais elle, rencontrant des buissons, s'y arrête et s'y cache, sans que personne puisse la trouver. Janus l'avait vue et, épris de désir à sa vue, |
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il avait usé de paroles tendres pour fléchir sa dureté. La nymphe, à son habitude, lui dit de chercher une grotte écartée, et, comme si elle l'accompagnait, elle suit son guide puis l'abandonne. Sotte qu'elle était ! Janus voit ce qui se passe derrière son dos. Inutile ; il voit derrière lui tes cachettes. |
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Oui, inutile, ai-je dit : tu as beau te cacher sous un rocher, il te saisit, t'étreint, et, son espoir réalisé, il dit : "Pour prix de notre union, que te revienne le droit sur les gonds : ce sera la récompense de ta virginité perdue". À ces mots, il lui donna une branche d'aubépine - elle était blanche - , |
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susceptible de chasser loin des portes les tristes nuisances.
Il existe des oiseaux voraces, non pas ceux qui empêchaient Phinée de goûter ses mets, mais ils tirent d'eux leur origine : ils ont une tête énorme, des yeux toujours ouverts, un bec de rapace, un plumage blanc, et leurs ongles sont des crocs. |
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Oiseaux de nuit, ils cherchent des enfants sans leur nourrice, et souillent les corps de leurs proies arrachées à leurs berceaux. Leurs becs, dit-on, fourragent les entrailles des nourrissons et leurs gosiers sont pleins du sang qu'ils ont bu. On les appelle Striges, mais ce nom vient des cris stridents |
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qu'ils ont l'habitude de pousser, rendant les nuits effrayantes. Bref, qu'il s'agisse de véritables oiseaux ou qu'ils proviennent d'un charme, une incantation marse ayant transformé en oiseaux des vieilles femmes, ils sont entrés dans la chambre de Procas : Procas, né cinq jours avant, était pour eux une proie toute fraîche. |
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Leurs langues s'abreuvèrent avidement à la poitrine du petit ; le malheureux enfant crie et appelle à l'aide. Effrayée au cri de son bébé, la nourrice accourt et le découvre, les joues entaillées par les serres acérées. Que devait-elle faire ? Le visage de l'enfant avait la couleur habituelle |
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des dernières feuilles que vient blesser l'hiver naissant. Elle va trouver Craniè et lui explique la chose. Celle-ci lui dit : "N'aie plus peur ; ton nourrisson sera sauvé". Elle s'était approchée du berceau ; le père et la mère pleuraient : "Arrêtez vos larmes, dit-elle ; moi, je vais le soigner". |
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Aussitôt, trois fois elle touche successivement avec un rameau d'arbousier les montants de la porte ; trois fois, avec l'arbousier, elle marque le seuil ; elle asperge d'eau les accès (ces eaux avaient une vertu curative) et, tenant les viscères crues d'un porcelet femelle de deux mois, elle dit : "Oiseaux de nuit, épargnez les entrailles du petit : |
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en échange d'un petit être, voici une petite victime. Je vous en prie, prenez un coeur pour un coeur, un foie pour un foie ; nous vous donnons cette vie en échange d'une vie plus précieuse". Après cette libation, elle découpa les viscères, les posa à ciel ouvert et interdit à l'assistance de se retourner pour regarder. |
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La baguette d'aubépine consacrée à Janus est posée à l'endroit par lequel une petite fenêtre éclairait la chambre. Après cela, dit-on, les oiseaux ne souillèrent plus le berceau et l'enfant retrouva son teint d'avant.
Tu demandes pourquoi en ce jour des Calendes on déguste du lard gras |
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et des fèves mélangées à de la farine d'épeautre chaude. Carna est une vieille divinité, elle se nourrit de mets du temps passé ; n'aimant pas le luxe, elle ne demande pas des repas recherchés. De son temps, le peuple laissait les poissons nager sans dommage, et les huîtres restaient en sécurité dans leurs coquilles. |
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Le Latium ne connaissait pas l'oiseau qui vient de la riche Ionie ni celui qui se délecte du sang du Pygmée. On n'appréciait rien dans le paon, sinon ses plumes, et le monde ne nous avait pas encore envoyé des fauves en cage. Le porc avait du prix ; on célébrait les fêtes en tuant le porc. |
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La terre ne produisait que fèves et durs grains d'épeautre. Qui mange, aux Calendes de juin, un mélange de ces deux aliments ne pourra, dit-on, souffrir dans ses organes vitaux.
On commémore aussi le temple dédié à Junon Moneta et construit au sommet du Capitole, à la suite à ton voeu, ô Camille. |
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Auparavant, s'élevait là la demeure de Manlius, qui jadis avait refoulé loin de Jupiter Capitolin les armées gauloises. Grands dieux, que n'a-t-il eu le bonheur de tomber dans ce combat, en défenseur de ton trône, ô grand Jupiter ! Il a vécu pour mourir, condamné d'avoir aspiré à la royauté : |
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tel est le titre que lui offrait une vieillesse prolongée. Ce même jour est une fête de Mars ; son temple, hors les murs, proche de la Via Tecta, se voit de la porte Capène. Toi aussi, Tempête, nous proclamons que tu as mérité un sanctuaire, lorsque notre flotte fut presque anéantie dans les eaux de la Corse. |
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Ces monuments des hommes sont sous nos yeux. Si vous regardez les astres, à ce moment, se lève l'oiseau du grand Jupiter aux serres crochues. |
Les fêtes du 2 au 8 juin (6,197-248)
Après le lever des Hyades, le 2 juin, vient la commémoration de la dédicace du temple de Bellone, le 3 juin, suivie le 4 de celle du temple d'Hercule Gardien, pour lequel intervint Sylla. Le 5 juin (Nones) est consacré à Semo-Sancus-Fidius, divinité liée aux Sabins, et disposant d'un sanctuaire sur le Quirinal. (6,197-218)Préoccupé de marier sa fille chérie, Ovide signale que la période de juin propice aux mariages commence seulement après les Ides, après la purification du sanctuaire de Vesta et quand sont levés les divers interdits frappant la Flaminica Dialis, qui informe personnellement notre poète. (6,219-234)
Les 7 et 8 juin voient respectivement la célébration de la fête des pêcheurs et de la dédicace du sanctuaire à Mens, lié au souvenir de la guerre contre Hannibal. (6,235-248)
Le jour suivant fait se lever les Hyades, cornes au front du Taureau, et la terre est détrempée par une pluie abondante. Deux matins après, lorsque Phébus se sera à nouveau levé, |
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quand deux fois la rosée se sera posée, mouillant les moissons, ce sera le jour où, dit-on, pendant la guerre étrusque, un temple fut consacré à Bellone, divinité toujours bénéfique au Latium. Appius en est le fondateur : en refusant la paix à Pyrrhus, |
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D'une petite place devant le temple on aperçoit l'extrémité du Cirque : là se dresse une colonne petite, mais d'une grande renommée. C'est de cet endroit habituellement qu'on lance le javelot qui annonce la guerre, lorsque qu'on a décidé de prendre les armes contre un roi ou un peuple. L'autre partie du Cirque est confiée à la garde de Hercule Gardien, |
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une charge que détient le dieu suite à un oracle eubéen. La date de cette cérémonie, c'est le jour qui précède les nones. Si tu en recherches l'inscription, tu verras que Sylla a approuvé la chose. Je me demandais si j'allais attribuer les nones à Sancus, à Fidius ou à toi, vénérable Semo. Alors Sancus me dit : |
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"Que tu les attribues à n'importe qui des trois, j'en aurai l'honneur ; je porte ces trois noms : ainsi l'a voulu Cures". Les anciens Sabins en effet l'ont gratifié d'un temple qu'ils ont établi sur la colline du Quirinal.
J'ai une fille ; je prie pour qu'elle vive beaucoup d'années après moi ; |
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si elle est bien, je serai toujours heureux. Comme je voulais la donner à un gendre, je m'informais des dates compatibles avec les torches nuptiales et des dates à éviter. On m'a alors indiqué qu'après la fête des Ides, le mois de Juin était propice aux épouses, propice aussi aux époux, |
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et la première partie du mois m'est apparue préjudiciable aux mariages. En effet l'épouse consacrée du flamen Dialis me parla ainsi : "En attendant que le Tibre paisible, sur ses flots jaunes, ait charrié vers la mer les ordures du sanctuaire de la Vesta d'Ilion, je n'ai ni le droit de passer dans mes cheveux un peigne de buis |
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ni de me couper les ongles avec une lame de fer, ni de toucher mon époux, bien qu'il soit le prêtre de Jupiter, et qu'une loi me l'ait attribué pour toujours. Toi non plus, ne te presse pas : mieux vaudra que ta fille se marie lorsque Vesta brillera de tous ses feux sur un sol purifié". |
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Le troisième jour après les Nones, on dit que Phébé fait disparaître Lycaon et que l'Ourse n'a plus de crainte à avoir sur ses arrières. Alors je me suis souvenu d'avoir assisté, sur la pelouse du Champ de Mars, à des jeux qui te sont consacrés, Thybris au cours fluide. C'est la fête pour ceux qui tirent des filets tout trempés |
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et qui cachent leurs hameçons de bronze sous un peu de nourriture. Mens aussi possède un pouvoir divin : nous voyons qu'un sanctuaire fut dédié à Mens, par peur de ta guerre, perfide Punique. Punique, tu avais repris les armes et, à la mort du consul, tous les Romains atterrés redoutèrent les bataillons maures. |
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La crainte avait chassé tout espoir ; le sénat alors prit sur lui de faire un voeu à Mens, qui arriva aussitôt, dans les meilleures dispositions. Ce jour-là où s'accomplirent les voeux en l'honneur de la déesse voit s'approcher les Ides, à un intervalle de six jours. |
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Carna (6,101). Ancienne divinité romaine, dont le nom est lié à caro, carnis (le mot latin pour "chair") et qui présidait à la transformation en chair de la nourriture (plantes cultivées et animaux engraissés) absorbée par l'homme. Un texte de Macrobe (Saturnales, 1, 12, 32-33), fort explicite, mérite d'être cité : "On croit que Carna préside aux organes vitaux de l'homme. C'est à elle, en conséquence, qu'on demande de conserver en bon état le foie, le coeur et généralement les chairs qui sont dans le corps. [ ] On lui offre de la purée de fèves et du lard, aliments qui contribuent plus que tout autre à donner des forces au corps" (trad. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, 1974, p. 390). Manifestement, Ovide n'a pas une idée précise de la personnalité originale de cette divinité, et on ne prendra pas son exposé pour argent comptant.déesse du gond (6,101). Ovide la présente d'emblée comme la déesse du gond (en latin cardo, cardinis), ce qui n'est qu'un jeu de mots reposant sur un à-peu-près étymologique, mais cela permet au poète de la mettre en rapport avec Janus, le dieu de la porte et, à partir de là, de raconter à son sujet une anecdote de viol qu'on ne trouve nulle part ailleurs et qu'il a peut-être inventée. On ne prendra donc au sérieux ni l'étymologie ni l'anecdote. (On peut s'interroger aussi sur la réalité de l'existence dans la religion romaine d'une déesse Cardéa ou Carda, qui, selon Augustin, De la Cité de Dieu, 4, 8, présidait aux portes)
bois sacré d'Helernus (6,105). Divinité assez mystérieuse et dont le bois sacré n'était pas loin du Tibre. Il en a été question en 2, 67, mais dans les deux passages la tradition manuscrite hésite sur le nom (Helernus est une restitution). Quant à ses rapports avec Carna (s'ils sont fondés), ils nous échappent.
Craniè (6,107). Ici encore, comme dans le cas d'Helernus, il s'agit d'un mot restitué, et plusieurs autres formes ont été proposées pour le nom de cette nymphe inconnue par ailleurs et qui peut être une invention d'Ovide.
soeur de Phébus (6,111). Autrement dit, Craniè était comparée à Artémis-Diane. Sur Diane, voir notamment 1, 387-390 ; 3, 261.
Janus (6,119). Le dieu de Janvier. Voir passim 1, 63-294 et particulièrement 1, 115-144, pour Ius cardinis, (= droit sur les gonds : 6,127). C'est ici que Ovide rapproche Carna de cardo, cardinis, le mot latin qui désigne le gond de la porte.
branche d'aubépine (6,129). Censée dotée de pouvoirs apotropaïques, cette baguette prouvera son utilité un peu plus loin (6, 165-166). Cet arbrisseau est également utilisé lors des cérémonies de mariage. Selon Pline, Histoire naturelle, 16, 75, "l'aubépine donne les torches nuptiales du meilleur augure" ; et selon Paulus-Festus, p. 283 L, "un des trois garçons d'honneur qui accompagnaient la nouvelle épouse portait un flambeau fait d'aubépine" (R. Schilling).
Phinée (6,130-131). Phinée est un roi de Salmydesse en Thrace, lié à l'histoire des Argonautes. Il avait été puni pour des raisons qui varient selon les traditions. L'une d'elles dit qu'il aurait abusé de ses dons de devin, révélant aux hommes les intentions des dieux. Quoi qu'il en soit, sa punition était d'être tourmenté par les Harpyes, qui s'abattaient sur sa table, pour lui dérober sa nourriture ou la souiller au fur et à mesure qu'il mangeait. Les Argonautes lui vinrent en aide lorsqu'ils passèrent sur le lieu de son supplice ; les fils de Borée, Calaïs et Zéthès, chassèrent les Harpyes de Thrace, les poursuivirent à travers les airs et les auraient tuées sans l'intervention d'Iris, qui promit qu'elles ne tourmenteraient plus Phinée (Apollonius de Rhodes, Argonautiques, 2, 178-300). C'est ainsi qu'elles s'établirent aux Strophades. On lira chez Apollonius de Rhodes le récit de sa rencontre avec les Argonautes et l'intervention de ces derniers, lesquels le débarrasseront des oiseaux "qui l'empêchaient de goûter ses mets". On retrouvera les Harpyes chez Virgile (Énéide, 3, 210-269).
Striges (6,139). "Oiseau rapace légendaire, qui sort la nuit, et dont on dit qu'il suce le sang des petits-enfants" (J.-Cl. Belfiore, DMGR, 2003, p. 596). Ovide imagine sans doute ces oiseaux maléfiques d'après la description virgilienne des Harpyes (Énéide, 3, 216-218). Par ailleurs, le rapprochement avec stridere ("émettre un bruit strident") pourrait être fondé.
incantation marse (6,141). Les Marses (peuple d'Italie centrale), censés descendre de la magicienne Circé, ont la réputation d'être des "experts de la magie et de l'art incantatoire" (R. Schilling). Cfr Virgile, Énéide, 7, 757-758.
Procas (6,143). Procas (ou Proca) est un des rois légendaires d'Albe-la-Longue, père de Numitor et Amulius, sur lequel la tradition est relativement muette. Ovide profite de ce vide pour l'intégrer dans l'anecdote de Carna-Craniè, où il joue le rôle de la victime sauvée par la déesse.
trois fois (6,155). Les chiffres impairs interviennent habituellement dans les cérémonies magiques et religieuses. En 2, 571-574, dans un sacrifice à Tacita, la vieille officiante, "avec trois doigts pose sur le seuil trois grains d'encens" ; en 5, 439, lors des Lémuries, le père de famille prononce neuf fois les paroles rituelles.
un rameau d'arbousier (6,155). C'est manifestement un rite apotropaïque (destiné à écarter le mal), mais on ne possède aucune autre attestation d'un emploi comparable de l'arbousier. En 6, 129, Janus avait donné à Carna-Craniè une branche d'aubépine qui lui servira en 6, 165.
montants de la porte (6,156). Elle semble ici dans son rôle de protectrice des gonds, c'est-à-dire au sens large des portes (cfr 6, 127-128).
asperge d'eau (6,157). L'eau a des vertus purificatrices.
viscères crues (6,158). Habituellement, dans le sacrifice romain, les exta (c'est le mot latin utilisé par Ovide et que nous avons traduit par "viscères") sont cuits dans une marmite avant d'être découpés et offerts à la divinité. On ne rencontre dans les textes latins qu'un seul autre cas d'offrandes d'exta crus (Tite-Live, 29, 27, 5).
en échange (6,160). C'est le principe même du sacrifice de substitution : on offre une vie pour une autre. "Les organes vitaux [ ] d'un goret [ ] passent pour équivaloir à [ceux] d'un enfant, la divinité devant se tenir pour satisfaite de cet échange" (R. Schilling). On se souviendra, chez Ovide (Fastes, 3, 327-342) du dialogue célèbre entre Jupiter et Numa à propos du rituel de procuration de la foudre.
viscères (6,163). On a l'impression que dans le récit d'Ovide, la divinité combine deux rôles : protéger les portes (6, 155-157) et veiller sur les organes vitaux (6, 154 ; 6, 158-168).
de se retourner (6,164). Sur cette interdiction importante dans les cérémonies magiques, cfr 5, 439.
baguette d'aubépine (6,165-166). La baguette donnée à Carna par Janus, et qui était destinée (6, 129-130) à "chasser loin des portes les tristes nuisances". Elle va servir ici à protéger aussi la "petite fenêtre qui éclairait la chambre" : apparemment, c'était aussi pour Ovide la "porte" par laquelle étaient entrés les striges.
on déguste (6,169-170). Il s'agit de nourritures frugales et archaïques. Le lard était la viande la plus commune. La fève a déjà été rencontrée en 5, 509 (lors du modeste repas offert aux dieux par le vieillard Hyriée) ; elle n'a ici aucune connotation funèbre (comme c'était le cas en 5, 436, lors des Lemuria, où intervenaient des fèves noires). Quant à la bouillie de farine d'épeautre, elle est mentionnée par Varron (De la langue latine, 5, 105) comme un des plus anciens mets. C'étaient donc jadis des nourritures de base, élémentaires, mais très roboratives. Rien d'étonnant à ce qu'on les offre ce jour-là en sacrifice à la déesse.
l'oiseau qui vient de la riche Ionie (6,175). Le francolin, oiseau très voisin de la perdrix, réputé pour sa saveur.
Pygmée (6,176). Dans ce vers traduit de Callimaque (Fragm. 1, 14 Pfeiffer), Ovide vise la grue, que plusieurs textes anciens mettaient en rapport avec les Pygmées (Homère, Iliade, 3, 4-6 ; Pline, Histoire naturelle, 7, 26) ; les Anciens situaient ces oiseaux en Afrique ou en Inde.
paon (6,177). Á l'époque impériale, cet oiseau était considéré comme un mets de choix (Horace, Satires, 2, 2, 23).
fauves en cage (6,178). Allusion à la mode des chasses dans le Grand Cirque (uenationes) organisées à Rome dès le dernier siècle de la République. On avait besoin d'importer, parfois de très loin, des animaux sauvages.
organes vitaux (6,182). Ovide revient donc ici au signalement correct de Carna, la déesse célébrée le premier juin, et qui protégeait non pas les portes mais les organes vitaux.
Junon Moneta (6,183). L'épiclèse Moneta, accolée à Junon, semble devoir s'interpréter comme "celle qui avertit (monere en latin)" : ce serait donc une Junon "Avertisseuse", mais on ne sait pas avec certitude quel "avertissement" donné aux Romains lui aurait valu ce surnom (peut-être un tremblement de terre). Si le mot moneta a pris le sens de "monnaie", c'est parce qu'un atelier monétaire fut construit près du temple de Junon Moneta.
Capitole... Camille (6,184). C'est Lucius Furius Camillus, vainqueur des Auroncques et fils du grand dictateur, qui avait voué en 345 a.C.n. ce temple qui fut construit et dédié l'année suivante sur le Capitole, à l'endroit de l'actuelle église de l'Aracoeli (Tite-Live, 7, 28, 4-5). Cfr aussi 1, 638.
Manlius (6,185-190). M. Manlius Capitolinus, réveillé par les oies, lors de la tentative d'invasion du Capitole par les Gaulois en 390 a.C., put repousser les ennemis. Comme le rappelle Ovide, il fut quelques années plus tard accusé d'aspirer à la royauté, condamné et précipité de la roche Tarpéienne ; sa maison fut rasée et fit place au temple de Juno Moneta (cfr Tite-Live, 5, 47, 4 et 6, 19, 1s.). En fait beaucoup d'éléments liés à cette période de l'invasion gauloise et de l'histoire de Manlius Capitolinus relèvent de la légende et non de l'histoire.
Son temple, hors les murs... porte Capène (6,191-192). Le 1er juin est l'annversaire de la dédicace en 388 a.C. (Tite-Live, 6, 5, 8) d'un temple de Mars qui s'élevait sur la voie Appienne non loin de la porte Capène (sur cette porte, cfr aussi 4, 345). L'emplacement exact de la Via Tecta ("Passage couvert") n'est pas connu.
Tempête... eaux de la Corse (6,193-194). Autre temple, également à proximité de la porte Capène, et qui était consacré aux Tempestates (les Tempêtes). Sa fondation était due à L. Cornelius Scipion qui, en 259 a.C., avait essuyé une tempête dans le voisinage de la Corse. On voit ainsi qu'un phénomène atmosphérique dangereux avait été divinisé. On se souviendra de Robigo, la Rouille (une maladie du blé) que les Romains avaient aussi divinisée (4, 907). C'était une manière de conjurer le mal.
Oiseau de Jupiter (6,196). En 5, 732, Ovide plaçait le lever de l'Aigle le 25 mai (5, 732). Les deux dates ne sont pas correctes.
Hyades (7, 197). Ces astres, qui font partie de la constellation du Taureau, apparaissent donc le 2 juin, selon Ovide. Sur les Hyades, voir 5, 163-182.
Deux matins après... (6,199-200). Deux vers assez alambiqués pour désigner la date du 3 juin.
Bellone (6,201-202). Bellone est un vieille divinité latine de la guerre. Tite-Live raconte (10, 19, 17) qu'un temple lui fut voué par le consul Appius Claudius, au cours d'un conflit qui opposa en 296 a.C. les Romains aux Étrusques et aux Samnites. Il était situé au Champ de Mars, près du cirque Flaminius (6, 205).
Appius (6,203). Plus encore que par les opérations militaires de 296 a.C., Appius Claudius Pulcher, qui deviendra aveugle, d'où son cognomen de Caecus, s'illustra plus tard lorsque, dans sa vieillesse, en 280 a.C., il dissuada le Sénat de faire la paix avec Pyrrhus, le roi d'Épire (Cicéron, de senectute, 16). "Ovide loue sa clairvoyance, parce que Rome, qui venait de subir une défaite près d'Héraclée, eût négocié dans de mauvaises conditions, alors que quelques années plus tard elle remporta une victoire complète" (H. Le Bonniec).
colonne (6,206). C'était la columella bellica (la "Colonnette de la Guerre") qui se dressait sur la place devant le temple de Bellone, près du Circus Flaminius. C'est au-dessus d'elle que le fécial (un des vingt prêtres préposés aux relations internationales) lançait un javelot, en signe de déclaration de guerre. "Jadis, ce lancement était effectué à la frontière de l'ennemi [ ] Puis, en raison de l'éloignement des champs d'opération, on imagina le 'montage juridique', décrit par Paulus-Festus (p. 30 L) : le javelot tombait, à proximité du temple, sur un lopin de terre qui était réputé 'territoire ennemi' parce qu'il avait été acheté, sous contrainte, par un prisonnier" (R. Schilling). Pour une description détaillée du rituel suivi par les Féciaux pour les déclarations de guerre, on verra Tite-Live, 1, 32, 5-14.
Hercule Gardien (6,209). Un temple construit en l'honneur de Hercules Magnus Custos (C.I.L., I, 2e édition, p. 319), qui s'élevait à l'ouest du Circus Flaminius. On n'en connaît pas l'emplacement précis, pas plus qu'on ne connaît les circonstances et la date de sa fondation. On ignore aussi le sens qu'il faut donner à l'épiclèse de "Gardien" (custos).
oracle eubéen (6,210). Tournure recherchée pour évoquer les Livres Sibyllins.
date (6,211). Sa date anniversaire était donc le 4 juin.
inscription (6,212). Le nom de Sylla apparaissait sur le temple : l'a-t-il construit, ou simplement restauré ? On ne le sait pas.
Sancus, Fidius... Semo... (6,213-214). Les Nones de Juin (5 juin) marquent la date anniversaire de la dédicace d'un sanctuaire qui s'élevait sur une des hauteurs secondaires du Quirinal, et qui semble avoir été consacré au départ à une divinité, peut-être d'origine sabine, qui se serait appelée Sancus. Il n'est pas question d'entrer ici dans l'histoire très complexe de cette divinité, mais à l'époque d'Ovide on la trouve souvent mentionnée dans les textes comme Dius Fidius Semo Sancus, ce qui explique les vers 213-214. Peut-être n'y avait-il au départ qu'un simple autel ; en tout cas le temple a été dédié le 5 juin par le consul Sp. Postumius en 466 a.C.
Cures (6,216). Ville de Sabine, liée à Titus Tatius, l'adversaire sabin de Romulus (cfr 2, 135), et à Numa Pompilius, le Sabin qui a succédé à Romulus sur le trône de Rome.
une fille (6,219). C'est la fille unique d'Ovide, née de sa seconde épouse ; il parlera d'elle plus tard, dans les Tristes (4, 10, 75-76) : "Ma fille, deux fois mère en sa jeune fécondité, mais pas avec un seul mari, me rendit deux fois grand-père." (trad. E. Ripert).
après les Ides (6,223). En juin, les mariages étaient donc déconseillés avant les Ides qui tombaient le 13. D'autres dates aussi devaient être évitées, qu'il s'agisse de jours comme les Calendes, les Nones, les Ides et leurs lendemains ; ou de périodes plus larges, comme les dies Parentales de février (2, 557-560) ou les fêtes de Mars (3, 393-394).
l'épouse du flamen Dialis (6,226). Il a été question de la Flaminica Dialis en 2, 27, et en 3, 397.
les ordures du sanctuaire (6,228). Le 15 juin, on procédait à un "grand nettoyage" du temple de Vesta ; on en évacuait les immondices qui étaient jetées dans le Tibre. C'était en fait l'acte final d'une série de rites, qui, du 7 au 15 juin, entouraient Vesta. C'est du 7 au 14 juin par exemple, que les Vestales confectionnaient la mola salsa, un mélange de farine d'épeautre et de sel (cfr 1, 338 ; 4, 409).
Vesta d'Ilion (6,228). Ici, comme en 3, 417, Vesta est censée venir de Troie ; en 1, 528, elle est présentée comme italique, ce qui correspond davantage à la réalité.
je n'ai ni le droit (6,229). Pendant ces jours-là, la flaminica devait donc respecter toute une série d'interdits dans le détail desquels on n'entrera pas ici. Son mari pour sa part (le flamen Dialis = flamine de Jupiter) devait en respecter un beaucoup plus grand nombre encore, et tous les jours.
Lycaon... Ourse (6,235-236). Lycaon, père de Callisto devenue l'Ourse, désigne ici par métonymie son petit-fils devenu le Bouvier. La légende du Bouvier (Arcturus ou Arctophylax, Gardien de l'Ourse) et de l'Ourse (alias Callisto, fille de Lycaon roi d'Arcadie) est racontée en 2, 153-192 (cfr aussi 3, 405 et 5, 733). Ces vers signifient que le 7 juin est la date, selon Ovide, du coucher de la constellation du Bouvier.
des jeux... (6,237-240). Le 7 juin était une fête des pêcheurs, où étaient célébrés les Piscatorii Ludi. Toutes les sources ne concordent pas sur le lieu de ces jeux, mais ils étaient en relation avec le Tibre.
Mens (6,241). Déesse romaine personnifiant l'Intelligence ou la Raison. Lors de la seconde guerre punique, après la défaite des Romains au Lac Trasimène en 217 a.C., les Livres Sibyllins recommandèrent de vouer un temple à Vénus Érycine et un autre temple à Mens ; les deux temples furent dédiés en 215. Voir Tite-Live, 22, 9, 10.
perfide Punique... mort du consul (6,242-243). C'est le Carthaginois Hannibal qui avait infligé cette défaite catastrophique aux Romains, dont le général, le consul C. Flaminius, avait été tué avec 15.000 de ses hommes.
un intervalle de six jours (6,248). Ce qui situe la date de la dédicace du temple à Mens le 8 juin.
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