Bibliotheca Classica Selecta - Fastes d'Ovide (Introduction) - Livre I (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
Invocation à Janus et cérémonial du 1er janvier (1,63-88)
Le poète invoque Janus, patron du mois, en faveur des princes pacificateurs et singulièrement de Germanicus, ainsi qu'en faveur du Sénat et du Peuple romain. (1,63-69)
Le premier janvier est marqué par l'ouverture des temples, par l'échange de voeux et de paroles de paix, par des sacrifices et des offrandes dans une atmosphère paisible et joyeuse, par une procession en vêtements blancs emmenant les nouveaux magistrats vers le Capitole. C'est un jour heureux à la gloire de la toute puissance romaine. (1,70-88)
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Germanicus, voici qu'il vient t'annoncer une année heureuse, Janus, le premier dieu présent dans mon poème. |
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Janus aux deux visages, toi qui commences l'année au cours silencieux, toi, le seul des dieux d'en haut à voir ton propre dos, sois propice à nos princes dont le labeur apporte la paix à la terre féconde et la paix à la mer. Sois propice à tes sénateurs et au peuple de Quirinus, |
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et d'un signe de tête fais ouvrir les temples éclatants. Un jour béni se lève : faites silence et recueillez-vous ! En ce beau jour, il faut prononcer des paroles de bonheur. Que les oreilles soient exemptes de débats, et que d'emblée s'éloignent les querelles insanes : diffère ton oeuvre, langue envieuse. |
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Vois-tu comment le ciel resplendit de feux parfumés, et comment crépite le safran de Cilicie dans les foyers allumés ? L'éclat de la flamme se reflète sur l'or des temples et répand au sommet du sanctuaire sa lueur tremblante. En vêtements sans taches, on se rend à la citadelle tarpéienne |
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et le peuple lui aussi porte la couleur qui s'accorde à sa fête. Et en tête avancent les nouveaux faisceaux, la pourpre nouvelle brille et, sur la chaise curule d'ivoire éclatant, siège un nouveau personnage. De jeunes taureaux, ignorant les travaux et nourris d'herbages dans les champs falisques, tendent leur cou au sacrificateur. |
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Lorsque, de sa citadelle, Jupiter observe l'ensemble de l'univers, il ne peut rien apercevoir qui ne soit romain. Salut, jour heureux, reviens-nous toujours meilleur, digne d'être célébré par le peuple qui gouverne le monde ! |
Apparition de Janus - Son origine (1,89-114)
Le poète, s'interrogeant sur la personnalité de Janus, voit le dieu lui apparaître avec ses différents attributs (double visage, bâton et clef). La divinité propose à Ovide de lui fournir les explications qu'il sollicite. (1,89-102)
Janus, anciennement assimilé au Chaos, prit sa forme de divinité bicéphale après la mise en place des éléments primitifs (feu, air, terre, eau). (1,103-114)
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Mais quel dieu es-tu, comment te décrire, Janus à la double forme ? |
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La Grèce en effet ne compte aucun dieu qui soit ton pareil. Dis aussi pourquoi, parmi les habitants du ciel, tu es le seul à voir des choses derrière toi, et d'autres devant toi. Comme je remuais tout cela dans ma tête, mes tablettes à l'appui, ma maison me parut plus claire qu'auparavant. |
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Alors, si étonnant avec sa double image, le divin Janus offrit soudain à mes yeux ses deux visages. Je pris peur et sentis mes cheveux se dresser de frayeur tandis qu'un froid soudain me glaçait le cur. Le dieu, un bâton dans la main droite, une clef dans la gauche, |
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m'adressa, de sa bouche antérieure, les paroles que voici : "Poète assidu des jours, laisse toute crainte, apprends ce que tu veux savoir, et perçois le sens de mes paroles. Les anciens (je suis une réalité très ancienne) me nommaient Chaos ; vois combien lointains dans le temps sont les événements que je chante. |
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À cette époque l'air lumineux et les trois autres éléments, le feu, l'eau et la terre, formaient un seul tout entassé. Dès que cette masse, suite à un conflit de ses éléments, se fut désagrégée et dissoute pour s'en aller vers d'autres séjours, le feu gagna les hauteurs, l'air s'empara de la zone voisine, |
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la terre et les mers occupèrent le centre. Alors moi, primitivement boule et masse sans forme, je retrouvai un visage et des membres dignes d'un dieu. Maintenant encore, petit rappel de ma figure jadis imprécise, ma face antérieure ressemble à ma face postérieure. |
Fonctions de Janus, le dieu aux deux visages (1,115-144)
Janus préside à la fermeture et à l'ouverture de tout ce qui existe dans l'univers, jouant ainsi un rôle dans la paix et la guerre, et assurant avec les Heures la surveillance des portes du ciel. Cette fonction explique son nom 'Janus', à rapprocher de ianua (porte) et de ianitor (portier) ; ainsi que ses épiclèses Patulcius (= celui qui ouvre) et Clusius (= celui qui ferme). (1,115-132)
Ses deux faces lui permettent, en tant que portier de la cour céleste, de surveiller l'ensemble de l'univers sans devoir bouger la tête. (1,133-144)
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Apprends la seconde raison de cette forme qui t'intrigue, et, du même coup, tu connaîtras ma fonction. Tout ce que tu vois partout, ciel, mer, nuages, terres, c'est ma main qui tient tout cela fermé et ouvert. La garde du vaste monde me revient à moi seul, |
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et le droit de faire tourner l'axe de ses portes m'appartient tout entier. Lorsque je juge bon d'envoyer la Paix hors de sa paisible demeure, elle se promène librement et indéfiniment sur les chemins ; mais l'univers entier serait mêlé à de sanglantes tueries, |
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Avec les douces Heures, je veille aux portes du ciel : ma fonction assure les allées et venues de Jupiter même. C'est pourquoi on m'appelle Janus ; quand le prêtre m'offre un gâteau sacré et l'épeautre mêlé de sel, les noms qu'on me donne t'amuseront : bien que je sois le même, |
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la bouche du sacrificateur m'appelle tantôt Patulcius, tantôt Clusius. Sans doute les anciens, alors incultes, ont-ils voulu, par cette alternance de noms, signaler mes rôles opposés. Voilà mon pouvoir expliqué ; apprends maintenant la raison de mon aspect, bien que pourtant tu l'entrevoies déjà partiellement. |
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Toute porte a deux faces, donnant de deux côtés, l'une d'elles regarde les gens dehors, l'autre le Lare, à l'intérieur. De même que, assis près du seuil d'entrée de votre maison, votre portier voit les sorties et les entrées, ainsi moi, portier de la cour céleste, j'aperçois |
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au même instant les régions de l'Aurore et de l'Hespérie. Tu vois les visages d'Hécate tournés dans trois directions pour surveiller les carrefours à trois branches ; moi aussi, j'ai la possibilité, pour ne pas perdre du temps en tournant la tête, de voir des deux côtés sans mouvoir mon corps. |
Janus ouvre l'année par un jour faste, présage d'activité (1,145-170)
Le poète, mis en confiance par la bienveillance de Janus, s'étonne de ne pas voir l'année commencer au printemps, saison du renouveau qu'il évoque avec lyrisme. Il apprend de la bouche du dieu que l'année nouvelle commence après le solstice d'hiver. (1,145-164)
Si ce jour-là, les activités judiciaires et autres ne sont pas suspendues, c'est que le premier janvier est un jour faste, garantissant que l'année entière sera vouée à l'action. (1,165-170)
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Il avait fini de parler, et à voir son air, j'avais compris qu'il ne me ferait pas de difficultés, si je voulais en savoir plus. Je m'armai de courage ; sans être intimidé, je remerciai le dieu, et, les yeux baissés vers le sol, je prononçai quelques mots : "Allons, dis-moi pourquoi l'an neuf commence avec les frimas : |
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ne devait-il pas de préférence débuter au printemps ? Alors, tout fleurit, alors, c'est la saison nouvelle : sur le sarment fécond le jeune bourgeon se gonfle, et l'arbre se couvre de feuilles à peine formées ; l'herbe aussi, sortie de la graine, pointe sa tige au ras du sol, |
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et les oiseaux de leurs concerts agrémentent la tiédeur de l'air, tandis que les troupeaux jouent et s'ébattent dans les prairies. Alors le soleil est doux ; l'hirondelle, oubliée, reparaît et façonne son nid de boue à l'abri d'une haute poutre ; alors le champ tolère les labours, la charrue le rend neuf. |
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C'est cette période qui méritait d'être appelée nouvel an". Ma question avait été longue ; lui, sans beaucoup attendre, concentra sa réponse dans ces deux vers : "Le solstice d'hiver marque le premier jour du soleil nouveau et le dernier de l'ancien : Phébus et l'an ont même commencement". |
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Après quoi, je m'étonnais du fait que ce premier jour ne fût pas exempté de procès. Janus dit : "Apprends-en la cause ! J'ai confié à l'année naissante l'activité judiciaire, par crainte de voir l'année tout entière dépourvue d'activité, à cause d'un tel auspice. Pour la même raison, chacun s'adonne à ses activités propres, |
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ne faisant rien d'autre que témoigner de son travail habituel". |
Valeur de présage des commencements - Les étrennes (1,171-226)
Tous les commencements comportant une valeur de présage, toute invocation aux autres dieux est précédée par une offrande à Janus, le portier : il rend tous les dieux accessibles aux voeux échangés. (1,171-182)
Par ailleurs, l'échange ce jour-là de douceurs (datte, figue, miel) augure une année douce. Ces douceurs ont été depuis toujours concurrencées par des pièces de monnaie, car la soif du profit n'a fait que croître pour culminer à l'époque d'Ovide. Après une évocation un peu convenue des temps anciens, où l'on vivait heureux dans la simplicité et la pauvreté, avant l'afflux des richesses et le règne de la cupidité, le dieu explique que, à cause de cette évolution, une pièce d'or est souvent préférée à une obole, mais que les deux coutumes sont défendables et qu'il faut vivre avec son temps. (1,183-226)
Aussitôt j'interviens : "Pourquoi, lorsque j'honore d'autres dieux, dois-je commencer par t'offrir à toi, Janus, de l'encens et du vin ?" "Pour que tu puisses, dit-il, grâce à moi, gardien des seuils, accéder à ton gré auprès de tous les dieux". |
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"Mais pourquoi prononçons-nous des paroles joyeuses à tes Calendes, et pourquoi faisons-nous cet échange de voeux ?" Alors le dieu, appuyé sur le bâton qu'il tenait de la main droite, dit : "D'habitude, les commencements comportent des présages. À la première parole, vous tendez une oreille craintive |
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et c'est le premier oiseau entrevu que consulte l'augure. Les temples des dieux sont ouverts, de même que leurs oreilles ; nulle langue ne formule en vain des prières ; les paroles ont leur poids". Janus en avait fini ; je ne gardai pas longtemps le silence, et mes mots suivirent aussitôt ses dernières paroles : |
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"Que veulent dire la datte et la figue ridée", dis-je, "et le miel qu'on offre, contenu dans une jarre blanche ?" Il dit : "C'est pour le présage, pour que leur saveur s'attache aux choses et que l'année achève son voyage en douceur comme il a commencé". "Je vois pourquoi on offre des douceurs ; dis-moi aussi le pourquoi |
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de la pièce de monnaie, pour que rien ne m'échappe de ta fête". Il rit et dit : "Combien tu es abusé sur les temps où tu vis, si tu penses qu'il est plus doux de recevoir du miel qu'une obole ! Au temps où régnait Saturne, j'avais peine déjà à trouver quelqu'un dont l'esprit n'appréciait pas les douceurs du profit. |
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Avec le temps grandit le désir de posséder, qui actuellement culmine ; à peine est-il possible d'aller plus loin en cette voie. Les richesses sont plus prisées maintenant que dans les premiers temps, quand le peuple était pauvre, quand Rome était dans sa nouveauté, quand une humble cabane accueillait Quirinus, le fils de Mars, |
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et quand les roseaux du fleuve lui servaient de petite couchette. Jupiter tenait difficilement debout dans son temple étroit, et en sa main droite, le foudre était d'argile. On ornait le Capitole de feuillages, des gemmes aujourd'hui, et le sénateur menait lui-même paître ses brebis ; |
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il n'était pas honteux de prendre un paisible repos sur une paillasse ni de poser sous sa tête un coussin de foin. Le préteur, sa charrue à peine posée, rendait la justice au peuple et on pouvait vous faire grief de posséder une mince lame d'argent. Mais lorsque la Fortune de ce lieu eut relevé la tête, |
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et que Rome du haut du front eut touché les demeures des dieux, les richesses s'accrurent, de même qu'une furieuse envie de richesses ; et, tout en possédant quantité de biens, on en réclama davantage. On rivalisa pour gagner de quoi dépenser, et regagner sa dépense, et cette alternance même alimenta les vices : |
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ainsi en va-t-il de ceux dont le ventre est gonflé par l'hydropisie, plus ils ont bu d'eau, plus ils sont assoiffés. Actuellement la valeur réside dans l'argent : le cens procure les honneurs ; il procure aussi les amitiés ; le pauvre, où qu'il soit, reste sur le carreau. Tu te demandes pourtant ce que peut valoir le présage d'une obole, |
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et pourquoi nous aimons tenir en mains de vieilles monnaies de bronze. Jadis on offrait du bronze : maintenant, en or, le présage est meilleur et l'antique monnaie, vaincue, a cédé le pas à la nouvelle. Nous aussi, même si nous prisons les temples anciens, nous les aimons quand ils sont dorés : cette majesté sied à un dieu. |
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Nous louons les temps révolus, mais nous vivons à notre époque : de toute façon les deux coutumes méritent un égal respect". |
Les monnaies de bronze - L'âge d'or (1, 227-254)
Le double visage représenté sur d'anciennes monnaies de bronze évoque Janus, et la nef figurant sur l'autre face s'explique par la légende de Saturne : une fois expulsé de l'Olympe, celui-ci arriva en barque dans la région du Tibre, où régnait Janus. Expliquant au passage les noms de Saturnia et de Latium donnés à cette région, ainsi que celui de Janicule, Ovide brosse le tableau de la région à l'époque de l'âge d'or, sous le règne de Janus et de Saturne. En ces temps heureux, les dieux, et singulièrement la Justice, vivaient encore sur la terre, et Janus veillait seulement aux portes et à la paix, sans s'occuper de la guerre. (1,227-254)
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Il en avait fini avec ses révélations. Toujours aussi sereinement, je m'adresse à nouveau au dieu porteur de clefs en ces termes : "J'ai vraiment beaucoup appris ; mais pourquoi une monnaie de bronze |
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a-t-elle une face marquée d'une nef, l'autre d'une figure à deux têtes ?" "C'est, dit-il, pour que tu puisses me reconnaître à cette double image, si du moins la vétusté n'avait pas usé cette antique marque. La nef reste à expliquer : c'est en barque que le dieu à la faux, après ses errances à travers le monde, parvint au fleuve étrusque. |
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C'est sur cette terre que fut accueilli Saturne, je m'en souviens ; Jupiter l'avait expulsé du royaume céleste. De là le nom de Saturnia qui resta longtemps lié à cette peuplade ; la terre fut aussi appelée Latium, à cause de ce dieu qui s'y cachait. Et la postérité eut la bonté de frapper une poupe en bronze, |
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témoignant ainsi de l'arrivée de son hôte divin. Pour ma part, j'ai habité près du Thybris sableux, sur la rive gauche qu'effleurent ses ondes paisibles. Ici, où est Rome, s'étendait une forêt inviolée et verdoyante, et ce lieu majestueux servait de pâture à quelques boeufs. |
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Ma citadelle était la colline que le peuple désigne par mon nom et que notre époque nomme Janicule. Moi, je régnais au temps où la terre tolérait la présence des dieux, et où des divinités se mêlaient aux lieux où vivaient les hommes. La scélératesse des mortels n'avait pas encore mis la Justice en fuite : |
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elle fut la dernière des divinités célestes à quitter la terre ; la pudeur sans violence, plutôt que la crainte, gouvernait le peuple : nul effort n'était requis pour rendre justice à des justes. Je n'avais rien à voir avec la guerre : je veillais à la paix et aux portes", et, montrant sa clef, il dit : "voici les armes que je porte". |
Sanctuaire de Janus au Forum - temple d'Esculape et de Jupiter sur l'île Tibérine (1,255-294)
La présence d'un sanctuaire de Janus entre les deux Forums commémore le miracle de la source sulfureuse que le dieu fit jaillir pour arrêter les Sabins de Tatius, introduits dans la citadelle par Tarpeia. (1,255-276)
Janus termine ses explications en révélant que la porte est fermée pour empêcher la paix de s'éloigner, tandis qu'elle s'ouvre en temps de guerre. Enfin, il combine habilement l'annonce d'une longue période de paix et un éloge du rôle pacificateur d'Auguste et de Germanicus. (1,277-288)
Le premier janvier commémore aussi la dédicace des temples d'Esculape et de Jupiter sur l'île Tibérine. (1,289-294)
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Le dieu avait fermé la bouche. Alors moi, ouvrant la mienne, je cherchai par mes paroles à provoquer ses paroles : "Les 'passages' sont si nombreux : pourquoi un seul présente-t-il ta statue sacrée, là où ton temple touche aux deux forums ?" Lui, caressant de la main la barbe qui lui pendait sur la poitrine, |
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rapporta aussitôt les exploits de Tatius l'Oebalien, et la manière dont une gardienne futile, séduite par des bracelets, guida les Sabins silencieux sur la voie montant à la citadelle. "De là", dit-il, "tout comme le sentier que vous descendez maintenant, une pente escarpée menait dans la vallée à travers les forums. |
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Et déjà Tatius avait atteint la porte, dont la Saturnienne, par haine, avait enlevé les barres de fermeture ; redoutant d'engager la lutte avec une déesse si puissante, moi, habilement, j'activai les ressources de mon art, et, grâce à mon pouvoir, j'ouvris les bouches d'une source, |
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et soudainement je fis jaillir de l'eau. Mais auparavant j'avais jeté du soufre dans les rigoles humides, pour rendre le liquide bouillonnant et fermer la voie à Tatius. La fuite des Sabins démontra l'utilité de cette source, et aussitôt ce lieu paisible retrouva son aspect premier ; |
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un autel m'y fut consacré, jouxtant un petit sanctuaire : dans ses flammes on fait brûler l'épeautre et les gâteaux sacrés.
"Mais pourquoi te cacher en temps de paix et rester ouvert quand s'ébranlent les armes ? Aussitôt, ma question reçoit une explication : "Pour assurer aux hommes partis à la guerre la possibilité de rentrer, |
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ma porte est complètement ouverte, sans aucun verrou. En temps de paix, je la ferme pour que la paix ne puisse s'éloigner ; et par la sainte volonté de César, je resterai longtemps fermé". Il parla et, levant ses yeux qui voient dans des directions opposées, il observa tout ce qui se passait dans le monde entier : |
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la paix régnait, Germanicus, et, raison de votre triomphe, le Rhin déjà t'avait livré ses eaux asservies. Janus, fais que vivent éternellement la paix et ceux qui la servent, et que l'auteur de cette paix ne délaisse pas son oeuvre ! Au reste, les Fastes mêmes me permirent d'apprendre |
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que ce jour-là nos pères consacrèrent deux temples. L'enfant né de Phébus et de la nymphe Coronis fut recueilli dans l'île qu'enferme le fleuve entre ses eaux séparées. Jupiter occupe une partie de l'île : un seul endroit accueille les deux dieux, et le temple du petit-fils jouxte celui de son grand aïeul. |
Janus (1,64). D'une manière très générale, Janus est pour les Romains le dieu de tout acte qui commence, le dieu des commencements (initia), en particulier lorsque ce commencement est "passage" d'un état à un autre. La conception bifrons (deux visages) du dieu résulte de sa définition : "tout passage suppose deux lieux, deux états, celui qu'on quitte, celui où l'on pénètre" (G. Dumézil). Rien d'étonnant non plus que dans l'année réformée, on lui ait confié le patronage du premier mois. Janvier est le point de contact de deux années. Ovide s'interroge plus loin, en 1, 89-96, sur la "double forme de Janus", et le dieu lui-même vient lui répondre.nos princes (1,67). Tibère, Drusus son fils, et Germanicus. Allusion probable aux victoires sur les Germains. Il sera encore question plus loin de ce thème de la paix impériale (cfr 1, 285-288).
peuple de Quirinus (1,69). C'est le peuple de Romulus (cfr 1, 37). Les citoyens romains sont également appelés Quirites (cfr 2, 479).
ouvrir les temples (1,70). Ce jour-là, on ouvrait les temples qui habituellement restaient fermés (les temples étaient la maison des dieux). Janus est considéré comme le portier (ianitor) divin : il ouvre les temples comme il ouvre l'année. On n'oubliera pas que Janus est aussi sur le seuil de toutes les maisons, présidant à l'entrée et à la sortie, à l'ouverture et à la fermeture de la porte. Cfr 1, 99.
faites silence et recueillez-vous (1,71). C'est la formule rituelle ouvrant les sacrifices.
safran de Cilicie (1,76). Le safran était un parfum particulièrement apprécié par les Romains, qu'on retrouvera plus loin en 1, 342. On en arrosait aussi les scènes de théâtre (Lucrèce, 2, 416).
L'éclat de la flamme (1,77). L'autel sur lequel on brûlait les offrandes était placé à l'extérieur, devant le temple lui-même.
vêtements sans taches (1,79). "Le port de vêtements blancs - symbole de joie et de pureté rituelle - était obligatoire, même pour les simples fidèles, lors de certaines fêtes" (H. Le Bonniec) ; cfr par exemple les Terminalia (2, 654), les fêtes de Cérès (4, 619-620), les Robigalia (4, 906).
citadelle tarpéienne (1,79). Autre nom du Capitole, où s'accomplissait devant le temple de Jupiter Capitolin un sacrifice pour ouvrir l'année. Selon Varron (De lingua Latina, 5, 41 ; cfr aussi Tite-Live, 1, 55, 1), le mont Capitolin se serait appelé précédemment Tarpéien, à cause de Tarpéia (cfr 1, 259-264), qui y avait son tombeau. Mais c'est une dénomination poétique.
nouveaux faisceaux... (1,81-82). Ovide fait ici allusion à la cérémonie solennelle qui, au début de l'année, marquait l'entrée en charge des nouveaux consuls. Il donnera plus de détails encore sur elle dans deux pièces des Pontiques (4, 4, 23-42 ; et 4, 9, 17-54). Lors du cortège qui conduisait les nouveaux consuls de leurs maisons jusqu'au temple de Jupiter Capitolin, ceux-ci étaient accompagnés de sénateurs et de chevaliers ; revêtus de la toge prétexte (toge blanche bordée d'une bande de pourpre), ils étaient précédés par les licteurs (appariteurs) portant les faisceaux de verges. Une fois à destination, les nouveaux consuls s'installaient sur leurs chaises curules pour présider aux cérémonies.
champs falisques (1,84). Les taureaux destinés au sacrifice étaient des bêtes de choix, élevées dans la région de Faléries. Dans une cérémonie du même type, Ovide (Pontiques, 4, 4, 31) parle de "boeufs blancs comme neige". Les animaux devaient avoir un pelage blanc comme neige, et n'avoir pas travaillé sous le joug (cfr les génisses de 4, 336-337). D'après Pline (Histoire naturelle, 2, 230), les eaux de Faléries avaient la réputation de blanchir le poil des boeufs. Sur Faléries et les Falisques, cfr aussi 3, 89 ; 3, 843 ; 4, 74 ; 6, 49.
sa citadelle (1,85). Probablement de son temple sur le Capitole (cfr 6, 18) ; pour certains modernes, du haut du ciel (cfr 5, 41).
à la double forme (1,89). Sur l'iconographie de Janus aux deux visages, cfr n. à 1,64.
tablettes (1,93). Entourées d'un rebord faisant saillie, les tablettes de bois étaient couvertes d'une couche de cire ; on écrivait avec une pointe métallique, un stylet, à l'autre bout duquel une partie plate servait à aplatir la cire et donc à effacer. Ces tablettes étaient utilisées comme brouillon, et le texte définitif était retranscrit sur du papyrus. Ovide va donc prendre des notes.
plus claire (1,94). L'arrivée d'un dieu s'accompagne en général d'une lumière spéciale, surnaturelle. Cfr par exemple Virgile, Énéide, 2, 589-591, et 4, 358.
bâton... clef (1,99). On a dit plus haut (1, 70) que Janus préside à l'entrée et à la sortie de chaque maison, à l'ouverture et à la fermeture de la porte. Il joue le rôle d'un portier (ianitor) dont les attributs sont la clef et le bâton qui lui sert à chasser les intrus.
Chaos... éléments... (1,103-114). Plusieurs cosmologies antiques plaçaient au commencement du monde ce qu'elles appelaient le Chaos (un mot grec), dans lequel elles voyaient tantôt un "Vide" primitif, tantôt un état de confusion totale, où tous les éléments étaient mêlés sans aucun ordre. L'étape suivante sera la séparation des éléments, qui, dans la pensée grecque, étaient au nombre de quatre, à savoir l'air, le feu, l'eau et la terre. On verra par exemple Ovide, Métamorphoses, 1, 5-75. Dans ce dernier texte, où Janus n'est d'ailleurs pas nommé, l'ordonnateur du Chaos est un dieu indéterminé. Ici, dans les Fastes, Janus est identifié au Chaos lui-même. (Voir aussi Fastes, 5, 11). Ovide n'est pas le seul à procéder ainsi ; il était assez tentant d'identifier au Chaos, commencement du monde, le dieu des commencements. On nage avec tout cela non pas dans la religion romaine, mais dans les spéculations philosophiques tardives.
seconde raison (1,115). "La première explication se fondait sur la nature originelle du dieu ; la deuxième va être fonctionnelle" (H. Le Bonniec) : son office (officium) est de tenir ouvert et fermé tout ce qui existe dans l'univers. En fait, Ovide semble transposer sur le plan cosmique une caractéristique particulière du Janus romain, dont il parlera plus loin (1, 257ss), à savoir l'ouverture et la fermeture du Janus de l'Argilète.
envoyer la Paix (1,121). Prolongeant les vues cosmiques des vers précédents, Ovide imagine que Janus est le gardien de la paix et de la guerre, qu'il ouvre les portes à la paix et qu'il conserve enfermées les guerres. Comme on le verra plus loin (1, 281 par exemple), le rituel du Janus de l'Argilète était inverse : il était fermé en temps de paix et ouvert en temps de guerre. On se trouve donc devant des variations libres sur les réalités romaines du Janus de l'Argilète.
douces Heures (1,125). Ornement littéraire et réminiscence homérique. Chez Homère, les Heures jouent en effet le rôle attribué ici à Janus : c'est à elles que "l'entrée est commise de l'Olympe et du vaste ciel, avec le soin d'écarter ou de replacer tour à tour une épaisse nuée" (Iliade, 5, 749-751 ; et 8, 393-395 ; trad. P. Mazon) ; les Heures gardent donc les portes de l'Olympe. Si le poète les qualifie de "douces", c'est qu'on "les représente comme trois jeunes filles aux attitudes gracieuses, tenant souvent à la main une fleur ou une plante" (P. Grimal). En 5, 217-218, on trouvera une présentation différente des Heures.
ma fonction (1,126). Janus est donc présenté par Ovide comme le portier (ianitor) de Jupiter.
le prêtre (1,127). Janus n'avait pas de prêtre spécialement attaché à sa personne ; c'était le rex sacrorum ("le roi des sacrifices" ; cfr 1, 318) qui s'occupait de son culte.
gâteau sacré (1,128). Le mot latin libum désigne une sorte de gâteau (fait par exemple avec de la farine, du lait, des oeufs, de l'huile) qui était offert aux dieux. Il en existait de plusieurs types et de plusieurs formes : celui qu'on fabriquait pour Janus s'appelait le Ianual. Il sera question de gâteaux à plusieurs reprises plus loin (notamment 2, 644 ; 3, 670 ; 3, 726ss)
épeautre mêlé de sel (1,128). C'était en latin la mola salsa, qui n'était nullement réservée à Janus. Fabriquée par les Vestales avec de la farine mêlée de sel, cet ingrédient était utilisé aussi dans d'autres circonstances. Cfr par exemple Virgile, Énéide, 2, 133 ; 4, 517 ; 5, 745. Il en sera également question plus loin (1, 276 ; note à 1, 338).
Patulcius... Clusius (1,130). Ce sont deux épiclèses (= épithètes cultuelles) du dieu, liées respectivement aux verbes latins patere ("être ouvert") et claudere ("fermer"). Il s'agit donc de "celui qui ouvre" et "celui qui ferme". Ces épithètes ne sont pas nécessairement très anciennes.
Lare (1,136). Le terme désigne ici l'intérieur de la maison, où se trouvait une statue du Lar familiaris, le dieu protecteur du foyer, de la maison familiale et de tous ses habitants, libres ou esclaves.
Aurore... Hespérie (1,140). C'est-à-dire l'Orient et l'Occident. Janus peut regarder en même temps des deux côtés ; il voit donc tout ce qui se passe dans le monde (cfr 1, 283-284).
Hécate (1,141). Déesse grecque des carrefours, Hécate est représentée avec trois têtes, et assimilée à Artémis (Diane) ou Trivia (cfr 1, 389-390). "Ovide est heureux de trouver une divinité grecque comparable à Janus, mais l'analogie est très approximative " (H. Le Bonniec).
perdre du temps (1,143). Cette explication plaisante, bouffonne même, semble une invention d''Ovide.
commence avec les frimas... (1,149-150). La nouvelle question d'Ovide met en cause la réforme de Numa, puisque l'année de Romulus commençait aux Calendes de mars, avec le printemps. Sur cette évocation du printemps, cfr aussi 3, 237-242 ; en 4, 126-128 ; et dans Métamorphoses, 15, 202-205.
solstice d'hiver (1,163). C'est le jour le plus court de l'année, qui pour les anciens tombait le 25 décembre. La correspondance n'est donc pas parfaite, mais Ovide n'est pas le seul à rattacher solstice d'hiver (bruma) et début de l'année.
Phébus (1,164). Phébus ou Apollon, c'est le Soleil.
pas exempté de procès (1,166). Le premier janvier est en effet indiqué comme un jour faste dans les calendriers. Mais il n'y a pas de contradiction avec 1, 73 : le 1er janvier est "le début formel de l'année judiciaire" (R. Schilling).
d'un tel auspice (1,168). Si rien ne se passait en matière de justice le premier jour de l'année, ce serait de mauvais augure pour la suite : l'année risquerait d'être vouée à l'oisiveté judiciaire.
ne faisant rien d'autre (1,170). On peut comprendre que, sans renoncer aucunement à faire la fête, les gens fournissent une sorte de travail symbolique.
commencer par t'offrir (1,172). Plusieurs textes antiques signalent que Janus était invoqué en premier lieu dans toutes les prières.
de l'encens et du vin (1,172). L'offrande simultanée d'encens et de vin était habituelle dans le rituel romain.
accéder à ton gré (1,174). Janus est donc présenté comme une sorte de médiateur, transmettant aux dieux les prières des hommes. C'est probablement une conséquence de sa nature double : un de ses visages est tourné vers les hommes, l'autre vers les dieux.
les commencements comportent des présages (1,178). C'est là une idée fort répandue dans le monde antique, et c'est la raison pour laquelle "les anciens attachaient tant d'importance au premier geste, à la première parole, etc." (H. Le Bonniec). Ainsi, par exemple, faire un faux pas en sortant de sa maison le matin présage une très mauvaise journée. On a parfois intérêt, dans ce cas, à rester chez soi. Autre exemple : Tacite raconte (Histoires, 4, 53, 3) que "quand Vespasien fit reconstruire le temple du Capitole, on choisit des soldats portant des fausta nomina (des noms de bon augure) pour les faire entrer les premiers dans l'enceinte sacrée, lors de la pose de la première pierre" (H. Le Bonniec). Autre exemple encore : lors des élections, on tirait au sort une centurie : elle votait la première (c'était la centuria praerogativa) ; le résultat de son vote était considéré comme un présage.
premier oiseau entrevu (1,180). C'est ce que Rémus, dans l'auspication primordiale aux origines de Rome, avait cru pouvoir faire. Il avait été le premier à voir six vautours, mais Romulus en avait ensuite aperçu douze ; d'où la célèbre dispute entre les deux frères (cfr Tite-Live, 1, 7, 1-2). D'une manière générale toutefois, on peut dire qu'en droit augural, la formule d'Ovide n'est pas absolue ; ainsi par exemple un aigle l'emportait sur un pivert.
sont ouverts (1,181). Le jour de l'an, les temples des dieux sont ouverts ; ils peuvent donc mieux entendre ce qui se dit.
la datte et la figue ridée (1,185). Exemples de cadeaux que l'on échangeait le jour de l'an. On les appelait en latin strenae, ce qui a donné notre mot français "étrennes".
en douceur (1,188). Les trois cadeaux, étant sucrés, sont un présage de douceur pour toute l'année. Les sucreries figurent encore aujourd'hui parmi les cadeaux que nous privilégions, mais plus personne n'y voit le moindre présage.
pièce de monnaie (1,190). On offrait aussi des pièces de monnaie comme présage de richesse pour l'année à venir. Le client pauvre, raconte Martial (Épigrammes, 1, 55, 10), offrait à son patron un as (une toute petite pièce de bronze) en même temps que des dattes. À l'empereur Auguste par contre, on apportait au Capitole des étrennes plus somptueuses, et avec cet argent il achetait des statues de dieux (Suétone, Auguste, 57, 3).
Saturne (1,193). Saturne (cfr aussi 1, 233 et 1, 237) était considéré comme un des rois mythiques du Latium. Une tradition raconte en effet qu'après avoir été détrôné par son fils Jupiter, il serait venu se réfugier dans la région ; son règne au Latium a été assimilé à l'âge d'or. Cfr par exemple Virgile, Énéide, 1, 569 ; 7, 49 ; 8, 319-325. Ovide prête donc à Janus des considérations paradoxales. L'âge d'or en effet était présenté par la tradition comme "une époque de vertueuse pauvreté, où la richesse corruptrice était encore inconnue" (H. Le Bonniec). Pour Virgile (voir le tableau qu'il dresse dans Énéide, 8, 314-327), le désir de posséder est postérieur au règne de Saturne.
humble cabane (1,199). Allusion à une cabane très ancienne, conservée comme une relique sur le Palatin, et que l'on montrait comme étant la cabane de Romulus (casa Romuli). Sur Quirinus, c'est-à-dire Romulus divinisé, cfr 1, 37 ; 2, 491-512.
son temple étroit (1,201). Il ne faut pas chercher ici un sanctuaire particulier. "Le poète se représente vaguement quelque humble temple, qu'il oppose au luxueux sanctuaire de Jupiter Capitolin" (H. Le Bonniec).
gemmes (1,203). Selon Suétone (Auguste, 30, 4), Auguste "fit porter, en une seule fois, dans le sanctuaire de Jupiter Capitolin, seize mille livres d'or, et pour cinquante millions de sesterces en perles et en pierres précieuses".
sénateur (1,204). L'idée reviendra en 3, 780.
préteur (1,207). Thème d'école. On pense naturellement à L. Quinctius Cincinnatus, que des sénateurs, en 454 a.C.n., vinrent chercher dans son champ pour en faire leur dictateur (Tite-Live, 3, 26, 6-12).
mince lame d'argent (1,208). Exemple célèbre (p. ex. Valère Maxime, 2, 9, 4) de P. Cornelius Rufinus que le censeur Fabricius chassa du sénat parce qu'il avait acheté pour dix livres d'argenterie. Ovide ici renchérit : il ne s'agit que d'une lame d'argent, et encore elle est mince.
la Fortune de ce lieu (1,209). Les Romains disposaient du concept général de Fortuna (= la Fortune, la Chance), mais ils spécifiaient aussi cette notion suivant ses points et ses temps d'application : il y avait la Fortuna huius loci (= la Chance propre à un endroit particulier), la Fortuna huius diei (= la Chance propre à un jour particulier), tout comme la Fortuna propre à un personnage particulier (Fortuna Augusta). On conçoit que le site de Rome ait passé pour un endroit privilégié, favorisé par une Fortuna spéciale. Fortuna intervient à plusieurs autres reprises dans les Fastes : on verra les cérémonies à la Fortune Virile aux calendes d'Avril (4, 133-151), la présence de plusieurs temples à la Fortune Publique sur le Quirinal (4, 373-376 ; 5, 729-730), ainsi que le sanctuaire de la Fortune qui fait couple, au Forum Boarium, avec celui de Mater Matuta, étroitement lié au roi Servius Tullius et abritant les célèbres statues voilées (6, 569-636).
l'hydropisie (1,215). "La comparaison de l'avare avec l'hydropique est courante dans la prédication cynico-stoïcienne" (H. Le Bonniec).
le cens (1,217). Le cens, census en latin, est proprement le "recensement" des richesses fait par le censeur ; le mot désigne aussi les richesses.
monnaie de bronze (1,229-230). Ovide va maintenant évoquer des monnaies de bronze fort anciennes, sorties de l'usage depuis très longtemps, mais dont certains exemplaires devaient encore subsister à son époque. Pour bien comprendre, il faut remonter aux origines du monnayage romain, plus exactement aux deux premières étapes de son développement.
La forme la plus ancienne (vers 320/300 a.C.) consistait en des barres rectangulaires, plates, coulées, d'un mélange de bronze et de plomb, pesant environ un kilogramme et demi, et portant des marques (des animaux, p. ex. un éléphant, une truie, un porc ; voire un bateau, ou d'autres symboles, comme l'épée, l'épi, le trépied). Les spécialistes, qui en distinguent onze types, l'appellent l'aes signatum ("marqué, portant une marque").L'étape suivante, probablement entre 280 et 270 a.C., est constituée par l'aes graue, à savoir de lourdes pièces de bronze coulé, de forme circulaire et de poids fixe. Appelées asses ("as") et pesant chacune une livre romaine, c'est-à-dire 327 grammes, elles présentaient de chaque côté une marque distinctive et un signe indiquant leur valeur. Le système comportait plusieurs unités, à savoir un demi, un tiers, un quart, un sixième et un douzième d'as. Il s'agissait cette fois d'un jeu de véritables pièces de monnaie.
L'évolution ultérieure du monnayage romain se fera dans plusieurs directions : d'une part, la monnaie d'argent, frappée et non plus coulée, apparaîtra dans le courant du IIIe siècle, sous l'influence des cités grecques du Sud ; le denier d'argent notamment s'introduira à la fin du IIIe siècle, et sera à la base d'un nouveau système. Parallèlement, le poids et donc la valeur de l'as de bronze ne cesseront de diminuer. Au cours de la seconde guerre punique, par exemple, l'as ne pèsera plus que 27 gr, les subdivisions étant naturellement réduites en conséquence. Les pièces de bronze étaient alors frappées, et non plus coulées. À la fin de la République, le monnayage de bronze était tombé en désuétude et l'as n'était plus frappé. Le terme continuera toutefois à être utilisé pour désigner une valeur insignifiante, bref une évolution comparable à celle du français "sou" (une véritable pièce monnaie au départ). On notera enfin que le monnayage d'or fut une exception à Rome avant Auguste.
Pour en revenir au sujet, on a retrouvé de nombreux spécimens d'anciens as de bronze, qui portent au droit un Janus à double face et au revers une proue de navire. Les Romains devaient encore les connaître et les considérer comme de véritables curiosités. On sait d'ailleurs qu'il existait sous l'Empire des collectionneurs passionnés. On comprend donc la question que pose Ovide. Janus est facilement identifiable ; ce qu'il faut expliquer, c'est la présence du navire.
dieu à la faux (1,233). C'est Saturne, auquel on a donné l'attribut du dieu grec Cronos auquel il avait été assimilé, à savoir la faucille qui lui avait servi à châtrer Ouranos son père. Sur l'exil de Saturne et son arrivée dans le Latium, cfr n. à 1, 193. La présence de cette faucille, ainsi qu'une étymologie populaire, ont fait du Saturne romain un dieu de l'agriculture.
fleuve étrusque (1,234). C'est le Tibre, souvent désigné ainsi parce qu'il provient d'Étrurie, dont il constitue la frontière orientale avec les nations voisines.
Saturnia (1,237). Janus et Saturne sont souvent présentés comme des rois mythiques du Latium, des rois civilisateurs. Ainsi Janus est censé régner sur le pays lorsque Saturne vient s'y réfugier. Le nouveau venu apporte l'agriculture, et, pour le récompenser de ce cadeau, Janus l'associe à son pouvoir. Après la disparition de Saturne, Janus aurait donné le nom de Saturnia au pays et fondé les Saturnales. Telle est la version racontée par Macrobe (I, 7, 19-26), très proche du texte d'Ovide. Dès Ennius (Annales, 25), l'Italie est la Saturnia terra (cfr Virgile, Énéide, 8, 329, et Ovide, Fastes, 6, 31-32).
Latium (1,238). Cette étymologie fantaisiste, à partir de latere ("se cacher"), est également présente chez Virgile, Énéide, 8, 319-327.
Thybris (1,241). Virgile aussi appelle souvent ainsi le Tibre.
Ma citadelle... (1,245-246). Il s'agit du Janicule, qui, dans l'antiquité, a toujours été mis en rapport avec Janus et interprété comme la colline de Janus (cfr Virgile, Énéide, 8, 357). Le Janicule, colline extérieure, sur la rive droite du Tibre, est comme un "seuil de Rome" pour qui vient d'Étrurie (cfr G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1974, p. 335).
Justice en fuite (1,249). Dans la présentation qu'Ovide donne des quatre âges du monde dans ses Métamorphoses (1, 89-150), la Justice, à l'âge du fer, est la dernière divinité à quitter la terre "souillée de sang" (Métamorphoses, 1, 150).
à la paix et aux portes (1,253). "Pour les contemporains d'Ovide, Janus est avant tout le dieu chargé de préserver la paix, qu'Auguste a rétablie après les horreurs de la guerre civile. Ce distique ménage une habile transition au développement sur la fermeture du temple, que le poète a gardé pour la fin, afin de le mettre en valeur." (H. Le Bonniec)
passages... (1,257-258). Le mot latin ianus est aussi un nom commun qui a le sens de "passage couvert, arcade, arc, arche". Ovide interroge le dieu sur l'existence, sur le Forum, d'un ianus très spécial, parce que c'est un sanctuaire consacré au dieu du même nom et qui jouit donc de ce fait d'un statut particulier. C'est le temple de Janus, qu'on appelle parfois le "Janus de l'Argilète" et qui en latin porte plusieurs noms (Ianus Quirinus, Ianus Geminus, voire Porta Ianualis). On croit qu'il se dressait "au point de jonction du Forum romain et du Forum de César, au bas de la rue de l'Argilète" (H. Le Bonniec). Il passe pour avoir été fondé par Numa (Tite-Live, 1, 19) et renfermait une statue du dieu. La tradition lui attribue un rôle important aux origines de Rome, dans le récit de la guerre entre les Romains de Romulus et les Sabins de Titus Tatius.
Tatius l'Oebalien (1,260). Titus Tatius, le roi des Sabins, est qualifié d'Oebalien, du nom d'un antique roi de Sparte, Oebalos, les Sabins étant censés provenir des Spartiates. Sur ce personnage, voir 2, 135 et 6, 49 avec les notes.
gardienne futile (1,261). Il s'agit de Tarpéia, la Romaine, qui livra aux Sabins la citadelle du Capitole. Sa légende est souvent racontée, avec des variantes parfois importantes (cfr par exemple Tite-Live, 1, 11, 5-9 ; Denys d'Halicarnasse, 2, 38-40 ; Plutarque, Romulus, 17 ; Properce, 4, 4 ; Ovide, Métamorphoses, 14, 772-804).
le sentier (1,263). Le cliuus Capitolinus mène du Capitole au Forum.
la Saturnienne (1,265). Junon, la fille de Saturne, reste ici hostile aux Romains, malgré la réconciliation finale de l'Énéide (12, 791-842), à moins qu'il ne s'agisse de la Iuno Curitis, une déesse des Sabins.
redoutant d'engager la lutte (1,267). "La notion d'une hiérarchie entre les dieux apparaît souvent dans les Fastes et les Métamorphoses ; elle remonte aux poèmes homériques." (H. Le Bonniec)
les ressources de mon art (1,268). Janus a été présenté plus haut comme le dieu qui ouvre et ferme tout.
source (1,269ss). L'histoire est également racontée, avec quelques variations, dans les Métamorphoses (14, 772-804) et chez Macrobe (Saturnales, 1, 9, 17-18). Il est difficile de déterminer l'origine exacte de cette légende. Si l'on en croit Varron (De la langue latine, 5, 156), une source d'eau chaude (les Lautulae) aurait existé jadis dans les environs immédiats du sanctuaire ; ce détail aurait pu fournir un support matériel à la légende ; à moins qu'il n'existe un lien plus essentiel entre le dieu et les eaux.
l'épeautre et les gâteaux sacrés (1,276). Cfr 1, 128 ; 1, 338 ; 1, 672.
te cacher... (1,277). Selon Tite-Live, 1, 19, 2, c'est Numa qui aurait créé ce sanctuaire du Janus de l'Argilète ; le roi en aurait fait le symbole de la paix et de la guerre : s'il était ouvert, Rome était en guerre, tandis que les portes closes signifiaient que tous les peuples environnants étaient pacifiés. Il fut fermé pour la première fois par Numa, le roi pacifique. Tite-Live précise encore (1, 19, 3) : "On ne vit ce temple fermé que deux fois après le règne de Numa. Cela se passa d'abord sous le consulat de Titus Manlius à la fin de la première guerre punique. La seconde fermeture témoigna de ce don que les dieux offrirent au regard des hommes de notre époque : la paix qu'après la bataille d'Actium notre empereur César Auguste imposa sur terre et sur mer". La fermeture du temple de Janus sous le règne d'Auguste fut souvent célébrée par les auteurs. En fait, "Auguste a fermé trois fois le temple de Janus ; Ovide fait certainement allusion à la première fermeture, 'la plus solennelle', qui eut lieu le 11 janvier 29 a.C.n.", après la bataille d'Actium.
la possibilité de rentrer (1,279). Tel pourrait bien être, pour les modernes, "le sens réel du rite : il faut que subsiste le lien magico-religieux qui unit l'armée à la Ville ; la porte fermée serait un obstacle surnaturel à la rentrée des guerriers". Cela dit, les anciens n'étaient pas toujours cohérents dans leurs interprétations : tantôt c'est la Paix que Janus tient enfermée dans son temple (ici Ovide) ; tantôt c'est la Guerre (Virgile, Énéide, 1, 293-296 ; 7, 607) ; d'autres estiment (Macrobe, 1, 9, 18) que le dieu lui-même part pour se battre.
volonté de César (1,282). Il n'est pas précisé s'il s'agit d'Auguste ou de Tibère.
votre triomphe... (1,285-286). "Le triomphe de Germanicus sur les Germains ne sera célébré qu'en 17 apr. J.-C. (Tacite, Annales, 2, 41, 2), année de la mort d'Ovide, mais le sénat le lui avait accordé avant la fin de la guerre, dès le début de 15 (Tacite, Annales, 1, 55,1)." (H. Le Bonniec)
ceux qui la servent (1,287). Tibère, son fils Drusus et Germanicus. Cfr aussi 1, 67.
ce jour-là (1,290). C'est le premier janvier.
enfant... (1,291-292). Cet enfant, fils d'Apollon-Phébus et de la nymphe Coronis, était Esculape, le dieu médecin d'Épidaure. Ovide raconte cette légende dans les Métamorphoses (2, 542-632). "À la suite d'une épidémie, Rome fit venir d'Épidaure le dieu guérisseur ; le serpent en qui il s'incarnait choisit pour séjour l'île Tibérine (293-291 av. J.-C.)" (H. Le Bonniec). Les Métamorphoses encore (15, 622-744) contiennent le récit détaillé de cette histoire. Le temple fut consacré le premier janvier 291 a.C. Pour la légende d'Esculape, alias le Serpentaire, ressuscitant Hippolyte, voir Fastes, 6, 735-762, avec les notes.
Jupiter (1,293). Il s'agit du temple de Vediovis (Vejovis), une ancienne divinité un peu mystérieuse liée à Jupiter et dont Ovide fait un "Jupiter jeune" (cfr 3, 437-448). Un temple lui fut dédié en 194 a.C.n.
aïeul (1,294). Père d'Apollon, Jupiter était donc l'aïeul d'Esculape.
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