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Traduction Nisard du Livre I de Tite-Live

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TITE-LIVE

Histoire de Rome depuis sa fondation

Livre I

Traduction nouvelle de Danielle De Clercq, Bruxelles, 2001

 Interrègne et Numa (XVII - XXI 6)

[XVII] [XVIII] [XIX] [XX] [XXI]


Interregnum

Genèse de l'institution

XVII. 1. Entre-temps les sénateurs s'agitaient et rivalisaient entre eux, pris par l'ambition d'exercer le pouvoir. Il n'y avait pas encore de campagnes individuelles, vu l'absence de personnalités marquantes dans ce peuple nouveau, mais des factions s'opposaient au sein de leurs rangs. 2. Ceux qui étaient d'origine sabine faisaient remarquer qu'après la mort de Tatius, plus personne de leur côté n'avait exercé la royauté et, pour ne pas perdre le pouvoir au sein d'une alliance égalitaire, ils exigeaient la désignation d'un roi issu de leur ethnie. Les Romains de souche, eux, refusaient un roi venu de l'extérieur.

3. Cependant, malgré leurs divergences, tous voulaient un roi, car ils ne connaissaient pas encore les attraits de la liberté. 4. Ensuite les sénateurs se prirent à redouter qu'une force extérieure n'attaquât notre État en vacance de pouvoir et notre armée privée de chef, alors que de nombreux peuples limitrophes manifestaient leur ressentiment. Mais, tout à la fois, ils jugeaient bon de voir quelqu'un être à la tête de l'État et personne ne se résignait à accepter un candidat d'un autre groupe.

5. Cela étant, les cent sénateurs se partagèrent la tâche : se constituant en dix décuries, ils élisaient un membre au sein de chacune d'elles pour assurer le gouvernement. Dix hommes exerçaient le pouvoir, mais les insignes et les licteurs n'étaient l'apanage que d'un seul. 6. Chacun n'avait droit qu'à cinq jours de pouvoir et tous les dix l'exerçaient à tour de rôle. L'absence de pouvoir royal dura une année, d'où ce nom d'interrègne, qui existe encore aujourd'hui.

La plèbe réclame un nouveau roi

7. Mais la plèbe se mit à gronder : "Notre asservissement s'est multiplié, car nous avons cent maîtres au lieu d'un seul. Nous ne supporterons plus personne d'autre qu'un roi. À nous de le choisir !" 8. Les sénateurs perçurent l'évolution du climat politique et préférèrent offrir d'eux-mêmes ce qui leur allait leur échapper. Ils entrèrent dans les bonnes grâces du peuple en lui confiant le pouvoir suprême sans toutefois lui accorder plus de droits qu'ils n'en gardaient. 9. Voici ce qu' ils décidèrent : si le peuple élisait un roi, ce vote ne serait valable que dans la mesure les sénateurs entérineraient ce choix. Aujourd'hui encore, lors de l'adoption d'une loi ou la création d'un magistrat, le même droit reste en usage, sans plus être suivi d'effet : avant le vote populaire, les sénateurs font connaître leur avis, sans préjuger du résultat des comices.

10. Au moment de ce récit, l'interroi s'adressa à l'assemblée qu'il avait convoquée : "Puisse cela, Quirites, contribuer au bien de Rome, à sa prospérité, à son bonheur : Élisez votre roi ! Tel est l'avis du sénat. Après quoi, si vous élisez quelqu'un qui mérite de succéder à Romulus, le sénat ratifiera votre choix". 11. Cette initiative surprit si agréablement la plèbe qu'elle ne voulut pas avoir l'air en reste. Elle marqua son accord et confia au sénat le choix d'un roi.

 

Numa Pompilius

Election d'un sage de Cures

Un disciple de Pythagore ?

XVIII. 1. Numa Pompilius était bien connu à cette époque pour son sens de la justice et son respect de la religion. Il vivait à Cures en Sabine et maîtrisait tout ce qu'on pouvait connaître en ce temps-là en matière de droit divin et humain.

2. Pythagore de Samos aurait, dit-on, été son maître, car on ne voit pas qui d'autre aurait pu l'être. Or ce n'est qu'un bon siècle plus tard, au temps du roi Servius Tullius, comme on l'admet généralement, que Pythagore, à Métaponte, Héraclée, Crotone, bref, au fin fond de l'Italie, animait des cénacles de jeunes gens que ses recherches passionnaient. 3. Comment donc de si loin, même s'il avait été contemporain de Numa, Pythagore aurait-il pu se faire connaître en Sabine ? Quelle langue aurait-il dû pratiquer pour éveiller chez quelqu'un la passion de la connaissance ? Comment aurait-il pu sans courir de dangers arriver en Sabine en traversant seul tant de régions aux parlers et modes de vie différents ? 4. Je pense plutôt que la personnalité de Numa était tout naturellement vertueuse et que sa formation était bien moins marquée par des savoirs venus d'ailleurs que par l'austère et rigide éducation des anciens Sabins, le peuple le plus intègre qui fût en ces temps-là.

Numa consulte les auspices pour confirmer son élection

5. En entendant le nom de Numa, les sénateurs romains furent bien conscients de l'avantage que prendraient les Sabins, si le roi était choisi dans leur ethnie. Mais aucun d'entre eux n'avait osé proposer sa propre candidature ni celle d'un membre de son propre parti ni même celle d'un quelconque sénateur ou concitoyen. Ainsi décidèrent-ils tous à l'unanimité d'octroyer la royauté à Numa Pompilius, 6. qu'on fit venir.

Rappellant que Romulus n'était devenu roi qu'avec l'approbation divine pour fonder notre ville, Numa exigea, lui aussi, de prendre l'avis des dieux sur son élection. Il se fit conduire à la citadelle par l'augure, qui se vit officiellement confier à vie cette charge honorifique, et s'assit face au midi sur une pierre.

7. À la gauche de Numa, l'augure s'était voilé la tête et tenait dans la main droite un bâton recourbé, sans noeuds, qu'on appella lituus. Du regard il embrassa Rome et l'arrière-pays. Il pria, délimita des secteurs d'est en ouest, puis situa le midi à droite et le nord à gauche. 8. Devant lui, tout en portant son regard le plus loin possible, il détermina mentalement un point de repère. Saisissant alors le lituus de la main gauche, il posa la droite sur la tête de Numa et pria : 9. "Jupiter, notre père, si les dieux veulent bien que Numa Pompilius dont je tiens la tête règne sur Rome, donne-nous, je t'en prie, des signes précis dans les limites que j'ai tracées." 10. Il énonça alors entièrement les auspices qu'il voulait se faire envoyer. Il les reçut. Intronisé, Numa descendit de l'observatoire augural.

La cité des dieux

Nouvelle fondation de Rome

XIX. 1. Il régnait ainsi sur une ville nouvelle, fondée dans la violence et les conflits. Aussi entreprit-il de la fonder à nouveau, mais cette fois sur les assises du droit et des lois qui devaient en régir les moeurs. 2. Il comprit que les esprits ne pouvaient s'y adapter dans une ambiance guerrière qui exacerbait l'agressivité. Ce peuple plein de fougue devait s'adoucir en prenant ses distances avec la vie militaire.

Fermeture du temple de Janus

Numa fit alors du temple de Janus au pied de l'Argilète le symbole de la paix et de la guerre : s'il était ouvert, Rome était en guerre, tandis que les portes closes signifiaient que tous les peuples environnants étaient pacifiés. 3. On ne vit ce temple fermé que deux fois après le règne de Numa. Cela se passa d'abord sous le consulat de Titus Manlius à la fin de la première guerre punique. La seconde fermeture témoigna de ce don que les dieux offrirent au regard des hommes de notre époque : la paix qu'après la bataille d'Actium notre empereur César Auguste imposa sur terre et sur mer. 4. Numa put fermer le temple, car il s'était attiré les bonnes grâces de tous les peuples limitrophes et avait conclu avec eux alliances et traités de paix.

Création d'institutions civiles et religieuses

Les périls extérieurs étaient conjurés, mais le roi ne laissa pas l'inactivité encourager au laxisme des esprits sur lesquels la peur des ennemis et la discipline militaire n'exerçaient plus leur emprise. Il jugea que le moyen le plus efficace pour agir sur la masse inexpérimentée et inculte de ce temps-là était de lui inculquer avant tout la crainte des dieux.

5. Comprenant qu'il ne pouvait se mettre au niveau de ses sujets sans recourir à un artifice relevant du merveilleux, Numa leur fit croire qu'il avait en pleine nuit des entretiens avec la déesse Égérie : "C'est sur son conseil à elle, leur disait-il, que j'institue des célébrations que les dieux apprécient tout particulièrement et que je prépose au culte de chaque dieu ses propres prêtres."

Le calendrier lunaire

6. Il commença, en s'appuyant sur le cycle lunaire, par diviser l'année en douze mois. Or les mois lunaires ne comptent pas tous trente jours, si bien qu'il manque six jours pour correspondre à une année tropique complète. Numa y remédia en introduisant tous les vingt ans des mois intercalaires. Ainsi les jours se retrouvaient par rapport au soleil à leur point de départ et cela permettait de couvrir intégralement la durée de vingt années tropiques. 7. Il institua aussi des jours néfastes et fastes, car il pensait que ce serait bien utile de suspendre de temps à autre l'activité politique.

Sacerdoces

XX. 1. Il s'attacha à créer des prêtres, tout en exerçant lui-même bon nombre de fonctions sacerdotales et en particulier celles confiées de nos jours au flamine de Jupiter. 2. Mais Numa se doutait bien qu'un État belliqueux aurait plus de rois à l'image de Romulus qu'à la sienne et qu'ils s'en iraient en guerre, et il craignait l'abandon des rites liés à la fonction royale. C'est pourquoi il créa pour le culte de Jupiter un flamine qui ne devait jamais quitter Rome. Il rehaussa ce sacerdoce par le port d'un vêtement spécial et le privilège royal de la chaise curule. Il y associa deux autres flamines, respectivement dévolus à Mars et à Quirinus.

3. Il sélectionna des filles vierges pour les consacrer à Vesta, dont le culte d'origine albaine avait des liens avec la lignée du fondateur de Rome. Pour permettre à ces prêtresses de vaquer sans partage au culte rendu dans leur temple, il leur alloua une rente prélevée sur les impôts. Leur virginité associée à d'autres pratiques pieuses les entoura d'un respect inviolable. 4. Pour desservir le culte de Mars Gradiuus, Numa créa aussi un collège de douze Saliens, qui reçurent comme signe distinctif une tunique brodée qu' ils portent sous un plastron de cuirasse en bronze. Il leur faisait arborer les ancilia, ces boucliers divins, tout en chantant d'un bout à l'autre de Rome des hymnes sur le rythme ternaire de leur danse sacrée.

5. Plus tard, il nomma pontife Numa Marcius, fils du sénateur Marcius et fit de ce prêtre une autorité pour l'observance, au cours de toutes les fêtes religieuses, de prescriptions détaillées, dont les animaux à sacrifier, les jours, les temples réservés à ces cérémonies ; il lui fallait savoir aussi d'où prélever le budget pour couvrir leur coût. 6. Numa soumit tous les autres rites publics et privés aux directives du pontife, dont le rôle était de répondre aux questions posées par la plèbe à leur sujet. Il voulait éviter ainsi que le droit divin subît le moindre bouleversement dû à l'abandon de rituels ancestraux et à l'accueil de cultes venus d'ailleurs. 7. La compétence du pontife ne se limitait pas au culte des dieux du ciel, mais on le consultait aussi pour accomplir dans les formes les rites funèbres et apaiser les mânes. Il indiquait en outre quand il fallait voir des présages dans la foudre ou dans tout autre phénomène naturel, et la manière de les conjurer. Pour déceler les desseins des esprits divins, Numa consacra sur l'Aventin un autel à Jupiter Élicius, qu'il consulta par voie augurale pour identifier les signes à prendre en compte.

La ville sainte

XXI. 1. Les questions que suscitait la pratique religieuse et la nécessité de conjurer les présages avaient détourné toute la population de sa violence guerrière et les esprits étaient toujours absorbés par l'une ou l'autre de ces préoccupations. L'activité humaine semblait passer par le bon vouloir des dieux et la prise en compte de leur avis s'était installée à demeure. L'accomplissement des obligations religieuses avait tellement imprégné toutes les consciences que la bonne foi et le respect du serment régissaient mieux Rome que la pire crainte de châtiments prévus dans un cadre légal. 2. D'eux-mêmes, les sujets modelaient leur comportement sur celui de leur roi, qui représentait pour eux le seul exemple à suivre.  Rome n'avait jamais jusqu'alors représenté une ville pour les peuples voisins : ils n'y voyaient qu'un camp dressé en leur milieu pour les empêcher tous de vivre en paix. Mais elle leur inspirait maintenant tant de respect qu'ils ressentaient comme sacrilège de s'attaquer à cet état voué complètement au culte des dieux.

3. Il y avait un bois sacré, que traversait le courant d'une source intarissable surgissant d'une grotte ténébreuse. Numa, qui s'y rendait très souvent sans témoins sous prétexte d'y rencontrer la déesse, consacra ce bois aux Camènes parce que, disait-il, elles s'y réunissaient avec sa chère épouse Égérie. 4. Il créa aussi une fête solennelle rien qu'en l'honneur de la Bonne Foi. Les flamines devaient se rendre à ce sanctuaire en char couvert attelé de deux chevaux et, pour accomplir le rituel divin, ils s'enveloppaient la main jusqu'aux doigts pour symboliser la protection due à la bonne foi et le caractère sacré de la main droite, qui est l'un de ses sièges. 5. Numa institua beaucoup d'autres sacrifices et consacra à des rites de nombreux endroits que les pontifes appellent Argées.

Complémentarité des règnes de Romulus et Numa

L'oeuvre la plus marquante de Numa fut néanmoins de concilier la sauvegarde de la paix et celle de son pouvoir tout au long de son règne. 6. Ainsi, l'un à la suite de l'autre, deux rois firent grandir l'État, chacun suivant sa propre voie : le premier était un conquérant, l'autre un homme de paix. Romulus régna pendant trente-sept ans, Numa quarante-trois. L'art de la guerre que tempérait celui de vivre dans la paix faisait la force de notre État.


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