Bibliotheca Classica Selecta - Fastes d'Ovide (Introduction) - Livre 4 (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante

MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


OVIDE, FASTES IV - AVRIL


DU 1er AU 4 AVRIL (4,133-372)


1er avril : Vénus Verticordia et Fortune virile (4,133-164)

 

Le 1er avril, les femmes du Latium, quel que soit leur statut social, vénéraient Vénus Verticordia et la Fortune Virile. Le poète signale d'abord les soins donnés à la statue de Vénus Verticordia. Les femmes la dépouillent des bijoux et des fleurs qui la parent, la baignent, puis lui remettent ses colliers et des fleurs fraîches. Elles devaient alors se baigner elles-mêmes, couronnées de myrte vert, détail commémorant un épisode vécu par Vénus surprise nue par une troupe de satyres. (4,133-144)

À l'occasion de ce bain, pris dans les thermes, les femmes offrent de l'encens à la Fortune Virile. Elles absorbent également ce jour-là un breuvage composé de lait, de miel et de pavot, ce que Vénus était censée avoir fait le jour de ses noces avec Vulcain. (4,145-162)

Le 1er avril marque le coucher du Scorpion. (4,163-164)

 

 Honorez la déesse selon les rites, mères et brus du Latium,

   et vous, qui ne portez ni bandelettes ni long vêtement.

4, 135

Retirez du cou marmoréen de sa statue ses colliers d'or,

   retirez ses joyaux : la déesse doit être entièrement baignée.

Replacez sur son cou séché ses colliers d'or.

   Il faut alors lui offrir d'autres fleurs, des roses fraîches.

Elle vous ordonne aussi de vous baigner, couronnées de myrte vert :

4, 140

   apprenez la raison de cet ordre, qui est évidente.

Nue sur le rivage, elle séchait sa chevelure ruisselante ;

   une troupe de satyres effrontés aperçut la déesse.

Elle les remarqua et se couvrit le corps d'un écran de myrte :

   ainsi fut-elle protégée et ordonne-t-elle de commémorer cet événement.

4, 145

Apprenez maintenant pourquoi vous allez offrir de l'encens

   à la Fortune Virile en ce lieu tout humide d'eau chaude.

Ce lieu accueille toutes les femmes, dévêtues de leur voile,

   et voit tous les défauts de leur corps nu.

À la Fortune Virile de les protéger et de les dissimuler aux hommes,

4, 150

   ce qu'elle fait quand on l'invoque avec un peu d'encens.

Et que l'on ne répugne pas à prendre du pavot écrasé

   dans un lait neigeux et du miel liquide pressé des rayons :

dès que Vénus fut conduite à son époux plein de désir,

   elle but ce breuvage ; depuis lors elle fut son épouse.

4, 155

Apaisez-la, parlez-lui en suppliants : c'est elle qui sauvegarde

    la beauté, la morale et la bonne renommée.

Au temps de nos ancêtres, Rome s'était relâchée de sa pudeur ;

   vous, anciens, vous avez consulté la vieille prêtresse de Cumes.

Elle ordonna d'élever un temple à Vénus ; et depuis qu'il fut dûment bâti,

4, 160

   Vénus est appelée Verticordia, à cause du changement dans les coeurs.

Toujours, ô toute belle, tourne des regards bienveillants

   vers les Énéades et protège, déesse, tant et tant de tes brus !

 

Pendant que je parle, le Scorpion redoutable qui relève

   l'aiguillon de sa queue, se précipite dans les eaux vertes.

 


 Le coucher des Pléiades (2 avril) (4,165-178)

 

Le 2 avril marque le coucher des Pléiades. Elles sont sept, mais six seulement sont visibles. Ce sont celles, dit Ovide, qui ont connu l'étreinte des dieux.

 

 4, 165

Lorsque, après une nuit, les premiers rayons se mettront à rougeoyer

   lorsque les oiseaux touchés par la rosée exhaleront leurs plaintes,

lorsque le voyageur, après une nuit de veille, posera sa torche à demi consumée,

   et que le paysan se rendra à ses travaux habituels,

les Pléiades commenceront à soulager de leur fardeau les épaules paternelles ;

4, 170

   Censées être sept, d'habitude elles ne sont que six ;

c'est peut-être parce que six d'entre elles ont connu l'étreinte des dieux

   (en effet, on raconte que Stéropé a partagé la couche de Mars ;

Alcyoné et toi, belle Céléno, avez couché avec Neptune ;

   Maia, Électre et Taygète avec Jupiter) ;

4, 175

la septième, Méropé, t'épousa toi, Sisyphe, un mortel,

   elle le déplore et de honte se cache, solitaire ;

ou peut-être est-ce parce qu'Électre, ne supportant pas le spectacle

   de Troie en ruines, s'est mis la main devant les yeux.

 


4 avril : Cybèle I. Une fête bruyante expliquée par Érato (4,179-246)

 

Le 4 avril sont célébrées les fêtes en l'honneur de Cybèle : la statue de la déesse est portée en procession dans la ville, dans un vacarme tonitruant, tandis que se déroulent des jeux et que sont suspendues les activités du Forum. La muse Érato, sur injonction de Cybèle sollicitée par le poète dérouté, va lui fournir diverses explications concernant ce culte particulier. (4,179-196)

Érato explique en premier lieu le bruit caractéristique de l'escorte de Cybèle. Les cymbales et les tambourins commémorent le bruit que firent les Curètes et les Corybantes sur le mont Ida, pour couvrir les vagissements de Zeus-Jupiter, que sa mère Rhéa avait soustrait à la voracité de son époux Saturne, lequel, pour sauvegarder son trône, dévorait ses enfants à leur naissance. Les lions attelés au char de la déesse attestent la domination qu'elle exerce sur eux, et sa couronne crénelée témoigne qu'elle dota de tours les premières cités. (4,197-220)

Enfin l'auto-mutilation des servants de Cybèle trouve son origine dans la légende d'Attis, ce tout jeune homme dont s'éprit la déesse, qui l'attacha à son service, exigeant de lui une sorte de voeu de chasteté. Mais Attis ayant fauté avec la nymphe Sagaritis, la déesse fit mourir la nymphe, et Attis, pris de folie, se mutila pour se punir, folie que reproduisent encore les servants de Cybèle. (4,221-246)

 

Laisse le ciel tourner sur son axe éternel, par trois fois,

4, 180

   laisse Titan atteler et dételer trois fois ses chevaux.

Aussitôt résonnera la flûte bérécyntienne au cornet recourbé,

   et ce seront les fêtes en l'honneur de la Mère de l'Ida.

Des eunuques iront en procession, battant leurs tambourins creux

   et les cymbales d'airain s'entrechoquant retentiront.

4, 185

Elle, sur son trône, portée par les épaules de servants androgynes

   traversera les rues de la ville au milieu des hurlements.

La scène résonne, et les jeux attirent la foule : regardez, Quirites,

   et que le Forum familier des procès renonce à ses combats !

J'aimerais poser mille questions, mais le son aigu du bronze

4, 190

   me terrifie, ainsi que le lotus recourbé, au timbre effrayant.

"Dis-moi, déesse, qui pourrait me renseigner." La déesse du Cybèle

   vit ses doctes petites-filles et leur enjoignit de répondre à mon souci.

"Enfants nourries sur l'Hélicon, déployez vos souvenirs et dites-moi

   pourquoi la Grande Déesse se complaît à ce bruit ininterrompu."

4, 195

Ainsi ai-je parlé. Alors Érato - le mois de Cythérée lui fut dévolu,

   à elle qui porte le nom du tendre Amour - prit la parole :

 

"Saturne reçut un jour l'oracle suivant : 'Toi, le meilleur des rois,

   tu seras expulsé de ton trône par ton fils.'

Lui, redoutant ses rejetons, les dévorait à mesure de leur mise au monde,

4, 200

   et les conservait enfouis dans ses entrailles.

Souvent Rhéa s'était plainte d'avoir été tant de fois fécondée

   sans jamais être mère, et avait déploré sa fertilité.

Jupiter naquit. (L'ancienneté, preuve majeure, mérite crédit ;

   abstiens-toi de rejeter une croyance reconnue.)

4, 205

Le gosier du dieu engloutit une pierre, dissimulée dans un tissu ;

   les destins avaient décidé que ce père devait être ainsi abusé.

Aussitôt l'Ida escarpé retentit de bruits divers, pour que l'enfant,

   en toute sécurité, puisse pousser ses vagissements.

À coups d'épieux, on frappe ici des boucliers, là, des casques creux :

4, 210

   D'un côté oeuvrent les Curètes et de l'autre les Corybantes.

L'événement resta secret, et on commémore toujours ce fait ancien :

   l'escorte de la déesse fait retentir l'airain et les rauques tambours ;

les cymbales frappées tiennent lieu de casques et les tambourins de boucliers ;

   la flûte, comme elle le fit autrefois, joue des airs phrygiens."

4, 215

Érato avait fini ; je repris : "Pourquoi des lions, cette race féroce,

   présentent-ils leurs crinières d'habitude peu soumises à des jougs incurvés?"

J'avais terminé ; elle répondit : "Elle passe pour avoir adouci

   leur sauvagerie, ce dont son char est le témoignage."

"Mais pourquoi sa tête est-elle chargée d'une couronne faite de tours ?

4, 220

   Est-ce elle qui donna des tours aux premières cités ?" Elle acquiesça.

 

"D'où vient", dis-je, "cette furie à se sectionner le membre viril ?"

   Dès que je me tus, la Piéride prit la parole :

"Attis, un jeune Phrygien, au visage remarquable, vivait dans les forêts ;

  il inspira à la déesse aux tours un amour chaste qui la tint enchaînée.

4, 225

Elle voulut qu'il lui fût réservé, qu'il surveillât son temple,

   et dit : "Arrange-toi pour vouloir toujours être un enfant."

Il jura fidélité à ces ordres, et ajouta : "Si je mens,

   que cet amour pour lequel je faillirais soit mon ultime amour !"

Il fauta, et ayant rencontré la nymphe Sagaritis, cessa d'être ce qu'il était ;

4, 230

   dès lors, la colère de la déesse exigea un châtiment.

Elle frappa la naïade, en infligeant des blessures à son arbre,

   la naïade mourut ; cet arbre représentait sa destinée.

Attis devient fou et, croyant voir s'écrouler le toit de sa chambre,

   il s'enfuit et gagne en courant les sommets du Dindyme ;

4, 235

tantôt il crie : "Enlève les torches !", tantôt : "Éloigne les fouets !",

   souvent, il jure que les déesses palestiniennes sont près de lui.

Il s'est même lacéré le corps avec une pierre aiguisée

   et a traîné sa longue chevelure dans la poussière immonde ;

on entend sa voix : "Je l'ai mérité ; je paie de mon sang un châtiment mérité.

4, 240

   Ah ! Que périssent ces organes qui m'ont fait tort !"

"Oui, qu'ils périssent !", disait-il encore ; il enlève le poids de son aine,

   et aussitôt il ne lui reste plus aucun signe de sa virilité.

Cette fureur devint un exemple et les servants indolents de la déesse

   tranchent leurs parties honteuses en agitant leur chevelure."

4, 245

Voilà comment, de sa voix éloquente, la Camène d'Aonie

   m'expliqua l'origine de cette folie qui m'intriguait.

 


 

Cybèle II. Arrivée en Italie (4,246-290)

 

Érato explique ensuite que Cybèle, trop attachée à sa terre d'origine, n'avait pas quitté la Phrygie avec Énée apès la chute de Troie. Mais lorsque, cinq siècles plus tard, les responsables romains, après consultation des Livres Sibyllins, réclamèrent la présence à Rome de la Grande Mère des dieux, Attale, roi de Phrygie selon Ovide, fut d'abord réticent, mais la déesse manifesta vigoureusement sa volonté de partir. Le roi finit par consentir à l'envoyer à Rome, les Phrygiens étant les ancêtres des Romains. (4,246-272)

Commence alors un périple qui mènera Cybèle depuis les rives de la Troade, à travers les Cyclades, l'Égée, au large du Péloponnèse et de la Crète, etc... jusqu'en Italie. (4,273-290).

 

"Toi, mon guide, je t'en prie, instruis-moi. L'a-t-on appelée,

   d'où est-elle venue ? A-t-elle toujours été présente dans notre Ville ?"

"La déesse Mère a toujours aimé le Dindyme et le mont Cybèle

4, 250

   ainsi que les sources agréables de l'Ida et les richesses d'Ilion.

Lorsque Énée transporta Troie dans les terres d'Italie,

   la déesse faillit suivre les nefs porteuses des objets sacrés,

mais elle avait compris que les destins n'exigeaient pas encore

   sa présence divine au Latium et était restée dans son séjour familier.

4, 255

Plus tard, lorsque Rome, devenue puissante, eut vu passer cinq siècles déjà

   et eut levé la tête, après avoir soumis l'univers,

un prêtre examina les paroles prophétiques du poème eubéen ;

   tel fut, dit-on, le résultat de cette consultation :

"La Mère est absente ; je t'ordonne, Romain, d'aller chercher la Mère.

4, 260

   Lorsqu'elle viendra, il faudra qu'une main pure l'accueille."

L'ambiguïté de cet oracle obscur déconcerte les sénateurs :

   de quelle mère s'agit-il ? en quel lieu la chercher ?

On consulte Péan qui dit : "Faites venir la Mère des dieux ;

   vous pourrez la trouver au sommet de l'Ida."

4, 265

Des notables partent en mission. À l'époque, Attale régnait en Phrygie ;

   celui-ci oppose un refus aux hommes d'Ausonie.

Je vais chanter un fait étonnant : la terre gronda et trembla longtemps,

   et la déesse parla ainsi du fond de son sanctuaire :

"C'est moi qui ai voulu être appelée ; sans délai, je veux qu'on me fasse partir ;

4, 270

   Rome est un lieu de rencontre digne pour toutes les divinités."

Attale, épouvanté par ce message effrayant, dit :  "Pars,

   tu seras toujours nôtre : Rome remonte à des ancêtres phrygiens. "

 

Aussitôt des haches innombrables abattent des arbres dans la pinède

   où le pieux Phrygien s'était servi lors de sa fuite.

4, 275

Mille mains unissent leurs efforts et un navire creux,

   aux couleurs appliquées à chaud, accueille la Mère des Dieux.

Elle traverse, en toute sécurité, les eaux, royaume de son fils,

   arrive au long détroit qui porte le nom de la soeur de Phrixus,

double le vaste Rhétée et les bords du Sigée,

4, 280

   longe Ténédos et l'antique puissance d'Éétion.

Ayant laissé Lesbos derrière elle, elle est accueillie dans les Cyclades,

   et dans les eaux que brisent les bas-fonds de Carystos.

Elle franchit aussi la mer Icarienne, où Icare vit tomber et perdit ses ailes,

   donnant ainsi son nom à cette vaste étendue d'eau.

4, 285

Elle délaissa alors la Crète, à gauche, et, à droite, les ondes de Pélops,

   puis gagna Cythère, l'île consacrée à Vénus.

De là, elle choisit la mer de Trinacrie, où Brontès,

   Stéropès et Acmonidès s'occupent à tremper le fer brûlant ;

elle choisit la mer d'Afrique, aperçoit sur son flanc gauche

4, 290

   le royaume de Sardaigne, puis elle parvient en Ausonie.

 


Cybèle III. Installation à Rome (4,290-372)

 

La déesse est accueillie à l'embouchure du Tibre par une foule représentant toute la société romaine ; mais le navire qui la transportait s'échoua dans un banc de vase, et les efforts de tous ne parvinrent pas à le dégager. (4,291-304)

Une certaine Claudia Quinta, une jeune fille dont la personnalité et l'allure ne passaient pas inaperçues et dont la réputation de chasteté était mise en doute, demanda à Cybèle de faire éclater son innocence en lui permettant de dégager toute seule le navire ; sur ce, elle tire facilement le navire, qui reprend sa route dans l'allégresse générale, jusqu'à un endroit du Tibre où on décide de faire halte pour la nuit. (4,305-332)

Le lendemain, après accomplissement de rites et du sacrifice d'une génisse, a lieu, au confluent de l'Almo et du Tibre, un bain rituel de la statue de Cybèle, au son des flûtes et des tambourins. Puis un cortège, mené par Claudia Quinta réhabilitée, introduit par la porte Capène le char portant la déesse, accueillie par Nasica. (4,333-348)

Érato fournit ensuite des renseignements sur l'histoire de ce temple et sur des coutumes propres au culte de Cybèle (offrandes de monnaies - banquets - jeux Mégalésiens - Galles - Moretum). (4,349-372)

 

Cybèle avait atteint Ostie, où le Tibre se divise pour gagner le large,

   en s'écoulant dans une zone plus dégagée.

Tous les chevaliers et les graves sénateurs mêlés à la plèbe

   vinrent à sa rencontre à l'embouchure du fleuve étrusque.

4, 295

D'un même pas s'avancent mères, filles, brus,

   et les vierges qui entretiennent le foyer sacré.

Des hommes empressés épuisent leurs bras à contenir le câble ;

   le navire étranger s'avance à grand peine sur des eaux contraires.

Longtemps la terre avait été sèche ; les plantes assoiffées se consumaient ;

4, 300

   sous la pression, la nef s'échoua dans un banc de vase.

Tous indistinctement participent à l'opération au-delà de leurs forces,

   et des voix claironnantes encouragent les mains énergiques.

Elle, telle une île, siège immobile au milieu des flots.

   Frappés par ce prodige, les hommes restent debout, épouvantés.

4, 305

Claudia Quinta faisait descendre sa famille du grand Clausus,

   et son allure n'était pas indigne de sa noblesse,

elle était chaste sans aucun doute, mais on ne le croyait pas ;

   une calomnie l'avait blessée et elle fut accusée à tort d'un crime.

Son élégance, ses apparitions en public avec diverses coiffures soignées,

4, 310

   la vivacité de ses réparties lui firent tort auprès des vieillards austères.

Consciente de sa droiture, elle se rit des mensonges de la rumeur,

   mais nous, nous sommes tous enclins à croire en ce qui est mal.

Claudia, après s'être avancée, quittant les rangs des chastes matrones,

   et après avoir puisé dans le creux de ses mains de l'eau pure du fleuve,

4, 315

s'asperge trois fois la tête, et trois fois lève les mains vers le ciel

   (tous ceux qui la voient la croient privée de raison) ;

les genoux ployés, elle fixe ses regards sur l'image de la déesse,

   et, cheveux épars, elle énonce ces paroles :

"Bienveillante déesse, féconde mère des dieux,

4, 320

   écoute, à une condition précise, les prières de ta suppliante.

On me dénie d'être chaste : si tu me condamnes, je reconnaîtrai l'avoir mérité ;

   je le paierai de ma mort, vaincue par le jugement d'une déesse.

Mais si je suis innocente, toi, tu le prouveras réellement,

   en garantissant ma vie et, chaste, tu suivras des mains chastes."

4, 325

Sur ces paroles, elle tira le câble sans grand effort.

   Je vais parler d'un prodige, qui du reste est attesté sur la scène.

La déesse mise en branle suit sa guide, et la justifie en la suivant.

   Révélatrice d'allégresse, une clameur monte vers les astres.

On arrive à une courbe du fleuve (que les anciens ont appelée

4, 330

   Atria Tiberina), à partir d'où il oblique vers la gauche.

La nuit était tombée ; on attache le câble à un tronc de chêne,

   et après un repas on s'adonne à un léger sommeil.

 

Le jour s'était levé : on détache le câble du tronc de chêne,

   Non sans avoir toutefois installé un foyer et brûlé de l'encens.

4, 335

Au préalable, ils avaient couronné la poupe et immolé une génisse,

   sans tache, qui n'avait connu ni les labours ni l'accouplement.

 Il est un endroit où le paisible Almo se jette dans le Tibre

   et, étant plus petit, perd son nom dans le grand fleuve.

Là un prêtre aux cheveux blancs, vêtu d'une robe de pourpre,

4, 340

   lave dans les eaux de l'Almo sa maîtresse et les objets sacrés.

Ses servants poussent des hurlements, la flûte affolée résonne

   et les mains mollement frappent les peaux des tambourins.

Claudia marche devant, le visage heureux, très fêtée par la foule,

   qui enfin la croit chaste, grâce au témoignage de la déesse.

4, 345

La déesse trônant sur un char est portée en ville par la Porte Capène ;

   l'attelage de génisses est couvert de fleurs fraîches que l'on jette.

Nasica l'accueillit ; le nom du fondateur du temple n'a pas été conservé ;

   maintenant, c'est Auguste ; avant c'était Métellus." Érato s'arrêta ici.

 

Une pause intervient, au cas où je poserais d'autres questions.

4, 350

"Dis-moi", dis-je, "pourquoi cherche-t-elle richesses en petites pièces."

"Le peuple a apporté du bronze, avec quoi Métellus éleva le temple",

   dit-elle, "de là vient la coutume de donner une pièce de monnaie".

Je demande pourquoi, à tour de rôle, on s'invite à des banquets,

   et pourquoi, à ces dates surtout, on y assiste avec empressement.

4, 355

"Puisque la Bérécyntienne a bien réussi son changement de lieu", dit-elle,

   on cherche à obtenir un même présage de bonheur en changeant d'endroit."

J'étais prêt à demander pourquoi les Mégalésies étaient les premiers jeux

   dans notre ville, lorsque la déesse (elle m'a deviné en effet) dit :

"C'est elle qui a engendré les dieux ; ils ont cédé la place à leur mère

4, 360

   et à la Mère revient la préséance de l'honneur rendu."

"Pourquoi nommons-nous Galli ceux qui se sont mutilés,

   alors que la terre de Gaule est si éloignée de la Phrygie ?"

"Entre le verdoyant mont Cybèle et Célènes la Haute", dit-elle,

   coule un fleuve, nommé Gallus, à l'eau qui rend fou.

4, 365

Qui en boit devient fou ; écartez-vous loin d'ici, vous qui veillez

   à votre santé mentale : qui boit de cette eau devient fou."

"N'est-ce pas honteux", dis-je, "d'avoir servi le moretum

   sur les tables de la Maîtresse : ou y a-t-il une raison cachée ?"

"On raconte que les anciens consommaient du lait pur

4, 370

   et les herbes que la terre produisait spontanément", dit-elle ;

"du fromage blanc est mélangé à des herbes broyées,

   afin que la première des déesses connaisse les premières nourritures.

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Notes (4,133-372)

 

la déesse... (4,133-134). Le 1er avril est la date d'une double fête, où sont à l'honneur deux divinités, une Vénus dite Verticordia (= "qui transforme les coeurs") et une Fortune dite Virilis (= "liée aux hommes"). L'importance relative de ces deux déesses dans le cérémonial, les rapports précis qu'elles entretiennent entre elles, tout comme les détails du rituel et leur sens, font encore aujourd'hui l'objet de nombreuses discussions. Le problème est rendu plus complexe encore par le fait que nous ne possédons aucune information antérieure à l'époque augustéenne et que d'autre part la fête a certainement évolué beaucoup du IIe siècle avant Jésus-Christ à la fin de l'Empire. Quoi qu'il en soit, sont concernées toutes les femmes, aussi bien celles de bonne famille ("mères et brus du Latium"), les matrones en quelque sorte qui portent bandelettes et robe longue, que les courtisanes, lesquelles ont un vêtement particulier (une tunique courte, recouverte d'une toge de type masculin).

baignée (4,136). Le poète s'intéresse ici à Vénus Verticordia en signalant d'abord les soins donnés à sa statue. Il s'agit du bain de la déesse. Comme d'autres bains de statues (cfr aussi celle de Cybèle en 4, 339-340), cette lauatio rituelle doit probablement se comprendre "comme un rite de régénération par l'eau des forces divines, qu'il est nécessaire de rajeunir périodiquement" (J. Champeaux). Dans la réalité, il devait concerner la statue cultuelle qu'abritait le temple de Vénus Verticordia, élevé, en 114 a.C. après consultation des livres Sibyllins, dans la Vallis Murcia, pour expier l'inceste de trois Vestales (cfr infra). Comme l'écrit Valère-Maxime (8, 15, 12), le sénat romain y avait vu "le moyen le plus sûr de détourner du vice et de ramener à la vertu l'esprit des filles et des femmes" (c'est ainsi qu'il faut comprendre l'épiclèse cultuelle de Verticordia. Ovide écrira, en 4, 156, qu'on demande à Vénus "beauté, morale et bonne renommée"). La Vénus qu'on vénère ce jour-là n'est donc "pas la déesse du plaisir et de l'amour, mais la protectrice de la pudeur féminine, qui détourne les coeurs des passions mauvaises" (H. Le Bonniec). On doit imaginer que le rituel du bain était accompli par une délégation de matrones, au nom de la collectivité féminine. Les femmes qui s'occupent d'elles la dépouillent des bijoux et des fleurs qui la décorent, la baignent, puis lui remettent ses colliers et des fleurs fraîches.

de vous baigner (4,139). Une fois terminée la cérémonie au temple de Vénus Verticordia, les femmes, toutes les femmes cette fois, quel que soit leur statut social, se rendaient dans les thermes pour s'y baigner elles aussi, un bain qui reproduisait en quelque sorte celui de la statue de Vénus et dont la signification ici n'est pas claire (bain purifiant ? bain fécondant ?). D'autres témoignages que celui d'Ovide permettent de penser que ce bain du 1er avril était pratiqué de deux manières. Les matrones et les femmes soucieuses de leur pudeur accomplissaient le rite, entre elles, dans la partie des bains réservée aux femmes ; d'autres -- les moins prudes et les courtisanes -- le faisaient en présence des hommes (en règle générale, à Rome, les bains n'étaient pas mixtes, hommes et femmes se baignant dans des sections différentes ou selon des horaires différents).

myrte (4,139). Les femmes, nues bien sûr, se couronnaient de myrte, un arbuste consacré à la déesse (cfr 4, 15). Ovide propose une étiologie de ce détail rituel. C'est en se couvrant de cet arbuste que la déesse se serait protégée des regards salaces des Satyres.

Fortune Virile (4,145-146). C'est à l'occasion de ces bains qu'à l'époque d'Ovide était vénéré un aspect particulier de Fortuna, la Fortune Virile ("la Fortune liée aux hommes"). Cette Fortune Virile n'était pas une déesse protectrice des hommes, mais un aspect de Fortuna, censé assurer aux femmes la faveur des hommes. On sait que Rome invoquait Fortuna sous de très nombreuses épithètes : la Fortuna Virilis n'était que l'une d'elles, et il existait aussi une Fortuna Muliebris ("la Fortune liée aux femmes"). Pour en revenir à la cérémonie, qu'elles soient ou non entre elles, les femmes posaient un geste qui semble n'occuper qu'une place modeste à l'intérieur du rituel plus ample de Vénus Verticordia : elles offraient de l'encens à la Fortune Virile et l'invoquaient en songeant au désir des hommes et aux moyens de leur plaire. D'après Ovide, cette divinité était censée aider les femmes à cacher et à dissimuler aux hommes les défauts de leur corps. Un passage du commentaire du calendrier épigraphique de Préneste est plus cru : "aux bains, les hommes mettent à nu cette partie de leur corps qua feminarum gratia desideratur".

pavot écrasé (4,151). Reste l'absorption du breuvage que d'autres textes appellent cocetum (un mot emprunté au grec). Si l'on tient compte de sa composition, cette boisson agirait moins comme un aphrodisiaque que comme un sédatif. Vénus en tout cas est censée l'avoir pris le jour de son mariage avec Vulcain. S'il en est question ici, c'est peut-être comme prélude à l'accomplissement de l'acte sexuel.

Au temps de nos ancêtres... (4,157-160). Ovide revient sur les circonstances de l'introduction du culte de Vénus Verticordia, mais sous une forme allusive. On sait par d'autres sources que la foudre était tombée sur le cheval monté par la fille d'un chevalier romain, qu'elle avait tuée. Comme le raconte Orose (5, 15, 21), "la jeune fille fut frappée à mort par la foudre : malgré tous ses vêtements arrachés sans aucune déchirure et les rubans dénoués sur la poitrine et aux pieds et même ses colliers et ses anneaux fendus, son corps, cependant, était intact, si ce n'est qu'il gisait nu dans une pose indécente et que la langue était un petit peu tirée". Cet incident fut considéré comme un prodige et les livres Sibyllins consultés ("la vieille prêtresse de Cumes" du vers 158). Leur réponse révéla que trois Vestales avaient commis l'inceste avec des chevaliers romains. Elles furent mises à mort et, en 114 a.C., un temple fut élevé à Vénus Verticordia, "pour qu'elle ramenât à la pudeur les coeurs féminins" (H. Le Bonniec). Le culte de la divinité avait donc été fondé dans une perspective morale, et cette tonalité générale se conservait certainement à l'époque d'Ovide.

Scorpion (4,163). La date du coucher du Scorpion varie selon les auteurs, peu importe donc ici. Il a déjà été question de cette constellation en 3, 712. On la retrouvera en 5, 417.

Après une nuit... (4,165-168). Longue description poétique pour désigner la date du 2 avril.

Pléiades (4,169). Cfr 3, 105 et la note. Tout comme les Hyades, les Pléiades se présentent comme un amas d'étoiles ouvert dans la constellation du Taureau et bien identifiable à la lunette. Plusieurs d'entre elles sont visibles à l'oeil nu (neuf généralement), mais leur nombre varie d'après les circonstances de l'observation. Les anciens, qui en comptaient six, les interprétaient comme les filles d’Atlas (cfr aussi 2, 490). Sur la naissance des Pléiades, voir 5, 83-84, avec note. Leur disparition du ciel est, selon Ovide, censée alléger le poids pesant sur les épaules de leur père, qui soutenait la voûte céleste. Sur cet amas d'étoiles, cfr par exemple Astronomie virtuelle ou Ciel des Hommes.

Censées être sept... (4,170-178). Cette liste d’Ovide est en accord avec celle d'Hygin (Astronomie, 2, 21, 3), qui fournit en outre des détails sur la descendance des sept soeurs. L’absence d’une des sept Pléiades dans le ciel s’expliquerait donc, selon Ovide, soit par la honte de Méropé pour sa "mésalliance", soit par la tristesse d’Électre suite à la ruine de Troie, la ville de son fils Dardanos.

Électre (4,174). Mère de Dardanos, fondateur de Troie et chef de file de la dynastie troyenne (cfr 4, 31).

le ciel tourner (4,179). Périphrase signifiant une durée de 3 jours, ce qui nous porte au 4 avril.

Titan (4, 180). Titan désigne le Soleil, fils d’Hypérion le Titan (cfr 1, 385 ; 1, 617 ; 2, 73 ; 4, 919).

Aussitôt... (4,181). Le 4 avril commençaient les jeux de Cybèle (ludi Megalenses) qui duraient jusqu'au 10, date de la fête de la déesse. Celle-ci portait divers noms : "la Grande Mère", "la Grande Déesse", "la Mère des dieux", "la Grande Mère des Dieux", "la "Grande Mère des Dieux, déesse de l'Ida (Magna Mater Deum Idaea)". C'est en fait une divinité orientale, originaire de Phrygie en Asie Mineure. En voici une courte présentation :

Divinité orientale, Cybèle était une grande déesse-mère d'Anatolie, patronne de la nature, et responsable du bien-être de son peuple qu'elle protégeait sur tous les plans. Son culte se caractérisait (entre autres choses) par des états extatiques conduisant à des transes prophétiques et à de l'insensibilité à la douleur. À un certain moment, qu'il n'est pas facile de préciser, elle fut associée, dans le mythe et dans le culte, à un jeune amant, Attis, qui était émasculé. Le sanctuaire principal de Cybèle se trouvait en Phrygie, à Pessinonte, mais elle était aussi particulièrement honorée sur le Mont Ida. Son culte s'introduisit dans le monde grec (Grèce et Grande-Grèce) dès le VIe siècle a.C., sous des formes et des modalités diverses. Ainsi à Athènes, la construction d'un temple en son honneur (le Mètrôon) passait pour avoir expié les violences exercées à l'égard d'un de ses prêtres ambulants précipité par les Athéniens dans le ravin où l'on jetait les criminels. Quelques années plus tard, en 415 a.C., à Athènes toujours, un homme avait sauté sur l'autel des douze dieux pour s'y châtrer au moyen d'une pierre ; c'étaient là des violences contre nature qui répugnaient aux Grecs. En réalité, à Athènes, le service de la Mère des dieux était purement grec, et Cybèle fut généralement identifiée à Déméter ou à Rhéa. Les mythographes grecs en tout cas la considèrent souvent comme une simple incarnation (voire une simple "appellation") de Rhéa, mère de Zeus et des autres dieux, fils de Cronos. Cette identification sera très présente dans le texte d'Ovide. Quoi qu'il en soit, malgré cette présence ancienne dans le monde grec, Cybèle n'atteindra Rome que beaucoup plus tard, en 204 a.C. seulement, à l'époque de la guerre contre Hannibal, une période très sombre pour les Romains. Le culte fut romanisé, c'est-à-dire débarrassé au maximum des excès extatiques ; la déesse reçut sur le Palatin un temple qui ne fut achevé qu'en 191 a.C. Mais on reparlera au fil du texte de l'histoire de Cybèle à Rome (par exemple infra).

flûte bérécyntienne... (4,181). Flûte phrygienne, au son rauque. Le Bérécynte est une montagne de Phrygie, sur laquelle était particulièrement honorée Cybèle, présentée d’ailleurs par Virgile comme "la mère du Bérécynte" (Énéide, 6, 784). Il est question de cette divinité à plusieurs reprises dans l'Énéide : cfr 2, 788 ; 3, 111 ; 7, 139 ; 9, 82 ; 9, 109 ; 9, 618-619 ; 10, 220 (où elle apparaît sous le nom de Cybebe) ; 10, 252 ; 11, 768. L’emploi de l’adjectif "bérécyntien" dans ce contexte annonce donc la fête du 4 avril. -- Le type de flûte visé ici était la tibia curva, ou flûte phrygienne, qui servait surtout dans les cérémonies du culte de Cybèle. "Le tube en était fait en buis, et à l’extrémité opposée à l’embouchure, il se terminait par un bout recourbé en forme de corne. Cette flûte avait souvent aussi deux branches qui se séparaient à la moitié environ de la longueur totale de l’instrument (cfr dessins chez A. Rich, Dictionnaire des antiquités romaines et grecques, Paris, 1995, p. 645-646)".

Mère de l’Ida... (4,182). L’Ida, qu’on ne confondra pas avec l’Ida de Crète (4, 207), est une montagne aux confins de la Phrygie (4, 79 et 4, 249), où était spécialement honorée Cybèle, d’où le nom de "Mère de l’Ida" qu’elle porte ici. Dans le calendrier (épigraphique) de Préneste, Cybèle est appelée Mater Deum Magna Idaea, c’est-à-dire "la grande Mère des Dieux, déesse de l’Ida". On aura l’occasion plus loin d’expliquer l’origine de son titre de "Grande Mère des Dieux".

eunuques (4,183). À l’époque d’Ovide, les prêtres attachés au culte de Cybèle étaient des eunuques phrygiens, appelés Galles (Galli en latin). Les Romains ne pouvaient pas faire partie du corps sacerdotal de la déesse.

procession (4,183). Toujours à l’époque d’Ovide, le culte de Cybèle était cantonné dans l’enceinte de son temple du Palatin, les Romains se défiant de ses composantes extatiques. Seuls les jeux en l'honneur de Cybèle (ludi Megalenses) étaient autorisés, ainsi que quelques processions. Si les jeux de Cybèle ne se distinguaient pas des autres jeux romains, les processions par contre ne passaient pas inaperçues : elles heurtaient les traditions par la violence de la musique, des danses et des chants, par le mysticisme aussi qui conduisait les adeptes à s’infliger des blessures volontaires, pouvant aller jusqu’à l’émasculation. Lucrèce (2, 608-640) a décrit dans le détail ces sorties auxquelles ne pouvaient pas participer les citoyens romains (Denys d’Halicarnasse, 2, 19, 4-5).

tambourins... cymbales (4,183-184). Cfr la description de Lucrèce (2, 618-619) : "Les tambourins tendus tonnent sous le choc des paumes, les cymbales concaves bruissent autour de la statue, les trompettes profèrent la menace de leur chant rauque, et le rythme phrygien de la flûte jette le délire dans les coeurs". La réunion des tambourins, des cymbales, des trompettes et des flûtes phrygiennes, instruments caractéristiques du culte de Cybèle, produisait une musique inhabituelle à Rome.

scène... jeux (4,187). Évocation des ludi Megalenses (ou Megalensia ou Megalesia) célébrés à Rome du 4 au 10 avril, et qui commémoraient l’arrivée de Cybèle dans la Ville. Le mot "scène" renvoie aux représentations théâtrales (les "jeux scéniques") qui eurent lieu pour la première fois en 194 a.C., dix ans donc après l’institution des jeux. Un peu plus tard s’y ajoutèrent des jeux de cirque (ludi circenses).

lotus recourbé (4,190). C’est l’instrument qui a déjà été signalé au vers 181 ("la flûte bérécyntienne au cornet recourbé"). La flûte est ici désignée par le nom du bois dans lequel elle était fabriquée, à savoir le micoulier (lotos en latin).

déesse du Cybèle (4,191). Cybèle passe pour avoir porté le nom d’une montagne de Phrygie (cfr 4, 249 ; Virgile, Énéide, 3, 111). Dans un récit de type évhémériste, Diodore de Sicile (3, 58-59) raconte qu’elle y fut abandonnée par son père et que l’enfant, nourrie par des bêtes sauvages, fut recueillie par des bergers qui lui donnèrent le nom de la montagne. L’étymologie de Cybèle, qui a fait l’objet de très nombreuses discussions chez les modernes, n’est pas claire.

petites-filles (4,192). Les Grecs avaient assimilé Cybèle à une divinité qu’ils connaissaient mieux, à savoir Rhéa, fille d’Ouranos et de Gaia, épouse de Cronos, mère de Zeus et de tous les dieux, d’où le titre de "Grande Mère des Dieux" qu’elle porte généralement. Comme les Muses sont souvent considérées comme les filles de Zeus et de Mémoire (Mnémosyne), elles sont les petites-filles de Rhéa et donc de Cybèle. Les Muses sont régulièrement qualifiées de "savantes", de "doctes".

Hélicon (4,193). Avec le mont Parnasse près de Delphes et la Piérie en Thessalie, le mont Hélicon, en Béotie, est un des séjours favoris des Muses.

Érato... Cythérée (4,195-196). C’est Érato, Muse de l’élégie amoureuse, qui est convoquée pour répondre aux questions d’Ovide. Comme elle porte un nom apparenté à Eros "l’amour" et à eran "aimer", elle est donc proche de Vénus, déesse vénérée à Cythère.

Saturne (4,197). Ovide utilise ici un mythe célèbre depuis Hésiode (Théogonie, 452-506). Sachant que "son destin était de succomber un jour sous son propre fils", Cronos (auquel est identifié le Saturne latin) dévorait les enfants qu’il avait de Rhéa son épouse. Zeus toutefois échappera à la voracité de son père à qui on fit avaler une pierre entourée de langes. L’enfant sera mis à l’abri en Crète "au creux d’un antre inaccessible, dans les profondeurs secrètes de la terre divine, aux flancs du mont Égéon, que recouvrent des bois épais", écrit Hésiode dans son récit qui ne mentionne ni Courètes ni Corybantes. Le vieux poète toutefois raconte que Cronos devra se soumettre à Zeus et qu’il finira par recracher tous ses enfants.

Rhéa (4,201). À l’origine, Rhéa, l’épouse de Cronos, n’avait rien à voir avec Cybèle. Ce sont les mythographes grecs qui assimilèrent les deux déesses, on l'a déjà dit. Cela entraîna d’autres assimilations, notamment celle des Curètes, les prêtres de Rhéa établie en Crète, avec les Corybantes, qui entouraient Cybèle en Asie mineure. Il en sera question dans un instant.

Ida (4,207). Comme il existe deux monts Ida, l’un en Crète, l’autre en Asie mineure, l’ambiguïté continue dans ce texte. Selon le mythe original de Cronos, Zeus enfant fut élevé en Crète. Il devrait donc s’agir de l’Ida crétois. Mais comme Rhéa est ici confondue avec Cybèle, on peut y voir l’Ida d’Asie Mineure. Cybèle-Rhéa est la mère de Zeus ; l’enfant, caché sur le mont Ida en Asie Mineure, est veillé à la fois par les Curètes et par les Corybantes, présentés par Ovide comme les servants communs de la divinité, qui s'évertuent à faire du bruit pour couvrir les vagissements de l'enfant.

Curètes (4,210). Parmi les légendes qui font intervenir ces personnages, d'origine incertaine, la plus célèbre (postérieure à Hésiode) est certainement celle de l'enfance de Zeus en Crète. "Lorsque Rhéa eut mis au monde le petit Zeus dans une caverne de l'Ida de Crète, elle le confia à la Nymphe Amalthée. Mais pour que l'enfant, par ses cris, ne révélât pas sa présence [...], elle demanda aux Curètes de danser autour de lui leurs danses guerrières bruyantes. [...] Ils dansaient en entrechoquant leurs armes, lances contre boucliers" (P. Grimal). Cfr Virgile, Géorgiques, 4, 150-152 ; Lucrèce, 2, 629-639.

Corybantes (4,210). D'origine incertaine eux aussi, les Corybantes étaient des personnages qu'on retrouvait dans l'entourage de Dionysos et de Cybèle. Cités par Virgile, Énéide, 3, 111 (avec les notes), ils interviennent ici autour du jeune Zeus, de concert avec les Curètes, à cause de l'identification, classique, entre Rhéa et Cybèle.

lions (4,215).Qu'il s'agisse de monnaies ou de monuments, Cybèle est généralement représentée sur un char traîné par un attelage de lions. Ce détail iconographique est très ancien, le monde méditerranéen et oriental étant depuis longtemps familier avec les images de déesses maîtrisant les fauves. Dans le cas de Cybèle, c'était un symbole fort de sa puissance sur la nature et particulièrement sur le monde animal. Vers 525 a.C., elle apparaît déjà dans un char tiré par une paire de fauves dans la Gigantomachie du Trésor de Siphnos à Delphes. L'explication donnée par Ovide ("elle passe pour avoir adouci leur sauvagerie") ne correspond que très partiellement à la réalité : maîtresse de la nature, la Cybèle originale dominait les fauves.

couronne faite de tours (4,219). La couronne crénelée était un autre attribut iconographique de Cybèle (cfr 4, 224). Il faisait référence à son rôle de divinité poliade, c'est-à-dire protectrice de cités. Virgile, Énéide, 6, 785, évoque "la mère du Bérécynte qui, couronnée de tours, traverse sur son char les cités de Phrygie" ; quant à Lucrèce (2, 606-609), qui identifie Cybèle à la Terre-Mère, il écrit : "Une couronne murale ceint le sommet de sa tête, car la terre en des lieux choisis, fortifiés par la nature, sert de défense aux villes qu'elle supporte. C'est parée de ce diadème que maintenant encore, à travers son vaste empire, l'image de la divine Mère est promenée au milieu des frissons de la foule" (trad. A. Ernout). On voit que les étiologies proposées par les Anciens ne sont pas toujours identiques.

se sectionner le membre viril (4,221). Pour expliquer l'émasculation des prêtres de Cybèle et celle de certains de ses adeptes, Ovide va introduire dans les vers suivants une forme de la légende d'Attis (il y en a plusieurs).

Piéride (4,222). C'est la Muse Érato, citée en 4, 195. On a dit (4, 193) que la Piérie en Thessalie était, avec le mont Parnasse près de Delphes et le mont Hélicon en Béotie, un des séjours favoris des Muses. D'où leur nom de Piérides.

Attis (4,223). L'origine et le signalement originel d'Attis ne sont pas nets. Il semble que ce soit un dieu importé en Phrygie par des tribus d'origine thrace avant 600 a.C. et que son culte comportait des danses et des rites orgiastiques. Même si les rapports d'Attis avec Cybèle ont pris dans la suite beaucoup d'importance, ils apparaissent comme une donnée secondaire, sur le plan chronologique. En effet, il ne semble pas qu'à l'origine, la déesse de Pessinonte avait un dieu parèdre. Comme l'écrit R. Turcan, "quantité d'images qui nous la montrent seule et les versions helléniques, même relativement tardives, qui ignorent ou minorent le culte d'Attis, semblent bien supposer une sorte de monothéisme métroaque initial". Mais le fait est que dans la plupart des situations historiques qui nous sont familières, Cybèle et Attis sont associés. Dès son arrivée à Rome en 204 a.C., Cybèle était accompagnée d'Attis, mais il faudra des siècles avant que le culte de ce dernier ne soit reconnu dans la Ville. Quoi qu'il en soit, beaucoup de légendes couraient sur son compte, avec de nombreuses variantes. Ovide va en présenter une ; on en trouvera d'autres, notamment chez Arnobe (Contre les Gentils, 5, 5) et chez Tertullien (Ad nationes, 1, 10).

nymphe Sagaritis (4,229). Le Sagaris est un fleuve de Phrygie, déjà connu d'Homère et d'Hésiode (aujourd'hui Sakaria). Sur le nom de ce fleuve, Ovide imagine une nymphe Sagaritis, qui en serait la fille. Le récit n'est pas attesté ailleurs.

représentait sa destinée (4,232). C'est une Hamadryade, c'est-à-dire une nymphe dont la vie était liée à celle de l'arbre qui lui était affecté.

Dindyme (4,234). "Il existe deux monts Dindyme qui sont tous les deux associés à des sanctuaires de Cybèle : le premier est situé aux environs de Pessinonte, à la frontière de la Phrygie et de la Galatie ; le second au nord de Cyzique, dans la presqu'île d'Arctonnesus" (R. Schilling).

déesses palestiniennes (4,236). Comme l'Oreste de la tragédie classique, Attis s'imagine poursuivi par des Furies qu'Ovide appelle "déesses palestiniennes", sans grand souci de précision, ni théologique ni géographique. Les modernes se sont évertués à les identifier, mais plusieurs hypostases divines orientales pourraient servir (Atargatis, Derceto, Dea Syria), qui connaissent toutes un culte orgiastique. La mention "Palestine" est elle aussi peu précise. On se souviendra qu'en 2, 464, Ovide présente l'Euphrate comme "un fleuve de Palestine". Le détail essentiel ici, c'est la folie d'Attis.

un exemple (4,243). Tel est donc le récit étiologique, destiné à expliquer la castration des adeptes d'Attis et de Cybèle. En réalité, la castration rituelle, qu'on appelle eunuchisme, n'est pas propre à ce culte ; on la retrouve dans d'autres religions orientales (par exemple Atargatis, Isthar-Nana, Astarté, Hécate à Stratonikè), avec là aussi une valeur religieuse. Pour en revenir à l'auto-mutilation des galles, Mircea Eliade écrit "qu'elle assure leur chasteté absolue, autrement dit leur don total à la divinité".

Camène d'Aonie (4,245). Expression fort recherchée pour désigner Érato. Les Camènes sont des divinités latines des sources identifiées avec les Muses grecques (cfr 3, 275). Pour sa part, Aonie est un nom poétique pour désigner la Béotie (cfr 1, 490 ; 3, 456).

Dindyme... mont Cybèle (4,249). Il vient d'être question du Dindyme en 4, 234 et du mont Cybèle en 4, 191.

Ida (4,250). On a parlé de l'Ida troyen en 4, 182.

faillit suivre (4,252). Ovide imagine donc ici que Cybèle, étroitement liée à la Troade, aurait pu accompagner Énée, qui était en quelque sorte son compatriote, mais qu'elle était restée en Asie. On se souviendra que, selon Virgile, les navires d'Énée avaient été construits avec des pins d'un bois sacré que possédait Cybèle : la déesse les avait offerts de bon coeur au jeune Dardanien, et Jupiter avait promis "à sa Mère" de transformer en nymphes marines les bateaux qui auraient atteint l'Italie et réussi leur mission. L'histoire est racontée dans l'Énéide, en 9, 79-122, et en 10, 215-259.

soumis l'univers (4,256). En fait, à cette époque, Rome était aux abois, dangereusement menacée par les troupes d'Hannibal, et les Romains vivaient une crise religieuse profonde : ils avaient l'impression d'être abandonnés par leurs dieux nationaux et cherchaient activement, presque désespérément, l'aide d'une divinité étrangère. Les Livres Sibyllins les orientèrent vers Cybèle, qui fut alors perçue comme leur ultime recours dans le combat contre Hannibal.

prêtre examina (4,257). À la fin du IIIe siècle, les prêtres chargés de surveiller et de consulter les Livres étaient les décemvirs sacris faciundis, au nombre de dix donc. Plus tard, leur nombre sera porté à quinze (quindécemvirs). L'emploi de l'adjectif "eubéen" pour caractériser les Livres Sibyllins est recherché. Cumes, où résidait la Sibylle qui passait pour les avoir inspirés, était une colonie eubéenne.

le résultat de cette consultation (4,258). Tite-Live raconte (29, 10, 4-5) que la fréquence exceptionnelle des pluies de pierre en 205 a.C. avait amené les décemvirs à consulter les Livres Sibyllins, lesquels annonçaient que "si un ennemi étranger portait la guerre en Italie, on pouvait le chasser d'Italie et le vaincre, en transportant la Mère de l'Ida de Pessinonte à Rome". Ovide rend l'oracle plus ambigu.

Péan (4,263). C'est l'Apollon de Delphes, souvent désigné ainsi. Tite-Live, pour sa part, envisage deux ambassades à Delphes. La première est indépendante de la consultation des Livres. Une délégation romaine avait été chargée de porter à Delphes une offrande en remerciement, et "l'oracle avait répondu qu'une victoire, bien plus grande que celle dont les dépouilles leur permettaient de porter cette offrande, était proche pour le peuple romain" (29, 10, 6). Les Romains considérèrent que cet oracle delphique confirmait la réponse des Livres. Une seconde ambassade romaine eut lieu un peu plus tard, une fois prise la décision d'aller chercher la Grande Mère. "Les ambassadeurs, ayant débarqué à Delphes, allèrent demander à l'oracle, pour la mission qu'on les envoyait remplir de Rome, quel espoir de la mener à bien, il leur donnait, à eux et au peuple romain. L'oracle répondit, à ce qu'on rapporte, que, grâce au roi Attale, ils obtiendraient ce qu'ils demandaient, et que, quand ils auraient transporté à Rome la déesse, ils devaient veiller à ce que ce fût l'homme le meilleur de Rome qui lui donnât l'hospitalité" (Tite-Live, 29, 11, 5-6). Ovide ne travaille pas en historien, mais en poète.

Attale (4,265). Attale Ier, souverain hellénistique, résidait à Pergame avec le titre de roi (241-197 a.C.). En fait, ici encore, le récit d'Ovide ne recoupe pas celui de Tite-Live. Loin de s'opposer aux Romains, au point d'amener une réaction vigoureuse de Cybèle, Attale semble avoir appuyé la démarche des ambassadeurs. Il les reçut aimablement et les conduisit à Pessinonte en Phrygie. Attale n'était pas le roi de ce dernier pays, mais il se fit probablement leur intermédiaire pour qu'ils reçoivent satisfaction. Il donna ensuite les instructions nécessaires pour que les Romains puissent emporter avec eux "la pierre sacrée dont les habitants disaient qu'elle était la Mère des Dieux" (Tite-Live, 29, 11, 7).

le pieux Phrygien (4,274). Il s'agit d'Énée, dont l'histoire a été évoquée plus haut (4, 252). Le navire de Cybèle est construit avec des arbres de la pinède qui avait déjà servi à la construction des bateaux troyens.

royaume de son fils (4,277). Poséidon, le dieu de la mer, est le fils de Rhéa-Cybèle et de Cronos.

la soeur de Phrixus... (4,278-282). Hellé, en tombant du bélier lors de son voyage aérien, a donné son nom à l'Hellespont (cfr 3, 852 ; 4, 715 ; 4, 903). En sortant de l'Hellespont, le navire longe la côte de la Troade (promontoire du Rhétée ; promontoire du Sigée), se dirige vers l'île de Ténédos, non loin de la côte, puis, laissant loin derrière lui l'île de Lesbos proche encore de l'Asie mineure, il pique vers le large en direction des Cyclades, qu'il traverse après avoir dépassé Carystos, la pointe extrême de l'île d'Eubée.

la mer Icarienne... (4,283-286). "La mer Icarienne désigne déjà chez Homère (Iliade, 2, 145) la partie méridionale de la mer Égée. [...] Elle tient son nom d'Icare, le fils de Dédale, qui s'envolant de Crète avec son père au moyen d'ailes fixées avec de la cire, tomba, pour s'être trop approché du soleil, dans la mer à laquelle il donna son nom (cfr Ovide, Métamorphoses, 8, 183-235)" (R. Schilling). Le bateau laisse donc à l'est la Crète, à l'ouest la côte orientale du Péloponnèse, et atteint l'île de Cythère à l'extrémité sud du Péloponnèse, un endroit lié à Aphrodite (cfr 3, 611).

mer de Trinacrie (4,287-290). La Trinacrie (littéralement "aux trois promontoires") est une désignation poétique de la Sicile. Brontès, Stéropès et Acmonidès sont trois Cyclopes qui travaillent dans les forges de Vulcain, sous l'Etna. (Cfr par exemple Énéide, 3, 569 et 8, 425). Le navire traverse donc la "mer d'Afrique", entre l'ouest de la Sicile et l'Afrique, puis remonte vers le nord, laissant la Sardaigne à l'ouest, pour gagner l'Ausonie, c'est-à-dire l'Italie.

Cybèle avait atteint Ostie (4,291). L'histoire raconte qu'embarquée sur un bateau, la Grande Déesse -- sous la forme d'un bétyle de pierre noire ("la pierre noire") ou d'une statue anthropomorphe, la tradition hésite -- est reçue sur le rivage d'Ostie par celui que le Sénat avait jugé le meilleur des hommes (optimus uir) du moment, P. Cornelius Scipion Nasica. Le navire remonte le Tibre mais, avant d'arriver à Rome, il s'échoue. Il ne sera dégagé que par un miracle, dont il sera question plus loin, "le miracle de Claudia".

fleuve étrusque (4,295). Le Tibre est souvent désigné ainsi parce qu'il provient d'Étrurie et qu'il sert de frontière est de l'Étrurie (cfr. 1, 233).

les vierges (4,296). Les Vestales.

Claudia Quinta (4,305). Cette dame appartenait à la grande famille des Claudii, qui prétendaient remonter à un Sabin, Attus Clausus, venu s'installer à Rome au tout début de la République et très vite intégré dans la société romaine (cfr Tite-Live, 2, 16, 4 ; Virgile, Énéide, 7, 706-722). Parmi les membres éminents de la gens Claudia figurait Appius Claudius Caecus, censeur en 312 a.C., qui fit construire le premier aqueduc de Rome (Aqua Appia) et la voie Appienne (via Appia) qui relia d'abord Rome à Capoue, avant d'être étendue dans la suite jusqu'à Brindes. D'après Cicéron (Pro Caelio, 34), l'héroïne de ce récit descendrait du censeur de 312. On lira chez Tite-Live (29, 14, 5-14) le récit de la réception de la Grande Mère dans la ville de Rome. L'historien augustéen évoque en bloc "les femmes les plus nobles de la cité qui reçurent la déesse". Il détache bien du groupe le nom de Claudia Quinta, mais sans donner de détail, écrivant simplement "qu'après qu'elle eut pu remplir un si saint ministère, sa réputation, auparavant douteuse, dit-on, fit remarquer davantage sa chasteté à la postérité" (29, 14, 12). Que s'est-il passé exactement ? On en discute. Il est bien possible que ce "miracle de Claudia" ne soit qu'une légende, formée tardivement, entre 50 et 16 a.C., au bénéfice de la gens Claudia. De toute manière, "la suite du récit constitue une dramatisation propre à Ovide" (R. Schilling).

trois fois... (4,315-317). On connaît l'importance religieuse du chiffre trois (cfr par exemple 1, 506 ; 2, 573). Les attitudes décrites dans les vers suivants (mains tournées vers le ciel ; chevelure dénouée ; agenouillement) appartiennent à la gestuelle romaine de la prière. En ce qui concerne l’eau puisée dans le fleuve, on se souviendra qu’Énée aussi, après l'apparition du dieu Tibre (Énéide, 8, 69-70), avait "pris selon le rite de l'eau du fleuve au creux de ses mains" avant d'adresser sa prière.

féconde mère des dieux (4,319). Cybèle ne peut être qualifiée de "féconde mère des dieux" que dans la mesure où elle est identifiée à Rhéa (cfr 4, 201), une identification très présente dans le texte d'Ovide et due, on l'a dit, aux mythographes grecs. Dans la mythologie grecque, Rhéa, femme de Cronos, est en effet la mère de Zeus et des autres dieux, tous fils de Cronos. Virgile aussi, dans l'Énéide (6, 784-787), partageait cette conception lorsqu'il décrit "la Mère du Bérécynte, qui, couronnée de tours, traverse sur son char les cités de Phrygie, heureuse d'avoir enfanté les dieux, d'avoir étreint cent descendants, tous hôtes du ciel, tous occupant les hautes régions d'en haut".

sur la scène (4,326). "On peut supposer que le miracle était parfois représenté aux jeux scéniques de Cybèle" (H. Le Bonniec), dont il était question en 4, 187.

Atria Tiberina (4,330). Un lieu-dit, qui n'est pas mentionné ailleurs et dont la localisation n'est pas connue.

couronné la poupe (4,335). Les couronnes étaient d'un usage courant dans le culte.

immolé une génisse... (4,335-336). Une bête parfaite, rituellement parlant. Son pelage était blanc ; elle n'avait connu ni le joug ni l'accouplement. Toutes les bêtes ne convenaient pas pour le sacrifice. Cfr les jeunes taureaux de 1, 83-84.

Almo (4,337). Il a déjà été question en 2, 601 de ce petit affluent de la rive gauche du Tibre, au confluent duquel a lieu chaque année une cérémonie en l'honneur de Cybèle. C'est là qu'a lieu le "bain de la déesse" qu'on a amenée jusque là en procession. Ovide a probablement été témoin des cérémonies de son temps, qu'il projette ici plusieurs siècles en arrière, à l'époque de l'arrivée de Cybèle.

prêtre aux cheveux blancs (4,339). Au temps d'Ovide encore, c'est un prêtre phrygien qui conduit la cérémonie ; c'est plus tard seulement que le culte de Cybèle sera placé sous l'autorité ultime d'un archigalle romain.

Porte Capène (4,345). C'est une porte dans l'enceinte servienne, au sud de la Ville, entre l'Aventin et le Célius. Quoi qu'il en soit de ce dernier détail topographique, la déesse fut introduite dans le pomerium et, dès 191 a.C., elle eut son temple sur le Palatin (cfr infra). Honneur inhabituel pour une divinité orientale, mais qui s'explique par la légende de l'origine troyenne des Romains : Cybèle, phrygienne comme Énée, n'était pas perçue comme une divinité étrangère. En réalité, la présence de Cybèle gênait quelque peu les Romains qui se défiaient des aspects extatiques de son culte. Cela explique que ce culte resta pour l'essentiel confiné dans le temple du Palatin, et que son sacerdoce, interdit aux citoyens romains, fut réservé à des prêtres phrygiens, les Galli, émasculés à l'imitation d'Attis. Bien sûr, il y avait les jeux, les ludi Megalenses (ou Megalensia ou Megalesia), qui commémoraient chaque année (du 4 au 10 avril) l'anniversaire de son arrivée à Rome, mais eux n'inquiétaient pas, car ils se déroulaient "à la romaine", comme beaucoup d'autres jeux. La sortie de rares processions aussi était autorisée : quelques jours par an pour aller quêter dans les rues (cfr infra), et le 4 avril pour le bain de Cybèle dans l'Almo, un petit affluent du Tibre (cfr supra). Ces sorties frappaient davantage les imaginations romaines, car elles heurtaient les traditions par la violence de la musique, des danses et des chants, par le mysticisme aussi qui conduisait les adeptes à s'infliger des blessures volontaires, pouvant aller jusqu'à l'émasculation. Les textes de Catulle (Pièce 63), de Lucrèce (2, 598-643) et d'Ovide (4, 179-372), traduisent bien l'étonnement et la surprise des Romains. Bref, sous la République et à la période augustéenne, le culte de Cybèle restait sous très haute surveillance. Il faudra attendre l'Empire, notamment Claude et Antonin, pour qu'il se libéralise, pour qu'Attis soit officiellement admis, et pour voir le sacerdoce de Cybèle et d'Attis ouvert aux citoyens romains.

Nasica (4,347). Il s'agit de Publius Cornelius Scipion Nasica. On a signalé (note au mot Péan en 4, 263), sur base du témoignage de Tite-Live (29, 11, 5-6), que l'oracle de Delphes, consulté pour la seconde fois, avait répondu aux Romains que, une fois la déesse transportée à Rome, ils devaient veiller à ce que ce fût l'homme le meilleur de Rome qui lui donnât l'hospitalité". Lors de l'entrée de la déesse tant à Ostie qu'à Rome, Tite-Live (29, 14, 5-11) fait jouer à Nasica un rôle très différent de celui que lui attribue Ovide. Ici Nasica accueille simplement Cybèle à la porte de Rome. De toute façon, le choix de ce personnage, sur lequel la tradition est unanime, montre l'influence prépondérante dont jouissait la gens Cornelia, à côté d'ailleurs de la gens Claudia, dont était issue Claudia Quinta.

fondateur du temple... (4,347-348). R. Schilling a bien résumé l'histoire du temple. "La déesse fut d'abord provisoirement installée dans le temple de la Victoire sur le Palatin (Tite-Live, 29, 14, 13). Elle reçut seulement en 191 avant J.-C. un temple propre qui fut dédié Matri Magnae Idaeae le 10 avril par M. Iunius Brutus (Tite-Live, 36, 36, 3). Ce temple, qui brûla une première fois en 111 (Julius Obsequens, 39), fut restauré par un Metellus, sans doute Q. Caecilius Metellus Numidicus, consul en 109 avant J.-C. Il fut à nouveau incendié en 3 après J.-C. (Valère Maxime, 1, 8, 11) et restauré par Auguste (Res gestae, 19)". On comprend mieux la mention d'Auguste et de Metellus au vers 348.

en petites pièces (4,350). Les prêtres de Cybèle pouvaient faire la quête dans les rues de Rome quelques jours par an, à des dates autorisées. Cicéron, dans son projet législatif (Les Lois, 2, 9, 22), précise "hors les servants de la Mère de l'Ida, et ceux-ci aux jours autorisés, que nul ne fasse quête de monnaie", et il commente la prescription en 2, 16, 40 en disant: "Nous avons supprimé les quêtes, si ce n'est celle pour qui nous avons fait exception pour quelques jours et qui est propre à la Mère de l'Ida : une telle pratique remplit les esprits de superstition et épuise les maisons (trad. G. De Plinval). Cfr aussi Lucrèce, 2, 626, qui a décrit la prodigalité de la foule romaine lors de la grande procession de Cybèle.

de là vient la coutume (4,352). Cette étiologie semble une pure invention d'Ovide. En fait Cybèle avait amené avec elle cette coutume des prêtres mendiants, que les Grecs appelaient "mêtragurtai" et dont leurs comiques se moquaient déjà (Antiphane, un auteur de la Comédie moyenne, avait écrit une pièce qui portait ce titre).

banquets (4,353). Pendant la durée des jeux donnés en l'honneur de Cybèle du 4 au 10 avril, dans les classes sociales élevées, on s'échangeait effectivement des invitations à des repas, soi-disant, disent nos sources, pour commémorer le transfert de la déesse. En fait, la plèbe connaissait le même type d'usage pendant les Cerealia du 12 au 19 avril, et il se pourrait que les fêtes de Cybèle n'aient fait qu'emprunter la coutume des Cerealia.

Mégalésies (4,357). C'est la traduction du terme (Megalesia) qui désigne les jeux en l'honneur de la Grande Mère (Megalè veut dire "Grande" en grec). Leur histoire est relativement bien connue. "Ils furent célébrés pour la première fois le 4 avril 204 lors de la réception de la déesse. À l'occasion de la dédicace de son temple, le 10 avril 191, on donna des jeux scéniques qui devinrent annuels. Au début de l'Empire, les Jeux de Cybèle duraient sept jours, du 4 au 10 avril ; le dernier jour, on donnait des courses de chevaux au Grand Cirque (4, 391-392)" (H. Le Bonniec).

premiers jeux (4,357). À l'époque d'Ovide, il n'y avait pas de jeux en janvier, février et mars. Les Mégalésies étaient donc les premiers jeux de l'année.

qui a engendré les dieux (4,359). Nouvelle conséquence de la "confusion syncrétique" entre Cybèle et Rhéa. Cfr 4, 201, et 4, 319. Cybèle est la Mère des Dieux.

Galli (4,361). Ovide reprend simplement ici une explication donnée par Paulus Festus, p. 84 : "Les Galles sont ainsi appelés du nom du fleuve Gallus, parce que ceux qui boivent de son eau se mettent à délirer au point de se priver de leur virilité" (cfr aussi Pline, Histoire naturelle, 31, 9). Il existait effectivement en Phrygie un fleuve nommé Gallos, affluent du Sagaris (4, 229), mais cela n'assure évidemment pas la validité du rapprochement. Célènes, pour sa part, est une ville de Phrygie, sur une colline escarpée, près des sources du Méandre.

moretum (4,367). "Le moretum est un mets rustique à base d'herbes, d'ail, de fromage, de sel, d'huile et de vinaigre. Telle est du moins la recette contenue dans un poème du même nom qu'on a longtemps attribué à Virgile" (R. Schilling). Ovide est le seul témoin à signaler son utilisation dans le culte de Cybèle, et les modernes se perdent en conjectures sur l'interprétation de cette donnée (à supposer qu'elle soit fondée) : plat typiquement romain substitué à une nourriture orientale impossible à confectionner à Rome ? ou symbole d'une forme d'existence antérieure à la culture des céréales ? ou autre chose encore ? (D. Porte). Ovide n'est jamais à court d'explications...


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