Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant XII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE XII
LE DÉNOUEMENT
Mêlée générale (12, 383-553)
La guérison d'Énée (12, 383-429)
Énée entouré de ses proches profondément découragés est soigné, sans succès, par Iapyx, un Troyen expert dans l'art de la médecine et protégé d'Apollon ; le héros se montre cependant impatient de reprendre le combat, qui s'annonce de plus en plus proche. (12, 383-410)
Vénus, apitoyée par la souffrance de son fils, intervient secrètement, mêlant à l'eau utilisée par Iapyx une plante miraculeuse. Énée est subitement guéri et veut reprendre le combat, encouragé par Iapyx qui interprète cette guérison comme un signe favorable du destin. (12, 411-429)
Atque ea dum campis uictor dat funera Turnus, interea Aenean Mnestheus et fidus Achates |
Et tandis que dans la plaine Turnus l'emporte et répand la mort, Mnesthée et le fidèle Achate, accompagnés d'Ascagne, |
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Ascaniusque comes castris statuere cruentum, alternos longa nitentem cuspide gressus. Saeuit et infracta luctatur arundine telum eripere auxilioque uiam, quae proxima, poscit ense secent lato uulnus telique latebram |
ont pendant ce temps installé dans le camp Énée, qui saigne, s'avançant pas après pas, appuyé sur sa longue lance. Il est furieux et, la flèche s'étant brisée, il tente d'en extraire la pointe et il leur demande de l'aider par le moyen le plus rapide possible, qu'avec une large lame, ils coupent la plaie et ouvrent à fond |
12, 385 |
rescindant penitus seseque in bella remittant. Iamque aderat Phoebo ante alios dilectus Iapyx Iasides, acri quondam cui captus amore ipse suas artes, sua munera, laetus Apollo augurium citharamque dabat celerisque sagittas. |
l'endroit où se loge le dard, et qu'on le renvoie au combat. Tout de suite arrive Iapyx, le Iaside, cher entre tous à Phébus : Apollon qui jadis avait éprouvé pour lui un amour passionné, avait voulu dans sa joie lui offrir ses arts et ses pouvoirs : don de prophétie, art de la cithare et des flèches rapides. |
12, 390 |
Ille ut depositi proferret fata parentis, scire potestates herbarum usumque medendi maluit et mutas agitare inglorius artes. Stabat acerba fremens, ingentem nixus in hastam Aeneas magno iuuenum et maerentis Iuli |
Mais Iapyx, pour prolonger la vie de son père mourant, préférait connaître les vertus des herbes et leur usage médical ; il se mit à pratiquer, dans l'ombre, des talents sans éclat. Énée debout, appuyé sur sa longue pique, frémissait de rage, entouré d'une foule de guerriers, en présence de Iule en larmes, |
12, 395 |
concursu, lacrimis immobilis. Ille retorto Paeonium in morem senior succinctus amictu multa manu medica Phoebique potentibus herbis nequiquam trepidat, nequiquam spicula dextra sollicitat prensatque tenaci forcipe ferrum. |
mais ces larmes le laissaient de marbre. Iapyx, vieillard déjà, revêtu d'un manteau rejeté en arrière, à la manière de Péon, usant des gestes de médecin et des herbes puissantes de Phébus, s'affaire beaucoup, mais en vain ; en vain de la main droite, il soulève la pointe du fer et cherche à le saisir avec une forte pince. |
12, 400 |
Nulla uiam Fortuna regit, nihil auctor Apollo subuenit ; et saeuus campis magis ac magis horror crebrescit propiusque malum est. Iam puluere caelum stare uident : subeunt equites, et spicula castris densa cadunt mediis. It tristis ad aethera clamor |
La Fortune ne l'aide en rien ; nul secours non plus ne lui vient de son protecteur Apollon tandis que de plus en plus dans la plaine, l'horreur sauvage se propage ; le malheur se rapproche. Déjà on voit se dresser un nuage de poussière ; les cavaliers surgissent et en plein camp les traits tombent serrés. Vers le ciel |
12, 405 |
bellantum iuuenum et duro sub Marte cadentum.
Hic Venus, indigno nati concussa dolore, dictamnum genetrix Cretaea carpit ab Ida, puberibus caulem foliis et flore comantem purpureo ; non illa feris incognita capris |
s'élève le cri douloureux des jeunes gens, victimes de Mars le cruel.
Alors Vénus, émue par la souffrance imméritée de son fils, en bonne mère, va cueillir sur l'Ida de Crète une tige de dictame, garnie de feuilles tendres et coiffée de fleurs de pourpre ; cette plante n'est pas inconnue des chèvres sauvages, |
12, 410 |
gramina, cum tergo uolucres haesere sagittae : hoc Venus, obscuro faciem circumdata nimbo, detulit ; hoc fusum labris splendentibus amnem inficit occulte medicans spargitque salubris ambrosiae sucos et odoriferam panaceam. |
lorsque une flèche agile s'est plantée dans leur échine. C'est l'herbe apportée par Vénus qui s'est cachée au sein d'un nuage ; dans un bassin splendide, elle la fait infuser et la traite secrètement en y répandant les sucs bénéfiques de l'ambroisie et l'odorante panacée. |
12, 415 |
Fouit ea uolnus lympha longaeuus Iapyx ignorans, subitoque omnis de corpore fugit quippe dolor, omnis stetit imo uolnere sanguis ; iamque secuta manum nullo cogente sagitta excidit, atque nouae rediere in pristina uires. |
Le vieux Iapyx a soigné la blessure avec cette eau, sans rien savoir et, soudain, la douleur a quitté le corps ; le sang au fond de la blessure a cessé de couler ; bientôt la flèche tombe d'elle-même, sous la main de Iapyx ; et Énée a retrouvé de nouvelles forces, ses forces premières. |
12, 420 |
« Arma citi properate uiro ! Quid statis ? » Iapyx conclamat primusque animos accendit in hostem. « Non haec humanis opibus, non arte magistra proueniunt neque te, Aenea, mea dextera seruat : maior agit deus atque opera ad maiora remittit. » |
« Vite, préparez les armes du héros ! Pourquoi restez-vous là ? » crie Iapyx, le premier à enflammer les esprits contre l'ennemi. « Cette guérison n'est pas le fait de pouvoirs humains, ni de l'art d'un maître ; ô Énée, ce n'est pas ma main qui te sauve : c'est un grand dieu, qui te destine à de plus grandes oeuvres. » |
12, 425 |
Énée à la recherche de Turnus (12, 430-467)
Stimulé par Iapyx, Énée s'empresse de revêtir ses armes et, après quelques conseils moraux à Ascagne, il quitte le camp, suivi de son armée. Tous s'avancent dans la plaine, épouvantant leurs ennemis. (12, 430-457)
Des combats s'engagent, mortels pour les hommes de Turnus en débandade, tandis qu'Énée cherche toujours à affronter son adversaire en combat singulier. (12, 458-467)
Ille auidus pugnae suras incluserat auro hinc atque hinc oditque moras hastamque coruscat. Postquam habilis lateri clipeus loricaque tergo est, Ascanium fusis circum complectitur armis summaque per galeam delibans oscula fatur : |
Énée, avide de combattre, avait serré ses deux jambes dans leurs gaines d'or ; maudissant tout retard, il brandit son épée ; habilement il adapte le bouclier à son flanc et endosse sa cuirasse puis, bardé de toutes ses armes, il serre Ascagne dans ses bras, et l'effleure de petits baisers, sous son casque, en disant : |
12, 430 |
« Disce, puer, uirtutem ex me uerumque laborem, fortunam ex aliis. Nunc te mea dextera bello defensum dabit et magna inter praemia ducet. Tu facito, mox cum matura adoleuerit aetas, sis memor, et te animo repetentem exempla tuorum |
« Mon fils, apprends de moi ce que sont le courage et l'effort vrai, des autres, apprends ce qu'est la chance. Maintenant, en guerroyant mon bras assurera ta défense et te mènera à de grands succès. Toi, lorsque bientôt tu atteindras ta maturité, veille à t'en souvenir, et, lorsque en pensée tu évoqueras les exemples des tiens, |
12, 435 |
et pater Aeneas et auunculus excitet Hector. » Haec ubi dicta dedit, portis sese extulit ingens, telum immane manu quatiens ; simul agmine denso Antheusque Mnestheusque ruunt omnisque relictis turba fluit castris : tum caeco puluere campus |
que ton père Énée et ton oncle Hector stimulent ton courage ». Sur ces paroles, s'éloignant des portes, il s'avance, très grand, agitant de la main une énorme pique ; en même temps, Anthée et Mnesthée se précipitent et, du camp délaissé, la foule afflue en rangs serrés. Une sombre poussière dérobe la plaine aux regards |
12, 440 |
miscetur pulsuque pedum tremit excita tellus. Vidit ab aduerso uenientis aggere Turnus, uidere Ausonii, gelidusque per ima cucurrit ossa tremor : prima ante omnis Iuturna Latinos audiit adgnouitque sonum et tremefacta refugit. |
et la terre tremble, ébranlée par le martèlement des pas. Du retranchement opposé, Turnus les voit arriver ; les Ausoniens les voient aussi et un frisson glacé les parcourt jusqu'à la moelle. Avant tous les Latins, Juturne la première entend et reconnaît ce bruit ; elle s'enfuit toute tremblante. De son côté, Énée vole, |
12, 445 |
Ille uolat campoque atrum rapit agmen aperto. Qualis ubi ad terras abrupto sidere nimbus it mare per medium ; miseris heu praescia longe horrescunt corda agricolis, dabit ille ruinas arboribus stragemque satis, ruet omnia late ; |
entraînant son sombre bataillon à travers la plaine dégagée. Ainsi, lorsqu'un nuage de pluie en voilant le soleil traverse la mer et gagne les terres, les infortunés laboureurs, hélas, de loin pressentent l'ouragan et leurs coeurs frémissent : il va déraciner les arbres, ruiner les moissons, dévaster tout sur un large espace ; |
12, 450 |
ante uolant sonitumque ferunt ad litora uenti : talis in aduersos ductor Rhoeteius hostis agmen agit, densi cuneis se quisque coactis adglomerant. Ferit ense grauem Thymbraeus Osirim, Archetium Mnestheus, Epulonem obtruncat Achates |
les vents le précèdent et font grand bruit près du rivage ; c'est ainsi que le chef rhétéen dirige son armée face aux ennemis, les triangles se forment et tous s'assemblent en rangs serrés. Thymbrée, d'un coup d'épée, frappe le pesant Osiris, |
12, 455 |
Vfentemque Gyas ; cadit ipse Tolumnius augur, primus in aduersos telum qui torserat hostis. Tollitur in caelum clamor, uersique uicissim puluerulenta fuga Rutuli dant terga per agros. Ipse neque auersos dignatur sternere Morti |
et Gyas abat Ufens ; Tolumnius l'augure tombe aussi, lui qui fut le premier à lancer un trait contre les ennemis. Un cri monte vers le ciel, et les Rutules, chassés à leur tour, tournent le dos ; couverts de poussière, ils fuient à travers champs. Énée ne juge pas digne d'envoyer à la mort des fuyards : |
12, 460 |
nec pede congressos aequo nec tela ferentis insequitur : solum densa in caligine Turnum uestigat lustrans, solum in certamina poscit. |
il ne poursuit pas ceux qui l'attendent de pied ferme, ni les lanceurs de traits ; le seul qu'il cherche dans l'obscure mêlée, partout, c'est Turnus, lui seul qu'il appelle au combat. |
12, 465 |
Juturne protège Turnus (12, 468-493)
Juturne se substitue à Métiscus, le cocher de son frère, dont elle prend les traits, et fait tourner le char en tous sens, donnant l'impression que Turnus est vainqueur ; mais en réalité elle veut le soustraire au combat. Énée, abusé un moment, poursuit le char et, tandis qu'il hésite sur la conduite à suivre, il évite de justesse une flèche traîtreusement lancée par Messapus. (12, 468-493)
Hoc concussa metu mentem Iuturna uirago aurigam Turni media inter lora Metiscum |
Cette menace effrayante agite l'esprit de la guerrière Juturne, qui renverse Métiscus, le cocher de Turnus, empêtré |
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excutit et longe lapsum temone relinquit : ipsa subit manibusque undantis flectit habenas, cuncta gerens, uocemque et corpus et arma Metisci. Nigra uelut magnas domini cum diuitis aedes peruolat et pennis alta atria lustrat hirundo, |
dans ses rênes ; il tombe loin du timon et elle le laisse là , prend sa place, saisit et manoeuvre les brides flottantes, empruntant tout à Métiscus, sa voix, son corps et ses armes Comme la noire hirondelle survolant la vaste demeure d'un riche propriétaire, observant dans son vol les hautes salles, |
12, 470 |
pabula parua legens nidisque loquacibus escas, et nunc porticibus uacuis, nunc umida circum stagna sonat : similis medios Iuturna per hostis fertur equis rapidoque uolans obit omnia curru iamque hic germanum iamque hic ostentat ouantem |
recueillant de petites proies pour nourrir sa bavarde nichée, et faisant entendre ses gazouillis tantôt près des portiques déserts, tantôt près des frais étangs, telle est Juturne parmi ses ennemis, emportée par les chevaux, volant partout sur son char rapide ; tantôt ici, tantôt là, elle veut faire croire que son frère triomphe |
12, 475 |
nec conferre manum patitur, uolat auia longe.
Haud minus Aeneas tortos legit obuius orbes uestigatque uirum et disiecta per agmina magna uoce uocat. Quotiens oculos coniecit in hostem alipedumque fugam cursu temptauit equorum, |
et, sans le laisser engager le combat, elle vole au loin, égarée.
Énée pourtant choisit de suivre ces détours tortueux pour le rencontrer, il le cherche et parmi les troupes en débandade l'appelle à haute voix. Chaque fois qu'il aperçoit son ennemi et tente de rejoindre à la course les chevaux ailés en fuite, |
12, 480 |
auersos totiens currus Iuturna retorsit. Heu quid agat ? Vario nequiquam fluctuat aestu, diuersaeque uocant animum in contraria curae.
Huic Messapus, uti laeua duo forte gerebat lenta leuis cursu praefixa hastilia ferro, |
chaque fois Juturne change de direction et fait volte-face. Hélas ! Que faire ? Énée hésite devant ces mouvements divers, tandis que des soucis agitent son esprit dans des sens opposés.
Rapide à la course, Messapus qui, de la main gauche tenait deux souples javelots munis d'une pointe de fer, |
12, 485 |
horum unum certo contorquens dirigit ictu. Substitit Aeneas et se collegit in arma, poplite subsidens ; apicem tamen incita summum hasta tulit summasque excussit uertice cristas. |
en fait tournoyer un et d'un geste sûr le dirige contre Énée. Celui-ci s'est arrêté et s'est ramassé derrière ses armes, genoux pliés ; mais le trait lancé a emporté le sommet de son casque et a fait tomber du cimier ses hautes aigrettes. |
12, 490 |
Énée se déchaîne. Massacre effroyable (12, 494-553)
Cette nouvelle violation du pacte irrite Énée qui finalement rejoint la mêlée, où il donne libre cours à sa fureur guerrière, ce que ponctue une invocation aux dieux, annonciatrice de nombreux massacres. (12, 494-504)
Les deux héros se déchaînent comme des torrents dévastateurs, semant partout la mort. Bref, dans les deux camps, les guerriers s'affrontent de toutes leurs forces. (12, 505-553)
Tum uero adsurgunt irae ; insidiisque subactus, | Mais alors la colère d'Énée éclate ; la traîtrise l'exaspère, | |
diuersos ubi sensit equos currumque referri, multa Iouem et laesi testatus foederis aras iam tandem inuadit medios et Marte secundo terribilis saeuam nullo discrimine caedem suscitat irarumque omnis effundit habenas.
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quand il voit les chevaux et le char se dérober ; longuement, il prend Jupiter et les autels à témoin de la violation du traité, puis finalement rejoint la mêlée où, grâce à l'appui de Mars, il s'est livré, terrifiant, à un massacre sauvage, aveugle, ayant lâché complètement la bride à ses fureurs.
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12, 495 |
Quis mihi nunc tot acerba deus, quis carmine caedes diuersas obitumque ducum, quos aequore toto inque uicem nunc Turnus agit, nunc Troius heros, expediat ? Tanton placuit concurrere motu. Iuppiter, aeterna gentis in pace futuras ?
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Quel dieu pourrait m'expliquer maintenant tant d'atrocités, qui pourrait dire dans un poème les massacres et la mort des chefs accomplis tour à tour par Turnus et le héros troyen dans toute la plaine ? As-tu donc décidé de voir se heurter avec tant de passion, ô Jupiter, des peuples destinés à vivre dans une paix éternelle ? |
12, 500 |
Aeneas Rutulum Sucronem, ea prima ruentis pugna loco statuit Teucros, haud multa morantem excipit in latus et, qua fata celerrima, crudum transadigit costas et cratis pectoris ensem. Turnus equo deiectum Amycum fratremque Dioren, |
Énée surprend Sucron le Rutule – ce premier combat a figé sur place l'offensive des Teucères –, mais Sucron ne le retient pas longtemps : il l'a atteint au flanc et, à l'endroit où la mort survient le plus vite, à travers les côtes et la cage thoracique, il enfonce son épée sanglante. Turnus, à pied, s'avance vers Amycus, tombé de son cheval, |
12, 505 |
congressus pedes, hunc uenientem cuspide longa, hunc mucrone ferit curruque abscisa duorum suspendit capita et rorantia sanguine portat. Ille Talon Tanaimque neci fortemque Cethegum, tris uno congressu, et maestum mittit Oniten, |
et vers son frère Diorès venant vers lui : il le frappe de sa longue pique, puis de son épée tranchante il frappe l'autre ; il suspend à son char leurs deux têtes tranchées, qu'il emporte toutes dégoulinantes de sang. Il envoie ensuite à la mort Talon et Tanaïs, et le vaillant Céthégus, tous trois en un même assaut, et aussi le triste Onitès, |
12, 510 |
nomen Echionium matrisque genus Peridiae, hic fratres Lycia missos et Apollinis agris et iuuenem exosum nequiquam bella Menoeten, Arcada, piscosae cui circum flumina Lernae ars fuerat pauperque domus nec nota potentum |
qui avait pour père Échion et pour mère Péridia. Turnus abat des frères venus de Lycie et des champs d'Apollon, et le jeune Ménétès qui en vain avait les guerres en horreur : Arcadien, il avait exercé son métier près de Lerne la poissonneuse, il occupait une pauvre maison et ignorait les charges des puissants, |
12, 515 |
munera conductaque pater tellure serebat. Ac uelut immissi diuersis partibus ignes arentem in siluam et uirgulta sonantia lauro, aut ubi decursu rapido de montibus altis dant sonitum spumosi amnes et in aequora currunt |
tandis que son père cultivait une terre de louage. Et tels des feux boutés en divers endroits qui gagnent la forêt desséchée et les buissons de laurier crépitants, ou tels les fleuves écumants qui dévalent à toute allure du sommet des monts et courent à grand bruit vers la plaine, |
12, 520 |
quisque suum populatus iter : non segnius ambo Aeneas Turnusque ruunt per proelia ; nunc nunc fluctuat ira intus, rumpuntur nescia uinci pectora, nunc totis in uolnera uiribus itur. Murranum hic, atauos et auorum antiqua sonantem |
dévastant tout sur leur passage : avec une égale violence, les deux héros, Énée et Turnus, se ruent au milieu des combats ; en ce moment, la colère bouillonne en eux, leurs coeurs indomptables se brisent ; en ce moment on s'avance pour frapper de toute sa force. Voici Murranus, claironnant les noms antiques de ses ancêtres, |
12, 525 |
nomina per regesque actum genus omne Latinos, praecipitem scopulo atque ingentis turbine saxi excutit effunditque solo : hunc lora et iuga subter prouoluere rotae, crebro super ungula pulsu incita nec domini memorum proculcat equorum. |
de ses aïeux et de toute sa lignée, constituée de rois latins ; avec un énorme roc qu'il fait tournoyer, Énée le fait tomber tête en avant et l'étend sur le sol ; empêtré dans les rênes et l'attelage, il roule sous les roues de son char et, de leurs sabots excités les chevaux, qui ont oublié leur maître, le piétinent à coups répétés. |
12, 530 |
Ille ruenti Hyllo animisque immane frementi occurrit telumque aurata ad tempora torquet : olli per galeam fixo stetit hasta cerebro. Dextera nec tua te, Graium fortissime Cretheu eripuit Turno. Nec di texere Cupencum |
Hyllus se rue tout bouillant de rage et Turnus, lui faisant face, brandit un javelot qu'il lance vers ses tempes parées d'or : la pointe traverse son casque et va se ficher dans sa cervelle. Et toi Créthée, le plus vaillant des Grecs, ta main ne t'a pas soustrait à Turnus ; les dieux n'ont pas protégé non plus leur dévot Cupencus |
12, 535 |
Aenea ueniente sui : dedit obuia ferro pectora, nec misero clipei mora profuit aerei. Te quoque Laurentes uiderunt, Aeole, campi oppetere et late terram consternere tergo Occidis, Argiuae quem non potuere phalanges |
lorsque arrive Énée : le malheureux a présenté sa poitrine au fer, et son bouclier de bronze n'a pas servi à retarder sa mort. Toi aussi, Éolus, les plaines des Laurentes t'ont vu affronter la mort et couvrir de ton dos une large étendue de terre. Tu tombes, toi que n'ont pu abattre ni les phalanges argiennes, |
12, 540 |
sternere nec Priami regnorum euersor Achilles ; hic tibi mortis erant metae : domus alta sub Ida, Lyrnesi domus alta, solo Laurente sepulchrum.
Totae adeo conuersae acies, omnesque Latini, omnes Dardanidae, Mnestheus acerque Serestus |
ni Achille, le destructeur des royaumes de Priam ; pour toi, ici étaient les bornes de la mort : une fière demeure au pied de l'Ida, une haute demeure à Lyrnesse et un tombeau sur le sol laurente.
Ainsi, les armées sont tout entières engagées, tous les Latins, tous les Dardaniens, Mnesthée et le dur Séreste, |
12, 545 |
et Messapus equum domitor et fortis Asilas Tuscorumque phalanx Euandrique Arcades alae, pro se quisque uiri summa nituntur opum ui : nec mora nec requies, uasto certamine tendunt. |
et Messapus le dompteur de chevaux, et le vaillant Asilas, et la phalange des Étrusques, et les troupes arcadiennes d'Évandre ; chacun puise en ses propres ressources, avec une suprême énergie ; sans délai ni relâche, tous rivalisent en un vaste combat. |
12, 550 |
Notes (12, 383-553)
Mnesthée... Achate (12, 384). Mnesthée est un guerrier troyen très régulièrement cité (première mention en 4, 288 ; cfr par exemple 9, 171). Achate, compagnon d'Énée, lui aussi régulièrement cité (première mention en 1, 120 ; cfr par exemple 8, 466), est souvent qualifié de « fidèle ».
furieux (12, 387). La réaction d'Énée est la réaction typique du guerrier homérique : violente colère de se voir éloigné du combat et impatience d'y retourner (cfr 12, 388).
qu'on le renvoie au combat (12, 390). « Il n'est pas rare, dans l'Iliade, qu'un blessé demande ou reçoive l'assistance d'un compagnon pour l'extraction d'une pointe de flèche ou de lance (Iliade, 4, 127-222 ; 5, 660-698 ; 11, 828-848). Mais ce n'est jamais, ce semble, dans l'intention de reprendre aussitôt le combat » (J. Perret, Virgile. Énéide, III, 1980, p. 139, n. 1).
Iapyx, le Iaside (12, 391). Pour Pline (3, 102), un fils de Dédale, appelé Iapyx, aurait donné son nom à une région (Iapygie) et à un fleuve (Iapyx), mais comme l'a noté Servius, les noms de Iapyx et de Iasus ou Iasius évoquent le verbe grec iasthai qui veut dire « guérir ». Selon M. Rat, les contemporains ont voulu reconnaître en Iapyx, dont le poète fait ici l'éloge, Antonius Musa, le médecin d'Auguste, et aussi celui de Virgile et d'Horace. Palinure, en 5, 843, est présenté comme fils d'Iasus (Iasides). Peut-être l'ancêtre visé ainsi est-il Iasion / Iasius, le frère de Dardanus.
Phébus... Apollon (12, 391-400). Phébus Apollon n'était pas seulement le dieu de la médecine (père et maître d'Esculape) ; il patronnait aussi la musique (Apollon citharède), la prophétie (Apollon delphien), les archers (Apollon qui lance au loin ses flèches). Il avait proposé à son favori ses dons les plus précieux (prophétie, musique, habileté d'archer), mais Iapyx avait préféré apprendre de lui l'art de guérir. Comme le note J. Perret (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 140, n. 1), le fait qu'Iapyx soit vieux « rend particulièrement touchant le rappel des circonstances où il a reçu d'Apollon les secrets de son art ».
son père mourant (12, 395). L'usage, dit Servius, était de déposer devant leurs portes les malades dont on désespérait, soit pour qu'ils rendissent le dernier soupir à la Terre Mère, soit pour que les passants puissent éventuellement indiquer un remède (M. Rat).
talents sans éclat (12, 397). La médecine fut longtemps exercée à Rome par des affranchis d'origine grecque ou asiatique. Mais on pourrait aussi traduire, avec J. Perret, « des arts silencieux », car, note le savant français (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 139, n. 3), « un chirurgien ne parle pas ; les médecins d'Homère non plus ».
Péon (12, 401). Péon (ou Paeon, Paean) est le médecin des dieux qui, avec des plantes, guérit notamment Pluton blessé par Hercule et Mars blessé par Diomède (cfr Iliade, 5, 401 et 899). Il est parfois confondu avec Apollon et avec Esculape. L'expression utilisée ici (à la manière de Péon) peut simplement vouloir dire : « à la manière d'un médecin », qui retrousse sa robe pour être plus libre de ses mouvements.
se dresser un nuage de poussière (12, 408). La traduction littérale est « on voit le ciel se tenir droit de poussière ». L' image vient d'Homère (Iliade, 23, 365) et a été également utilisée par Ennius (Annales, 592).
Ida de Crète... dictame (12, 412). Le dictame était une herbe poussant dans le massif de l'Ida en Crète, sur le mont Dicté, ce qui lui valut son nom de dictame. Elle avait la propriété de faire tomber les traits qui avaient pénétré dans le corps. Le mot s'applique encore aujourd'hui en botanique à une espèce de rutacées fortement aromatiques.
les chèvres sauvages (12, 414-415). Le détail est évoqué aussi par Cicéron (De la nature des dieux, 2, 50, 126), et par Pline (Histoire naturelle, 8, 41, 97 et 25, 53, 92).
ambroisie... panacée (12, 419). L'ambroisie, liqueur mythologique, de composition incertaine (sans doute à base de miel), est à la fois un parfum et un aliment. Dans les poèmes homériques, les divinités l'utilisent pour rendre incorruptibles et même immortels les corps des héros ; les héros et leurs coursiers divins s'en servent pour se nourrir. La panacée est une plante mythologique, à l'odeur âcre et forte, qui passait pour guérir tous les maux d'où son nom (le mot grec veut dire « remède universel »). Certaines légendes rapportent que l'usage en fut trouvé par Hercule et enseigné par lui aux Thessaliens, pour se prémunir contre les poisons ; d'autres en attribuent la trouvaille au Centaure Chiron ou à Esculape (M. Rat).
de plus grandes oeuvres (12, 429). Iapyx parle en prophète, évoquant la grandeur future de l'oeuvre d'Énée.
gaines d'or (12, 430-431). Les jambières d'Énée avaient été fabriquées par Vulcain, comme tout le reste de son équipement.
Mon fils (12, 435-440). La situation rappelle d'assez loin la scène homérique (Iliade, 6, 476-481) des adieux d'Hector à Andromaque, sa femme, et à Astynanax, son fils, au moment où le héros part pour la bataille. Astyanax a peur du casque de son père, qui l'enlèvera. Il est d'ailleurs question d'Hector en 12, 440. Quant aux paroles d'Énée, elles font penser à celles qu'adresse Ajax à son fils chez Sophocle (Ajax, 550-551) : « Sois seulement, mon fils, plus heureux que ton père ; ressemble-lui pour tout le reste, et tu n'auras rien d'un vilain » (trad. P. Mazon, Budé).
ton oncle Hector (12, 440). Créuse, l'épouse troyenne d'Énée, était la sur d'Hector.
Anthée et Mnesthée (12, 443). Anthée, compagnon d'Énée, est cité ici et, à deux reprises, au début de l'Énéide (1, 181 et 1, 510). Mnesthée, lui, est beaucoup plus souvent mentionné (par exemple 9, 171 et, dans le présent livre, 12, 127 et 12, 384).
Ausoniens (12, 447). C'est-à-dire les Italiens, les alliés de Turnus.
Juturne (12, 448). Le rôle de la soeur de Turnus (cfr 12, 146) va devenir très important au fil du chant 12.
Ainsi (12, 451-455). La comparaison, inspirée d'Homère (Iliade, 4, 275-279), avait déjà été exploitée par Lucrèce (6, 431ss). Plus haut dans le chant (12, 331-336), Virgile avait, dans une comparaison, décrit Turnus ; Énée devient ici aussi effrayant que son adversaire.
le chef rhétéen (12, 456). C'est Énée, le chef troyen, le cap Rhétée étant un promontoire de la Troade.
Thymbrée etc. (12, 458-460). Troyens (Thymbrée, Mnesthée, Achate, Gyas) qui massacrent chacun un ennemi latin ou rutule (Osiris, Archétius, Épulon, Ufens). Certains ne sont mentionnés qu'une fois dans l'Énéide, d'autres sont des vedettes. On n'insistera pas davantage.
Tolumnius (12, 460-461). Voir plus haut 12, 258-266. Les vers 12, 461 et 12, 266 se correspondent en partie.
Cette menace (12, 468). Juturne craint pour la vie de son frère.
Métiscus (12, 469). Le Rutule Métiscus, qui conduit le char de Turnus, sera cité à plusieurs reprises dans le chant 12 (623, 737, 784). On ne le trouve pas avant Virgile. L'épisode évoqué ici est inspiré d'Homère (Iliade, 5, 835-838), où Athéna prend la place de Sthénélus, le cocher de Diomède.
Comme la noire hirondelle (12, 473-477). La comparaison avec l'hirondelle n'est pas homérique, et pourrait bien être une création virgilienne.
vole au loin, égarée (12, 480). Énée combat à pied alors que Turnus est en char.
Messapus (12, 485). Un guerrier italien souvent cité. Voir par exemple 12, 128 et 12, 289-294.
ramassé derrière ses armes (12, 491). Littéralement « se ramassa sur les armes », c'est-à-dire s'accroupit derrière son bouclier.
et finalement a rejoint la mêlée (11, 497-499). Pendant longtemps, Énée avait tenté de sauver l'esprit de l'accord précédemment conclu, en cherchant partout (et exclusivement ) Turnus pour le combattre en duel. Mais maintenant il cède à la fureur du combat et va se mettre à attaquer indistinctement. Il ne se possède plus : la colère et la fureur ont complètement pris possession de lui.
Quel dieu (12, 500-504). Cette invocation aux dieux par le poète annonce bien le caractère atroce des combats qui vont suivre.
des peuples destinés à vivre (12, 505). La formule annonce la fin du poème et l'entretien décisif entre Jupiter et Junon (12, 791-842), laquelle consentira finalement à la fusion étroite des Troyens et des Italiens.
Sucron (12, 505). Le Rutule Sucron n'est pas nommé ailleurs.
Amycus (12, 509). Amycus, guerrier troyen, déjà nommé aux livres 1, 221 ; 9, 772 et 10, 704, ne doit pas être confondu avec Amycus le Bébryce (5, 373).
Diorès (12, 510). Diorès apparaît plusieurs fois au livre 5 (297, 324, 339, 345).
suspend à son char (12, 511). « Caractérisation des moeurs sauvages de l'Italie prétroyenne, plutôt qu'illustration de la fureur de Turnus » (J. Perret).
Talon... Tanaïs... Céthégus (12, 513-514). Ces trois guerriers rutules ne sont mentionnés qu'ici dans l'Énéide.
Onitès... Échion... Péridia (12, 514-515). Onitès est mentionné seulement ici, de même d'ailleurs que son père Échion et sa mère Péridia. On ne connaît pas l'origine de sa tristesse. Les trois noms se rencontrent dans la mythologie grecque.
les frères envoyés de Lycie... champs d'Apollon (12, 516). Il s'agit de Clarus et de Thémon, guerriers troyens, frères de Sarpédon, qui avaient déjà été présentés en 10, 126. Ils étaient originaires de Lycie. Apollon avait à Patare, une des villes importantes de ce pays, un temple célèbre, où, pendant les six mois de la saison froide, il rendait des oracles.
Ménétès (12, 517-520). Ménètes est un guerrier arcadien, qui n'est mentionné qu'ici, et qu'il ne faut pas confondre avec le pilote jeté à l'eau par Gyas au livre 5 (5, 161-182).
Lerne (12, 518). Lerne, en Argolide, est surtout célèbre parce qu'Hercule y tua l'hydre, un serpent monstrueux à sept têtes qui repoussaient à mesure qu'on les coupait (cfr 6, 287 ; 6, 803 ; 8, 300). L'Argolide est proche de l'Arcadie.
tels les fleuves écumants (12, 521-528). La comparaison peut être partiellement inspirée d'Homère (Iliade, 4, 452-455 ; 11, 492-495 ; 16, 391-392) ; on peut aussi rapprocher ce passage de Énéide, 2, 304-308.
Murranus (12, 529-530). Murranus, guerrier latin, ami intime de Turnus (voir 12, 639), n'intervient qu'ici dans l'Énéide. Nous n'avons pas d'informations sur cette lignée de rois du Latium.
Hyllus (12, 535-538). Guerrier troyen, cité uniquement ici ; le casque de Turnus aussi était doré (9, 50).
Créthée (12, 538). Créthée, guerrier arcadien, à ne pas confondre avec son homonyme, tué lui aussi par Turnus (9, 774).
Cupencus (12, 539). Guerrier rutule, cité uniquement ici. Selon Servius cupencus signifierait en sabin « prêtre ». C'est peut-être ce qui a inspiré Virgile dans ce passage.
Éolus... phalanges argiennes... Achille... Ida... Lyrnesse... (12, 542-547). Éolus, guerrier troyen, mentionné ici seulement, porte une nom inspiré d'Éole, le dieu des vents. S'il faut en croire la biographie que lui donne Virgile, pendant la guerre de Troie, il avait échappé aux phalanges argiennes, c'est-à-dire grecques, et à Achille, qui passait pour le plus vaillant des Grecs.Il est mort en terre étrangère, loin de sa patrie, la Troade. Le mont Ida, dont il a déjà été question plus haut (2, 696, et 3, 5), surplombait Troie, et Lyrnesse, qu'Homère mentionne plusieurs fois (c'est là qu'Achille enleva Briséis), était une ville de Troade, au sud du mont Ida (cfr 10, 128). On notera, avec J. Perret (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 146, n. 1), les « effets de contraste entre l'humilité du pays laurente et les images glorieuses liées à l'Ida et à Lyrnesse ».
Mnesthée... Séreste (12, 549-550). Mnesthée (cfr 12, 127 et passim), ainsi que Séreste (1, 611 ; 4, 288 ; 5, 487 ; 9, 171, 779 ; 10, 541) ; sont des héros troyens souvent nommés.
Messapus (12, 550). Pour l'italien Messapus, souvent nommé, voir par exemple 12, 128.
Asilas (12, 550). On rencontre plusieurs guerriers de ce nom dans l'Énéide, un Étrusque (10, 175), un Rutule (9, 571) et un Troyen (11, 620), avec lequel se confond probablement l'Asilas mentionné ici et en 12, 127.
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