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Tite-Live: Encyclopédie livienne - Plan de l'Histoire romaine - Hypertexte louvaniste

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Tite-Live - Histoire Romaine 

 

Livre XXIX : Les événements des années 205 et 204 a.C.n.

 

1ère partie: [29,1 à 9] Préparatifs en vue du débarquement en Afrique (205)

2ème partie: [29,10 à 22] Situation à Rome (204)


 

Chapitres

 

[I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X]

[XI] [XII] [XIII] [XIV] [XV] [XVI] [XVII] [XVIII] [XIX] [XX]

[XXI] [XXII]

[XXIII à XXXVIII]


Plan

  • 1ère partie: [29,1 à 9] Préparatifs en vue du débarquement en Afrique (205)
  • 2ème partie: [29,10 à 22] Situation à Rome (204)
  • 3ème partie: [29, 23 à 38] Débarquement de Scipion en Afrique (204)

 

Crédits

Tite-Live. Histoire romaine. Tome sixième. Traduction nouvelle de Eugène Lasserre, Paris, 1949. La traduction de E. Lasserre a parfois été très légèrement modifiée. Quant aux intertitres, ils ont été repris à A. Flobert, Tite-Live. La Seconde Guerre Punique. II. Histoire romaine. Livres XXVI à XXX, Paris, 1994 (Garnier- Flammarion - GF 940).


1ère partie: [29,1 à 9] Préparatifs en vue du débarquement en Afrique (205)

 

[29,1] Arrivée de Scipion en Sicile (début de l'été 205). Reprise de la guerre en Espagne

(1) Scipion, arrivé en Sicile, classa et répartit en centuries ses volontaires. (2) Mais il en retenait auprès de lui trois cents, dans la fleur de l'âge et de la force, sans les armer, sans leur apprendre pour quel emploi il les gardait, hors des centuries et sans armes. (3) Puis, parmi tous les mobilisables de Sicile, il choisit les plus remarquables par leur noblesse et leur situation, trois cents chevaliers, pour qu'ils passent avec lui en Afrique, et leur fixe un jour pour paraître devant lui complètement équipés, avec chevaux et armes. (4) Bien pénible paraissait à ces Siciliens cette expédition loin de chez eux, et propre à leur causer beaucoup de fatigues, beaucoup de dangers; et ce n'était pas eux seuls, mais leurs parents et leurs familles que le souci angoissait. (5) Au jour fixé, ils présentèrent leurs armes et leurs chevaux. Scipion dit alors qu'on lui rapportait que certains chevaliers Siciliens redoutaient cette campagne comme pénible et dure; (6) ceux (s'il y en avait) qui éprouvaient de tels sentiments, il aimait mieux, ajouta-t-il, les voir l'avouer tout de suite que se plaindre plus tard, soldats mous et inutiles à l'État. Ils devaient dire ce qu'ils pensaient; il les écouterait avec indulgence.

(7) Quand l'un d'eux eut osé déclarer que pour lui, s'il était libre de choisir, il ne désirait pas du tout faire campagne, Scipion lui dit: (8) "Eh bien donc, jeune homme, puisque tu n'as pas caché ton sentiment, je te fournirai un remplaçant pour que tu lui remettes tes armes, ton cheval, que tu l'emmènes aussitôt chez toi, que tu l'entraînes et que tu lui fasses apprendre l'équitation et l'escrime". (9) Le Sicilien acceptant avec joie ces conditions, Scipion lui donne un des trois cents jeunes gens qu'il gardait sans armes. Quand les autres chevaliers Siciliens virent celui-ci exempté ainsi de bonne grâce, par le général, chacun de s'excuser et d'accepter un remplaçant. (10) De cette façon, aux trois cents Siciliens furent substitués des cavaliers romains, sans aucuns frais pour l'État; et les Siciliens prirent soin de les instruire et de les entraîner, un édit du général déclarant que qui ne l'aurait pas fait servirait lui-même. (11) Excellent devint, dit-on, cet escadron, et en bien des combats il rendit service à l'État.

(12) Puis, passant en revue les légions, Scipion y choisit les soldats qui comptaient le plus d'années de campagnes, surtout ceux qui avaient servi sous Marcellus, (13) les jugeant les mieux instruits et surtout, après le long siège de Syracuse, les plus habiles dans l'attaque des places; car il pensait non à quelque projet mesquin, mais, dès ce moment, à la ruine de Carthage. (14) Ensuite il répartit ses troupes dans les villes; il exige du blé des cités siciliennes, épargne celui qu'on apporte d'Italie; il répare les vieux bateaux et envoie, avec eux, Caius Laelius piller l'Afrique; les bateaux neufs, il les tire à terre à Panorme - ils avaient été fabriqués, en hâte, avec du bois vert - pour qu'ils passent l'hiver à sec.

(15) Tout étant préparé pour la guerre, il alla à Syracuse, qui, à la suite des grands troubles de la guerre, n'était pas encore très tranquille. (16) Des Grecs du pays réclamaient à certains Italiens les propriétés qu'ils retenaient par la force, comme ils les avaient prises pendant la guerre, quoique le sénat en eût accordé la restitution. (17) Pensant qu'il fallait avant tout faire respecter la foi publique, Scipion, d'abord par un édit, puis par des jugements rendus contre ceux qui s'obstinaient à maintenir leurs injustices, rendit leurs propriétés aux Syracusains. (18) Ce n'est pas à eux seuls, mais à tous les peuples de Sicile que ces mesures inspirèrent de la gratitude, et ils n'en firent que plus d'efforts afin d'aider Scipion pour son expédition.

(19) Le même été, en Espagne, commença une grande guerre, provoquée par l'Ilergète Indibilis, pour la seule raison que, par admiration pour Scipion, il s'était mis à mépriser les autres généraux romains. (20) Scipion était, croyait-il, le seul chef qui restât aux Romains, tous les autres ayant été tués par Hannibal; aussi, après la mort des Scipions, ils n'avaient eu que lui à envoyer en Espagne, et, depuis qu'en Italie une guerre plus dangereuse les pressait, ils l'y avaient appelé contre Hannibal. (21). Outre qu'en Espagne les Romains n'avaient des généraux que de nom, ils en avaient retiré aussi leurs vieilles troupes; (22) tout n'y était maintenant que désordre, foule confuse de conscrits: on n'aurait jamais, pensait-il, une telle occasion de délivrer l'Espagne. (23) On y avait servi jusqu'ici ou les Carthaginois, ou les Romains, et non pas tour à tour, mais, par moments, les deux à la fois; (24) les Romains en avaient chassé les Carthaginois; les Espagnols, s'ils se mettaient d'accord, pouvaient en chasser les Romains, de façon que, délivrée à jamais de tout pouvoir étranger, l'Espagne revînt aux moeurs et aux usages de ses pères.

(25) Par ces propos et d'autres semblables, il soulève non seulement ses compatriotes, mais aussi les Ausetani, nation voisine, et d'autres peuples limitrophes des uns et des autres. (26) Aussi, en quelques jours, trente mille fantassins, quatre mille cavaliers environ, se réunirent-ils sur le territoire des Sedetani, comme on le leur avait indiqué.

[Début]

 

[29,2] Défaite et mort d'Indibilis

(1) De leur côté, les généraux romains Lucius Lentulus et Lucius Manlius Acidinus, craignant, s'ils négligeaient les premiers signes de la guerre, de la voir s'étendre, (2) réunirent eux aussi leurs armées, et, traversant avec leurs soldats le territoire des Ausetani, en le traitant, quoiqu'il fût hostile, comme un territoire pacifié, avec douceur, arrivèrent là où l'ennemi s'était installé, et établirent leur camp à trois milles du sien. (3) Ils firent d'abord, en envoyant des parlementaires, une vaine tentative pour décider les Espagnols à déposer les armes; puis, les fourrageurs romains ayant été soudain chargés par des cavaliers espagnols, et la cavalerie romaine lancée, de ses lignes, au secours des siens, il y eut un combat de cavalerie dont l'issue n'eut rien de mémorable pour personne.

(4) Au lever du soleil, le lendemain, tous les Espagnols, armés et en rangs, présentèrent leur ligne de bataille à mille pas environ du camp romain. (5) Au milieu étaient les Ausetani; les ailes étaient tenues à droite par les Ilergètes, à gauche par des peuples de nom inconnu; entre les ailes et le centre, on avait laissé des intervalles assez larges pour lancer par là les cavaliers, quand il serait temps. (6) De leur côté, les Romains rangèrent leur armée à leur habitude, en imitant toutefois leurs ennemis sur un point: entre les légions, ils laissèrent, eux aussi, des passages libres pour leur cavalerie. (7) Mais Lentulus, pensant que le seul adversaire qui pourrait employer sa cavalerie serait celui qui, le premier, l'aurait lancée dans les vides qu'offrait l'armée ennemie,( 8) dit à Servius Cornelius, tribun militaire, d'ordonner aux cavaliers romains de lancer leurs chevaux à travers les passages ouverts dans les lignes espagnoles; (9) lui-même, devant un combat d'infanterie qui s'engageait assez mal, ne prend que le temps d'apporter à la douzième légion, qui reculait, à l'aile gauche, face aux Ilergètes, l'appui de la treizième, amenée des réserves en première ligne, (10) et, le combat une fois rétabli, va rejoindre Lucius Manlius, qui, au premier rang, encourageait ses soldats, et amenait des renforts là où les circonstances le demandaient, il lui annonce que la situation est sûre à l'aile gauche, (11) et qu'iL a déjà envoyé Cornelius Servius pour envelopper les ennemis de ses cavaliers, comme d'une tempête.

(12) À peine avait-il dit ces mots que les cavaliers romains, se jetant au milieu de l'ennemi, bouleversèrent son infanterie, et, en même temps, fermèrent aux cavaliers espagnols le chemin nécessaire pour lancer leurs chevaux. (13) Aussi ces cavaliers, renonçant à combattre à cheval, mirent-ils pied à terre. Les généraux romains, voyant le désordre dans les rangs des ennemis, leur agitation, leur effroi, la marche incertaine de leurs enseignes, pressent, supplient leurs soldats d'attaquer ces adversaires ébranlés, de ne pas les laisser rétablir leurs lignes. (14) Les barbares n'auraient pas soutenu une attaque si violente, si le roitelet Indibilis lui-même, avec ses cavaliers démontés, ne s'était jeté devant le premier rang des fantassins. (15) Là se prolongea quelque temps une lutte affreuse; enfin, quand les hommes qui combattaient autour du roi - résistant d'abord lui-même, quoique à demi-mort, puis cloué à terre par un javelot - furent tombés criblés de traits, les Espagnols commencèrent à fuir çà et là. (16) Le massacre fut aggravé du fait que les cavaliers n'eurent pas le temps de remonter à cheval, et que les Romains pressèrent vivement l'ennemi ébranlé; ils ne cessèrent pas de le poursuivre avant de l'avoir dépouillé même de son camp. (17) Treize mille Espagnols furent tués ce jour-là, dix-huit cents environ faits prisonniers; comme Romains et alliés, il tomba un peu plus de deux cents hommes, surtout à l'aile gauche. (18) Les Espagnols chassés de leur camp, ou ceux qui s'étaient échappés de la bataille, dispersés d'abord dans la campagne, rentrèrent ensuite chacun dans sa cité.

[Début]

 

 [29,3] Mort de Mandonius. Saccage de la côte africaine (été 205)

(1) Alors Mandonius les convoqua à une assemblée générale; là, s'étant plaints de leur défaite, irrités contre les auteurs de la révolte, ils décidèrent d'envoyer des ambassadeurs livrer leurs armes et faire leur soumission. (2) Comme ceux-ci rejetaient la faute sur l'auteur de la révolte, Indibilis, et sur les autres princes, dont la plupart étaient tombés dans la bataille, comme ils livraient leurs armes et se soumettaient, on leur répondit (3) qu'on n'acceptait leur soumission que s'ils livraient vivants Mandonius et les autres instigateurs de la guerre; sinon, les généraux romains mèneraient leur armée sur les territoires des Ilergètes, des Ausetani, puis successivement, des autres peuples. (4) Voilà ce qu'on dit aux ambassadeurs et qu'ils rapportèrent à l'assemblée. Alors Mandonius et les autres princes furent arrêtés et livrés au supplice; (5) aux peuples d'Espagne on rendit la paix; on exigea d'eux un tribut double pour cette année-là, du blé pour six mois, des saies et des toges pour les troupes; et trente peuples environ donnèrent des otages.

(6) Ce soulèvement de l'Espagne rebelle ayant été ainsi, sans agiter beaucoup le pays, excité et réprimé, toute la terreur inspirée par Rome se tourna contre l'Afrique. (7) Caius Laelius, ayant abordé de nuit près d'Hippo Regius, mena, dès l'aube, au pillage de son territoire soldats et matelots en bon ordre.( 8) Tous les indigènes vivant, comme en temps de paix, sans précautions, on leur infligea de grandes pertes; des courriers tremblants remplirent Carthage de terreur en annonçant l'arrivée de la flotte romaine et du général en chef Scipion (le bruit avait déjà couru qu'il était passé en Sicile). (9) Ne sachant bien ni le nombre de bateaux qu'ils avaient vus, ni l'importance de la troupe qui ravageait les champs, ils exagéraient les choses, car la peur grossit tout. C'est pourquoi la terreur et l'épouvante, puis l'abattement pénétrèrent les âmes: (10) la fortune, se disaient les gens de Carthage, avait donc tant changé que eux, qui, récemment, tenaient leur armée devant les remparts de Rome, comme des vainqueurs; qui, après avoir abattu tant d'armées ennemies, avaient reçu la soumission volontaire ou forcée de tous les peuples d'Italie, (11) ils allaient voir, Mars ayant changé de camp, piller l'Afrique et assiéger Carthage, avec, pour supporter cette attaque, des forces bien inégales à celles qu'avaient eues les Romains! (12) À ceux-ci, la plèbe romaine, à ceux-ci, le Latium avaient fourni une jeunesse toujours plus grande, plus nombreuse, pour remplacer, en grandissant, tant d'armées massacrées; (13) leur plèbe, à eux, n'était guerrière ni à Carthage, ni dans la campagne; on réunissait à prix d'argent des troupes auxiliaires formées d'Africains, race tournant à tous les vents suivant ses espoirs, et perfide. (14) Quant aux rois, déjà Syphax, après son entrevue avec Scipion, s'était détaché d'eux, Masinissa, en défection ouverte, était leur plus implacable ennemi. (15) Point d'espoir, point de secours nulle part. Magon ne provoquait pas plus une invasion gauloise en Italie qu'il ne faisait sa jonction avec Hannibal; et Hannibal lui-même déclinait déjà en réputation et en forces.

[Début]

 

[29,4] Laelius reçoit le visite de Masinissa

(1) Les esprits qui s'abandonnaient à ces lamentations, à la suite des nouvelles récentes, la crainte pressante les ramena à voir comment s'opposer aux périls du moment. (2) On décide de faire en hâte des levées à la ville et dans les campagnes, d'envoyer des recruteurs enrôler des mercenaires africains, de fortifier Carthage, d'y amasser des vivres; de préparer des armes offensives et défensives, d'équiper des navires et de les envoyer vers Hippone contre la flotte romaine. (3) On travaillait déjà à ces préparatifs, quand enfin arriva la nouvelle que c'était Laelius, non Scipion, et des troupes suffisant seulement pour faire des incursions dans la campagne, qui avaient traversé la mer: le gros des forces était toujours en Sicile. (4) Ainsi l'on respira, et l'on entreprit d'envoyer des ambassades à Syphax et à d'autres petits rois, pour renforcer les alliances; on envoya aussi des ambassadeurs à Philippe, pour lui promettre deux cents talents d'argent, afin qu'il passât en Sicile ou en Italie. (5) On envoya aussi des courriers aux généraux carthaginois d'Italie, pour qu'ils retinssent Scipion en lui inspirant toute sorte de craintes; (6) à Magon, on n'envoya pas seulement des courriers, mais vingt-cinq bateaux de guerre, six mille fantassins, huit cents cavaliers, sept éléphants, et en outre une grosse somme pour enrôler des mercenaires, afin qu'ainsi renforcé il rapprochât son armée de Rome et se joignît à Hannibal.

(7) Voilà ce qu'on préparait, ce dont on s'occupait à Carthage. Cependant, tandis que Laelius ramène un énorme butin d'un territoire désarmé et sans garnisons pour le défendre, Masinissa, attiré par le bruit de l'arrivée de la flotte romaine, vient avec quelques cavaliers voir Laelius. (8) Il se plaint de la lenteur de Scipion dans cette affaire, de ce qu'il n'a pas déjà fait passer son armée en Afrique, pendant que les Carthaginois sont frappés d'effroi, que Syphax est entravé par des guerres contre des peuples voisins; il tient pour sûr, ajoute-t-il, que, si on laisse à celui-ci le temps d'arranger ses affaires comme il le désire, il agira sans aucune loyauté envers les Romains; (9) Laelius doit donc exhorter, engager Scipion à ne plus perdre de temps. Pour lui, Masinissa, quoique chassé de son royaume, il sera aux côtés des Romains avec des forces non négligeables d'infanterie et de cavalerie. Et Laelius lui-même ne doit pas s'attarder en Afrique: car (à ce que croit Masinissa) une flotte a quitté Carthage, contre laquelle, en l'absence de Scipion, il ne serait guère sûr d'engager le combat.

[Début]

 

[29,5] Alerte en Étrurie

(1) Masinissa parti à la suite de cet entretien, Laelius, le lendemain, leva l'ancre avec ses bateaux chargés de butin, et, revenu en Sicile, fit à Scipion l'exposé dont Masinissa l'avait chargé.

(2) En ces mêmes jours à peu près, les navires envoyés de Carthage à Magon abordèrent entre les Ligures d'Albenga et Gênes. (3) C'était là que, par hasard, Magon faisait alors stationner sa flotte. Après avoir entendu, de la bouche des courriers, l'ordre de réunir le plus de troupes possible, il tint aussitôt une assemblée de Gaulois et de Ligures (car il y avait là une foule d'hommes de ces deux nations), (4) et leur dit qu'il était envoyé pour leur rendre la liberté; que, comme ils le voyaient eux-mêmes, on lui envoyait des renforts de sa patrie; mais que l'importance des troupes, de l'armée avec lesquelles on mènerait cette guerre dépendait d'eux. (5) Deux armées romaines se trouvaient l'une en Gaule, l'autre en Étrurie; il était sûr que Spurius Lucretius allait faire sa jonction avec Marcus Livius; Gaulois et Ligures devaient armer des milliers d'hommes pour résister aux deux généraux, aux deux armées des Romains.

(6) Les Gaulois répondirent que c'était leur plus grand désir, mais qu'ayant un camp romain sur leur territoire, l'autre, dans l'Étrurie voisine, presque sous leurs yeux, s'ils aidaient ouvertement le Carthaginois par des contingents de troupes, aussitôt, de deux côtés, des armées ennemies se jetteraient sur leur territoire; Magon ne devait donc réclamer d'eux que l'aide qu'ils pouvaient lui donner en secret. (7) Quant aux Ligures, les camps romains étant loin de leurs terres et de leurs villes, ils étaient libres dans leurs desseins; à eux, comme c'était juste, d'armer leur jeunesse et de prendre leur part de la guerre.

Les Ligures ne refusèrent pas; ils demandèrent seulement un délai de deux mois pour lever leurs troupes. (8) En attendant, Magon, envoyant de tous côtés des émissaires dans la campagne gauloise, y enrôle des mercenaires; des vivres de toute sorte lui sont envoyés aussi, en cachette, par les peuples gaulois. (9) Marcus Livius, lui, fait passer son armée de volontaires esclaves d'Étrurie en Gaule, et, s'étant joint à Lucretius, se prépare, si Magon, quittant la Ligurie, s'approche de Rome, à marcher à sa rencontre. Si le Carthaginois se tient tranquille dans son coin des Alpes, lui aussi, dans la même région, autour d'Ariminum, il défendra l'Italie.

[Début]

 

[29,6] Les soldats de Scipion attaquent la citadelle de Locres (été 205)

(1) Après le retour d'Afrique de Caius Laelius, quoique Scipion fût poussé à s'embarquer par les instances de Masinissa, et que ses soldats, en voyant toute la flotte chargée du butin ramené du territoire ennemi, brûlassent de l'envie de franchir la mer le plus tôt possible, ce grand dessein fut traversé par un autre moins important, celui de reprendre la ville de Locres, qui, vers le moment où l'Italie abandonnait le parti de Rome, était, elle aussi, passée aux Carthaginois. (2) L'espoir de réussir dans cette entreprise, un petit incident le fit briller. On faisait dans le Bruttium du brigandage plutôt qu'une guerre en règle, les Numides en ayant donné l'exemple, et les Bruttii, par goût naturel autant que par alliance avec les Carthaginois, s'étant empressés de suivre cette coutume; (3) à la fin, les Romains, eux aussi, arrivant, par une véritable contagion, à prendre plaisir au pillage, faisaient, autant que leurs chefs le leur permettaient, des incursions en territoire ennemi. (4) Ces Romains, surprenant certains Locriens hors de leur ville, les avaient cernés et emmenés à Regium. Au nombre de ces prisonniers se trouvèrent par hasard des ouvriers qui, d'habitude, travaillaient, contre salaire, chez les Carthaginois, dans la citadelle de Locres. (5) Reconnus par des citoyens importants de Locres qui, chassés par la faction adverse - celle qui avait livré la ville à Hannibal - s'étaient réfugiés à Regium, (6) ces ouvriers, après avoir répondu aux questions que font tous les gens longtemps absents de leur patrie, et raconté tout ce qui se passait dans la ville, donnèrent à ces exilés l'espoir que, rachetés et renvoyés à Locres, ils pourraient leur en livrer la citadelle: ils y habitaient, dirent-ils, et, parmi les Carthaginois, on se fiait à eux pour tout. (7) C'est pourquoi les exilés, en hommes tourmentés par le regret de leur patrie et brûlant en même temps du désir de se venger de leurs adversaires, ayant racheté et renvoyé à Locres les ouvriers (8) après avoir réglé avec eux un plan d'opération et les signaux à émettre de loin et à observer, allèrent eux-mêmes à Syracuse voir Scipion, auprès duquel se trouvait une partie des exilés. Comme, en rapportant au consul les promesses des prisonniers, ils lui donnaient un espoir qui n'était pas irréalisable, (9) il renvoya avec eux les tribuns militaires Marcus Sergius et Publius Matienus, avec ordre d'amener de Regium à Locres trois mille soldats; au propréteur Quintus Pleminius, on écrivit aussi d'assister à l'affaire.

(10) Partis de Regium en portant des échelles faites à la hauteur des murs de la citadelle, grâce aux indications des ouvriers, vers le milieu de la nuit, du point convenu, ils firent le signal à ceux qui livraient, la citadelle; (11) ceux-ci, prêts et attentifs, ayant, eux aussi, laissé glisser du haut des murs des échelles faites pour cela, et reçu les Romains qui grimpaient par plusieurs points à la fois, on se jeta, sans pousser aucun cri, sur les gardes carthaginois, qui, ne craignant rien de semblable, étaient endormis. (12) On entendit d'abord leurs gémissements de mourants; puis il y eut chez les habitants un abattement soudain, succédant au sommeil, et de l'agitation, la cause de l'alarme étant inconnue; enfin l'attaque fut certaine, et les Locriens se réveillaient les uns les autres; (13) déjà chacun de son côté appelait aux armes, criait que les ennemis étaient dans la citadelle, les gardes massacrés; et les Locriens auraient écrasé les Romains, très inférieurs en nombre, si un cri poussé par ceux qui étaient en dehors de la citadelle n'avait jeté dans l'incertitude les Locriens, qui ne savaient d'où il venait, le trouble de l'attaque nocturne exagérant toutes les vaines suppositions. (14) Aussi, comme si la citadelle était déjà pleine d'ennemis, les Carthaginois, terrifiés, abandonnant le combat, se réfugient dans l'autre citadelle - il y en a deux, peu éloignées l'une de l'autre. (15) Les habitants, eux, occupaient la ville, placée entre les combattants comme la récompense des vainqueurs. On sortait des deux citadelles pour livrer chaque jour de petits combats. (16) Quintus Pleminius commandait les troupes romaines, Hamilcar les carthaginoises; en tirant des renforts des localités voisines, ils augmentaient leurs troupes. (17) Enfin Hannibal arrivait en personne; et les Romains n'auraient pas tenu, si la foule des Locriens, exaspérée par l'insolence et la cupidité des Carthaginois, n'avait penché pour les Romains.

[Début]

 

[29,7] Scipion reprend Locres et bat l'armée d'Hannibal

(1) Quand on annonça à Scipion que la situation à Locres devenait plus dangereuse, et qu'Hannibal en personne approchait, (2) craignant le danger même pour le détachement qu'il y avait envoyé - car la retraite de ce point n'était pas facile - il quitta, lui aussi, Messine, où il laissa en garnison son frère Lucius Scipion, et, dès que le reflux entraîna les flots, lança ses navires sur ce courant favorable. (3) Quant à Hannibal, des bords du Bulotus - fleuve peu éloigné de Locres - après avoir fait dire aux siens, par un courrier, d'engager dès l'aube, avec la plus grande violence, la lutte contre les Romains et les Locriens, pendant que lui-même, tandis que tous auraient l'attention détournée vers cette brusque action, surprendrait la ville en l'attaquant par derrière, (4) trouvant, au jour, le combat engagé, il ne voulut pas s'enfermer dans la citadelle, pour encombrer de la foule de ses soldats cet espace étroit, et il n'avait pas apporté d'échelles pour escalader les murs de la ville. (5) Les bagages une fois mis en tas, ayant montré non loin des murailles son armée pour effrayer l'ennemi, il fait à cheval, avec des cavaliers numides, le tour de la cité, tandis qu'on prépare les échelles et tout ce qu'il faut pour une attaque, afin d'examiner le côté le plus favorable à l'assaut. (6) En s'approchant des remparts, ayant vu frapper par un projectile de scorpion l'homme qui se trouvait par hasard le plus près de lui, effrayé par un accident si dangereux, il fait sonner la retraite, et fortifie un camp hors de portée des traits.

(7) La flotte romaine, venant de Messine, arriva à Locres, alors qu'il restait encore quelques heures de jour; tous en débarquèrent et, avant le coucher du soleil, entrèrent dans la ville. (8) Le lendemain, les Carthaginois sortis de la citadelle commencèrent le combat; Hannibal, de son côté, avec des échelles et tout ce qu'il avait préparé pour l'attaque, arrivait au pied des murs, quand soudain - événement qu'il craignait moins que tout autre - par une porte qui s'ouvre, les Romains font une sortie. (9) Ils lui tuent, en les attaquant par surprise, environ deux cents hommes; les autres, Hannibal, s'apercevant de la présence du consul, les ramena dans le camp; puis, ayant fait prévenir les Carthaginois qui occupaient la citadelle de ne compter que sur eux-mêmes, pendant la nuit il leva le camp et s'en alla. (10) De leur côté, les Carthaginois de la citadelle, ayant mis le feu aux maisons qu'ils occupaient, pour que le trouble ainsi provoqué retardât l'ennemi, rejoignirent avant la nuit, par une course semblable à une fuite, la colonne de leurs compatriotes.

[Début]

 

[29,8] Comportement scandaleux de la garnison romaine à Locres

(1) Quand Scipion vit la citadelle abandonnée par les ennemis et leur camp vide, réunissant les Locriens, il leur reprocha sévèrement leur défection; (2) il fit mettre au supplice ceux qui en avaient pris l'initiative, et accorda leurs biens aux chefs de l'autre parti, pour leur fidélité remarquable envers les Romains; (3) quant aux mesures générales, il déclara que lui, il n'accordait ni n'enlevait rien aux Locriens: ils devaient envoyer des députés à Rome; la condition que le sénat jugerait pour eux équitable serait la leur; (4) mais ce qu'il savait bien, c'était que, malgré leurs mauvais services envers le peuple romain, leur situation serait meilleure sous l'autorité des Romains irrités qu'elle ne l'avait été sous celle des Carthaginois amis. (5) Puis Scipion, laissant le lieutenant Pleminius et le détachement qui avait pris la citadelle à la garde de la ville, repassa lui-même à Messine avec les troupes avec lesquelles il était venu.

(6) Si insolent, si cruel avait été le traitement infligé par les Carthaginois aux Locriens, depuis que ceux-ci avaient abandonné les Romains, que les Locriens pouvaient supporter des abus modérés avec calme, et presque avec plaisir; (7) mais vraiment Pleminius dépassa tellement Hamilcar, chef de la garnison carthaginoise, les soldats de la garnison romaine dépassèrent tellement les Carthaginois par leurs crimes et leur cupidité, qu'ils semblaient rivaliser avec eux, non par les armes, mais par les vices. (8) Rien de tout ce qui rend odieuse au faible la force du puissant ne fut épargné aux habitants par le général ou par ses soldats: contre leurs personnes, contre leurs enfants, contre leurs femmes, ils commirent des outrages indicibles. (9) Quant à leur cupidité, elle ne s'abstint même pas de piller les objets du culte; et non seulement d'autres temples furent violés, mais aussi le trésor de Proserpine, resté intact de tout temps, si ce n'est que Pyrrhus, après l'avoir pillé, disait-on, y rapporta tout le butin ainsi fait, non sans expier pour cela son sacrilège. (10) Aussi, comme cette fois-là les navires du roi, brisés par le naufrage, n'avaient amené à terre rien d'intact, sauf l'argent consacré à la déesse et transporté par eux, (11) alors également, par un fléau d'un autre genre, ce même argent remplit d'égarement tous ceux qui s'étaient souillés par cette violation du temple, et les tourna l'un contre l'autre, chef contre chef, soldat contre soldat, avec une rage d'ennemis véritables.

[Début]

 

[29,9] Bagarres en pleine ville entre le légat et les tribuns

(1) Pleminius avait le commandement général; mais les soldats étaient les uns - ceux qu'il avait amenés de Regium - sous ses ordres, les autres sous les ordres de tribuns. (2) Ayant volé une coupe d'argent dans la maison d'un Locrien, un soldat de Pleminius, qui s'enfuyait, poursuivi par les propriétaires, rencontra par hasard les tribuns Sergius et Matienus. (3) La coupe, sur l'ordre de ces tribuns, lui ayant été enlevée, il s'ensuivit une dispute et des cris, et, à la fin, une bagarre entre les soldats de Pleminius et ceux des tribuns, leur nombre, et en même temps le tumulte, croissant à mesure que chacun arrivait à point pour aider les siens. (4) Les soldats de Pleminius, vaincus, ayant couru étaler devant leur chef leur sang et leurs blessures, non sans vociférer et s'indigner, et lui rapportant qu'on avait, dans la dispute, lancé des outrages contre lui-même, Pleminius, enflammé de colère, s'élança hors de chez lui; et, les tribuns appelés, il ordonne de les mettre nus et de préparer les verges

(5) Tandis qu'on perd du temps à les dépouiller (car ils se débattaient et imploraient l'aide de leurs soldats), soudain ceux-ci, fiers de leur récent succès, de tous côtés, comme si l'on avait appelé aux armes contre l'ennemi, accourent, (6) et, voyant le dos de leurs tribuns déjà marqué par les verges, pour le coup, enflammés soudain d'une rage bien plus irrésistible, sans considérer ni la majesté du chef, ni même l'humanité, attaquent le légat, après avoir indignement maltraité ses licteurs; (7) l'ayant séparé, isolé des siens, ils le rouent de coups, en véritables ennemis, et, lui ayant coupé le nez et les oreilles, le laissent presque saigné à blanc.

(8) En apprenant ces nouvelles à Messine, Scipion, amené à Locres, quelques jours après, par un bateau à six rangs de rameurs, entend la cause de Pleminius et des tribuns, et, ayant absous et laissé au commandement de la même place Pleminius, déclaré coupables et fait enchaîner les tribuns, pour les envoyer à Rome au sénat, revint à Messine et de là à Syracuse. (9) Pleminius, emporté par sa fureur, pensant que Scipion avait négligé et pris à la légère l'outrage qu'il avait subi, (10) et que nul ne pouvait apprécier l'objet de ce débat, sauf celui qui en avait éprouvé l'horreur en le subissant, fit traîner devant lui et mettre à mort les tribuns, déchirés par tous les supplices que peut supporter un corps humain; puis, n'étant pas encore assouvi par le châtiment qu'ils avaient subi vivants, il fit jeter leurs corps sans sépulture. (11) Il montra la même cruauté contre les notables locriens, dont on lui dit qu'ils étaient allés se plaindre à Scipion de ses injustices; (12) et les actes honteux que la débauche et la cupidité lui avaient fait commettre auparavant contre des alliés, la colère les lui fit multiplier; il devint une cause de mauvaise réputation et de haine non seulement pour lui-même, mais pour son général en chef.

[Début]

 


2ème partie: [29,10 à 22] Situation à Rome (204)

 

[29,10] Le transport de la Mère de l'Ida à Rome (début de 204)

(1) Déjà le moment des élections approchait, quand on apporta à Rome une lettre du consul Publius Licinius: son armée et lui, disait-il, étaient atteints d'une grave maladie, et l'on n'aurait pas pu se maintenir, si un mal de la même violence, et plus grave encore, ne s'était abattu sur l'ennemi; (2) aussi, comme il ne pouvait venir présider les élections, il proclamerait, si le sénat le jugeait bon, Quintus Caecilius Metellus dictateur aux élections. L'armée de Quintus Caecilius, il était, ajoutait-il, dans l'intérêt de l'État de la démobiliser; (3) car elle ne servait à rien pour le moment, alors qu'Hannibal avait déjà ramené les siens dans leurs quartiers d'hiver; et si grande était la violence du mal qui avait envahi le camp que, si on ne libérait pas ces soldats à la hâte, il semblait qu'aucun d'eux ne survivrait. Le sénat permit au consul de le faire, dans l'intérêt de l'État et en conscience.

(4) À cette époque, les citoyens, à Rome, s'étaient, depuis peu, mis dans l'esprit un scrupule religieux, parce qu'on avait trouvé dans les livres sibyllins, consultés à cause de la fréquence exceptionnelle des pluies de pierres cette année-là, une prédiction disant qu'à (5) quelque moment qu'un ennemi étranger portât la guerre en Italie, on pouvait le chasser d'Italie et le vaincre, si l'on transportait la Mère de l'Ida de Pessinonte à Rome. (6) Cette prédiction, découverte par les décemvirs, avait d'autant plus frappé le sénat que les ambassadeurs qui avaient porté une offrande à Delphes rapportaient, eux aussi, et que, dans leurs sacrifices à Apollon Pythien, les entrailles avaient toujours été favorables, et que l'oracle avait répondu qu'une victoire, bien plus grande que celle dont les dépouilles leur permettaient de porter cette offrande, était proche pour le peuple romain. (7) À l'ensemble des raisons propres à leur donner le même espoir, ils ajoutaient cette inspiration de Scipion qui avait semblé présager la fin de la guerre, en réclamant la "province" d'Afrique. (8) Aussi, pour hâter la réalisation d'une victoire qui s'annonçait par les livres du destin, les présages et les oracles, ils examinaient et discutaient les moyens de transporter à Rome la déesse.

[Début]

 

[29,11] Arrivée de la déesse. Élections à Rome (printemps 204)

(1) Le peuple romain n'avait encore aucune cité alliée en Asie; toutefois, en se rappelant que jadis on avait fait venir, pour assurer la santé du peuple romain, Esculape, lui aussi, de la Grèce, qui n'était encore unie avec Rome par aucun traité, (2) et que maintenant on avait déjà, avec le roi Attale, à cause de la guerre menée avec lui contre Philippe, un commencement d'amitié, on pensa qu'il ferait ce qu'il pourrait pour le peuple romain. (3) On décide de lui envoyer comme ambassadeurs Marcus Valerius Laevinus, qui avait été deux fois consul et avait fait campagne en Grèce, Marcus Caecilius Metellus, ancien préteur, Servius Sulpicius Galba, ancien édile, et deux anciens questeurs, Cneius Tremellius Flaccus et Marcus Valerius Falto. (4) Un décret leur donne cinq quinquérèmes, pour qu'ils abordent d'une façon conforme à la dignité du peuple romain sur ces terres où il fallait donner du prestige au nom romain.

(5) Les ambassadeurs, en gagnant l'Asie, ayant, chemin faisant, débarqué à Delphes, allèrent demander à l'oracle, pour la mission qu'on les envoyait remplir de Rome, quel espoir de la mener à bien il leur donnait, à eux et au peuple romain. (6) L'oracle répondit, à ce qu'on rapporte, que, grâce au roi Attale, ils obtiendraient ce qu'ils demandaient; et que, quand ils auraient transporté à Rome la déesse, ils devaient veiller à ce que ce fût l'homme le meilleur de Rome qui lui donnât l'hospitalité. (7) À Pergame, ils arrivèrent chez le roi. Il les reçut aimablement, les conduisit à Pessinonte en Phrygie, leur remit la pierre sacrée dont les habitants disaient qu'elle était la Mère des Dieux, et les invita à l'emporter à Rome. (8) Envoyé en avant par ses compagnons d'ambassade, Marcus Valerius Falto annonça qu'on apportait la déesse, et qu'il fallait rechercher l'homme le meilleur de la cité, pour qu'il lui offrît l'hospitalité selon la prescription de l'oracle.

(9) Quintus Caecilius Metellus fut nommé, par le consul alors dans le Bruttium, dictateur aux élections, et son armée licenciée; le maître de la cavalerie fut Lucius Veturius Philo. (10) Le dictateur présida les élections. On nomma consuls Marcus Cornelius Cethegus, et Publius Sempronius Tuditanus, qui était absent, ayant la "province" de Grèce. (11) Puis on nomma préteurs Tiberius Claudius Nero, Marcus Marcus Ralla, Lucius Scribonius Libo, Marcus Pomponius Matho. Les élections achevées, le dictateur se démit de sa charge.

(12) On recommença trois journées des Jeux Romains, sept des Jeux Plébéiens. Les édiles curules étaient Cneius et Lucius Cornelius Lentulus; Lucius avait la "province" d'Espagne; il avait obtenu la charge d'édile étant absent, il l'exerça étant absent. (13) Tiberius Claudius Asellus et Marcus Junius Pennus furent édiles plébéiens.

Marcus Marcellus dédia cette année-là, près de la porte Capène, le temple de la Valeur, seize ans après que son père, pendant son premier consulat, en eut fait le voeu en Gaule, à Clastidium.

(14) Cette année-là aussi mourut le flamine de Mars, Marcus Aemilius Regillus.

[Début]

 

[29,12] Conclusion de la paix avec Philippe à Phoenice (205)

(1) Pendant les deux dernières années, on avait négligé les affaires de Grèce. Aussi Philippe, les Étoliens étant privés du secours des Romains, le seul auquel ils se fiassent, les força à demander et à conclure la paix aux conditions qu'il voulut. (2) S'il n'avait hâté de toutes ses forces la conclusion de cette affaire, pendant qu'il se serait trouvé en guerre contre les Étoliens, le proconsul Publius Sempronius, envoyé, pour succéder à Sulpicius dans son commandement, avec dix mille fantassins, mille cavaliers et trente-cinq vaisseaux de guerre, appoint considérable pour porter secours à des alliés, l'aurait écrasé.

(3) À peine la paix faite, la nouvelle parvint au roi que les Romains étaient arrivés à Dyrrachium, que les Parthini et d'autres nations voisines s'étaient soulevés dans l'espoir d'une révolution, et que Dimallum était attaqué: (4) les Romains s'étaient tournés de ce côté au lieu d'aller là où ils étaient envoyés, au secours des Étoliens, dans leur colère de voir que ceux-ci, sans leur assentiment, et contrairement au traité, avaient fait la paix avec le roi. (5) À cette nouvelle, Philippe, craignant un soulèvement plus important chez les nations et les peuples voisins, se dirige à grandes étapes sur Apollonie, où Sempronius s'était retiré après avoir envoyé son lieutenant Laetorius, avec une partie des troupes et quinze vaisseaux, en Étolie, pour examiner la situation, et, si possible, troubler la paix.(6) Philippe dévasta le territoire d'Apollonie et, approchant ses troupes de la ville, offrit la bataille au Romain; (7) quand il vit que celui-ci se contentait de garder tranquillement les remparts, n'étant pas assez sûr de ses forces pour attaquer la place et désirant faire, avec les Romains comme avec les Étoliens, la paix, s'il le pouvait, sinon, une trêve, au lieu d'attiser encore les haines par une nouvelle bataille, il se retira dans son royaume.

(8) Pendant la même époque, les Épirotes, dégoûtés de la longueur de la guerre, après avoir sondé les dispositions des Romains, envoyèrent des ambassadeurs proposer à Philippe une paix générale, (9) affirmant leur conviction qu'elle serait conclue, s'il venait à une entrevue avec Publius Sempronius, le général en chef romain. (10) On obtint facilement du roi - car il ne répugnait pas à faire la paix - qu'il passât en Épire. (11) Phoenice est une ville d'Épire. Le roi, après s'y être entretenu avec Aeropus, Darda et Philippe, préteurs des Épirotes, se rencontre avec Publius Sempronius. (12) Assistèrent à l'entrevue Amynander, roi des Athamani, et d'autres personnages, magistrats des Épirotes et des Acarnaniens. Le préteur Philippe parla le premier, et demanda à la fois au roi et au général romain de mettre fin à la guerre, d'accorder cette faveur aux Épirotes. (13) Publius Sempronius mit pour conditions à la paix que les Parthini, Dimallum, Bargullum, et Eugenium appartiendraient aux Romains, que l'Atintania, si une ambassade envoyée à Rome l'obtenait du sénat, serait incorporée à la Macédoine. (14) La paix conclue à ces conditions, on fit comprendre dans le traité, du côté du roi Prusias, roi de Bithynie, les Achéens, les Béotiens, les Thessaliens, les Acarnaniens, les Épirotes; du côté des Romains, les gens d'Ilion, le roi Attale, Pleuratus, Nabis, tyran de Lacédémone, les Éléens, les Messéniens et les Athéniens. (15) Telles furent les conditions rédigées et signées en commun; et l'on conclut une trêve de deux mois, le temps d'envoyer des courriers à Rome pour faire voter par le peuple la paix à ces conditions. (16) Toutes les tribus la votèrent, parce que, les hostilités étant tournées contre l'Afrique, on voulait pour le moment être débarrassé de toutes les autres guerres. Publius Sempronius, la paix faite, quitta la province pour Rome, afin d'y exercer son consulat.

[Début]

 

[29,13] Attribution des postes (mars 204)

(1) Aux consuls Marcus Cornelius et Publius Sempronius - en cette quinzième année de la guerre punique - un décret donna comme "provinces" à Cornelius, l'Étrurie, avec une armée ancienne, à Sempronius, le Bruttium, avec permission de lever de nouvelles légions. (2) Quant aux préteurs, le sort donna à Marcus Marcius la préture urbaine, à Lucius Scribonius Libo la préture pérégrine; et à tous deux en même temps, la "province" de Gaule; à Marcus Pomponius Matho la Sicile; à Tiberius Claudius Néron la Sardaigne.( 3) À Publius Scipion, avec l'armée, avec la flotte qu'il avait, on prorogea pour un an son commandement. Il en fut de même pour Publius Licinius, afin qu'il gardât le Bruttium avec deux légions, tant que le consul jugerait utile à l'État qu'il restât dans cette province avec son commandement. (4) Marcus Livius et Spurius Lucretius, eux aussi, chacun avec les deux légions avec lesquelles ils avaient défendu la Gaule contre Magon, virent leur commandement prorogé; (5) Cneius Octavius également, afin qu'après avoir remis la Sardaigne et sa légion à Tiberius Claudius, il protégeât lui-même, avec quarante vaisseaux de guerre, le rivage de la mer, dans les limites qu'aurait fixées le sénat. (6) Au préteur Marcus Pomponius, un décret donna, en Sicile, l'armée de Cannes, deux légions; Titus Quinctius devait garder Tarente, Caius Hostilius Tubulus Capoue, comme propréteurs, ainsi que l'année précédente, l'un et l'autre avec la garnison ancienne. (7) Quant au commandement en Espagne, la désignation des deux proconsuls à envoyer dans cette province fut laissée au peuple. Toutes les tribus élurent les mêmes hommes, Lucius Cornelius Lentulus et Lucius Manlius Acidinus, comme proconsuls pour garder, ainsi qu'ils l'avaient fait l'année précédente, ces provinces. (8) Les consuls se mirent à lever des troupes, et afin d'enrôler de nouvelles légions pour le Bruttium, et afin de fournir des renforts aux autres armées: ainsi le leur avait ordonné le sénat.

[Début]

 

[29,14] Réception de la Grande déesse à Rome (4 avril 204)

(1) Quoique aucun décret n'eût encore fait ouvertement de l'Afrique une province (le sénat, je crois, gardait le secret là-dessus pour ne pas avertir d'avance les Carthaginois), Rome était tendue vers l'espoir qu'on irait, cette année, combattre en Afrique, et que la fin de la guerre punique était proche. (2) Cela avait rempli les esprits de superstitions: ils inclinaient à annoncer des prodiges et à y croire. (3) On n'en racontait que davantage: on avait vu deux soleils; pendant la nuit, il y avait eu des moments de clarté; à Setia, on avait aperçu une traînée de feu allant de l'orient à l'occident; à Tarracine une porte, à Anagnia une porte et le rempart, à plusieurs endroits, avaient été frappés de la foudre; dans le temple de Junon Sospita, à Lanuvium, il s'était produit un bruit accompagné de craquements affreux. (4) Pour détourner l'effet de ces prodiges il y eut un jour de supplications, et l'on fit un sacrifice de neuvaine pour une pluie de pierres.

(5) À cela s'ajouta le débat sur la réception de la Mère de l'Ida; non seulement Marcus Valerius, un des ambassadeurs, envoyé en avant, avait annoncé qu'elle serait bientôt en Italie, mais un messager était là depuis peu, disant qu'elle se trouvait déjà à Tarracine. (6) Il était d'importance, le jugement qui occupait le sénat: il cherchait l'homme le meilleur de la cité; (7) une victoire si véritable, sur un tel sujet, chacun l'eût préférée à tout commandement, à toute charge donnés par le vote soit du sénat, soit du peuple. (8) Ce fut Publius Scipion, fils du Cneius Scipion qui était tombé en Espagne, un jeune homme qui n'avait pas encore été questeur, qu'on jugea le meilleur de tous les citoyens. (9) Pour quelles vertus en jugea-t-on ainsi? Comme, si cela nous avait été rapporté par les écrivains les plus proches de cette époque, je le rapporterais volontiers à la postérité, de même je ne ferai pas intervenir des suppositions personnelles, en essayant de deviner une chose ensevelie par les ans.

(10) Publius Cornelius reçut l'ordre d'aller, avec toutes les matrones, à Ostie, au-devant de la déesse; de la prendre lui-même au bateau, et, après l'avoir apportée à terre, de la donner à porter aux matrones. (11) Quand le bateau fut arrivé devant l'embouchure du Tibre, il se fit conduire au large, suivant les ordres qu'il avait reçus, par une barque, prit la déesse des mains des prêtres et la porta à terre. (12) Les femmes les plus nobles de la cité la reçurent; le nom d'une d'elles, Claudia Quinta, est célèbre: sa réputation, auparavant douteuse, dit-on, fit remarquer davantage, après qu'elle eut pu remplir un si saint ministère, sa chasteté à la postérité. (13) Se passant ensuite la déesse, de main en main, les unes aux autres, tandis que tous les citoyens se répandaient sur son chemin, après avoir placé des brûle-parfums devant leur porte là où elle passait, et que l'encens allumé, ils la priaient d'entrer de bon gré et favorable dans la ville de Rome, les femmes la portèrent au temple de la Victoire qui se trouve sur le Palatin, la veille des Ides d'avril; et ce jour resta férié. (14) Un peuple nombreux apporta au Palatin des offrandes à la déesse, et il y eut un lectisterne et des jeux, qu'on appela Mégalésiens.

[Début]

 

[29,15] Rappel à l'orde de douze colonies qui avaient refusé de fournir des contingents

(1) Alors qu'on délibérait sur les renforts à envoyer aux légions des provinces, certains sénateurs suggérèrent que c'était le moment, après avoir, dans une situation incertaine, souffert tant bien que mal certains abus, de ne pas les tolérer davantage maintenant que la bienveillance des dieux avait enfin fait disparaître la crainte. (2) Ayant ainsi excité l'attention du sénat, ils ajoutèrent que les douze colonies latines qui, sous le consulat de Quintus Fabius et de Quintus Fulvius, avaient refusé de fournir des soldats étaient, depuis près de six ans déjà, exemptes d'obligations militaires, comme si l'on voulait leur accorder un honneur ou une faveur, (3) tandis que les alliés dévoués et obéissants, en échange de leur fidélité et de leur docilité envers le peuple romain, étaient épuisés par les levées de troupes faites tous les ans sans exception.

(4) Ces paroles rappelèrent aux sénateurs le souvenir d'une affaire déjà presque effacée, et n'irritèrent pas moins leur colère. (5) Aussi décident-ils, sans permettre aux consuls de leur soumettre avant aucune autre question, de leur faire mander à Rome les magistrats et dix notables de chacune des villes de Nepete, Sutrium, Ardea, Calès, Albe, Carseoli, Sora, Suessa, Setia, Cercei, Narnia et Interamna - c'étaient les colonies en cause -, (6) d'ordonner à chacune d'elles de fournir, comme fantassins, le double du plus grand nombre de soldats qu'elle aurait fourni au peuple romain depuis que l'ennemi était en Italie, et, en outre, cent vingt cavaliers; (7) si l'une d'elles ne pouvait atteindre ce nombre de cavaliers, il lui serait permis, ajouta le sénat, de donner trois fantassins pour un cavalier; fantassins et cavaliers seraient choisis aussi riches que possible, et envoyés partout où, hors de l'Italie, on aurait besoin de renfort. (8) Si certains refusaient, on retiendrait à Rome les magistrats et les envoyés de cette colonie, et on ne leur accorderait aucune audience du sénat - s'ils le demandaient - avant qu'ils eussent fait ce qu'on leur ordonnait. (9) En outre, comme tribut, on imposerait à ces colonies, et l'on exigerait d'elles chaque année, un as pour mille recensés; le cens y serait établi selon une règle donnée par les censeurs de Rome (10) - on décida que ce serait la même que pour le peuple romain -, et les rôles seraient présentés à Rome par les censeurs assermentés des colonies avant leur sortie de charge.

(11) Par suite de ce sénatus-consulte, les magistrats et les notables de ces colonies furent mandés à Rome; et, les consuls leur ordonnant de fournir les soldats et le tribut, ils refusaient à l'envi, se récriaient, déclaraient impossible de fabriquer tant de soldats; (12) ils auraient de la peine, disaient-ils, si l'on exigeait d'eux le simple chiffre prévu par le traité d'alliance, à se tirer d'affaire; ils priaient, ils adjuraient les consuls de leur permettre de se présenter au sénat pour le supplier de les épargner. (13) Ils n'avaient, ajoutaient-ils, commis aucun crime qui méritât la mort; mais même s'ils devaient périr, ni leur faute, ni la colère du peuple romain ne pouvaient leur faire fournir plus de soldats qu'ils n'en avaient. (14) Les consuls, inflexibles, ordonnent aux notables de rester à Rome, aux magistrats d'aller chez eux faire les levées: s'ils n'amenaient pas à Rome le nombre total de soldats exigé d'eux, nul ne leur accorderait une audience du sénat. (15) Voyant ainsi fauché leur espoir de se présenter au sénat et de le supplier, ils menèrent à bien les levées de troupes dans les douze colonies, sans difficulté, la longue exemption dont ils avaient joui ayant accru le nombre des mobilisables.

[Début]

 

[29,16] Remboursement de la dette publique

(1) Une seconde affaire, presque aussi longtemps négligée et passée sous silence, fut rappelée à l'attention par Marcus Valerius Laevinius, qui dit que les sommes avancées à l'État sous son consulat et celui de Marcus Claudius par des particuliers, il était équitable de les leur rendre enfin; (2) personne, ajouta-t-il, ne devait s'étonner qu'il eût un souci particulier de cet engagement public; car, outre qu'il touchait en quelque sorte personnellement le consul de l'année où ces sommes avaient été avancées, c'était lui-même qui avait pris l'initiative de ces contributions, alors que le trésor était vide et que le peuple ne suffisait pas au tribut. (3) Ce rappel fut bien accueilli par le sénat; les consuls ayant été invités à mettre l'affaire à l'ordre du jour, on décida que ces dettes seraient acquittées en trois paiements, les consuls actuels faisant immédiatement le premier, les consuls en charge deux ans et cinq ans après faisant les deux autres.

(4) Tous les autres soucis cédèrent ensuite la place à un seul, quand les malheurs des Locriens, ignorés jusqu'à ce jour, furent connus par suite de l'arrivée de leurs envoyés. (5) Ce fut moins le crime de Pleminius que la complaisance intéressée ou la négligence de Scipion à son sujet qui irrita les colères. (6) Dix députés des Locriens, couverts de vêtements de deuil, tendant aux consuls, assis au comitium, les rameaux à bandelettes des suppliants - des branches d'olivier, selon la coutume grecque - se prosternèrent devant le tribunal, avec des cris lamentables. (7) Aux questions des consuls, ils répondirent qu'ils étaient Locriens, et qu'ils avaient souffert du légat Quintus Pleminius et des soldats romains un traitement tel, que même aux Carthaginois le peuple romain ne voudrait pas le faire souffrir; ils demandaient, ajoutèrent-ils, qu'on leur permît de se présenter au sénat et de s'y plaindre de leur infortune.

[Début]

 

[29,17] Audience au sénat des délégués de Locres

(1) L'audience du sénat leur ayant été accordée, le plus âgé dit:

"Pour le cas que vous ferez, Pères Conscrits, de nos plaintes devant vous, ce qui a, je le sais, le plus d'importance, c'est que vous sachiez bien et comment Locres a été livrée à Hannibal, et comment, la garnison d'Hannibal chassée, cette ville a été replacée sous vos ordres; (2) si, en effet, le crime de défection avait été commis sans décision de son conseil public, si son retour sous vos ordres était manifestement le fait, non seulement de notre volonté, mais de notre énergie et de notre courage, vous vous indigneriez davantage que de bons et fidèles alliés aient été si indignement outragés par votre légat et vos soldats. (3) Mais l'exposé de nos deux défections, je crois, pour ma part, devoir le remettre à un autre moment, pour deux raisons: (4) l'une, c'est le désir de le faire devant Publius Scipion, qui a repris Locres, qui est témoin de tous nos actes, bons et mauvais; l'autre, c'est que, quels que nous soyons, nous n'aurions pas dû souffrir ce que nous avons souffert."

(5) "Nous ne pouvons dissimuler, Pères Conscrits, que, tant que nous avions une garnison carthaginoise dans notre citadelle, nous avons souffert, de la part du chef de cette garnison, Hamilcar, de ses Numides, de ses Africains, bien des outrages honteux et indignes: mais que sont-ils, comparés à ceux que nous souffrons aujourd'hui ! (6) Je vous en prie, Pères Conscrits, écoutez avec indulgence ce que je vais dire à contre-coeur: le genre humain se trouve au moment décisif pour savoir si c'est vous ou les Carthaginois qu'il verra les maîtres du monde. (7) Si c'était d'après le traitement que nous, Locriens, nous avons souffert de ceux-ci, ou que nous souffrons, maintenant plus que jamais, de votre garnison, qu'il fallait juger la domination des Romains et celle des Carthaginois, il n'est personne qui ne les préférerait à vous comme maîtres ! (8) Et pourtant, voyez quelles ont été les dispositions des Locriens envers vous! Quand les outrages des Carthaginois envers nous étaient tellement moins graves que les vôtres, c'est à votre général que nous avions recours; quand vos troupes nous traitent plus mal que des ennemis, ce n'est pas ailleurs qu'à vous que nous portons nos plaintes. (9) Ou vous aurez un regard de pitié pour notre situation désespérée, Pères Conscrits, ou il ne nous reste même plus une prière à adresser aux Immortel!"

(10) "Le légat Quintus Pleminius a été envoyé, avec des troupes, pour reprendre Locres aux Carthaginois, et y a été laissé avec ces mêmes troupes. (11) En cet homme, en votre légat - le malheur extrême donne le courage de parler librement - il n'y a rien d'un homme, Pères Conscrits, sauf la figure et l'apparence, rien d'un citoyen romain, sauf l'attitude, les vêtements et les accents de la langue latine: (12) c'est un fléau, une bête féroce, semblable aux monstres qui, jadis, occupaient le détroit qui nous sépare de la Sicile pour perdre les navigateurs, à ce que rapportent les légendes. (13) Encore, si ses violences; ses débauches, sa cupidité, il se contentait de les exercer seul sur vos alliés, ce gouffre profond, certes, mais unique, nous le comblerions, grâce à notre patience; (14) en réalité, de tous vos centurions, de tous vos soldats, (tant il a voulu voir chez tous indistinctement l'arbitraire et le vice!) il a fait des Pleminius; (15) tous pillent, dépouillent, frappent, blessent, tuent, déshonorent les femmes, les jeunes filles, les enfants libres arrachés aux bras de leurs parents; (16) c'est chaque jour qu'on prend notre ville, chaque jour qu'on la met à sac; jour et nuit, tous les quartiers retentissent, çà et là, des lamentations des femmes et des enfants qu'on ravit et qu'on enlève. (17) Il s'étonnerait, l'homme qui saurait comment nous, nous arrivons à supporter tout ce mal, ou comment ceux qui le font ne sont pas encore rassasiés de si grands outrages. Je ne peux, moi, passer en revue, et ce n'est pas, pour vous, la peine d'entendre ce que nous avons chacun souffert: je prendrai tout en bloc. (18) Il n'y a pas, je l'affirme, une maison à Locres, il n'y a pas une personne qui ait été exempte d'outrage; il n'y a pas, je l'affirme, une sorte de crime, de débauche, de cupidité, qui ait été épargnée à qui pouvait la souffrir. (19) Il est difficile de calculer à quel moment le sort d'un peuple est le plus affreux, quand des ennemis prennent sa ville, ou quand un tyran funeste l'opprime par la violence et les armes. (20) Tout ce que souffre une ville prise, nous l'avons souffert, et nous le souffrons maintenant plus que jamais; tous les crimes que les tyrans les plus cruels, les plus intraitables, commettent contre des citoyens opprimés, Pleminius les a commis contre nous, nos enfants et nos femmes."

[Début]

 

[29,18] Discours du chef de la délégation locrienne (suite)

(1) "Il y a pourtant un fait dont nous devons spécialement nous plaindre, à cause du respect de la religion gravé dans nos âmes, et dont nous voulons que vous, Pères Conscrits, vous l'appreniez, pour laver votre État d'un tel sacrilège, si vous le jugez bon; (2) nous avons vu, en effet, avec quelle piété non seulement vous honorez vos dieux, mais vous recevez des dieux étrangers. (3) Un sanctuaire se trouve chez nous; consacré à Proserpine, un temple de la sainteté duquel le bruit, je pense, est venu jusqu'à vous pendant la guerre contre Pyrrhus, (4) qui, passant, en revenant de Sicile, avec sa flotte, devant Locres, entre autres actes honteux accomplis contre notre cité à cause de sa fidélité envers vous, pilla les trésors de Proserpine, auxquels nul n'avait touché jusqu'à ce jour, et, cet argent ainsi embarqué sur ses navires, prit lui-même la route de terre. (5) Qu'arriva-t-il donc, Pères Conscrits? Le lendemain, là flotte fut mise en pièces par une tempête affreuse, et tous les bateaux qui portaient de l'argent sacré furent jetés sur nos côtes. (6) Apprenant enfin par un si grand désastre qu'il existait des dieux, ce roi si superbe fit rechercher et rapporter tout cet argent au trésor de Proserpine. Toutefois, après cela, il ne lui arriva jamais rien d'heureux; et, chassé de l'Italie, il tomba d'une mort obscure et sans gloire, pour être entré de nuit, imprudemment, dans Argos. (7) Quoique votre légat et ses tribuns militaires eussent entendu raconter cette histoire, et mille autres, qu'on leur rapportait non pour augmenter leur vénération pour la déesse, mais comme des manifestations actives de sa puissance, souvent reconnues par nous et par nos ancêtres, (8) ils n'en ont pas moins osé porter une main sacrilège sur ces trésors que nul n'avait touchés, et, par ce butin impie, souiller eux-mêmes leurs maisons et vos soldats. (9) Avec ces soldats, Pères Conscrits (nous vous le demandons en votre nom, et sur votre conscience), n'entreprenez rien, sans vous être d'abord purifiés de leur crime, ni en Italie, ni en Afrique, de peur que le sacrilège qu'ils ont commis, ils ne l'expient non seulement par leur sang, mais par un désastre touchant tout votre peuple."

(10) "Toutefois, dès maintenant même, Pères Conscrits, à l'égard de vos généraux, de vos soldats, la colère de la déesse n'est pas en retard: plusieurs fois déjà, ils se sont attaqués en bataille rangée; un parti avait pour chef Pleminius, l'autre les deux tribuns. (11) Avec autant de violence que contre les Carthaginois, ils ont lutté entre eux par le fer, et leur folie aurait offert à Hannibal l'occasion de reprendre Locres, si, appelé par nous, Scipion n'était intervenu. (12) Mais, direz-vous, ce sont les soldats, souillés par le sacrilège, que cette folie tourmente; envers les chefs eux-mêmes, aucune puissance divine ne s'est manifestée pour les punir. (13) Au contraire, c'est là surtout qu'elle a été visible: les tribuns ont été battus de verges sur ordre du légat; puis le légat, isolé des siens dans une embuscade, non seulement le corps tout déchiré, mais le nez et les oreilles coupés, a été laissé exsangue sur la place; (14) ensuite, le légat, guéri de ses blessures, ayant jeté les tribuns militaires dans les fers, les a fait périr sous les coups et dans tous les supplices réservés aux esclaves; puis, quand ils ont été morts, il a défendu de les ensevelir. (15) Tels sont les châtiments que tire la déesse des hommes qui dépouillent son temple, et elle ne cesse de les poursuivre de toutes les furies, tant que l'argent sacré n'a pas été remis à son trésor. (16) Jadis nos ancêtres, lors d'une guerre redoutable contre Crotone, voulurent, le temple étant hors de la ville, transporter cet argent dans la ville. Pendant la nuit, on entendit sortir du sanctuaire une voix leur disant de ne pas y mettre la main: la déesse défendrait son temple. (17) La crainte religieuse de déplacer le trésor ainsi jetée en eux, ils voulurent entourer le temple d'un mur. On l'avait déjà poussé à une certaine hauteur, quand, brusquement, il s'écroula."

(18) "Mais si maintenant, et alors, et bien d'autres fois, la déesse ou a défendu sa demeure et son temple, ou a tiré de ceux qui les avaient violés une dure expiation, les outrages subis par nous, nul autre que vous, Pères Conscrits, ne peut les venger, et nous ne souhaitons pas que nul autre le puisse; (19) c'est auprès de vous, sous votre protection, qu'en suppliants nous nous réfugions. Nulle différence pour nous entre une ville de Locres laissée par vous sous la domination de ce légat et de cette garnison, ou livrée à Hannibal irrité et aux Carthaginois pour la supplicier. Nous ne vous demandons pas de nous croire aussitôt, sur un accusé absent, sans qu'il ait plaidé sa cause: (20) qu'il vienne, qu'il nous écoute parler devant lui, qu'il nous réfute lui-même. Si un seul des crimes qu'un homme peut commettre contre des hommes, il nous l'a épargné, nous ne refusons pas, nous, de souffrir à nouveau tous ces mêmes excès - à condition de pouvoir les souffrir -, et lui, de le voir absous de tout crime contre les dieux et contre les hommes".

[Début]

 

[29,19] Délibération au sénat sur la situation des Locriens

(1) Après ces paroles des envoyés de Locres, Quintus Fabius leur ayant demandé s'ils avaient porté leurs plaintes devant Publius Scipion, ils répondirent qu'ils lui avaient envoyé des députés, mais qu'il était pris tout entier par les préparatifs de la guerre, et qu'il était déjà passé en Afrique, ou y passerait d'ici quelques jours; (2) et ils avaient éprouvé, ajoutèrent-ils, combien le crédit du légat était grand auprès du général, quand, ayant connu du différend entre lui et les tribuns il avait jeté les tribuns dans les fers, tandis que le légat, aussi coupable qu'eux, et même plus, il le maintenait dans ses pouvoirs.

(3) Les envoyés invités à sortir du temple, non seulement Pleminius, mais Scipion furent maltraités par les principaux sénateurs dans leurs discours. Avant tous, Quintus Fabius accusait Scipion d'être né pour corrompre la discipline militaire: (4) ainsi, disait-il, en Espagne, on avait presque plus perdu par les révoltes des soldats que par la guerre; suivant l'usage étranger, l'usage des rois, Scipion était à la fois complaisant pour la licence des soldats et rigoureux envers eux. (5) À ces considérations, Quintus Fabius ajouta un projet de décision aussi rude que son discours: le légat Pleminius devait être amené, enchaîné, à Rome, y plaider sa cause enchaîné, et, si les plaintes des Locriens étaient fondées, être mis à mort dans sa prison, tandis que ses biens seraient confisqués; (6) Publius Scipion, pour avoir quitté sa province sans ordre du sénat, serait rappelé, et l'on négocierait avec les tribuns de la plèbe pour qu'ils proposent au peuple d'abroger son commandement; (7) aux Locriens, le sénat répondrait, de vive voix, que les outrages dont ils se plaignaient, ni le sénat, ni le peuple ne les approuvaient; on les appellerait hommes d'honneur, alliés et amis; on leur rendrait leurs enfants, leurs femmes, et les autres biens qui leur avaient été enlevés; tout l'argent enlevé au trésor de Proserpine, on le rechercherait, on remettrait à ce trésor le double de cette somme, (8) et l'on ferait une cérémonie expiatoire, après avoir demandé au collège des pontifes, pour le déplacement, l'ouverture, la violation de ce trésor sacré, quelle expiation, à quels dieux et avec quelles victimes il jugeait bon de faire; (9) les soldats qui étaient à Locres seraient tous transportés en Sicile; quatre cohortes d'alliés latins seraient amenées à Locres en garnison.

(10) On ne put demander ce jour-là l'avis de tous les sénateurs, les passions étant enflammées pour et contre Scipion. (11) Outre le forfait de Pleminius et le malheur des Locriens, le genre de vie, non seulement peu romain, mais peu militaire, du général lui-même était fort discuté: (12) il se promenait, disait-on, en manteau et en souliers grecs au gymnase, il s'appliquait à des livres méprisables, aux exercices de la palestre; avec une paresse, une mollesse égales, tout son état-major goûtait les agréments de Syracuse; (13) Carthage et Hannibal étaient sortis de leur mémoire; toute l'armée, gâtée par la licence, comme elle l'avait été sur le Sucro, en Espagne, comme maintenant à Locres, était plus redoutable pour les alliés que pour l'ennemi.

[Début]

 

[29,20] La proposition de Metellus est adoptée

(1) Quoique ces reproches fussent les uns vrais, les autres mêlés de vrai et de faux, et par là vraisemblables, l'avis qui l'emporta fut celui de Quintus Metellus, qui, approuvant sur le reste Maximus, s'en sépara au sujet de Scipion: (2) quelle logique y aurait-il en effet pour les citoyens, dit-il, après avoir récemment choisi ce jeune homme comme un général absolument unique pour recouvrer l'Espagne, après l'avoir - l'Espagne recouvrée - nommé consul pour terminer la guerre punique, après avoir, dans leur espoir, compté sur lui pour arracher Hannibal de l'Italie et conquérir l'Afrique, (3) à le rappeler soudain de sa province, presque condamné déjà sans avoir même plaidé sa cause, tout comme Quintus Pleminius, alors que les crimes impies dont se plaignaient les Locriens avaient été commis, de leur propre aveu, sans même que Scipion fût présent, et qu'on pouvait blâmer seulement la tolérance et la timidité qui lui avaient fait épargner son légat? (4) Métellus proposait donc ceci: le préteur Marcus Pomponius, à qui la "province" de Sicile était échue par le sort, partirait dans les trois jours pour cette province; les consuls choisiraient dans le sénat dix délégués, ceux qui leur plairaient, pour les envoyer avec le préteur, en même temps que deux tribuns de la plèbe et un édile; assisté de ce conseil, le préteur connaîtrait de l'affaire; (5) si les actes dont se plaignaient les Locriens avaient été commis sur l'ordre ou avec l'assentiment de Scipion, ils devaient lui ordonner de quitter sa province; (6) si Publius Scipion était déjà passé en Afrique, les tribuns de la plèbe et l'édile, avec deux des délégués, ceux que le préteur jugerait les plus aptes, devraient partir pour l'Afrique, (7) les tribuns et l'édile, pour en ramener Scipion, les délégués, pour commander l'armée en attendant qu'un nouveau général y fût arrivé; (8) si Marcus Pomponius et les dix délégués reconnaissaient que ce n'était ni sur l'ordre, ni avec l'assentiment de Scipion que ces actes avaient été commis, Scipion devait rester à l'armée et mener la guerre suivant son plan.

(9) Après ce sénatus-consulte, on s'entend avec les tribuns de la plèbe afin qu'ils choisissent, à l'amiable ou par le sort, deux d'entre eux pour accompagner le préteur et les délégués du sénat; (10) on s'en rapporta au collège des pontifes pour l'expiation des impiétés commises à Locres, dans le temple de Proserpine, en touchant, en violant et en emportant certains objets. (11) Les tribuns de la plèbe qui partirent avec le préteur et les dix délégués du sénat furent Marcus Claudius Marcellus et Marcus Cincius Alimentus; on leur donna un édile de la plèbe pour que, si Scipion, en Sicile, n'écoutait pas le préteur, ou s'il était déjà passé en Afrique, les tribuns pussent ordonner à l'édile de l'arrêter et le ramener ainsi, grâce aux droits de leur puissance sacro-sainte. La commission se proposait de se rendre à Locres avant d'aller à Messine.

[Début]

 

[29,21] Condamnation de Pléminius

(1) Mais il y a deux versions en ce qui concerne Pleminius. D'après les uns, comme, en apprenant ce qui s'était passé à Rome, il partait en exil pour Naples, il tomba par hasard sur Quintus Metellus, l'un des délégués, et fut ramené par lui, de force, à Regium; (2) d'après les autres, Scipion lui-même envoya un de ses lieutenants, avec trente cavaliers des plus nobles, pour mettre aux fers Pleminius, et, avec lui, les chefs de la révolte. (3) Tous ces hommes furent remis, soit, auparavant, sur l'ordre de Scipion, soit, alors, sur celui du préteur, à la garde des gens de Regium.

(4) Le préteur et les délégués du sénat, partis pour Locres, s'y occupèrent d'abord, suivant leurs instructions, de ce qui touchait la religion: tout l'argent sacré qui était en possession soit de Pleminius, soit des soldats, ils le recherchèrent, et, y joignant la somme qu'ils avaient apportée, ils le remirent dans le trésor de la déesse; ils accomplirent aussi une cérémonie expiatoire. (5) Puis, convoquant les soldats à l'assemblée, le préteur leur ordonne de sortir en rangs de la ville, et les fait camper dans les champs, en menaçant par un édit de peines sévères tout soldat qui restera dans la ville ou en emportera ce qui ne lui appartient pas; aux Locriens, il permet de reprendre ce que chacun reconnaîtra comme sien, et de réclamer les biens qu'ils ne retrouveront pas; (6) avant tout, il décide de faire rendre sans retard à leur famille les personnes libres: le châtiment, annonce-t-il, ne sera pas léger pour qui ne les rendra pas.

(7) Le préteur tient ensuite une assemblée des Locriens, et leur dit que leur liberté et leurs lois leur sont rendues par le peuple romain et par le sénat; si quelqu'un veut accuser Pleminius ou tout autre, il doit le suivre à Regium; (8) au sujet de Publius Scipion, si les Locriens veulent se plaindre officiellement de ce que les actes impies commis à Locres, contre les dieux et contre les hommes, l'ont été sur l'ordre ou avec l'assentiment de Publius Scipion, ils doivent envoyer des députés à Messine: là, il connaîtra de l'affaire avec son conseil.

(9) Les Locriens remercient le préteur et les délégués, le sénat et le peuple romain; ils iront, disent-ils, accuser Pleminius; (10) quant à Scipion, quoiqu'il se soit trop peu inquiété des outrages subis par leur cité, c'est un homme tel qu'ils aiment mieux l'avoir comme ami que comme ennemi; ils tiennent pour certain que ce n'est ni sur son ordre, ni avec son assentiment que tant de crimes abominables ont été commis; (11) ou il a eu trop de confiance en Pleminius, trop peu de confiance en eux-mêmes; ou certains hommes ont un tel caractère qu'ils désirent qu'on ne commette pas de fautes plus qu'ils n'ont d'énergie pour les punir.

On soulageait d'un beau poids le préteur et la commission en leur évitant une enquête sur Scipion; (12) ils condamnèrent Pleminius et trente-deux personnes environ avec lui, et les envoyèrent enchaînés à Rome. (13) Quant à eux, ils se rendirent auprès de Scipion pour vérifier encore de leurs yeux ce qu'on avait raconté sur le genre de vie, l'indolence de ce général, le relâchement de la discipline dans son armée, et le rapporter à Rome.

[Début]

 

[29,22] Réhabilitation de Scipion. Mort de Pleminius

(1) Comme ils se dirigeaient vers Syracuse, Scipion prépara, pour se disculper, des faits, non des discours. Il ordonna à toute son armée de se rassembler là, à la flotte de se préparer, comme s'il fallait, en ce jour, combattre les Carthaginois sur terre et sur mer. (2) Le jour de l'arrivée des délégués, on les reçut comme des hôtes, aimablement. Le lendemain, Scipion leur montra son armée et sa flotte non seulement rangés en bataille, mais les soldats manoeuvrant, et la flotte, elle aussi, se livrant, dans le port, à un simulacre de combat naval. (3) Puis, il fit faire au préteur et aux délégués le tour des arsenaux, des magasins, de tout ce qu'on avait encore préparé pour la guerre; (4) et ils furent frappés d'une si grande admiration pour ces préparatifs, en détail et dans leur ensemble, qu'ils restèrent convaincus que ce général et cette armée pouvaient vaincre le peuple carthaginois, ou que nuls autres ne le pourraient, (5) et qu'ils invitèrent Scipion - en souhaitant que ce dessein tournât heureusement! - à passer en Afrique, à faire, de l'espoir conçu le jour où les centuries unanimes l'avaient nommé consul le premier, une réalité aussi prochaine que possible pour le peuple romain; (6) et ils s'en allèrent le coeur aussi joyeux que s'ils allaient annoncer à Rome une victoire, et non pas seulement de magnifiques préparatifs de guerre.

(7) Pleminius et les hommes mis en cause avec lui, une fois arrivés à Rome, furent aussitôt emprisonnés. D'abord, quand les tribuns les présentèrent au peuple, ils n'obtinrent, des esprits prévenus par les malheurs des Locriens, aucune pitié; (8) puis, comme on les représentait plusieurs fois, tandis que les haines devenaient moins fraîches, les colères faiblissaient, et les mutilations mêmes de Pleminius, le souvenir de Scipion absent, gagnaient aux accusés la sympathie de la foule. (9) Toutefois Pleminius mourut dans les fers, trop tôt pour que le jugement du peuple eût été rendu à son sujet. (10) Ce Pleminius, Clodius Licinus, dans le troisième livre de son histoire romaine, rapporte que pendant les jeux votifs que l'Africain, consul pour la seconde fois, célébra à Rome, il tenta, grâce à des complices soudoyés, de faire mettre le feu en plusieurs points de la ville, pour avoir une occasion de briser la porte de sa prison et de s'enfuir, mais que, ce complot découvert, il fut transporté dans le Tullianum, conformément à un sénatus-consulte.

 (11) De Scipion, on ne parla nulle part, sauf au sénat, où tous les délégués et les tribuns, en portant aux nues la flotte, l'armée et le général, firent décider au sénat qu'il fallait passer en Afrique le plus tôt possible, (12) et firent autoriser Scipion à choisir lui-même, dans les armées qui se trouvaient en Sicile, les hommes qu'il ferait passer avec lui en Afrique, et ceux qu'il laisserait à la garde de la province.

[Début]

 

Suite: Chapitres XXIII à XXXVIII


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