Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 58b-73a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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DIGRESSION : La description de la ville de Rome [Myreur, p. 58b-73a]

 

Une traduction française des Mirabilia urbis Romae 

 

 

Introduction  [sommaire]  [texte]

L'insertion de deux traités

Les pages qui suivent (p. 58-85) ne relèvent pas du genre de la chronique. Elles ne contiennent pas une succession de notices, plus ou moins brèves, classées par ordre chronologique et signalant les événements contemporains dans des pays différents. Elles sont le résultat d'un procédé que nous rencontrons pour la première fois dans Ly Myreur : celui de l'insertion.

Immédiatement après avoir mentionné la fondation de Rome, Jean insère dans son récit une très longue description de la ville qu'il n'a pas rédigée lui-même. Il a traduit en moyen français et intégré dans son texte des sections très importantes de deux traités latins anonymes décrivant Rome, les Mirabilia et les Indulgentiae, sur lesquels nous allons revenir dans un instant.

Jean a recours à plusieurs reprises à ce procédé. En I, p. 308-328, par exemple, il a inséré, sur quelque vingt pages, la traduction française de traités latins sur la Vie d’Adam et d’Ève. Il lui est même arrivé, en I, p. 285-306, d'insérer et d’adapter en « français liégeois » un chapitre entier (la Mappemonde, un petit traité de géographie) tiré du Livre du Trésor, de Brunetto Latini (XIIIe siècle). Cette addition compte elle aussi une vingtaine de pages.

Le genre des Mirabilia et des Indulgentiae

Le premier des traités insérés ici appartient à un genre, les Mirabilia urbis Romae, qui avait débuté au milieu du XIIe siècle (vers 1140-1143) et présentait aux visiteurs de Rome les « curiosités » de la ville (mirabilia peut se traduire littéralement « les choses à voir, dignes d'être vues »). Le second appartient à un genre un peu plus récent, celui des Indulgentiae ecclesiarum urbis Romae. Il énumérait les indulgences qu'offraient aux visiteurs les principales églises de Rome. Les Mirabilia s'adressaient à tous les publics intéressés par les « curiosités » de la ville de Rome, qu'elles soient antiques ou chrétiennes. Le public-cible des Indulgentiae était davantage celui des pèlerins venus de tous les coins de la chrétienté en quête d'indulgences. Les Mirabilia et les Indulgentiae pourraient se comparer mutatis mutandis à des guides de voyages.

Les deux traditions sont bien connues et ont été beaucoup étudiées. Elles s'étendent sur plusieurs siècles et ont évolué, présentant de multiples facettes : on rencontre ainsi des versions latines qui ont évolué avec le temps et qui portent parfois des titres un peu différents ; on rencontre aussi en grand nombre des traductions dans plusieurs langues européennes. Les textes qui relèvent de ces deux traditions ont pour la plupart été conservés et édités. Mirabilia et Indulgentiae d'ailleurs sont souvent proposés dans les mêmes manuscrits.

Pour plus de détails, voir notre article intitulé « Les Mirabilia Romae et leur évolution » et paru sur les FEC (t. 29, 2015).

Martin et Jean ont des attitudes différentes

Martin et Jean n'ont pas adopté la même attitude. Martin, la source de Jean, n'a inséré que les Mirabilia, Jean a fait davantage, puisqu'il a introduit les deux traités, nouvelle preuve de son attitude assez libre vis-à-vis de sa source. Notre commentaire envisagera séparément les deux traités.

Quoi qu'il en soit, cette partie ajoutée, qu'elle soit simple ou double, forme un ensemble compact qui bloque le déroulement chronologique. En effet, la Rome décrite dans les Mirabilia n'est pas celle de Romulus, mais pour l'essentiel celle qu'ont laissée aux gens du Moyen Âge tous ses successeurs. Le décalage est plus net encore avec les Indulgentiae, où les églises qui fournissent aux pèlerins des milliers et des milliers d'années d'indulgences sont dues à des papes. Toutefois Jean, comme le montre en particulier un texte de la p. 69 de la traduction des Mirabilia, a très clairement conscience du fait qu'il quitte l'époque de Romulus, puisqu'il évoque tous les gouvernants, empereurs et papes, qui se sont succédé et qui ont contribué, chacun à leur manière, à l'achèvement de Rome (cfr aussi p. 85, en conclusion des Indulgentiae). Mais ces excursus ne sont pas rares chez notre chroniqueur. Il a d'ailleurs l'habitude de ramener son lecteur au sujet principal avec la formule, classique chez lui : revenons à nostre matiere où nos le lasammes (p. 85).

Quoi qu'il en soit, cette double digression constitue une énorme anticipation, puisque c'est la Rome médiévale que Jean présente à ses lecteurs.

La traduction des Mirabilia par Jean

Grâce à cette traduction française dont la présence dans Ly Myreur a d'ailleurs échappé aux spécialistes modernes, Jean appartient de plein droit à la tradition complexe et pluriséculaire des Mirabilia. Il en est de même évidemment de Martin, puisqu'il a lui aussi introduit ces Mirabilia dans son Chronicon Pontificum et Imperatorum, un siècle avant Jean.

Toutefois, au sein de cette tradition, la place exacte de Jean reste à déterminer. Il a certainement utilisé le texte à travers son adaptation par Martin au XIIIe siècle, mais il a probablement eu accès à une (ou des) forme(s) plus ancienne(s) des Mirabilia dont le genre, on l'a dit, est apparu vers 1140-1143. On sait en effet que Jean, auteur curieux et inventif, n'est pas asservi à sa source principale.

 Il y avait donc au départ un texte latin des Mirabilia (XIIe siècle) ; au XIIIe siècle, Martin en intègre dans son Chronicon une adaptation latine ; au XIVe siècle, Jean, dans son Myreur, traduit cette adaptation en moyen français. Nous nous trouvons donc en présence de trois textes : les Mirabilia latins de départ, la Chronique latine de Martin et la traduction française de Jean. Une comparaison minutieuse entre eux est susceptible de fournir des renseignements utiles sur la manière de travailler du chroniqueur liégeois.

Dans plusieurs articles des FEC, nous avons analysé quelques points particuliers. On les trouvera en parcourant les Tables des Matières des fascicules suivants : t. 25 (janvier-juin 2013), t. 26 (juillet-décembre 2014), t. 28 (juillet-décembre 2014), t. 29 (janvier-juin 2015), t. 30 (juillet-décembre 2015), t. 31 (janvier-juin 2016), t. 32 (juillet-décembre 2016) et t. 33 (janvier-juin 2017). Ils abordent les motifs de la corbeille de Virgile (p. 60), de la statue de Romulus et de la prédiction de la naissance virginale (p. 61), du groupe équestre du Latran avec le Cheval dit de Constantin (p. 62), des chevaux du Grand Cirque (p. 66-67), des statues magiques du Capitole (p. 69) et de la Vision d'Octavien (p. 70 et 72). L'enquête n'est encore qu'à ses débuts. Il reste énormément à faire et nous espérons la poursuivre un jour d'une manière plus systématique.

Mais dès maintenant on constate que la traduction de Jean est relativement fidèle au texte latin de Martin, qu'elle le résume souvent et qu'elle contient des erreurs de traduction ou des omissions qui la rendraient parfois incompréhensible si on ne disposait pas de son modèle. Les additions par contre sont beaucoup plus rares. Ainsi par exemple dans certains passages de la tradition des Mirabilia, Jean a ajouté motu proprio le nom de Virgile qui ne se trouvait pas dans son modèle, et il l'a fait pour mettre sa traduction en accord avec d'autres passages du Myreur.

En tout cas, nos travaux sur les rapports du Myreur avec la tradition des Mirabalia et avec la Chronique de Martin nous ont permis de découvrir un élément inattendu, mais très révélateur de la méthode de travail de Jean d'Outremeuse et de la conception qu'il avait d'une source. À ce sujet, nous renvoyons le lecteur à notre présentation du Prologue du Myreur.

L'organisation des Mirabilia

L'organisation des Mirabilia est généralement simple. On y trouve des informations de deux sortes : d'une part, des listes énumérant avec quelques rares détails des réalités romaines : tours, portes, monts, ponts, palais, arcs, théâtres, temples ; d'autre part, de courts développements sur certains sujets, comme le Capitole, le Colisée, le Panthéon. Certaines versions des Mirabilia, comme la Graphia aureae urbis un peu postérieure au texte le plus ancien, proposent aussi, sous forme d'introduction en quelque sorte, un bref aperçu de l'histoire romaine. Dans les pages en question ici, Jean n'a rien conservé de l'aperçu d'histoire romaine ; par ailleurs les deux parties (listes et exposés) sont séparées par une remarque expliquant bien que la Rome décrite n'est pas vraiment celle de Romulus, mais celle de ses nombreux successeurs.

Que le lecteur ne s'étonne pas de voir, dans les listes, les réalités de la Rome antique liées à celles de la Rome médiévale. Exemples : « la porte Salaria, qui mène à Sainte-Sabine » (p. 60) ; « Le palais de Néron, ou palais du Latran, près de Saint-Marcelin et Saint-Pierre » (p. 61) ; « Le palais de Cicéron, qui est maintenant la maison des enfants de Pierre Lion » (p. 63). Souvent les spécialistes modernes éprouvent de grosses difficultés à identifier avec précision les monuments cités. Il semble d'ailleurs que nombre d'attributions de l'auteur des Mirabilia (Palais de tel ou de tel, Temple de tel ou de tel, Thermes de tel ou de tel) soient fantaisistes. Mais restons-en là. Un commentaire détaillé de ce texte difficile sortirait de notre propos. Nous nous bornerons à introduire dans la traduction l'une ou autre note, sans développement particulier, pour attirer l'attention sur un détail intéressant.

Deux remarques

La première concerne la chronologie, en l'occurrence l'usage du système des concordances. Le passage sur la date de l'achèvement de Rome (p. 58) s'ouvre sur une longue concordance d'événements. Plusieurs systèmes de calcul sont convoqués : la création, le déluge, la naissance d'Abraham, celle d'Isaac, celle de Jacob, celle de Joseph, la destruction de Troie, le couronnement de David, les Olympiades, l'avènement du roi Ézéchias. Ce procédé, que nous avons déjà rencontré plus haut (p. 15, à propos de la mort d'Héber, un des gouverneurs d'Italie), sert, nous l'avons dit alors, à souligner l'importance d'un événement. Des passages de ce genre, riches en données chronologiques, mériteraient peut-être un examen systématique, qui permettrait de tester la cohérence interne de tous les systèmes de datation mis en oeuvre par le chroniqueur liégeois.

La seconde remarque porte sur un détail, la date de la fondation de Rome. Dans le comput de Jean, Rome est fondée en 710 avant Jésus-Christ. Cette date ne correspond pas à ce qui apparaît dans la tradition historiographique romaine, laquelle a d'ailleurs beaucoup varié au fil des siècles. Elle s'est arrêtée à l'an 754/753 avant notre ère (proposition de l'érudit romain Varron), mais bien d'autres dates ont circulé : 814, 788/787, 758, 752, 728, et on en passe... Voilà pour l'année. En ce qui concerne le jour et le mois, on ne voit pas très bien quelle est l'origine de la date du premier juin mentionnée par Jean. Dans la tradition historiographique romaine, plutôt stable sur ce point, Rome fut fondée un 21 avril, lors de la fête des Parilia. Mais cela ne doit pas nous étonner : fréquemment le chroniqueur liégeois, passionné de chronologie, n'hésite pas à dater les événements, non seulement à l'année près, mais parfois au mois, voire au jour près.

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Sommaire

Date de l'achèvement de Rome (an 365 de David = 710 a.C.n.)

* Introduction à la description de la Rome antique

* Les tours et les portes

* Les monts et les ponts

* Les palais

* Les arcs

* Les théâtres

* Les temples

* Précisions de Jean d'Outremeuse sur les responsables de constructions

* Le Capitole : le temple aux statues fait par Virgile et les temples où Octavien vit le ciel

* Le Colisée

* Le Panthéon

* Sainte-Marie du Capitole et la vision d'Octavien

* Autres temples et divers

 

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Date de l'achèvement de Rome (an 365 de David = 710 a.C.n.)

 

[p. 58] [De Romme comment elle fut parfaite] Ors est raisons que nos devisons de la perfection de la citeit de la grant Romme, qui fut parfaite chi endroit.

[p. 58] [L'achèvement de Rome] Il convient maintenant que nous parlions de l'achèvement de la cité de la grande Rome, qui eut lieu à ce moment.

 Romme la grant fut fondée, enssi que nos vos disons, sor l'an del origination de monde IIIIm IIIIc IIIIxx et IIII, qui fut li an del deluve Noé IIm IIc et XLII ans, qui fut l'an del nativiteit Abraham M et IIIc, qui fut l'an del nativiteit Ysaac, le fis Abraham, M et IIc, et l'an del nativiteit Jacob, le fis Ysaac, MC et XL, et l'an del nativiteit Joseph, le fis Jacob, M et LII, et l'an del destruction del grant Troie IIIIc et LXV, et l'an del coronation le roy David IIIc et LXV, le thier an de la XIIIe olimpiade, al XXe année del coronation le roy de Judée Ezechias, le fis Achas ; le promier jour de junne, fut tout parfaite et sollempnisié solonc leur loy, et fait grant fieste, et fut apellée Romme apres Romelus, et fut faite le chief chatedrail de tout l'empire de Romme.

 La grande Rome fut fondée, comme nous vous le disons, en l'an 4484 de l'origine du monde, qui était l'an 2242 du déluge de Noé, l'an 1300 de la naissance d'Abraham, l'an 1200 de la naissance d'Isaac, le fils d'Abraham, l'an 1540 de la naissance de Jacob, le fils d'Isaac, l'an 1052 de la naissance de Joseph, le fils de Jacob, l'an 465 de la destruction de la Grande Troie, l'année 365 du couronnement de David, la troisième année de la treizième Olympiade, la vingtième année du couronnement du roi de Judée Ézéchias, le fils d'Achas ; elle fut achevée le premier jour de juin et inaugurée solennellement, selon leur loi, par une grande fête. Elle fut appelée Rome, d'après Romulus, et devint la capitale de tout l'empire de Rome.

 

Introduction à la description de la Rome antique

 

[p. 58] [La fachon de Romme] Ors est raison que nos devisons la fachon de Romme, solonc chu que Estodiens le dist en ses croniques : et promirs ilh parolle des thours qui sont en la citeit, dont ilh fut IIIc et LXI, et y sont encors. Et vos dirons chi les coises que ilh fist à Romme, et qui furent et sont faites, le temps succedant, par Romelus et ses successeurs apres luy. Ilh fist tout promier venir habiteir à Romme, por peupleir, les nobles linages que vos oreis, assavoir : les Sabinois, les Albinois, les Campinois, les Lucans et tous les nobles d'Ytaile awec leurs femmes et enfans1.

[p. 58] [Description de Rome] Il convient maintenant que nous parlions de la construction de Rome, d'après ce qu'en dit Estodius (p. 2) dans ses chroniques. D'abord, il parle des tours qui se dressaient dans la cité, au nombre de trois cent soixante et une, et qui s'y trouvent encore. Nous vous dirons ici les choses réalisées à Rome, au fil du temps, par Romulus et ses successeurs. En premier lieu, il fit venir à Rome, pour la peupler, les nobles lignages dont vous entendrez parler : les Sabins, les Albains, les Campaniens, les Lucaniens et tous les nobles d'Italie avec leurs femmes et leurs enfants.

 

1 Nous faisons rarement état de la tradition manuscrite du Myreur, réduite en fait à deux témoins, A et B, qui varient fort peu. L'ajout de B est ici significatif, car relativement long : les Tusculans, les Politanois, les Celeniens, les Sicanois et les Tamarinois. Le copiste de A a fait un choix dans la liste de Martin (p. 400, éd. Weiland) qui comporte huit noms de peuples. Le copiste de B a ajouté deux noms (les Tusculans et les Politanois) présents chez Martin. Restent les Celeniens, les Sicanois et les Tamarinois ? La consultation des treize noms de la liste de la Graphia urbis (12) n'apporte pas de véritable solution. On y trouve toutefois des formes comme Telenenses et Ficanes qui pourraient être rapprochées de Celeniens et de Sicanois. La compilation de N. Rosell pour sa part ne comporte pas de préambule historique. Mais inutile de s'étendre davantage sur ce point : la liste de noms est assez complexe et la tradition des Mirabilia est très variée.

 

Les tours et les portes

 

[p. 58] [Des thours de Romme] Ors revenons à nostre matiere. Ilh oit altour de la citeit de Romme trois cens et LXI thours faites sor les murs, fortes et belles, tout à la circuit. Et tenoient les murs XLII milh de circuite, sens ens compteir trans Tyberim et le citeit Leonine, et tout ensemble ilh tenoit XLII mil.

[p. 58] [Les tours de Rome] Revenons maintenant à notre matière. Il y eut tout autour de Rome trois cent soixante et une tours, puissantes et belles, construites sur tout le pourtour des murs. Ces derniers s'étendaient sur quarante-deux milles, sans compter le Transtévère et la cité Léonine. L'ensemble faisait quarante-deux milles.

Et dist Tytus Livus, en prolonge de ses croniques où ilh parolle de Romme, que al temps [p. 59] de povreteit, c'est-à-dire quant Romme n'astoit mie si riche, ilh n'estoit nulle aultre lieu plus confirmeit en bonteit ne en bons exemples, ne plus riche de suffissanche que Romme astoit. Et quant de toutes chozes ilh avoit moins, tant moins de convoitiese avoit ; et quant elle devient riche, elle devient avarichieux et luxurieux, et rebelle encontre son droit saingnour.

Tite-Live, dans la préface de ses chroniques consacrées à Rome, dit qu'à l'époque de [p. 59] la pauvre Rome, c'est-à-dire quand elle n'était pas si riche, il n'existait aucune autre ville plus réputée pour ses qualités et ses bons exemples, ni plus satisfaite de ce qu'elle possédait. Moins elle avait de richesses, moins elle développait de convoitise. C'est une fois devenue riche qu'elle fut avaricieuse et luxurieuse, rebelle aussi à l'égard de son seigneur légitime.

[Des portes de Romme] Apres, sont les portes de la citeit de Romme teiles : promirs, le porte Carpane, que ons nom maintenant le porte Sains-Poul, deleis le sepulture Remus, le frere Romelus ; item, le porte d'Apie, qui vat à Domine, quo vadis, ad cathecumbas ; item, le porte de Latins, deleis laqueile sains Johans ewangelist fut cuys en oile ; item, le porte Asineuse de Latram ; item, le porte Metrona, là li rive influit en la citeit ; item, le porte c'on dist Lenicana, que ons dist que c'est la plus grant, et est maintenant dite la porte Sainte-Crois ; item, la porte c'on dist Laurenche ou Tyburtine, que ons [p. 60] apelle le porte Saint-Loren ; item, le porte Minientane, qui vat à Sainte Agnes ; item, le porte que ons dist Salaria, qui vat à Sainte-Sabine ; item, la porte Ponciane, qui siet deleis l'engliese Sains-Felix en Pincine ; item, le porte Flamyne, qui siet à Sainte-Marie de Peuple, et vat-ons par là à pont des Chevaliers ; item, la porte Colin, qui siet vers le temple Adrian l'empereur et vers le pont Sains-Pire ; item, en la citeit trans Tyberim sont trois portes, et en la citeit Leonine trois oussi. Chi sont les portes de Romme.

[Les portes de Rome] Voici ensuite la série des portes de Rome : d'abord, la porte Capena, qu'on appelle maintenant porte Saint-Paul, près du tombeau de Rémus, le frère de Romulus ; la porte Appia, qui mène à Domine quo vadis, ad Catacumbas ; la porte Latina, près de laquelle saint Jean l'Évangéliste fut placé dans l'huile bouillante (p. 494) ; la porte Asinaria du Latran ; la porte Metronia, où le fleuve entre dans la cité ; la porte appelée Lavicana, qu'on dit être la plus grande et qui est maintenant appelée porte Sainte-Croix ; la porte dite Taurina ou Tiburtina, qu'on [p. 60] appelle porte Saint-Laurent ; la porte Numentana, qui mène à Sainte-Agnès ; la porte Salaria, qui mène à Sainte-Sabine ; la porte Pinciana, qui se trouve près de l'église Saint-Félix du Pincio ; la porte Flaminia, qui se trouve à Sainte-Marie du Peuple, et mène vers le pont des Chevaliers ; la porte Collina, qui se trouve près du temple de l'empereur Hadrien et mène au pont Saint-Pierre. Dans la cité trans Tiberim il y a trois portes, et il y en a trois également dans la cité Léonine. Telles sont les portes de Rome.

 

Les monts et les ponts2

 

[p. 60] [Des mons de Romme] Les plus grans mons qui sont à Romme sont cheaux : ly mons Aventin, que ons dist Sainte-Sabine ; mons de Cavals, c'on dist à Sains-Alexis ; mons Sains-Estiene ; mons de Capitol ; mons de Gran-Palais ; mons de Sainte-Marie le Maiour ; mons de Rivelais, où Virgilhe fut sachiés en la corbilhe.

[p. 60] [Les monts de Rome] Les plus hauts monts de Rome sont les suivants : le mont Aventin, appelé Sainte-Sabine ; le mont de Cavals, dit de Saint-Alexis ; le mont Saint-Étienne ; le mont du Capitole ; le mont du Grand Palais ; le mont de Sainte-Marie Majeure ; le mont Rivelais3, où Virgile fut hissé dans la corbeille.

[Des pons de Romme] Item, les pons de Romme s'ensiwent : li pons c'on dist des Juys, ly pons Sains-Fabiane, li pons des Senateurs, li pons Valentin, li pons Theodosii, li pons Sainte-Marie.

[Les ponts de Rome] Viennent ensuite les ponts de Rome : le pont dit Pont des Juifs, celui de Saint-Fabien, celui des Sénateurs, celui de Valentin, celui de Théodose, celui de Sainte-Marie.

 

2 Ces deux paragraphes, tout comme celui sur les arcs un peu plus loin, sont absents du texte de la Chronique de Martin (éd. Weiland), mais présents dans celui des Mirabilia primitifs et dans la compilation de N. Rosell. On n'en conclura pas pour autant que Jean collationnait plusieurs versions des Mirabilia. L'édition Weiland (1872) de Martin est considérée aujourd'hui par les spécialistes comme insuffisante. Peut-être l'édition nouvelle, annoncée dans les MGH, contiendra-t-elle ces paragraphes. Quant à la compilation de N. Rosell, ses listes présentent des différences textuelles assez importantes avec celles de Jean.

3 C'est ainsi que Jean désigne l'endroit où se produisit l'épisode célèbre du panier qu'il raconte beaucoup plus loin (p. 236-240). Dans la suite du Myreur, il n'utilisera toutefois plus ce terme, inconnu de la topographie romaine. Certains modernes pensent qu'il s'agirait du Viminal, notamment parce que c'est le nom de la colline que N. Rosell met en rapport avec Virgile, mais pas dans l'épisode du panier. La légende de Virgile se trouve analysée et replacée dans un contexte très large dans notre article des FEC (t. 23, 2012).

 

Les palais

 

[p. 61] [Des palais] Les palais des empereurs de Romme et des altres saingnours s'ensient en teile maniere. Promier estoit li palais maiour, qui seioit emmy la citeit en signe de monarchie qui demontre justiche ; chis astoit composeis al maniere de crois, car ilh avoit IIII frons, et en chascon front astoient cent portes de arren doreez. Item, li palais Romulus, qui siet par-deleis I petit maison de boveres.

[p. 61] [Les palais] Les palais des empereurs de Rome et des autres seigneurs sont les suivants. D'abord, le Grand Palais, qui se trouvait au milieu de la ville, symbole de la royauté qui représente la justice. Il était en forme de croix, et comportait quatre façades, ayant chacune cent portes de bronze doré. En outre, il y avait le palais de Romulus, situé près d'une petite maison de bergers.

Item, li palais Neron, que ons appelle Lateranense, deleis Sains-Marcelle et Sains-Pire ; et est apelleis Lateranense por I raine que Neron engenrat en cel palais, une raine, enssi qu'ilh en fait mension chi apres à son temps ; et siet devers septentrionale.

Le palais de Néron, ou palais du Latran, près de Saint-Marcelin et Saint-Pierre. Ce nom de Latran lui vient d'une grenouille que Néron mit au monde dans ce palais, grenouille dont il sera fait mention plus loin, en temps voulu (p. 470-471). Le palais est tourné vers le Nord.

Item, le palais Susurrianum, c'est-à-dire des rimeurs ; là maintenant est l'engliese Sainte-Crois en Jherusalem.

Le palais Sussurianum, c'est-à-dire des poètes : là se trouve maintenant l'Église Sainte-Croix en Jérusalem.

Item, le palais de Pais, où Romulus metit l'ymaige de luy tout d'or ; et par-deleis fist puis Virgile une columpne, et sus une ymage de virge, et dest : « Quant une virge enfant aurat, chest ymaige chairat ; » enssi que vos oreis chi-apres à temps de Virgile.

Le palais de la Paix, où Romulus plaça sa statue en or. Près de là plus tard, Virgile fit une colonne, surmontée de l'image d'une vierge, disant : « Quand une vierge enfantera, cette image tombera. » Vous en entendrez parler plus tard, au temps de Virgile (p. 234 et p. 4354)

Item, le palais Trajan. Item, [p. 62] le palais Adrian, où est li columpne. Item, le palais Claudii, deleis Pantheon. Item, le palais Anthoine, où est li aultre coloumpne. Item, le palais Nero, sour le hospitail de Saint-Espir jusques à Sains-Pire. Item, le palais Camille. Item, le palais Julius-Cesaire, où ilh repouse. Item, le palais Cromatii, où est li cheval de erain doreis. Item, le palais Euphemii, en mont d'Aventine. Item, le palais Tytus et Vespasianus, fours des murs ad cathecumbas.

Ensuite le palais de Trajan, puis [p. 62] celui d'Hadrien, où se dresse une colonne. Le palais de Claude, près du Panthéon. Celui d'Antonin, où se trouve une autre colonne. Le palais de Néron, s'étendant de l'hôpital du Saint-Esprit jusqu'à Saint-Pierre. Le palais de Camille. Le palais de Jules César, où il repose. Le palais de Cromatius, où se trouve le cheval de bronze doré. Le palais d'Euphemius, sur le mont Aventin. Le palais de Titus et Vespasien, à l'extérieur des murs, vers les catacombes.

Item, le palais Constantin, où est ly cheval doreis que ons dist que ch'est Constantin ; mains ilh ne l'est nient, car c'est des mervelhes Virgile fist à Romme, enssi que vos oreis chi-apres, quant temps iist. Quant les consules et les senateurs govrenarent Romme, avoit I homme d'armes de tres-grant fourme et vertut, et plains de hardileiche, qui prist unc poissan roy qui avoit assegiet Romme, et astoit une pasieble heure aleis parfaire le secreit mestier de nature à lieu acoustumeit à chu ; chis gran hons prist le roy et l’emportat par-dedens Romme, et chis gran hons requist aux Romans que en memoire perpetuel fust faite une ymage en cel palais des Olimpiades.

Le palais de Constantin, où se trouve la statue équestre en bronze doré. On dit qu'elle est de Constantin ; mais ce n'est pas lui, car c'est une des merveilles réalisées à Rome par Virgile, comme vous l'apprendrez, en temps voulu. Quand les consuls et les sénateurs étaient au pouvoir à Rome, un homme d'armes d'une très grande taille et d'une très grande valeur, plein d'audace, s'empara d'un roi puissant qui assiégeait Rome. Profitant d'un moment de calme, ce roi était allé satisfaire un besoin naturel à un endroit approprié. Le héros saisit le roi, l'emporta dans la ville de Rome et exigea des Romains, pour perpétuer à jamais son exploit, qu'on lui éleva une statue en ce palais des Olympiades5.

Item, le palais Domitian en trans Tyberim al miche d'or. [p. 63] Item, le palais Octovian, où est li engliese Sains-Silvestre à la tieste. Item, le palais Venus, où est li escolle grigois. Item, le palais Cyceron, où est maintenant li maison des enfans Pire Lyon.

Le palais de Domitien, trans Tiberim, à la miette (ou la miche) d'or [p. 63]. Le palais d'Octavien, où se trouve l'église Saint-Silvestre-de-la-Tête. Le palais de Vénus, où se trouve l'école grecque. Le palais de Cicéron, qui est maintenant la maison des enfants de Pierre Lion.

Item, le palais Katheline, où est ly engliese Sains-Anthoine, deleis laqueile est li lieu c'on nom Infiers, portant que de l'anchien temps astoit-ons illuc devoreis les gens ; et là venoit sy grant soufflemens et si pervelheux aux Romans que ch'astoit mervelhe ; où Marcus Tuitius, affin que la citeit fust delivrée par les responsions des dieux, soy jettat tout armeis en la fosse ; et tantost fut la terre reclouse, et li lieu n'y fut plus, ains en fut dedont en avant la citeit delivrée.

Le palais Katheline, avec l'église Saint-Antoine, près de laquelle se trouve le lieu nommé Enfers, parce que anciennement des gens avaient été dévorés à cet endroit. Il s'y produisait des souffles si puissants et si dangereux pour les Romains que c'était prodigieux. C'est là que Marcus Tuitius6, pour délivrer la cité suite à un oracle des dieux, se jeta tout armé dans la fosse. La terre se referma aussitôt sur lui ; le lieu cessa d'exister, mais dorénavant la cité fut délivrée.

Item, les palais que ons nom Terme sont chi apres contenus, assavoir : Terme Antoniane, Tyberian, Nepotiane, Domytiane, Maximiane, Luciniane, Dyocleciane, Olimpiadane, Agrypiane, Alexandriane.

Les palais appelés Thermes sont cités ci-après : Thermes d'Antonin, de Tibère, de Népotien, de Domitien, de Maximien, de Lucinien, Thermes de Dioclétien, d'Olympiade, d'Agrippine, d'Alexandrine.

Capitolium, qui astoit li tieste de monde, où les senateurs et consules chi-apres demoroient, et avoient à govreneir le monde ; lequeile Capitoile avoit la faiche droit de murs hauls et fermes de voir et d'oir (corr. Bo) partout covers, enssi com chu fust unc myreur tous regardans.

Le Capitole, qui était la tête du monde, était le palais où plus tard habitèrent et gouvernèrent le monde les sénateurs et les consuls. Ce Capitole avait sa façade principale faite de murs hauts et solides, partout recouverts de verre et d'or, comme si c'était un miroir que tous regardaient.

 

4 Cette histoire a été traitée dans plusieurs de nos articles des FEC : notamment t. 27, 2014.

5 L'histoire du Cheval de Constantin se trouve analysée et replacée dans un contexte très large dans notre article des FEC (t. 31, 2016).

6 Dans l'historiographie romaine, c'est l'histoire de Mettius Curtius (Varron, De Lingua Latina, VI, 148-150 ; Tite-Live, Histoire romaine, I, 13). Son nom apparaît sous diverses formes dans la tradition : l'édition Weiland de Martin, par exemple, donne Martinus Circius, avec beaucoup de variantes toutefois dans la tradition manuscrite. Il sera encore question de l'Enfer plus loin, p. 65 et 103.

 

Les arcs

 

[Les ars de Romme] Les ars triomphales s'ensient oussi. Ilh est à Romme li ars d'or Alexi à Sains-Celse. ltem, li ars Valeriane, Gratiane et Theodosiane, empereurs. [p. 64] Item, li ars Constantin. Item, li ars des VII Lucernes, où iIh est li candelabre Moyses, awec les arches qui ont VII branches en piet de tours. Item, li ars Julin Cesaire et les senateurs, à Sains-Martin. Item, li ars Octoviane et Anthoine, à Sains-Lorent en Lucena.

[Les arcs de Rome] Viennent ensuite aussi les arcs triomphaux. On trouve à Rome l'arc d'or d'Alexandre à Saint-Celse, et les arcs des empereurs Valérien, Gratien et Théodose. [p. 64] L'arc de Constantin. L'arc des Sept Lumières, où se trouve, avec l'arche, le chandelier de Moïse à sept branches, au pied ressemblant à la base de la Turris Cartularia de Rome7. Les arcs de Jules César et des sénateurs, à Saint-Martin. Les arcs d'Octavien et d'Antoine, à Saint-Laurent in Lucina.

[Del femme qui demandat justiche de son fis qui ly fut ochis] Item, ilh sont alcuns ars qui ne sont mie triumphales, mais memorials, enssi com li ars de Pieteis. Item, li ars à Sainte-Marie la Raonde, où I femme vient une fois à l'empereur qui aloit là, et li dest, en cheant à ses pies en plorant : « Sire, anchois que tu vois avant, fais-moy raison. » Et li empereur li respondit : « Je toy promey loialment de faire droit al revenir. » Et, quant li empereur revient, se dest à la femme : « Dis, de quoy vues-tu avoir droit ? » Elle respondit : « J'avoie, Sire, I beal fis qui est ochis par le tien fis. » Li empereur respondit, et dest par sentenche : « Mort soit li homicide ! » Et tantost fut pris et emmeneis vers la justice por morir ; mains la femme vient avant, et dest : « Delivreis-moy cely vivant, por faire morir en lieu de mon fis mort. » Li empereur li otriat, et atant, senestre partie, se l'emenat awec lée, et se l'esposat.

[La femme qui réclama justice pour son fils qui avait été tué] Il y a aussi certains arcs qui ne sont pas triomphaux mais mémoriaux, comme l'arc de la Piété. Ce dernier se trouve à Sainte-Marie-la-Ronde. C'est là qu'un jour une femme s'approcha de l'empereur passant par là, tomba en pleurs à ses pieds et lui dit : « Sire, avant que tu ne t'en ailles, fais-moi justice. » L'empereur lui répondit : « Je te promets formellement de faire justice à mon retour. » Quand il revint, il dit à la femme : « Dis-moi ; de quoi veux-tu obtenir justice ? » Elle répondit : « Sire, j'avais un fils fort beau, tué par ton fils. » L'empereur lui dit sa sentence : « Que la mort soit pour l'homicide ! » Aussitôt le coupable fut pris et mené à la mort. Mais la femme s'avança et dit : « Livrez-le- moi vivant, pour que je le fasse mourir comme est mort mon fils. » L'empereur le lui accorda, et alors, maigre compensation (?), elle l'emmena avec elle et l'épousa8.

 

7 Nous avons rendu dans notre traduction le texte de l'original latin des Mirabilia (Arcus septem lucernarum Titi et Vespasiani, ubi est candelabrum Moysi cum arca habens septem brachia in piede Turris Cartulariae) que Jean n'a manifestement pas compris. Ce passage ne figure pas tel quel chez Martin, et il n'est pas présent dans toutes les formes de la tradition des Mirabilia. Il doit concerner la décoration de ce qu'on appelle l'arc de Titus, érigé peu après la mort de cet empereur pour commémorer la prise de Jérusalem et la destruction du Second temple de Jérusalem. L'expression en pied de tours doit faire allusion à une interprétation médiévale : la base du chandelier peut effectivement faire songer à la base de la Torre Frangipane (ou Turris Cartularia) de Rome.

8 Cet épisode, qui ne donne pas le nom de l'empereur mis en scène, est absent non seulement de la Chronique de Martin (éd. Weiland) mais aussi des Mirabilia primitifs ainsi que de la Graphia. Il apparaît par contre, toujours sans nom d'empereur, dans la recension de Nicolás Rosell (De mirabilibus civitatis Romae, VIII). Est-ce là que Jean d'Outremeuse l'aurait trouvé ? ‒ En fait il s'agit d'un récit relativement ancien et appartenant à la légende médiévale de Trajan. On le rencontre chez Paul Diacre au VIIIe siècle (Vita beati Gregorii papae), puis, au siècle suivant, dans la vie du même pape (Vita Gregorii Magni) par Jean Diacre (Patrologia Latina, t. 75, respectivement ch. 27, col. 56, pour Paul Diacre, et ch. 44, col. 104, pour Jean Diacre). L'histoire fut reprise, avec des variantes, dans de nombreux textes médiévaux en latin et en langues vulgaires, avant que Dante n'évoque dans son Paradis (chant XX, 43-48) « Trajan, celui qui consola la pauvre veuve de la mort de son fils ». Elle semble ne pas avoir été liée à l'origine à l'arc de la Piété et s'être intégrée tardivement à la tradition des Mirabilia. ‒ Sur cette légende, censée illustrer le motif de « la justice de Trajan », on pourra voir la grosse étude de G. Paris, La légende de Trajan, dans le fascicule XXXV de la Bibliothèque de l'École des hautes études, 1878, p. 261-298 (sur la Toile), la présentation de Trajan dans le livre de A. Graf, Roma nella memoria, Rome, p. 375- 406 (sur la Toile également) et la note de synthèse dans l'édition V.-Z. du Codice Topografico, vol. III, 1956, p. 186. ‒ Comme source directe, Jean a probablement utilisé ici la Légende dorée de Jacques de Voragine (ch. 46, p. 237, éd. A. Boureau), qui propose deux versions différentes du récit. Dans la seconde, Trajan avait « abandonné à la veuve éplorée son propre fils, en remplacement du défunt, et avait généreusement doté la veuve ». Le motif du remariage de la veuve avec le fils de l'empereur ne semble pas attesté ailleurs. Le chroniqueur aurait-il développé le motif à sa manière en imaginant ce nouveau trait ? ‒ Il faudrait pour cela rassembler et étudier toutes les attestations du motif, outre celles intégrées dans les vitae du pape Grégoire. Elles sont nombreuses. La légende est notamment rapportée dans le Tractatus (I, 4, 8) d'Étienne de Bourbon (XIIIe siècle) et dans le Speculum historiale (XXII, 12) de Vincent de Beauvais (XIIIe siècle), deux sources indiscutables de Jacques de Voragine. ‒ Elle apparaît également comme exemplum (cfr Fr. Tubach, Index Exemplorum, Helsinki, 1969, 530 p., n° 2368, n° 4989 et n° 5267 [Google Play], ainsi que le Thesaurus Exemplorum Medii Aevi [ThEMA]). ‒ En tout cas, Jean ne donne pas le nom de l'empereur en cause ici et il n'a pas intégré la légende dans sa notice sur l'empereur Trajan, qui n'accueille que celle concernant saint Eustache (Myreur, I, p. 514-523). Nous ne pouvons pas développer davantage le sujet, qui mériterait un article indépendant.

 

Les théâtres

 

[p. 64] [Les theatres] Les theatres qui sont à Romme sont teiles : promier, le theatre Tytus et Wespasianus ad cathecumbas. Item, le theatre Tarquin à VII soleais. Item, le theatre Pompée, à Sains-Lorent en Damase. Item, le theatre de Flavie.

[p. 64] [Les théâtres] Les théâtres à Rome sont les suivants : d'abord, le théâtre de Titus et de Vespasien, ad cathecumbas ; le théâtre de Tarquin, au Septisolium (p. 66 et p. 73) ; le théâtre de Pompée, à Saint-Laurent in Damaso ; le théâtre de Flavie.

 

Les temples

 

[p. 65] [Des temples de Romme] In summitate archis Capitolii, c'est-à-dire al deseur del arche de Capitoil, fut li temple de Jupiter, en laqueile estoit ly ymage d'or Jupiter seant en unc trone d'or, où astoit oussi li temple Asilum, en queile fut mors Julius Cesaire. Item, desous le Capitoile, où le symulachre fut de marbre, fut li temple Jupiter.

[p. 65] [Les temples de Rome] In summitate arcis Capitolii, c'est-à-dire au sommet de la citadelle du Capitole, se trouvait le temple de Jupiter, avec la statue en or du dieu siégeant sur un trône d'or. Il y avait là aussi le temple Asilum, où mourut Jules César. Au pied du Capitole, là où il y a une statue de marbre, se trouvait un temple de Jupiter.

 Item, où est Sainte-Martine, fut li temple de Destineez. Item, là où est li engliese Sains-Adriane, fuit li temple de Refuite. Item, à Saint-Sergien fut ly temple de Concorde. Item, en Patechenais fut li temple Cheleris. Item, le temple des Vestimens fut en lieu c'on nom Enfier. Item, où li engliese Saint-Cosme est, fut li temple Asyli. Item, derier l'englize Saint-Cosme fut li temple de Pais, et al deseur astoit le temple [p. 66] Romuli. Item, où l'engliese Sainte-Marie-Nove est, fut li temple de Concorde et de Piteit.

À l'endroit de Sainte-Martine s'élevait le temple du Destin. À celui de l'église Saint-Hadrien se trouvait le temple du Refuge. À Saint-Serge, le temple de la Concorde. Dans le Patechenais [Canapara chez Martin], le temple de Cérès. Le temple des Vêtements [Vesta chez Martin] se trouvait à l'endroit nommé 'Enfer' (p. 63, p. 103). Là où est l'église Saint-Côme, le temple de l'Asile. Derrière l'église Saint-Côme, le temple de la Paix, et au-dessus, le temple [p. 66] de Romulus. Là où se trouve l'église Sainte-Marie-Nouvelle, le temple de la Concorde et de la Pitié.

Item, asseis pres fut le Cartherelle, portant que chu astoit unc puble lieu desqueis ilh en avoit en la citeit XXVIII.

Tout près de là se trouvait le Cartularium qui était un lieu public [bibliotheca chez Martin], comme il y en avait vingt-huit dans la cité.

Item, devant Coloseum fut li temple de Soleal : là fasoit-ons les cheremonies des symulachres, qui astoient al summe de Colosei coroneis d'or et de gemmes prechieux, le mains et la tieste desqueis sont en l'engliese de Latran. Item, Septisolium, qui fut des VII ordes des columpnes, fut ly temple de Soleal et de la Lune.

Devant le Colisée se dressait le temple du Soleil. On y faisait des cérémonies à la statue [au singulier chez Martin] qui se trouvait au sommet du Colisée. Elle avait sur la tête une couronne d'or et de pierres précieuses. Ses mains et sa tête se trouvent dans l'église du Latran [au Latran chez Martin] (p. 70). Le Septisolium, avec ses sept rangs de colonnes, était le temple du Soleil et de la Lune (p. 64, et p. 73).

 Item, asseis pres est Sainte-Babilonie in Albeston, où fut Mutatorium Cesaire ; et là fut fait li candelabre de Albeston, une piere prechieux qui est de teile manere ou nature que, quant ilh est une seul fois esprise et desous les dieux mise, jamais par nul art ilh n'estinderat, liqueis lieu est por chu nommeis Albeston, portant que là oussi faisoit-ons les blanches estoiles imperials. Item, là est tantost apres l'ateit en l'engliese Sainte-Albine ly ymage de Nostre-Salveur Jhesu-Christ, divinement pointe.

Tout près se trouve Sainte-Balbine en Albeston, où était le Mutatorium (p. 73, Mutatio) de César. C'est là qu'il y avait un candélabre fait en albeston, une pierre précieuse, d'une espèce et d'une nature telle qu'une fois allumée et placée sous les dieux [sub divo positus, chez Martin], rien ne peut l'éteindre. Cet endroit est nommé Albeston parce qu'on y faisait aussi les vêtements blancs des empereurs. Juste derrière l'autel de l'église Sainte-Albine, se trouve l'image de Notre Sauveur Jésus-Christ, divinement peinte.

Devant cesty temple astoit li ars Prisci Tarquini, droit entre le mont Aventin et le gran palais, où ilh avoit II portes, l'une vers orient et l'autre vers [p. 67] occident, qui astoit de mervelheux bealteit, et qui par teile maniere astoit disposeit que nuls Romans ne poioit defendre li uns l'autre à veioir les jeux que ons faisoit illuc. Item, là estoient II chevals de erain doreis en la halteche del arch et des portes eleveis, li uns vers orient et l'autre vers occident, qui, par leur disposition et l'art de quoy Virgile les avoit faite, avoient le vertu de provoqueir les chevals à corir, lesqueis chevals Constantin les portat awec luy en Constantinoble.

Devant ce temple se trouvait l'arc [circus chez Martin] de Tarquin l'Ancien, juste entre le mont Aventin et le grand Palais. Il avait deux portes, l'une à l'est et l'autre à l'ouest [p. 67]. Le bâtiment était d'une merveilleuse beauté et construit de façon telle qu'aucun Romain ne pouvait empêcher un autre de voir les jeux qui s'y déroulaient. Il y avait aussi deux chevaux en bronze doré au-dessus de l'arc et des hautes portes, l'un vers l'est et l'autre vers l'ouest. Par leur position et l'art avec lequel Virgile les avait réalisés, ils avaient le pouvoir de pousser les chevaux à la course. Ces chevaux, Constantin les emmena avec lui à Constantinople9.

Item, en Exquelin mont, qui est entre l'engliese Sainte-Marie le Maiour et l'engliese de Latran, où alqueils colompnes et ymages aparent encor, fut li temple que ons nommoit Cymbrum, portant que li Cymbre, c'est assavoir les Germains, avoit degeteis.

Sur le mont Esquilin, entre l'église Sainte-Marie-Majeure et l'église du Latran, il y avait un temple dont les colonnes et les statues sont encore visibles, et qu'on nommait Cymbrum, parce que les Cimbres, c'est-à-dire les Allemands, avaient été défaits (p. 192).

Item, là ilh est maintenant li engliese Sainte-Marie li Maior, fut li temple Cymbales. Item, à Sainte-Marie de la Fontaine, où li symulacre parlat à Julin Cesaire et le dechuit, fut li temple des Temples. Item, li temple Venus fut en l'engliese Saint-Piere aux Loyens. Item, en mont de Celie, où ons dist maintenant le table l'Emperere, fut li temple Jupiter et Dyaine.

À l'endroit où se trouve maintenant l'église Sainte-Marie-Majeure, se dressait le temple de Cybèle. À Sainte-Marie à la Fontaine, où la statue parla à Jules César et le trompa, le temple des Temples [de Faunus pour Martin]. Le temple de Vénus se trouvait dans l'église Saint-Pierre-aux-Liens. Sur le mont Caelius, appelé maintenant Table de l'empereur, s'élevait le temple de Jupiter et de Diane.

[Exemplum des chevals de marbre] Item, entres les chevals de marbre fut li temple Saturne et Bachi, où ilh gisent maintenant les symulacres de ches chevails ; et le cause por quoy les chevals furent fais de marbre vos vorons deviseir briefement.

[Exemplum des chevaux de marbre] Entre les chevaux de marbre se trouvait le temple de Saturne et de Bacchus. Leurs statues sont là maintenant. Nous voudrions vous expliquer brièvement pourquoi elles furent faites en marbre.

Sachiés que al temps de Tyberius Cesaire vinrent à Romme II jonecheaz philosophes, qui astoient nommeis Presicelles et Sibia, que ons veioit clerement eistre tous nus ; ilh furent meneis devant l'emperere, et, quant li emperere leur demandat porquen ilhs astoient nus, ilh respondirent et li disent que toutes les chouses sont nues et à eaux ouvertes, et que les chouses mondaines avons en despit entirement, et nos ne possidons riens, car tout chu que tu dis en secreit nos est tout aovers, et en avons cognisanche. Et, quant li emperere entendit chu, se les fist examineir ; et, quant ilh trovat leurs [p. 68] parolles estre vraies, se les dest qu'ilh demandassent tout chu qu'ilh voroient avoir, car ilh les promettoit del donneir ; et ilh demandarent les II chevals de marbre.

Sachez qu'au temps de Tibère César, arrivèrent à Rome deux jeunes philosophes, qui se nommaient Praxitèle et Phidias. Ils se présentaient entièrement nus. On les mena devant l'empereur qui leur demanda la raison de cette nudité. Ils répondirent : « Pour nous, toutes les choses sont nues et ouvertes ; nous méprisons totalement les choses du monde ; nous ne possédons rien, car tout ce que tu dis en secret est pour nous tout à fait découvert, et nous en avons connaissance ». Quand l'empereur entendit ces paroles, il les fit étudier. Et quand il trouva qu'elles [p. 68] étaient fondées, il leur dit de lui demander tout ce qu'ils voudraient, promettant de le leur donner. Ils demandèrent les deux chevaux de marbre.

Item, là maintenant est ly engliese Sainte-Marie le Reonde, fut li temple Cybeles, qui fut le mere des dieux ; dequeile temple le construction trovereis al temps Domitian l'empereur, qui chi-apres s'ensiiet. Item, aux gradelles fut li temple de Soleal. Item, là où est Sains Estiene-Reont, fut li temple Fanum. Item en Eliphant fut li temple Cybale et li temple Citionis, là où maintenant est li maison le fis Pire Lyon. Item, là où est li chartre Tulliane et li engliese Saint-Nycholai, là fut ly temple de Jupiter.

Là où est maintenant l'église de Sainte-Marie-la-Ronde, il y avait le temple de Cybèle, mère des dieux, dont vous trouverez la construction évoquée ci-après, au temps de l'empereur Domitien10. Aux Escaliers, il y avait le temple du Soleil et, là où se situe Saint-Étienne-le-Rond, le temple de Faunus. À l'Éléphant, il y avait le temple de Cybèle et celui de Cicéron [Cyceronis, chez Martin], où se trouve maintenant la maison du fils de Pierre Lion. À l'endroit de la prison Tullianum et de l'église Saint-Nicolas, se trouvait le temple de Jupiter.

Item, à Saint-Angele fut li temple Severiane. Item, à voile d'or fut li temple Minerve. Item, en pont des Juys, fut li temple Famii. Item, à Saint-Estiene en la Pissine, fut li temple que ons apelloit Olenecum ou OIovitreum rotondum, fait de cristal et d'or ; là astoient les astronomyens et tous les signes de chiels que Virgile fist, que sains Bastien awec Tyburtii le fis Cromatii destruirent. Item, à Sainte-Marie trans Tyberim fut li temple Ravennant, et fut la maison de deserte, où ons deservoit aux chevaliers chu qu'ilh faisoient por les senateurs, et demoroient là lesdis chevaliers.

À Saint-Ange, il y avait le templum Severianum ; au Voile d'or (Velum aureum chez Martin, probablement pour Vélabre), celui de Minerve, et au Pont des Juifs, celui de Faunus [Fauni, chez Martin]. À Saint-Étienne-en-la-Piscine, se trouvait le temple appelé Olenecum ou Olovitreum rotundum, fait de cristal et d'or. Là se trouvaient les astronomes et tous les signes du zodiaque, faits par Virgile et détruits par saint Sébastien et Tiburce, le fils de Cromatius11. À Sainte-Marie trans Tyberim, le temple des Ravennates était la maison de retraite, où on récompensait les chevaliers pour leurs services aux sénateurs. C'est là que résidaient les dits chevaliers (p. 332, p. 344-345).

Item, desous le Janicole fut li temple Gorgon. Item, en l'isle fut li temple Jupiter et Esculapii. Item, al temple [p. 69] Alixandre furent II temples, le I de Flore et li aultre de Solea, entour le palais Virgile, où la conche fut que ons apelle maintenant Nova Roma.

Au pied du Janicule, il y avait le temple de Gorgon (?). Dans l'île, le temple d'Esculape. Devant le palais [palatium dans la tradition des Mirabilia, XXII] [p. 69] d'Alexandre, il y avait deux temples, l'un à Flore et l'autre au Soleil, près du palais de Virgile, où se trouvait le bassin qu'on appelle maintenant Nova Roma.

Item, ad concham per Jovis fut li Cymée, de mervelheux grandeur et bealteit ; ly monument de cely fut li temple Apoloine. Item, li engliese Sains-Ursin fut li secretaire Neron. Item, li engliese Sainte-Sophie fut li temple Mars, où les consules des kalendes de jule jusques as kalendes de jenvier demoroient.

Ad concham Parrionis [selon la tradition des Mirabilia, XXII] il y avait le Cymée, merveilleux de beauté et de grandeur ; il conserve le souvenir du temple d'Apollon. L'église de Saint-Ursus était le sanctuaire (?) de Néron. L'église Sainte-Sophie avait été le temple de Mars, où habitaient les consuls depuis les calendes de juillet jusqu'aux calendes de janvier12.

 

 9 Ce passage est analysé en détail dans un de nos articles des FEC : t. 33, 2017.

10 Jean d'Outremeuse ne signalera pas cette construction dans son récit de la vie de Domitien (p. 483-499). Il est amusant de voir que Jean a traduit littéralement ce que Martin avait écrit : de cuius templi constructione habes infra, ubi ponitur Domicianus imperator. Mais Martin parlait de sa Chronique à lui.

11 Ce passage est analysé en détail dans un de nos articles des FEC : t. 32, 2016.

12 Ce passage est analysé en détail dans un de nos récents articles des FEC : t. 24, 2012. Ces deux derniers paragraphes aussi sont absents de la Chronique de Martin, mais présents dans d'autres formes de la tradition des Mirabilia.

 

Précisions de Jean d'Outremeuse sur les responsables des constructions

 

[p. 69] Chu et altres chouses tant de palais com de temples, des empereurs, des consules, des senateurs, de citains de Romme, qui furent de mervelheux bealteit d'or et d'argent, de yvoire, de albaiste et de pieres prechieux, et de marbre de diverses coleurs, furent jadis fais à Romme par lesdis empereurs et altres succedans, li unc apres l'autre ; et jasoi che que nos ayons mys chi tous à une fois, chu que dit est et chu qui s'ensyet ne fut mie fais tout à une fois ; mains nos l'avons mis et metterons encor tout l'estat de Romme, des englieses et d'aultres choises, por avoir la matiere tout ensemble et miedre memore del retenir.

[p. 69] Ces constructions, et d'autres, tels les temples ou palais des empereurs, des consuls, des sénateurs, des citoyens de Rome, toutes d'une merveilleuse beauté, faites d'or, d'argent, d'ivoire, d'albâtre, de pierres précieuses et de marbres de diverses couleurs, furent successivement réalisées, au fil du temps, par les empereurs et leurs différents successeurs. Bien que nous ayons présenté le tout ensemble, ce qui a été dit plus haut et ce qui va suivre n'a évidemment pas été fait en une seule fois. Nous avons procédé ainsi et continuerons à le faire dans notre description des églises et des autres bâtiments de Rome, pour rassembler en un seul endroit toute la matière et en faciliter ainsi la mémorisation.

 

Le Capitole : le temple aux statues fait par Virgile et les temples où Octavien vit le ciel

 

[p. 69] [De Capitoil] Ly capitoil fut le chief de tout le monde, où les consules et senateurs demoroient por conselhier la citeit et le monde oussi.

[p. 69] [Le Capitole] Le Capitole est la tête du monde. C'est là que se tenaient les consuls et les sénateurs pour décider des affaires de la cité et du monde.

[De temple où ilh avoit ortant d’ydolles qu’il avoit de provinches en monde] Si avoit dedens I temple que ons disoit que ilh valloit le tierche part de monde, où ilh avoit ortant de ymaiges qu'ilh avoit de provinches en monde, que Virgil compoisat par ingromanche ; et avoit caschon ymage une tenten à son col pendant ; et avoit de la terre de pays unc signe que chascon ymage representoit en sa main. Si astoient atour de palais les visaiges tourneis vers l'ymaige del emperere, qui estoit tout emmy sor une colompne ; et astoit [p. 70] faite par teile maniere que, quant alconne region astoit ou voloit estre rebelle aux Romans, son ymage tournoit le dos vers l'ymage del emperere, et sonnoit son tentent ; et les gardes qui gardoient le palais le disoient aux senateurs, et ches envoioient là les chevaliers à chu deputeis por corregier celle region ; enssi qui ferat expressemeot mension de chu et d'autres fais de Virgile à son temps chi-apres, porlant ne voray plus parleir.

[Le temple où il y avait autant de statues que de provinces au monde] Il y avait au Capitole un temple, dont on disait qu'il valait le tiers du monde. Ce temple contenait autant de statues que le monde comptait de provinces. Virgile l'avait réalisé en recourant à la magie ; chaque statue avait une clochette suspendue à son cou ; comme un signe, elle tenait aussi dans sa main de la terre du pays qu'elle représentait. Elles se tenaient tout autour du palais, le visage tourné vers la statue de l'empereur, qui se dressait au centre sur une colonne ; le tout était fait [p. 70] de telle manière que, quand une région voulait se rebeller contre les Romains, son image tournait le dos à celle de l'empereur et faisait entendre sa clochette. Alors les gardes du palais avertissaient les sénateurs, lesquels envoyaient, pour corriger cette région, les chevaliers préposés à cet effet. Comme il sera expressément fait mention en son temps (p. 229-230) de ce temple et d'autres réalisations de Virgile, je n'en dirai pas plus ici13.

[Où Octavian veit le vision en ciel] Item, à Sainte-Marie del capitoil furent II temples, assavoir de Phebus et de Carmetis, là où Octovian veit la vision en chiel ; et si fut là ly temple qui astoit garde de Capitoil, car sour tous cheaux de monde resplendisoit de sapienche et de bealteit mervelheusement.

[Où Octavien eut une vision dans le ciel] En outre, à Sainte-Marie du Capitole, se trouvaient deux temples, celui de Phébus et celui de Carmenta, où Octavien eut sa vision céleste (p. 72) ; c'était le temple qui gardait (?) le Capitole : il resplendissait de technique et de beauté, plus merveilleusement que tous les temples du monde.

 

13 Sur cette question des statues magiques, on verra le volumineux dossier que nous avons publié dans les FEC (t. 26, 2013).

 

Le Colisée

 

[p. 70] [De Coliseum unc mult mervelheux temple] Coliseum fut I temple de la Lune et del Soleal, dont j'ay parleit chi deseur si que des temple. Mains chi veulh redire chu que Colisée dist : chis temple fist Virgile de grant bealteit et de mult grandeche, et diverses cavernes convenables ; et astoit tout coviers de une chiel de erain doreit, par où les tonieres et les allumeurs et les clarteis venoient, qui se fasoient par buses de plonc subtils, et enssi la ploive que ons faisoit venir par ingromanche. Et dedens le ciel astoient la lune et le soleal et les planetes ; et en le moyne estoit Phebus, ly dieu de soleal qui tenoit une pale en sa main, en faisant signe que Romme governoit tout le monde. Mains grans temps apres li pape Bonifache, le IIIe de chi nom, le commandat à destruire affin que ons n'y aorasse pour l'anchien edifisse ; et les tiestes et les mains des ydolles fist mettre en palais de Latran.

[p. 70] [Le Colisée, un temple vraiment merveilleux] Le Colisée était un temple en l'honneur de la Lune et du Soleil, dont j'ai parlé ci-dessus à propos des temples (p. 66-67). Mais je veux reprendre ici ce qui le concerne. Virgile le fit très beau et très grand, avec les divers souterrains nécessaires. Il était entièrement recouvert d'un ciel de bronze doré, par où passaient coups de tonnerre, éclairs et lumières, grâce à de fins tuyaux de plomb. On faisait aussi venir la pluie par magie. Dans le ciel, figuraient la lune, le soleil et les planètes. En son centre se trouvait Phébus, le dieu du soleil tenant dans sa main une palme, pour signifier que Rome gouvernait le monde entier. Mais beaucoup plus tard, le pape Boniface III ordonna de le détruire, afin qu'on ne vienne plus adorer les dieux de l'ancien édifice. Il fit mettre dans le palais du Latran les têtes et les mains des idoles (p. 66).

Item, devant le colesien stat li temple Tropi, où les gens soy plaindoient leurs querymones ly uns de l'autre.

Devant le Colisée se dresse le temple de Tropi (?), où les gens se présentaient leurs revendications mutuelles.

 

Le Panthéon

 

[De Pantheon, qui fut fais par I victoir en Persie] Pantheon est I temple qui, al temps des consules et senateurs, fut fais en [p. 71] teile maniere : Agrippa, le prefecte de Romme, les Suavres et le Saynes metit al desous, et IIc altres peuples awec IIII regions ; et, quant ilh revient, ly tenten del ymage de Perse alat sonneir mult fort, et li garde le nonchat aux senateurs, et les senateurs qui veirent l'ymage tournée le dos se liserent la lettre, se veirent que ch'estoit del region de Perse ; si vinrent à Agrippa, et li desent qu'ilh alast à grant gens encontre les Persiens. Et chis les condist, en disant qu'ilh n'y poroit aleir ; et toutvoie ilh fut si destrains et tant, qu'ilh demandat l'aterme de III jours. Dedens ches trois jours, ly avient que ilh dormoit une nuit en son lit ; se li vient devant une femme qui li dest : « Agrippe, que pens-tu ? prens confort en toy et moy promesse à faire I temple teile que je toy monstray, et tu aras victoir contre les Persiens. » Et Agrippa dest : « Qui es-tu, sires ? » Celle dest : « Je suy Sibiles, le mere des dieux ; or me fais sacrifiche, et Neptuno, le dieu de la mere. » Et chis respondit : « Je le feray volentirs, damme. » Atant est leveis lecheusement et dest aux senateurs qu'ilh yrat contre les Persiens ; et lendemain s'en alat et desconfist tous les Persiens, et les remetit tous desous le tregut des Romans. Et, revenus à Romme, ilh fist faire le temple qu'ilh apellat Pantheon, et le dedicassat à leur loy en l'honeur de Sibeles et Neptunii.

[Le Panthéon, fait pour célébrer une victoire en Perse] Le Panthéon est un temple qui, au temps des consuls et des sénateurs, fut érigé [p. 71] de la façon suivante. Agrippa, préfet de Rome, avait écrasé les Souabes et les Saxons, ainsi que deux cents autres peuples dans quatre régions. À son retour, la clochette de la statue de la Perse (p. 69) se mit à sonner très fort. Le garde avertit les sénateurs, qui virent l'image tournant le dos, lurent l'inscription et virent qu'il s'agissait de la région de Perse. Ils s'adressèrent à Agrippa et lui dirent de marcher avec beaucoup de monde contre les Perses. Mais Agrippa les renvoya en disant qu'il ne pourrait y aller. Il était toutefois si préoccupé qu'il demanda un délai de trois jours. Pendant ce temps, une nuit, quand il dormait, une femme lui apparut, disant : « Agrippa, à quoi penses-tu ? Prends confiance en toi et promets-moi un temple, comme celui que je t'indiquerai, et tu remporteras la victoire sur les Perses. » Agrippa dit alors : « Qui es-tu, Seigneur ? » Elle dit : « Je suis Cybèle, la mère des dieux ; maintenant, à moi et à Neptune, le dieu de la mer, fais un sacrifice. » Agrippa répondit : « Je le ferai volontiers, Madame. » Alors il se leva avec enthousiasme, et dit aux sénateurs qu'il marcherait contre les Perses. Le lendemain il s'en alla et les remit tous sous le tribut des Romains. Revenu à Rome, il fit faire le temple qu'il appela Panthéon et le dédicaça, suivant leur loi, en l'honneur de Cybèle et de Neptune.

[Le pape Bonifache fist I engliese de Pantheon] Mains Boniface le pape IIIIe de cel nom, qui veit le temple si terrible, et revenoient tant de dyables dedens qui feroient les crisliens, alat al emperere en li depriant que ilh li donnast cely temple ; liqueis li otriat tantost ; et ilh fist faire de cely temple une engliese en l'honeur de la virge Marie et de tous les sains ; et fut consacrée le promier jour de novembre. Et ordinat li pape que à cheli jour dedont en avant à faire en ladit engliese le fieste Nostre-Damme et de tous les sains, et lendemain le commemoracion de toutes les armes ; et statuat que à cheli jour, cascon an, s'acommengnast li peuple de Romme, et que li pape celebrast la messe à chi jour.

[Le pape Boniface transforme le Panthéon en église] Mais le pape Boniface IV, qui vit ce temple si effrayant, à l'intérieur duquel revenaient tant de diables qui frappaient les Chrétiens, alla trouver l'empereur en le priant de lui donner ce temple ; ce que l'empereur lui accorda aussitôt. Alors le pape transforma ce temple en une église en l'honneur de la Vierge Marie et de tous les Saints, laquelle fut consacrée le premier novembre. Le pape ordonna de célébrer dorénavant ce jour-là dans cette église, la fête de Notre-Dame et de tous les Saints, et le lendemain, la commémoration de toutes les âmes. Il décida aussi que ce jour-là, chaque année, le peuple de Rome viendrait y communier et que le pape y célébrerait la messe (sur cette question, cfr aussi II, p. 293).

 

Sainte-Marie du Capitole et la vision d'Octavien

 

[p. 72] [Exemplum de Sainte-Marie en Capitoil] De Sainte-Marie en Capitoil vous voirons parleir ; et vos disons qu'ilh fut faite al temps Octovian qui fut mult beais ; et les senateurs regardont entre eaux Octovian l'emperere, et se le veirent de si grant bealteit et de teile prosperiteit que nuls ne soy poioit defendre contre ly, ains tenoit tout le monde desous luy en tregut.

[p. 72] [Exemplum de Sainte-Marie du Capitole] Nous voudrions maintenant parler de Sainte-Marie du Capitole, qui fut construite au temps d'Octavien, un très bel homme. Les sénateurs le voyant parmi eux trouvèrent que leur empereur était doté d'une telle beauté et d'une telle réussite que personne ne pouvait rivaliser avec lui : il s'était soumis le monde entier.

[Les Romans vorent adoreir Octovian] Se vinrent à luy, et li disent : « Nous toy volons aoreir, car li deiteit est en toy ; et, se en toy n'estoit la deiteit, ilh ne toy venroient nient les honneurs et prosperiteis qui toy vinrent ». Quant li emperere les entendit, si demandat jour de li à conselhier et de respondre dedens III jours. Et puis apellat Sybile de Tyburtine dedens les III jours qu'ilh avoit pris de respit, et se soy conselhat à lée ; et elle li dest : « De chiel venrat li juges par les siecles futures par lequeile signe madiserent de sueur, assavoire en chaire present, et chis doit jugier le monde. » Adont regardat Octovian le chiel, dont grant resplendeur li vint ; et si veit en chiel une virge tenant une enfant stesant sour une alteit, et oyt une vois disant en teile maniere : « Chis est li alteit de fis de Dieu. » Et li emperere, quant ilh l'oyt, ilh chayt à terre en aorant Jhesu-Crist venant.

[Les Romains veulent adorer Octavien] Les sénateurs vinrent à lui et lui dirent : « Nous voulons t'adorer, car la divinité est en toi. En effet, tu n'aurais pas obtenu les honneurs et les succès qui sont les tiens si la divinité n'était pas en toi ». Entendant cette requête, l'empereur dit qu'il y réfléchirait et répondrait endéans les trois jours. Alors durant les trois jours de répit qu'il s'était donnés, il appela la Sibylle de Tibur et lui demanda conseil. Cette dernière lui dit : « Du ciel viendra le juge, pour les siècles futurs ; à ce signe ils transpireront de sueur ; il sera présent en chair, celui qui doit juger le monde. » Alors Octavien regarda le ciel où une clarté resplendissante lui apparut. Il y vit, debout sur un autel, une vierge tenant un enfant, et entendit une voix qui disait : « Ceci est l'autel du fils de Dieu. » Quand l'empereur entendit cela, il tomba à terre, adorant la venue de Jésus-Christ.

[De Sainte-Marie à l’auteit Dieu] Chest vision dest li emperere aux senateurs, et fist mettre ceste vision en sa chambre, où est li engliese Sainte-Marie en Capitoil ; et partant le nom-ons Sainte-Marie en l’ateit de chiel.

[De Sainte-Marie à l’autel de Dieu] L'empereur rapporta cette vision aux sénateurs et en fit placer une image dans sa chambre, où se trouve l'église Sainte-Marie du Capitole ; c'est pourquoi on l'appelle Sainte-Marie in ara caeli14.

 

14 La question de cette vision d'Octavien a été traitée dans plusieurs de nos articles des FEC, en particulier dans FEC (t. 29, 2015).

 

Autres temples et divers

 

[p. 72] [Exemplum de temple de tout terre] Ly temple de tout terre est cheli al porte de Flavie, et y fist ly emperere Octovian I casteal que ons nommat Auguste, là ons ensevelissoit les empereurs ; si fut edifiiet de taubles de marbres, et al deseur avoit escript : « Chi sont les osseauls et cendres et verses des emperers, el les victoirs que cascon d'eaux at fait. » En le moyne astoit li chayr là Octovian seioit ; et là astoit ly prestre de la loy chantant et faisant leur sacrifiches. De toutes les parties de monde mandat Octovian de la terre plain I ban que ilh metit sor ledit temple, en signe que toutes les provinches de monde astoient à Romme tributaires.

[p. 72] [Exemplum : le temple de toutes les terres] Le temple de toutes les terres se trouve à la porte de Flavie. L'empereur Octavien y fit un château, nommé Auguste, où l'on ensevelissait les empereurs. On y plaça des plaques de marbre, portant des inscriptions : « Ici sont les ossements, les cendres et les noms des empereurs, ainsi que les victoires remportées par chacun d'eux ». Au milieu il y avait la chaire où siégeait Octavien, où se tenait le prêtre de la loi quand il chantait et faisait les sacrifices. De toutes les parties du monde, Octavien fit venir un panier plein de terre, qu'il fit déverser sur le temple, pour signifier que toutes les provinces du monde étaient tributaires de Rome.

[p. 73] [De temple de Fortune] Septisolii fut I temple dequeile nos avons desus fait mension : ons y aoroit la lune et le soleal, et si y avoit VII ordines de columpnes une sour l'autre, de quoy Ovide dist que chu estoit li regne de Solea ; anchois astoit-ilh le temple de Fortune ; là devant estoit li Mutation Cesaire, et devant les termes astoient II temples : ly uns en l'honeur de Ysidis et li altre de Serapis.

[p. 73] [Le temple de la Fortune] Septisolium était un temple mentionné plus haut (p. 64 et p. 66). On y adorait la lune et le soleil ; il comportait sept rangées de colonnes, superposées, raison pour laquelle Ovide l'appelait le royaume du Soleil. Mais c'était le temple de la Fortune. Devant lui se trouvait le Mutatorium (p. 66) de César, et devant les thermes, il y avait deux temples : l'un en l'honneur d'Isis et l'autre, de Sérapis.

Et en paradis sains Pire est li Cantarus que fist faire sains Cornelin, pape promier de cel nom. Si est faite à columpnes perforeez et aournées de taubles de marbre et de biestes, sicom griffons et dalfins, fachonnées. Et astoit à li annexeis unc chiel de erain doreis, ovreis à folhes et flours qui jettoient aywe à planteit. En la moienne de cel Cantarus avoit I toneal de erain et d'ore qui covroit le chiel.

Dans le Paradis de Saint-Pierre se trouve le Canthare dû à saint Corneille, le premier pape de ce nom. Il est fait de colonnes de porphyre [porfireticis dans la tradition des Mirabilia],orné de plaques de marbre et décoré de sculptures d'animaux, griffons et dauphins. Il était associé à un ciel de bronze doré, garni de feuilles et de fleurs versant de l'eau en abondance. Au milieu de ce Canthare se trouvait un arceau de bronze et d'or, qui couvrait le ciel.

En foramen de Pantheon, c'este à entendre Sainte-Marie le Reonde in Pinta, amministroit-on l'aiwe à une buse en terre plumbée qui revenoit par pluseurs trais, et de cel aywe faisoit-ons les bangnes des empereres.

Par l'ouverture du Panthéon, c'est-à-dire de Sainte-Marie-la-Ronde in Pinta, on envoyait l'eau dans une conduite de plomb souterraine, qui passait par plusieurs chemins. Cette eau servait aux bains des empereurs.

Ilh y at mult d'autres mervelheux choises à Romme que nos n'avons nient deviseit, qui, por leurs antiquiteit et le destruction d'elles por enforchier la foid catholique, ons ne puet cognostre por quen Romme chief de tout le monde estoit ; si portoit la monarchie, assavoir le signe de monde, sicom ches vers dient :

Roma decus, mutata secus quam prima fuisti,

Roma, caput mondi, super omnes omne novisti.

Il existe encore beaucoup d'autres merveilles à Rome dont nous n'avons rien dit. Parce qu'elles étaient anciennes et furent détruites afin de renforcer la foi catholique, on ne peut savoir tout ce qui fit de Rome la tête du monde. Elle portait la royauté, symbolisait le monde, comme le disent ces vers :

Rome illustre, différente de que ce que tu fus d'abord,

Rome, tête du monde, plus que tous, tu connais tout.

Se vos dis que en lée avoit mult de choises mervelheux, plus al dire verteit que nos n'avons deviseit deseur ; si nos en tairons à tant, et se deviserons l'estat del Engliese, qui puis fut à Rome et est, que noble et sainte doit-ons clameir.

Je vous assure qu'en elle se trouvaient beaucoup des merveilles, plus, à dire vrai, que celles décrites ci-dessus. Nous arrêterons toutefois d'en parler davantage, pour envisager la situation de l'Église, qui apparut ensuite à Rome, qui y est encore et que l'on doit proclamer noble et sainte.

 

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