Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 226b-236a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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Virgile à Rome [Myreur, p. 226b-236a]

Ans 544-546 de la transmigration = 45-43 a.C.n.

 

Introduction [sommaire] [texte]

Virgile a déjà été évoqué à diverses reprises, en particulier à propos de ses ancêtres, de sa première enfance et de ses années de formation. Cette nouvelle section nous fait entrer de plain-pied dans sa vie active, à Rome d'abord, à Naples ensuite. Cette biographie va s'étendre sur quelque quarante pages, avec toutefois des interruptions dues à l'insertion d'événements contemporains. L'ensemble compte parmi les morceaux les plus intéressants du premier tome de l'édition A. Borgnet, même si et surtout si tout ce qui s'y trouve n'a rien d'historique, mis à part quelques lieux (Rome, Naples), quelques dates (celle de sa naissance et celle de sa mort) et quelques noms (Virgile bien sûr, a existé, tout comme César, Octavien, saint Paul). Tout le reste relève du roman.

Nous avons dejà pu constater à de nombreuses reprises (par exemple dans les primordia et dans les développements de type épique qui se mêlent à de sèches notices annalistiques) les capacités de Jean en matière d'innovation créatrice. Elles sont grandes. En 2008, Edina Bozóky, dans sa contribution à l'ouvrage collectif dirigé par P. Chastang (Le passé à l'épreuve du présent, Paris) où elle étudiait L'invention du passé liégeois chez Jean d'Outremeuse, écrivait : « Si l'oeuvre de Jean des Preis d'Outremeuse a soulevé des polémiques autour de sa crédibilité historique, peu d'études ont mis en valeur son imagination créative, voire débridée » (p. 75). Elle s'intéressait à Liège au Moyen Âge, mais, pour ce qui concerne l'Antiquité, c'est peut-être dans la biographie de Virgile que cette imagination « créative, voire débridée » se manifeste le plus. Le lecteur constate très vite, dès la lecture de l'arbre généalogique où Jean met Virgile en rapport direct avec tout le Gotha européen de l'époque (p. 183-190), qu'il se trouve devant une biographie entièrement fantaisiste.

Pour fantaisiste qu'elle soit, cette biographie de Virgile ne manque cependant pas d'intérêt. Quelques présentations générales suffisent à convaincre le lecteur. La plus utile peut-être de celles aisément disponibles en français est celle de Fernand Desonay, grand humaniste et fin connaisseur de la littérature médiévale. Intitulée sobrement Virgile selon Jean d'Outremeuse, elle fut publiée en 1932 dans les Studi medievali (t. 5, p. 317-324), puis reprise, avec quelques développements, dans un recueil d'articles de Fernand Desonay (Dépaysements : notes de critique et impressions, Liège, 1933, p. 32-46). Ce recueil a le grand avantage d'être facilement accessible chez Archive et téléchargeable dans différents formats. On y trouve aussi deux autres articles du même auteur, en rapport plus ou moins direct avec le Virgile de Jean d'Outremeuse : Comment le Moyen Âge a vu Virgile : professeur de grammaire, prophète du Christ, magicien et amoureux (p. 10-31) et La littérature antiféministe au Moyen Âge (p. 47-75). La lecture de ces trois articles constitue, à nos yeux, une excellente introduction au sujet qui nous retient ici.

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Cette biographie fantaisiste qui pourrait être intitulée le roman de Virgile intègre de nombreuses notices concernant les merveilles attribuées à un Virgile, considéré au Moyen Âge comme un magicien de très haut niveau. À quelques exceptions près, on retrouve ces merveilles chez d'autres auteurs, souvent plus anciens que le chroniqueur liégeois, qui ne peut certainement pas les avoir imaginées toutes. Mais ces passages ne forment qu'une partie de la biographie. Restent de très nombreux développements. Certains transforment les motifs « merveilleux », mais d'autres ne se rencontrent pas ailleurs. Pour le dire en d'autres termes, l'analyse dégage dans le récit de nombreux espaces dans lesquels a pu s'exercer à loisir cette imagination « créative, voire débridée », dont faisait état Edina Bozóky.

Cela pose la question des sources possibles de Jean. L'enquête dégage-t-elle des éléments antérieurs, qui auraient pu servir de constituants au récit ?

Il y a une trentaine d'années, dans un mémoire inédit de Licence en Philologie Romane de l'Université de Liège (Les sources de l'épisode de Virgile dans le Myreur des Histors de Jean d'Outremeuse, Liège, 1983-84, 261 p.), Thierry Greffe a ainsi rassemblé et étudié, avec minutie et compétence, tous les textes, nombreux, dont le chroniqueur aurait pu s'inspirer. Il ne semble guère possible d'aller plus loin que lui dans l'heuristique. Ce qui ressort de son travail, c'est la très grande importance que la littérature médiévale dans son ensemble accordait à la légende virgilienne, au Virgile magicien, mais aussi au Virgile amoureux et au Virgile prophète du Christianisme. Mais, malgré tous les raisonnements déployés par ce chercheur, il est rare qu'on puisse déterminer avec certitude la (ou les) source(s) concrètement et directement utilisée(s) par Jean dans l'élaboration d'un motif particulier. En fait, le chroniqueur liégeois connaît beaucoup de textes antérieurs, mais il les compile et les combine à sa manière, pour les personnaliser. Certains motifs toutefois ne sont pas attestés avant le chroniqueur liégeois, notamment les éléments qui constituent la structure même du récit. Il est tentant de penser que Jean les a inventés, comme il a inventé tant et tant de choses dans Ly Myreur.

Reprenant une idée déjà avancée précédemment, Thierry Greffe pense qu'avant de songer à une chronique universelle, Jean aurait écrit une biographie sur Virgile. Il l'aurait reprise ultérieurement pour l'intégrer dans son Myreur en en distribuant les parties en fonction des dates. Le chercheur liégeois ne le note pas, mais on retrouverait ainsi, dans un certain sens, la problématique du rapport entre La Geste de Liege et Ly Myreur, avec toutefois une différence de taille : La Geste de Liege existe bien, car on l'a en partie conservée, tandis qu'on n'a aucune trace de ce que les Allemands appelleraient un Ur-Virgil. On pourrait tout aussi bien penser que Jean, parvenu dans sa Chronique au début de l'Empire romain, aurait à ce moment-là, composé sa biographie romancée de Virgile avec les matériaux à sa disposition. C'est cette formule en tout cas qui aurait nos préférences. Mais il est impossible de trancher en pleine connaissance de cause.

Sur un plan plus général, d'autres ouvrages que celui de Thierry Greffe peuvent être très utiles à la compréhension des pages consacrées à Virgile dans Ly Myreur. Il y a d'abord celui de J. W. Spargo, Virgil the Necromancer : Studies in Virgilian Legends, Cambridge, 1934, 502 p. (Harvard studies in comparative literature, 10). C'est le travail le plus complet sur le Virgile magicien dans la littérature, une littérature où le Moyen Âge occupe évidemment la toute grande place. « Le Spargo » reste un ouvrage de référence, dont la lecture est indispensable. Ses chapitres analysent systématiquement d'une manière approfondie les différents types de motifs constituant la légende virgilienne.

Spargo prend en compte une cinquantaine d'auteurs et/ou d'oeuvres, depuis le Policraticus de Jean de Salisbury (vers 1159) jusqu'au The Deceyte of Women (vers 1550). Il en donne une liste classée chronologiquement aux p. 60 à 68 de son livre, avec pour chaque auteur/oeuvre la mention abrégée des motifs légendaires qu'on y trouve (p. ex. : Mouches, Miroir magique, Salvatio Romae, Ossements de Virgile, Panier, Revanche, Rôle de saint Paul, etc., etc.). Ly Myreur de Jean totalise le plus grand nombre de motifs : à lui seul, il en aligne quarante-deux, tandis que par exemple,  parmi les auteurs antérieurs à notre chroniqueur liégeois, Alexandre Neckam (fin XIIe) en propose sept,  Conrad de Querfurt (fin XIIe) neuf, Gervase de Tilbury (début XIIIe) neuf,  l'Image du Monde (milieu XIIIe) onze, Vincent de Beauvais (milieu XIIIe) huit. Arrêtons ici l'énumération, non sans noter qu'une synthèse, bien postérieure au Myreur, comme celle des Faictz merveilleux de Virgille (début du XVIe siècle) ne mentionne que vingt-deux motifs légendaires. Ces quelques chiffres n'ont qu'une valeur très relative, mais ils mettent en évidence la place centrale qu'occupe Ly Myreur dans l'histoire de la légende médiévale de Virgile. Il ne faut toutefois pas croire que Jean signale tous les motifs légendaires et/ou merveilleux antérieurs ; par ailleurs, certains motifs ne se trouvent que chez lui. Cette question devrait être étudiée de plus près.

Un autre ouvrage, plus général toutefois, parce qu'il ne s'intéresse pas seulement au Virgile magicien mais à tous les aspects du Virgile médiéval, est le Virgilio nel medio evo de Domenico Comparetti. Ce travail fut considéré comme important. L'édition originale de 1896 en 2 volumes a été republiée sous le même titre avec des compléments de G. Pasquali, 2 vol., Florence, 1937-1941, 291 et 328 p. (Il pensiero storico, 16 et 22), et l'édition complétée a bénéficié de plusieurs réimpressions (1943, 1955, 1967).

Un troisième titre est le volumineux ouvrage récent de J.M. Ziolkowski et M.C.J. Putnam (The Virgilian Tradition : The First Fifteen Hundred Years, New Haven, 2008, 1082 p.). Il s'agit fondamentalement d'une anthologie, qui rassemble des textes (avec leur traduction anglaise) rencontrant les principaux aspects de la tradition virgilienne, depuis la période contemporaine de Virgile jusqu'en 1500. La matière est immense, car elle concerne le poète lui-même, sa biographie, ses textes et leur utilisation, la tradition du commentaire et enfin ‒ ce qui nous intéresse ici plus directement ‒ les légendes virgiliennes (p. 825-1025). Il s'agit essentiellement de textes traduits en anglais, avec quelques notes de présentation et une amorce de bibliographie, le texte original n'étant donné que lorsqu'il s'agit de latin. Le Virgile de Jean d'Outremeuse occupe les p. 955-988 en traduction anglaise et ne comporte pas de commentaire.

Il n'est pas nécessaire de dire que la bibliographie sur le Virgile médiéval est immense et qu'on peut la trouver dans les importants ouvrages cités ci-dessus.

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Nous avons pour notre part consacré, dans les Folia Electronica Classica louvanistes (FEC), quelques articles en rapport plus ou moins direct avec cet épisode. Le plus ancien consiste en une présentation très générale, une sorte de paraphrase du récit de notre chroniqueur. Il est intitulé : Le Virgile de Jean d'Outremeuse, et comporte six chapitres, dont une bibliographie sélective 1. Introduction. 2. Origine, enfance, formation. 3. Le séjour romain. 4. Le séjour napolitain. 5. Conclusion et perspectives. 6. Bibliographie sélective [FEC 22-2011]. La 5e partie (Conclusion et perspectives) notamment présente une synthèse du sujet.

D'autres articles proposent des analyses beaucoup plus approfondies de motifs présents dans le récit et dont nous avons tenté de retrouver les attestations parallèles dans la littérature médiévale. L'un d'eux étudie deux motifs fondamentaux dans la composition du récit, celui du panier où Phébille tente de discréditer Virgile en le laissant suspendu à un mur, exposé au ridicule public (p. 236-240) et celui où Virgile se venge cruellement d'elle en l'obligeant finalement à fournir du feu aux Romains qui en sont privés et qui doivent venir en chercher dans son intimité (p. 240-241, p. 251-252). Il est intitulé : Le Virgile de Jean d'Outremeuse (suite). Le panier et la vengeance (18 fichiers) [FEC 23-2012]. Un autre article s'intéresse à deux des nombreuses merveilles réalisées par Virgile à Rome et à Naples, en l'occurrence celle d'un miroir magique et celle des statues aux clochettes, magiques aussi, rassemblées au Capitole (p. 229-230). Il est intitulé : Des statues aux clochettes et un miroir : deux instruments magiques pour protéger Rome (52 fichiers) [FEC 26-2013]. Enfin, dans un article intitulé La prédiction d'éternité conditionnelle portant sur des statues et des bâtiments dans la littérature médiévale [FEC 27-2014], nous avons abordé le motif de la statue de la Vierge raconté aux p. 233-234.

Ces recherches portant sur des points de détail se sont révélées tellement longues et complexes qu'il nous aurait été impossible de les mener sur tous les constituants du récit de Jean. Nous en sommes donc réduit à livrer ce récit au lecteur sans un commentaire approprié.

Revenons donc sans plus à la biographie de Virgile selon Jean d'Outremeuse.

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Dès les premières notices, la fantaisie est au rendez-vous lorsqu'on voit comment le jeune Virgile, ayant épuisé toutes les ressources intellectuelles de l'Afrique, décide d’aller « voir ailleurs » et de rejoindre par mer le royaume des Latins, dont le roi est l’oncle de Jules César. L'oncle, fier des qualités de son neveu, pousse le jeune Virgile à se rendre à Rome, où il arrive le 18 février 545 (44 a.C.n.). Revoici le goût souvent excessif de Jean pour des précisions chronologiques fictives (année, mois, jour, parfois heure). La noblesse de la famille de Virgile et ses qualités personnelles lui apportent immédiatement une grande notoriété dans la haute société romaine, notamment auprès de l’empereur Jules César et des sénateurs, dont plusieurs d'ailleurs sont de son sang. Très à l’aise à la cour, Virgile en connaît les usages et sait honorer chacun selon son rang. Rien d’étonnant, dans ces conditions, qu’il ait attiré les regards féminins, même au plus haut niveau de la cour impériale. Phébille, la fille de l’empereur, entendant parler d’un homme aussi parfait, en tombe éperdument amoureuse et, avant même de l’avoir vu, décide d'entrer en contact avec lui.

L'histoire de la relation amoureuse de Virgile avec Phébille occupe une partie importante de la biographie de Virgile à Rome, laquelle comporte aussi d'autres aspects. Pour Jean, Virgile n'est pas le grand écrivain que l'histoire nous a fait connaître ; il est essentiellement un savant, un magicien et un prophète. Le chroniqueur liégeois décrit ainsi, parfois avec un grand luxe de détails, une foule d'inventions merveilleuses, destinées la plupart du temps à améliorer la vie des Romains. Il les répartit tout au long de la vie de son héros en précisant à chaque fois la date de leur réalisation. Virgile est donc fondamentalement un « bon » magicien. Mais il est aussi un prophète chrétien. Il ne prophétise pas seulement les grandes étapes de la vie de Jésus, depuis sa conception virginale jusqu'à sa mort, sa résurrection et son ascension, mais se livre aussi à une profession de foi digne d'un véritable chrétien. Il est également capable, sur un plan plus modeste, d'interpréter des prodiges qui peuvent survenir à Rome, comme par exemple ceux qui annoncent la mort de César.

Le récit se lit comme un roman. Toutefois, vu le procédé annalistique qu'il adopte, Jean l'interrrompt à plusieurs reprises par des digressions. Le lecteur est habitué à ces ruptures, dont la plus longue ici, est la guerre de Trente Ans entre Trèves et six comtés.

 

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Sommaire

Virgile arrive à Rome : Virgile quitte la Libye pour Rome - Ses qualités éminentes lui valent une grande popularité, à la cour de l'empereur Jules César, et surtout auprès de sa fille Phébille (45 a.C.n.) - Digression : Trèves en guerre (de 57 à 17 a.C.n.?)

Les débuts d'une idylle : Phébille déclare son amour à Virgile qui accepte une liaison mais refuse le mariage - Phébille, dépitée mais résolue, envisage de se moquer de son amant (45 a.C.n.)

Premières inventions merveilleuses de Virgile : Statues indiquant les changements de semaine - Un miroir géant contre les envahisseurs (44 a.C.n.) - Digression : succession en Flandre - Le Capitole et les statues aux clochettes - Le cavalier à la balance (43 a.C.n.)

Popularité de Virgile : Très écouté pour ses conseils, Virgile se construit, à la demande des sénateurs,  une belle demeure à Rome - Il leur promet des révélations prochaines - Il dote Rome d'un feu perpétuel pour les pauvres (43 a.C.n.)

Suite compromise de l'idylle : Jalouse, Phébille relance en vain Virgile, tout en méditant de le ridiculiser - Virgile justifie son refus du mariage au nom de ses engagements au service des Romains - Initiation à l'agriculture - Constitution d'un calendrier astronomique (dates non précisées (43 a.C.n.)

Virgile, prophète chrétien : Prophétie concernant la Vierge Marie - Profession de foi chrétienne par anticipation - Prophéties sur Jésus-Christ

Virgile interprète des prodiges annonciateurs de la mort de César - Magicien bienfaisant, il délivre les Romains du fléau des mouches

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Virgile arrive à Rome : Virgile quitte la Libye pour Rome - Ses qualités éminentes lui valent une grande popularité, à la cour de l'empereur Jules César, et surtout auprès de sa fille Phébille (45 a.C.n.) - Digression : Trèves en guerre (57 à 17 a.C.n.?)

 

[p. 226] [Des fais Virgile, quant ilh vient des escolles] A cel temps, soy partit Virgile, le fis Gorgile le roy de Bugie, des escolles, portant qu'ilh n'avoit clers ne maistres, en tout Libe où ilh avoit apris, que Virgile ne rendist contre luy raison de toutes questions, de queile scienche que chu fuist ; et oppoisoit contre tous les plus grans maistres, qui meismes l'avoient apris chu que ilh savoit awec sa subtiliteit.

[p. 226] [Ce que fait Virgile sorti des écoles] À cette époque [45 a.C.n.], Virgile, fils de Gorgile, roi de Bougie, quitta les écoles, parce que, dans toute la Libye où il avait étudié, il l'emportait sur tous les clercs et les maîtres, répondant avec sagesse à toutes les questions, dans toutes les sciences. Il pouvait affronter tous les plus grands maîtres, qui lui avaient appris ce qu’il savait, grâce à sa vive intelligence,

[Del venue Virgile en royalme des Latins] Chis Virgile fut I mult belle personne. Si soy avisat I jour que ilh voiroit aleir quere aventure ; si montat sour mere à grant compangnie, et nagat tant que l'aventure l'aportat en la royalme des Latins. Et astoit ly roy oncle de Julius Cesaire ; et là li fut compteit la nobleche de Julius Cesaire, tant qu'ilh dest qu'ilh yroit à Romme. Et fut le secons jour de septembre, sor l'an Vc et XLIIII ; puis soy partit et vient à Romme le XVIIIe jour de mois de fevrier.

[Arrivée de Virgile au royaume des Latins] Ce Virgile avait une très riche personnalité. Un jour il s'avisa de chercher l’aventure. Il prit la mer en grande compagnie et navigua jusqu’au jour où le hasard l’amena au royaume des Latins, dont le roi était un oncle de Jules César. Là on lui vanta tellement la noblesse de Jules César qu’il décida d'aller à Rome. Cela se passait le second jour de septembre de l’an 544 [45 a.C.n.]. Il partit alors pour arriver à Rome le 18 février.

[Virgile fut prophete, et prophetizat del incarnation Jhesu-Crist] Chis Virgile fut mult gran clers de toutes scienches, et fut des septes ars mult expers, et fut I gran philosophe et naturiens ; et fut en la sainte Escripture si vraie, qu'ilh [p. 227] prophetisat la venue del incarnation, enssi com vos oreis chi-apres.

[Virgile, prophète de l’Incarnation de Jésus] Ce Virgile était un grand savant en toutes sciences, expert dans les sept arts, grand philosophe et grand connaisseur de la nature. En outre il était tellement en accord avec la sainte Écriture qu'il [p. 227] annonça l’Incarnation, comme vous l’apprendrez ci-après (p. 234).

[De sa generation] Et fut awec chu ly mies neis, et de plus grande noblece qui fuist à son temps en monde ; et si astoit ly plus beals de corps que ons posist regardeir, drois, grans, gros et aligniés, fours tant que ilh astoit curbés, car ilh bassoit les espalles et le chief I pou.

[Sa famille] En outre, Virgile était né dans la plus haute noblesse de son époque. Il était aussi doté du plus beau physique qu’on pût voir, droit, grand, robuste et élancé. Il était cependant courbé, car il baissait un peu les épaules et la tête.

 [Virgile savoit parleir de tos langaige] Et fut de tous bien ensengniés, douls, debonnairs, frans et humble ; et se soy faisoit ameir de cascons ; et savoit parleir de tous langaiges, et n'entendoit à aultre chouse que à studier.

[Virgile sait parler toutes les langues] Aux yeux de tous, il était très instruit, affable, bon, franc et humble, et il se faisait aimer de chacun. Il savait aussi parler toutes les langues et ne s’intéressait à rien d’autre qu’à l'étude.

[p. 227] Grant fieste fist-ons à Virgile à Romme quant ilh fut congnus. Si fut mult bien fiestoiez de tous, et par especial de Julius l'emperere et des senateurs ; car li pluseurs astoient de son sanc issus. Quant Virgile astoit à court, il savoit mult bien faire honneur aux barons et à tous cheaux de la court, solonc chu aux personnes apartinoit.

[p. 227] À Rome on fit grand accueil à Virgile quand il y fut connu. Tous lui faisaient fête, et spécialement l’empereur Jules et les sénateurs : plusieurs en effet étaient du même sang que lui. Quand Virgile était à la cour, il savait très bien honorer les barons et tous les membres de la cour, chacun selon leur rang.

[De Phebilhe, la filhe Julien] Et fut Virgile mult prisiés de Romans. La novelle de li alat jusqu'à la filhe l'emperere Julin, qui par son nom fut apellé Phebilhe, qui mult fut de Virgile soprise, quant elle oiit dire que ilh astoit si parfais.

[Phébille, la fille de Jules] Virgile fut très apprécié par les Romains. La nouvelle le concernant arriva jusqu’à la fille de l’empereur Jules, nommée Phébille, qui fut très séduite par Virgile quand elle apprit qu’il était si parfait.

[p. 227] [De roy de Trive] A cel temps multipliat gran debas entre le roy de Trive en Allemangne, et les contes de Agrippine et de Argentine, Basele, Spire, Warmaise et Maienche portant que ches VI contes soloient rendre tregut à roy de Trive, qui longtemps devant les avoit conquesteit par forche et mys en sa subjection par tregut ; et ilhs astoient defallant del payer, portant que Julius Cesar les avoit conquis novellement et mis en tregut des Romans. Se disoient que ly roy de Trive les dewist avoir defendut contre les Romans, et ne se pot defendre por luy-meismes ; car enssi bien fut-ilh mis à tregut par Julius Cesaire, com furent lesdis contes. Et durat cest guere XXX ans que lesdis contes ne vorent oncques payer tregut à roy de Trive, et se soy defendoient fortement. Si avoient sovent batalhe ensemble, et li une fois perdoit li uns et l'autre fois les aultres. Et durat, enssi com dit est, XXX ans, dont ilh astoient passeit XII ans ; car ilhs commencharent, quant Julius les oit conquis, sor cel an meismes qui fut Vc et XXXII. Si le lairons enssi jusqu'à tant que les XXX ans seront tous passeis.

[p. 227] [Le roi de Trèves] En ce temps-là de violents combats se multiplièrent entre le roi de Trèves en Allemagne, et les comtes de Cologne, de Strasbourg, de Bâle, de Spire, de Worms et de Mayence. Ces six comtes payaient d’habitude un tribut au roi de Trèves, qui les avait soumis longtemps auparavant ; mais ils cessèrent de le payer parce que Jules César les avait conquis et les avait rendus tributaires des Romains. Selon eux, le roi de Trèves aurait dû les défendre contre les Romains, alors qu’il ne pouvait même pas se défendre lui-même. Lui aussi dut payer le tribut à Jules César, comme les comtes en question. Cette guerre dura trente ans, pendant lesquels les comtes refusèrent toujours de payer le tribut au roi de Trèves et se défendirent avec force. Ils se livraient souvent bataille : tantôt les uns, tantôt les autres étaient vaincus. Selon ce qui a été rapporté, la guerre dura trente ans, dont douze ans étaient étaient passés, car elle avait commencé, au moment de la conquête de Jules, en l'an 532 [57 a.C.n.]. Et nous en resterons là jusqu’au moment où les trente années se seront toutes écoulées (p. 265-266).

 

Premiers contacts : Phébille déclare son amour à Virgile qui accepte une liaison mais refuse le mariage - Phébille, dépitée mais résolue, envisage de se moquer de son amant (45 a.C.n.)

 

 [De Virgile et Phebilhe] En cel an meismes deseurdit, Phebilhe, la filhe Julien Cesaire, qui amoit Virgile si fort qu'elle ne poioit [p. 228] plus, et ne l'avoit oncques veyut ; mains al oiir prisier la grant bealteit, sens, manere, gentilheche et debonnaireteit de ly, elle l'avoit enssi enameit. Si s'avisoit qu'elle manderoit Virgile, et ly diroit comment el l'amoit ; et elle astoit tant belle damoisel et si hault de sanc, que par raison ilh ne le devroit point refuseir. Adont prist I messagier, si at mandeit Virgile qui vient tantoist à grant compangnie de noble gens. Et la damoisel vient contre luy et le saluat, et Virgile l'enclinat mult gentinement. Celle at tout mis en aventure et at pris Virgile par le main, et l'at fait seioir de costé lée, et parloient ly uns à l'autre et tant qu'elle dest : « Sire Virgile, dites-moy se vos aveis amie ; car se vos me voleis avoir, je suy vostre por prendre à femme ou estre vostre amie ; s'ilh vos plaiste. » Et chis ly respondit qu’ilh n'avoit nulle entente de femme prendre, mains, se chu astoit son plaisier, ilh l'ameroit volentiers. Tous les parleirs qu'ilh orent ensemble ne say pas racompteir, mains la chouse alat tant que Virgile fist de la damoisel tout son plaisier, et mynarent leurs desduit à gran joie I pou de temps.

 [Virgile et Phébille] Cette année-là [45 a.C.n.], Phébille, la fille de Jules César, aimait Virgile au point d'en être malade [p. 228]. Elle ne l'avait jamais vu ; mais, à entendre louer sa grande beauté, son intelligence, ses manières, sa bonté et sa gentillesse, elle en était tombée amoureuse. Elle décida de le faire venir pour lui dire combien elle l’aimait. Elle était si belle demoiselle et de sang si noble que raisonnablement il ne devrait point refuser. Elle envoya un messager pour inviter Virgile, qui arriva aussitôt accompagné de nombreux notables. La demoiselle vint à sa rencontre et le salua ; Virgile s’inclina très galamment. Elle osa tenter l'aventure, prit la main de Virgile et le fit asseoir près d’elle. Ils échangèrent quelques propos, puis elle finit par dire : « Sire Virgile, dites-moi si vous avez une amie ; car si vous voulez de moi, je suis prête à devenir votre femme ou votre amie, comme il vous plaira. » Il répondit qu’il n’avait nulle intention de prendre femme, mais que si tel était le plaisir de Phébille, il serait volontiers son ami. Je ne puis raconter tous leurs entretiens, mais le résultat fut que Virgile prit tout son plaisir avec la demoiselle, et qu’ils menèrent de très joyeux ébats pendant quelque temps.

[p. 228] [Comment Virgile escondit Phebilhe] Puis avient que Phebilhe requist encor Virgile de lée prendre à femme, mains Virgile ly escondit, de quoy elle oit grant despit ; mains elle le dissimilat, et pensat à chu que elle le puist escarnir. Muy soy dementoit Phebilhe tos les jours ; mains Virgile ne donne une nois, car ilh n'at aultre entente que del studier tous jours, et de monstreir sa scienche aux Romans, dont ilh powist avoir honneur. Se le requist Phebilhe une autre fois de le prendre à femme, et ilh respondit que enssi esteir ilh plaisoit bien, et le serveroit et l'ameroit bien loialment ; et n'avoit en monde femme qu'ilh emast tant com lée ; et s'il avenoit par aventure qu'ilh presist femme à espeuse, ilh ne prenderoit aultre de lée ; et chu faisoit-ilh por le à reconforteir, et elle en chu mult soy desconfortat. Enssi demynarent leurs amours mult longtemps sens gabries.

[p. 228] [Virgile éconduit Phébille] Un jour Phébille demanda à nouveau à Virgile de la prendre pour épouse, mais il refusa. Elle en éprouva un grand dépit, qu'elle dissimula tout en se demandant comment elle pourrait se moquer de lui. Elle manifestait tous les jours son grand désir de mariage, mais Virgile n’en avait cure, car il n’avait d’autre projet que d’étudier sans cesse et de montrer sa science aux Romains, afin d'en tirer gloire. Phébille lui demanda une fois encore de l’épouser, mais il lui répondit que la situation présente lui convenait bien et qu’il la servirait et l’aimerait loyalement. Il ajoutait qu’il n’existait nulle femme au monde qu’il aimât autant qu’elle, et que si par hasard il lui arrivait de se marier, il ne choisirait personne d'autre. Il disait cela pour la réconforter, mais elle était fort affectée. Ainsi poursuivirent-ils longtemps leurs amours sans illusions.

Premières inventions merveilleuses de Virgile : Statues indiquant les changements de semaine - Un miroir géant contre les envahisseurs (44 a.C.n.) - Digression : succession en Flandre - Le Capitole et les statues aux clochettes - Le cavalier à la balance (43 a.C.n.)

[Des II hommes de erens] Apres, sor l'an Vc et XLV, le XIXe jour de mois d'avrilh, commenchat Virgile à demonstreir à Romme sa scienche, en faisant promiers II figures d'erain, qui avoient fourme d'homme, qu'ilh mist sour II portes de Romme, regardant li une [p. 229] l'autre : et tenoit li une une mache que ilh jettoit l'autre le samedis à none ; et l'autre samedis apres, enssi à none, li aultre li rendoit, et enssi de l'onc samedi à l'autre, toutes les ouwetaines, li rendoit li unc l'autre celle mache ; ilh sembloit que ilhz fussent en vie ; et chu astoit par astronomie, et par l'art de nygromanche awec. Virgile fist les dois ymaiges, portant que ilh voloit que tous ovrieres soy relassent d'ovreir le samedis à none et le dymengne, enssi que Dieu fist quant ilh ordinat le monde, car ilh oit parfait le samedy à none. Et les gens de Romme faisoient adont leur ovraige le samedy jusques à la nuit.

 [Deux hommes de bronze] Après cela, le 19 avril de l’an 545 [44 a.C.n.], Virgile commença à faire montre de sa science à Rome, en réalisant d’abord deux statues de bronze représentant des êtres humains. Il les plaça, se faisant face [p. 229], sur deux portes de Rome : l’une tenait une masse qu’elle jetait à l’autre le samedi à la neuvième heure ; et le samedi suivant, à la neuvième heure, l’autre la lui rendait, et ainsi, d’un samedi à l’autre, tous les huit jours, elles se renvoyaient l’une à l’autre cette masse. Ces statues semblaient vivantes et résultaient de la science de l'astronomie et de l'art de la magie. Virgile fabriqua ces deux statues, car il voulait que tous les ouvriers cessent de travailler le samedi dès la neuvième heure et le dimanche, à l'exemple de Dieu, qui, lorsqu’il créa le monde, s'était arrêté le samedi à la neuvième heure. Les Romains, à l’époque, travaillaient le samedi jusqu’à la nuit.

[p. 229] [De myreur Virgile] Apres, sor l'an deseurdit, le XVIe jour de mois d'awost, commenchat Virgile à faire une thour à Romme, sor laqueile ilh astoit unc myreour sour cent pilers de marbre ; et par celle myreour ons veioit bien quant gens d'armes ou aultres venoient sour mere. Se cheaux de Romme ewissent bien gardeit cel myreour, ilhs ewissent esteit à tous jours les soverains de monde ; mains ilh leur fuit destruis.

[p. 229] [Le miroir de Virgile] Ensuite, en l’an mentionné plus haut [44 a.C.n.], le 16 août, Virgile commença à élever à Rome une tour sur laquelle il installa un miroir posé sur cent colonnes de marbre. Ce miroir permettait de voir clairement des gens armés ou d’autres personnes, qui arrivaient par mer. Si les Romains avaient conservé ce miroir, ils seraient toujours restés les souverains du monde ; mais leur miroir fut détruit.

Item, l'an Vc et XLVI, morut Sartagonus, li VIIe conte de Flandre ; si fut conte apres luy son fis Florent, qui regnat XVI ans.

En l’an 546 [43 a.C.n.], mourut Sartagonus, le septième comte de Flandre ; son fils Florent lui succéda et régna durant seize ans.

[De Capitole et des ymages Virgile] [De sons de tenten que Virgile fist] En cel an meismes, en mois de may, fist Virgile à Romme I mult beal joweal, portant que ons li avoit conteit des Sycambiens et de Hanibal de Cartaige et de mult d'aultres gens qui venoient à Romme subitement, que ons n'en savoit riens, dont les Romans astoient sovens dechus. Si mist Virgile à chu remeide en teil manere : ilh fist I capitole à Romme ou I temple en une seul nuit, où ilh avoit ortant des ymagenes qu'ilh avoit de provienche en monde. Et avoit casconne ymaige à son coul pendant I tentente ; et avoit casconne ymaige emy le front, entres les dois yeux, escript le nom de pays cuy ilh representoit. Si astoient tout altour de palais les visaiges tourneis vers l'ymaige l'emperere, qui astoit tout emy le palais sour une scolumpne, et faisoit visaige tout entour ; et s'ilh avenoit que aulcon region fuist rebelle aux Romans, son ymaige [p. 230] tournoit le dos l'ymaige de l'emperere, et sonoit son tentent, et espandoit la terre que ilh tenoit en sa main. Et les gardes qui à chu pensoient le disoient aux senateurs, qui tantoist y envoient les chevaliers à chu ordineis por corregier cel region, en teile manere que j'ay fait mention deseur où j'ay parleit des capitoiles de Romme. Et enssi savoient les Romans leur grevanche, enssitoist que li pensée venoit aux rebellians. Et chu estoit fait par nigromanche.

 [Le Capitole et les statues de Virgile] [Des clochettes faites par Virgile] Cette même année, en mai, Virgile réalisa à Rome un joyau magnifique et précieux. On lui avait parlé des Sicambres, du Carthaginois Hannibal et de beaucoup d’autres intrus, arrivés brusquement à Rome, sans qu’on n’en sache rien, et qui avaient souvent causé du tort aux Romains. Virgile remédia à ce risque de la manière suivante : en une seule nuit il éleva à Rome un 'capitole' ou temple, contenant autant de statues qu’il y avait de provinces au monde. Chaque statue portait une clochette suspendue à son cou, et sur son front, entre les deux yeux, une inscription indiquait le nom du pays qu’elle représentait. Tout autour de la pièce, les statues tournaient leurs visages vers la statue de l’empereur, dressée au centre sur une colonne et regardant tout autour d'elle. Si une région se montrait rebelle aux Romains, sa statue [p. 230] tournait le dos à celle de l’empereur, sa clochette tintait et répandait la terre de sa main. Les gardes qui les surveillaient faisaient rapport aux sénateurs qui, aussitôt, envoyaient des chevaliers chargés de rétablir l'ordre dans cette région. J'ai expliqué comment plus haut, quand j'ai parlé des temples de Rome (p. 69-70). C'est ainsi les Romains étaient avertis du danger qui les menaçait, à l'instant même où la pensée en venait aux rebelles. Cela était réalisé grâce à la magie.

[p. 230] [De l’homme qui tenoit I balanche] Apres chu fist Virgile à Romme I homme de coevre, seant à cheval, et sembloit al regardeir qu'ilh fuist tous viefs, qui en sa main tenoit I grant balanche, qui à Romme fist grand bien, car ilh mantenoit veriteit et gardoit le droit de cascon ; car se I marchant avoit à vendre une marchandise, et I aultre le vosist achateir, queilconques marchandiese que chu fuist, tout sens prisyer ne offrir, ons mettoit en l'onc des bachins de la balanche le denrée, et metoit-ons l'argent en l'autre bachin ; et assitoist que ons y avoit mis le propre valoir que chis avoir valoit, à cel heure ly bachins à pris d'argent avaloit vers la terre ; et adont prendoit cascon chu qu'ilh devoit prendre, et enssi ne perdoit oncques marchans à vendre ne al achateir.

[p. 230] [Le cavalier à la balance] Après cela, toujours à Rome, Virgile forgea en cuivre un homme montant un cheval. Il avait l’aspect d’un vieillard et tenait dans sa main une grande balance. Ce personnage était une bonne chose pour Rome, parce qu'il faisait respecter la vérité et les droits de chacun. En effet, si un marchand avait à vendre un produit quelconque et si quelqu'un voulait l'acheter, il n'était pas nécessaire de demander un prix ou de faire une offre : il suffisait de mettre le produit sur l’un des plateaux de la balance et l’argent sur l’autre. Dès qu’on avait mis sur un plateau la valeur équivalant à celle du produit, ce plateau descendait vers le sol. Alors chacun prenait ce qu’il devait prendre, et personne n'y perdait jamais, ni le vendeur ni l'acheteur.

 

Popularité de Virgile : Très écouté pour ses conseils, Virgile se construit, à la demande des sénateurs, une demeure à Rome - Il leur promet des révélations prochaines - Il dote Rome d'un feu perpétuel pour les pauvres (43 a.C.n.)

 

[p. 230] [Grant fieste fait à Virgile] Grant fieste fist Julius Cesar et les senateurs et tous les aultres de chu que maistre Virgile avoit fait, et disoient qu'en monde n'avoit homme de si grant scienche. Ilh avient I jour que les senateurs de Romme devoient rendre I jugement ; si mandarent Virgile et li dissent leur jugement, solonc l'usaige qu'ilh avoient adont à Romme ; et Virgile leur blaymat mult cel usage, se les ordinat loys certains plus à droit que li leur n'astoit, chu dest-ilh ; si en usarent à Romme.

[p. 230] [Grande fête faite à Virgile] Jules César, les sénateurs et d'autres personnes encore firent grande fête à maître Virgile pour ce qu'il avait fait. Tous disaient que personne au monde n'était aussi savant. Un jour où ils durent rendre un jugement, les sénateurs de Rome firent venir Virgile et lui firent part de leur jugement, rendu selon la coutume qui régnait alors à Rome. Virgile blâma vivement cette coutume et mit au point certaines lois, plus justes, selon lui, que les leurs. Elles furent alors appliquées à Rome.

[Del noble generation de Virgile] Item, une aultre fois mangnoit Virgile entres les senateurs ; se ly demandarent por solas dont ilh astoit neis. Et ilh leurs comptat tout sa nation, enssi com nos l'avons compteit devant, de quoy ilhs furent mult esjoyés, car ilh y avoit des senateurs qui astoient cusiens germain à Virgile, fis de leurs oncles.

[La noble lignée de Virgile] Une autre fois, Virgile mangeait avec les sénateurs. Pour le plaisir de la conversation, ils lui demandèrent d’où il provenait. Virgile leur parla alors de toute sa lignée, que nous avons présentée plus haut (p. 183-184). Les sénateurs en furent très contents, car il y avait parmi eux des cousins germains de Virgile, fils de ses oncles.

[Del maison Virgile qui fut fait en une nuit] Adont li priarent que ilh presist terre et fesiste habitation por luy à demoreir ; et tant li priarent que ilh at fait unc rechet, lequeile ilh apellat Casdrea. Adont en furent tous ses amis mult lyes ; chu fut la plus belle maison et ly myes edifiié qui fust [p. 231] à Romme de chu qu'ilh tenoit, et fut fait en une nuit.

[La maison de Virgile faite en une nuit] Alors ils le prièrent d'acheter un terrain et d’y construire une maison pour en faire sa demeure. Ils insistèrent tellement qu’il se construisit une habitation qu'il appela Casdréa. Tous ses amis en furent très heureux ; ce fut à Rome [p. 231] la maison la plus belle et la mieux construite ; elle fut achevée en une nuit.

Et lendemain, quant ilh mangnoient ensemble à baptisier la maison, si demandarent entre eaux qu'ilh donnast à entendre alcon chouse de son sens, de secreis de vivre, qu'ilh le metissent en leur memoire. Tant l'ont priet qu'ilh leur dest ensi : « Barons, vos demandeis que je vos die chu que vos ne creieis point, et je le vos diray bien temprement, quant temps sierat. » De celle response furent les senateurs contens.

Le lendemain, au cours d’un repas pris en commun pour inaugurer la maison, ils demandèrent à Virgile de leur expliquer quelques-uns des secrets de son savoir et de sa vie, pour qu'ils puissent se les mettre en mémoire. Ils insistèrent tellement que Virgile leur dit : « Seigneurs, vous me demandez de dire des choses que vous ne pourrez croire ; je vous en parlerai sous peu, le moment venu. » Les sénateurs se contentèrent de cette réponse.

[De feu que Virgile fist pour les povrez] En cel an meismes, le XIIe jour de jule, fourmat Virgile tout emy Romme I gran feu qui toudis ardoit, por les povres gens à aysier ; mains nuls n'en poioit prendre feu à cheli, fors que por ly à chaffeir et ses viandes cuires ; et fuit fais por dureir à tous jours mais. Et par-deleis le feu avoit fait I ymaige d'on vilain de coevre, tout droit stesant sus ses piés ; et tenoit unc dart entenseit et I arch qui lignoit droit vers le feu, et avoit escript entre ses dois yeux :

Qui me fierat tantoist traray

Et tout le feu estinderay.

 [Virgile fait un feu pour les pauvres] Le 12 juillet de cette année 546 [43 a.C.n.], Virgile installa au centre de Rome un grand feu qui restait allumé sans interruption, pour aider les pauvres. On ne pouvait en prendre que pour se chauffer et cuire ses aliments. À côté de ce feu, qui devait durer éternellement, Virgile avait forgé en cuivre la statue d'un vilain, dressé sur ses pieds, tenant en main une flèche et un arc dirigé vers le feu, et portant entre ses deux yeux une inscription qui disait :

Si l'on me frappe, je tirerai aussitôt

Et j’éteindrai complètement le feu.

 

Suite compromise de l'idylle : Jalouse, Phébille relance en vain Virgile, tout en méditant de le ridiculiser - Virgile justifie son refus du mariage au nom de ses engagements au service des Romains : initiation à l'agriculture et constitution d'un calendrier astronomique (dates non précisées 43a.C.n. ?)

 

[p. 231] [De Phebilhe qui astoit jalotte] Adont alat la novelle parmy Romme, tant que Phebilhe le soit ; mains chu ne li plaisoit mie, car tant plus l'oiioit prisier, tant plus se dobtoit de li perdre. Et astoit jalotte d'onne aultre femme qu'elh quidoit qui amast Virgile, et Virgile lée, et por chu le desdangnast Virgile ; si l'amoit-el plus ardamment com devant. Si oit mult de penséez ordes et vilaines, et disoit qu'elle troveroit volentiers voie et manere qu'elle li posist faire despit mult grans ; mains elle le manderoit encors, et li requeroit que ilh le prende à femme, ou elle arat aultre conselhe.

[p. 231] [Phébille est jalouse] La nouvelle s'en répandit à Rome et arriva aux oreilles de Phébille. Mais cela ne lui plaisait pas : plus elle entendait louer les mérites de Virgile, plus elle redoutait de le perdre. Elle était jalouse d’une autre femme, qu'elle croyait aimée et amoureuse de Virgile, et y voyait la cause de son dédain. Aussi l’aima-t-elle plus ardemment. Des pensées horribles et viles la hantaient ; elle disait qu’elle aimerait trouver le moyen et la manière de contrarier gravement Virgile. Toutefois, elle le rappellerait encore pour lui demander qu'il l’épouse. Sinon, elle déciderait autre chose.

Enssi mandat Virgile, qui vient tantoist ; elle li fist grant fieste, et ly dest : « Sire, merchi ; ains que vos vo parteis de moy, me weulhiés dire se vos entendereis à my del prendre à espeuse ; mon peire moy weult marier, dont je en suy fortement corochié, car je ne weulhe avoir aultre de vos, jasoiche que vos n'aiez cure de moie ; se vos prie que moy dite vostre pensée, car je le weulh savoir, et ne moy plaist plus à maintenir l'estat que j'ay maintenu : je suy [p. 232] belle et bonne asseis por vos. » Et Virgile ly respondit : « Damoiselle, ilh moy convient penseir à aultres chouses, car je ay à faire des besongnes ardues, et quant elle seront faites, si revenray à vos, et ferons tant que les chouses venront bien. » Chu ploisit bien à la damoselle.

Ainsi fit-elle venir Virgile, qui arriva aussitôt. Elle lui fit grande fête et lui dit : « Sire, pitié. Avant que vous ne me quittiez, veuillez me dire si vous avez l’intention de m’épouser. Mon père veut me marier, ce qui m'irrite beaucoup, car je ne veux point d’autre époux que vous, bien que je sache que vous ne vous souciez pas de moi. Je vous prie de me dire votre pensée. Je veux la connaître et cela ne me plaît plus de rester dans ma situation actuelle. Je suis [p. 232] assez belle et assez bonne pour vous. » Virgile lui répondit : « Mademoiselle, il me faut penser à d’autres choses, car j’ai des tâches ardues à accomplir. Celles-ci une fois terminées, je reviendrai à vous, et nous ferons en sorte que les choses se dérouleront bien. » Cela plut à la demoiselle.

[p. 232] [Virgile donne la pratique de gangnier terres] Enssi que ches chouses avenoient, fut Virgile requis des Romans qu'ilh leur donnast la practique de hanneir les terres et cultiveir, et leurs donnat l'art et la practique, qui est ors encors en usaige de faire. Je ne feray mie mension de tout chu que Virgile fist à Romme, car ilh en est trop, dont les ensengnes sont encors à Romme apparantes ; mains je en diray les plus notoirs qu'ilh fist.

[p. 232] [Virgile montre comment cultiver les terres] Entre-temps, les Romains demandèrent à Virgile de leur enseigner la pratique du labourage et de l'agriculture. Il leur transmit l’art et les pratiques encore en usage de nos jours. Je ne ferai pas mention de toutes les réalisations de Virgile à Rome, car elles sont trop nombreuses, et leurs traces sont encore visibles dans la ville. Je parlerai de ses inventions les plus notoires.

 [Des XII ymages Virgile - Des XII mois de l’an] Item, ilh fist XII ymages de coevers, et les mist sor les XII portes de Romme, qui signifioient les XII mois de l'an, desqueis cascon faisoit à sa nature.

 [Les douze images de Virgile - Les douze mois] Virgile fit douze statues en cuivre, posées sur les douze portes de Rome, et symbolisant les douze mois de l’année, qui s’activaient chacun selon leur nature.

Car jenvier à godet bevoit, et soy chaffoit à unc gran feu ; si avoit deleis ly le signe de chiel que on apelle Aquarius : chis est uns hons qui tient unc pot, et versoit fours aighe.

Fevrier talhoit les vingnes, et II pissons astoient les signes.

Marche semoit les marchaiges et sartoit les juxhiers, et son signe astoit le mouton.

Avrilh venoit apres, et tenoit en sa main fleurs d'arbres et de herbes ; et ly toureais astoit son signe.

May astoit enssi com menestreit de vielhes et li signes astoit ly germais bangnant en une cuevre.

Junet astoit I hons tous chaus, qui colhoit rouses à fuison, plains les bansteals, car ch'astoit sa saison ; et li greveche astoit son singne.

Julet tenoit une fachilhe, et si avoit unc capeal de four ou de fain, et ly lyon astoit son singne.

Awoust, chis colhoit les bleis, et son singne astoit une virgue stesant droit, et soy miroit en unc myreur, et tenoit I palme.

Septembre semoit les bleis, et son signe astoit une balanche.

Octembre colhoit les roisins, [p. 233] faisoit le noveal vin, et son singne astoit I scorpion.

Novembre portoit I porceal à son col, dont ilh fait bacon en son lardier, et li signe astoit unc sagittaire : ch'est une ymaige à motié partie de cheval et d'homme.

Et decembre tue I buef, et li signe est unc capricorne.

Janvier buvait dans un godet et se chauffait à un grand feu. Il avait à côté de lui le signe céleste appelé Aquarius : un homme tenant une cruche et versant de l’eau.

Février taillait les vignes ; son signe était deux poissons.

Mars semait les grains de mars et sarclait les jachères ; son signe était le bélier.

Avril venait ensuite. Il tenait en sa main des fleurs d’arbres et des herbes; il avait pour signe le taureau.

Mai était un ménestrel qui jouait de la vielle ; des gémeaux dans un bassin de cuivre le représentaient.

Juin était un homme accablé par la chaleur. Il cueillait des roses à foison, à pleines mannes, car c’était sa saison ; l’écrevisse était son signe.

Juillet avait une faucille, et un chapeau de paille ou de foin ; son signe était le lion.

 Août cueillait les blés, et son signe une vierge debout, qui se regardait dans un miroir, et tenait une palme.

Septembre semait les blés ; son signe était une balance.

Octobre cueillait les raisins [p. 233] et faisait le vin nouveau ; il avait comme signe un scorpion.

Novembre portait sur sa nuque un porcelet et faisait du lard en son saloir ; son signe était un sagittaire : une image à moitié cheval et à moitié homme.

Décembre tue un bœuf et son signe est un capricorne.

Ches XII ymagines furent stesantes sour les XII portes de Romme, enssi com dit est. Et prist I pomme d'achiel qu'ilh donnat jenvier à l'entrée en sa main diestre, et le portat XV jours ; et puis le mettoit en sa main senestre, et le portoit jusqu'en la fin ; et puis le jettoit à fevrier, et fevrier le portoit jusques en sa fin, sicom jenvier ; et puis le jettoit à marche, et enssi le jettoit ly unc à l'autre jusqu'en la fin de l'an que decembre le rendoit à jenvier.

Ces douze statues se dressaient sur les portes de Rome, comme je l'ai dit. Virgile plaça alors une pomme d’acier dans la main droite de janvier, qui la gardait pendant quinze jours ; puis janvier la mettait dans sa main gauche qui la gardait jusqu'à la fin du mois ; ensuite il la jetait à février, et février la portait jusqu’à la fin, comme janvier ; et puis il la jetait à mars. Et ainsi chaque mois la jetait au mois suivant jusqu’à ce que, à la fin de l’année, décembre la rende à janvier.

[De janvier, le premier mois de l’an - De la prophétie de Virgile] Et ly fut demandeit porquoy ilh metoit jenvier por le promier mois de l'an, quand marche astoit ly promier solonc leur loy. Ilh respondit que temprement nasqueroit teil fruit qui remueroit tous les estas, et par especial li mois de jenvier sieroit ly promiers mois dedont en avant perpetuelment.

[Janvier, premier mois de l’année - La prophétie de Virgile] On demanda à Virgile pourquoi il faisait de janvier le premier mois de l’année, alors que, selon leur loi, c'était mars. Il répondit que bientôt naîtrait un fruit qui provoquerait le bouleversement de toutes choses, et spécialement le fait que janvier serait dorénavant et pour toujours le premier mois.

[Des IIII ymages Virgile por les IIII temps] Apres fist Virgile IIII ymagines de ches XII ymagines et signes qui signifient les IIII temps ; chu sont : fevrier por printemps, may por esteit, awost por waym ou autompne, et novembre por yvier. Por ches IIII temps fist une pomme qui le XXIIe jour de fevrier le wolt aux II pissons donneir, qui le tinrent jusque à XXVe jour de may, que les pissons le jettarent aux germais, qui tant le tinrent que li soleal entre en la virge. Et apres chu est XXII jours d'awost ; et puis se le jettoit la virge qui le tient jusqu'à XXIIIe jour de novembre, qu'ilh le jette le sagittaire, qui le tient jusqu'à XXIIe jour de fevrier, qui le jette com de promier aux pissons. Enssi furent ordineis les IIII temps figureis solonc astronomie ; mains li engliese apostolique apres poisat à chu certains compas par cause, dont ons at useit longtemps en Sainte-Engliese.

[Quatre images de Virgile pour les Quatre-Temps] Ensuite, de ces douze images et leurs signes, Virgile en choisit quatre pour représenter les Quatre-Temps : février pour le printemps, mai pour l’été, août pour l'automne, et novembre pour l’hiver. Pour ces Quatre-Temps, il fit une pomme qu'il confia aux deux Poissons du 22 février au 25 mai. À cette date, les Poissons devaient la lancer aux Gémeaux, chargés de la conserver jusqu’à l’entrée du soleil dans le signe de la Vierge, le 22 août ; la Vierge alors gardait la pomme jusqu’au 23 novembre, puis la lançait au Sagittaire, qui la tenait jusqu’au 22 février, avant de la remettre aux Poissons. Ainsi furent organisés les Quatre-Temps en fonction de l’astronomie. Mais dans la suite, l’église apostolique imposa à tout cela certaines règles, qui furent longtemps suivies dans la Sainte Église.

 

Virgile, prophète chrétien : Prophétie concernant la Vierge Marie - Profession de foi chrétienne par anticipation - Prophéties sur Jésus-Christ (la Descente aux enfers, la Résurrection, l'Ascension)

 

[p. 233] [La prophecie Virgile de la virge Marie] Apres avient que les senateurs dessent à Virgile qu'ilh les voisist aprendre aulconne chouse de son sens, et faire entendre si qu'ilhs posissent dire qu'ilh avoient apris à luy et de son sens et retenut en memoire. Adont fist Virgile à ches proïers une ymage de coevre, qui avoit la semblanche d'unne virge, qui avoit une lamme emmy le pis, où ilh avoit escript en latien chu qui chi-apres s'ensiet en romans : [p. 234]

Che Ymaige chi ne chairat

Jusqu'en virge enfant aurat.

[p. 233] [Prophétie de Virgile sur la Vierge Marie] Il se fit que les sénateurs demandèrent à Virgile de leur communiquer et de leur expliquer un peu de son savoir et un certain nombre de choses qu'ils avaient retenues, pour qu’ils puissent dire qu’ils les avaient apprises de lui et de sa sagesse. Suite à ces prières, Virgile fit une statue en cuivre, qui figurait une vierge, portant une plaquette sur la poitrine, où était écrit en latin ce qui suit en roman : [p. 234]

Cette statue tombera

quand une vierge aura un enfant.

Puis le fist metre sour I peiron de marbre, et les senateurs et les hauls barons et les borgois de Romme, qui lisoient la lettre qu'ilh avoit escript, avoient de chu grant mervelhe ; si en faisoient leur gaberies, et tinrent tout chu à fantasie, et disoient que chu jamais n'avenroit ; mains Virgile dest aux senateurs que tout enssi ilh avenroit, car ilh le covenroit eistre enssi. Adont leur dest comment chu seroit enssi que puis avient, et comment la virge porteroit, et le convenoit enssi porteir le soverain Dieu de nature. Adont, quant chu avenrat, chairat ly ymage.

Il la fit placer sur un socle de marbre, et les sénateurs, les nobles seigneurs et les bourgeois de Rome, qui lisaient l’inscription, étaient grandement étonnés. Ils en plaisantaient, considérant tout cela comme de la fantaisie et disant que cela n’arriverait jamais. Mais Virgile dit aux sénateurs que tout se passerait de cette façon, car il fallait qu'il en soit ainsi. Il leur dit ensuite comment se passerait ce qui arriva ensuite, et comment la vierge serait enceinte, ajoutant qu’il convenait qu’elle portât ainsi le Dieu par nature souverain. Alors, quand cela arriverait, la statue tomberait.

[p. 234] [La confession katolique Virgile] Et ilhs demandarent queile seroit la virge ; et ilh leur respondit en teile manere : « Saingnour, je vos ay sovent dit que tous les dieux que vos creieés et les aultres gens par le monde, excepteit le Dieu des Juys, sont tous fantosmes et adevines et fais par hommes ; mains ly Dieu des Juys est ly vrai Dieu de nature, qui fist le chiel et la terre, et tout chu qui ens est. Chils Dieu si desquenderat en la virge, sens corrompre sa virginiteit. Elle porterat Dieu le Peire, le Fis et le Sains Esperis, c'este la saincte Triniteit en une uniteit, unc seul Dieu, de sa nature et de sa substanche tout parfait, en queile je croy et si croiray, et en celle creanche moray. Ilh fourma l'homme et la femme, et les hommes fourment les dieux en queis vos creieez, de bois et de pires, et de pontures. » 

[p. 234] [La confession de foi catholique de Virgile] Aux sénateurs demandant qui serait cette vierge, il répondit : « Seigneurs, je vous ai souvent dit que tous les dieux en qui vous croyez, vous et les autres gens de ce monde, sont tous, à l'exception du Dieu des Juifs, des fantômes et des devins fabriqués par les hommes. Par contre, le Dieu des Juifs est le vrai Dieu par nature, qui fit le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent. Ce Dieu descendra dans la vierge, sans corrompre sa virginité. Elle portera Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, la sainte Trinité en l’unité, un seul Dieu, parfait par sa nature et sa substance. C'est ce que je crois et croirai, et je mourrai en cette croyance. Ce Dieu forma l’homme et la femme, tandis que les hommes fabriquent les dieux en qui vous croyez et qui ne sont que bois, pierre et peintures. »

 Adont demandarent les senateurs : « Est-ilh saingnorie plus grant que ly nostre aultrepart ? » Respont Virgile : « Oilh, cent milh fois plus ; la saingnorie de Dieu est tout seul, et comprend tout le monde, chiel et terre, et est toudis partout, et est sens fien et sens commenchement. Ilh comprent tout le monde ; mains li monde ne le puet comprendre ; et partout où ilh est, est joie et saingnorie ; et là ilh at duelh ou tristeche ou nul maul, n'est-ilh pais. Et est ly honnour, li amour et la signorie de Dieu toudis permanable.

Alors les sénateurs demandèrent : « Existe-t-il ailleurs une autorité plus grande que la nôtre ? ». Virgile répondit : « Oui, cent mille fois plus ; le pouvoir de Dieu est unique ; il englobe le monde entier, le ciel et la terre ; il existe toujours partout, sans fin ni commencement. Il englobe le monde entier, mais le monde ne peut l'englober. Partout où il est règnent joie et souveraineté ; et là où règnent deuil ou tristesse ou malheur, la paix n’existe pas. L’honneur, l’amour et la souveraineté de Dieu sont permanents.

[La prophesie Virgile de Jhesu-Crist] Ilh ferat redemption de cheaux qui sont en infier par inobedienche ;

 [La prophétie de Virgile sur Jésus-Christ] Il viendra racheter ceux qui sont en enfer pour leur désobéissance.

[L'ymaige del virge chaït quant Jhesu-Crist fut neis] et si venrat chis Dieu de cuy je parolle dedens [p. 235] XLIII ans prochainnement venant, et à jour qu'ilh nasquerat se chairat ceste ymage que j'ay fait. » Et ilh dest voir, car sitoist que Nostre-Damme saincte Marie oit enfanteit, ly ymaige chaiit jus de pyleir et debrisat tout.

[L'image de la Vierge tombe à la naissance de Jésus-Christ] Et ce Dieu dont je parle viendra [p. 235] dans les quarante-trois années qui viennent, et le jour où il naîtra, cette statue que j’ai faite tombera. » Et il dit vrai, car aussitôt que Notre-Dame Sainte-Marie eut enfanté, la statue tomba en bas du pilier et se brisa complètement (p. 435 et p. 61).

[Virgile dest que Jhesu-Crist soy resusciterat] Encor dest Virgile que chis Dieu seroit li chief des Ebriens, et encordont les Ebriens le tueront et le crucifieront. « Et chu que je dis l'ont tout par escript des prophetiens anchiens, et ne le voront entendre à la veriteit ; ilh le metteront en unc sepulcre, et la diviniteit soy departirat de corps ; sy yrat brisier infeir, et osteir ses amis de la prison d'infeir ; puis rentrerat en son corps la diviniteit, si soy releverat al thier jour. Et al XLe jour ilh remonterat en chiel, où ilh menrat ses amis, et rechiverat à tousjours ; chis qui en luy fermement creirat, et baptisiet serat à la novel loy, ilh yrat en cel paradis ; là Dieu est, en toute joies, solas, desduis, plaisanche, signorie et riceches. » 

[Virgile dit que Jésus-Christ ressuscitera] Virgile dit encore que ce Dieu sera le chef des Hébreux, et que, pourtant, les Hébreux le tueront et le crucifieront. « Tout ce que je dis, des prophètes anciens l’ont écrit. Pourtant, les Hébreux refuseront d'entendre la vérité. Ils le mettront dans un tombeau. Sa divinité se séparera de son corps, ira briser les portes de l’enfer et retirer ses amis de la prison infernale. Puis sa divinité rentrera dans son corps, et il ressuscitera le troisième jour. Le quarantième jour, il montera au ciel, y emmènera ses amis et y restera toujours. Celui qui croira fermement en lui et sera baptisé selon la nouvelle loi, ira en ce paradis ; là règne Dieu, parmi la joie, le réconfort, le bonheur, le plaisir, le pouvoir et les richesses. »

[Comment Virgile convertit les senateurs al baptesme Jhesu-Crist] Tant prophetisat Virgile, qu'ilh at pluseurs senateurs convertit à la loy, qui encors n'astoit venue, car s'ilh fuist venue, ilhs euwissent pris baptesme ; et fisent tout mettre en escripte chu qu'ilh avoit dit, et le fisent gardeir à leurs enfans qui furent les promirs qui presissent baptesme.

[Comment Virgile convertit les sénateurs au baptême de Jésus-Christ] Virgile prophétisa si bien qu’il convertit plusieurs sénateurs à la loi, qui n’était pas encore apparue. Si elle était arrivée, ils auraient reçu le baptême. En tout cas, ils firent mettre par écrit tout ce que Virgile avait dit et en confièrent la garde à leurs enfants qui furent les premiers à recevoir le baptême.

 

Virgile interprète des prodiges annonciateurs de la mort de César - Magicien bienfaisant, il délivre les Romains du fléau des mouches

 

[p. 235] [Mervelh de sanc qui issoit fours de pain] A cel temps avient à Romme, quant ons fendoit I pain, qu'ilh en issoit sanc à fuison ; et braioient les biestes mues par les bois et altrepart, ilhs sembloient eistre enragiés. Et durat chu III jours et III nuites. Adont vienrent les senateurs à Virgile, et li priarent qu’ilh leur vosist dire la signifianche que chu signifioit. Et ilh leur dest que ly pains signifioit Julius Cesaire, qui seroit ochis anchois I an acomplis, en temple où ilh devroit faire reverenche à leurs dieux ; et les biestes signifioient que III jours anchois sa mort venront diverses signes à Romme, et que li peuple ploroit Julien Cesaire apres sa mort. Quant les senateurs entendirent chu, si furent tous enbahis, et si n'oysarent oncques chu manifesteir, mains le tinrent mult bien en secreit.

[p. 235] [Prodige du sang qui sort du pain] À cette époque, des prodiges se produisirent à Rome. Quand on coupait du pain, du sang en sortait à profusion ; les bêtes, d'habitude silencieuses, hurlaient dans les bois et, ailleurs elles semblaient enragées. Cela dura trois jours et trois nuits. Les sénateurs vinrent alors trouver Virgile et lui demandèrent de vouloir bien leur expliquer ce que cela signifiait. Selon Virgile, le pain désignait Jules César, qui serait tué avant la fin de l’année dans un temple où il devrait honorer leurs dieux. Le comportement des bêtes annonçait que divers signes apparaîtraient à Rome trois jours avant la mort de César et le peuple pleurerait ce dernier après sa mort. Quand les sénateurs entendirent cela, ils furent tous étonnés, mais ils tinrent tout cela secret, n’osant jamais en parler ouvertement.

 [Mervelh des moxhes entrant es boches des gens] Encors avient à Romme à cel temps que une manere de biestes, al manere de moxhes, entrarent en la citeit de Romme et là entour, que tantoist que les gens les veioient ilhs balhoient, et les moxhes entroient es boches des gens, si moroient subitement. Et durat chu mult longement, et moroient les gens par les rues si espesse que la terre en astoit toute [p. 236] coverte. Adont soy trahirent li emperere et les senateurs à Virgile, et li criarent merchi qu'ilh les delivrast de cel tempieste, s'ilh le poloit faire.

 [Prodige des mouches entrant dans les bouches des gens] Il arriva encore à Rome à cette époque une sorte d'insectes comparables à des mouches qui pénétrèrent dans la ville de Rome et aux alentours. Dès que les gens les apercevaient, ils baillaient ; les mouches entraient dans leur bouche, et ils mouraient aussitôt. Cela dura très longtemps. Les gens mouraient dans les rues, si souvent que la terre était toute [p. 236] couverte de cadavres. Alors l’empereur et les sénateurs allèrent implorer la pitié de Virgile, pour qu'il les délivre de ce fléau, s’il le pouvait.

[Del moxhe Virgile d’erain] Et Virgile, qui ne leur poioit riens escondire, fist I moxhe de erain de teile vertu, et le mist sour les champs defours la citeit de Romme, que oussitoist qu'ilh fut là mise, toutes les moxhes se prisent à aleir cel part, et aussitost que ilh aprochoient, ilh moroient. Et enssi fut Romme quite de ches moxhes par Virgile, dont les Romans mult le prisarent.

[La mouche de bronze de Virgile] Alors Virgile, qui ne pouvait rien leur refuser, fabriqua une mouche de bronze qu'il déposa dans les champs en dehors de Rome. Cette mouche avait une grande vertu : dès qu’elle fut en place, toutes les mouches se dirigèrent vers elle et mouraient dès qu’elles s'en approchaient. Ainsi Virgile délivra Rome de ces mouches, et les Romains l'en apprécièrent beaucoup.

 

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