FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 23 - janvier-juin 2012
Le Virgile de Jean d’Outremeuse :
le panier et la vengeance
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par
Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet
Après avoir présenté dans le fascicule 22 des FEC l'ensemble du « Virgile de Jean d’Outremeuse », nous allons nous intéresser maintenant à la section qui raconte les amours de Virgile et de Phébille. Cette histoire repose pour l’essentiel sur deux épisodes très répandus à partir du XIIIe siècle dans la littérature européenne médiévale et moderne. Certains auteurs se contentent de les citer ou de les résumer, mais d’autres les développent et les retravaillent de différentes manières.
a. Le répertoire
Les textes dont disposent les chercheurs sont très nombreux. On pourrait en dresser une liste quasi exhaustive en dépouillant les trois ouvrages suivants, indispensables (à des titres divers) pour toute recherche sérieuse sur le sujet. Ils se complètent et nous les avons largement utilisés :
Domenico Comparetti, Virgilio nel medio evo [2e édition revue par l’auteur], 2 vol., Florence, 1896, 316 et 324 p. Cette édition sera republiée sous le même titre avec des compléments de Giorgio Pasquali, 2 vol., Florence, 1937-1941, 291 et 328 p. (Il pensiero storico, 16 et 22), avec plusieurs réimpressions (1943, 1955, 1967). [cités respectivement Comparetti, Virgilio, 1896 et Comparetti-Pasquali, Virgilio, 1937-1941]. L'édition de Florence (1937-1941) est également accessible dans son intégralité sur le site de la Biblioteca dei Classici Italiani.
John Webster Spargo, Virgil the Necromancer : Studies in Virgilian Legends, Cambridge, 1934, 502 p. (Harvard Studies in Comparative Literature, 10). [cité Spargo, Virgil, 1934]
Jan M. Ziolkowski, Michael C.J. Putnam [Éd.], The Virgilian Tradition. The First Fifteen Hundred Years, New Haven & Londres, 2008, 1082 p. [cité VT, 2008]
Ils ont définitivement remplacé le vieil ouvrage de Ed. Du Méril, Virgile l'enchanteur, dans les Mélanges archéologiques et littéraires du même auteur, Paris, 1850, p. 425-480, encore cité parfois et accessible sur la Toile.
b. Notre choix
Dans ce vaste répertoire, nous avons opéré un choix. Nous n’avons pas retenu tous les textes traitant des amours déçues de Virgile, mais uniquement ceux qui livrent les deux épisodes structurés, à savoir le « Virgile berné et vengé ». Ce ne sont pas les plus nombreux. Les attestations d’un « Virgile (simplement) berné », sans qu’il soit question de sa vengeance, sont de loin plus fréquentes, ce qui explique (cfr infra) que puisse se poser la question de l’existence ou non d’un lien originel entre les deux parties du récit.
Quoi qu’il en soit, c’est uniquement dans la mesure où c’était Virgile que mettaient en scène ces témoignages structurés que nous avons essayé d’être aussi complets que possible. La dernière attestation enregistrée sera celle d’Andrew Lang, au début du XXe siècle.
Par contre, lorsqu'il s'agissait de transpositions ou d’adaptations, où Virgile n'intervenait pas en personne, nous avons été très sélectifs. Ainsi nous ne faisons aucune place à une histoire très proche de celle des amours de Virgile et de Phébille, qui se retrouve, attribuée à Avicenne, dans une collection de légendes populaires imprimée à Kazan au XIXe siècle (Spargo, Virgil, 1934, p. 396, n. 4). Si La leggenda di Pietro Barliario figure dans notre corpus, c'est parce qu'elle est relativement ancienne (XVIIe siècle). Mais c'est dans un appendice que nous avons rejeté une anecdote qui courait encore à Audenarde (Belgique) au milieu du XIXe siècle et qui a inspiré le livret du Feuersnot de Richard Strauss. On le voit, le motif du « Virgile berné et vengé » s'est conservé longtemps.
Les textes retenus sont, à nos yeux, très significatifs. S’étendant sur de nombreux siècles, ils se caractérisent par une grande variété, qu’il s’agisse de l’auteur (qui peut être anonyme), de l’origine géographique et de l’ancrage chronologique (informations pas toujours très sûres), de la langue (latin, français, allemand, espagnol, italien, hébreu, islandais, néerlandais), ainsi que de la forme littéraire elle-même (prose, poésie). Certains apparaissent à l’état isolé, comme matériau brut dans une collection d’exempla ou comme pièce indépendante dans un recueil poétique par exemple, mais certains autres sont intégrés dans un ensemble plus ou moins ample et variablement orienté (chronique universelle, urbaine ou épiscopale, encyclopédie, traité sur l’amour, critique sociale) où ils sont utilisés à titre d’exemple ou d’argument. Ces témoignages – certains sont brefs – prouvent indiscutablement qu’à partir du XIIIe siècle en tout cas le sujet était bien connu et aussi très porteur. Il cessera de l'être à partir du XVIIe siècle.
c. Les traductions
Le fait que les textes retenus sont rédigés dans des langues très différentes a compliqué quelque peu la façon de les présenter. Nous n’avons pas voulu nous contenter de simples résumés. Notre politique a été de mettre le plus possible le lecteur en présence des témoignages et de toujours faciliter sa compréhension tout en lui permettant un contact, ne serait-ce que limité et superficiel, avec l’original, d’où les citations, plus ou moins étendues, qui parsèment l’exposé. Sauf indications contraires, les traductions françaises proposées sont de notre chef et nous en assumons la responsabilité.
d. Notre objectif final
Le chroniqueur liégeois est celui qui a donné à ces épisodes le plus d’importance, par la longueur de la présentation, la richesse des détails, l’originalité du traitement, voire des amorces d’analyse psychologique. Pour s’en rendre compte, il est toutefois nécessaire de mettre le récit de Jean d’Outremeuse « en contexte », en d’autres termes de le comparer aux autres versions des épisodes du « Virgile suspendu et berné » (le panier) et du « Virgile vengé » (la vengeance). En rassemblant les récits parallèles connus et en les accompagnant d’un bref commentaire, notre objectif final est de tenter de mettre en évidence la spécificité de Jean d’Outremeuse. Ce sera le sujet de notre conclusion.
e. Le plan de notre exposé
3. La Weltchronik de Jans Enikel (XIIIe)
4. Les Chroniques de Jerahme'el (XIIIe-XIVe)
5. La Cronica di Mantova ou Aliprandina de Bonamente Aliprandi (entre 1414 et 1417)
6. Le Virgilessrímur, un poème islandais (entre 1300 et 1450)
7. L'Image du Monde de Gossuin de Metz (milieu du XIIIe), Renart le Contrefait (début XIVe)
et Le Livre du Chevalier Errant (fin XIVe siècle)8. Antonio Pucci (vers 1310-1388) et Giovanni Sercambi (début XVe)
9. Deux auteurs d'artes amandi : Juan Ruiz (XIVe) et Dirc Potter (XVe)
10. Deux compilations : la Fleur des Histoires de Jean Mansel (milieu du XVe siècle)
et Les Faictz Merveilleux de Virgille (début XVIe)11. Alfonso Martínez de Toledo et le Romance de Virgilio (XVe)
12. La Leggenda di Pietro Barliario (XVIIe)
13. Quelques allusions rapides d'époques et de régions diverses :
Roman de Troie - Prose I (XIIIe)
Le Fadet Joglar de Guiraut de Calanson (vers 1215-1220)
Les Proverbes de Guilhem de Cervera (XIIIe)
Chronique de Bertrand du Guesclin, par Cuvelier (XIVe)
Une lettre de Coluccio Salutati (1371)
Von Virgilio dem Zauberer (vers 1495)
Albrecht von Eyb, Margarita poetica (1472)
Stephen Hawes, The Pastime of Pleasure (1509)
The Deceyte of Women (vers 1550)
Les Chronica de Sebastian Franck (1531)
Une première version édulcorée (R.O. Spazier, 1830)
Une seconde version édulcorée (Andrew Lang, 1901)
Les Maîtres chanteurs (Meistersinger) allemands (datation précise impossible)
14. Conclusion : la spécificité de Jean d'Outremeuse
15. Appendice 1 : Une légende locale belge (Audenarde) du milieu du XIXe siècle à l'origine de Feuersnoth de Richard Strauss
[Suite]
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