FEC - Folia
Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 24 - juillet-décembre 2012
Virgile
magicien dans les Mirabilia Romae, les guides du pèlerin et les récits
de voyage
C. Sa
demeure à Rome dans les Mirabilia anciens
par
Jacques Poucet
Professeur émérite de
l'Université de Louvain
Membre de l'Académie
royale de Belgique
<jacques.poucet@skynet.be>
Plan
2. L’Urtext et la compilation de Nicolás Rosell
3. Le
Miracole di Roma (Mirac.) [milieu du XIIIe]
4. Le Tractatus de rebus antiquis et situ urbis
Romae (Anonym.) [XVe siècle]
5. Les traductions françaises du XIIIe et du XVe
siècle (Merv. I et II) [XIIIe et XVe]
6. Les traductions allemandes et leur modèle latin
1. Introduction
Le point suivant n’a plus de rapport
avec les épisodes du panier et de la vengeance : il concerne une demeure que
Virgile aurait possédée à Rome. Certaines versions des Mirabilia lui
attribuent en effet tantôt un « palais », tantôt un
« temple ».
Sur le fond, le sujet, ténu, est de faible
importance, comme l’était la notice du chapitre précédent sur la colline d’où Virgile
était parti à Naples. Mais dans les deux cas, l’intérêt essentiel est d’ordre
méthodologique : suivre l’insertion et l’histoire d’un motif dans la
tradition des Mirabilia jette un éclairage intéressant sur la méthode de
travail des rédacteurs et en particulier sur leur peu de « sérieux
topographique ».
Nous allons ici suivre l’histoire de
quelques lignes de la périégèse, présentes dans plusieurs rédactions et sous différentes
formes, depuis l’Urtext (Mirab.) et les versions dérivées (Rosell
et Anomym.) jusqu’aux traductions, italienne (Mirac.), françaises
(Merv.) et allemandes (avec leur modèle latin).
2. L’Urtext et la compilation de Nicolás Rosell
Seront présentés dans la foulée le
point de départ (Mirab.) et sa première adaptation (Rosell), deux
textes tellement proches qu’ils pourront être commentés en même temps. Virgile
n’est pas encore présent dans ce paragraphe, mais c’est bien là que s’insérera dans
la suite la mention de sa demeure.
Voici donc ce qu’on lit au ch. 22 de
l’Urtext, la plus ancienne rédaction des Mirabilia :
Ante palatium Alexandri fuere duo
templa, Florae et Phoebi. Post palatium, ubi nunc est conc[h]a, fuit templum
Bellonae ; ibi fuit scriptum :
Roma vetusta fui, sed nunc nova
Roma vocabor ;
Eruta ruderibus, culmen ad
alta fero.
Ad conc[h]am Parrionis fuit
templum Gnei Pompeii mirae magnitudinis et pulchritudinis ; monumentum
vero illius quod dicitur Maiorentum, decenter ornatum, fuit oraculum
Apollinis : alia fuere alia oracula. Ecclesia Sancti Ursi
fuit secretarium Neronis, etc. (Mirab.,
ch. 22, V.-Z., III, p. 48-49)
Avant
le palais d’Alexandre se trouvaient deux temples, à Flore et à Phébus. Après le
palais, où se trouve aujourd’hui une vasque, il y avait le temple de Bellone.
Il y était écrit :
J’étais
la Rome ancienne, mais maintenant je suis appelée la nouvelle Rome ;
Arrachée
aux ruines, je dresse mon sommet au ciel.
Près
de la vasque de Parrion se trouvait le temple de Cneius Pompée, remarquable
pour sa grandeur et sa beauté : son monument, qu’on appelle Maiorentum,
très bien décoré, était l’oracle d’Apollon. Il y avait aussi d’autres oracles.
L’église de Saint-Ursus fut le sanctuaire de Néron. Etc.
Dans la version de Nicolás Rosell non
plus (ch. 15 intitulé de templis in Roma), il n’est pas
question d’une demeure de Virgile :
Ante palatium Alexandri fuere duo
templa : Florae et Phoebi. Post palatium, ubi nunc est concha, fuit
templum Bellonae ; ibi scriptum erat :
Roma vetusta fui, sed nunc nova
Roma vocabor ;
Eruta ruderibus, culmen ad alta
fero.
Ad concham Parionis fuit templum
Gnei Pompeii mirae magnitudinis et pulcritudinis ; monumentum vero illius,
quod dicitur Maioretum, decenter ornatum, fuit oraculum Apollinis. Ecclesia
Sancti Ursi fuit secretarium Neronis, etc. (Rosell, ch.
15, V.-Z., III, p. 191).
Avant
le palais d’Alexandre se trouvaient deux temples, à Flore et à Phébus. Après le
palais, où se trouve aujourd’hui une vasque, il y avait le temple de Bellone.
Il y était écrit :
J’étais
la Rome ancienne, mais maintenant je suis appelée la nouvelle Rome ;
Arrachée
aux ruines, je dresse mon sommet au ciel.
Près
de la vasque de Parion se trouvait le temple de Cneius Pompée, remarquable pour
sa grandeur et sa beauté ; son monument, qu’on appelle Maioretum, très
bien décoré, était l’oracle d’Apollon. L’église de Saint-Ursus fut le
sanctuaire de Néron.
Ces deux textes sont écrits dans un
latin correct, clair et compréhensible. Autre chose est d’avoir une vue claire
de la valeur des informations qu’ils transmettent. On a déjà dit que les
topographes modernes qui travaillent sur ce type de texte doivent distinguer
soigneusement entre les réalités qui, à l’époque des rédacteurs, font partie de
leur quotidien et les interprétations que ces mêmes rédacteurs proposent pour
les vestiges antiques encore en place mais en ruines (les divers temples,
l’oracle d’Apollon, le sanctuaire de Néron). C’est que ces auteurs médiévaux
sont toujours tentés d’établir une équivalence entre leur monde et l’antiquité,
entendez par ce mot ce qu’ils trouvent ou croient trouver dans les textes
classiques.
Tout cela explique que les
archéologues modernes qui commentent pareils textes doivent souvent
« rendre les armes » sans obtenir des résultats solides. Ainsi, par
exemple, ce que les auteurs médiévaux appellent palais d’Alexandre pourrait
bien être les Thermae Alexandrinae (ou Neronianae), mais si c’est
le cas, force est de constater que si, dans l’antiquité, on trouvait bien à une
certaine distance de ces Thermes un temple de Bellone, il n’existait pas dans
le voisinage de temples consacrés à Flore et à Apollon. La vasque « de
Parion » pourrait porter le nom d’un quartier (des Parianenses sont
attestés par une seule et unique inscription antique ; cfr L. Richardson, A New Topographical Dictionary of
Ancient Rome, Baltimore, 1992, p. 286, s.v°). On ne peut rien en tirer de
plus. Quant au distique bâti sur le contraste entre les deux
Romes, la Rome païenne et la Rome chrétienne, il est de facture médiévale.
Pompée n’a jamais eu de temple à
Rome. À supposer que le nom de ce personnage se soit conservé correctement,
s’agirait-il des restes de son théâtre ? On ne voit en tout cas pas ce que
pourrait être « son monument » « très bien décoré », qui
porte le nom de Maiore[n]tum. Peut-être ce dernier terme se réfère-t-il
d’ailleurs (comme le Parion de la vasque) à un groupe de personnes habitant une
zone déterminée. Il existait en tout cas au Moyen Âge une église du nom de Sancta
Maria in Maiurente. Mais le problème est que ce Maiore[n]tum médiéval
est identifié à un oracle antique d’Apollon, et que le rédacteur cite tout près
d’autres oracula, antiques aussi.
Sur la foi des rédacteurs, on
acceptera sans trop d’hésitation la présence médiévale d’un monument appelé Maiore[n]tum.
Ce que par contre on n’acceptera pas sans vérifications approfondies (souvent
difficiles, voire impossibles), ce sont les interprétations proposées pour les
vestiges de la zone : temple de tel ou de tel, oracle d’Apollon ou des
autres. S’il s’agit bien du théâtre de Pompée, tous ces noms pourraient
s’appliquer aux vestiges du théâtre de Pompée qu’on devait trouver en grand
nombre dans le secteur, et très dispersés.
L’église de Saint-Ursus, bien
attestée au XIIe siècle, sera détruite en 1886, et on y découvrira des restes
d’une construction dans laquelle on voudrait aujourd’hui reconnaître la Schola
quindecimvirum sacris faciundis. Rien à voir avec un quelconque
« sanctuaire de Néron ».
Mais
restons-en là. Nous n’entendons pas résoudre le puzzle archéologique et jouer
nous-même aux interprétations. Nous voulons simplement montrer l’évolution de
la tradition. Continuons donc à dérouler le fil des autres témoignages.
3. Le
Miracole di Roma (Mirac.) [milieu du XIIIe]
Dans
la traduction-adaptation en dialecte italien remontant au milieu du XIIIe
siècle et intitulée Le Miracole de Roma, on lit au chapitre 6 :
Nanti lo palazo de
Alexandro foro doi templa, Flore et Phebi. Po lo palazo, mo’ dove
stao la conca, fo templo Bellone, là dove era scripto :
Roma antiqua foi, ma serraio nova Roma vocata,
Et le cose non connoscute ad li non
connoscenti aporto ad alto stato.
Ad la conca de
Parioni fo lo templo de Pompeio, de molta belleze. Et lo monumento
de Pompeio fo templum Maiorenti, bene adhornato. Ad la ecclesia de sancto Urso fo lo secretario de Nero (Mirac., ch. 6, V.-Z., III, p. 119).
Devant
le palais d’Alexandre se trouvaient deux temples, à Flore et à Phébus. Derrière
le palais, mais où se trouvait la vasque, il y avait le temple de Bellone, là
où était écrit :
J’étais
la Rome ancienne, mais je serai appelée la nouvelle Rome
Et
les choses non connues, pour ceux qui ne les connaissent pas, je les porte à un
haut niveau (?)
Près
de la vasque de Parion se trouvait le temple de Pompée, de grande beauté. Et le
monument de Pompée devint le temple de Maioretum, bien décoré. Près de l’église
de Saint-Ursus était le secrétaire de Néron.
L’auteur
a manifestement travaillé sur un texte latin très proche de ceux que nous
venons de présenter. La manière dont il a traduit le second vers du distique
est un peu curieuse. L’aurait-il bien compris ? Ou nous trompons-nous dans
notre interprétation de l’italien ?
Mais continuons notre enquête.
4. Le Tractatus de rebus antiquis et situ urbis
Romae (Anonym.) [XVe siècle]
L’essentiel de ces informations se
retrouve dans la première moitié du XVe siècle, chez l’auteur anonyme du Tractatus
de rebus antiquis (ch. 14) :
Ante
palatium Alexandri fuerunt duo templa, scilicet Florae et Phoebi ; ubi
nunc est concha Sancti Eustachii fuit templum Bellonae deae, ubi scriptum
litteris aureis fuit : «Roma vetusta ..».
Ad
concham Parionis fuit templum Gnei Pompei, mirae magnitudinis et
pulchritudinis : quae concha translata fuit, et stat nunc in Coliseo,
coram hospitali Sancti Iacobi, et memoria templi non reperitur.
Ad Sanctum Ursum fuit domus secretarii
Neronis imperatoris, idest prope Sanctum Celsum (Anonym., ch. 14, V.-Z., IV, p.
137).
Devant le palais
d’Alexandre il y avait deux temples, à savoir à Flore et à Phébus ; où se
trouve maintenant la vasque de Saint-Eustache, il y avait le temple de la
déesse Bellone, où il était écrit en lettres dorées : « Roma
vetusta… ».
À
la vasque de Parion se trouvait le temple de Cnéius Pompée, remarquable
pour sa grandeur et sa beauté. Cette vasque a été transférée et se trouve
maintenant au Colisée, en face de l’hôpital Saint-Jacques, et le souvenir du
temple n’est pas conservé.
À
Saint-Ursus se trouvait la maison du secrétaire de l’empereur Néron,
c’est-à-dire près de Saint-Celse.
Les
modifications relèvent en partie d’un souci d’actualisation. Ainsi la vasque
liée dans les textes précédents au temple de Bellone porte ici le nom de « vasque
de Saint-Eustache », et celle de Parion est censée avoir été transférée
dans les environs du Colisée. Quant au distique latin, auquel il n’est fait
référence que par les deux premiers mots, le rédacteur précise qu’il était
écrit « en lettres dorées ». Il fait apparaître « une maison du
secrétaire de Néron », là où précédemment il était question d’un
« sanctuaire de Néron », et il fournit une autre précision géographique
en introduisant l’église Saint-Celse. Plus curieusement, il ne semble plus
pouvoir localiser le fameux temple de Pompée.
Inutile de continuer. On aura
compris la technique de travail des rédacteurs et le crédit très relatif qu’on
peut accorder aux informations qu’ils fournissent. La suite de l’exposé ne va
pas nous faire changer d’avis sur la valeur de leurs témoignages. Mais pour
l’instant l’important pour nous est de relever l’absence de Virgile : son
nom n’est pas encore apparu.
5. Les traductions françaises du XIIIe et du XVe
siècle (Merv. I et II) [XIIIe et XVe]
L’essentiel des informations
rencontrées jusqu’ici va se retrouver chez les deux traducteurs français, transposées dans les chapitres consacrés aux
temples de Rome (le ch. 12 pour la traduction du XIIIe siècle et le ch. 15 pour
celle du XVe). Cette insertion donne à penser que les traducteurs ont utilisé
la version de N. Rosell, car la première rédaction des Mirabilia ne les
plaçait pas à cet endroit.
Ce sont ces chapitres qui
contiennent la première mention d’une demeure de Virgile :
Par devant le temple Saint
Alexandre fu le temple Flore et Phebi entour le Palés Virgile, mes l’en apele
orandroit Rome Neuve. Le temple Le temple Enee et Pompei fu a la Conque Pariun,
qui ets plene de tres grant biauté et est molt haut. Au monument Pompei fu le
temple Apolini. En l’eglise Saint Ours [fu] le secretaire Neron (Merv. I, ch. 12, Ross, p. 625).
Devant le temple de Saint-Alexandre se trouvait le
temple de Flore et de Phébus près du Palais de Virgile, mais on l’appelle
maintenant la Nouvelle Rome. Le temple d’Énée et de Pompée se trouvait à la
Conque Parion, qui est pleine d’une très grande beauté et est très haute. Au
monument de Pompée se trouvait le temple d’Apollon. Dans l’église Saint-Ursus,
il y avait le secrétaire de Néron.
Toutefois,
par rapport au texte de la compilation de N. Rosell, certaines données ont été
modifiées. Le traducteur a transformé le palais d’Alexandre en un temple
Saint Alexandre, en conservant la mention des temples de Flore et de Phébus.
Mais de ce qui suivait immédiatement dans son modèle, il n’a retenu que l’idée
de la Nouvelle Rome, qui, retirée de son contexte épigraphique, devient
incompréhensible.
L’apparition
d’un Palés Virgile est la nouveauté : cette mention ne figure pas
dans le modèle et son origine est inconnue. La présence d’un temple d’Énée,
autre addition, pourrait, elle, s’expliquer par une simple méprise : le
traducteur aurait interprété Gnaei en Eneae, faisant ainsi surgir
du néant un temple inexistant (Ross, p. 635-636). Le jugement sur la grandeur
et la beauté, qui, dans le modèle caractérisait le temple de Pompée, est
transporté dans la traduction sur la conque.
La
suite est du même niveau d’imprécision, et l’ensemble donne l’impression que le
traducteur français du XIIIe siècle ne maîtrisait guère le latin.
Les choses ne s’améliorent pas dans la
traduction du XVe siècle :
Ou temple Adrien furent deux
temples, l’un de Flore et l’autre de Phebe. Emprez la palaiz Virgille fut le
temple de Eneas de merveilleuse grandeur et beaulté. Le monument d’icellui
Eneas fut ou temple Apolin. En l’eglise Saint Ruf fut le sacraire Noiron (Merv. II, ch. 15, Ross, p. 648).
Au temple d’Hadrien, il y avait deux temples, l’un de
Flore et l’autre de Phébus. Près du palais de Virgile, il y avait le temple
d’Énée, merveilleux de grandeur et de beauté. Le monument de cet Énée était au
temple d’Apollon. Dans l’église Saint-Rufus se trouvait le sanctuaire de Néron.
Le temple Saint Alexandre est
devenu le temple Hadrien, à cause peut-être (Miedema, Mirabilia,
p. 414) d’une erreur de transmission ; cette information en tout cas se
retrouvera, on le verra, dans toute « la branche allemande ». Le
temple de Pompée a disparu, la concha aussi ; le temple d’Énée se
dresse seul près du palaiz Virgille, et c’est le héros troyen qui reçoit
un monument dans le temple d’Apollon. Une église Saint Ruf occupe
maintenant l’emplacement du sacraire Noiron. Comprenne qui pourra !
Bref,
des deux traductions, qui enchaînent incompréhensions et erreurs, on ne peut rien
tirer de sûr pour des recherches topographiques précises. Une chose en tout cas
est nette : à une certaine époque (dès le XIIIe siècle
apparemment), on a cherché à localiser la demeure romaine de Virgile, et on en
a introduit la mention dans les Mirabilia.
En ce qui concerne son origine, cette
notice ne repose certainement pas sur un témoignage antique : le seul connu
(Donat, Vita Virgilii, 13) plaçait la maison de Virgile près des jardins
de Mécène sur l’Esquilin. Ce n’est donc pas elle qui a influencé les auteurs
que nous examinons.
On relèvera ensuite que les récits médiévaux conservés en dehors de la tradition des Mirabilia, évoquent parfois une demeure romaine de Virgile, mais en restant dans le vague topographique. Bien malin, par exemple, celui qui pourrait localiser avec précision, chez Jean d’Outremeuse, la Casdrea/Cassedrue que le magicien est censé avoir construite construite en une nuit (p. 230) et qui est plusieurs fois citée dans le récit du chroniqueur liégeois (p. 230, 237, 239, ou 250-251).
Mais continuons à suivre l’histoire
de cette notice.
6. Les traductions allemandes et leur modèle latin
La demeure de Virgile
est bien présente dans les textes étudiés par N.R. Miedema, qu’il s’agisse des
traductions allemandes et néerlandaises ou de leur source latine. Ces textes
traitent tous des temples.
La source latine du
XIVe siècle (manuscrit L 186 Miedema)
propose ce qui suit dans le chapitre 16 :
ante
Templum Adrianj fuerunt duo templa, scilicet Flore et Phebi, iuxta Templum
Virgilij. Fuit ibi concha, sed nunc dicitur nova Roma. Ad concham Jouis fuit
Templum Enee, mire magnitudinis [et pulchritudinis]. Monumentum vero illius
fuit Templum Appolinis. Jn ecclesia sancti Ursi fuit Templum Neronis, etc. (Mirabilia,
p. 347-348).
Devant le temple
d’Hadrien, il y eut deux temples, à savoir celui de Flore et de Phébus, à côté
du temple de Virgile. Il y eut là une conque, mais elle est maintenant appelée
la nouvelle Rome. Près de la conque de Jupiter, il y eut le temple d’Énée,
remarquable pour sa grandeur et sa beauté. Le monument de celui-ci fut le
temple d’Apollon. Dans l’église de Saint-Ursus, il y eut le temple de Néron,
etc.
Le nom de Virgile se retrouve dans
un environnement monumental relativement proche de celui des deux traductions
françaises, mais l’interprétation du passage n’est pas plus facile. La concha
est toujours là, mais l’absence de l’inscription continue à rendre incompréhensible
la référence à une nova Roma. Est-ce cette même concha qui est
appelée concha Jovis dans la phrase suivante ? Jupiter en tout cas
n’intervenait dans aucun des textes analysés précédemment. Énée bénéficie
toujours du temple que lui avait attribué indûment la traduction française du
XIIIe siècle, et ce temple est toujours aussi beau et aussi grand.
En ce qui concerne Virgile, le
« palais » des traductions françaises (palés, palaiz)
est ici un templum. Il ne faudrait toutefois pas croire trop vite que le
magicien a été transformé en une divinité. Dans les textes latins médiévaux et
notamment dans les Mirabilia, palatium et templum
s’emploient souvent indifféremment pour désigner des bâtiments importants
(profanes ou religieux). On n’oubliera d’ailleurs pas que l’ensemble de ce
chapitre 16 est placé sous le titre des templa de Rome.
Peut-être est-ce un souci
d’harmonisation qui a amené le rédacteur de la notice à distribuer largement
les templa. Mais ici encore les totaux ne sont pas corrects. La partie
du chapitre 16 citée plus haut comptait sept templa, attribués
respectivement à Hadrien, à Flore, à Phébus, à Virgile, à Énée, à Apollon et à
Néron. Trois autres apparaîtront dans la suite de ce chapitre, ceux de Mars, de
Ninive (Minerva ?) et de Vesta. Ce qui donne un total de dix templa
alors que l’intitulé du chapitre en annonçait neuf (Item ibi sunt noven
templa) !
En ce qui concerne les traductions
allemandes, seule une des deux branches, la Langfassung, est concernée. Le
Leittext retenu par Mme Miedema (D 13, XVe siècle) donne un texte qui ne
mentionne pas Virgile :
(ch. 16) : vor dem tempel
Adriani waren zwen tempel, ein was Pheben, der ander Floren. Do ist der tempel
Enee in wunderlicher grose vnd schonheit. Do des selben grab ist, do was der
tempel Appolinis. In der kirchen Vrsi was der tempel Neronis,
etc. (Mirabilia, p. 347).
Devant
le temple d’Hadrien il y avait deux temples, un de Phébus, l’autre de Flore. Il
y a là le temple d’Énée d’une grandeur extraordinaire et fort beau. Là où est
son tombeau, se trouvait le temple d’Apollon. Dans l’église d’Ursus se trouvait
le temple de Néron, etc.
Le texte du modèle latin (L 186, fin
XIVe) a donc été raccourci par le copiste de D 13. Mais un autre manuscrit de
la même Langfassung (D 42) porte, après la mention du temple de
Flore :
Pey dem tempel Virgilij ist ain
höl. Vnd ist nw genant new Rom.
Près
du temple de Virgile se trouve un bassin. Et il est maintenant appelé Nouvelle
Rome.
ce qui réintroduit la demeure de
Virgile.
En
ce qui concerne les questions topographiques, il y a peu à ajouter aux
observations précédentes. On se reportera, si on désire des compléments
d’information, aux commentaires des différents éditeurs modernes, un des
derniers en date étant celui de N.R. Miedema (Mirabilia, 1996, p.
414-418).
Les
choses en tout cas sont claires. La ligne d’évolution des versions examinées
montre que les rédacteurs des Mirabilia ne travaillent que sur les
textes de leurs prédécesseurs, qu’ils complètent parfois par une addition de
leur cru, mais que le plus souvent, ils réécrivent, résument ou traduisent,
parfois sans guère les comprendre et en faisant totalement abstraction de la
réalité. Certaines de leurs notices, on l’a dit, peuvent éventuellement
transmettre des informations fiables sur les réalités topographiques ou monumentales
de leur époque, mais dans l’ensemble, en ce qui concerne les bâtiments de la
Rome antique, les identifications qu’ils proposent sont suspectes et difficiles
à interpréter.
7. Conclusion
Ainsi
donc, dans la tradition des Mirabilia proprement dits, la notice d’une
« demeure » virgilienne n’apparaît que tardivement, dans des
contextes topographiques fort peu sûrs, et sans qu’on puisse déterminer quelle
est en la source ni comment elle est entrée dans la tradition. Sur un plan plus
large, on doit constater que, dans les textes traitant du « palais de
Virgile », rien ne semble évoquer les données essentielles du récit
(c’est-à-dire l'exposition dans le panier et l'humiliation de celle qui a
ridiculisé Virgile). L’histoire des amours de Virgile n’y a pratiquement pas
laissé de traces.
Nous
retrouvons ainsi mutatis mutandis ce que nous avions constaté plus haut,
en analysant la notice sur le transfert de Virgile à Naples. Mais là,
si l’incertitude régnait sur la colline qui avait vu se dérouler l’événement,
les précisions données évoquaient quand même en filigrane un épisode malheureux des amours de Virgile.
Quoi qu’il en soit, il reste que, si l’on s’en tient aux Mirabilia proprement dits, les « monuments virgiliens » ne faisaient pas encore vraiment partie des « curiosités » de la ville de Rome. Il n’en sera pas toujours ainsi.
FEC - Folia
Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 24 -
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