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Métamorphoses d'Ovide : Avant-Propos - Notices - Livre I (Plan) - Hypertexte louvaniste - Iconographie ovidienne - Page suivante
OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE I
[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2005]
Premières métamorphoses dans l'univers (1, 1-252)
Introduction (1, 1-4)
Annonce du sujet et invocation aux dieux. (1, 1-4)
1, 1 |
In noua fert animus mutatas dicere formas |
Mon esprit me porte à parler des formes changées en corps nouveaux. Ô dieux, vous qui êtes responsables aussi de ces mutations, inspirez mon entreprise et accompagnez un chant qui aille sans interruption de la première origine du monde à nos jours. |
Le Chaos se métamorphose : l'univers et les vivants (1, 5-88)
Le Chaos contenait en puissance des éléments primitifs (terre, eau, air, feu) joints en une masse informe et opposés entre eux. (5-21)
Un dieu sépara et organisa ces éléments qui, en fonction de leur densité, occupèrent une place déterminée et constituèrent ainsi le ciel, l'air, la terre et les eaux. Cette divinité anonyme donna à la terre sa forme de globe, avec ses eaux, ses reliefs et ses cinq zones climatiques. Surplombant la terre et les eaux, l'air fut le siège du tonnerre, de la foudre, des nuages et des vents. Enfin, tout au-dessus s'étendit l'éther, où brillèrent les astres. (1, 22-71)
Des êtres vivants occupèrent ces différentes régions : l'éther devint la demeure des dieux et des astres, l'air celle des oiseaux, les eaux celle des poissons et la terre celle des animaux sauvages. Bientôt apparut l'être humain, supérieur aux animaux et destiné à les dominer, né d'un germe du ciel ou né de la terre, façonné à l'image des dieux par Prométhée, et doté d'un visage tourné vers le ciel. (1, 72-88)
1, 5 | Ante mare et terras et quod tegit omnia caelum unus erat toto naturae uultus in orbe, quem dixere chaos : rudis indigestaque moles nec quicquam nisi pondus iners congestaque eodem non bene iunctarum discordia semina rerum. |
Avant que n'existent la mer, la terre et le ciel qui couvre tout, la nature dans l'univers entier ne présentait qu'un seul aspect, que l'on nomma Chaos. C'était une masse grossière et confuse, rien d'autre qu'un amas inerte, un entassement de semences de choses, d'éléments divisés et mal joints. |
1, 10 | Nullus adhuc mundo praebebat lumina Titan, nec noua crescendo reparabat cornua Phoebe, nec circumfuso pendebat in aere tellus ponderibus librata suis, nec bracchia longo margine terrarum porrexerat Amphitrite. |
Jusqu'alors, nul Titan ne dispensait au monde sa lumière, la nouvelle Phébé, en croissant, ne renouvelait pas ses cornes, la terre dans l'air qui l'entourait n'était pas en suspens, équilibrée par son propre poids et, le long des terres, Amphitrite n'avait pas étendu la large bordure de ses bras. |
1, 15
|
Vtque erat et tellus illic et pontus et aer, sic erat instabilis tellus, innabilis unda, lucis egens aer ; nulli sua forma manebat, obstabatque aliis aliud, quia corpore in uno frigida pugnabant calidis, umentia siccis, |
Il y avait là bien sûr la terre, la mer et l'air, mais la terre était instable, l'onde non navigable, et l'air sans lumière. Rien ne gardait sa forme propre, et les éléments se gênaient entre eux. Dans un même corps luttaient le froid et le chaud, l'humide et le sec, |
1, 20 | mollia cum duris, sine pondere, habentia pondus.
Hanc deus et melior litem natura diremit. |
le mou et le dur, le lourd et ce qui était sans poids. Un dieu, d'une nature mieux disposée, mit fin à ce conflit. En effet il sépara la terre du ciel, et les eaux de la terre ; et le ciel limpide, il le distingua de l'air épais. Il fit rouler ces éléments, les dégageant de la masse aveugle, |
1, 25 | dissociata locis concordi pace ligauit : ignea conuexi uis et sine pondere caeli emicuit summaque locum sibi fecit in arce ; proximus est aer illi leuitate locoque ; densior his tellus elementaque grandia traxit |
puis les fixa en place, séparément, dans la paix et la concorde. |
1, 30 | et pressa est grauitate sua ; circumfluus umor ultima possedit solidumque coercuit orbem. Sic ubi dispositam quisquis fuit ille deorum congeriem secuit sectamque in membra coegit, principio terram, ne non aequalis ab omni |
et subit la pression de son propre poids. Répandue autour de la terre, l'eau occupa la dernière place et emprisonna le monde solide. L'amas de matière ainsi disposé, ce dieu, - on ne sait qui il était -, le découpa et, avec les morceaux, façonna des membres. D'abord, pour que la terre ne présente des inégalités, |
1, 35 | parte foret, magni speciem glomerauit in orbis. Tum freta diffundi rapidisque tumescere uentis iussit et ambitae circumdare litora terrae ; addidit et fontes et stagna inmensa lacusque fluminaque obliquis cinxit decliuia ripis, |
en toutes ses
parties, il lui donna la forme d'un immense globe. Ensuite, il ordonna aux eaux de se répandre et de se gonfler sous les vents impétueux et d'entourer la terre de rivages. Il ajouta aussi des sources, d'immenses étangs et des lacs, puis entoura de rives pentues les fleuves rapides ; |
1, 40 | quae, diuersa locis, partim sorbentur ab ipsa, in mare perueniunt partim campoque recepta liberioris aquae pro ripis litora pulsant. Iussit et extendi campos, subsidere ualles, fronde tegi siluas, lapidosos surgere montes. |
selon les lieux,
une partie d'entre eux sont avalés par la terre, d'autres atteignent la mer, et reçus en cette vaste plaine d'eau plus libre, ils viennent se heurter à des rivages, et non plus à des berges. Le dieu ordonna aux plaines de s'étaler, aux vallées de se creuser, aux forêts de se couvrir de feuilles, aux montagnes de surgir. |
1, 45 | Vtque duae dextra caelum totidemque sinistra parte secant zonae, quinta est ardentior illis, sic onus inclusum numero distinxit eodem cura dei, totidemque plagae tellure premuntur. Quarum quae media est, non est habitabilis aestu ; |
Et de même que deux zones à droite,
deux autres à gauche,
et une cinquième plus brûlante au milieu se
partagent le ciel, |
1, 50 | nix tegit alta duas ; totidem inter utramque locauit temperiemque dedit mixta cum frigore flamma. Inminet his aer, qui, quanto est pondere terrae pondere aquae leuior tanto est onerosior igni. Illic et nebulas, illic consistere nubes |
une neige épaisse couvre les autres ; et entre ces zones, il en plaça deux autres, au climat tempéré, mêlé de froid et de chaud. L'air les surplombe, plus léger en poids que la terre et que l'eau, dans la même mesure qu'il est plus lourd que le feu. Là prirent place, sur l'ordre du dieu, les brouillards, les nuages |
1, 55 |
iussit et humanas motura tonitrua mentes |
et le tonnerre, destinés à ébranler les esprits des humains, tout comme les vents qui produisent les éclairs et la foudre. À eux non plus, l'architecte du monde ne permit pas de disposer de tout l'espace ; aujourd'hui encore, on peine à les empêcher, quand ils dirigent leurs souffles chacun en des espaces différents, |
1, 60 | quin lanient mundum ; tanta est discordia fratrum. Eurus ad Auroram Nabataeaque regna recessit Persidaque et radiis iuga subdita matutinis ; uesper et occiduo quae litora sole tepescunt, proxima sunt Zephyro ; Scythiam septemque triones |
de déchirer le monde, tant est grande la discorde entre ces frères : Eurus s'est retiré du côté de l'Aurore et des royaumes nabatéens, vers la Perse et les sommets exposés aux rayons du matin ; Vesper et les rivages que chauffe le soleil couchant sont proches du Zéphyre ; l'effrayant Borée a envahi la Scythie et le Septentrion ; |
1, 65 |
horrifer inuasit Boreas ; contraria tellus |
la terre en face ruisselle sous
d'incessantes nuées et sous les pluies de l'Auster. Au-dessus des vents, le dieu a placé, fluide et sans pesanteur, l'éther, dépourvu de la moindre trace de résidu terrestre. À peine des bornes définies avaient-elles séparé tous les éléments |
1, 70 | cum, quae pressa diu fuerant caligine caeca, sidera coeperunt toto efferuescere caelo. Neu regio foret ulla suis animalibus orba, astra tenent caeleste solum formaeque deorum, cesserunt nitidis habitandae piscibus undae, |
que les astres, longtemps écrasés sous cette masse aveugle, se mirent à briller dans l'immensité du ciel. Et pour qu'aucune région ne restât privée d'êtres vivants, les astres et les dieux de toutes formes occupèrent le sol céleste, les ondes se présentèrent pour héberger les poissons éclatants, |
1, 75 | terra feras cepit, uolucres agitabilis aer. Sanctius his animal mentisque capacius altae deerat adhuc et quod dominari in cetera posset : natus homo est, siue hunc diuino semine fecit ille opifex rerum, mundi melioris origo, |
la terre reçut en partage les bêtes sauvages, et l'air mobile les oiseaux. Faisait encore défaut un être vivant qui fût plus auguste qu'eux, doué d'une intelligence plus haute, capable de dominer les autres. L'homme naquit, qu'il ait été fabriqué à partir d'une semence divine par l'illustre créateur des choses, auteur d'un monde meilleur, |
1, 80 | siue recens tellus seductaque nuper ab alto aethere cognati retinebat semina caeli. Quam satus Iapeto, mixtam pluuialibus undis, finxit in effigiem moderantum cuncta deorum, pronaque cum spectent animalia cetera terram |
ou qu'il soit né de la terre neuve, récemment séparée de l'éther supérieur, et qui retenait en elle des germes du ciel, son parent. Cette terre, mêlée aux eaux de la pluie, le rejeton de Japet la façonna à l'image des dieux qui règlent l'univers ; tandis que les autres vivants, penchés en avant, regardent le sol, |
1, 85 | os homini sublime dedit caelumque tueri iussit et erectos ad sidera tollere uultus : sic, modo quae fuerat rudis et sine imagine, tellus induit ignotas hominum conuersa figuras. |
(Prométhée) donna à l'homme un visage tourné vers le haut et lui imposa de regarder le ciel, de lever les yeux vers les astres. Ainsi, la terre, qui naguère était grossière et ne représentait rien, se couvrit, métamorphosée, de figures d'hommes inconnues. |
Les quatre métamorphoses du monde, ou le mythe des races (1, 89-150)
L'univers ainsi constitué et dominé par le genre humain se dégrada progressivement au cours de quatre mutations, désignées par les expressions les « quatre âges du monde » ou le « mythe des races ». La première de ces périodes, l'âge d'or, assimilée à Rome au règne de Saturne, se caractérisait par le respect du droit et de la vertu, par la paix, la concorde, l'absence de lois, de crainte et de guerres ; on se contentait de ce que la nature produisait spontanément et généreusement. (1, 89-112)
Une seconde période, moins heureuse, appelée « âge d'argent », suivit, correspondant à l'avènement de Jupiter, qui transforma le printemps éternel en quatre saisons, ce qui obligea les humains à s'abriter contre les rigueurs du climat et à développer l'agriculture. (1, 113-124)
Le troisième âge, l'âge du bronze, qui connut une race d'hommes plus prompts à la guerre, fut suivi par l'âge du fer, un âge maudit, où tout sens moral se perdit au profit de la violence, de l'audace et surtout de la soif de posséder. C'est ainsi que les dieux, et singulièrement la déesse de la justice, dégoûtés, quittèrent la terre. (1, 125-150)
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Aurea prima sata est aetas, quae uindice nullo, |
Le premier âge à voir le jour fut l'âge d'or qui , sans juge,
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1, 90 |
sponte sua, sine lege fidem rectumque colebat. poena metusque aberant, nec uerba minantia fixo aere legebantur, nec supplex turba timebat iudicis ora sui, sed erant sine uindice tuti. Nondum caesa suis, peregrinum ut uiseret orbem, |
spontanément, sans lois, pratiquait la bonne foi et le droit. On ignorait punitions et crainte, on ne lisait pas d'édits menaçants gravés dans le bronze ; la foule suppliante ne redoutait pas le visage de son juge, mais on vivait tranquille, sans défenseur. Le pin toujours debout n'avait pas encore dévalé les montagnes |
1, 95 |
montibus in liquidas pinus descenderat undas, nullaque mortales praeter sua litora norant ; nondum praecipites cingebant oppida fossae ; non tuba derecti, non aeris cornua flexi, non galeae, non ensis erat : sine militis usu |
vers les ondes liquides pour visiter un monde étranger, et les hommes ne connaissaient que leurs propres rivages. Des fossés escarpés ne ceignaient pas encore les cités ; il n'existait ni trompette d'airain au tube étiré, ni cor recourbé, ni casque, ni épée ; sans recourir à une milice, |
1, 100 |
mollia securae peragebant otia gentes. Ipsa quoque inmunis rastroque intacta nec ullis saucia uomeribus per se dabat omnia tellus, contentique cibis nullo cogente creatis arbuteos fetus montanaque fraga legebant |
les gens vivaient dans la paix d'agréables loisirs. La terre, sans contrainte elle aussi, épargnée par le hoyau, ignorant les blessures de la charrue, offrait tout d'elle-même. Les gens, se contentant de nourritures produites sans effort, recueillaient les fruits des arbousiers, les fraises des montagnes, |
1, 105 |
cornaque et in duris haerentia mora rubetis et quae deciderant patula Iouis arbore glandes. Ver erat aeternum, placidique tepentibus auris mulcebant zephyri natos sine semine flores ; mox etiam fruges tellus inarata ferebat, |
les cornouilles, les mûres attachées aux âpres ronces et les glands tombés de l'arbre de Jupiter aux larges branches. Le printemps était éternel et, de leurs souffles tièdes, les doux zéphyrs caressaient des fleurs nées sans semences. Bientôt même, la terre, sans être labourée, produisait des moissons, |
1, 110 |
nec renouatus ager grauidis canebat aristis ; flumina iam lactis, iam flumina nectaris ibant, flauaque de uiridi stillabant ilice mella. Postquam Saturno tenebrosa in Tartara misso sub Ioue mundus erat, subiit argentea proles, |
et le champ,
sns être travaillé, blondissait sous de lourds épis. Tantôt coulaient des fleuves de lait, tantôt des fleuves de nectar, et de l'yeuse verdoyante tombaient des gouttes de miel blond. Plus tard, une fois Saturne expédié dans le ténébreux Tartare, lorsque le monde appartint à Jupiter, vint la race d'argent, |
1, 115 |
auro deterior, fuluo pretiosior aere. Iuppiter antiqui contraxit tempora ueris perque hiemes aestusque et inaequalis autumnos et breue uer spatiis exegit quattuor annum. Tum primum siccis aer feruoribus ustus² |
inférieure à la race d'or, mais plus précieuse que le bronze fauve. Jupiter réduisit la durée de l'ancien printemps et distribua l'année sur quatre saisons : hivers, étés, automnes inégaux et un bref printemps. Alors pour la première fois, sous la chaleur desséchante, l'air brûlé |
1, 120 |
canduit, et uentis glacies adstricta pependit ; tum primum subiere domos ; domus antra fuerunt et densi frutices et uinctae cortice uirgae. Semina tum primum longis Cerealia sulcis obruta sunt, pressique iugo gemuere iuuenci. |
s'embrasa et
de la glace resta suspendue, figée par les vents ; alors pour la première fois, on s'abrita dans des maisons : c'étaient des antres, d'épais buissons, des branchages dans leur écorce. Alors pour la première fois, on enfouit dans de longs sillons les graines de Cérès, et des taurillons peinèrent sous le poids du joug. |
1, 125 |
Tertia post illam successit aenea proles, saeuior ingeniis et ad horrida promptior arma, non scelerata tamen ; de duro est ultima ferro. Protinus inrupit uenae peioris in aeuum omne nefas : fugere pudor uerumque fidesque ; |
À cette race en succéda une troisième, celle de bronze, plus sauvage d'esprit, et plus prompte aux horribles armes, mais pas scélérate cependant. La dernière race est de fer dur. Dans cet âge se rua immédiatement toute l'impiété criminelle d'un filon plus vil : la pudeur, la vérité et la fidélité s'enfuirent ; |
in quorum subiere locum fraudesque dolusque insidiaeque et uis et amor sceleratus habendi. Vela dabant uentis nec adhuc bene nouerat illos nauita, quaeque prius steterant in montibus altis, fluctibus ignotis insultauere carinae, |
à leur place s'introduisirent la tromperie et la ruse, les intrigues et la violence, et le désir maudit de posséder. Le marin offrait ses voiles aux vents qu'il connaissait mal encore, et les carènes, qui longtemps en haut des montagnes s'étaient dressées, bravèrent les flots inconnus. |
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1, 135 |
communemque prius ceu lumina solis et auras cautus humum longo signauit limite mensor. nec tantum segetes alimentaque debita diues poscebatur humus, sed itum est in uiscera terrae, quasque recondiderat Stygiisque admouerat umbris, |
La terre, auparavant commune à
tous, comme l'air et la lumière du soleil, un arpenteur défiant la délimita en y traçant de longs sillons. Ce n'était plus seulement des moissons et une nourriture normale qu'on exigeait de la terre féconde, mais on pénétra dans ses entrailles, et les richesses qu'elle y avait cachées, reléguées près des ombres du Styx, |
1, 140 |
effodiuntur opes, inritamenta malorum. Iamque nocens ferrum ferroque nocentius aurum prodierat, prodit bellum, quod pugnat utroque, sanguineaque manu crepitantia concutit arma. Viuitur ex rapto : non hospes ab hospite tutus, |
on
les déterra, ces richesses sources de malheurs. Déjà on avait découvert le fer malsain et l'or, plus malsain que le fer ; on découvre la guerre, qui utilise ces deux métaux pour combattre et qui agite et fait crépiter les armes dans des mains ensanglantées. On vit de larcins ; l'hôte ne se fie pas à son hôte, |
non socer a genero, fratrum quoque gratia rara est ; inminet exitio uir coniugis, illa mariti, lurida terribiles miscent aconita nouercae, filius ante diem patrios inquirit in annos : uicta iacet pietas, et uirgo caede madentis |
le beau-père n'est pas sûr de son gendre ; même entre frères, rare est l'amitié ; un époux menace sa femme de mort ; elle, son mari ; de terrifiantes marâtres mélangent les poisons de l'aconit mortel ; un fils s'inquiète prématurément de l'âge de son père. Vaincue, la piété est terrassée, et la dernière des divinités |
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1, 150 |
à quitter la terre imprégnée de sang criminel est la vierge Astrée. |
Jupiter châtie le genre humain : Géants anéantis - Lycaon métamorphosé (1, 151- 252)
Durant cette période dégradée de l'âge de fer, l'Olympe fut en proie à la révolte des Géants qui voulaient s'emparer du pouvoir. Jupiter les foudroya, les précipita sur terre et les écrasa sous les montagnes qu'ils avaient entassées. La Terre, tout imprégnée du sang des Géants, métamorphosa ce sang en êtres nouveaux, à face humaine, tout aussi violents et impies que les humains de l'âge de fer. (1, 151-162)
Indigné, Jupiter, qui se souvenait par ailleurs du crime audacieux de l'Arcadien Lycaon, convoque les dieux dans son palais céleste et leur fait part de son intention d'exterminer le genre humain trop menaçant pour lui, et de sa volonté de réserver la terre aux demi-dieux, aux nymphes, faunes, etc... La décision de Jupiter est aussitôt approuvée par tous les dieux présents, ce qui devrait rappeler à Auguste la piété manifestée par ses concitoyens lors du meurtre de César. (1, 163-206)
Jupiter justifie cette décision en évoquant le crime du tyran arcadien Lycaon, qui s'était montré impie (il voulait tuer Jupiter pendant son sommeil) et cruel (il avait servi en guise de repas les membres d'un otage qu'il avait fait exécuter). Jupiter le métamorphosa en loup, après avoir foudroyé sa demeure. Le dieu ajoute que Lycaon n'est qu'un exemple d'impiété parmi beaucoup d'autres : c'est le genre humain tout entier qui doit disparaître. (1, 207-243)
En vrais courtisans, les dieux approuvent, tout en s'inquiétant de l'avenir, au cas où la terre serait privée des humains ; Jupiter les rassure et promet alors de faire naître une race nouvelle d'origine merveilleuse. (1, 244-252)
1, 151 |
Neue foret terris securior arduus aether, |
Mais l'éther,
en haut, ne devait pas être plus sûr que la terre. Les Géants, dit-on, cherchèrent à s'emparer du royaume céleste, et entassèrent des montagnes qu'ils élevèrent jusqu'aux astres. Alors le père tout puissant lança sa foudre et fracassa l'Olympe, |
1, 155 | fulmine et excussit subiecto Pelion Ossae. Obruta mole sua cum corpora dira iacerent, perfusam multo natorum sanguine Terram immaduisse ferunt calidumque animasse cruorem et, ne nulla suae stirpis monimenta manerent, |
fit s'écrouler le Pélion l'arrachant à l'Ossa placé sous lui. Comme ces corps redoutables gisaient écrasés sous leur masse, on dit que la Terre, inondée par l'abondance du sang de ses enfants, en fut imprégnée et donna vie à des flots de sang encore chauds, puis, dans la crainte de ne voir subsister nulle trace de sa race, |
1, 160 | in faciem uertisse hominum ; sed et illa propago contemptrix superum saeuaeque auidissima caedis et uiolenta fuit : scires e sanguine natos. Quae pater ut summa uidit Saturnius arce, ingemit et facto nondum uulgata recenti |
les transforma en êtres à face humaine. Mais cette génération elle aussi méprisa les dieux et, particulièrement avide de carnage et de cruauté, se livra à la violence : on pouvait voir qu'elle était issue de sang. Dès que le fils de Saturne, du haut de sa citadelle, voit ce spectacle, il gémit et, se souvenant d'un fait récent, encore inconnu, |
1, 165 | foeda Lycaoniae referens conuiuia mensae ingentes animo et dignas Ioue concipit iras conciliumque uocat : tenuit mora nulla uocatos. Est uia sublimis, caelo manifesta sereno ; lactea nomen habet, candore notabilis ipso. |
l'infâme festin
qui se déroula à la table de Lycaon, il conçoit en son coeur une terrible colère, digne de Jupiter. Il convoque son conseil, qui se réunit sans retard. Il existe dans le ciel une route, bien visible par ciel serein ; on l'appelle la Voie lactée, remarquable par sa blancheur même. |
1, 170 | Hac iter est superis ad magni tecta Tonantis regalemque domum : dextra laeuaque deorum atria nobilium ualuis celebrantur apertis. Plebs habitat diuersa locis : hac parte potentes caelicolae clarique suos posuere penates ; |
Par cette route les dieux se rendent à la demeure du Grand Tonnant, au palais royal. À droite et à gauche, par les portes ouvertes, se trouvent les atriums des nobles dieux où l'on se presse ; la plèbe habite divers lieux ; en face et autour <du palais>, les dieux puissants ont installé leurs pénates. |
1, 175 | hic locus est, quem, si uerbis audacia detur, haud timeam magni dixisse Palatia caeli. Ergo ubi marmoreo superi sedere recessu, celsior ipse loco sceptroque innixus eburno terrificam capitis concussit terque quaterque |
Cet endroit, si l'on me permet cette audace verbale, je ne craindrais pas de l'appeler le Palatin céleste. Une fois les dieux installés dans leur retraite de marbre, Jupiter, sur le trône le plus élevé, appuyé sur son sceptre d'ivoire, agita trois ou quatre fois la chevelure redoutable lui couvrant la tête, |
1, 180 | caesariem, cum qua terram, mare, sidera mouit. Talibus inde modis ora indignantia soluit : « Non ego pro mundi regno magis anxius illa tempestate fui, qua centum quisque parabat inicere anguipedum captiuo bracchia caelo. |
ce qui ébranla la terre, la mer et les astres. Il laissa alors éclater son indignation en ces termes : « Non, je n'ai pas été plus inquiet pour ma royauté sur l'univers à l'époque où les Géants anguipèdes se préparaient à utiliser leurs cent bras pour s'emparer du ciel. |
nam quamquam ferus hostis erat, tamen illud ab uno corpore et ex una pendebat origine bellum ; nunc mihi qua totum Nereus circumsonat orbem, perdendum est mortale genus : per flumina iuro infera sub terras Stygio labentia luco ! |
Car, si sauvage que fût l'ennemi, cette guerre n'émanait que d'une seule race et n'avait qu'une seule origine. Aujourd'hui, dans le monde entier entouré du bruyant Nérée, il me faut perdre la race des mortels. Par les fleuves infernaux, coulant sous la terre en arrosant le bois du Styx, je le jure ! |
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1, 190 | Cuncta prius temptata, sed inmedicabile uulnus. Ense recidendum, ne pars sincera trahatur. Sunt mihi semidei, sunt, rustica numina, nymphae faunique satyrique et monticolae siluani ; quos quoniam caeli nondum dignamur honore, |
Tout a été tenté auparavant ; mais la blessure est inguérissable. Il faut trancher à l'épée pour éviter à la partie saine d'être atteinte. J'ai pour moi les demi-dieux, les divinités rustiques, Nymphes, Faunes, Satyres, et Silvains, habitants des montagnes. Puisque nous ne les estimons pas encore dignes de l'honneur du ciel, |
1, 195 | quas dedimus, certe terras habitare sinamus. An satis, o superi, tutos fore creditis illos, cum mihi, qui fulmen, qui uos habeoque regoque, struxerit insidias notus feritate Lycaon ? » Confremuere omnes studiisque ardentibus ausum |
laissons-les au moins habiter la terre que nous leur avons donnée. Croyez-vous vraiment, dieux d'en-haut, qu'ils y seront en sécurité, alors que contre moi, le maître de la foudre, votre seigneur et votre roi, Lycaon, bien connu pour sa sauvagerie a dressé un piège ? » Toute l'assistance frémit et réclame ardemment le châtiment |
1, 200 | talia deposcunt : sic, cum manus inpia saeuit sanguine Caesareo Romanum exstinguere nomen, attonitum tantae subito terrore ruinae humanum genus est totusque perhorruit orbis ; nec tibi grata minus pietas, Auguste, tuorum est |
d'un être si audacieux. Ainsi, lorsqu'une troupe impie s'acharna à éteindre le nom romain dans le sang de César, le genre humain fut saisi de crainte à ce désastre subit et le monde entier fut plongé dans l'horreur. À tes yeux, Auguste, la piété des tiens n'est pas moins agréable |
1, 205 | quam fuit illa Ioui. Qui postquam uoce manuque murmura conpressit, tenuere silentia cuncti. Substitit ut clamor pressus grauitate regentis, Iuppiter hoc iterum sermone silentia rupit : « Ille quidem poenas - curam hanc dimittite !- soluit ; |
que ne le fut celle-là pour Jupiter. De la voix et du geste, il fit cesser les murmures, et tous restèrent silencieux. Une fois les cris arrêtés, réprimés par la majesté de leur maître, Jupiter rompit à nouveau le silence par un récit : « Certes, il a reçu son châtiment, ne vous inquiétez pas à ce sujet. |
1, 210 | quod tamen admissum, quae sit uindicta, docebo.
Contigerat nostras infamia temporis aures ; |
Mais, je vais vous apprendre ce que furent ce crime et sa punition. Le bruit des infamies de l'époque était parvenu à mes oreilles. |
1, 215 | enumerare : minor fuit ipsa infamia uero. Maenala transieram latebris horrenda ferarum et cum Cyllene gelidi pineta Lycaei : Arcadis hinc sedes et inhospita tecta tyranni ingredior, traherent cum sera crepuscula noctem. |
furent découverts ; le rapport était bien en-dessous la vérité. J'avais traversé l'horrible Ménale avec ses repaires de bêtes sauvages, le Cyllène et les pinèdes fraîches du mont Lycée ; dans la demeure inhospitalière d'un tyran d'Arcadie, je pénétrai à l'heure tardive où le crépuscule entraîne la nuit. |
1, 220 | Signa dedi uenisse deum, uulgusque precari coeperat : inridet primo pia uota Lycaon, mox ait : « Experiar deus hic discrimine aperto an sit mortalis : nec erit dubitabile uerum. » Nocte grauem somno necopina perdere morte |
Je manifeste par signes ma présence divine et le peuple se met à prier. Lycaon commence par se moquer de ces hommages pieux ; puis il dit : « Je vais m'assurer avec certitude, s'il est un dieu ou un homme. La vérité éclatera alors indubitablement. » Il me prépare une mort par surprise, la nuit, quand je serai alourdi |
1, 225 | comparat : haec illi placet experientia ueri ; nec contentus eo, missi de gente Molossa obsidis unius iugulum mucrone resoluit atque ita semineces partim feruentibus artus mollit aquis, partim subiecto torruit igni. |
par le sommeil ; c'est sa manière à lui d'éprouver la vérité. Mais il ne se contente pas de cela ; de son épée, il égorge un otage envoyé de la cité des Molosses, attendrit dans l'eau bouillante une partie de ses membres encore palpitants et fait rôtir le reste sur la flamme. |
1, 230 | Quod simul inposuit mensis, ego uindice flamma in domino dignos euerti tecta penates ; territus ipse fugit nactusque silentia ruris exululat frustraque loqui conatur : ab ipso colligit os rabiem solitaeque cupidine caedis |
Dès qu'il eut fait servir ce plat à table, moi, d'un feu vengeur, je fis s'écrouler sur lui sa maison, pénates dignes de leur maître. Effrayé, il s'enfuit et, après avoir gagné la campagne silencieuse, se met à hurler. C'est en vain qu'il tente de parler. Toute sa rage, il la concentre dans sa bouche ; son désir habituel de carnage, il l'exerce |
1, 235 | uertitur in pecudes et nunc quoque sanguine gaudet. In uillos abeunt uestes, in crura lacerti : fit lupus et ueteris seruat uestigia formae ; canities eadem est, eadem uiolentia uultus, idem oculi lucent, eadem feritatis imago est. |
contre les troupeaux, et maintenant encore il se complaît dans le sang. Ses vêtements se transforment en poils, et ses bras en pattes. Il devient un loup, qui conserve des traces de sa forme ancienne. Le gris de ses poils est le même, il a le même visage farouche, l'éclat des yeux est le même, il offre la même image de la férocité. |
1, 240 | Occidit una domus, sed non domus una perire digna fuit : qua terra patet, fera regnat Erinys. In facinus iurasse putes ! Dent ocius omnes, quas meruere pati, (sic stat sententia) poenas. » Dicta Iouis pars uoce probant stimulosque frementi |
Une seule maison est abattue ; mais elle n'est pas la seule maison à avoir mérité de périr ; par toute la terre règne la cruelle Érinye ; on croirait une conjuration de criminels. Que tous subissent au plus vite les châtiments qu'ils ont mérité (c'est la sentence établie). » Certains dieux approuvent à haute voix les dires de Jupiter |
1, 245 | adiciunt, alii partes adsensibus inplent. Est tamen humani generis iactura dolori omnibus, et quae sit terrae mortalibus orbae forma futura rogant, quis sit laturus in aras tura, ferisne paret populandas tradere terras. |
et excitent sa colère, les autres jouent leur rôle de courtisans. Toutefois le sacrifice du genre humain les désole tous ; ils demandent quel aspect aura la terre privée des humains, qui apportera alors de l'encens sur les autels, et s'il est prêt à laisser les bêtes sauvages dévaster la terre. |
1, 250 | Talia quaerentes (sibi enim fore cetera curae) rex superum trepidare uetat sobolemque priori dissimilem populo promittit origine mira. |
À ces questions, le roi des dieux répond qu'il se chargera de tout ; il leur interdit de s'alarmer et promet de faire naître une race différente, d'une origine merveilleuse. |
NOTES
Mon esprit me porte (1, 1). Ovide commence son vaste poème en quinze chants en demandant l'assistance des dieux, une invocation aux dieux ou aux muses qui est un topos dans la littérature ancienne. On notera la brièveté du prologue, en regard de la longueur du poème.
formes changées en corps nouveaux (1, 1). Dans la mythologie grecque, le thème des métamorphoses est très couru. Dès l'époque alexandrine, commencèrent à se répandre des recueils regroupant des récits narrant la transformation de personnages en animaux, en plantes ou en rochers. Ces fables merveilleuses étaient très prisées dans le monde romain, chez les prédécesseurs et les contemporains d'Ovide. Notre poète s'est sans nul doute inspiré de recueils spécialisés existants, mais aussi des oeuvres épiques et tragiques en général, tout en manifestant une grande liberté dans des développements personnels.
aussi (1, 2). Nombre de métamorphoses sont l'oeuvre de divinités.
un chant (1, 3). Ovide innove par rapport à ses poèmes antérieurs, plus courts, en se lançant dans une oeuvre de longue haleine, en hexamètres dactyliques (vers de l'épopée), tournant autour du thème général de la métamorphose. Il va aborder toute une série d'histoires, traitées et reliées entre elles avec beaucoup d'imagination, de fantaisie et de variété.
sans interruption (1, 4). Ovide suivra effectivement, sans aucune rigueur toutefois, une sorte de développement chronologique des transformations mythiques du monde en partant du chaos primitif pour aboutir à l'apothéose de Jules César. Les récits, très diversifiés par leur origine, leur nature, leur signification, l'importance de leur développement, vont s'enchaîner « sans interruption » dans ce que le poète annonce comme un carmen perpetuum ou « chant perpétuel », grâce à des transitions très diversifiées elles aussi.
Chaos (1, 8). En grec, le terme Chaos signifie « ouverture béante, gouffre, abîme ». Hésiode, dans sa Théogonie (116), s'en était servi pour caractériser, sans aucune précision, une sorte d'espace immense et ténébreux qui existait avant l'origine des dieux et des choses. Plus tard, probablement sous l'influence des Stoïciens, le mot va désigner la masse informe et confuse censée exister aux origines du monde : tous les éléments sont présents, mais mêlés dans un total désordre. C'est le cas ici, chez Ovide. La première métamorphose que décrira le poète sera la transformation de ce chaos primitif en un ensemble ordonné de quatre éléments (1, 24), sous l'action d'un dieu qui ne sera pas nommé (1, 21). Dans ce récit, Ovide s'inspire de théories philosophiques plutôt que mythologiques. Voir Fastes, 1, 103-114 avec les notes.
semences de choses (1, 9). L'expression « semences de choses » (semina rerum en latin) est étroitement liée à l'oeuvre de Lucrèce, où elle est utilisée pour désigner les atomes, constituants ultimes de l'univers. Mais chez Ovide, elle a perdu ce sens, pour s'appliquer aux « éléments » dont il sera question un peu plus loin. On n'est donc pas dans une optique épicurienne. En 1, 419, on retrouvera l'expression « semences des choses ».
Titan... Phébé (1, 10-11). Chez les auteurs latins, Titan désigne souvent le Soleil (alias Phébus-Apollon), et Phébé (alias Artémis-Diane), la Lune. Selon Hésiode (Théogonie, 371-2), le Titan Hypérion était le père du Soleil, de la Lune et de l'Aurore.
en suspens (1, 12). Anaximandre (610-545 a.C.) fut le premier à tenter d'expliquer « pourquoi la Terre demeure au même endroit sans postuler un support physique : en effet, disait-il, il n'y a aucune raison pour que ce qui est situé symétriquement au milieu, équidistant des deux extrémités, se déplace vers le bas plutôt que dans une autre direction. » (M.C. Howatson, Dictionnaire de l'Antiquité, Paris, 1993, p. 49-50).
Amphitrite (1, 14). Fille de Nérée et de l'Océanide Doris, Amphitrite est l'épouse de Poséidon et la reine de la mer. Ici, son nom désigne l'océan.
Un dieu (1, 21). Ovide ne précise pas, ni ici ni au vers 32, qui est ce dieu qui semble intervenir avec une nature, dont il ne dit rien non plus (le mot « nature » se rencontrait déjà au vers 6). Peut-être même y a-t-il ici, équivalence entre dieu et la nature, ce qui est commun dans la pensée stoïcienne ? En 1, 57, il sera question d'un « architecte du monde » (mundi fabricator en latin), qui traduit manifestement le « démiurge » (dêmiourgos) des Grecs, et en 1, 79, d'un « créateur des choses » (opifex rerum en latin).
élément (1, 24). La théorie dite des quatre éléments remonte à Empédocle d'Agrigente, qui, au Ve siècle a.C., fut le premier à exposer clairement la doctrine, selon laquelle tout ce qui existe, même les dieux, est composé de feu, d'air, d'eau et de terre. Selon lui, ces éléments, existant de toute éternité, étaient à l'origine confondus en une masse unique et sphérique (Sphaïros), maintenue par l'Amour (Philia), mais que la Haine (Neikos) a progressivement dissoute. Toujours selon Empédocle, le jeu de ces deux forces cosmiques, de sens contraire, ne cesse de former et de détruire les êtres pour en composer d'autres (cfr n. à 1, 433). Les éléments sont donc toujours les mêmes, mais leurs combinaisons varient à l'infini. Cette théorie rencontra beaucoup de succès dans la pensée antique, avec toutefois de très nombreuses variations. Ovide s'en inspire certainement ici.
puissance ignée (1, 26). Ovide, comme beaucoup de penseurs antiques, imagine deux sortes d'air. D'abord, proche de la terre, un air épais, dense (1, 23), le domaine des nuages, des vents et des oiseaux ; puis au-dessus de lui, un air beaucoup plus subtil, lié au feu : c'est l'éther, le séjour des astres et des dieux. On retrouve donc ainsi l'eau, la terre, l'air et le feu. Au vers 23, c'est l'éther qui est ainsi désigné par l'expression « ciel limpide » ; au vers 67, il sera question de « l'éther fluide ».
monde (1, 31). Le mot latin orbis peut signifier soit « sphère », soit « disque ». Ovide joue sur les deux sens. En 1, 35, il donne indiscutablement à orbis le sens de « globe, sphère » ; ici, le mot reçoit le sens de « disque ». Le poète latin ne veut pas trancher entre deux conceptions anciennes de la terre : celle d'un disque entouré d'eau sur laquelle il flotte ; celle d'une sphère en équilibre dans l'espace (cfr n. à 1, 12).
membres (1, 33). Des membres, au sens de « parties d'un tout ». Ainsi par exemple, avec l'élément « eau », le démiurge « fabrique » (1, 36-42) des mers, des sources, des étangs, des lacs et des fleuves.
avalés par la terre (1, 40). Pour des exemples de fleuves ainsi avalés par la terre, on pourra voir Mét., 15, 270-276.
zones (I, 45). Le monde se présente ici comme une sphère divisée en cinq zones : une zone torride, inhabitée, autour de l'équateur ; deux zones glaciales, également inhabitées, autour de chaque pôle ; et deux zones tempérées et habitées, entre la zone torride et chacune des zones froides. La même idée se rencontre chez Virgile, Géorgiques, 1, 233-238, et chez Tibulle, Panégyrique de Messala, 151-168. Ovide voit les cinq zones de la surface terrestre comme une projection sur le sol des cinq zones qui se partageaient aussi la voûte céleste (cfr aussi 2, 129). Ces vues remontent probablement à Ératosthène ; reprises par les stoïciens, elles sont devenues communes.
les vents qui produisent... (1, 56). « Les stoïciens, dont Ovide reproduit les idées dans la plus grande partie de ce passage, admettaient que les éclairs et la foudre sont l'effet des vents, qui poussent les nuages les uns contre les autres. » (G. Lafaye)
frères... (1, 60). Pour Hésiode, les Vents sont les enfants d'Astrée et d'Éos (Aurore) : « À Astraios Aurore enfanta les Vents au coeur violent : Zéphyr, qui éclaircit le ciel, Borée à la course rapide, Notos enfin, naquirent de l'amour de la déesse entre les bras du dieu » (Théogonie, 378-380 ; trad. P. Mazon). Le démiurge a bien veillé à les placer dans des endroits différents, mais ils se heurtent souvent. Suit une énumération de quelques vents, avec quelques précisions géographiques. L'Eurus est un vent du sud-est, d'où l'allusion à l'Aurore et à la Perse (les Nabat[h]éens occupent une partie de l'Arabie Pétrée). Le Zéphyr, un vent d'ouest plutôt doux, renvoie assez normalement à Vesper, l'étoile du soir, et aux « rivages qu'échauffe le soleil couchant ». Borée est le vent du Nord, froid, d'où son lien avec la Scythie et le Septentrion (les sept étoiles de la constellation de l'Ourse), tandis que l'Auster « pluvieux » - il est parfois question du Notus - désigne le vent du Sud.
éther fluide (1, 67-68). Cfr la note à 1, 26. L'éther est totalement pur, dégagé qu'il est de toute impureté terrestre.
les astres et les dieux (1, 73). « Pour les anciens les astres étaient des êtres vivants, animalia, qui, sous des formes diverses, participaient de la nature divine. » (G. Lafaye)
éclatants (1, 74). C'est-à-dire « aux écailles brillantes ».
rejeton de Japet (1, 82). Il s'agit de Prométhée, fils du Titan Japet et père de Deucalion. Il passe pour un bienfaiteur des hommes à qui il aurait notamment apporté le feu. Une tradition, absente chez Hésiode et relativement rare, lui attribue la création des premiers hommes à partir de l'argile (cfr par exemple Pausanias, 10, 4, 4 ; Horace, Odes, I, 16, 13-16, et aussi infra, 1, 363). Ovide l'utilise ici d'une manière originale : Prométhée aurait façonné l'homme « à l'image des dieux ». Dans la Genèse (1, 26-27 ; 2, 7), c'est Dieu qui crée l'homme « à son image ».
penchés en avant (1, 84). Opposition entre la position horizontale du corps des animaux et la position verticale de l'homme. Cfr par exemple Cicéron, Des Lois, I, IX, 27 : « Car, tandis qu'elle [= la nature] a rejeté vers leur pâture les autres animaux, l'homme est le seul dont elle ait dressé la taille et qu'elle ait appelé à regarder le ciel, comme vers le lieu de sa parenté et de son premier séjour. » (G. De Plinval).
Les quatre âges du monde (1, 89-150). Une série de métamorphoses affectent le monde à travers les « quatre âges » (d'or, d'argent, de bronze et de fer) de l'univers, longuement décrits dans ce passage. On remarquera qu'Ovide s'attache ici davantage à des considérations morales et philosophiques qu'à de la mythologie proprement dite. Une comparaison avec le mythe des races exposé par Hésiode, Les Travaux et les Jours, 109-201, est intéressante. Voir aussi P. Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, p. 21, sous la rubrique Âge d'Or, et J.-C. Belfiore, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, p. 24, sous la rubrique Âges.
pin toujours debout (1, 95). Car l'homme n'avait pas encore éprouvé le besoin de construire des bateaux. Voir aussi vers 133-134.
arbre de Jupiter (1, 106). Le chêne.
verdoyante (1, 112). « L'yeuse, ou chêne vert, très commun dans les contrées méridionales, ne perd pas, en hiver, comme le chêne rouvre (quercus), son beau feuillage, qui reste d'un vert intense. » (G. Lafaye).
miel blond (1, 112). « Jusqu'à la fin des temps antiques, on a cru que le miel était une sorte de rosée, que les abeilles recueillaient toute formée à la surface des feuilles. À l'époque de l'âge d'or il était plus pur et le travail des abeilles, inutile. » (G. Lafaye).
Saturne (1, 113). Le Cronos grec, dont le règne au Latium, coïncida avec l'âge d'or, avant la prise de pouvoir de Zeus-Jupiter sur l'Olympe. Voir Ovide, Fastes, I, 193 et 233-237 et les notes ; Virgile, Én., I, 569 ; 7, 49 ; 8, 319-325 avec les notes correspondantes.
Tartare (1, 113). Le monde des enfers.
inégaux (1, 118). Tantôt chauds, tantôt froids ; la température y est variable.
Cérès (1, 123). Cérès-Déméter, la déesse de la terre et de la fécondité des champs, est ici synonyme de « blé ».
Styx (1, 139). Fleuve des Enfers. Le mot évoque ici les profondeurs de la terre. Cfr 1, 189 avec la note.
pour combattre (1, 142). Le fer pour les armes ; l'or pour corrompre.
beau-père (1, 145). Les contemporains d'Ovide devaient songer à la guerre civile entre Pompée et César : César était le beau-père de Pompée, qui avait épousé sa fille Julie. Cfr aussi Virgile (Én., 6, 830-831).
aconit (1, 147). Poison violent (7, 406), qui proviendrait d'une plante poussant dans un terrain rocailleux (« sans poussière », comme le suggère le terme grec « akoniti »), et dont Ovide propose une légende étiologique aux vers 7, 408-419.
Astrée (1, 150). Déesse de la Justice, fille de Zeus et de Thémis (1, 321 avec la note), représentée comme une vierge portant une balance en main. Vivant sur terre où elle répandait parmi les hommes les sentiments de justice et de vertu, elle quitta la terre pour devenir la constellation de la Vierge, première métamorphose, peu explicitée, d'un être immortel en étoile. (D'après Aratus, Phaenom., 96-136).
Géants (1, 151). Nés de la Terre fécondée par les éclaboussures du sperme d'Ouranos, lorsqu'il fut mutilé par son fils Cronos (Hésiode, Théogonie, 178-187), les Géants sont souvent représentés comme des monstres anguipèdes. Leur lutte contre Zeus et les dieux de l'Olympe est célèbre : c'est la Gigantomachie. Un autre combat mythique célèbre est la Titanomachie, qui vit les Titans, d'autres fils de Gaia et d'Ouranos, affronter les Cronides conduits par Zeus. Les deux groupes d'opposants furent vaincus. Les auteurs anciens ne distinguent pas toujours très bien les Géants et les Titans ainsi que le détail des combats qu'ils livrèrent aux Olympiens. Un exemple : Ovide décrit ici les Géants entassant l'Ossa sur le Pélion (deux montagnes de Thessalie) pour atteindre le ciel (cfr aussi Fastes, 1, 307-308 ; 3, 439-442, et 5, 35-42), tandis que Virgile (Géorgiques, 1, 278-281) attribue la manoeuvre aux Titans.
Olympe... Pélion...Ossa (1, 154-155). Les trois montagnes de Thessalie que les Géants, voulant escalader le ciel, entassèrent l'une sur l'autre, avant d'être foudroyés par Jupiter et écrasés.
fils de Saturne (1, 163). Zeus-Jupiter est le fils de Cronos-Saturne. Depuis sa victoire, avec les autres dieux olympiens, sur les Géants, il était le roi des dieux et des hommes.
Lycaon (1, 165). Lycaon est un roi mythique de l'Arcadie, dont Ovide va conter la métamorphose en loup en 1, 209-240 ; c'est aussi le père de Callisto-l'Ourse (Mét., 2, 401-495). Selon Ovide, ce personnage avait, par impiété et bravade, servi à Jupiter comme repas les membres d'un jeune otage qu'il avait égorgé. Cette métamorphose est sans doute inspirée par le rapprochement du nom Lycaon avec le mot grec lukos « loup ». La légende de Lycaon est assez complexe, et la version suivie ici par Ovide en est une parmi d'autres. Voir Hygin, Fabulae, 176 (et aussi la rubrique Lycaon chez P. Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, et chez J.-C. Belfiore, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine). On pourra lire, dans la République (VIII, 565e-566a) l'interprétation que donne Platon de la légende de Lycaon. Rappelons aussi que le motif du « loup-garou » est récurrent dans le folklore universel.
conseil (1, 167). Le thème du conseil des dieux est un topos de la littérature épique, tant grecque que latine.
atriums (1, 172). Dans l'atrium de la maison romaine, les propriétaires recevaient leurs amis et leurs clients. La pièce est présentée ici comme noire de monde.
Palatin céleste (1, 176). Le Palatin était le quartier chic de Rome, où habitaient l'empereur et de nombreuses familles nobles. Avec une certaine ironie (il parle d'audace verbale), Ovide utilise une terminologie typiquement romaine (les atriums, la plèbe divine, les pénates) pour décrire le quartier céleste où l'on trouve le palais de Jupiter et le sénat divin (la curie), où va se rassembler le conseil.
ce qui ébranla (1, 180). Depuis Homère, les « arrêts » de Jupiter, ponctués par les mouvements de tête du dieu, ont de puissants effets : « Il dit, et, de ses sourcils sombres, le fils de Cronos fait oui. Les cheveux divins du Seigneur voltigent un instant sur son front éternel, et le vaste Olympe en frémit » (Iliade, I, 528-530). Cfr Ovide, Mét., 2, 849. Cfr aussi Virgile, Énéide, 9, 106 : « il fit un signe de tête, et à ce geste l'Olympe entier trembla ». Chez Catulle (64, 204-206), les effets s'étendent même à l'ensemble de l'univers : « Au signe invincible de sa tête, la terre trembla, les mers cabrées mugirent, la voûte du ciel agita les astres étincelants. » Également chez Horace (Odes, 3, 1, 7-8) : « Jupiter, le glorieux vainqueur des Géants, qui, de son sourcil, ébranle l'univers. » Ovide a donc d'illutres modèles.
Géants anguipèdes (1, 183). Les Géants étaient décrits comme ayant cent bras et des queues de serpents. Il a été question en 1, 151-155 de la Gigantomachie.
Nérée (1, 187). Appelé aussi « le vieillard de la mer », Nérée, divinité marine et père des Néréides (1, 301), est utilisé ici comme synonyme de océan ou mer. Cfr ce qui a été dit plus haut d'Amphitrite au vers 1, 14 et la description de l'Océan entourant la terre au vers 1, 31.
Styx (1, 189). Le Styx est un fleuve dont le cours lent, formant une sorte de marais, entourait les Enfers de neuf anneaux. Selon la fable, le dieu du Styx avait pris parti pour Jupiter contre les Titans, en lui envoyant en renfort ses filles, Victoire et Force. Pour le récompenser, Jupiter aurait rendu sacré, même pour les dieux, le serment fait en son nom : le dieu parjure était privé pour neuf ans de la table de Jupiter et d'autres prérogatives. Déjà dans les poèmes homériques (Iliade, 15, 37), « le serment par le Styx » engageait irrévocablement les dieux. Hésiode, Théogonie, 793-806, détaille longuement les punitions qui frappaient les parjures divins. Les dieux, qui juraient par le Styx, ne pouvaient se dédire (cfr aussi 1, 737, et 2, 45). Voir aussi Fastes, 3, 322 avec la note.
Nymphes, Faunes, Satyres, et Silvains (1, 193). Dans ce vers, Ovide énumère une série de divinités rustiques secondaires, qui habitent la terre, les dieux ne les ayant pas jugées dignes « de l'honneur du ciel ». Ce sont en quelque sorte des demi-dieux. Chez Homère déjà, les Nymphes (Nymphae) sont des créatures semi-divines habitant les bois et les cours d'eau. Les Faunes (Fauni) sont des petits génies champêtres ; ils proviennent de la « multiplication » du dieu romain Faunus, identifié au dieu grec Pan. Les Satyres (Satyri) sont des demi-dieux, à pieds de chèvres, qu'on rencontre dans les endroits sauvages. Quant aux Silvains (Silvani), résultat de la « multiplication » du dieu romain Silvanus, ce sont des génies des forêts.
César... Auguste... (1, 200-206). La colère prêtée à Jupiter est l'occasion pour Ovide, le courtisan, de signaler la colère suscitée par le meurtre de Jules César, aux ides de mars de 44 av. J.-C., et le soutien que son successeur Octave-Auguste trouva auprès du peuple romain. Le meurtre de César sera évoqué par Ovide à la fin du quinzième livre de ses Métamorphoses.
le monde entier (1, 203). Plusieurs prodiges précédèrent et suivirent la mort de Jules César (cfr par exemple Ovide, Mét., 15, 782-798). Un des plus fameux fut l'apparition d'une comète, qu'on interpréta comme étant l'âme de César transportée au ciel (sidus Iulium = « l'astre de Jules César »). Ce sera la dernière « métamorphose » racontée par Ovide à la fin du quinzième livre (15, 843-850).
Ménale... Cyllène... Lycée (1, 216-217). Trois montagnes d'Arcadie, la région où sévissait le tyran Lycaon (voir note au 1, 165). Dans ce chant premier, il sera encore question du Cyllène en 1, 713, et du Lycée en 1, 698.
Molosses (1, 227). Le pays des Molosses est une partie de l'Épire.
attendrit (1, 228). Procné a fait cuire son fils de la même manière (Mét., 6, 644ss).
Érinye (1, 241). Les Érinyes, correspondant aux Furies chez les Latins, étaient au nombre de trois, et poussaient les hommes aux crimes. Voir notamment Énéide, 2, 337-338 et note.
qui apportera alors de l'encens (1, 248). Même inquiétude des dieux lorsque Déméter, privée de sa fille Coré, veut « anéantir dans une triste famine la race entière des hommes ». Les habitants de l'Olympe risquaient de se voir frustrés « de l'hommage glorieux des offrandes et des sacrifices » et Zeus s'en est alarmé (cfr Hymne homérique à Déméter I, 310-313). Les dieux ont besoin des hommes.
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