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Tibulle : Élégies I - Élégies II - Élégies III (Hypertexte louvaniste)

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Tibulle - Élégies

Livre III : Lygdamus et autres


 Élégies

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Fondamentalement, cette traduction française est celle de M. Rat, Tibulle. Oeuvres, Paris, Garnier Frères, 1931, disponible au format PDF sur le site Nimispauci de Ugo Bratelli, qui nous a aimablement permis de le reproduire et que nous remercions ici. Le texte français a été mis au format Word, sans modifications substantielles, abstraction faite de quelques corrections orthographiques et d'une adaptation des numéros des pièces pour mieux suivre la présentation de The Latin Library.

La présente traduction s'intègre dans le vaste projet louvaniste des Itinera Electronica, et en particulier dans la rubrique Hypertextes. Les possibilités de cette réalisation "Hypertextes" sont multiples ; non seulement elle permet une lecture de l'oeuvre avec le texte latin et la traduction française en regard, mais elle donne également accès à un riche ensemble d'outils lexicographiques et statistiques très performants.


Élégies, III, 1

(1) Voici venue la fête des calendes de Mars Romain, où s'ouvrait l'année pour nos aïeux, et où maintenant circulent de tous côtés par la ville, les cadeaux adressés à leurs destinataires, de rue en rue et de maison en maison. (5) Dites-moi, Piérides, quelle offrande je dois faire à celle qui, fidèle si je dis vrai, infidèle si je me trompe, n'en n'est pas moins ma Néère chérie.

Les vers séduisent les belles, l'or séduit les avares. Puisqu'elle mérite des vers, qu'elle reçoive les miens avec joie ! Mais qu'un jaune parchemin enveloppe le petit livre aussi blanc que la neige ; (10) qu'auparavant la pierre ponce fasse tomber le blanc duvet de ses tranches ; qu'en tête de la feuille légère une lettre fasse connaître ton nom et que les deux bouts du rouleau soient décorés de peintures ! Oui, c'est ainsi paré qu'il convient d'envoyer l'ouvrage.

(15) Inspiratrices de ces vers, je vous en conjure par vous-mêmes, par l'ombre de Castalie et les lacs de Piérie, allez chez elle et lui offrez mon petit livre tel quel  : qu'aucune couleur ne s'en détache. Sa réponse m'apprendra si l'amour est réciproque entre nous (20) ou si le sien est moindre ou si je suis tout à fait banni de son coeur.

Mais commencez par lui faire les larges salutations qu'elle mérite, puis ajoutez d'un ton soumis ces paroles : "Voilà, chaste Néère, le présent que t'envoie celui qui, ton amant jadis, n'est plus maintenant que ton frère ; il te prie d'accepter ce modeste cadeau ; (25) il jure que, maîtresse ou soeur dans l'avenir, tu lui es plus chère que ses moelles ; mais sois plutôt sa maîtresse : l'espoir de te donner ce nom ne l'abandonnera qu'une fois mort, aux eaux pâles de Pluton !"

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 Élégies, III, 2

(1) Le premier qui ravit à un jeune homme son amie chérie, à une jeune fille son amant chéri, avait un coeur de fer. Et celui-là était dur aussi, qui put supporter une telle douleur et survivre à l'enlèvement de son épouse. (5) Moi, je n'ai pas cette constance ; une telle endurance n'est point dans ma nature ; la douleur brise mon coeur courageux. Et je ne rougis point de dire la vérité ni d'avouer les ennuis dont m'accablèrent tant de maux.

Ainsi donc quand j'aurai été changé en une ombre légère, (10) quand une cendre noire recouvrira mes os blancs, que Néère vienne devant mon bûcher, sa longue chevelure en désordre et qu'elle pleure tristement devant lui. Qu'elle vienne, qu'une mère chérie l'accompagne dans sa peine ; que l'une pleure un gendre et l'autre un époux ; (15) qu'après avoir invoqué mes mânes et adressé une prière à mon âme, elles plongent leurs mains pieuses dans l'eau pure ; qu'elles recueillent la seule partie qui restera de mon corps, mes os blancs, dans les plis de leur robe noire ; et ainsi rassemblés, qu'elle les arrose d'abord d'un vin chargé d'années, (20) puis s'apprêtent à y verser aussi un lait blanc comme la neige ; enfin, qu'elles les essuient avec des voiles de lin fin et les mettent, une fois secs, dans une demeure de marbre. Que tous les parfums qu'envoie la riche Panchaïe, l'Arabie orientale et la grasse Assyrie (25) s'y mêlent avec les larmes données à ma mémoire ! C'est ainsi que je voudrais que mes os fussent ensevelis.

En outre qu'une inscription indique la triste cause de ma mort et grave ces vers sur le fronton exposé aux regards : "Lygdamus repose ici ; sa douleur et le désespoir où l'a jeté (30) l'enlèvement de sa femme Néère furent la cause de son trépas."

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Élégies, III, 3

(1) Que me sert d'avoir empli le ciel de mes voeux, ô Néère, et d'avoir joint l'encens caressant à mes nombreuses prières ! Je ne demandais pas à paraître au seuil d'un palais de marbre, illustre et mis en vue par ma demeure brillante, (5) ni non plus à avoir un grand nombre d'arpents que retournassent mes taureaux et les larges moissons que donne une terre généreuse ; mais je demandais à mettre en commun avec toi les joies d'une longue vie et à voir décliner ma vieillesse sur ton sein, lorsque arrivé au terme de la carrière de la vie, (10) je serais forcé d'aller nu dans la barque du Léthé.

Car à quoi serviraient un pesant monceau de l'or qui enrichit et que mille boeufs pour moi fendissent des champs fertiles ? À quoi me servirait un palais supporté par des colonnes de Phrygie, ou par les tiennes, Ténare, ou par les tiennes, Caryste ? (15) Et d'avoir dans ma maison des parcs à l'imitation des bois sacrés, et des poutres dorées, et un pavé de marbre ? Que m'importe le coquillage cueilli aux côtes de l'Érythrée et la laine teinte du murex de Sidon, et tout ce qui fait encore l'admiration du peuple ? (20) Ce sont des aiguillons pour l'envie : le vulgaire aime à faux la plupart de ce qu'il aime. Ce ne sont pas les richesses qui allègent les maux et les soucis des hommes et la fortune ne régit pas tout sous sa loi. La pauvreté avec toi me serait douce, Néère ; sans toi, je ne veux rien de la richesse des rois.

(25) O jour de neige, celui qui pourrait te rendre à moi ! O jour trois fois et quatre fois heureux ! Ah ! si, aux voeux que je forme pour un retour si doux, un Dieu irrité allait fermer l'oreille ! Je ne désire ni des royaumes, ni le fleuve Lydis chargé d'or, (30) ni les richesses que renferme le monde ! Je laisse cela à d'autres ; qu'on me permette seulement, au sein de la pauvreté, de pouvoir jouir sans crainte d'une épouse chérie ! Puisses-tu m'assister et favoriser mes voeux, fille de Saturne, et les favoriser aussi, ô Cyprienne, sur la conque qui te porte !

(35) Mais si son retour m'est refusé par les destins et par les tristes soeurs qui filent les trames et qui chantent l'avenir, que le riche et livide Orcus aux eaux lentes m'appelle sur les bords de ses fleuves désolés et de son noir marais !

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Élégies, III, 4

(1) Que les dieux m'apportent de meilleurs présages, et vous, puissiez-vous n'être pas vrais, songes lamentables, qui, à la fin de la nuit, avez troublé mon repos ! Loin d'ici, à l'écart, visions vaines et fausses ! Cessez de vouloir trouver en nous quelque confiance ! (5) Les Dieux nous donnent des avertissements vrais ; messagères du sort futur, les entrailles examinées par les gens de Toscane nous donnent des avertissements vrais. Mais les songes, dans la nuit trompeuse, se jouent à la légère et imposent aux esprits effrayés de fausses terreurs, et la race humaine, née pour les inquiétudes, (10) apaise les présages de la nuit par de la farine pieuse et du sel pétillant ! Mais pourtant, et quoi qu'il en soit, qu'il faille croire à la vérité des avertissements du sommeil ou les accuser de mensonge, puisse Lucine rendre vaines mes frayeurs de la nuit, et faire que j'aie redouté sans raison un malheur que je ne mérite pas : (15) car ma conscience ne me reproche aucune mauvaise action et ma langue n'a point, par des paroles impies, offensé les grands Dieux.

Déjà la Nuit, sur son noir quadrige, avait mesuré sa carrière aérienne et lavé ses roues dans le Fleuve bleu ; et le Dieu salutaire aux esprits affligés ne m'avait point assoupi : (20) le Sommeil ne s'arrête pas devant les maisons où règne l'inquiétude. Enfin quand, des bords de l'Orient, Phébus porta ses regards sur le monde, un tardif repos pesa sur mes paupières languissantes. Alors un jeune homme, les tempes ceintes du chaste laurier, me sembla mettre le pied sur mon seuil. (25) Jamais les âges passés ne virent rien de plus beau : ce n'était point l'ouvrage d'un mortel. Une longue chevelure flottait sur sa nuque allongée et une rosée Syrienne tombait de ses cheveux couronnés de myrte. Sa blancheur était celle que montre la Lune, fille de Latone, (30) et une couleur pourprée était répandue sur son corps de neige. Ainsi quand pour la première fois on conduit la vierge à un jeune époux, une rougeur colore son visage aux joues tendres ; ainsi les jeunes filles mêlent dans un bouquet le blanc lis à l'amaranthe ; ainsi les pommes blanches rougissent à l'automne. (35) Une longue robe semblait se jouer sur ses talons, car c'était là le vêtement de son corps resplendissant. Chef-d'oeuvre exquis, éclatante d'écaille et d'or, une lyre harmonieuse pendait à son flanc gauche. Dès son arrivée, après quelques modulations sur son plectre d'ivoire, (40) il fit entendre, de sa bouche sonore, des chants d'heureux présage. Mais, après ce prélude des doigts et de la voix, il prononça, sur un mode harmonieux, ces tristes paroles :

"Salut, objet de l'attention des Dieux : car, selon le rite, le chaste poète a la faveur de Phébus, de Bacchus et des Piérides. (45) Mais le fils de Sémélé, Bacchus et les doctes soeurs ne peuvent dire ce que peut apporter l'heure qui suit. Moi, au contraire, je puis, grâce à un don de mon père, voir les lois des destins et les événements du temps futur. Aussi écoute bien ce que je dis, moi, le prophète (50) qui ne trompe jamais, Dieu du Cynthe qui toujours dis vrai.

Il est une femme plus chérie de toi que la fille ne l'est de sa mère et la jolie épouse de son mari ; pour elle, tu fatigues de tes voeux les divinités du ciel ; elle t'empêche de couler des jours tranquilles ; (55) et, quand le Sommeil t'a enveloppé de son voile sombre, elle te trompe par les images nocturnes des songes ; tu l'as célébrée dans tes vers, et cependant cette belle Néère aime mieux appartenir à un autre homme. Son esprit impie roule des pensées inquiètes qui ne sont pas pour toi, (60) Néère n'a pas le goût d'entrer comme épouse dans une chaste demeure.

"Ah ! race cruelle, femme au sexe peu sûr ! Ah ! périsse celle qui apprit à tromper un mari ! Mais tu pourras la fléchir : leur esprit est changeant. Tends-lui seulement les bras avec beaucoup de prières ! (65) Le cruel Amour apprend à tenter mille efforts ; le cruel Amour apprend à pouvoir supporter les coups.

Moi-même autrefois, je fis paître les taureaux neigeux d'Admète ; ce n'est pas une fable inventée pour un jeu vain. Alors je ne pouvais plus me plaire à ma cithare sonore, (70) ni accompagner les cordes par l'unisson de ma voix ; mais j'essayais des airs sur un chalumeau percé de trous, moi, le fils de Latone et de Jupiter. Tu ne sais pas ce qu'est l'amour, jeune homme, si tu refuses de supporter les rigueurs d'une maîtresse et la cruauté d'une épouse.

(75) N'hésite donc point à employer la caresse des plaintes : une douce prière triomphe des coeurs durs. Si les oracles de mes temples sacrés disent vrai, rapporte-lui en notre nom ces mots : "Voici l'époux que te promet le dieu de Délos lui-même ; (80) c'est le bonheur pour toi : cesse d'en vouloir un autre."

Il dit, et le sommeil paresseux s'écoula de mon corps. Ah ! puissé-je ne pas voir de si grands maux ! je ne saurais croire que tu aies formé des voeux contraires à mes voeux, ni qu'un tel crime habite dans ton coeur ! (85) Car tu n'as pas été enfantée par les flots de la vaste mer, ni par la Chimère dont la gueule sauvage lance des tourbillons de flamme, ni par le chien dont le dos est couronné d'une troupe de serpents, et qui a trois langues et une triple tête, ni par Scylla au corps de jeune fille entouré de chiens. (90) Une lionne farouche ne t'a point conçue et portée ; tu n'as pas vu la lumière dans la terre barbare de Scythie ni dans l'horrible Syrte, mais dans la demeure civilisée, et où des gens cruels ne devaient point habiter, d'une mère douce entre toutes et d'un père plus que personne aimable.

(95) Puisse le Dieu faire tourner au mieux ces cruels songes et ordonner aux tièdes Notus de les emporter sans effet.

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Élégies, III, 5

(1) Vous voici retenus aux eaux qui coulent des fontaines de l'Étrurie, ces eaux où il ne faut pas aller vers la Canicule estivale, mais qui valent bien les eaux sacrées de Baies, maintenant que le printemps vermeil amollit la terre. (5) Mais à moi, Perséphone annonce l'heure noire : je suis innocent et jeune ; épargne-moi, Déesse.

Je n'ai point eu l'audace d'essayer de révéler les mystères d'une déesse vénérable, ces mystères que ne doit profaner aucun homme. Ma main n'a infecté aucune coupe de sucs mortels (10) ni broyé des poisons pour les donner à personne. Nous n'avons pas approché d'un temple des torches sacrilèges et un acte criminel ne nous trouble pas le coeur. Nous n'avons point cherché une folle querelle aux Dieux adverses et donné libre cours contre eux à des blasphèmes.

(15) Et des cheveux blancs n'ont pas encore souillé ma noire chevelure ; la vieillesse au pas lent n'a pas courbé ma tête. Mes parents ont vu mon premier anniversaire l'année où le même sort frappa les deux consuls. Pourquoi dérober à la vigne des grappes qui commencent de croître (20) et arracher d'une main malfaisante des fruits qui viennent de naître ?

Épargnez-moi, Dieux qui régnez sur les pâles ondes, et qui avez obtenu du sort le lot troisième d'un dur empire ! Puissé-je ne connaître les Champs-Élysées, la barque de Léthé et les lacs Cimmériens, que (25) quand la vieillesse ridée pâlira mon visage et que je raconterai, vieillard, à des enfants les faits du temps passé. Ah ! plût aux Dieux qu'une vaine fièvre m'inspirât des terreurs sans fondement ! Mais voici trois fois cinq jours que la langueur a gagné mes membres.

Pour vous, vous célébrez les divinités de l'onde Toscane (30) et fendez l'onde qui cède à vos mains souples. Vivez heureux, vivez en gardant notre souvenir, que nous soyons encore sur la terre ou que les destins veuillent que nous ayons été ! Cependant promettez de noires brebis à Pluton, ainsi que des coupes mêlant le lait neigeux au vin.

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Élégies, III, 6

(Attention !! : La Latin Library et Budé présentent sous le numéro 6 ce qui chez Rat est dissocié en 6 et 7. C'est la numérotation dela Latin Library qui a été suivie.)

(1) Blanc Bacchus, assiste-moi ; puisse, en retour, la vigne être toujours consacrée à tes mystères, et le lierre couronner tes tempes ! Et toi, qui eut besoin aussi du même remède, dissipe ma douleur : ta liqueur bienfaisante a souvent terrassé l'Amour vaincu. (5) Enfant chéri, mouille les coupes d'un généreux Bacchus et verse-nous le Falerne d'une main bien inclinée. Allez au loin, soucis, dure engeance ; allez au loin, travaux ; et que le dieu de Délos resplendisse aujourd'hui de toute la neige de ses chevaux ailés ! Vous, du moins, doux amis, secondez mon propos, (10) et que personne ne refuse de marcher sous ma conduite, ou si quelqu'un récuse le doux combat du vin, qu'il soit trompé par une ruse secrète de l'amie qu'il chérit ! Ce Dieu rend les coeurs riches ; il brise l'orgueilleux et le soumet au caprice d'une maîtresse ; (15) il triomphe des tigresses d'Arménie et des lionnes fauves et adoucit des coeurs indomptables. Telle, et plus grande encore, la puissance de l'Amour... Mais demandez les présents de Bacchus ; est-il quelqu'un de vous qui aime les coupes vides ? L'accord est mutuel, et Liber ne voit pas d'un oeil terne (20) ceux qui lui font honneur ainsi qu'au vin joyeux. Sa colère ne se tourne que contre les gens trop sobres. Qui craint la grande puissance du dieu irrité n'a qu'à boire. La nature de ses châtiments, la nature et la force de ses menaces vous est connue par la proie sanglante que fut aux mains de sa mère la fille de Cadmus.

(25) Mais loin de nous de pareilles craintes ; si le Dieu outragé fait éclater sa colère, c'est à cette femme d'en ressentir l'effet ! Quelle prière ai-je faite, insensé ! Que les vents et les nuées aériennes emportent ces voeux aveugles et les dissipent ! Quoique tu n'aies plus nul souci de moi, Néère, (30) puisses-tu être heureuse, et avoir un radieux destin ! Pour nous, rendons à la table, étrangère aux soucis, les moments qu'on lui doit ; voici venu, après bien des jours, un jour serein.

Malheur à moi ! il est difficile d'imiter, de simuler la joie ; il est difficile, quand on a le coeur triste, de feindre la gaîté ; (35) le rire se compose mal sur une bouche qui ment, les propos de l'ivresse sonnent mal dans l'inquiétude. Pourquoi déplorer mon infortune ? Fuyez, honteux soucis : le vénérable dieu des pressoirs hait les tristes propos.

Fille de Gnosie, tu déploras jadis les paroles parjures de Thésée, (40) lorsqu'il te laissa seule dans une mer inconnue ; et le docte Catulle s'est fait ton interprète, ô Minoïde, en racontant la cruelle conduite d'un amant ingrat. Voici maintenant les avertissements que je vous donne - Heureux, qui que tu sois, toi à qui la douleur d'autrui apprendra à te garantir toi-même ! (45) Ne vous laissez pas pendre aux bras qui se suspendent à votre cou ni tromper par le serment dont une langue cupide vous caresse ! L'effrontée jurât-elle par ses yeux, par sa Junon et par sa Vénus, gardez-vous de la croire : (50) Jupiter se rit des parjures des amants et laisse emporter aux vents leurs vaines paroles.

Pourquoi donc me plaindre d'une amie si perfide ? Loin de moi les tristes propos ! Comme je voudrais partager ta couche pendant de longues nuits et passer de longues journées avec toi ! (55) Tu m'as trahi sans que je l'aie mérité ; tu t'es faite mon ennemie malgré mon dévouement. Tu m'as trahi, mais dans ta trahison, tu m'es chère cependant.

Bacchus aime la Naïade : tu tardes, lent serviteur. Que l'eau de Marcia tempère ce vin chargé d'années ! Je n'irai pas, si ma légère amie quitte la table où nous festoyons (60) pour courir à un lit inconnu, passer la nuit entière à soupirer d'angoisse. Va, enfant, encore du vin pur ! Depuis longtemps déjà j'aurais dû mouiller mes tempes du nard de Syrie et entrelacer mes cheveux de guirlandes !

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Élégies, III, 7 : Panégyrique de Messalla

(Pour Latin Library et Budé, = III, 7 ; pour Rat = III, 8)

(1) C'est toi, Messalla, que je chanterai, bien que l'éclat de ton mérite m'effraye ; quelque inégales que soient mes forces à la tâche, je commencerai pourtant ; mais si mes vers demeurent au-dessous de tes justes louanges (car je ne serais qu'un humble chantre de si hauts faits (5) et toi seul pourrais parler de tes exploits dans un langage ayant la hauteur du sujet), c'est déjà bien pour moi d'en avoir eu l'idée, et tu ne dédaigneras pas une toute petite offrande : Phébus lui-même agréa les dons du Crétois ; Bacchus préféra (10) l'hospitalité d'Icare à toute autre, ainsi que l'attestent par un ciel pur les constellations d'Érigone et du Chien, pour que l'âge le plus reculé ne refuse pas d'y croire. Et même Alcide, sur le point de s'élever en Dieu dans l'Olympe, entra avec plaisir sous le toit de Molorchus. Au reste un petit grain de sel suffit pour apaiser les habitants du ciel (15) et ce n'est pas toujours un taureau aux cornes dorées qui leur est immolé comme victime. Agrée donc ce petit travail, pour que ma reconnaissance puisse toujours composer de nouveaux vers en ton honneur.

Qu'un autre dise les merveilles de ce grand univers ; comment la terre se fixa dans l'air immense ; (20) comment la mer à son tour enveloppe cette boule ronde ; comment l'air libre, à sa sortie laborieuse de la terre, coule en tous sens mêlé à l'éther enflammé ; comment la voûte du ciel enferme tout ce qui est. Mais tout ce que pourront oser mes Camènes, (25) soit qu'elles puissent s'élever jusqu'à toi (espérance que je n'ose concevoir), soit qu'elles demeurent au-dessous (et certainement, elles y resteront), je te l'offre entièrement ; et qu'un si grand sujet fasse le prix de mon ouvrage. En effet, quoi que tu aies hérité de l'éclat d'une antique famille, ta renommée ne se contente pas de la gloire de tes pères. (30) Tu n'interroges pas les inscriptions placées au-dessous des images de chacun d'eux. Mais tu aspires à éclipser les anciens honneurs de ta race, afin de jeter toi-même plus d'éclat sur tes descendants que tes ancêtres n'en n'ont jeté sur toi. Ce n'est point une inscription placée sous ton nom qui exprimera tes hauts faits, mais de grands volumes de vers immortels. (35) On verra surgir de partout des écrivains jaloux de célébrer tes louanges, et en vers, et en prose : ils rivaliseront de talent. Puissé-je être leur vainqueur, pour attacher mon nom à de si grandes actions !

Nul ne t'efface, aussi bien dans les camps qu'au forum ; (40) et pourtant on ne saurait dire que ta gloire soit ici ou là plus petite ou plus grande : ainsi, quand deux poids pareils tiennent la balance dans un parfait équilibre, l'un des plateaux ne monte ni ne descend plus que l'autre, tandis que si l'égalité disparaît, la balance flotte incertaine et les plateaux s'abaissent alternativement.

(45) En effet, le vulgaire inconstant fait-il entendre le frémissement de la discorde, toi seul peux établir le calme ; faut-il apaiser la colère du juge, ton éloquence sait l'adoucir. Ils furent moins grands que toi, ces enfants de Pylos, dit-on, et d'Ithaque, Nestor et Ulysse, ornement magnifique d'une petite ville ; (50) et cependant l'un, parvenu à la vieillesse la plus reculée, vit le Titan parcourir dans le ciel trois siècles aux saisons fertiles ; l'autre eut l'audace d'errer par des villes inconnues, jusqu'aux ondes de la mer qui est au bout du monde. Ses armes repoussèrent les troupes des Ciconiens (55) et le lotus ne put le détourner de la course qu'il avait commencée. Il triompha encore du fils de Neptune, habitant des roches de l'Etna, en lui crevant un oeil tandis qu'il était vaincu par le vin de Maronée. Il emporta aussi les vents d'Éole à travers le paisible Nérée. Il visita les Lestrygons sauvages et Antiphate, (60) qu'arrose l'onde glacée de la célèbre Artacie. Il est le seul qui ne fut pas transformé par les coupes de la savante Circé, et cependant elle avait pour père le Soleil, et s'entendait, aussi bien avec les herbes qu'au moyen des incantations, à changer les formes premières. Il aborda même aux hauteurs obscures des Cimmériens, (65) qui ne virent jamais le lever éblouissant du jour, que Phébus poursuivît sa course au-dessus ou au-dessous de la terre. Il vit, descendue au royaume souterrain de Pluton, la grande race des Dieux courir çà et là parmi les ombres légères. Sa poupe rapide dépassa les rivages des Sirènes. (70) Il sut diriger sa marche entre les confins d'une double mort, sans se laisser effrayer par la gueule béante de l'impétueuse Scylla, quand le monstre se laissait glisser entre les flots où ses chiens faisaient rage ; sans être victime de la violence habituelle à Charybde, qui tantôt, du fond des flots, s'élève au-dessus de la mer, (75) tantôt la montre à nu à travers le gouffre entr'ouvert. Je ne saurais passer sous silence ni son incursion dans les pâturages du Soleil errant, ni son amour et les fertiles campagnes de la fille d'Atlas, Calypso, ni le terme de ses courses malheureuses sur la terre de la Phéacie. Que ces faits aient eu lieu dans nos contrées, (80) ou que la Fable ait placé ces courses dans un monde inconnu, tels sont les travaux de ce héros ; mais votre éloquence l'emporte sur la mienne.

En outre, nul ne possède mieux que toi l'art militaire ; l'art d'entourer un camp d'un fossé protecteur ; d'opposer à l'ennemi un rempart de chevaux de frise ; (85) de mieux choisir l'endroit qu'il faut clore d'un retranchement, afin d'y avoir une source d'où jaillit une eau agréable, un accès facile à tes soldats, et impraticable à l'ennemi, et de permettre aux soldats de s'exercer sans cesse à qui lancera le mieux le pieu pesant, ou la flèche rapide, (90) ou traversera mieux le but sous le pilum vibrant ; à qui se montrera le cavalier le plus habile, soit qu'il faille avec le frein comprimer un cheval rapide, ou laisser les rênes libres à un coursier plus lent, soit qu'il faille tour à tour le lancer en ligne droite ou le faire tourner en rond dans un espace étroit ; (95) à qui enfin parera le mieux avec le bouclier, soit à droite, soit à gauche, les coups de la lourde javeline et touchera le mieux avec la fronde rapide le but marqué. Puis viendront les luttes de Mars audacieux : que les troupes se mettent en lignes d'assaut, enseignes hautes (100) alors vous ne déploierez pas moins de talent à tout ordonner pour le combat, qu'il faille former l'armée en bataillon carré avec des fronts unis et en lignes droites, ou qu'on veuille combattre en une double formation, en opposant la droite à la gauche de l'ennemi et la gauche à sa droite, (105) et en faisant des deux chocs une victoire double.

Mes vers ne s'égarent point à travers des louanges incertaines : car tes campagnes justifient mes chants. J'en atteste le courageux soldat de l'Iapydie vaincue ; j'en atteste encore les perfides Pannoniens, dispersés çà et là dans les Alpes glacées ; (110) j'en atteste le pauvre indigène des campagnes d'Arupium ; en voyant comment il a résisté aux atteintes de l'âge, on s'étonne moins des trois siècles vécus par le roi renommé de Pylos ; en effet, bien qu'il soit parvenu à une grande vieillesse et qu'il ait vu le Titan accomplir cent années sa révolution fécondante, toujours agile, (115) il ose sauter sur un cheval rapide, qu'il gouverne, en le montant, avec des rênes solides. C'est toi qui commandais quand celui qui ne tourne jamais le dos, Domator, présenta son col libre à la chaîne des Romains.

Et pourtant ces exploits ne te suffiront pas ; de plus beaux encore que les précédents t'attendent ; je l'ai reconnu à des signes certains, (120) qui valent ceux de Melampus, le fils d'Amythaon. Récemment, en effet, tu avais revêtu une toge resplendissante brodée de pourpre de Tyr : c'était au lever du jour qui ouvre l'année fertile  : quand le soleil, plus brillant que de coutume, eut élevé sa tête au-dessus des ondes limpides, les vents en dispute retinrent leurs souffles farouches ; (125) les fleuves sinueux cessèrent leurs courses accoutumées ; la mer rapide elle-même s'immobilisa en ondes calmes ; plus d'oiseau qui glisse à travers les brises aériennes, plus de rude quadrupède qui paisse les bois épais, afin de ne pas rompre le muet silence dispensé à tes voeux. (130) Jupiter lui-même, porté à travers le vide de l'espace sur son char léger, quitta pour t'assister l'Olympe voisin du ciel, et, prêtant à tes prières une oreille attentive, acquiesça à tout de son signe de tête véridique. Le feu placé sur les autels étincela plus vif sur les masses entassées.

(135) Ainsi encouragé par le dieu, commence de grands travaux ; que tes triomphes soient à nuls autres pareils. Ni la Gaule aux armées voisines ne saura t'arrêter dans ta marche, ni l'audacieuse Espagne aux vastes terres, ni le pays sauvage où réside le colon de Théra, (140) ni celui où coule le Nil, ou le Choaspe royal dans son cours, ou le Gyndes rapide, objet de la démence de Cyrus, ni celui où l'onde de l'Oroatis sèche dans les plaines d'Aracca, ni le royaume auquel Tomyris donne pour bornes l'Araxe vagabond, (145) ni l'extrême pays où le Padéen barbare, proche de Phébus, célèbre d'impies festins, ni celui des Gètes et des Magyns, qu'arrosent l'Èbre et le Tamis. Pourquoi m'arrêter ? Aux lieux où l'Océan ferme le monde de ses flots, nulle région ne prendra les armes pour te résister. À toi est réservé le Breton invaincu par les armes romaines, (150) et l'autre partie du monde dont le soleil nous sépare. Car la terre, suspendue dans l'air qui l'enveloppe, est un globe qui comprend cinq parties. Deux d'entre elles sont désolées par un froid glacial qui dure toujours et sont plongées dans une ombre épaisse ; (155) l'eau qui commence d'y couler n'achève pas sa course, mais durcit et se change en épais glaçons et en neiges, parce que jamais le Titan n'y envoie ses rayons. Celle du milieu est toujours soumise à la chaleur de Phébus, soit que l'été dans son cercle il se rapproche des terres, (160) soit qu'il se hâte l'hiver d'abréger les journées : aussi jamais la charrue ne s'imprime dans le sol et ne le soulève ; les champs ne donnent pas de récoltes ni de pâturages la terre. Jamais des dieux comme Bacchus ou Cérès ne visitent ces contrées ; nul animal n'habite ces territoires brûlés. (165) Entre cette région et les régions glaciales il en est deux fertiles, la nôtre et celle qui lui correspond sur l'autre hémisphère, zones semblables, tempérées par le voisinage de deux climats contraires, dont l'un combat l'influence de l'autre. L'année y parcourt paisiblement le cercle des saisons ; (170) le taureau y a appris à soumettre son cou au joug, et la vigne flexible à monter le long des rameaux élevés. On y coupe chaque année la moisson des champs mûrs ; la terre s'y fend sous le fer et la mer sous l'airain. Il s'élève même des villes entourées de remparts. (175) Aussi, quand de brillants triomphes auront vu défiler tes exploits, seul tu seras appelé grand dans l'un et l'autre hémisphère.

Je ne suffirais point pour chanter tant de gloire, quand Phébus lui-même me dicterait mes vers. Il n'en est qu'un qui puisse se charger de l'entreprise : (180) c'est Valgius ; nul autre n'approche davantage de l'immortel Homère. Mais je me consacre à ma tâche sans me décourager, en dépit de la fortune, qui selon sa coutume, m'accable de ses rigueurs : en effet, j'étais possesseur d'une maison où brillait l'opulence ; de blonds sillons qui enrichissaient tour à tour (185) mes greniers, trop petits pour les moissons fécondes ; de troupeaux qui paissaient l'herbe des collines, si nombreux que, les besoins du maître satisfaits, il en restait encore plus qu'il n'en fallait pour les voleurs et le loup ; maintenant il ne me reste plus que les regrets, et ma peine se ravive, quand le souvenir de mon malheur me rappelle les années passées. (190) Mais quand des malheurs plus rudes me frapperaient et me dépouilleraient de ce qui me reste, mes Camènes ne se lasseront point de te chanter. Et je ne t'apporterai pas seulement les honneurs des Piérides, mais j'oserais affronter pour toi les vagues rapides de la mer, quelles que fussent les tempêtes soulevées au sein des flots par les vents adverses. (195) Pour toi, j'oserais encore soit résister seul à des bataillons serrés, soit livrer mon faible corps aux flammes de l'Etna. Tout ce que je suis est à toi. Quelque faible intérêt que je t'inspire, pourvu qu'il existe seulement, je le préférerais au royaume de Lydie, à la renommée du grand Gylippe, (200) au don de surpasser les écrits du Mélès. Si mes vers, en tout ou partie, obtiennent ton approbation, ou te viennent aux lèvres, nul destin ne pourra mettre un terme à mes chants. Et même quand le tombeau recouvrira mes os, (205) soit que la mort se hâte de me frapper avant le temps, soit qu'une longue vie me reste ; après que j'aurai changé de forme, soit que sous la figure d'un cheval j'apprenne à courir dans le sol dur des plaines ; soit que sous celle d'un taureau, je sois l'honneur d'un troupeau aux pas tardifs ; soit que des ailes me transportent, oiseau, par le vide des airs ; (210) quelle que soit l'époque où une longue suite d'années me rendra la figure humaine, je continuerai dans mes vers l'écrit commencé sur toi.

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Élégies, III, 8

(ou IV, 2 pour Rat)

(1) Sulpicia s'est parée pour toi, ô grand Mars, en ces calendes qui te sont consacrées. Si tu as du goût descends toi-même du ciel pour la voir, Vénus te le pardonnera. Mais prends garde, dieu fort, de laisser choir honteusement tes armes d'admiration : (5) c'est aux yeux de cette femme que le piquant Amour, lorsqu'il veut enflammer les Dieux, allume ses torches jumelles. Elle ne fait pas un geste ni un pas, sans que la Grâce ne les règle en secret ni ne la suive. Laisse-t-elle flotter sa chevelure, ses cheveux défaits lui vont bien ; (10) s'est-elle coiffée, sa coiffure la rend adorable. Le coeur brûle, quand il lui plaît de s'avancer avec une robe de Tyr ; il brûle, lorsqu'elle vient dans des vêtements qui brillent comme la neige. Tel, dans l'éternel Olympe, l'heureux Vertumne porte mille ornements, qui, tous les mille, le parent avec grâce. (15) Seule parmi les jeunes filles, elle est digne de recevoir ces doux tissus que Tyr teint deux fois de ses sucs précieux ; et de posséder tous les parfums que dans ses champs embaumés récolte l'Arabe si riche en odeurs, toutes les perles que, sur le rivage de la mer Rouge, (20) le noir Indien voisin recueille aux eaux d'Orient.

Piérides, chantez-le en ces calendes de fête, et toi aussi, Phébus, fier de ta lyre d'écaille. Que cette fête solennelle soit célébrée pendant un grand nombre d'années ! Nulle jeune fille n'est plus digne de vos choeurs.

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Élégies, III, 9

(ou IV, 3)

(1) Épargne mon jeune amant, sanglier qui fréquentes les bons pâturages de la plaine ou les détours de la montagne ombreuse, et n'aiguise pas pour les combats tes dures défenses : que l'Amour me le garde et le conserve sauf. (5) Mais la déesse de Délos lui donne le goût de la chasse et l'entraîne loin de moi. Oh ! périssent les forêts et disparaissent les chiens ! Quelle fureur, quelle folie, de vouloir fermer d'un filet les fourrés des collines pour déchirer ses tendres mains ! Quel plaisir trouve-t-on à entrer furtivement dans les tanières des bêtes fauves ? (10) à laisser marquer ses jambes blanches par les épines des ronces ? Cependant, Cérinthe, pour pouvoir errer avec toi, je porterais moi-même à travers les montagnes les filets de corde, je chercherais moi-même les traces de la biche agile, et j'ôterais au chien rapide ses chaînes de fer. (15) Alors, alors les forêts me plairaient, dût-on m'accuser, ô ma vie, de m'être, au pied même des filets, couchée à côté de toi ! Le sanglier vînt-il alors se jeter dans les toiles, il en sortirait sans mal : les joies de la Vénus amoureuse n'en seraient point troublées. Maintenant puisses-tu sans moi ne plus connaître Vénus ! mais sous la loi de Diane, (20) chaste enfant, tends tes filets d'une main chaste ! Et que celle qui se glissera furtivement auprès de mon amour, tombe au milieu des bêtes féroces et en devienne la proie ! Mais toi, fais-moi un instant le sacrifice de ton goût pour la chasse, et reviens en courant te jeter de toi-même dans mes bras !

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Élégies, III, 10

(ou IV, 4) (attention aux numéros de vers in fine ; j'ai suivi Budé)

(1) Viens ici, et guéris de ses maux une tendre jeune femme ; viens ici, Phébus, fier de ta longue chevelure. Crois-moi, hâte-toi, et tu ne regretteras pas, Phébus, d'avoir posé sur la beauté tes mains guérisseuses. (5) Empêche que la maigreur ne consume ses membres pâlis, qu'un vilain teint ne flétrisse une peau si blanche. Qu'un fleuve entraîne de ses eaux rapides à la mer, et le mal qu'elle endure, et tout ce que nous craignons de funeste ! Viens, dieu saint, et apporte avec toi tous les sucs (10) et les chants qui soulagent les corps fatigués ! Ne tourmente pas un jeune homme, qui redoute pour son amie un destin cruel et fait pour sa maîtresse des voeux presque innombrables. Tantôt, il fait des voeux ; tantôt, la voyant languissante, il accuse avec amertume les Dieux éternels. (15) Bannis ta crainte, Cérinthe : le Dieu ne frappe point les amants. Aime-la toujours seulement, et ton amie est sauve. (21) Il ne faut pas pleurer : il vaut mieux réserver les larmes pour le cas où elle te traiterait avec rigueur. (17) Mais maintenant, elle est toute à toi ; tu es l'unique objet de son âme candide ; une foule crédule l'assiège en vain. Phébus, favorise-les : ce sera une grande gloire pour toi, (20) en sauvant un seul mortel, d'en avoir rappelé deux à la vie. (23) Tu seras célébré, tu seras joyeux, quand l'un et l'autre viendront dans leur joie acquitter à l'envie sur tes autels sacrés la dette de la reconnaissance. (25) Alors la foule pieuse des Dieux proclamera ton bonheur, et chacun d'eux enviera ton art.

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Élégies, III, 11

(ou IV, 5)

(1) Le jour qui t'a donné à moi, Cérinthe, sera toujours sacré pour moi et sera toujours placé parmi les jours de fête. À ta naissance, les Parques annoncèrent pour les jeunes filles un esclavage inconnu et te donnèrent sur elles un orgueilleux empire. (5) Je brûle plus que toute autre, et je chéris, Cérinthe, le mal dont je brûle, pourvu que tu partages ma flamme. Qu'un mutuel amour nous unisse je t'en conjure par les larcins si doux, par tes yeux et par le Génie. Grand Génie, accueille avec bonté l'encens et sois favorable à mes voeux, (10) si toutefois son coeur, à ma pensée, s'échauffe ! Mais si d'aventure, dès maintenant, il soupire pour d'autres amours, alors je t'en conjure, ô dieu saint, abandonne l'infidèle foyer ! Et toi, Vénus, ne sois pas injuste : que les mêmes liens nous enchaînent l'un et l'autre à te servir, ou bien allège mes chaînes. (15) Mais plutôt, restons liés l'un et l'autre par une chaîne si solide que nul jour dans l'avenir ne la puisse jamais rompre. Mon jeune amant souhaite la même chose que moi : mais il le souhaite plus secrètement, car il a honte de dire tels mots en public. Mais toi, Dieu du jour anniversaire, puisque tu es un Dieu qui lis dans tous les coeurs, (20) exauce-moi : qu'importe que des prières soient secrètes ou publiques ?

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Élégies, III, 12

(ou IV, 6)

(1) Toi qui présides à la naissance, divine Junon, accepte ce pieux tribut d'encens que te donne, de sa tendre main, une savante jeune femme. Elle est tout entière à toi en ce jour ; c'est pour toi qu'elle a eu la grande joie de se parer ; afin d'attirer tous les regards, debout devant tes autels. (5) Oui, c'est à toi, Déesse, qu'elle rapporte le soin qu'elle a pris de sa parure ; il est pourtant quelqu'un à qui elle voudrait plaire secrètement. Mais toi, sainte déesse, sois-lui favorable : que la nuit ne sépare pas deux amants, mais, de grâce, fais partager sa chaîne à son jeune ami. Ainsi tu formeras un couple bien assorti nulle femme (10) n'est plus digne d'être aimée de lui, nul homme d'être aimé d'elle. Que ces amoureux ne puissent pas être surpris par un gardien vigilant et que l'Amour leur fournisse mille moyens de le tromper. Exauce-moi et viens, toute resplendissante dans ta robe de pourpre : voici une triple offrande de gâteau, voici, chaste Déesse, une triple offrande de vin pur. (15) Une mère attentive prescrit à sa fille un voeu conforme à ce qu'elle désire ; mais celle-ci, en secret, sachant déjà ce qu'elle veut, demande autre chose ; elle brûle, comme brûlent les autels sous les flammes rapides, et, en eût-elle le pouvoir, elle ne voudrait pas être sage. Puisse-t-elle plaire à son jeune ami, et qu'au retour de l'année prochaine, (20) ce même amour, déjà ancien, fasse partie de ses voeux !

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Élégies, III, 13

(ou IV, 7)

(1) Enfin est venu l'Amour, et un tel amour que j'aurais moins de gloire à le tenir caché par pudeur qu'à le dévoiler à quelqu'un. Fléchie par mes Camènes, Cythérée me l'a apporté et mis dans les bras. (5) Vénus a tenu ses promesses ; qu'il raconte mes plaisirs, celui qui passe pour n'avoir pas eu les siens. Pour moi, je ne voudrais rien confier à des tablettes scellées qu'un autre puisse lire avant mon amant. Mais ma faute me plaît ; me composer un visage par souci de ma réputation (10) me répugne ; qu'on dise que, digne de lui, j'ai été à un homme digne de moi.

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Élégies, III, 14

(ou IV, 8)

(1) Odieux anniversaire, que dans une campagne ennuyeuse et sans mon Cérinthe, il me faut passer tristement ! Qu'est-il de plus doux que la ville ? Est-ce une maison de campagne qui convient à une jeune fille, près d'une rivière glacée, dans le pays d'Arretium ? (5) Messalla, trop occupé de moi, repose-toi, maintenant : ces voyages ne sont pas de saison, ô mon parent. Je laisse ici, lorsque tu m'emmènes, mon coeur et mes pensées, puisque tu ne permets pas que j'en fasse à ma guise.

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Élégies, III, 15

(ou IV, 9)

(1) Sais-tu qu'est supprimé, comme le désirait ton amie, ce voyage qui la rendait triste ? Je puis maintenant être à Rome pour ton anniversaire. Célébrons tous ensemble ce jour anniversaire, qui maintenant vient te surprendre quand tu n'y comptais plus.

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Élégies, III, 16

(ou IV, 10)

(1) Je suis charmé de la liberté que tu me laisses sans craindre pour ma faiblesse une chute imprévue. Si tu te soucies plus de la toge et du lourd panier à laine d'une prostituée que de la fille de Servius, Sulpicia, (5) il en est qui s'inquiètent d'elle, et leur plus grand sujet de chagrin est de la voir succomber au lit d'un inconnu.

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Élégies, III, 17

(ou IV, 11)

(1) Prends-tu, Cérinthe, un pieux souci de ton amie, tandis qu'une fièvre brûlante tourmente mon corps si las ? Ah ! je ne désirerais triompher de cette triste maladie qu'autant que je croirais que ce fût aussi ton voeu. (5) Car à quoi bon triompher de la maladie, si tu peux voir mes maux d'un coeur indifférent.

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Élégies, III, 18

(ou IV, 12)

(1) Que je ne sois plus l'objet, ô ma vie ! de ta brûlante pensée comme je l'étais, je crois, il y a peu de jours, si la stupidité de la jeunesse m'a fait commettre une faute dont j'avoue un plus grand repentir (5) que de t'avoir laissé seul, la nuit dernière, dans le désir de te cacher la fièvre dont je brûlais.

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Élégies, III, 19

(ou IV, 13)

(1) Nulle autre femme ne m'arrachera de ta couche c'est la première condition à laquelle Vénus nous a unis. Tu es la seule qui me plaise ; après toi, il n'est plus, dans Rome, une seule femme belle à mes yeux. (5) Et toi, puisses-tu ne paraître jolie qu'à moi ! puisses-tu déplaire aux autres ! alors je serai tranquille. Je n'ai pas besoin d'exciter l'envie ; loin de moi une gloire bonne pour le vulgaire ; le sage enferme sa joie dans son coeur taciturne. Ainsi je puis vivre heureux dans le secret des forêts, (10) où jamais l'homme n'a laissé la trace de ses pas sur un chemin ! C'est toi qui me reposes de mes ennuis ; c'est toi qui, dans la nuit sombre, es ma lumière ; et, dans des lieux solitaires, qui es pour moi un monde. Le ciel envoyât-il maintenant une amie à Tibulle, il l'enverrait en vain, et Vénus serait sans pouvoir. (15) Je te le jure par la sainte puissance de ta Junon, qui est pour moi la plus grande des divinités. Mais que fais-je, insensé ! hélas ! hélas ! j'abandonne mes gages. J'ai fait un sot serment. Cette crainte m'était utile. Maintenant tu seras hardie, maintenant tu me brûleras avec plus d'audace  : (20) et ce mal, je le devrai, malheureux, à ma langue bavarde ! Je ferai désormais tout ce que tu voudras, je serai toujours à toi, je ne fuirai pas le joug de ma maîtresse familière ! Mais j'irai, enchaîné, me prosterner aux pieds des autels de la sainte Vénus. Elle flétrit l'injustice et favorise ceux qui la supplient.

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Élégies, III, 20

(ou IV, 14)

(1) Le bruit court que ma maîtresse a des faiblesses nombreuses : je voudrais être sourd. Ces accusations ne sont point sans me faire de la peine. Pourquoi tourmenter un malheureux, bruit cruel ? Tais-toi.

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