Bibliotheca Classica Selecta - Fastes d'Ovide (Introduction) - Livre III (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante

MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


OVIDE, FASTES III - MARS


CELEBRATIONS AUX CALENDES (3,167-392)


Les Matronalia et la fête de Junon Lucina (1er mars) (3,167-258)

 

Mars en personne va renseigner le poète intrigué sur les rapports que lui, dieu de la guerre, entretient avec les Matronalia, célébrées le 1er mars par les matrones. Mars se dit satisfait de participer à une oeuvre de paix. (3,167-178)

D'après les déclarations du dieu, les Matronalia ont trait à la légende des origines, plus précisément au rapt des Sabines, que Mars lui-même aurait inspiré à son fils Romulus : c'est l'occasion de rappeler la réconciliation entre Romains et Sabins conclue grâce à l'intervention des femmes. (3,179-228)

Mars suggère dès lors un lien entre les Matronalia et son statut de père auprès d'Ilia, en une période de l'année où se manifeste le renouveau et la fécondité de la nature, période particulièrement bien adaptée à une fête des matrones, dont le premier rôle est de procréer. (3,229-244)

Enfin, le 1er mars est l'anniversaire de la consécration du temple de Junon Lucina sur l'Esquilin ; et le dieu d'insister sur le rôle de sa mère, Junon-Héra, protectrice des jeunes épousées, futures parturientes, qui l'honorent avec des fleurs. (3,245-258)

 

"Si les poètes peuvent entendre les avis secrets des dieux,

   comme sans nul doute le pense la tradition,

Gradivus, toi qui es attaché aux travaux virils,

3, 170

    dis-moi pourquoi les matrones célèbrent ta fête".

Telles furent mes paroles. Alors Mavors posa son casque,

   et tenant un javelot dans sa main droite, il me dit :

"Pour la première fois, moi, le dieu qui manie les armes,

   je suis appelé à oeuvrer à la paix, et je pénètre dans un camp nouveau.

3, 175

Et cette entreprise ne me pèse pas : il me plaît même de m'y attarder,

   pour que Minerve ne se figure pas être seule compétente en la matière.

Laborieux poète du calendrier latin, apprends ce que tu cherches,

   grave mes paroles en ton coeur, et souviens-t-en.

 

Si tu veux te reporter à ses débuts, Rome était petite,

3, 180

   mais sa petitesse pourtant laissait présager la Rome actuelle.

Déjà ses remparts se dressaient, étroits eu égard à la population à venir,

   mais jugés trop grands à l'époque pour la foule de ses occupants.

Si tu veux savoir ce qu'était le palais de notre fils,

   regarde cette cabane de roseaux et de chaume.

3, 185

Il récoltait sur de la paille les bienfaits d'un sommeil paisible,

   c'est de cette couche pourtant qu'il monta jusqu'aux astres.

Déjà les Romains avaient plus de renom que de territoire,

   et ils n'avaient ni épouses ni beaux-pères.

Leurs riches voisins méprisaient des gendres démunis,

3, 190

   et il n'était guère facile de voir en moi l'auteur de ce sang.

On les blâmait d'avoir habité des étables et gardé des moutons,

   et de ne posséder que quelques arpents de terre inculte.

Les oiseaux et les bêtes sauvages s'accouplent, chacun avec son pareil,

   même le serpent possède aussi un être avec qui procréer.

3, 195

Des mariages sont accordés aux pires nations :

   mais pas une femme ne consentait à épouser un Romain.

J'en fus peiné, et je t'insufflai, Romulus, l'esprit paternel. J'ai dit :

   "Renonce aux prières ; les armes te donneront ce que tu cherches".

Romulus prépara des fêtes en l'honneur de Consus. Consus te dira

3, 200

   les autres événements du jour, quand tu chanteras sa fête sacrée.

Les habitants de Cures et leurs compagnons d'infortune s'indignèrent.

   Ce fut alors la première fois qu'un beau-père s'arma contre un gendre.

Déjà presque toutes les filles enlevées portaient le titre de mère,

   les guerres entre voisins se prolongeaient depuis longtemps.

3, 205

Les épouses se fixèrent rendez-vous dans le temple de Junon,

   et parmi elles, ma bru osa prendre la parole en ces termes :

"Ô vous, qui comme moi avez été enlevées, puisque nous partageons ce sort,

   nous ne pouvons rester pieuses, en persistant dans l'indifférence.

Les deux armées s'affrontent : pour laquelle prier les dieux ?

3, 210

   Choisissez : ici c'est un époux qui tient les armes, là, c'est un père.

Demandez-vous si vous préférez être veuves ou orphelines.

   Je vais vous proposer un plan aussi courageux que pieux".

Hersilie avait dévoilé son projet : les brus obéissent, dénouent leurs cheveux,

   et en signe d'affliction, couvrent leurs corps d'un vêtement de deuil.

3, 215

Déjà les armées avaient pris position, prêtes à lutter et à mourir,

   déjà la trompette allait donner le signal du combat,

quand les femmes enlevées s'avancent entre leurs pères et leurs époux,

   tenant sur leur coeur leurs nouveau-nés, ces gages de tendresse.

Lorsque, cheveux défaits, elles atteignent le centre du champ de bataille,

3, 220

   elles se prosternent, un genou posé à terre ;

et comme s'ils comprenaient, les petits-fils, babillant tendrement,

   tendaient leurs petits bras vers leurs grands-pères.

Celui qui en était capable appelait son aïeul qu'il voyait enfin,

   et celui qui y arrivait à peine, on le poussait à le faire.

3, 225

Les armes et l'ardeur des combattants tombent, on relègue les épées,

   les beaux-pères échangent des poignées de main avec leurs gendres,

complimentent et embrassent leurs filles ; un aïeul porte son petit-fils

   sur son bouclier : c'était là un usage bien paisible pour un bouclier.

 

Dès lors, en ce premier jour de mon mois, les mères oebaliennes

3, 230

   considèrent comme un devoir fort important de célébrer les Calendes.

 Est-ce parce que, ayant osé s'engager au milieu des épées brandies,

   elles avaient, par leurs larmes, mis un terme aux combats de Mars,

ou parce que, grâce à moi, Ilia avait eu le bonheur de devenir mère,

   que les matrones célèbrent rituellement mon culte ce jour-là ?

3, 235

Est-il besoin de dire qu'alors l'hiver avec son manteau de gel se retire enfin,

   et que les neiges glissent et fondent à la douce chaleur du soleil ?

Sur les arbres reviennent les frondaisons ravagées par le froid,

   et sur le tendre sarment gonfle un bourgeon plein de sève ;

chaque graine, longtemps cachée, se dresse maintenant dans l'air,

3, 240

   pousse fertile qui a trouvé son chemin secret.

C'est l'heure où le champ est fécond, l'heure de recréer un troupeau,

   l'heure où l'oiseau sur une branche se construit un nid et un foyer.

Les mères du Latium ont raison de vénérer ces temps féconds :

   leurs voeux et leur combat ne sont-ils pas de procréer ?

3, 245

Ajoute que, sur la colline où le roi de Rome montait la garde,

   et qui aujourd'hui porte le nom d'Esquilies,

à cet endroit, mes brus latines élevèrent un temple à Junon,

   consacré officiellement ce jour-là, si j'ai bon souvenir.

Pourquoi m'attarder et te surcharger l'esprit de causes diverses ?

3, 250

   Voici, bien évident sous tes yeux, ce que tu demandes.

Ma mère aime les jeunes épousées : les mères en foule me célèbrent.

   Voilà la raison qui, pour sa grande piété, nous agrée particulièrement."

Apportez des fleurs à la déesse : elle se complaît dans les plantes écloses,

   cette déesse ; ceignez-vous la tête de fleurs délicates.

3, 255

Dites-lui : "C'est toi, Lucina, qui nous as donné la lumière" ;

   dites-lui : "C'est à toi d'exaucer le voeu de la femme en couches !"

Cependant, si une femme est enceinte, qu'elle dénoue ses cheveux

   et prie la déesse de la délivrer en douceur de ses couches.

 


Numa et les Saliens (I) : Égérie et Diane d'Aricie (3,259-294)

 

Avant d'expliquer un rituel où interviennent les Saliens, Ovide invoque la nymphe Égérie, l'épouse de Numa, liée à Aricie, où se trouve un bois et un lac consacrés à Diane, siège d'un culte très ancien. Ce culte est marqué par l'interdit des chevaux lié à la légende d'Hippolyte, par la présence d'ex-votos, par les flambeaux apportés par des femmes venant de Rome, et surtout par le rite étrange du Rex Nemorensis. (3,259-272)

Égérie, nymphe des eaux et liée aux Camènes et donc à la poésie, a inspiré à Numa son rôle de roi pacifique et législateur, fondateur du droit et de la religion. (3,273-284)

Elle rassure aussi Numa épouvanté par une succession anormale de violents orages, et lui indique comment conjurer la foudre : il faut pour cela interroger Picus et Faunus, mais d'abord s'emparer de ces deux divinités. (3,285-294)

 

Qui maintenant me dira pourquoi les Saliens portent les armes de Mars

3, 260

   tombées du ciel et pourquoi ils chantent Mamurius ?

Instruis-moi, nymphe préposée au bois et au lac de Diane ;

   nymphe, épouse de Numa, viens expliquer ce que tu fais.

 Dans la vallée d'Aricie, se trouve un lac, entouré

   d'une forêt touffue, et consacré par un culte ancien.

3, 265

Hippolyte s'y cache, mis en pièces par les brides de ses chevaux ;

   c'est pourquoi nul cheval ne pénètre dans ce bois.

Des fils pendent comme des voiles le long des haies,

   où sont posés de nombreux ex-voto à la déesse bienfaisante.

Souvent, forte d'un voeu exaucé, le front ceint d'une couronne,

3, 270

   une femme y apporte de la Ville des flambeaux allumés.

La royauté revient aux mains vigoureuses et aux pieds agiles,

   et puis le roi, à son tour, périt selon l'exemple qu'il a donné.

 

Un ruisseau au murmure léger descend sur un lit caillouteux :

   souvent j'y ai bu, mais à petites gorgées.

3, 275

C'est Égérie, déesse aimée des Camènes, qui produit ces eaux :

   elle fut de Numa l'épouse et la conseillère.

D'abord, on décida d'adoucir les Quirites trop prompts à la guerre

   par l'institution du droit et par la crainte des dieux.

Dès lors on établit des lois, évitant l'octroi de tout le pouvoir au plus fort

3, 280

   et l'on commença à respecter fidèlement les rites sacrés des ancêtres.

Toute sauvagerie est bannie ; le droit est plus fort que les armes,

   et l'on juge honteux d'en venir aux mains avec un concitoyen ;

à la vue d'un autel, tel, naguère farouche, se transforme désormais,

   et fait des libations de vin et d'épeautre salé sur les cendres tiédies du foyer.

3, 285

Voici que le père des dieux répand à travers les nuages d'ardentes flammes,

   et à force de déverser des eaux, il met l'éther à sec.

Jamais feux envoyés du ciel ne tombèrent plus serrés,

   Le roi est épouvanté et la terreur envahit tous les coeurs.

La déesse lui dit : "Ne sois pas si effrayé : la foudre se conjure,

3, 290

   et le courroux furieux de Jupiter se fléchit.

Mais ce sont Picus et Faunus qui pourront te transmettre

   le rite de conjuration, tous deux étant divinités du sol romain.

D'ailleurs, ils ne le feront pas sans contrainte : saisis-les et lie-les".

   Et elle révéla par quel artifice il pourrait les capturer.


Numa et les Saliens (II) : Picus, Faunus et Jupiter Elicius (3,295-348)

 

Numa se rend alors sur l'Aventin, près d'une source où ses offrandes de vin enivreront Faunus et Picus, qu'il pourra ainsi enchaîner pour les contraindre à lui révéler ces rites de conjuration de la foudre. Mais ces révélations appartenant à Jupiter, l'intervention de Picus et de Faunus se limitera à aider Numa à attirer sur terre le roi des dieux ; c'est ce fait que célèbre le culte de Jupiter Elicius. (3,295-328)

Ovide rapporte ensuite l'apparition de Jupiter à Numa, et leur dialogue "surréaliste" à propos du rituel exigé, d'où ressort le caractère doux et astucieux de Numa, qui arrive à ses fins et obtient même de Jupiter la promesse d'obtenir le lendemain une preuve éclatante de sa souveraineté. (3,329-348)

 

 3, 295

Au pied de l'Aventin un bois de chênes dispensait son ombre obscure ;

   rien qu'à le voir, on pouvait dire : "un dieu y habite".

Au centre, il y avait de l'herbe et, sous un vert manteau de mousse,

   le filet d'une eau intarissable sourdait d'un rocher.

À cet endroit, Faunus et Picus étaient presque seuls à se désaltérer.

3, 300

   Le roi Numa s'y rend et immole une brebis à la Source,

puis y dispose des coupes pleines d'un vin parfumé ;

   avec ses compagnons, il se cache au fond d'une caverne.

Les divinités sylvestres s'approchent de leur source familière

   et à larges traits de vin apaisent leurs gosiers assoiffés.

3, 305

Après le vin, vient le sommeil : Numa sort de la fraîche caverne

   et enchaîne dans des liens serrés les mains des dieux endormis.

Dès leur réveil, ceux-ci se débattent, tentant de rompre les liens

   qui, pendant la lutte, se resserrent plus fortement.

Alors Numa : "Dieux des forêts, pardonnez-moi cet acte,

3, 310

   vous qui savez mon esprit exempt d'intention criminelle ;

et montrez-moi de quelle façon on peut conjurer la foudre."

   Ainsi parla Numa ; Faunus, secouant ses cornes, dit ainsi :

"Tu exiges une grande chose, qu'il nous est interdit de te révéler

   et de t'enseigner : nos pouvoirs divins ont leurs limites.

3, 315

Nous sommes des dieux rustiques, ayant pour domaine

   les sommets des monts ; c'est Jupiter qui décide dans son palais.

Seul, tu ne pourras le faire descendre du ciel,

   mais tu pourras peut-être y arriver avec notre aide."

Telle fut la réponse de Faunus ; Picus émit le même avis.

3, 320

   '"Enlève-nous ces liens", dit cependant Picus,

"Jupiter viendra ici, notre talent pourra l'y amener ;

   Le sombre Styx sera le garant de ma promesse."

Tout ce qu'ils font, une fois libérés de leurs liens, leurs incantations,

   leurs artifices pour attirer Jupiter de son séjour céleste,

3, 325

cela ne peut être connu des hommes. Je chanterai ce qui est permis,

   et ce que peut légitimement émettre la bouche d'un poète pieux.

Ils t'attirent (eliciunt) du ciel, Jupiter ; c'est pourquoi maintenant encore

   la postérité te célèbre, t'invoquant sous le nom d'Elicius.

 

On sait que les cimes de la forêt de l'Aventin ont tremblé,

3, 330

   et que la terre s'est affaissée sous le poids de Jupiter :

le coeur de Numa tressaille, de tout son corps le sang se retire,

   et ses cheveux hérissés se raidissent.

Revenu à lui, il dit : "Fais-moi connaître les sacrifices sûrs

   qui conjurent la foudre, ô roi et père des dieux d'en haut,

3, 335

si ces mains qui ont touché tes tables d'offrande sont pures,

   si la langue qui fait cette demande est pieuse elle aussi".

Le dieu approuva sa prière mais il dissimula la vérité

   par d'énigmatiques détours et des paroles ambiguës.

"Coupe une tête", dit-il ; Numa lui répondit : "J'obéirai ;

3, 340

   je ferai couper un oignon arraché dans mon jardin".

Le dieu précisa : "la tête d'un homme" ; "tu prendras ses cheveux", dit le roi.

   Le dieu exige une vie ; "celle d'un poisson", dit Numa.

Le dieu rit et dit : "Sers-toi de ces moyens pour détourner mes traits,

   ô mortel qui ne crains pas de converser avec les dieux.

3, 345

Mais, demain, lorsque le dieu du Cynthe aura présenté son disque entier,

   je te donnerai un gage sûr de souveraineté."

Sur ces paroles, laissant Numa confondu d'adoration, il est emporté

   au-delà de l'éther ébranlé, dans un vacarme tonitruant.


 

Numa et les Saliens (III) : le don des anciles et leur copie (3,349-392)

 

Numa fait part de cette promesse aux Quirites qui se montrent sceptiques. Cependant le lendemain à l'aube, en présence de la foule assemblée, le roi trônant devant son palais demande à Jupiter d'envoyer le gage de souveraineté annoncé ; aussitôt descend miraculeusement du ciel un bouclier rond, que Numa appelle 'ancile'. (3,350-374)

Numa, pour sauvegarder ce gage précieux contre le vol, fait forger d'autres boucliers sur ce modèle par un certain Mamurius, qui obtient pour prix de son travail la gloire d'être cité dans le chant des Saliens. (3,375-392)

 

Numa revient très heureux, et rapporte l'événement aux Quirites :

3, 350

   ils furent lents et réticents à attacher foi à ses paroles.

"Mais vous me croirez certainement", dit-il, "si mes paroles se vérifient :

   vous tous ici présents, écoutez, voici ce qui se passera demain.

Lorsque le dieu du Cynthe aura présenté à la terre son disque entier,

   Jupiter nous donnera un gage sûr de souveraineté."

3, 355

Ils s'en vont, perplexes ; les promesses semblent lointaines

   et leur confiance dépend de ce qu'apportera le lendemain.

 La terre mollissait, tout humide de la rosée du matin :

   le peuple est là, devant le seuil du roi.

Celui-ci s'avance et s'assied au centre sur un trône d'érable ;

3, 360

   des hommes en foule l'entourent, debout et silencieux.

Phébus s'était levé, n'ayant découvert que le haut de son disque :

   les esprits, pleins d'effroi, s'agitaient entre espoir et crainte.

Le roi se dressa, et la tête couverte d'un voile blanc comme neige,

   leva les mains, déjà bien familières aux dieux,

3, 365

et dit ainsi : "Voici le moment de la récompense annoncée ;

   Jupiter, permets-nous de croire en tes promesses."

Pendant qu'il parlait, le soleil déjà avait entièrement sorti son disque.

   Un craquement intense retentit, provenant de la voûte céleste.

Le dieu tonna trois fois dans un ciel sans nuage et envoya trois éclairs.

3, 370

   Croyez en mes paroles : j'évoque des faits étonnants, mais vrais.

Le ciel commença à se fendre en son milieu.

   Tous, la foule et son roi, levèrent ensemble les yeux.

Voici que tombe un bouclier doucement porté dans l'air léger :

   du peuple une clameur monte vers le ciel.

3, 375

Le roi soulève de terre le présent, après avoir sacrifié une génisse

   dont le cou jamais encore n'avait senti le poids du joug

et il appelle ce bouclier ancile, parce que il est arrondi de tous côtés,

   et n'a pas un seul angle (angulus), où qu'on y porte les yeux.

Alors, se souvenant que le sort de la souveraineté tenait à cet objet,

3, 380

   Numa prit une décision d'une extrême habileté :

il ordonna de faire ciseler plusieurs boucliers de la même forme,

   pour induire en erreur celui qui y porterait les yeux pour s'en saisir.

Mamurius, - il est difficile de dire s'il fut choisi pour ses moeurs

   ou ses talents d'artiste - réalisa cet ouvrage.

3, 385

Numa généreusement lui dit : "Demande un prix pour ton travail ;

   connaissant ma bonne foi, ta demande ne sera pas vaine".

Déjà, il avait donné aux Saliens leur nom basé sur leur saut (saltus),

   leurs armes et un hymne à chanter sur des modes déterminés ;

alors Mamurius dit ainsi : "Que la gloire soit ma récompense,

3, 390

   et que mon nom résonne à la fin de leur hymne."

Depuis lors, les prêtres s'acquittent du prix promis

   à cet antique ouvrage et ils invoquent Mamurius.

Page suivante


 

Notes (3,167-392)

  
Gradivus (3,169). Gradivus est une épithète cultuelle de Mars. Cfr 2, 861 ; 3, 677, et 5, 556.

matrones célèbrent ta fête (3,170). Les Matronalia tombaient le 1 mars : c'était la fête des matrones, c'est-à-dire des femmes mariées. On fêtait le même jour l'anniversaire de la dédicace du temple qui, en 375 a.C., avait été construit sur l'Esquilin en l'honneur de Junon Lucina (3, 247-248). Les matrones demandaient Junon de protéger leur mariage et d'accorder aux futures mères une heureuse délivrance. Ainsi donc, si Junon avait bien (avec Janus) le patronage de toutes les Calendes des mois, le 1er mars offrait la particularité de lui être spécialement consacré. Mais le 1er mars était aussi une fête du dieu Mars auquel le mois entier était consacré ; il y avait donc concomitance de deux cultes différents, chose qui n'était pas rare dans le calendrier romain. Certains auteurs anciens ont en quelque sorte fusionné les célébrations. Ovide notamment pense ici que ce sont les matrones qui célèbrent la fête de Mars et il cherche à expliquer la raison d'être de leur participation. Plutarque (Romulus, 21, 1) imagine que les Matronalia avaient été instituées par Romulus en l'honneur des femmes sabines pour les remercier d'avoir fait cesser la guerre. La présentation d'Ovide n'a que peu de rapport avec les réalités religieuses des Matronalia. Le poète ne fournit aucun détail sur le rituel. Ce n'est pas lui qu'il faut consulter (mais Macrobe, Saturnales, 1, 12, 7 ; 6, 4, 13 ; Scholie aux Odes d'Horace, 3, 8, 1) si l'on désire des informations sur les rites des Matronalia : cadeaux des maris à leurs femmes, matrones servant à table les femmes esclaves, prières diverses. Ovide est trop occupé à se poser une question particulièrement oiseuse sur les rapports paradoxaux qui unissent en ce jour les femmes et la guerre, trop occupé aussi de tenter de la résoudre en nous déroulant notamment un grand morceau des légendes sabines (à comparer avec le récit de Tite-Live, 1, 9-13). Bref le poète est à la recherche de réponses à une "fausse" question.

Mauors (3,171). Dénomination archaïque et poétique de Mars.

Minerve (3,176). "Déesse des métiers et de ceux qui les pratiquent" (G. Dumézil), qui a été identifiée à Pallas-Athéna (cfr 3, 5-7, où on retrouve le même type de développement sur Mars et Minerve).

Rome était petite (3,179). Évocation assez largement répandue dans la poésie augustéenne des débuts, modestes et pauvres, de la ville de Rome. Souvent la simplicité des origines est opposée par les poètes au luxe de leur époque.

cette cabane (3,184). La casa Romuli de 1, 199.

Consus (3,199-200). Consus est un ancien dieu romain, "préposé à la mise en réserve (condere) des grains" (R. Schilling). Il avait deux fêtes dans le calendrier, les Consualia du 21 août et les Consualia du 15 décembre. L'annonce du vers 200 n'a pas donc été réalisée, les Fastes n'existant que pour les six premiers mois.

Cures et leurs compagnons (3,201). Céniniens, Crustiminiens et Antemnates avaient, comme les Sabins de Cures, été victimes du rapt des jeunes filles par les Romains (2, 135, et surtout Tite-Live, 1, 9, 7 à 11, 4).

un beau-père s'arma contre un gendre (3,202). Sans doute une allusion à la guerre entre Jules César (le beau-père) et Pompée (le gendre).

ma bru (3,206). D'après certains auteurs, Hersilie (voir 3, 213), une Sabine que Romulus avait épousée, aurait été l'initiatrice de la démarche des femmes.

genou posé à terre (3,220). C'est l'attitude des femmes dans le rituel de la "supplication" aux dieux, rituel qui prenait place en temps de crise.

mères oebaliennes (3,229). Les Sabins étaient réputés descendre de Sparte, dont un ancien roi s'appelait Oibalos. D'où cet adjectif érudit pour désigner les matrones romaines, qui célébraient les Matronalia le 1er mars. En 1, 260, Titus Tatius, le roi sabin, avait été qualifié de "Tatius l'Oebalien".

Ilia... (3,233). Après l'explication par l'intervention des femmes, une deuxième étiologie va faire intervenir le printemps qui est, pour toute la nature, la saison de la fécondité (3, 235-244). La transition est assurée par l'évocation de la responsabilité de Mars dans la naissance de Romulus et de Rémus. Pour un autre développement sur le thème du printemps dans l'oeuvre d'Ovide, cfr 1, 151-159. En 3, 11 et en 3, 45, Ovide avait appelé la mère des jumeaux Silvia.

Ajoute que (3,245). Troisième étiologie proposée par le dieu : le premier mars est la date anniversaire de la dédicace du temple de Junon, fondé par les brus du Latium.

Esquilies (3,246). Jeu de mot approximatif, difficile à rendre en français, entre excubiae ("la garde, le poste de garde") et Esquiliae (les Esquilies). Les anciens considéraient les Esquilies comme un quartier excentrique, et Ovide imagine ici qu'un poste de garde, protégeant le coeur de la ville, s'y serait dressé sous Romulus. Le quartier aurait été d'abord situé en dehors des murs.

temple à Junon (3,247). C'est le temple qui avait été dédié le 1 mars 275 a.C., sur l'Esquilin, en l'honneur de Junon Lucina et dont on fêtait l'anniversaire le 1 mars (cfr 3, 170).

Lucina (3,255). Sur l'étymologie de cette épiclèse de Junon, cfr 2, 449-450. Ovide l'explique ici par le latin lux (la lumière) : la déesse aide les parturientes à mettre leurs enfants au jour.

dénoue ses cheveux (3,257). D'autres textes anciens signalent cette particularité cultuelle. Ainsi Servius Daniel, Énéide, 4, 518 : "Aux cérémonies de Junon Lucina, il n'est pas permis de participer, sans dénouer ses cheveux". "Tout lien fait obstacle magiquement à un accouchement normal" (H. Le Bonniec).

Saliens (3,259). Les Saliens étaient des prêtres romains dont les cérémonies encadraient la saison guerrière. Celle-ci s'ouvrait en mars, par des processions, où les prêtres sortaient dans la ville en dansant lourdement sur un rythme à trois temps, portant des lances et des boucliers ovales (ancilia "les anciles"), conservés habituellement dans le sanctuaire de Mars à la Regia. Les Saliens intervenaient aussi rituellement en octobre pour marquer la fin de la saison guerrière. Aux origines en effet, les Romains ne faisaient la guerre que de mars à octobre. Les Saliens, divisés en deux groupes (un peu comme les Luperques [cfr 2, 375], mais sur une autre base), étaient placés sous la tutelle de Jupiter, Mars, Quirinus, les dieux de la vieille triade précapitoline.

Mamurius (3,260). Au cours de leurs processions, les Saliens chantaient Mamurius Veturius, qui était le nom de l'artisan chargé par Numa de fabriquer onze copies de l'ancile original. On en reparlera en 3, 379-392.

nymphe (3,261). Il s'agit d'Égérie, que l'on rencontrait à Rome et à Aricie comme patronne d'une source (cfr 3, 154). La tradition en avait fait la conseillère, voire l'épouse ou l'amante, du roi Numa. Dans les vers qui suivent, il sera surtout question d'Égérie à Aricie.

Aricie (3,263). Une cité du Latium (aujourd'hui Ariccia), à 25 km au sud-est de Rome, au pied des monts Albains, siège d'un culte très ancien à Diane. On y trouvait un bois et un lac (le lac de Némi) consacrés à cette divinité. Ovide imagine qu'Égérie se serait réfugiée à Aricie après la mort de Numa. En tout cas, le poète demande à la nymphe de l'inspirer dans son enquête sur l'origine des anciles des Saliens.

Hippolyte (3,265). Les données essentielles de la légende d'Hippolyte sont bien connues. Fils de Thésée, adorateur d'Artémis, la déesse vierge, il repoussa avec horreur les avances de Phèdre, sa belle-mère. Celle-ci l'accusa alors d'avoir voulu attenter à son honneur, et Thésée, crédule, souleva contre lui le courroux de Neptune. Un monstre marin épouvanta les chevaux du char du jeune homme, qui périt sur les rochers de la côte. En apprenant sa mort, Phèdre se pendit. Tel est le récit de base, qui présente toutefois une suite comportant un volet italique (cfr les longs récits d'Ovide, Fastes, 6, 737-756, et Métamorphoses, 15, 479-546). Hippolyte aurait été ressuscité par Esculape et transporté à Aricie par Artémis, où il aurait vécu sous le nom de Virbius (cfr aussi Virgile, Énéide, 7, 761-782, et les notes). Quoi qu'il en soit, il est sûr que dans le bois sacré d'Aricie, près du lac de Némi, on vénérait non seulement Diane, mais aussi une nymphe nommée Égérie, ainsi qu'une divinité masculine, nommée Virbius, dont la nature précise n'est pas claire. Tous ces cultes latins, à l'origine, n'avaient strictement rien à voir avec l'histoire d'Hippolyte et de Phèdre. Ces développements italiques, totalement artificiels, sont le résultat de constructions savantes. Il est fort possible que l'introduction d'Hippolyte dans le culte de Diane d'Aricie soit due à un détail du rituel, qui interdisait l'accès des chevaux dans le bois sacré (3, 266).

ex-votos (3,268-269). Dans la région, on a retrouvé des ex-votos (mères avec nourrissons, vulves, phallus) témoignant du rôle de la Diane d'Aricie, vénérée comme salutaire aux naissances. Manifestement ces offrandes s'adressaient plus à l'Artémis Locheia (= présidant à l'enfantement) qu'à la Diane, déesse vierge.

La royauté (3,271-272). Allusion rapide à un rite, très curieux et manifestement très ancien, lié au bois entourant le lac de Némi. Sur ce bois régnait un prêtre, portant le titre de Rex Nemorensis. "Pour accéder à ce sacerdoce barbare, il devait tuer son prédécesseur, après avoir retranché un rameau d'un arbre déterminé (Servius, Énéide, 6, 136) ; il était voué au même sort, en face de plus fort que lui. À l'époque historique, seuls les esclaves fugitifs se risquaient à cet exercice (Suétone, Caligula, 35, 5). Malgré plusieurs tentatives exégétiques [dont celle, célèbre, de J. G. Frazer, Le Rameau d'Or], ce rite qui remonte à la nuit des temps garde son mystère" (R. Schilling). Il est vraisemblablement antérieur au culte de Diane, avec lequel il ne semble pas avoir de rapport autre que géographique.

Camènes (3,275). Divinités latines des sources qui furent identifiées plus tard avec les Muses grecques. Elles sont censées ici avoir inspiré Égérie. Cfr 4, 245.

Numa (3,276). Le second roi de Rome dont il a déjà été question plus haut (1, 43 ; 2, 69 ; 3, 151ss) et qui va jouer un grand rôle dans l'histoire des anciles. Par rapport à Romulus, c'est un souverain pacifique, qui met l'accent sur le droit, la loi, la religion.

Quirites (3,277). C'est-à-dire les Romains (cfr par exemple 2, 479).

La déesse (3,289). Égérie bien sûr, l'épouse et la conseillère de Numa.

Picus et Faunus (3,291). Picus est déjà apparu (comme oiseau de Mars), en 3, 37 et en 3, 54. Quant à Faunus, identifié au Pan arcadien, on l'a retrouvé à plusieurs reprises dans l'histoire des Lupercales (2, 193 ; 2, 268 ; 2, 301ss ; 2, 361 ; 2, 424) et aussi plus haut dans le présent livre (3, 84). Leur statut religieux n'est pas identique ; ainsi il n'est pas sûr que Picus ait jamais reçu un culte. Quoi qu'il en soit, l'affabulation légendaire et poétique a travaillé sur les deux personnages. On en a fait régulièrement deux rois de l'ancien Latium, Picus passant chez Virgile pour père de Faunus et grand-père de Latinus. Ovide les voit l'un et l'autre comme deux dieux sylvestres (3, 303), dotés de facultés oraculaires. Chez Virgile, Picus (Énéide, 7, 48 ; 7, 171 ; 7, 189) n'apparaît pas comme un dieu et n'intervient pas comme devin ; Faunus par contre est présenté comme une divinité prophétique (Virgile, Énéide, 7, 81-106 ; 12, 766-780).

saisis-les et lie-les (3,293). Ovide s'inspire ici du thème de Protée, ce dieu marin devin, capable de prendre de multiples formes et qui ne parlait que sous la contrainte (cfr 1, 367).

à la Source (3,300). C'est-à-dire à la divinité de cette source de l'Aventin : les sources, comme d'ailleurs les fleuves, sont divinisées.

Styx (3,322). Le Styx est un fleuve dont le cours lent, formant une sorte de marais, entourait les Enfers de neuf anneaux. Selon la fable, le dieu du Styx avait pris parti pour Jupiter contre les Titans, en lui envoyant en renfort ses filles, Victoire et Force. Pour le récompenser, Jupiter aurait rendu sacré, même pour les dieux, le serment fait en son nom : le dieu parjure était privé pour neuf ans de la table de Jupiter et d'autres prérogatives. Déjà dans les poèmes homériques (Iliade, 15, 37), "le serment par le Styx" engageait irrévocablement les dieux. Hésiode, Théogonie, 793-806, détaille longuement les punitions qui frappaient les parjures divins. Il sera encore question du Styx en 3, 801-802 et en 5, 250.

Elicius (3,328). Une des nombreuses épithètes cultuelles de Jupiter. L'adjectif est en corrélation avec le verbe latin elicere, qui veut dire "attirer". Il existait à Rome, sur l'Aventin (Varron, De la langue latine, 6, 95), un autel à Jupiter Elicius, dont Tite-Live (1, 20, 7) attribue la fondation à Numa. Si ce Jupiter Élicien reste assez mystérieux, il pourrait se rapporter plus "à l'ouverture des réservoirs de la pluie" (G. Dumézil) qu'à la conjuration des foudres, comme le croyaient certains érudits anciens, dont Ovide. Quoi qu'il en soit, dans ce passage, le poète augustéen s'inspire du récit de l'annaliste Valérius Antias, qui a été conservé par Arnobe, 5, 1 : "sur les conseils d'Égérie, Numa aurait enchaîné Faunus et Picus pendant leur sommeil et les aurait contraints à lui révéler le moyen d'attirer sur terre Jupiter afin d'obtenir de lui le rite pour conjurer la foudre" (R. Schilling). Plutarque, Numa, 15, 3-10, utilisera lui aussi ce récit. Quant à Tite-Live (1, 31, 8), il fera encore intervenir ce Jupiter Élicien dans le récit de la mort de Tullus Hostilius : le troisième roi, voulant sacrifier en secret au dieu, n'aurait pas observé correctement les rites et aurait été foudroyé, lui et son palais.

la terre s'est affaissée (3,330). "La taille et le poids d'un dieu sont proportionnels à sa puissance" (H. Le Bonniec).

Sers-toi de ces moyens (3,343). Ce dialogue célèbre illustre bien certains aspects de la religion romaine, et notamment la précision et l'efficacité des mots dans le rituel. Dans ce colloque qui relève presque du mythe, G. Dumézil (Religion romaine archaïque, Paris, 1974, p. 57) retrouve un des soucis primordiaux du Romain dans sa vie religieuse : "surtout ne pas employer de formule dont le dieu partenaire ou son interprète humain puisse soit profiter à ses dépens, soit s'irriter, soit méconnaître ou déplacer le sens". Il peut être utile de citer plus longuement G. Dumézil qui voit dans ce dialogue entre Jupiter et Numa

"un marchandage qui est en même temps un examen, par lequel le dieu vérifie que le roi sait l'importance du vocabulaire et de la syntaxe. Le dieu s'exprime mal, donne une chance à son partenaire : 'Coupe une tête!", dit-il. Et Numa aussitôt : 'J'obéirai, je couperai la tête d'un oignon arraché de mon jardin.' - 'Mais je veux de l'homme!', riposte le dieu, sans préciser que ce qu'il veut de l'homme, c'est précisément la tête dont il a d'abord parlé. Numa saisit ce deuxième avantage : 'Je couperai donc aussi des bouts de cheveux.' Le dieu renouvelle encore sa faute : 'Mais du vivant!' - 'J'y joindrai donc un poisson.' Jupiter est dès lors convaincu et il récompense, il diplôme, en quelque sorte, ce brillant candidat : 'Bien, dit-il, que ce soient là les offrandes expiatoires de ma foudre, ô mortel bien digne de converser avec moi!' "

Chez Valérius Antias, Jupiter reconnaît en quelque sorte sa défaite, en disant en substance au roi : "J'avais décidé qu'on devrait assurer la procuration des foudres avec des têtes d'hommes. Tu m'as bien eu, Numa. Désormais on le fera avec un petit poisson, des cheveux, et un oignon".

le dieu du Cynthe (3,345). Apollon, né près du mont Cynthe, dans l'île de Délos.

souveraineté (3,346). En guise de récompense, Jupiter annonce qu'il va faire parvenir aux Romains quelque chose qui servira de gage à leur souveraineté (pignora imperii). Rome possédait ainsi un certain nombre d'objets considérés comme "des gages de sa puissance, des talismans de son empire". Certains étaient conservés dans le temple rond de Vesta au Forum Romain ; d'autres dans la Regia, et leur possession était une sorte d'assurance pour le maintien de la puissance romaine. Servius (Énéide, 7, 188) en dresse la liste "canonique" : "Il y a sept garants qui conservent l'Empire romain : le bétyle de la Mère des Dieux, le quadrige en terre cuite de Véies, les cendres d'Oreste, le sceptre de Priam, le voile d'Ilionée, le Palladium et les anciles". C'est de ces derniers qu'il va être question. En 3, 421-422, Ovide utilisera la même expression latine de "gages de souveraineté" (pignora imperii) pour qualifier Auguste et Vesta, mais dans un sens métaphorique.

trône d'érable (3,359). "Note de simplicité archaïque : Énée [aussi] est invité par Latinus à s'asseoir sur un trône d'érable (Virgile, Énéide, 8, 178)" (R. Schilling).

tête couverte... (3,363-364). À Rome, l'officiant doit avoir la tête couverte. Le blanc est un signe de pureté. On prie en tendant les paumes des mains vers le ciel.

le poids du joug (3,376). Selon Macrobe (Saturnales, 3, 5, 5), on attachait de la valeur comme victimes aux bêtes "qui n'avaient jamais été domptées ou attachées au joug".

ancile (3,377). C'est un "bouclier court, dont l'ovale est échancré de chaque côté dans la partie médiane" (Paulus-Festus, p. 117 L.). Il est bilobé. La description d'Ovide ("un ovale parfait et sans angle") est inexacte, tout comme est inexact le rapprochement étymologique qu'il avance entre ancile et angulus.

plusieurs boucliers (3,381). Onze copies à l'identique selon la tradition, qui seront déposées dans la Regia et portées par les Saliens lors de leurs sorties.

Mamurius (3,383). Mamurius Veturius est le nom que porte dans la légende le forgeron responsable des copies à l'identique de l'ancile original. Les mots mamuri veturi figuraient bien dans le "Chant des Saliens" (Varron, De la langue latine, 6, 49), mais toute la question est de savoir ce qu'ils signifiaient exactement, cet hymne étant déjà énigmatique pour les Romains de l'époque classique. Pour Varron, les mots seraient l'équivalent de "souvenir ancien" (memoria vetus en latin). Si l'on veut être plus complet encore, on ajoutera que dans un rituel populaire, qui prenait place, semble-t-il, le 14 mars, "la foule menait en procession un homme couvert de peaux et le frappait avec de longues baguettes blanches en l'appelant Mamurius (Lydus, Des mois, 4, 49)" (G. Dumézil). Selon G. Dumézil, il pourrait s'agir de la forme romaine d'un rituel printanier d'expulsion de la vieille année, en l'occurrence du "vieux mars" ou du "vieux de mars". C'est possible, mais il n'y a pas d'unanimité entre les spécialistes modernes.

leur saut (3,387). Rapport étymologique, qui semble valable, entre le mot Saliens et le verbe latin salire, qui veut dire "sauter, bondir" et dont dérive saltus ("le saut"). Ces "prêtres danseurs" processionnaient lourdement sur un rythme à trois temps, portant ancile et lance ("leurs armes") et chantant l'énigmatique "Chant des Saliens" auquel on a fait allusion à la note précédente, au vers 383. Ces sorties des Saliens avaient lieu en mars et en octobre, pour ouvrir et fermer religieusement la saison guerrière. Les processions terminées, on reportait les anciles dans le sanctuaire de Mars à la Regia, où ils étaient rituellement entreposés.

que mon nom résonne (3,390). Cfr la note à 3, 383, où il est question de la présence des mots mamuri veturi dans le "Chant des Saliens".


Fastes d'Ovide (Introduction) - Livre III (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante


Bibliotheca Classica Selecta - UCL (FLTR)