Pervigilium Veneris : Introduction - Texte et traduction

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Pervigilium Veneris - La veillée de Vénus

 

Notes relatives au texte et à la traduction

 

 

Cras amet..(1). Ce refrain répété onze fois au cours du poème sépare des strophes de longueur inégale. Schilling (p. XXVIII) y voit une réminiscence de poésie populaire et rapproche ce vers d'une inscription relevée sur un mur de Pompéi: Quísquis amát ualeát,/ pereát qui néscit amáre (Diehl, Pompeianische Wandinschriften n° 503). Vu l'état d'âme de l'auteur, vraisemblablement déçu en amour (89), il me semble préférable de donner à amet une valeur d'optatif plutôt que d'impératif. Cf. Compositions musicales du XVIIIe siècle.

avril (2). Dans les vv. 2-3, uer est répété deux fois au nominatif et ,ensuite, trois fois à l'ablatif uere. Cette répétition s'inspire nettement de Virgile (Georg. II 323-4). Cf. Catlow p. 55. La traduction par printemps alourdit particulièrement cette répétition, qu'il ne faut par ailleurs pas omettre. Le uer nouum qui ouvre le poème est avril, cf. Virgile (Géorg. I 43) et Servius (ad Verg. Georg. I 43): (Menses) ipsorum temporum talem faciunt discretionem ut primo mense ueris nouum dicatur uer, secundo adultum, tertio praeceps. C'est pourquoi, je traduis uer par avril, qui le rend mieux phoniquement. Vénus et avril sont traditionnellemnent liés. Cf. Ovide (Fastes IV 125 sv.). Cf. aussi Lucrèce (V 737): It uer et Venus.

chante (2). Uer canorum. Cf. 84 sv. Cet aspect est largement développé dans la dernière strophe du poème, dont il donne le sens. Il s'agit à la fois du chant des oiseaux mais aussi du renouveau de l'inspiration poétique. À noter aussi la participation d'Apollon à la fête, en tant que dieu des poètes. Cf. 45.

naquit (2). Cf. 59 - 62; Virgile (G. II 336 sv.). Selon Schilling (p.13), la naissance du monde au printemps renvoie à la physique stoïcienne. Formicola (pp.103 sv.) partage ce point de vue qu'il développe surtout à partir du commentaire de la septième strophe (59 sv.). qui décrit la naissance du monde et l'action de Vénus dans celui-ci.

amours (3). Cf. 81 sv.

pluies fécondantes (4). Première allusion au pouvoir fécondant de l'eau, qui est un thème reccurrent dans le poème. Cf. 9 sv; 15; 20 sv; 60.

amorum Copulatrix(5). C'est la première mention de Vénus, désignée ici dans son rôle essentiel d'assurer la continuité des êtres et la vie par la pratique de l'amour. Cf. Lucrèce (I 14-20); Ovide (Fastes IV 98 sv.). Copulatrix, qui ne dérive pas d'une forme masculine copulator*, est un terme tardif, dont l'emploi est très rare. Catlow (p. 57) en tire argument pour placer le poème à une date tardive.

myrteo (6). Comme il est techniquement impossible de placer le signe de l'ictus sur y, la syllabe accentuée est en caractères gras. Cf. 28; 45.

myrtes (6). Ce végétal est consacré à Vénus. Cf. 28; 45 ;Catulle (LXI16- 25); Ovide (Fastes IV 15); Br. Rochette, Une évocation pythagoricienne des Enfers chez Tibulle (I 3, 59-66).Les Études Classiques 71, 2 -2003 (pp. 175-180). Ovide mentionne aussi la construction de huttes à l'occasion de la fête d'Anna Perenna (Fastes III 525 -8). Ici les huttes abriteront au cours de la fête les rencontres amoureuses, auxquelles font allusion des transpositions dans le monde végétal : implicat et, plus loin, la description des roses (13 sv.). Cf. Catulle (LXII 49-58)

Dioné (7). Ici Vénus, identifiée à l'Aphrodite grecque, est désignée sous le nom de sa mère pour raison de métrique sans plus. Cf. 11; 48; 77. Cette appellation est courante. Cf. Catulle (LVI 6); Virgile (Énéide III 19); Ovide (Fastes II 461; V 309). Dioné est une Océanide ou une Néréide, et, selon une tradition différente de celle qui apparaît dans le poème (Cf. 9 sv.), Aphrodite est née de ses amours avec Zeus. La tradition orphique fait de Dioné une fille d'Ouranos et de Gaia. Cf. Belfiore (p. 197).

throno (7). Hellénisme. Cf. 21 (peplo); 38 (Delia); 87 (musico); 90; (chelidon); 91 (Phoebus).

lois (7). Cf. 50 sv.

Bleu mer (9-11). Cette brève strophe se souvient de Catulle XXXVI 11 qui désigne Vénus par...o caeruleo creata ponto, dans un contexte, il est vrai, très différent.

un jour comme celui-là (9). Ainsi se rend tunc dans le texte, qui passe abruptement du futur proche au passé. Avril est lié à la naissance de Vénus, si on se refère à Ovide (Fastes IV 13-14; 61-64), qui lie étymologiquement Aprilis non pas à aperire, mais au grec aphrós (l'écume), d'où dérive Aphrodite, cf. Dioné (7). Il y a , selon Catlow (pp.58 sv.) et vraisemblablement, une lacune d'au moins un vers commençant une nouvelle fois par Cras erit ...et dont le sens général serait : Demain reviendra le jour où... Cf. 59.

ciel (9).Le vers évoque la mutilation d'Ouranos par Kronos, cf. Hésiode (Th. 188-192). Le poème propose une version de la naissance d'Aphrodite bien différente de celle mentionnée plus haut dans la note Dioné. Toutefois, selon Hésiode, Aphrodite n'est pas née, à l'instar des Erinyes, des Nymphes et des Géants, du sang d'Ouranos, mais de son sperme (comparé à de l'écume) quand ses organes génitaux, tranchés par son fils Kronos furent jetés dans la mer. Catlow (p. 60) souligne le rôle actif de la mer, ce qui marque une autre différence avec la tradition hésiodique. Cf. Apulée (Met. X 31, 2). Schilling ( pp. XXXVIII- XXXIX) propose une interprétation stoïcienne du mythe et voit dans ce sang céleste " le principe igné spirituel capable d'animer le monde par sa seule énergie, sans l'office d'un organe de reproduction (Cf. Cicéron {N.D. II 24, 64} ), la combinaison des éléments igné et humide étant à la base de toute vie. Cf. Ovide (F. IV 791 sqq) Varron (L.L. V 61; 63). Les diverses versions de la naissance de Vénus sont présentées par Cicéron (Nat. III 23, 59)

bipèdes(10). Cf. Virgile (G. IV 388 -389) et Servius (ad Verg. G. IV 389) : equi marini prima parte equi sunt, postrema resoluuntur in pisces (Les chevaux marins se présentent comme de vrais chevaux dans leur partie antérieure, mais leur partie postérieure se termine en queue de poisson).

Dioné (11). Cf. 7.

colore (13). Cf. Lucrèce (II 32-33); (V 1395-6); Apulée (Mét. X 29, 2). Gemmis annum...purpurantem floridis suggère à la fois couleur et lumière par la transparence des gemmes représentant métaphoriquement les fleurs et plus particulièrement les roses traditionnellement associées à Vénus, qui fait naître les fleurs sous ses pas. Cf. Lucrèce (I 7-8); Fulgence (Mit II 1). Diverses nuances de rouge apparaissent crescendo à partir du v. 23. La tradition romaine ne semble imaginer la rose que rouge. Cf. Pline (NH XXI 14).

boutons de roses (14). Papillas. Dans cette strophe, l'auteur joue délicatement de l'habituelle métaphore de la fleur, - plus particulièrement de la rose, - prête à s'éclore pour symboliser la jeune fille nubile qui s'offre à son époux. Cf. 21; Catulle (XVII 14; LXI 21 ; 56-60); Apulée (Met. X 31, 2); Florus (A.L. LXXXVII). Le premier sens de papilla (dim. de papula) est "bouton du sein, tétin". Cf. Catulle (LXI 105; LXVI 81).

rosée (15). Elle joue auprès des roses le même rôle fécondant que la pluie pour la forêt, (cf. 4); Apulée [Met. III 29, 5]), et la mer pour la naissance d'Aphrodite, cf. 9 sv.; Pline (NH II 38).

florulentae (19). Ce néologisme est synonyme des classiques florens, floridus. La formation et l'usage de tels adjectifs (florosus, floriger, floriparus...) sont fréquents en latin postclassique. Toutefois la formation d'adjectifs avec le suffixe -lentus remonte à Plaute. Cf. Formicola (p. 122).

astra rorant (20). Cf. Stace (Th. VI 238): roscida astra. Ce passage a été imité par Fulgence (Mit. I 11).

plénitude (20). Pline (NH II 152) confirme ces conditions atmosphériques favorables à la rosée.

peplo (21). Hellénisme. Cf. throno.

l'humide manteau (21). Le calice. Cf. 15.

a fait (22). Première des six occurrences de iussit. Toutes ont Vénus pour sujet (cf. 28; 50; 56; 57; 84.), ce qui souligne le caractère autoritaire de la déeese. Viennent abonder dans ce sens les deux occurrences de iussus est au seul v. 32, où il s'agit d'ordres que Cupidon reçoit de Vénus.

Cypridis (23). Cf. myrteo (6).

sang de Cypris (23). Cypris (autre désignation d'Aphrodite, cf. Belfiore p. 173) a fait naître la rose en se blessant le pied d'une épine. Cf. A. L. 85; 366 (Cités par Schilling [p. XLVII, note 3]).

voile de feu (25). En désignant par ueste... ignea la corolle de la rose, l'auteur fait allusion au flammeum, le voile des jeunes mariées.

ouvrira (26). Cf. Catulle (LXI 52-53).

vv. 28 - 58. Selon Catlow (pp. 26 -35), le Pervigilium Veneris est l'un des deux seuls témoignages littéraires d'une fête en l'honneur d'Aphrodítè Anaduoménè, c'est à dire de la naissance de Vénus. L'autre est de Blossius Aemilius Dracontius, poète carthaginois du Ve siècle, qui décrit cette célébration à Chypre:

Cypro festa dies natalis forte Dionae
illa luce fuit : ueniunt ad sacra Cytherae/
reddere uota deae quidquid capit insula Cypros,
quod nemus Idalium, quod continet alta Cythera,
quod Paphon exornat, tacitas quod lustrat Amyclas.
(Romul.VIII 435-439)

(Trad: À Chypre, on célébrait justement ce jour-là l'anniversaire de Dione : on se rend dans tous les sanctuaires que comprend l'île de Chypre pour rendre hommage à la déesse Cythéra, elle qui occupe le bois sacré d'Idalie, les hauteurs de Cythère, qui embellit Paphos, qui hante la muette Amyclées).

Il s'agissait vraisemblablement de fêtes locales en divers points de l'Empire plutôt que d'une célébration majeure de la religion officielle. La fête comporte sans nul doute l'initiation de vierges à la vie sexuelle et amoureuse, comme le suggèrent les vv. 5 - 6, les troisième (vv.13-26) et cinquième (vv. 37-49) strophes. D'autres auteurs ont fait allusion à l'initiation de vierges par des hommes qui leur sont étrangers dans des sanctuaires de Vénus, comme prélude au mariage et l'expression de leur soumission à la déesse, et ce, dans la province d'Afrique (Cf. Valère-Maxime [I 6, 15 ]); Augustin [De Civ. Dei IV 10], à Chypre et à Byblos (Cf. Strabon [272]; Lucien, [De Dea Syria 6]). Mais l'essentiel de la fête décrite dans le Peruigilium Veneris est l'initiation de vierges, à leur propre mariage, loin de toute prostitution, fût-elle sacrée. La notion de mariage est d'ailleurs clairement exprimée dès le v. 3, et, plus loin, aux vv. 26, 59 et 72. Par ailleurs en présentant comme vierges à initier les Nymphes (28 sv., 54-55) l'auteur transpose la description du cérémonial dans l'imaginaire et en fait une pure fantaisie.

Nymphas (28). Cf. myrteo (6) ; 31; 34.

a donné l'ordre (28). iussit. Le caractère autoritaire de Vénus, désignée avec insistance par Ipsa... diua, apparaît à nouveau dès l'entrée même dans le vif du sujet. Cf. 22. Elle envoie des Nymphes en ambassade auprès de Diane (Délia) pour la déloger des bois où va se dérouler la célébration (37 -49), qui aura lieu après la proclamation des lois de Vénus (7; 50 sv).

myrtes (28). Cf. 5

jouvenceau (29). On observe ici le même rapprochement entre puer et puella que dans Catulle XXXIV 2: Dianae sumus in fide /puellae et pueri integri. Cupidon, fils de Vénus, est présenté ici plutôt comme un adolescent que comme un enfant. Cf. 56. Traditionnellement, il est l'exécutant ou le partenaire de Vénus, lorsqu'il s'agit d'éveiller passion et adultère. Cf. Virgile (En. I 657-756); Stace (Silv. I 2, 51-60). Mais cela ne cadre pas avec la conception de Vénus proposée par l'auteur du Pervigilium. Sans se plier à Hymen, "dux bonae Veneris, boni coniugator amoris", comme dans l'épithalame catullien de Manlius et Iunia (LXI 44-45), Vénus, maîtresse de la création et responsable de l'harmonie de l'univers, veut que l'éveil des vierges à l'amour aboutisse à leur seul mariage, et non à du libertinage. On est bien loin de la Vénus inspiratrice des tourments élégiaques. Cupidon n'apparaît plus que comme une menace... bien réelle : un jeune garçon, séducteur incorrigible, que sa mère autoritaire adore et...redoute, et dont elle entend à tout prix prévenir les fredaines. Cf. 56 sv.

iussus est (32). Cf. note a fait (22).

blesser (33). Cf. Tibulle (II 5, 105-106).

in armis (35) fait écho phoniquement et métriquement à inermis (33), comme pour souligner le caractère aléatoire de la mise en garde.

lacune entre vv. 36 et 37. Même si le sens général est évident, les propos qu'adressent les Nymphes à Artémis débutent de manière abrupte. À la pudeur de qui les Nymphes (compari... pudore) comparent-elles la leur? À celle d'Artémis ? À celle des Nymphes, ses compagnes ? Il est étonnant aussi de désigner d'emblée Artémis par un pronom (ad te). On peut donc conjecturer la perte de quelques vers décrivant la rencontre des Nymphes et d'Artémis. Cf. Catlow (p.76).

Délia (38). Cf. throno.Cette dénomination rappelle qu'Artémis, identifiée à la Diane des Romains, est née, comme son jumeau Apollon, à Délos. Cf. Catulle (XXXIV 5-8); Varron (L.VII 16). D'autre part la mention de sa virginité, -sur laquelle insiste la strophe-, renvoie à la demande qu'elle avait faite à Zeus de la virginité éternelle. Cf. Callimaque (Hymne à Artémis 6). Par ailleurs, les bois sont traditionnellement considérés comme le domaine d'Artémis. Cf. Catulle (XXXIV 9-12).

massacrant du gibier (39). Artémis est au départ la protectrice de la vie sauvage, Pótnia thêrôn. Cf. Homère (Iliade XXI 470); Eschyle (Agam. 105-159). Il suffit à ce sujet de rappeler le sacrifice d'Iphigénie destiné à apaiser le courroux de la déesse envers Agamemenon. Ultérieurement, elle n'apparaît plus sous cet aspect, mais comme divinité de la chasse. Je renvoie à nouveau à Callimaque et à son Hymne à Artémis (8-12; 80-109;142-157) qui se veut une présentation exhaustive de la déesse. Cet aspect de chasseresse repris par la tradition romaine, avec la Diane d'Aricie, s' associe à celui de divinité des forêts. Cf Virgile (En. XI 557); Horace (O. III 22, 1); Catulle (XXXIV 9 -12) (cités par Schilling [p. 19, note 38]). Schilling (ib. note 39) rapproche aussi ce passage de l'interdiction de répandre du sang sur l'autel du temple d'Aphrodite à Paphos (cf.Tacite [Hist. II 3, 5]) et invoque aussi l' Hymne homérique à Aphrodite (I 68-74), où celle-ci est aussi présentée comme Pótnia thêrôn. Cf. 48.

et rigentibus...(40). Dans l'ensemble des manuscrits ce vers précède le v. 59, ce qui n'est pas satisfaisant pour le sens. Schilling (pp. 9 ; 21-22) le laissant en place, émet l'hypothèse de deux lacunes, la première après le v. 58 (refrain) et l'autre avant le v. 59. Selon Formicola , qui voit un rapport de sens et d'atmosphère avec le v. 4, et rigentibus...,(malgré la coupure opérée par Tú recéde Déliá),complète le sens du v. 48 et vient à sa suite, Dione devenant le sujet de ducat.

qui se dressent (40). Rigentibus. Autrement dit, non piétinées par le passage des chasseurs et des meutes. J'adopte l'interprétation de Catlow (p. 70, note 40).

choeurs (43). On entre enfin dans la description de la fête annoncée au vv. 5 - 6. Tout en mentionnant la durée et l'importance des festivités, et en insistant sur l'allégresse de participants en grand nombre, cette description demeure discrète sur la présence des fiancés, qu'elle suggère par la seule mention des huttes de myrtes (5- 6; 45). On remarquera aussi que leur présence à Hybla peut être tout au plus supposée. Cf. 50 sv.

myrtes(45). Cf. 5. Callimaque (Hymne à Artémis 200 - 203) exprime l'aversion d'Artémis pour ce végétal, qui aurait entravé la fuite de Britomartis, sa Nymphe bien aimée de Gortyne, que Minos pourchassait.

Cérès (46). Selon Schilling (p.20, note 45), les trois divinités citées dans le vers forment une triade, à laquelle notamment Didon offre un sacrifice (cf.Virgile [En. IV 58]), ce qui confirmerait l'origine africaine de l'auteur du Peruigilium Veneris. Cérès et Bacchus personnifient abondance et gaieté chez Tibulle (II 1, 3-4) sans toutefois être associés à Vénus. On peut songer aussi, plus cruement, au vers de Térence "sine Cerere et Libero friget Venus", cité par Cicéron (Nat. II 23, 60), encore qu'il s'agisse dans ce cas d'une métonymie. Quoi qu'il en soit, la présence d'Apollon indique sans doute la tenue de joutes poétiques, mais annonce surtout l'état d'âme du poète qui se sent en manque d'inspiration et, par conséquent, exclu de la joie du renouveau printannier. Cf. 2; 89-91.

Hybla (49). Cette mention a soulevé la question de la localisation de la célébration et, partant de là, de sa réalité. On le sait déjà (cf. note vv. 28-58), le fait que les jeunes filles à initier soient des Nymphes et non de simples mortelles, place d'ores et déjà le sujet du poème dans l'imaginaire, ce qui n'empêche par ailleurs nullement qu'il soit le reflet de l'une ou l'autre célébration réelle. Cela étant, parmi les trois localités siciliennes antiques nommées Hybla, a été retenue, notamment par Schilling (pp. 20-21, note 49) Hybla Gereatis (aujourd'hui Paterno) sur la pente sud de l'Etna, siège du culte d'une déesse (cf. Pausanias V 23, 6). De même que Formicola (p.18), il mentionne la dédicace de temple Veneri Victrici Hyblensi. (CIL X2 7013). Catlow et Formicola (pp.26-35) ne voient pas de raisons formelles d'identifier celle-ci à la Vénus du poème, mais s'attardent surtout aux trois allusions aux fleurs (cf. vv. 50 sv.) et cite d'autres poètes qui ont célébré la douceur et à la fertilité proverbiale d'Hybla, Virgile (B. I 53; ); Martial (II 46, 1-2); Claudien (Pros. II 79-80). Cette réputation était encore établie au Moyen Âge (Cf. Carmina Burana 119, 13). Hybla serait donc symboliquement choisi par le poète en tant que lieu où l'action fécondante de Vénus est particulièrement visible. On retiendra surtout l'insistance avec laquelle Vénus, les deux fois, enjoint aux Nymphes de se méfier de Cupidon. Cf. 29-35; 57.

Hyblaeis (50). Cf. myrteo (6) ; 52; 53.

lois (51). Cf. 7.

Grâces (51). Gratiae est le nom latin des Charites, qui personnifient la grâce et la beauté et sont proches des Muses. Elles sont deux ou trois suivant diverses traditions religieuses grecques. Cf. Belfiore, p. 137. Dans la littérature latine, elles font traditionnellement partie de l'entourage de Vénus. Cf. Horace (O. I 4, 5-7; 30, 6).

jouvenceau ailé (56). Cupidon. Cf. 29-35; 77.

Orbi. La septième strophe (59-68) du poème reprend sur un ton majeur Uere natus orbis est (2).

Éther (59). Aether désigne le ciel. La strophe évoque la hiérogamie du ciel et de la terre inspirée par Vénus, si l'on tient compte d'un fragment eschylien traitant ce thème (Danaid. fr. 44, 3-4 in Athénée [XIII 600 b]), cité in extenso par Catlow (pp. 81 sv.) où Aphrodite se dit elle-mëme tônd' egò paraítios, "moi qui en suis l'auteur". La strophe développe ce rôle de Vénus qui est présentée comme procreatrix (64). Les vv. 59-62 sont directement inspirés de Virgile (G. II 325 - 327), lui -même inspiré par Lucrèce (I 250-251; II 991-998). Le passage est aussi à rapprocher de Stace (Sil. I 2, 185-187), cité par Schilling (p. XLI). Formicola (p. 156) en citant Cicéron (Nat. I 14, 36) souligne également que Zénon de Cittium considérait l'Éther comme un dieu et amorce ainsi, à la suite de Schilling, un commentaire stoïcisant du poème.
Catlow (ib.) refuse de voir en Vénus l'allégorie du principe créateur stoïcien, qui s'identifie au monde qu'il anime, alors que, bien au contraire, Vénus en est distincte. Le philologue britannique propose entre autres un rapprochement avec l'Isis d'Apulée (Mét. XI). D'autre part, si le vocabulaire est stoïcisant, comme certains exemples le montrent plus bas, il fait partie, selon Catlow, de la koinè philosophique de l'antiquité finissante. Cela fait rebondir aussi la question de la datation du poème.

année (60). L'année désigne ici tout ce qui est créé au cours de sa durée. Selon Formicola (p. 158), il s'agit de la conception stoïcienne de la Grande Année cosmique (cf. Cicéron Rép. VI 17). Elle se termine avec l'ekpùurôsis ou embrasement général du monde, lequel va renaître tel qu'il a été, inaugurant une nouvelle et identique Grande Année pour revivre les mêmes événements.

s'est fondu dans son vaste corps (62). Formicola (p.160) y voit l'affirmation du monisme panthéiste stoïcien, la matière et le dieu qui l'anime étant ontologiquement inséparables.

permeanti spiritu (63). Traduit la notion stoïcienne de dièkôn pneûma, l'esprit qui se répand à travers (la matière).

seminali tramite (66). Annoncé par peruium, ce complément rendrait l'expression stoïcienne spermatikoí lógoi ou lois de la génération. Le rôle de Vénus est à rapprocher de Lucrèce I 14 sv.

modes de l'enfantement (67). Allusion au passage à la reproduction sexuée des êtres vivants que la Terre a engendrés au début de l'existence du monde. Cf. 77 sv. Lucrèce (II 1150 -1156; V 782 - 836).

Latins (69). Dans cette strophe, plutôt moins aboutie que les autres, Vénus entre dans l'histoire comme Aeneadum mater, Mère des descendants d'Énée, (c'est-à-dire des Romains, cf. Lucrèce [I 1]) le fils qu'elle a eu du Troyen Anchise, roi de Dardanos. L'ensemble de la strophe "normalise" et "moralise" dans l'optique du poème les unions mouvementées qui sont à l'origine de Rome.

Laurente (70). Arrivé en Italie, Énée a épousé, après bien des péripéties (cf. Virgile, En. VII sv.), Lavinia, fille du roi des Laurentes, Latinus, et de la reine Amata. Un fils naquit de cette union, Ascagne. Cf. Tite-Live (I, I 9-10).

donne (71). La brève liaison de Mars et de la vestale Rhéa Silvia ou Ilia, descendante d'Énée et mère de Romulus et Rémus (cf. Tite-Live[ I 4, 2]) est présentée comme voulue par Vénus, sinon comme un mariage arrangé par elle.

fit épouser (72). Le brutal enlèvement des Sabines (cf. Tite-Live [I, IX]) est présenté toujours dans la perspective normalisante des deux vers précédents.

Ramnes et Quirites (73). En citant ces deux tribus et en insistant traditionnellement sur leur fusion, l'auteur désigne la composante romaine proprement dite (les compagnons de Romulus), et la sabine, qui est à mettre étymologiquement en rapport avec le nom de la ville de Cures. Cf. Ovide (Mét. XIV 778); Tite-Live (I, XIII 5). La troisième composante, les Lucères (cf. Tite-Live [I, XIII 6]), n'apparaît pas, puisqu'il n'y a pas eu avec elle de lien matrimonial voulu par Vénus. Properce (IV 1, 31) les présente comme des coloni. Cf. Schilling (pp. 24-25); Catlow (p. 87).

+matrem+ (74). Matrem a de tout temps embarrassé les éditeurs du poème par son sens et sa fonction, car reparler de la mère de Romulus citée au v. 71 n'a aucun sens. La correction de Juste-Lipse (I. Lipsius, Electorum liber I, Antuerpiae 1580) de matrem en patrem est souvent acceptée, notamment par Schilling (p. 25) : il s'agirait d'une erreur du copiste qui aurait considéré Romuli comme complément déterminatif de patrem et jugeant cette mention incongrue l'aurait corrigé en matrem. Étrange initiative!
Cette correction en patrem implique pour le sens un enjambement, procédé qui n'apparaît pas ailleurs dans le texte: Romuli est alors à considérer comme le complément déterminatif du long proque prole posterum au v.
73. Dans ce cas, le vers présente Jules César (patrem) et Auguste (nepotem) comme descendants des Ramnes et Quirites voulus par Vénus. À noter que sens de "neveu" donné à nepos est tardif. Cf. Félix Gaffiot, Dictionnaire Latin-Français. Nouvelle édition. Hachette-Livre 2000 p.1028. En fait, Auguste était un petit-neveu de César : cf. Suétone (Aug. IV 2).
Schilling (pp. 25-26) accepte cette interprétation, et réfute d'autres hypothèses (compliquées) où il est question des familles impériales du IVe ou du Ve siècle de notre ère.
Catlow (pp. 87-90) refuse patrem et l'enjambement qui fait de Romuli le complément déterminatif de posterum, et préfère obéliser +Romuli matrem+, sans toutefois exclure une allusion à César et à Auguste. Son refus de la correction patrem se justifie surtout du fait que le lien entre Jules César et Auguste, son fils adoptif, est exprimé par pater et nepos au lieu de pater et filius, qui serait une formule plus adéquate.
Formicola (p. 168) corrige matrem en mater, renvoyant ainsi à Vénus. Il donne à mater la fonction qu'a pater au v. 60, dans un contexte semblable. Considérant Romuli comme complément déterminatif de mater, il lui donne le sens collectif de Romuli gentis ou de Romanorum. Dans le cadre de cette interprétation, et prend le sens de etiam et nepotem Caesarem désigne Auguste, Formicola invoquant la description du bouclier d'Énée faite par Virgile (En. VIII 626 sv.) pour l'association de Romulus et d'Auguste. Sa traduction est: lei di Romolo madre pure Cesare nipote creasse ("elle, mère de Romulus, a créé aussi son descendant César"). Il est donc question ici seulement d'Auguste.
J'abonde dans une certaine mesure dans l'interprétation proposée par Formicola, notamment parce qu'elle donne le même sens à nepos qui apparait au début de la strophe (
69 ) et dans ce dernier vers. Mais je vois dans Romuli le complément déterminatif de nepotem plutôt que de matrem (ou de son substitut), ce qui dispense de donner à Romulus un sens collectif. Par ailleurs, j'ai préféré obéliser + matrem+, même si la solution marem proposée par L. Hermann ( Claudius Antonius et le Pervigilium Veneris, Latomus 12, 1953 pp. 53-69) retient mon attention. À titre de pure hypothèse, j'avance que matrem pourrait être une déformation de Martem, ce qui donnerait au vers le sens de : "César aussi, Mars descendant de Romulus." Le vers, tout en rappelant et en inversant le contenu du v. 71, ferait allusion à la valeur militaire d'Octave qui lui a permis de vaincre Antoine et de fonder l'Empire. Ce serait pour Rome aussi une forme de retour, comme un printemps, ce qu'évoque aussi Suétone ( Aug. XCV 2). Notons toutefois qu'Auguste, même s'il a donné priorité à l'édification du temple de Mars Ultor (Suétone [Aug. XXIX 1-3]) ne s'est guère identifié à Mars, mais bien à Apollon. Cf. Suétone, (Aug. LXX 1).

volupté (76). Cf. Lucrèce I 1 :hominum diuomque uoluptas. Comme dans la suite de l'hymne à Vénus de Lucrèce, l'auteur du Peruigilium Veneris transfère la sensation de uoluptas à toute forme de vie.

terre (78). Cf. modes de l'enfantement (67).

baisers (79). Cf. 23. Selon Catlow (p. 91), il s'agirait de gouttes de rosée. Cf. 15 -19.

taire les chants (84). canoras non tacere... alites tout en évoquant le début du poème (2-3), annonce le thème de l'identification du chant des oiseaux et de l'inspiration poétique (86 sv.) ainsi que celui du silence du poète développé à partir de 89. On peut rappeler aussi que Lucrèce (I 21 -27) présente Vénus comme source d'inspiration poétique.

cygni (85). Cf. myrteo (6).

la jeune épouse de Térée (86). Terei puella. L'évocation de la légende sanglante des deux filles de Pandion, roi de l'Attique, Philomèle et Procné, s'inscrit comme un repoussoir de la sagesse amoureuse et conjugale illustrée par le poème. Alors que Procné a épousé Térée, roi de Thrace, les deux soeurs deviennent à la fois rivales, puisque Térée abuse de Philomèle, qu'il rend muette en lui coupant la langue, et complices dans leur acharnement à perdreTérée. Après avoir (sauvagement) tué Itys, le fils né du mariage de Térée et de Procné, elles réussissent à le faire manger par Térée ! Tous trois seront métamorphosés en oiseaux : selon la tradition latine, Philomèle en rossignol et Procné en hirondelle, et Térée en huppe (ou en épervier). Cf. Ovide Met. VI 412- 674. Les versions de la légende diffèrent quant au rôle des deux soeurs et à leurs métamorphoses respectives. Ici c'est Philomèle qui est l'épouse. Je ne retiens pas l'interprétation de Catlow (pp. 91 sv.), ingénieuse certes, mais qui s'appuie sur une confusion entre Procné et Philomèle. Le vers décrit le chant du rossignol à l'ombre du peuplier d'une manière très comparable à celle de Virgile (G. IV 511 sv.) même s'il ne s'agit pas ici d'un chant plaintif : le vers suivant (87), empreint de la joie et de la plénitude de l'amour dans l'optique vénusienne de l'hymne, en condense les premiers vers (2-3).

musico (87) Cf. throno; cet oiseau (89).

barbare (88). Tout en étant cruel, Térée partage la réputation d'intempérance sexuelle attribuée aux Thraces. Cf. Hérodote (V 5); Euripide (Andr. 215-219).

cet oiseau (89). Ce début de vers rappelle l'identification rossignol-poète (Orphée) dans Virgile (G. IV 511 sv.), qui est manifestement le modèle de l'auteur.Cf. 86. De même musico (87) annonce musam (91).On peut s'étonner qu'au v. 90 le poète exprime le voeu de devenir comme l'hirondelle. L'allusion à l'hirondelle ne vient que d'une association d'idées (certes inspirée par la légende, à laquelle toutefois il ne se réfère pas davantage).Tout simplement (et en toute modestie, puisqu'il prétend avoir perdu l'inspiration!) le poète retient-il de cet oiseau son cri incessant, lui qui déplore son propre silence. D'autre part, l'hirondelle est traditionnellement liée au retour du printemps, ce qui nous ramène aux premiers vers (2 sv.). Quoi qu'il en soit, le plus important reste l'expression de l'antinomie chant - poésie /silence - manque d'inspiration.

mon avril (89). Quando uer uenit meum ? L'allitération et le rejet du déterminant possessif en fin de phrase soulignent le désarroi du poète : malheureux en amour, il n'arrive pas à participer à l'allégresse du printemps, et, pour cette raison, ne chante pas (ou plus) comme la saison nouvelle (2) pour s'enfermer, au milieu de l'indifférence générale, dans un cercle vicieux de silence.

chelidon (90). Cf. throno.

J'ai perdu l'inspiration (91). Formicola (p. 182) rapproche ce passage de la réflexion de Catulle (LI 13-16) : le poète véronais évoque la fâcheuse incidence de l'otium sur sa vie et rapproche sa situation de faits historiques, même s'il ne s'en tient qu'à des généralités (Otium et reges prius et beatas/ Perdidit urbes). La démarche des deux poètes est la même, qui tout déplorant de ne rien composer... ne composent pas moins.

Phébus (91). Cf. throno. Cette autre désignation d'Apollon ramène à la célébration dont le poète est exclu. Cf. 46 : deus poetarum.

Amyclas (92).Cf. myrteo (6)

Amycléens (92). Le silence des Amycléens est proverbial. Érasme (Adagia, folio 94, chilias I 820) en rappelle la citation par Silius Italicus (VIII 528) et fait allusion au manuscrit du Pervigilium Veneris qu'il a consulté et où il a vu attribuer l'oeuvre à Catulle. Il y a deux Amyclées, dont la première, Amúklai, est laconnienne et liée à la légende d'Hélène et des Dioscures. Cf. Martial (IX 103, 5); Ovide (Mét. VIII 314); Ausone (Ep. XXIX 26); Dracontius (Rom VIII 435-439 - Cf. vv.28-58). L'autre, Amyclae ou Amunclae, est située dans le Latium près de Terracine. Cf. Virg. (En. X 564). Selon Servius (En. X 564), des faux bruits ayant, à diverses reprises, fait planer dans la ville la menace d'une invasion, une loi fut promulguée interdisant de répandre de telles rumeurs. Mais l'invasion eut bien lieu, car personne n'avait osé briser le silence. Chez Ausone et Dracontius, auteurs tardifs (v. supra), la ville en question est l'Amyclée grecque. Cf. Schiling, pp. IX; 29; Catlow, p. 97.

 

Pervigilium Veneris : Introduction - Texte et traduction