Bibliotheca Classica Selecta - Traductions françaises : sur la BCS - sur la Toile
Virgile : Énéide - Bucoliques
Géorgiques : Chant I - Chant II (et Hypertexte louvaniste) - Chant III - Chant IV
MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS
Cette traduction française est celle de Maurice RAT, Virgile. Les Bucoliques et les Géorgiques, Paris, Classiques Garnier, 1932. Le texte a été saisi optiquement par Jean Schumacher, qui a également introduit les divisions de dix en dix vers. Les sous-titres ont généralement été repris à l'édition E. de Saint-Denis, Paris, 1963 (Collection des Universités de France). Nous avons pris la liberté de modifier quelques rares passages (signalés en rouge).La présente traduction s'intègre dans le vaste projet louvaniste des Itinera Electronica, et en particulier dans la rubrique Hypertextes, où cette Géorgique de Virgile a sa place propre. Les possibilités de cette réalisation "Hypertextes" sont multiples; non seulement elle permet une lecture de l'oeuvre avec le texte latin et la traduction française en regard, mais elle donne également accès à un riche ensemble d'outils lexicographiques et statistiques très performants.
Préambule [2,1-46]
Invocation à Bacchus, dieu de la vigne et des arbres [2,1-8]
[2,1] Jusquici jai chanté les guérets et les constellations du ciel; maintenant cest toi, Bacchus, que je men vais chanter, et, avec toi, les plants des forêts et les fruits de lolivier si lent à croître. Viens ici, ô père Lénéen (ici tout est plein de tes bienfaits; en ton honneur, alourdi des pampres de lautomne le champ sempourpre, et la vendange écume à pleins bords), viens ici, ô père Lénéen, et, détachant le cothurne de tes jambes nues, rougis-les avec moi dans le moût nouveau.
Les arbres naissent spontanément ou se reproduisent de diverses manières, que les cultivateurs doivent apprendre [2,9-37]
Dabord la nature a des modes variés pour produire les arbres. [2,10] En effet les uns, sans y être contraints de la part des hommes, poussent deux-mêmes et couvrent au loin les plaines et les sinueuses vallées : tels le souple osier et les genêts flexibles, le peuplier et les saulaies blanchâtres au glauque feuillage. Mais dautres naissent dune semence qui sest posée à terre, comme les hauts châtaigniers, comme le rouvre, géant des forêts, qui offre ses frondaisons à Jupiter, et comme les chênes qui, au dire des Grecs, rendent des oracles.Dautres voient pulluler de leurs racines une épaisse forêt de rejetons, comme le cerisier et lorme; cest ainsi que le laurier du Parnasse abrite sa tige naissante sous lombrage immense de sa mère. [2,20] Tels sont les procédés qua dabord donnés la nature, ceux qui font verdoyer toute la race des forêts, des vergers et des bois sacrés.
Il en est dautres que lexpérience a fait découvrir. Lun, détachant des plants du corps tendre de leurs mères, les a déposés dans les sillons; lautre enfouit dans son guéret des souches, des scions à quatre fentes et des pousses au rouvre effilé. Dautres habitants des forêts demandent quon courbe en arc leurs rejets et quon en plante les boutures dans leur propre terre. Dautres nont pas besoin de racines et lémondeur nhésite pas à rendre avec confiance à la terre les rameaux de la cime. [2,30] Mieux encore : dun bois sec, que le fer a dépouillé de ses branches, lolivier - étonnant prodige ! - pousse des racines. Souvent même nous voyons les rameaux dun arbre se changer impunément en ceux dun autre arbre, et le poirier métamorphosé porter des pommes dues à la greffe et les cornouilles pierreuses rougir sur les pruniers.
Au travail donc, cultivateurs ! apprenez les procédés de cultures propres à chaque espèce; adoucissez, en les cultivant, les fruits sauvages; que vos terres ne restent pas en friche. Il y a plaisir à planter Bacchus sur l Ismare et à vêtir doliviers le grand Taburne.
Que Mécène daigne participer à la tâche du poète [2,38-46]
Et toi, viens à mon aide et parcours avec moi la carrière commencée, [2,40] ô ma gloire, ô toi à qui je dois la plus grande part de ma renommée, Mécène, déploie nos voiles et vole sur la mer libre. Je ne souhaite pas de tout embrasser dans mes vers; non, quand jaurais cent langues, cent bouches et une voix de fer. Viens à mon aide et longe le bord de la côte; les terres sont à la portée de nos mains : je ne te retiendrai pas ici par des fictions de poète ni par de vains ambages et de longs exordes.
Préceptes généraux darboriculture
[2,47-258]
Amélioration des espèces par procédés appropriés, et en particulier par la greffe [2,47-82]
Les arbres qui sélèvent deux-mêmes aux bords de la lumière sont inféconds, il est vrai, mais ils croissent, épanouis et forts, parce que leur vertu naturelle tient au sol. [2,50] Cependant, si eux-mêmes on les greffe et quon les confie, en les transplantant, à des fosses bien ameublées, ils dépouilleront bientôt leur naturel sauvage et, cultivés avec soin, se plieront sans tarder à tous les artifices que lon voudra. Il nest jusquau rejeton stérile sorti du bas des racines qui ne fasse de même, si on le plante en ligne dans des champs où il ait de lespace. Pour linstant ce sont les hautes frondaisons et les rameaux maternels qui létouffent, lempêchent davoir des fruits pendant sa croissance, les brûlent quand il en porte. Quant à larbre qui naît dune semence confiée à la terre, il vient lentement et réserve son ombre pour nos arrière-neveux; ses fruits dégénèrent, oubliant leurs sucs primitifs, [2,60] et la vigne porte de méchants raisins qui deviennent la proie des oiseaux.Cest que tous les arbres exigent une dépense de soins, que tous demandent à être dressés en pépinière et domptés à grands frais. Mais les oliviers saccommodent mieux des tronçons, la vigne de provins, le myrte cher à la Paphéenne, de toute une branche; cest de surgeons que naissent les durs coudriers, et le frêne énorme, et larbre ombreux dont Hercule se tressa une couronne, et le chêne à glands du Père Chaonien; cest de surgeons encore que naissent le palmier qui sélance dans les airs, et le sapin destiné à voir les périls de la mer. Mais on ente sur larbousier épineux le bourgeon de lamandier; [2,70] les stériles platanes se transforment en vigoureux pommiers; les hêtres en châtaigniers, et lorme blanchit de la fleur chenue du poirier, et les porcs broient le gland sous les ormes.
Il nest pas quune manière de greffe en fente ou en écusson. Car, à lendroit où des bourgeons sortent du milieu de lécorce et en crèvent les tuniques légères, on fait dans le noeud même une entaille étroite, et lon y introduit une pousse prise à un arbre étranger, quon apprend à se développer dans le liber humide. Ou bien, au contraire, on incise des troncs sans nuds, et, avec des coins, on pratique en plein bois une ouverture profonde, [2,80] puis on y enfonce les jets qui doivent le féconder; en peu de temps un grand arbre aux rameaux fertiles sélève vers le ciel et sétonne de voir son nouveau feuillage et ses fruits qui ne sont pas les siens.
Du choix des espèces [2,83-108]
En outre il y a plus dune espèce pour les ormes robustes, pour les saules et le lotus, pour les cyprès de lIda. Les gras oliviers ne naissent pas tous sous la même forme : il y a les orchades, les verges, la pausie à la baie amère. Ainsi des fruits et des vergers dAlcinoüs, et le même surgeon ne produit point les poires de Crustumium, de Syrie, et celles qui sont trop grosses pour la main. La vendange qui pend à nos arbres nest pas la même [2,90] que celle que le bois cueille sur le sarment de Méthymne. Il y a les vignes de Thasos; il y a aussi les vignes blanches du lac Maréotis; celles-ci conviennent aux terres fortes, celles-là à des terres plus légères; il y a aussi le Psithie, qui vaut mieux pour le vin de liqueur, et le subtil Lagéos, qui un beau jour rendra titubantes les jambes du buveur et qui lui enchaînera la langue; il y a les vignes purpurines, les précoces, mais où trouver des vers dignes de toi, ô Rhétique ? (Ne prétends pas pourtant le disputer aux celliers de Falerne.) Il y a aussi les vignes dAminée, vins pleins de corps auxquels le cèdent le Tmolus et le Phanée lui-même, roi des vignobles; et le petit Argitis, [2,100] sans rival soit pour donner autant de jus, soit pour durer autant dannées. Je ne saurais non plus te passer sous silence, toi quau second service les dieux accueillent, ô vin de Rhodes, ni toi, Bumaste, aux raisins gonflés. Mais il est impossible dénumérer toutes les espèces de vins et les noms quils portent; et cette énumération dailleurs importe peu. Vouloir en savoir le nombre, cest vouloir connaître combien de grains de sable le Zéphyr soulève dans la plaine de Libye, ou combien de flots, dans la mer Ionienne, se brisent sur les rivages, quand lEurus fond avec violence sur les navires.
Les productions varient avec le terrain et le climat [2,109-135]
Au reste toute terre ne peut porter toute espèce de plantes. [2,110] Les saules naissent sur les fleuves, et les aulnes dans les marais bourbeux; les ormes stériles sur les monts rocailleux, les forêts de myrtes abondent sur les côtes; enfin Bacchus aime les collines découvertes, et les ifs lAquilon et les frimas. Regarde aussi jusquaux extrémités du monde soumis à la culture, depuis les demeures de lAurore habitées des Arabes jusque chez les Gélons bariolés : chaque arbre a sa patrie. LInde est seule à produire le noir ébénier, les Sabéens sont seuls à voir naître la tige qui porte lencens. Te parlerai-je du bois odorant qui distille le baume, et des baies de lacanthe toujours verte ? [2,120] Des bois des Éthiopiens qui blanchissent sous un mol duvet ? De la façon dont les Sères enlèvent aux feuilles à coup de peignes leur menue toison ? Ou des bois sacrés que lInde porte près de lOcéan, aux extrêmes confins du monde, où jamais aucune flèche na pu atteindre dun jet lair qui baigne le sommet dun arbre; et pourtant ce peuple nest pas en retard lorsquil a le carquois à la main. La Médie produit cette pomme salutaire dont les sucs amers et la saveur persistante composent une vertu sans pareille pour chasser des membres de la victime le noir poison que de cruelles marâtres ont versé dans une coupe, en y mêlant des herbes et des paroles maléficieuses. [2,130] Larbre lui-même est énorme et daspect ressemble fort au laurier; et, sil ne répandait pas au loin une toute autre odeur, ce serait un laurier; ses feuilles ne cèdent à aucun vent, sa fleur est entre toutes tenace; les Mèdes sen servent contre la mauvaise haleine, et la donnent comme remède aux vieillards asthmatiques.
Mais aucune région ne peut rivaliser avec l'Italie [2,136-176]
Mais ni la terre des Mèdes, si riche en forêts, ni le beau Gange, ni lHermus dont lor trouble les eaux ne sauraient le disputer en louanges à lItalie; non plus que Bactres ni lInde ni la Panchaïe, toute couverte de sables riches dencens. [2,140] Ce pays-ci na point vu de taureaux soufflant du feu par leurs naseaux le retourner pour y semer les dents dune hydre monstrueuse, ni une moisson de casques et de piques drues de guerriers hérisser ses campagnes. Mais les épis y sont lourds et la liqueur de Bacchus, le Massique, y abonde; le pays est couvert doliviers et de grands troupeaux prospères. Dici, le cheval belliqueux, tête haute, sélance dans la plaine; de là, tes blancs troupeaux, Clitumne, et le taureau, la plus grande des victimes, souvent, après sêtre baignés dans ton fleuve sacré, conduisirent aux temples des dieux les triomphes romains.Ici règne un printemps continuel, et lété en des mois qui lui sont étrangers; [2,150] deux fois les brebis y sont pleines, deux fois larbre y produit des fruits. De plus, on ny voit point les tigres féroces ni la race cruelle des lions; des aconits ny trompent pas les malheureux qui les cueillent; un écailleux serpent ny traîne pas sur le sol ses immenses anneaux ni par une contraction ne ramasse son corps en spirale. Ajoutez tant de villes incomparables, tant de travaux de construction, tant de places bâties par la main des hommes sur des rochers à pic, et ces fleuves baignant le pied dantiques murailles. Rappellerai-je la mer qui la baigne au nord, et celle qui la baigne au sud ? ou encore ses grands lacs ? Toi, Larius, le plus grand, [2,160] et toi, Benacus, dressant tes flots et frémissant comme la mer ? Rappellerai-je nos ports, et les digues ajoutées au Lucrin, et la mer indignée avec ses sifflements énormes aux lieux où londe Julienne résonne du bruit des flots quelle refoule au loin, et où la vague Tyrrhénienne sélance aux eaux de lAverne ? Ce même pays nous a montré dans ses veines des filons dargent et des mines dairain, et a roulé dans ses fleuves de lor en abondance.
Cest lui qui a produit une race dhommes ardente, les Marses, et la jeunesse Sabellienne, et le Ligure endurci à la fatigue et les Volsques armés de dagues; cest lui qui a produit les Décius, les Marius, les grands Camille, [2,170] les Scipions durs à la guerre, et toi, le plus grand de tous, César, qui, déjà vainqueur aux extrêmes confins de lAsie, repousses maintenant des citadelles romaines un Indien désarmé. Salut, grande mère de récoltes, terre de Saturne, grande mère de héros ! Cest pour toi que jentreprends de célébrer lart antique qui a fait ta gloire, osant rouvrir les fontaines sacrées, et que je chante le poème dAscra par les villes romaines.
À chaque terrain convient un genre de culture [2,177-225]
Cest maintenant le lieu de parler des qualités des terrains, de dire quelle est la force, la couleur propre à chacun deux et quelle influence a leur nature sur les productions. Dabord les terres difficiles et les méchantes collines, [2,180] où largile est mince et où le caillou abonde dans les broussailles du sol, aiment la silve palladienne du vivace olivier . La preuve en est dans le grand nombre des oliveraies qui croissent sans culture dans ce même lieu, et dans les champs jonchés de leurs baies sauvages. Mais une terre qui est grasse et vivifiée dune douce humidité, une plaine couverte dherbes et où tout annonce la fécondité (tel que nous voyons souvent au pied dune montagne sétendre une vallée arrosée par les eaux qui tombent du sommet des rochers et charrient un fertile limon), si elle est exposée à lAutan et nourrit la fougère odieuse à lareau courbe, [2,190] te donnera des vignes vigoureuses et abondantes en suc de Bacchus; elle est fertile en grappes, fertile en un liquide pareil à ce nectar que nous offrons en libations dans lor et les patères, lorsquau pied des autels le gras Tyrrhénien a soufflé dans livoire et que nous versons dans de larges plats des entrailles fumantes.Si tu as plutôt le goût délever du gros bétail et des veaux, ou les petits des brebis, ou des chèvres qui brûlent les cultures, gagne les défilés boisés et les lointains pâturages de la grasse Tarente, ou une plaine semblable à celle qua perdue linfortunée Mantoue, dont des cygnes neigeux paissaient lherbe fluviale : [2,200] ni les limpides fontaines, ni les gazons ne manqueront à tes troupeaux; et toute lherbe quaura broutée ton gras bétail dans les longs jours, la fraîche rosée dune courte nuit suffira pour la faire renaître.
Une terre noire, et grasse sous le soc quon enfonce, et dont le sol est friable (car cest le résultat que nous cherchons à obtenir en labourant) est presque toujours excellente pour les blés : en nulle autre plaine tu ne verras plus de taureaux ramener à pas lents plus de chariots au logis. Telle encore cette terre, doù le laboureur irrité a fait disparaître une forêt, abattant des bocages longtemps inutiles et arrachant jusquau bout de leurs racines les antiques demeures des oiseaux : [2,210] eux ont abandonné leurs nids pour fuir dans les airs, mais la plaine inculte a brillé sous le soc de la charrue. Quant au maigre gravier dun terrain en pente, il est à peine bon à fournir aux abeilles dhumbles touffes de serpolet et du romarin; le tuf rude au toucher et la craie rongée par de noirs reptiles attestent quils conviennent mieux que tout autre terrain à fournir aux serpents une douce nourriture et à leur présenter de sinueuses cachettes. Mais le sol doù sexhale en vapeurs fugitives un léger brouillard, celui qui boit lhumidité et la renvoie à son gré, qui se revêt sans cesse dun vert gazon [2,220] et qui nentame point le fer par une rouille corrosive et acide, verra pour toi les vignes fécondes enlacer les ormeaux; il est fertile en huile; tu reconnaîtras, en le cultivant, quil est accommodant au petit bétail et docile au soc recourbé. Tel est celui que laboure la riche Capoue ; tels, les bords voisins du mont Vésuve, et ceux du Clain qui fut intolérable à la déserte Accerre.
Moyens de reconnaître la nature du sol [2,226-258]
Maintenant je dirai de quelle façon tu pourras reconnaître chaque terrain. Veux-tu savoir si une terre est légère ou si elle est dune densité peu ordinaire (parce que lune est favorable au froment, lautre à Bacchus, la plus dense à Cérès, la plus légère à Lyée) ? [2,230] Tu choisiras dabord des yeux un emplacement, et tu y feras creuser profondément un puits en terrain solide, où tu refouleras toute la terre en nivelant la surface sableuse avec tes pieds. Si le puits nest pas rempli, ce sera un sol léger et qui conviendra mieux au petit bétail et aux vignes nourricières; si, au contraire, les déblais se refusent à entrer dans le lieu doù ils sortent, et sil reste de la terre une fois les trous comblés, ce sera une terre épaisse attends-toi à des mottes résistantes, à des entredos solides, et emploie, pour briser la terre, des taureaux vigoureux.Quant à la terre salée, et, comme on dit, amère, inféconde en moissons (car elle ne sadoucit pas au labour [2,240] et ne conserve ni son caractère à Bacchus, ni leur renom aux fruits), voici le moyen de la reconnaître : détache de tes toits enfumés des paniers dosier serré et des tamis de pressoir; que cette terre mauvaise y soit foulée jusquaux bords avec une eau douce de source : toute leau sans doute sy frayera un passage avec peine, et ses larges gouttes passeront à travers les mailles de losier; mais sa saveur te servira dindice infaillible et son amertume fera faire la grimace à ceux qui la goûteront.
Il en est de même de la terre grasse; nous la reconnaissons aux marques suivantes : jamais elle ne sen va en poussière en passant de main en main, [2,250] mais, à la manière de la poix, elle sattache aux doigts qui la manient. Une terre humide nourrit des herbes assez hautes, et delle-même elle est plus féconde que de juste. Ah ! puissent vos champs ne pas connaître cette fertilité-là et ne pas révéler leur force aux premiers épis ! La terre qui est lourde se trahit delle-même par son seul poids; et celle qui est légère également. Il est facile de discerner à loeil celle qui est noire ou dune autre couleur. Mais son froid meurtrier est difficile à repérer, seuls les résineux et les ifs malfaisants ou les lierres noirs quelquefois en décèlent les traces.
Culture de la vigne [2,259-419]
Plantation du vignoble; défonçage, transplantation, disposition des plants, profondeur des fosses [2,259-297]
Ces observations faites, souviens-toi, longtemps avant denfouir un plan de vigne producteur, [2,260] de cuire la terre, de couper de tranchées les grandes montagnes, et dexposer les mottes retournées à lAquilon. Les terrains dont le sol est meuble sont les meilleurs : cest laffaire des vents, des gelées blanches, et du robuste vigneron qui remue en tous sens les arpents. Mais le cultivateur vigilant qui na rien négligé cherche un terrain semblable pour y préparer dabord une pépinière et disposer ensuite son plant, de peur que les sujets, brusquement transplantés, ne puissent pas oublier leur mère; de plus, ils marquent sur lécorce la direction du ciel, [2,270] de manière que chacun retrouve son exposition, celui-ci le côté qui recevait les chaleurs de lAuster, celui-là le côté qui était tourné vers le pôle : tant lacclimatation a dimportance pour les sujets tendres !Vaut-il mieux planter la vigne sur des collines ou dans une plaine ? cest ce que tu dois dabord examiner. Si tu établis ton champ dans une grasse campagne, plante en rangs serrés : si serrés quils soient, Bacchus ne les fera pas plus lentement prospérer. Si, au contraire, tu choisis les pentes dun terrain ondulé ou le dos des collines, sois large pour tes rangs; mais quen tout cas lalignement exact de tes ceps laisse entre eux des intervalles égaux et symétriques. Telle, au cours dune grande guerre, [2,280] on voit souvent la légion déployer au loin ses cohortes, larmée faire halte dans une plaine découverte, les fronts de bataille saligner, et toute la terre au loin ondoyer sous léclat de lairain; lhorrible mêlée nest point encore engagée, mais Mars hésitant erre entre les deux armées. Que les allées soient toutes de dimensions égales, non pour que leur perspective repose seulement lesprit, mais parce quautrement la terre ne fournira pas à tous les ceps une somme égale de forces et que les rameaux ne pourront sétendre dans lair libre.
Peut-être veux-tu savoir quelle profondeur doivent avoir les fosses. Joserais confier la vigne même à un mince sillon; [2,290] larbre plus élevé est profondément enfoncé dans la terre, le chêne vert surtout, dont la tête sélève autant vers les brises éthérées que sa racine senfonce vers le Tartare. Aussi ni les hivers, ni les ouragans, ni les pluies ne le déracinent : il demeure immobile, et sa durée en se déroulant triomphe de bien des postérités et de bien des générations dhommes. Alors il étend au loin ses rameaux puissants et ses bras, à droite et à gauche, et son tronc supporte un immense ombrage.
Autres précautions à prendre : éviter de planter des oliviers entre les vignes, de planter la vigne quand il gèle; le printemps est pour ce travail la meilleure saison [2,298-322]
Que tes vignobles ne soient pas tournés vers le soleil couchant; ne plante pas le coudrier parmi tes vignes; [2,300] ne tire pas la pointe des surgeons ni ne casse des plants au sommet de larbre (tant il a damour pour la terre !); ne blesse pas dun fer émoussé les rejetons; ne greffe pas entre les intervalles des oliviers sauvages. Car souvent dimprudents bergers laissent tomber du feu, qui, après avoir furtivement couvé sous lécorce grasse, saisit le coeur du bois, puis glissant jusquaux hautes frondaisons, fait retentir le ciel dun énorme fracas; puis, poursuivant sa course de rameau en rameau et de cime en cime, il règne en vainqueur, enveloppe de ses flammes le bocage tout entier et pousse vers le ciel une nuée épaisse de noire fumée, [2,310] surtout si la tempête soufflant du haut du ciel sest abattue sur les bois et si le vent augmente et propage lincendie. Dès lors les vignes sont détruites dans leur souche, le tranchant du fer ne peut les rendre à la vie, ni les faire reverdir, telles quelles étaient sur ce fonds de terre : le stérile olivier sauvage survit seul avec ses feuilles amères.Que personne, si avisé quil soit, ne te persuade de retourner la terre encore raidie du souffle de Borée ; Lhiver alors clôt les campagnes de son gel, et ne permet pas à la marcotte que tu as plantée de pousser dans la terre sa racine congelée. La meilleure saison pour planter les vignobles, [2,320] cest lorsquau printemps vermeil arrive loiseau blanc odieux aux longues couleuvres, ou vers les premiers froids de lautomne, quand le soleil dévorant na pas encore atteint lhiver avec ses chevaux, et que lété est déjà passé.
Hymne au printemps [2,323-345]
Oui, le printemps est utile aux frondaisons des bocages, le printemps est utile aux forêts; au printemps, les terres se gonflent et réclament les semences créatrices. Alors le Père tout-puissant, lÉther, descend en pluies fécondes dans le giron de sa compagne joyeuse, et, mêlé à son grand corps, de son grand suc nourrit tous les germes. Alors les fourrés impénétrables retentissent doiseaux mélodieux, et les grands troupeaux rappellent, aux jours marqués, Vénus; [2,330] le champ nourricier enfante et, sous les souffles tièdes de Zéphyr, les guérets entrouvrent leur sein; une tendre sève surabonde partout; les germes osent se confier sans crainte à des soleils nouveaux, et, sans redouter ni le lever des Autans, ni la pluie que chassent du ciel les puissants Aquilons, le pampre pousse ses bourgeons et déploie toutes ses frondaisons. Non ce ne furent pas dautres jours - je le croirais volontiers - qui éclairèrent le monde naissant à son origine première, ni une autre continuité de température : cétait le printemps, le printemps qui régnait sur limmense univers, et les Eurus ménageaient leurs souffles hivernaux, [2,340] quand les premiers animaux burent la lumière du jour, quand la race des hommes, race de fer, éleva sa tête au-dessus des guérets durs, et quand les bêtes furent lancées dans les forêts et les astres dans le ciel. Les tendres êtres ne pourraient supporter leur peine, si un répit aussi grand ne sétendait entre le froid et la chaleur et si lindulgence du ciel ne faisait bon accueil aux terres.
Soins exigés par les jeunes plants; la taille [2,346-370]
Au surplus, quels que soient les arbustes que tu plantes par les champs, couvre-les dun bon fumier et noublie pas de les cacher sous une épaisse couche de terre; ou dy enfouir une pierre poreuse et de rugueux coquillages; car les eaux sinfiltreront dans les intervalles, [2,350] et lair subtil y pénétrera, et les plants seront ranimés. Il sest même trouvé des gens pour entasser sur le sol des pierres et des tessons dun poids énorme : cest une protection contre les pluies abondantes, et aussi contre la canicule ardente, qui fendille les guérets béants de soif.Une fois les boutures plantées, il reste à ramener bien souvent la terre autour des ceps, à la bêcher sans cesse avec de durs bidents ou à travailler le sol sous le soc quon enfonce, à diriger parmi les vignobles les taureaux récalcitrants; puis, à disposer les lisses roseaux, les baguettes dépouillées de leur écorce, les échalas de frêne et les bâtons fourchus, [2,360] pour que la vigne, forte de ces appuis, apprenne à mépriser les vents et à grimper détage en étage jusquau sommet des ormes.
Et, tant que ce premier âge grandit en ses nouveaux feuillages, il faut en épargner la tendreté; et alors même quelle sélance joyeuse dans les airs, lâchée à pleines guides dans lair pur, il ne faut point encore essayer sur elle le tranchant de la faucille, mais en émonder et en éclaircir le feuillage avec longle. Puis quand ses branches vigoureuses auront pris leur essor et enlaceront les ormes, alors coupe sa chevelure et taille ses bras : plus tôt, elles redoutent le fer; [2,370] alors exerce enfin ton dur empire et arrête lexubérance de ses rameaux.
Protection des vignes contre les bêtes nuisibles et surtout contre le bouc, que l'on immole à Bacchus [2,371-396]
Il faut aussi tresser des haies et tenir à lécart tout le bétail, surtout quand le feuillage est tendre encore et ignore les épreuves qui le guettent; car, en dehors des outrages de lhiver et de la toute-puissance du soleil, les buffles sauvages et les chevreuils voraces lui prodiguent les insultes, les brebis et les génisses avides sen repaissent. Ni les frimas avec leurs gelées blanches qui durcissent le sol, ni lété lourd, pesant sur les rocs desséchés, ne lui sont aussi nuisibles que les troupeaux, et le venin de leur dent dure, et la cicatrice que leur morsure imprime sur une souche. [2,380] Ce nest point pour une autre faute quon immole un bouc à Bacchus, sur tous ses autels, que des jeux antiques envahissent la scène, que les Théséides proposèrent des prix aux talents, en allant de bourg en bourg et de carrefour en carrefour, et quon les vit tout joyeux, entre deux rasades, sauter dans les molles prairies par-dessus des outres huilées. De même les paysans Ausoniens, race envoyée de Troie, jouent à des vers grossiers, en riant à gorge déployée, prennent de hideux masques décorce creusée, tinvoquent, Bacchus, par des chants dallégresse, et suspendent en ton honneur au haut dun pin des figurines dargile. [2,390] Dès lors tout le vignoble donne des fruits à foison; ils emplissent le creux des vallons et les fourrés profonds et tous les lieux où le dieu montre sa tête vénérable. Donc et selon le rite, nous dirons lhonneur qui est dû à Bacchus en chantant les cantiques de nos pères, et nous lui porterons des plats et des gâteaux sacrés; conduit par la corne, le bouc sacré se tiendra près de lautel, et nous rôtirons ses grasses entrailles sur des broches de coudrier.
La vigne même adulte réclame des soins continus [2,397-419]
Il y a encore, parmi les soins dus aux vignes, un autre travail, et qui nest jamais épuisé : il faut en effet trois ou quatre fois lan fendre tout le sol, et en briser éternellement les mottes avec le revers des bidents; il faut soulager tout le vignoble de son feuillage. Le travail des laboureurs revient toujours en un cercle, et lannée en se déroulant le ramène avec elle sur ses traces. Le jour même où la vigne a vu tomber ses tardives frondaisons et où lAquilon a dépouillé les forêts de leur parure, [2,400] ce jour-là lactif vigneron étend ses soins à lannée qui vient, et, la dent recourbée de Saturne à la main, il continue de tailler la vigne et la façonne en lémondant. Sois le premier à creuser le sol, le premier à brûler les sarments mis au rebut, le premier à rentrer les échalas au logis; [2,410] sois le dernier à vendanger. Deux fois leur ombrage menace les vignes; deux fois les herbes étouffent la récolte de leurs épaisses broussailles : dur labeur de part et dautre. Fais léloge des vastes domaines, cultives-en un petit. Il faut encore couper dans la forêt les branches épineuses du houx, et sur ses rives le roseau fluvial; et il y a les pénibles soins que demande la saulaie inculte. Maintenant les vignes sont liées; maintenant les arbustes laissent reposer la serpe; maintenant le vigneron, au bout de ses rangées, chante la fin de ses peines. Pourtant il lui faut encore tourmenter la terre, la réduire en poussière, et, bientôt, craindre Jupiter pour les raisins mûrs.
Culture des oliviers et des autres arbres
[2,420-457]
Moins pénible que la viticulture est la culture de l'olivier, des arbres fruitiers, et des essences forestières, qui sont si utiles à l'homme [2,420-457]
[2,420] Les oliviers, au contraire, ne demandent pas de culture; ils nattendent rien de la serpe recourbée ni des hoyaux tenaces, quand une fois ils ont pris au sol et affronté les brises. La terre, entrouverte au crochet, fournit delle-même aux plantes une humidité suffisante et, retournée par le soc, des fruits lourds. Nourris donc le gras olivier, agréable à la Paix.De même les arbres fruitiers, dès quils ont senti leurs troncs vigoureux et quils sont maîtres de leurs forces, sélancent rapidement vers les astres par leur propre vertu et nont pas besoin de notre aide. Dailleurs il nest point de bocage qui ne se charge de fruits, [2,430] et de fourrés incultes qui ne rougissent de baies sanglantes; les cytises sont broutés; la haute forêt fournit des résineux, pâture des feux nocturnes qui répandent la lumière. Et les hommes hésiteraient à planter des arbres et à y consacrer leurs soins !
Pourquoi chercherai-je plus haut mes exemples ? Les saules et les humbles genêts offrent aux troupeaux leur feuillage, aux bergers leur ombrage, et des haies pour les plantations, et la pâture de leur miel. Il plaît de regarder le Cytore, ondoyant sous le buis et les bois sacrés de larbre à poix de Naryce; il plait de voir des champs qui nont jamais été exposés aux hoyaux et à lindustrie de lhomme. [2,440] Même les forêts stériles, au sommet du Caucase, que les Eurus, déchaînés sans cesse, brisent et emportent, donnent chacune ses produits; elles donnent un bois utile : pour les vaisseaux, les pins; pour les maisons le cèdre et les cyprès. Les cultivateurs en tirent de quoi façonner des rayons pour leurs roues, des tympans pour leurs chariots et des carênes pansues pour les navires. Les saules sont fertiles en tiges souples, les ormes en frondaisons; le myrte et le cornouiller, bon à la guerre, en solides javelots; les ifs sont tordus en arcs Ituréens. Il nest jusquaux lisses tilleuls et au buis facile à tourner [2,450] qui ne reçoivent une forme et ne se laissent creuser par le fer pointu. Laulne léger, lancé dans le Pô, flotte sur londe tournoyante; et les abeilles cachent leurs essaims sous les écorces creuses et dans le tronc pourri dune yeuse. Quel bienfait digne dêtre autant célébré nous ont apporté les dons de Bacchus ? Bacchus a même donné des prétextes au crime cest lui qui dompta pour la mort les Centaures furieux, et Rhétus, et Pholus, et Hylée menaçant les Lapithes de son grand cratère.
Finale : Éloge de la vie champêtre [458-542]
Bonheur des paysans [2,458-474]
O trop fortunés, sils connaissaient leurs biens, les cultivateurs ! Eux qui, loin des discordes armées, [2,460] voient la très juste terre leur verser de son sol une nourriture facile. Sils nont pas une haute demeure dont les superbes portes vomissent tous les matins un énorme flot de clients venus pour les saluer; sils ne sont pas ébahis par des battants incrustés dune belle écaille, ni par des étoffes où lor se joue, ni par des bronzes dÉphyré; si leur laine blanche nest teinte du poison dAssyrie, ni corrompue de cannelle lhuile limpide quils emploient; du moins un repos assuré, une vie qui ne sait point les tromper, riche en ressources variées, du moins les loisirs en de vastes domaines, les grottes, les lacs deau vive, du moins les frais Tempé, [2,470] les mugissements des boeufs et les doux sommes sous larbre ne leur sont pas étrangers. Là où ils vivent sont les fourrés et les repaires des bêtes sauvages, une jeunesse dure aux travaux et habituée à peu, le culte des dieux et le respect des pères; cest chez eux quen quittant les terres la Justice laissa la trace de ses derniers pas.
Le poète aspire à vivre à la campagne [2,475-489]
Pour moi, veuillent dabord les Muses, dont la douceur, avant tout menchante et dont je porte les insignes sacrés dans le grand amour que je ressens pour elles, accueillir mon hommage et me montrer les routes du ciel et les constellations, les éclipses variées du soleil et les tourments de la lune; doù viennent les tremblements de terre; quelle force enfle les mers profondes [2,480] après avoir brisé leurs digues, puis les fait retomber sur elles-mêmes; pourquoi les soleils dhiver ont tant de hâte à se plonger dans locéan ou quel obstacle retarde les nuits lentes. Mais si, pour mempêcher daborder ces mystères de la nature, un sang froid coule autour de mon coeur, puissent du moins me plaire les campagnes et les ruisseaux qui coulent dans les vallées et puissé-je aimer sans gloire les fleuves et les forêts ! Oh ! où sont les plaines, et le Sperchéus, et le Taygète où mènent leurs bacchanales les vierges de Laconie ! Oh ! qui me pourrait mettre dans les vallées glacées de lHémus, et me couvrir de lombre épaisse des rameaux !
Calme et pureté de la vie rurale [2,490-540]
[2,490] Heureux qui a pu connaître les causes des choses et qui a mis sous ses pieds toutes les craintes, et linexorable destin, et le bruit de lavare Achéron ! Mais fortuné aussi celui qui connaît les dieux champêtres, et Pan, et le vieux Silvain, et les Nymphes soeurs ! Celui-là, ni les faisceaux du peuple, ni la pourpre des rois ne lont fléchi, ni la discorde poussant des frères sans foi, ni le Dace descendant de lIster conjuré, ni les affaires de Rome, ni les royaumes destinés à périr; celui-là ne voit autour de lui ni indigents à plaindre avec compassion, ni riches à envier. [2,500] Les fruits que donnent les rameaux, ceux que donnent delles-mêmes les bienveillantes campagnes, il les cueille sans connaître ni les lois dairain ni le forum insensé ni les archives du peuple.Dautres, avec des rames, tourmentent les flots aveugles, se ruent contre le fer et pénètrent dans les cours et les palais des rois; lun conspire la destruction dune ville et de malheureux pénates, pour boire dans une gemme et dormir sur la pourpre de Sarra; lautre enfouit ses richesses et couve lor quil a enterré; celui-ci reste en extase devant les rostres; celui-là demeure bouche bée devant les applaudissements qui parcourent redoublés les gradins de la plèbe et ceux des sénateurs; [2,510] dautres se plaisent à se baigner dans le sang de leurs frères, échangent contre lexil leurs demeures et leurs seuils si doux, et recherchent une patrie située sous dautres cieux. Le laboureur fend la terre de son areau incurvé : cest de là que découle le labeur de lannée; cest par là quil sustente sa patrie et ses petits enfants, ses troupeaux de boeufs et ses jeunes taureaux qui lont bien mérité. Pour lui, point de relâche, quil nait vu lannée regorger de fruits, ou accroître son bétail, ou multiplier le chaume cher à Cérès, et son sillon se charger dune récolte sous laquelle saffaissent ses greniers. Vient lhiver : les pressoirs broient la baie de Sicyone; [2,520] les cochons rentrent engraissés de glandée; les forêts donnent leurs arbouses, et lautomne laisse tomber ses fruits variés, et là-haut, sur les rochers exposés au soleil, mûrit la douce vendange. Cependant ses enfants câlins suspendus à son cou se disputent ses baisers; sa chaste demeure observe la pudicité; ses vaches laissent pendre leurs mamelles pleines de lait, et ses gros chevreaux, cornes contre cornes, luttent entre eux sur le riant gazon. Lui aussi a ses jours de fête, où, allongé sur lherbe, tandis quau milieu brûle un feu sacré et que ses compagnons couronnent les cratères, il tinvoque, Lénéen, avec une libation, [2,530] puis invite les gardiens du troupeau à lancer un rapide javelot sur la cible dun orme et à dépouiller leurs corps rudes pour la palestre champêtre.
Telle est la vie que menèrent jadis les vieux Sabins, telle fut celle de Rémus et de son frère. Ainsi assurément grandit la vaillante Étrurie; ainsi Rome devint la merveille du monde et seule dans son enceinte renferma sept collines. Même avant que le roi du Dicté eût pris en main le sceptre, et avant quune race impie se fût nourrie de la chair des taureaux égorgés, telle fut la vie que menait sur les terres Saturne dor : on navait point alors entendu encore souffler dans les clairons, [2,540] ni sur les dures enclumes crépiter les épées.
Fin du chant [2,541-542]
Mais nous avons fourni une immense carrière, et voici quil est temps de détacher du joug les cols fumants des chevaux.
Traductions françaises : sur la BCS - sur la Toile
Virgile : Énéide - Bucoliques
Géorgiques : Chant I - Chant II (et Hypertexte louvaniste) - Chant III - Chant IV
[Dernière intervention : 13 novembre 2002]