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Catulle : Pièces I à LX (hypertexte louvaniste) - Pièces LXI à LXIV - Pièces LXV à CXVI

MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


Catulle - Poésie

Pièces I à LX


I -II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI -

XII - XIII - XIV - XV - XVI - XVII -

XXI - XXII - XXIII - XXIV - XXV - XXVI - XXVII - XXVIII - XXIX - XXX

XXXI - XXXII - XXXIII - XXXIV - XXXV - XXXVI - XXXVII - XXXVIII - XXXIX - XL -

XLI - XLII - XLIII - XLIV - XLV - XLVI - XLVII - XLVIII - XLIX - L -

LI - LII - LIII - LIV -LV - LVI - LVII - LVIII - LIX - LX


Fondamentalement, cette traduction française est celle de M. Rat, Catulle. Oeuvres, Paris, 1931, disponible au format PDF sur le site Nimispauci de Ugo Bratelli, qui nous a aimablement permis de le reproduire et que nous remercions ici. Le texte français a été mis au format Word, sans modifications substantielles, abstraction faite de quelques corrections orthographiques et d'une adaptation des numéros des pièces pour mieux suivre la présentation de The Latin Library.

Dans son édition, M. Rat avait entouré de crochets droits [ ] la traduction "édulcorée" de certains termes latins qu'il estimait probablement un peu crus. Les crochets droits étant ici réservés aux références, nous avons utilisé les astérisques * * pour indiquer ces passages.

La présente traduction s'intègre dans le vaste projet louvaniste des Itinera Electronica, et en particulier dans la rubrique Hypertextes, où l'oeuvre de Catulle recevra sous peu sa place. Les possibilités de cette réalisation "Hypertextes" sont multiples ; non seulement elle permet une lecture de l'oeuvre avec le texte latin et la traduction française en regard, mais elle donne également accès à un riche ensemble d'outils lexicographiques et statistiques très performants.


I. À Cornélius

À qui dédier ce nouveau et charmant petit livre, qu'une sèche pierre ponce vient de polir ? À toi, Cornelius, à toi qui attachais déjà quelque prix à ces bagatelles, [5] alors que tu osas, le premier en Italie, dérouler en trois volumes toute l'histoire des âges, oeuvre savante, par Jupiter ! et laborieuse ! Accepte donc ce livre et tout ce qu'il contient, quel qu'en soit le mérite. Et toi, Vierge protectrice, [10] fais qu'il vive plus d'un siècle dans la postérité.

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II. Au moineau de Lesbie

Moineau, délices de mon amante, compagnon favori de ses jeux, toi qu'elle met sur son sein, toi à qui elle donne le bout de son doigt à baiser, et dont elle provoque les ardentes morsures, [5] lorsqu'elle s'efforce, - elle, mon doux désir, - par je ne sais quels tendres ébats, de soulager un peu sa douleur ; puissé-je jouer avec toi comme elle et alléger ainsi les peines de mon âme triste.

II b

J'en éprouverai autant de douceur qu'en eut, dit-on, la jeune fille agile, de la pomme d'or qui lui fit délier sa ceinture depuis longtemps nouée.

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III. Il déplore la mort du moineau

Pleurez, Vénus, Amours, et vous tous, tant que vous êtes, hommes qui aimez Vénus ! Le moineau de mon amante est mort, le moineau, délices de mon amante, [5] lui qu'elle aimait plus que ses propres yeux ! Il était aussi doux que le miel, il connaissait sa maîtresse comme une petite fille connaît sa mère ; il ne quittait jamais son giron, mais sautillant tantôt par-ci, tantôt par-là, [10] pour elle seule il pépiait sans cesse ! Et maintenant, il va par la route ténébreuse au pays d'où l'on dit que ne revient personne. Ah ! maudites soyez-vous, males ténèbres d'Orcus, qui dévorez tout ce qui est joli ; [15] il était si joli le moineau que vous m'avez enlevé ! O malheur ! pauvre petit moineau ! c'est pour toi que maintenant les beaux yeux de mon amie sont gonflés et tout rouges de larmes !

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IV. Dédicace d'un canot

Ce canot que vous voyez, passants, fut, à l'entendre, le plus rapide des navires. Jamais aucun vaisseau ne put le devancer de son étrave, soit que les voiles, [5] soit que les rames le fissent voler sur l'onde. Il vous défie de le nier, rivages de l'Adriatique menaçant, îles Cyclades, illustre Rhodes, horrible Propontide de Thrace, et vous, golfe sauvage du Pont : [10] oui, les sommets du Cytore ont souvent retenti du sifflement de sa sonore chevelure ! Amastris du Pont, Cytore couronné de buis, vous avez connu, dit le canot, vous connaissez encore cette histoire. [15] Dès l'origine du monde il se dressait, dit-il, sur vos rives, il plongeait ses rames dans vos flots. C'est de là qu'à travers tant de mers en furie, il a porté son maître, soit que le vent l'appelât à gauche ou à droite, [20] soit que Jupiter propice vînt frapper d'un coup ses deux flancs. Jamais on ne fit de voeux pour lui aux dieux des rivages, quand il quitta la mer pour finir sur les bords de ce lac limpide. [25] Mais cela, c'est le passé ; maintenant, il vieillit dans une calme retraite, et se consacre à toi, Castor jumeau, à toi, jumeau de Castor.

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V. À Lesbie

Vivons, ma Lesbie, et aimons-nous ; et moquons-nous comme d'un as des murmures de la vieillesse morose. Le soleil peut mourir et renaître ; [5] nous, lorsqu'une fois est morte la flamme brève de la vie, il nous faut tous dormir dans la nuit éternelle. Donne-moi mille baisers, et puis cent ; puis mille autres, et puis cent ; puis encore mille autres, et puis cent ; [10] puis, après des milliers de baisers, nous en brouillerons le compte pour ne plus le savoir et pour qu'un méchant ne puisse nous jeter un sort en sachant lui aussi le compte de nos baisers !

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VI. À Flavius

Flavius, si celle qui fait tes délices ne manquait ni de charme ni de grâce, tu voudrais le dire à Catulle, tu ne pourrais te taire. Mais tu aimes je ne sais quelle [5] catin débauchée, et c'est cela que tu as honte d'avouer. Car tes nuits ne se passent pas dans le veuvage ; ton lit a beau être muet, il le crie, et les guirlandes, l'huile de Syrie qui le parfume, ces carreaux, ces coussins [10] foulés l'un et l'autre, les craquements de cette couche défoncée et mobile, tout révèle ces stupres que vainement, bien vainement, tu essaies de me cacher. Pourquoi ? Parce que tu ne bomberais pas un torse si vidé, si tu ne faisais pas d'inepties. [15] Ainsi, dis-moi ta bonne ou ta mauvaise fortune. Je veux vous porter aux nues, toi et tes amours, dans de jolis vers.

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VII. À Lesbie

Tu me demandes combien de tes baisers il faudrait, Lesbie, pour que j'en aie assez et plus qu'assez ? Autant de grains de sable en Libye couvrent le sol parfumé de Cyrène, [5] entre l'oracle de Jupiter brûlant et le tombeau desséché de l'antique Battus ; autant d'astres, dans le silence nocturne, voient les furtives amours des mortels, qu'il faudrait [10] à ton fou de Catulle de baisers de ta bouche pour en avoir assez et plus qu'assez. Ah ! puisse leur nombre échapper au calcul des curieux et aux charmes de la méchante langue !

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VIII. À lui-même

Malheureux Catulle, mets un terme à ton ineptie ; ce que tu vois perdu, tiens-le pour perdu. D'éblouissants soleils brillèrent jadis pour toi, lorsque tu accourais aux fréquents rendez-vous [5] d'une femme chère à nos coeurs comme aucune ne le sera jamais ; heureux moments ! signalés par tant d'ébats joyeux : ce que tu voulais, ton amante le voulait aussi. Oh ! oui, d'éblouissants soleils brillèrent pour toi ! mais maintenant, elle ne veut plus ; toi-même, faible coeur, cesse de vouloir ; [10] ne poursuis pas une amante qui fuit ; ne fais pas le malheur de ta vie. Adieu, femme ! déjà Catulle endurcit son âme ; il n'ira pas te chercher ni te prier quand tu le repousses. Toi aussi, tu pleureras, lorsque personne ne te priera plus ! [15] Scélérate, sois maudite ! Quel sort t'est réservé ? Qui, maintenant, te recherchera ? Qui te trouvera jolie ? Qui aimeras-tu maintenant ? De quel homme va-t-on dire que tu es la conquête ? Pour qui tes baisers ? De qui vas-tu mordre les lèvres ?... Mais toi, Catulle, tiens bon et endurcis ton âme !

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IX. À Veranius

Veranius, de tous nos amis le plus cher et le premier de beaucoup, es-tu de retour chez toi auprès de tes Pénates, de tes frères qui ne font qu'un, et de ta vieille mère ? [5] Oui, tu es de retour ! Oh ! pour moi quelle heureuse nouvelle ! Je vais te revoir sain et sauf, je vais entendre ces récits, où, comme tu sais le faire, tu nous peindras les contrées de l'Hibérie, son histoire, et ses peuples. Et, te prenant par le cou, je baiserai ton aimable visage et tes yeux. [10] O vous, tant que vous êtes, heureux mortels, en est-il parmi vous de plus joyeux, de plus heureux que moi !

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X. À la catin de Varus

Mon ami Varus m'ayant vu oisif au Forum m'avait entraîné chez l'objet de ses amours, - une petite catin qui, au premier coup d'oeil, ne me parut dénuée ni de charmes ni de grâces. [5] À peine entrés, la conversation tomba sur différents sujets, entre autres sur la Bithynie : - Quel était ce pays, sa situation actuelle ? Mon voyage m'avait-il été profitable ? - Je répondis, ce qui était vrai, [10] que ni les préteurs eux-mêmes ni leur cour n'en rapportaient le moyen de mieux parfumer leur tête ; surtout ceux qui avaient pour préteur un homme perdu de débauche et qui se souciait de sa cour comme d'un poil de sa barbe. - Cependant les porteurs les plus renommés [15] viennent de ce pays, et l'on assure que tu t'en es procuré pour ta litière. - Moi, afin de passer aux yeux de la fille pour plus heureux que les autres - Le destin, lui dis-je, ne m'a pas été si méchant dans la misérable province qui a été mon lot, [20] que je n'aie pu me procurer huit robustes porteurs. (Or, je n'en avais aucun, ni ici ni là-bas, qui fût capable de charger sur ses épaules le pied brisé d'un vieux grabat.) Alors la fille, avec l'effronterie qui sied aux courtisanes : - [25] Je t'en prie, dit-elle, mon cher Catulle, prête-les-moi un peu : je veux me faire porter au temple de Sérapis. - Un moment, ai-je dit à la fille ; je ne sais comment j'ai pu te dire qu'ils étaient à moi. [30] C'est Gaius Cinna, mon compagnon de voyage, qui les a ramenés. Au reste, qu'ils soient à lui ou à moi, que m'importe ? Je m'en sers comme si c'était moi qui les eusse ramenés. Mais c'est bien sot à toi et bien gênant de ne pas permettre aux gens la moindre distraction.

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XI. À Furius et Aurelius

Furius et Aurélius, compagnons de Catulle, soit qu'il pénètre jusqu'aux extrémités de l'Inde dont les rivages retentissent au loin, battus par les flots de la mer Orientale ; [5] soit qu'il parcoure l'Hyrcanie et la molle Arabie, ou le pays des Sages et celui des Parthes armés de flèches, ou les bords du Nil qui par sept embouchures va colorer les ondes ; soit que franchissant les hautes cimes des Alpes, [10] il aille voir les trophées du grand César, le Rhin gaulois ou les Bretons sauvages qui habitent aux confins du monde ; vous qui êtes prêts à partager mes dangers partout où me conduira la volonté des dieux, [15] portez à mon amante ces brèves paroles dépourvues de douceur : - Qu'elle vive et se complaise au milieu de cette foule de galants qu'elle enlace en même temps sans en aimer aucun sincèrement, mais en brisant leurs vies [20] à tous successivement. Seulement qu'elle ne compte plus, comme autrefois, sur mon amour, sur cet amour qui est mort par sa faute, comme la fleur sur le bord d'un pré qu'a touchée en passant la charrue.

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XII. Contre Asinius

Asinius le Marrucin, tu n'as pas la main gauche au milieu de la gaieté et du vin : tu voles leurs mouchoirs aux convives distraits. Tu trouves peut-être cela plaisant ? Tu te trompes, sot que tu es : [5] rien n'est plus bas ni plus ignoble. Tu ne me crois pas ? Crois-en Pollion, ton frère, qui donnerait jusqu'à un talent pour effacer le souvenir de tes larcins : car il est, lui, bon juge en matière de goût et de plaisanteries. [10] Aussi ou attends-toi à des milliers d'hendécasyllabes ou renvoie-moi mon mouchoir. Ce n'est pas sa valeur qui me le fait regretter ; mais c'est un souvenir d'amitié ; c'est un de ces mouchoirs de Saetabis, [15] présent de Fabullus et de Veranius, qui me les ont envoyés d'Hibérie ; je dois les aimer comme j'aime mon Veranius chéri et Fabullus.

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XIII. À Fabullus

Quel bon souper, mon cher Fabullus, tu feras chez moi dans quelques jours, si les dieux te sont favorables, si tu apportes avec toi des mets délicats et nombreux, sans oublier une blanche jeune femme, [5] des vins, de l'esprit et toute la troupe des ris ; - si, dis-je, tu apportes tout cela, ami charmant, tu feras un bon souper ; car la bourse de ton pauvre Catulle n'est pleine que de toiles d'araignée. Mais en échange tu recevras les témoignages d'une amitié sincère [10] et ce qui est plus suave, plus élégant que tout : car je t'offrirai un parfum dont les Vénus et les Amours ont fait don à mon amante ; quand tu le respireras, tu prieras les dieux, Fabullus, de te rendre tout nez.

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XIV. À Calvus Licinius

Si je ne t'aimais plus que mes yeux, délicieux Calvus, pour prix d'un pareil présent je te haïrais d'une haine vatinienne. Qu'ai-je fait, moi, qu'ai-je dit, [5] pour que tu m'assassines de tant de mauvais poètes ? Que les dieux accablent de maux celui de tes clients qui t'envoya tant d'ouvrages sacrilèges. Si, comme je le soupçonne, c'est le grammairien Sulla qui t'a fait ce cadeau, aussi neuf que piquant, [10] je n'y vois aucun mal : au contraire, je trouve bon et heureux que tes travaux ne soient pas perdus. Grands dieux ! quel horrible, quel exécrable livre tu as envoyé à ton pauvre Catulle, pour l'en faire mourir sur-le-champ [15] dans un aussi beau jour que celui des Saturnales ! Mauvais plaisant, tu n'en seras pas quitte à si bon compte : car demain, au point du jour, je cours bouleverser les boîtes des libraires : les Caesius, les Aquinus, Suffenus et autres poisons, je les raflerai tous [20] et te rendrai supplice pour supplice. Vous, en attendant, adieu, retournez tous d'où vous êtes venus à la malheure, fléau du siècle, poètes exécrables.

XIV b

Si par hasard vous lisez mes folies et si vous ne redoutez pas d'approcher de moi vos mains...

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XV. À Aurelius

Je me recommande à toi, Aurelius, moi et mes amours : la faveur que je te demande est raisonnable ; et si jamais ton âme conçut le désir de trouver pur et intact l'objet de tes feux, [5] préserve de toute atteinte l'enfant que je te confie. Ce n'est pas la foule des galants que je veux dire, je crains peu ces hommes qui passent et repassent sur une place tout occupés de leur affaire ; non, c'est toi seul que je crains, toi et ton membre [10] fatal à tous les enfants, purs ou impurs. Agite-le où il te plaira, comme il te plaira et tant que tu voudras, lorsqu'il sera dehors et prêt pour le plaisir ; - je n'excepte que mon petit, voeu je crois, raisonnable. Mais si tes mauvais penchants, si une insane fureur [15] te poussent, scélérat, jusqu'à attenter à ma vie, alors, misérable, malheur à toi ! On t'écartera les pieds, et, par la porte ouverte, on fera courir les raiforts et les muges.

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XVI. À Aurelius et Furius

*Je vous donnerai des preuves de ma virilité*, giton d'Aurelius et complaisant Furius, vous qui, pour quelques versiculets un peu libres, m'avez accusé de manquer à la pudeur. [5] Sans doute le poète pieux doit être chaste dans sa vie ; dans des versiculets, ce n'est pas nécessaire, car enfin ils n'ont sel ni charme que s'ils sont un peu libres, s'ils manquent à la pudeur, et s'ils peuvent exciter le prurit, [10] je ne dis pas chez les petits garçons, mais chez les vieillards velus qui ne peuvent plus mouvoir leurs reins engourdis. Vous avez lu ces vers où je parle de plusieurs milliers de baisers, et vous me croyez incapable d'être mâle : *je vous donnerai des preuves de ma virilité*.

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XVII. À la colonie

O colonie, qui désires jouer sur ton pont si long et te tiens prête à y danser, les jambes mal assurées de ce pont qui chancelle te font craindre qu'il ne tombe sur le dos et ne se couche dans le marais profond. [5] Puisse, au gré de tes voeux, s'élever à sa place un pont solide, où les Saliens eux-mêmes puissent faire leurs bonds sacrés ; mais avant, fais-moi jouir d'un spectacle qui me fera bien rire ! Je veux qu'un mien voisin tombe de ton pont dans la vase, qu'il s'y embourbe de la tête aux pieds, [10] dans l'endroit le plus verdâtre de l'infect marais, là où le gouffre est le plus profond. L'homme en question est un sot fieffé, n'ayant pas plus de sens qu'un marmot de deux mois qui dort bercé dans les bras de son père. Il est marié à une jeune femme dans la fleur de l'âge, - [15] jeune femme plus délicate qu'un tendre petit chevreau et dont la garde réclame plus de soins que les raisins bien noirs ; eh bien ! il la laisse folâtrer à sa guise, il s'en soucie comme d'un poil de sa barbe et, couché auprès d'elle, il ne bouge de sa place. Semblable à un arbre qui gît dans un fossé, abattu par la hache du Ligure, [20] tel, et aussi insensible aux charmes de sa femme que si elle n'était pas à ses côtés, mon nigaud ne voit rien, n'entend rien ; il ne sait même pas de quel sexe il est et s'il existe ou non. Voilà l'homme que je veux aujourd'hui lancer du haut de ton pont la tête en bas, pour secouer, s'il se peut, sa torpeur d'abruti, [25] pour laisser son engourdissement dans la lourde fange du marais, comme, dans un bourbier gluant, la mule laisse son sabot ferré.

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 XVIII - XIX - XX

(pièces absentes des manuscrits)


XXI. À Aurelius

Aurelius, père des famines, non seulement de celles d'aujourd'hui, mais de toutes celles qui furent, qui sont ou qui seront dans les autres années, tu veux prendre l'objet de nos amours, [5] et tu ne t'en caches pas ; car tu restes avec lui, tu joues avec lui, tu enveloppes sa hanche, tu fais tout pour l'avoir. Peine perdue ! avant que puissent réussir les embûches que tu me dresses, je te préviendrai et *tu auras des preuves de ma virilité*. [10] Encore, si tu avais le ventre plein en faisant cela, je me tairais ; mais ce qui m'afflige le plus, c'est qu'avec toi mon petit ne peut, hélas ! qu'apprendre à mourir de faim et de soif. Renonce donc à tes desseins, si tu le peux encore avec honneur ; ou c'est *l'outrage* qui y mettra fin.

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XXII. À Varus

Ce Suffenus que tu connais bien, Varus, est un charmant homme, discret, plein d'urbanité, et qui fait aussi beaucoup plus de vers que personne. Je crois qu'il en a écrit dix mille et plus, [5] et non point reportés comme tant d'autres sur des palimpsestes, mais sur papier royal, livres neufs, cylindres neufs, courroies couleur de pourpre du parchemin, - le tout réglé à la mine de plomb et poli avec la pierre ponce. Mais si tu lis ses vers, ce joli [10] Suffenus si plein d'urbanité te semble au contraire un chevrier ou un terrassier : tant il est changé et méconnaissable ! Que faut-il en penser ? Ce même homme qui tout à l'heure nous semblait si plaisant ou, mieux encore, rompu à toutes les finesses, ce même homme est plus grossier qu'un rustre grossier [15] dès qu'il s'est mêlé de poésie ; ce même homme n'est jamais si heureux que lorsqu'il écrit un poème. Il est plein de contentement, il s'admire lui-même ! Tous sans doute, nous nous faisons illusion à nous-mêmes et il n'est personne de nous qui ne reflète un peu Suffenus. [20] Chacun a sa part d'erreur ; mais nous ne voyons pas, de la besace, ce qui est sur notre dos.

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XXIII. À Furius

Furius, toi qui n'as ni esclave, ni cassette, ni punaises, ni araignées, ni feu, mais un père et une belle-mère dont les dents pourraient broyer des cailloux ; [5] que ton sort est heureux avec un tel père et avec la femme de bois qu'a ton père ! Faut-il s'en étonner ? Vous vous portez bien tous les trois, vous digérez à merveille, vous ne redoutez rien, ni incendies, ni chutes de maisons, [10] ni tentatives de meurtre, ni empoisonnements perfides, ni aucun danger d'aucune sorte. Quoi ! parce que le soleil, le froid et la faim ont rendu vos corps plus secs que la corne et tout ce qu'il y a de sec au monde, [15] est-ce une raison pour ne pas te croire heureux et fortuné ? Sueur, salive, morve et mauvaise pituite au nez, tu ignores ces infirmités. À tous ces motifs de propreté s'en joint un plus grand encore : tu as le cul plus net qu'une salière, [20] car tu ne chies pas dix fois par an, et ce que tu chies est plus dur que fève et que caillou, tu pourrais le presser, le frotter dans tes mains, sans jamais te salir un doigt. Garde-toi donc, Furius, [25] de mépriser de si précieux avantages, ni d'en faire peu de cas, et perds l'habitude de demander cent mille sesterces : tu es assez heureux !

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XXIV. Au petit Juventius

O toi, la fleur des Juventius, non seulement de ceux d'aujourd'hui, mais de tous ceux qui furent ou qui seront plus tard dans les autres années, j'aimerais mieux pour mon compte que tu eusses donné de l'or à ce Midas [5] qui n'a ni esclave ni cassette que de te laisser aimer par un pareil gueux. - Quoi ! diras-tu, n'est-ce pas un fort joli homme ? - Oui, mais ce joli homme n'a ni esclave ni cassette. Méprise, dédaigne tant que tu voudras de tels avantages ; [10] il n'en est pas moins vrai qu'il n'a ni esclave ni cassette.

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XXV. À Thallus

*Complaisant* Thallus, plus mou qu'un poil de lapin, qu'un duvet d'oie, qu'un petit bout d'oreille, qu'un membre languissant de vieillard, qu'une sale toile d'araignée ; plus rapace aussi que l'ouragan déchaîné [5] quand la lune te montre les gens du vestiaire qui chancellent de sommeil, renvoie-moi le manteau que tu m'as volé, mon mouchoir de Saetabis et mes broderies Thyniennes que tu as la sottise de porter en public, comme si c'était un legs de tes ancêtres. Laisse-les s'échapper de tes ongles poisseux et renvoie-les-moi, [10] ou le fouet gravera de honteux stigmates sur tes petits flancs aussi doux que la laine et sur tes mains trop molles : alors tu bondiras comme tu n'en as point l'habitude, tel un frêle esquif surpris en pleine mer par un vent furieux.

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XXVI. À Furius

Furius, votre petite maison des champs n'est exposée ni aux souffles de l'Auster ni à ceux du Favonius, ni à ceux du cruel Borée, ni à ceux de l'Aphéliote, mais elle est hypothéquée pour quinze mille deux cents sesterces. [5] Oh ! l'horrible vent ! oh ! le fléau !

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XXVII. À l'enfant qui remplit les coupes

Enfant qui verses du vieux Falerne, remplis mes coupes d'un vin plus amer, comme l'ordonne la loi de Postumia, la législatrice de nos orgies, plus ivre qu'un grain de raisin ivre. [5] Et vous, allez-vous-en où bon vous semble, eaux, fléau du vin, émigrez chez les gens sévères. Ici le fils de Thyoné est servi pur.

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XXVIII. À Veranius et Fabullus

Compagnon de Pison, cohorte à la bourse vide, porteuse de légers petits bagages, excellent Veranius et toi, mon cher Fabullus, où en êtes-vous ? En avez-vous [5] assez du froid et de la faim supportés avec ce vaurien ? Quel gain avez-vous écrit sur vos tablettes ? votre dépense ? C'est ce qui m'arriva aussi, lorsqu'ayant suivi mon prêteur, je n'eus à porter en recette que l'argent que j'avais donné. O Memmius *comme tu t'es joué de moi, [10] comme tu m'as fait à loisir la victime de ton avarice !*. Mais d'après ce que je vois, tel a été votre sort : *vous avez été comme moi en butte aux plus indignes outrages !* Recherchez donc d'illustres amis ! [15] Et vous, opprobres de Romulus et de Rémus, puissent les dieux et les déesses vous envoyer tous les maux du monde !

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XXIX. Contre César

Quel est l'homme, s'il n'est un impudique, un goinfre et un pipeur, qui peut voir, qui peut souffrir qu'un Mamurra possède tous les trésors de la Gaule Chevelue et de la Bretagne où finit la terre ? [5] *Complaisant* Romulus, tu pourras le voir et le souffrir ! tu n'es qu'un impudique, un goinfre et un pipeur ! Jusques à quand, superbe et gorgé de richesses, ton favori, pareil au blanc ramier ou à un Adonis, promènera-t-il son corps de lit en lit ? *Complaisant* Romulus, tu pourras le voir et le souffrir ! [10] tu n'es qu'un impudique, un goinfre et un pipeur ! Général sans pareil, n'as-tu donc été dans l'île la plus lointaine de l'Occident que pour voir votre Mentula, tout épuisé de plaisir, manger vingt ou trente millions ? - [15] Qu'est-ce, sinon une prodigalité sinistre ? Il a dissipé peu de chose, englouti peu de chose ? Il a dilapidé d'abord son patrimoine ; puis, les dépouilles du Pont ; puis celles de l'Hibérie, bien connues du Tage aux flots d'or ! [20] Les Gaules et les Bretagnes le redoutent également ! Pourquoi réchauffez-vous un tel fléau ? Que peut-il faire, sinon dévorer de riches patrimoines, et vous, pour cela, vous avez bouleversé le monde, ô tout puissants maîtres de Rome, le beau-père et le gendre !

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XXX. À Alfenus

Alfenus ingrat, infidèle à tes dévoués camarades, tu es déjà sans pitié, cruel, pour ton doux ami caressant ; tu n'hésites pas même à me tromper, perfide, à me trahir ! Les habitants du ciel n'aiment pas la trahison des mortels impies : [5] tu t'en moques et me laisses, malheureux, à mes maux ! Hélas ! que peut-on faire désormais ? à qui se fier ? C'est toi pourtant qui m'engageais à livrer mon coeur, maître fourbe, m'entraînant à cet amour comme s'il m'offrait toute sécurité ! Et c'est toi maintenant qui te retires et qui laisses [10] emporter dans les airs par les vents et les nuages toutes tes promesses et tes vaines caresses ! Si tu as oublié, les dieux des morts se souviennent, et la Bonne Foi se souvient. Tes remords trop tardifs me vengeront de ta conduite.

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XXXI. À la presque'île de Sirmio

O Sirmio, perle de toutes les presqu'îles et de toutes les îles que l'un et l'autre Neptune porte dans les lacs limpides et dans la vaste mer, quel plaisir, quelle joie de te revoir ! [5] J'ose à peine croire que j'ai quitté la Thynie et les champs Bithyniens et que je puis te regarder sans crainte. Oh ! quel plus doux bonheur que d'être délié de ses peines, quand notre âme dépose son fardeau ; quand, fatigués de nos lointains voyages, nous revenons à notre Lare [10] et que nous trouvons enfin le repos sur un lit si longtemps regretté ! C'est le seul fruit de tant de peines. Salut, charmante Sirmio, réjouis-toi du retour de ton maître : réjouissez-vous aussi, ondes du lac de Lydie ; riez tous, tant que vous êtes chez moi, cortège des Ris !

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XXXII. À Ipsithilla

Au nom de l'amour, ma douce Ipsithilla, mes délices, charme de ma vie, invite-moi à venir chez toi l'après-midi. Y consens-tu ? Une grâce encore ! [5] que ta porte ne soit pas fermée d'un verrou ; et ne va pas t'aviser de sortir : reste au logis, et prépare-toi à faire l'amour neuf fois de suite. Mais si tu dis oui, invite-moi aussitôt, [10] car, étendu sur mon lit, après un bon dîner et couché sur le dos, je transperce et ma tunique et mon manteau.

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XXXIII. Contre les Vibennius

O le meilleur des voleurs de laines, Vibennius père, et toi, son fils trop *complaisant* : car si la main droite du père est plus souillée, le cul du fils est plus vorace, [5] qu'attendez-vous pour vous exiler sur quelque rivage funeste ? Les vols du père sont connus de tout le monde, et toi, le fils, tu ne peux même pas vendre pour un as tes fesses velues.

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XXXIV. À Diane

Protégés de Diane que nous sommes, jeunes filles et chastes garçons, chantons Diane, chastes garçons et jeunes filles.

[5] O Latonienne, grande déesse qu'engendra le très grand Jupiter, toi que ta mère mit au jour sous l'olivier de Délos ;

Pour que tu sois la maîtresse des monts, [10] des forêts vertes, des bocages mystérieux et des cours d'eau sonores ;

Toi que, dans les douleurs de l'enfantement, les femmes invoquent sous le nom de Junon Lucine, [15] toi encore qu'on appelle la puissante Trivie, et la Lune à la bâtarde lumière ;

Toi, déesse, dont le cours mensuel mesure la route des ans et qui emplis les toits rustiques [20] du laboureur de bonnes moissons ;

Sous quelques noms qu'il te plaise d'être invoquée, reçois nos hommages ; et accorde, comme toujours depuis les anciens temps, ton secours à la race de Romulus.

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XXXV. Invitation à Caecilius

Au tendre poète Caecilius, mon camarade, je voudrais, papyrus, que tu dises de venir à Vérone, laissant les murs de la Nouvelle Côme et les rives du Larius : [5] car je veux déposer dans son sein certaines confidences d'un ami qui est aussi le mien. Donc s'il est sage, il dévorera la route, quand bien même sa blanche amante le rappellerait mille fois ; quand bien même, [10] lui jetant les deux mains autour du cou, elle le supplierait de différer son départ, elle qui, si l'on m'en fait un récit fidèle, se meurt pour lui d'un fougueux amour. Car depuis le jour où il lut les premiers vers de Caecilius en l'honneur de la déesse du Dindyme, depuis ce jour, le petit malheureux [15] sent un feu intérieur qui lui dévore la moelle ! Je te pardonne, jeune fille, plus savante qu'une muse de Sapho : elle est si charmante en effet, cette ébauche de Caecilius en l'honneur de la Grande Mère.

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XXXVI. Contre les Annales de Volusius

Annales de Volusius, papier couvert de merde, acquittez le voeu de mon amante : elle a promis à la sainte Vénus et à Cupidon, si je lui étais rendu, [5] si je cessais de lancer contre elle mes ïambes redoutables, de livrer au Dieu tardigrade et aux flammes de ses bois maudits les chefs-d'œuvre choisis du plus mauvais poète : or, ce sont les Annales de Volusius [10] que, dans ce voeu badin, l'espiègle a désignées. Maintenant, fille de la mer d'azur, toi qui fréquentes la sainte Idalie, les plaines d'Uries, Ancône, Cnide couverte de roseaux, Amathonte, Golges [15] et Dyrrachium, entrepôt de l'Adriatique, - ô Vénus, si tu trouves que le voeu de mon amie ne manque ni d'esprit ni de grâce, daigne l'agréer et l'exaucer ! Et vous, allez au feu en attendant, pleines de rusticité et de grossièreté, [20] Annales de Volusius, papier couvert de merde !

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XXXVII. Aux habitués d'une taverne

Taverne lascive, et vous ses habitués, au neuvième pilier après les Frères coiffés de bonnets, croyez-vous seuls être doués *des attributs virils*, sans être en droit de *faire l'amour* [5] avec toutes les femmes et de tenir les autres pour des boucs ? Vous figurez-vous, parce que vous êtes là cent ou deux cents imbéciles assis à la file, que je n'oserai pas *défier* vos deux cents séants ? Eh bien ! détrompez-vous et sachez [10] que je charbonnerai votre infamie sur tous les murs de cette taverne ; car c'est là que s'est réfugiée la femme qui a fui mon étreinte, cette jeune femme que j'aimais comme jamais femme ne sera aimée, pour qui j'ai soutenu mille assauts ! Et vous, honnêtes et heureuses gens, [15] vous faites l'amour avec elle, et en réalité, chose indigne, vous n'êtes que des riens du tout et de *sales* voyous ! Toi entre autres, fils chevelu de la Celtibérie, pays des lapins, Egnatius, dont tout le mérite consiste dans ta barbe épaisse et tes dents, que tu frottes d'urine Hibérienne !

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XXXVIII. À Cornificius

Le malheur, Cornificius, accable ton ami Catulle ; oui, le malheur l'accable, par Hercule ! et sa douleur s'aggrave sans cesse, de jour en jour, d'heure en heure ! Et pas un seul mot de toi qui lui offre la plus simple, [5] la plus facile des consolations ! Je suis en colère contre toi. Est-ce ainsi que tu traites mon amour ? Un petit mot de consolation, s'il te plaît, plus tendre que les larmes de Simonide.

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XXXIX. Contre Egnatius

Egnatius, parce qu'il a les dents blanches, rit en toute occasion. Est-on venu près du banc d'un accusé ? Au moment où l'avocat fait verser des larmes, Egnatius rit. Gémit-on près du bûcher d'un bon fils, [5] d'un fils unique que pleure une mère désolée ? Il rit. En toute occasion, en quelque lieu qu'il soit, quoi qu'il fasse, il rit. C'est là sa manie ; mais elle n'est, à mon sens, ni de bon goût ni polie. Je dois donc t'avertir, mon bon Egnatius, [10] que quand bien même tu serais de la Ville, ou Sabin, ou Tiburtin, ou un Ombrien économe, ou un Etrusque obèse, ou un Lavinien brun et bien endenté, ou, pour dire aussi un mot de nos compatriotes, Transpadan, $ou enfin d'un pays, quel qu'il soit, où on se lave les dents proprement ;$ [15] je ne te permettrai pas encore de rire à tout propos : car rien n'est plus sot qu'un sot rire. Mais tu es Celtibérien, et, au pays de Celtibérie, chacun a coutume de se rincer le matin les dents et les rouges gencives avec ce qu'il a pissé : [20] si bien que plus tes dents ont d'éclat, plus elles proclament que tu as bu d'urine !

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XL. À Ravidus

Quelle mauvaise idée, mon petit Ravidus, te précipite ainsi au-devant de mes ïambes ? Quel dieu t'inspire la folle idée de me chercher querelle ? Est-ce pour que tout le monde parle de toi ? [5] quel est ton dessein ? Tu veux être connu à tout prix ? tu le seras, puisque tu as voulu aimer l'objet de mes amours en risquant un long châtiment.

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XLI. Contre l'amie du banqueroutier de Formies

Ameana, cette femme usée par le plaisir, m'a demandé dix mille sesterces bien comptés, elle, cette beauté au nez difforme, l'amie du banqueroutier de Formies ! [5] Parents chargés de veiller sur cette femme, convoquez amis et médecins : car la pauvre fille est "malade". Ne demandez pas ce qu'elle a : elle est sujette à des visions !

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XLII. Contre une fille

À moi, hendécasyllabes, accourez tous tant que vous êtes ; de toute part, tant que vous êtes, tous ! Une catin infâme se joue de moi ; elle refuse de me rendre [5] vos tablettes, et vous pourriez le souffrir ! Non, poursuivons-la, forçons-la à restitution ! Qui est-ce ? demandez-vous. C'est celle que vous voyez s'exercer effrontément et dont la bouche grimacière et hideuse ressemble, quand elle rit, à la gueule d'un chien gaulois. [10] Assaillez-la de toutes parts et forcez-la à restitution : - Sale catin, rends-nous nos carnets ; rends-nous, sale catin, nos carnets ! Tu t'en soucies comme d'un as ? O boue, lupanar et pire encore, s'il est possible. - [15] Mais cela, je pense, ne suffit pas encore. Tâchons du moins, faute de mieux, de faire rougir le front d'airain de cette chienne : criez encore, tous à la fois, et plus fort : - [20] Sale catin, rends-nous nos carnets, rends-nous, sale catin, nos carnets ! - Peine perdue ! rien ne l'émeut. Il faut changer de ton et de langage ; peut-être réussirez-vous mieux : - [25] O femme pudique et pure, rends-nous nos carnets !

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XLIII. Contre l'amie du banqueroutier de Formies

Salut, jeune femme ! ton nez n'est, pas des plus petits, ton pied n'est pas joli, tes yeux ne sont pas noirs, tes doigts ne sont pas effilés, ta bouche n'est pas sans postillonner, ton langage, certes, n'est pas élégant : [5] ô amie du banqueroutier de Formies, est-ce toi que la province dit jolie, toi que l'on compare à ma Lesbie ! O siècle sans goût et grossier !

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XLIV. À son domaine

O mon domaine, soit Sabin, soit Tiburtin [car tous ceux qui n'ont pas l'intention de blesser Catulle te font dépendre de Tibur, tandis que ceux qui veulent me piquer parient tout au monde que tu appartiens à la Sabine]. [5] Enfin que tu sois Sabin ou plutôt Tiburtin, j'ai fait un séjour agréable dans ta retraite voisine de la ville et j'ai chassé de ma poitrine une toux mauvaise, juste punition de l'intempérance qui m'a fait rechercher des repas somptueux ! [10] car, pour avoir voulu être le convive de Sestius, j'ai dû lire son discours contre la candidature d'Antius, lecture pleine de venin et de pestilence, qui m'a fait contracter un catarrhe, un refroidissement et de fréquents accès de toux, qui m'ont secoué jusqu'au moment où, réfugié dans ton sein, [15] je me suis guéri par du repos et l'ortie. C'est pourquoi rétabli, je te rends mille grâces de ne t'être pas vengé de ma faute. Et je consens, si jamais j'accueille encore les écrits néfastes de Sestius, que leur froideur apporte le catarrhe et la toux, [20] non pas à moi, mais à celui même qui ne m'invite à dîner que quand j'ai dû lire un mauvais livre.

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XLV. Acmé et Septimius

Septimius, pressant sur son sein Acmé, ses amours "O mon Acmé ! dit-il, si je ne t'aime éperdument, si je cesse de t'aimer au cours des ans [5] autant qu'un amant peut aimer, puissé-je errer seul dans la Libye ou dans l'Inde brûlante, exposé à la rencontre d'un lion aux yeux pers." Il dit ; et l'Amour, qui avait éternué à gauche jusqu'alors, éternue à droite en signe d'approbation. [10] Alors Acmé, tournant doucement la tête et baisant de sa bouche de pourpre les yeux enivrés du garçon : "O ma vie ! dit-elle, mon petit Septimius, s'il est vrai que le feu qui brûle dans les moelles de mes os [15] est plus fort, plus ardent que le tien, ne servons toujours que ce maître'" Elle dit ; et l'Amour, qui avait éternué à gauche jusqu'alors, éternue à droite en signe d'approbation. Maintenant guidés par un si bon auspice, [20] dans une tendresse mutuelle ils s'aiment, ils sont aimés. Le pauvre petit Septimius préfère la seule Acmé aux Syries et aux Bretagnes ; et la fidèle Acmé trouve dans son Septimius toutes les délices et tous les plaisirs. [25] Vit-on jamais mortels plus heureux, jamais plus propice Vénus ?

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XLVI. L'arrivée du printemps

Déjà le printemps ramène les tièdes chaleurs ; déjà la fureur du ciel équinoxial s'apaise aux souffles agréables du Zéphyr. Quittons, Catulle, les champs de la Phrygie [5] et les fertiles plaines de la brûlante Nicée ; volons vers les villes célèbres de l'Asie. Déjà ton esprit impatient brûle d'errer en liberté ; déjà tes pieds trouvent des forces dans ta joyeuse ardeur. Adieu, douces réunions de mes amis : [10] divers chemins vont ramener chacun de nous dans ses foyers, dont pour venir si loin nous étions partis tous ensemble.

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XLVII. À Porcius et Socration

Porcius et Socration, vous les deux mains gauches de Pison, lèpre et famine du monde, il est donc vrai, ce Priape *dardé* vous préfère à mon petit Veranius et à Fabullus ? [5] Et tandis que vous faites en plein jour des festins splendides et somptueux, vos jeunes amis vont de carrefour en carrefour en quêtant des invitations ?

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XLVIII. À Juventius

Tes yeux doux comme du miel, Juventius, s'il m'était donné de les baiser sans cesse, trois cent mille baisers ne pourraient assouvir mon amour ; que dis-je, [5] fussent-ils plus nombreux que les épis mûrs, ce serait encore trop peu de notre moisson de baisers.

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XLIX. À Cicéron

O le plus éloquent des fils de Romulus, qui sont, qui furent et qui seront plus tard dans les autres années, Marcus Tullius, reçois les mille actions de grâces de Catulle, [5] le plus mauvais de tous les poètes ; de Catulle, qui est autant le plus mauvais de tous les poètes que tu es le meilleur de tous les avocats.

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L. À Licinius

Hier, Licinius, tous les deux de loisir, nous avons, comme nous en étions convenus, couvert nos tablettes de jeux d'esprit ; chacun de nous, écrivant des versiculets, [5] s'amusait tantôt dans un mètre, tantôt dans un autre ; et donnait la réplique à l'autre au milieu de la joie du vin. Je t'ai quitté, Licinius, tellement enthousiasmé du charme de ton esprit que, loin de toi, tous les mets semblaient fades à ton malheureux ami [10] et qu'un calme sommeil ne fermait plus ses yeux ; agité dans mon lit d'une fureur que rien ne pouvait calmer, je me retournais en tous sens, appelant de mes voeux le retour de la lumière pour m'entretenir avec toi et pour être avec toi. Mais, lorsqu'enfin, épuisé de fatigue, [15] je suis retombé presque mort sur mon petit lit, j'ai composé ces vers pour toi, mon aimable ami, pour te faire connaître mes regrets. Garde-toi maintenant d'être hardi ; garde-toi, mon petit oeil, de repousser mes pièces, [20] ou crains que Némésis ne te punisse : c'est une déesse redoutable, garde-toi de l'offenser !

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LI. À Lesbie

Il me paraît être l'égal d'un dieu, il me paraît, est-ce possible ? surpasser les dieux, celui qui, assis en face de toi, te voit souvent et entend [5] ton doux rire. Hélas ! ce bonheur m'a ravi l'usage de tous mes sens ! À peine t'ai-je aperçue, ô Lesbie, que ma voix expire dans ma bouche, ma langue s'embarrasse, un feu subtil [10] circule dans mes reins, un tintement confus bourdonne à mes oreilles, la nuit couvre mes deux yeux ! Catulle, l'oisiveté t'est funeste ; l'oisiveté a pour toi trop d'attraits et de transports ; [15] l'oisiveté avant toi a perdu et les rois et les villes florissantes.

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LII. Sur Nonius et Vatinius

Eh bien ! Catulle, qu'attends-tu pour mourir ? Nonius, le scrofuleux siège sur une chaise curule ; l'impie Vatinius jure par son consulat : - Eh bien ! Catulle, qu'attends-tu pour mourir ?

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LIII. D'un quidam et de Calvus

J'ai bien ri, l'autre jour, dans une assistance où mon cher Calvus dévoilait merveilleusement les crimes de Vatinius, d'entendre je ne sais qui s'écrier d'un ton d'admiration et en levant les mains : [5] "Grands dieux ! quel éloquent 'petit bout' !"

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LIV. À César

La petite tête en fuseau d'Othon, les jambes de rustre à moitié lavées de Hérius, les pets subtils et légers de Libon, je voudrais que cela du moins, sinon tout, vous dégoûte, [5] toi et Fuficius, ce vieux beau recuit. Fâche-toi une seconde fois contre mes ïambes innocents, général unique !

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LV. À Camerius

De grâce, s'il n'y a pas d'indiscrétion de ma part, indique-moi ta cachette. Je t'ai cherché au Petit Champ de Mars, au Cirque, aux étalages de tous les libraires, [5] dans le temple saint de Jupiter souverain, j'ai arrêté aussi, cher ami, toutes les petites femmes, et aucune cependant n'a changé de visage, même hélas ! quand je lui demandais avec instance de tes nouvelles : [10] "Friponnes, leur disais-je, qu'avez-vous fait de mon cher Camérius ?" L'une d'elles pourtant m'a dit, découvrant son sein nu : "Tiens, le voici caché entre ces boutons roses." Enfin, de te supporter, c'est un travail d'Hercule. Quand bien même j'aurais le corps du gardien des Crétois, [15] le vol rapide de Pégase, quand je serais Ladas, Persée aux pieds ailés, ou l'un des coursiers de Rhesus blancs comme la neige, quand tu attellerais à mon char tous les êtres aux pieds emplumés et qui volent, fussé-je emporté sur l'aile des vents, [20] quand tu me les offrirais, Camerius, tout d'un coup ; néanmoins, je tomberais épuisé de toutes mes moelles et accablé de langueur à force de te chercher. D'où vient que tu te dérobes avec tant d'orgueil, ami ? [25] Dis-nous où tu seras. Allons, courage, confie-toi à moi, montre-toi au grand jour. Est-il vrai que tu es le captif d'un sein couleur de lait ? Si ta langue reste ainsi clouée à ton palais, tu perdras tous les fruits de ton amour, [30] car Vénus aime les bavardages. Ou bien encore, si tu veux, verrouille-toi le palais, mais du moins sois le confident de mes amours.

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LVI. À Caton

O la plaisante, la drôle d'aventure, Caton ! Elle vaut que tu l'entendes et que tu éclates de rire ! Ris donc, Caton, pour l'amour de moi ; car c'est aussi par trop plaisant et par trop drôle. [5] Je viens de surprendre- un gosse qui *s'escrimait contre* une jeune fille. Et moi, - que Dioné me le pardonne ! - *j'ai percé le moutard d'un trait*.

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LVII. À Mamurra et César

Que vous êtes bien faits l'un pour l'autre, infâmes *débauchés*, César et toi, Mamurra, son vil complaisant ! Qui s'en étonnerait ? Tous deux pareillement flétris, l'un dans la Ville, l'autre à Formies, de stigmates honteux ; [5] tous deux portant des cicatrices indélébiles, atteints de la même maladie, jumeaux de luxure, formés dans un même lit, frottés de science tous deux ; l'un n'est pas moins ardent que l'autre dans les poursuites adultères ; tous deux rivaux à la fois des filles. [10] Que vous êtes bien faits l'un pour l'autre, infâmes *débauchés* !

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LVIII. À Caelius sur Lesbie

Caelius, ma Lesbie, cette Lesbie adorée, cette Lesbie que Catulle aimait seule plus que lui-même et plus que tous les siens ; Lesbie maintenant aux carrefours ou dans les impasses [5] *écorce*, les descendants du magnanime Rémus.

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LIX. Sur Rufa et Rufulus

Rufa de Bologne *se prête aux goûts infâmes* de Rufulus ; Rufa, la femme de Menenius, que vous avez vue si souvent au milieu des tombeaux dérober son souper au bûcher des morts et courir après un morceau de pain qui en tombait, [5] malgré le bâton dont la frappait le chauffeur mi-tondu.

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LX

Est-ce une lionne des monts Libyssins ou Scylla aboyant au bas des cimes, qui t'a donné, avec le jour, cette âme si dure et si barbare, que tu repousses la voix suppliante d'un ami [5] réduit au dernier degré du malheur ! Ah ! coeur trop féroce !

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Commentaires éventuels: Jacques Poucet (poucet@egla.ucl.ac.be)