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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


APULEE

L'Âne d'or ou les Métamorphoses

12. Au théâtre - La fuite de l'âne
(X, 29, 1 - X, 35, 4)


Au théâtre: le Jugement de Pâris

(X, 29, 1) Telle était la femme avec laquelle j'allais publiquement me conjoindre. Je voyais avec une mortelle angoisse approcher le jour de la cérémonie. Cent fois, dans mon horreur profonde, je songeai à me donner la mort, plutôt que de me laisser souiller par le contact de cette odieuse créature, et subir l'infamie d'une telle exposition. Mais, privé de la main et des doigts de l'homme, comment saisir une épée avec ce sabot court et arrondi? (2) Au milieu de mes maux cependant j'entrevoyais un espoir; espoir bien faible, mais auquel je m'efforçais de rattacher le terme de mes misères. Le printemps venait de renaître. La campagne allait s'émailler, les prés se revêtir de la pourpre des fleurs. Bientôt, perçant le couvert du buisson, les roses allaient montrer leurs corolles embaumées, et peut-être me rendre à ma forme de Lucius. (3) Arrive enfin le jour de l'ouverture. On me conduit en pompe à l'amphithéâtre, toute la population me faisant cortège. On prélude au spectacle par des divertissements chorégraphiques. Moi, placé hors de l'enceinte, je me régalais, en attendant, du tendre gazon qui en tapissait les abords. La porte était ouverte, et mon oeil curieux jouissait, par échappées, d'une ravissante perspective. (4) Des groupes de jeunes garçons et de jeunes filles rivalisant de beauté, de parure et d'élégance, exécutaient la pyrrhique des Grecs, et décrivaient mille évolutions, dont l'art avait combiné les dispositions d'avance. Tour à tour on voyait la bande joyeuse tourbillonner en cercle comme la roue d'un char rapide, et tantôt se déployer, les mains entrelacées, pour parcourir obliquement la scène; tantôt se serrer en masse compacte à quatre fronts égaux, et tantôt se rompre brusquement pour se reformer en phalanges opposées. (5) Quand ils eurent successivement exécuté toute cette variété de poses et de figures, le son de la trompette mit fin au ballet. Aussitôt le rideau se baisse, les tentures se replient, le grand spectacle va commencer.

(X, 30, 1) On voyait une montagne en bois d'une structure hardie, représentant cet Ida rendu si célèbre par les chants d'Homère. Du sommet couronné d'arbres verts, l'art du décorateur avait fait jaillir une source vive, dont l'onde ruisselait le long des flancs de la montagne. (2) Quelques chèvres y broutaient l'herbe tendre; et, pour figurer le berger phrygien, un jeune homme, en costume magnifique, avec un manteau de coupe étrangère flottant sur ses épaules, et le front ceint d'une tiare d'or, semblait donner ses soins à ce troupeau. (3) Un bel enfant paraît; il est entièrement nu, sauf la chlamyde d'adolescent attachée sur son épaule gauche. (4) Tous les yeux se fixent sur sa blonde chevelure, dont les boucles laissent percer deux petites ailes d'or parfaitement semblables. À sa baguette en forme de caducée, on a reconnu Mercure. (5) Il s'avance en dansant, une pomme d'or à la main, la remet au représentant de Pâris, lui annonçant par sa pantomime les intentions de Jupiter, et se retire après un pas gracieux. (6) Arrive une jeune fille que ses traits majestueux ont désignée pour le rôle de Junon. Son front est ceint d'un blanc diadème, et le sceptre est dans sa main. (7) Après elle, une autre nymphe fait une entrée brusque. Le casque étincelant dont elle est coiffée et que surmonte une couronne d'olivier, l'égide qu'elle porte, la lance qu'elle brandit, toute son attitude de guerrière, ont fait nommer Minerve.

(X, 31, 1) Enfin paraît une troisième beauté. À ses formes incomparables, à cette grâce de mouvements, au divin coloris qui anime ses traits, on ne peut méconnaître Vénus. Aucun voile ne dérobe à l'oeil les perfections de ce corps adorable, si ce n est une soie transparente négligemment jetée sur ses charmes les plus secrets; (2) encore Zéphyr soufflait-il alors, et l'indiscret de son haleine amoureuse, tantôt soulevant le léger tissu, laissait entrevoir le bouton de la rose naissante; et, tantôt, se collant sur le nu, en dessinait les voluptueux contours. Deux couleurs frappent l'oeil à l'aspect de la déesse. L'albâtre de sa peau montre en elle la fille des cieux, et l'azur de son vêtement rappelle la fille de la mer. (3) Pour compléter l'illusion, chaque déesse a son cortège significatif. Derrière Junon, deux jeunes acteurs figurent Castor et Pollux. Ils sont coiffés de casques dont le cimier brille d'étoiles, et rappellent, par leur forme oblongue, l'oeuf dont les jumeaux sont sortis. (4) La déesse s'avance au son de la flûte mélodieuse. Sa démarche est noble et simple. Par une pantomime aussi naturelle qu'expressive, elle promet au berger, s'il lui adjuge le prix de la beauté, de lui donner l'empire d'Asie. (5) La belle au costume guerrier, la Minerve de la pièce, est escortée par deux jeunes garçons personnifiant le Trouble et l'Effroi. Ces fidèles écuyers de la déité redoutable bondissent à ses côtés, agitant des épées nues. Derrière elle, un joueur de flûte exécute un air belliqueux sur le mode dorien, dont les notes, graves comme celles du clairon, contrastant avec les sons aigus propres à la flûte, accompagnent énergiquement les pas précipités de la danse martiale. (6) La déesse agite fièrement la tête, menace des yeux, et d'un geste violent et superbe fait comprendre à Pâris que s'il donne à sa beauté la palme, elle fera de lui un héros et le couvrira des lauriers de la gloire.

(X, 32, 1) Vénus avance à son tour, accueillie par les murmures flatteurs de l'assemblée, et s'arrête au milieu de la scène, entourée d'une foule de jolis enfants. Son sourire est charmant; sa pose est enchanteresse. À la vue de tous ces petits corps si ronds et si blancs, on croirait que l'essaim des Amours, oui, des Amours, a déserté les cieux, ou vient de s'envoler du sein des mers. Petites ailes, petites flèches, tout en eux prête à l'illusion. Des torches brillaient dans leurs mains, comme s'ils eussent éclairé leur souveraine, prête à se rendre à quelque banquet nuptial. (2) Sur leurs pas se pressent des groupes de jeunes vierges; ce sont les Grâces riantes, ce sont les séduisantes Heures. Toutes répandent à pleines mains les fleurs et les guirlandes, et, entourant de leurs rondes la reine du plaisir, lui font hommage de ces prémices du printemps. En ce moment, les flûtes à plusieurs trous soupirent tendrement sur le mode lydien, et portent dans l'âme une noble ivresse. (3) À ces voluptueux accents, la voluptueuse déesse elle-même se met à danser. Ses pas, d'abord timides et comme indécis, s'animent par degrés, et s'accordent, avec les ondulations de sa taille flexible et de suaves mouvements de sa tête, à marquer les temps de la douce mélodie. Ses yeux ont leur rôle aussi; et, tantôt à demi fermés, semblent noyés dans la langueur, tantôt lancent des jets de flamme. Toute sa pantomime alors est dans ses yeux. (4) Arrivée devant son juge, elle exprime par les mouvements de ses bras que, si elle obtient le pas sur ses divines rivales, elle lui donnera pour femme une beauté qui lui ressemble. Le jeune Phrygien n'hésite plus; et la pomme d'or, prix de la victoire, passe de sa main dans celle de Vénus.

Invectives contre les pécores du barreau

(X, 33, 1) Allez maintenant, stupide cohue, pécores du barreau, vautours en toge, allez vous récrier sur le trafic universel de la justice au temps où nous sommes, quand, aux premiers âges du monde, un homme, arbitre entre trois déesses, a laissé la faveur lui dicter son jugement. Or, c'était l'élu du maître des dieux, un homme des champs, un pâtre, qui, ce jour-là, vendit sa conscience au prix du plaisir; entraînant ainsi la destruction de toute sa race. (2) Et ces fameuses décisions rendues par les chefs de la Grèce! le sage, le savant Palamède déclaré traître et condamné comme tel! et la gloire supérieure du grand Ajax humiliée devant la médiocrité d'Ulysse! Que dire d'un autre jugement rendu à Athènes, ce berceau de la législation, cette école de tout savoir? (3) N'a-t-on pas vu le vieillard doué d'une prudence divine, et que l'oracle de Delphes avait proclamé le plus sage des hommes, victime d'une cabale odieuse, périr juridiquement par le poison, comme corrupteur de la jeunesse, dont il contenait les écarts? Niera-t-on que ce ne soit une tache ineffaçable pour un pays dont les plus grands philosophes se font un bonheur aujourd'hui de proclamer l'excellence de sa doctrine, et de jurer par son nom? (4) Mais, pour couper court à cette boutade d'indignation, qui ne manquerait pas de faire dire: Quoi! il nous faut subir la philosophie d'un âne! je reviens à mon sujet.

Lucius s'enfuit

(X, 34, 1) Après le jugement de Pâris, Junon et Minerve se retirent chagrines et courroucées, témoignant par leurs gestes le dépit qu'elles éprouvent de leur échec. Vénus, au contraire, satisfaite et radieuse, exprime son triomphe, en se mêlant gaiement aux choeurs de danses. (2) Tout à coup, par un conduit inaperçu, s'élance du sommet du mont une gerbe liquide de vin mêlé de safran, qui retombe en pluie odorante sur les chèvres paissant à l'entour, et jette une nuance du plus beau jaune sur leur toison. Quand toute la salle en est embaumée, soudain le mont s'abîme en terre, et disparaît. (3) Alors un soldat s'avance au milieu de l'amphithéâtre, et demande, au nom du peuple, que la prisonnière condamnée aux bêtes paraisse, et que le glorieux hymen s'accomplisse. (4) Déjà l'on dressait à grand appareil un lit qui devait être notre couche nuptiale. L'ivoire de l'Inde y brillait de toutes parts, et ses coussins, gonflés d'un moelleux duvet, étaient recouverts d'un tissu de soie à fleurs. (5) Quant à moi, outre l'ignominie d'être en spectacle dans cette attitude, outre mon affreuse répugnance à me souiller du contact de cet être impur et criminel, j'avais de plus et par-dessus tout la crainte de la mort; car enfin, me disais-je, est-il bien sûr, quand nous serons aux prises, que la bête, telle quelle, qui va être lâchée contre cette femme, se montre assez discrète, assez bien apprise, assez sobre dans ses appétits, pour s'en tenir à sa proie dévolue, et laisser intact l'innocent non condamné qui la touchera de si près?

(X, 35, 1) Déjà le sentiment de la pudeur entrait pour moins dans ma sollicitude que l'instinct de la conservation; et tandis que mon gardien, tout occupé de l'arrangement du lit nuptial, voit par lui-même si rien n'y manque, que les autres domestiques, ou donnent leurs soins au divertissement de la chasse, ou restent eux-mêmes en extase devant la représentation, (2) j'en profite pour faire mes réflexions. Nul ne songeait à surveiller un âne aussi bien élevé que moi. Peu à peu, d'un pas furtif, je gagne la porte la plus voisine, (3) et une fois là je détale à toutes jambes. Après une course de près de six milles, j'arrivai à Cenchrées, la plus notable, dit-on, des colonies de Corinthe, que baignent à la fois la mer Égée et le golfe Saronique. C'est un port très sûr pour les vaisseaux, et conséquemment très fréquenté; (4) mais j'eus soin de me tenir loin de la foule, et, choisissant sur la grève un endroit écarté peu éloigné du point où se brisait le flot, je m'y arrangeai un lit de sable fin, où j'étendis douillettement mes pauvres membres. Déjà le soleil avait atteint l'extrême limite du jour; le soir était calme. Un doux sommeil ne tarda pas à s'emparer de moi.

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