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Catulle : Pièces I à LX - Pièces LXI à LXIV - Pièces LXV à CXVI (hypertexte louvaniste)

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Catulle - Poésie

Pièces LXV à CXVI


LXV - LXVI- LXVII - LXVIII - LXIX - LXX - LXXI - LXXII - LXXIII -

LXXIV - LXXV - LXXVI - LXXVII - LXXVIII - LXXIX - LXXXLXXXI -

LXXXII - LXXXIII - LXXXIV - LXXXV - LXXXVI - LXXXVII - LXXXVIII -

LXXXXIX - XC - XCI - XCII - XCIII - XCIV - XCV - XCVI - XCVII - XCVIII -

XCIX - C - CI - CII - CIII - CIV - CV - CVI - CVII - CVIII - CIX - CX -

CXI - CXII - CXIII - CXIV - CXV - CXVI


Fondamentalement, cette traduction française est celle de M. Rat, Catulle. Oeuvres, Paris, 1931, disponible au format PDF sur le site Nimispauci de Ugo Bratelli, qui nous a aimablement permis de le reproduire et que nous remercions ici. Le texte français a été mis au format Word, sans modifications substantielles, abstraction faite de quelques corrections orthographiques et d'une adaptation des numéros des pièces pour mieux suivre la présentation de The Latin Library.

Dans son édition, M. Rat avait entouré de crochets droits [ ] la traduction "édulcorée" de certains termes latins qu'il estimait probablement un peu crus. Les crochets droits étant ici réservés aux références, nous avons utilisé les astérisques * * pour indiquer ces passages.

La présente traduction s'intègre dans le vaste projet louvaniste des Itinera Electronica, et en particulier dans la rubrique Hypertextes, où l'oeuvre de Catulle recevra sous peu sa place. Les possibilités de cette réalisation "Hypertextes" sont multiples ; non seulement elle permet une lecture de l'oeuvre avec le texte latin et la traduction française en regard, mais elle donne également accès à un riche ensemble d'outils lexicographiques et statistiques très performants.


LXV. À Ortalus

Le chagrin qui me dévore sans cesse, Ortalus, m'enlève aux doctes vierges ; je ne puis voir germer les douces inspirations des Muses au milieu des cruelles agitations de mon âme ! [5] Il n'y a guère encore que les ondes du gouffre Léthéen baignent les pieds blêmes de mon frère ; que la terre troyenne couvrant ses restes aux rivages de Rhétée le dérobe à nos regards.

J'aurais beau te parler, je ne t'entendrai jamais plus me raconter tes hauts faits ? [10] Je ne te verrai plus, ô mon frère, qui m'étais plus cher que la vie ! mais du moins je t'aimerai toujours, toujours je soupirerai des chants plaintifs sur ta mort, comme, sous l'ombre épaisse des rameaux, la Daulienne gémissante déplore la perte d'Ityle.

[15] Cependant, Ortalus, malgré de tels chagrins, je t'envoie ces vers imités du descendant de Battus ; tu le vois, tes paroles, jouets du souffle des vents, ne sont point sorties de ma mémoire ; comme parfois du sein pur d'une vierge [20] s'échappe la pomme, don furtif d'un amant : oubliant qu'elle l'a cachée sous sa robe, à l'arrivée de sa mère, la pauvre enfant se lève, le fruit tombe, roule à ses pieds et une rougeur indiscrète se répand sur son visage désolé.

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LXVI. La chevelure de Bérénice

Celui qui compta tous les flambeaux du grand firmament, qui calcula le lever et le coucher des étoiles, qui découvrit les causes qui obscurcissent l'éclat enflammé du rapide soleil, qui vit pourquoi les astres disparaissent à des époques fixes, [5] et comment l'Amour tendre, reléguant la déesse des carrefours sous les rochers du Latmos, la détourne de sa ronde céleste ; ce même Conon m'a vue, détachée du front de Bérénice, étinceler au milieu de la lumière du ciel, moi, que la reine, [10] levant ses bras lisses, voua à beaucoup de Déesses, alors que, s'arrachant aux plaisirs d'un hymen récent, et portant encore les douces marques du combat nocturne, où il l'avait dépouillée de sa virginité, le roi, son époux, était parti ravager les frontières de l'Assyrie. [15] Vénus est-elle donc odieuse aux jeunes mariées ? ou plutôt ne sont-elles pas feintes, ces larmes abondantes qu'elles versent, une fois entrées dans la chambre nuptiale et qui troublent la joie de leurs parents ? Oui, que m'assistent les dieux, ces larmes ne sont pas vraies ! Ce secret, de nombreuses plaintes de ma reine me l'ont révélé, [20] lorsque son nouvel époux allait affronter les farouches combats.

Et toi, abandonnée, tu pleures non la couche solitaire, mais l'absence déchirante de ton frère adoré ! Quel dévorant chagrin te rongeait jusqu'au fond des moelles ! En proie aux plus vives inquiétudes, [25] quel délire égarait ton esprit et tes sens ! Et pourtant, je t'ai connue si courageuse dès ta plus tendre jeunesse ! As-tu donc oublié cette belle action qu'un plus vaillant n'aurait point osée, et qui te valut et l'hymen et le trône ? Mais qu'ils furent tristes, les adieux que tu adressas à ton époux en le laissant partir ! [30] Par Jupiter, que de fois tu passas une main triste sur tes yeux ! Quel dieu si grand t'a donc changée ? Ne permettrait-on pas à deux amants d'être longtemps éloignés du corps qui leur est cher ?

C'est alors qu'entre les taureaux égorgés, tu me vouas à tous les dieux, pour le salut d'un tendre époux, [35] si revenant au bout de peu de temps il avait ajouté la conquête de l'Asie à l'empire de l'Égypte ? Et c'est pour acquitter ces voeux d'autrefois que maintenant je suis rendue à la voûte céleste. Oui, reine, c'est à regret que j'ai quitté ton front, [40] à regret ; j'en jure par toi et par ta tête, et périsse le parjure à un pareil serment ! Mais qui prétend s'égaler au fer ? C'est le fer qui renversa ce mont, le plus grand de tous ceux que le brillant fils de Thia a franchi sur ces bords, [45] lorsque les Mèdes créèrent une mer nouvelle, et qu'une flotte barbare s'ouvrit, à travers l'Athos, un passage ! Si de tels obstacles cèdent au fer, que feront contre lui des cheveux, Jupiter ? Périsse donc toute la race des Chalybes et le premier qui, dans les entrailles de toute la terre, [50] s'entêta à chercher des filons et à forger la dureté du fer !

Les autres tresses, vos compagnes, auxquelles je venais d'être ravie, pleuraient ma destinée, lorsque, fendant les airs du battement de ses ailes, l'Éthiopien, le cheval ailé de la Locrienne Arsinoé, apparut, [55] et m'enlevant à travers les ombres éthérées, me déposa dans le chaste sein de Vénus. C'était la Zéphyrite elle-même qui avait envoyé là son serviteur, elle, la Grecque habitante des rivages de Canope, pour que la couronne d'or [60] des tempes d'Ariane ne brillât pas seule, fixée aux flambeaux épars de la voûte céleste, et que nous aussi, dépouilles sacrées d'une tête blonde, nous y resplendissions !

À peine, humide encore de pleurs, avais-je atteint les temples des dieux, que la déesse me plaça, nouvel astre, parmi les antiques constellations. [65] Entre les flambeaux de la Vierge et du Lion cruel, et près de Callisto, la fille de Lycaon ; je guide à l'occident le Bouvier paresseux, qui plonge lentement et à regret dans l'Océan profond. Mais quoique, la nuit, les dieux me foulent sous leurs pas ; [70] quoique le jour me rende à la blanche Téthys, nulle crainte ne m'empêchera de dire la vérité avec la permission de $la vierge de$ Rhamnonte et même si les astres irrités s'élevaient contre moi, je te dévoilerai les secrets sentiments de mon coeur : [75] non, quelque brillant que soit le sort dont je jouis, il ne peut me consoler d'être séparée, séparée pour toujours, du front de ma maîtresse ; car lors même qu'elle n'était encore qu'une vierge et qu'elle s'abstenait de tout parfum, je m'imprégnais par elle de parfums innombrables.

O vous pour qui s'allume enfin le flambeau d'hyménée, [80] ne livrez pas vos corps à vos ardents époux, ne dévoilez pas à leurs yeux les boutons de vos seins, que l'onyx n'ait offert les libations qui me sont agréables, l'onyx de celles qui veulent que la chasteté règne dans le lit nuptial. Mais que la poussière légère boive [85] les dons maudits de l'épouse adonnée à l'impur adultère ; car je ne demande aucun honneur aux femmes indignes. Puisse plutôt, jeunes épouses, votre demeure être le sanctuaire de la concorde et de l'amour constant !

Et toi, reine ! lorsque, les yeux levés vers les astres, [90] tu évoqueras Vénus aux jours de fête, ne laisse pas celle qui t'appartient manquer de parfum, mais plutôt comble-la d'offrandes. Si les astres s'écroulent, puissé-je devenir une chevelure de reine. Que resplendisse Orion près du Verseau !

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LXVII. À la porte d'une courtisane

Catulle

O complaisante pour un tendre époux, complaisante pour un père, salut ! et que Jupiter te comble de biens, porte, qui, dit-on, jadis servis si bien Balbus, quand le vieillard lui-même occupait cette maison ; [5] mais qui sers, au contraire, en les maudissant les époux qui remplacent le vieillard couché dans la tombe. Allons parle-moi de vous ; dis-moi quel motif t'a changée ainsi et rendue infidèle à ton vieux maître.

La porte

Non ! n'en déplaise à Cécilius, mon propriétaire de maintenant, [10] je suis innocente des fautes que l'on m'impute et personne ne peut dire que j'ai le moindre tort. Mais, à entendre le peuple, c'est toujours la porte qui est coupable ; et pour peu qu'il se commette ici une mauvaise action, ce n'est qu'un cri contre moi : - Porte, c'est ta faute.

Catulle

[15] Il ne suffit pas de dire : - Ce n'est pas ma faute ; il faut en donner des preuves palpables, évidentes.

La porte

Des preuves ? Comment le puis-je ? Personne ne m'en demande et ne se soucie de savoir ce qui en est.

Catulle

Moi, je le veux : parle sans hésiter.

La porte

Sache d'abord que celle qui, dit-on, était vierge lorsqu'elle nous fut confiée, [20] ne l'était pas : son mari n'avait pas eu ses prémices (le pauvre homme, son sexe qui pend plus languissant que la tige molle d'une botte, ne s'est jamais dressé au milieu de sa tunique) ; mais ce fut, dit-on, son propre père qui viola la couche de son fils et qui déshonora la maison malheureuse, [25] soit que son coeur impie brûlât d'un amour aveugle, soit que son fils fût impuissant et stérile, et qu'il fallût chercher un suppléant pourvu d'un sexe plus musclé et capable de dénouer une ceinture virginale.

Catulle

Quelle insigne tendresse paternelle [30] de *s'épancher* ainsi dans le giron de la femme de son fils !

La porte

Oh ! ce n'est pas tout, et Brescia dit qu'elle en sait davantage ; Brescia assise au pied de l'observatoire de Cycnus et que baigne, dans son cours paisible, le Mella jaune ; Brescia, mère bien-aimée de ma Vérone ; [35] elle parle encore d'un Postumius et de l'amour d'un Cornelius, avec qui cette femme pratique le maudit adultère. Mais peut-être dira-t-on : "Porte, comment sais-tu tout cela, toi qui ne peux jamais quitter le seuil de ton maître ni écouter la foule, mais qui, fixée à ton chambranle, [40] bornes ton ministère à ouvrir ou fermer la maison." Oui, mais j'ai souvent écouté ma maîtresse, lorsque seule elle s'entretenait furtivement de ses exploits avec ses servantes, en nommant par leur nom ceux dont j'ai parlé, sans se défier de moi qu'elle croyait sourde et muette. [45] Il en est encore un qu'elle ajoutait à la liste... mais que je ne veux pas nommer par son nom, car je le vois déjà froncer ses sourcils roux ; c'est un homme efflanqué, qu'un procès scandaleux a jadis fait connaître pour un enfant supposé et un faux accouchement.

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LXVIII. À Manlius

Accablé par un coup affreux du sort, tu m'envoies ce billet arrosé de tes larmes ; rejeté par les ondes écumantes de la mer, tu me pries, dans ton naufrage, de te tendre la main et de te rappeler des portes du trépas ; tu m'écris [5] que la sainte Vénus ne te laisse plus goûter les douceurs du sommeil sur ta couche solitaire, et que, dans l'angoisse qui tient ton esprit éveillé, les Muses des anciens poètes ne peuvent pas te charmer. Il m'est doux de te voir me traiter en ami [10] et demander les présents des Muses et de Vénus. Mais je ne dois pas, ô Manlius ! te laisser ignorer mes propres chagrins ni croire que je manque à mes obligations envers un hôte. Apprends donc dans quels flots l'infortune m'a plongé moi-même ; et n'attends plus d'un malheureux les chants que le bonheur inspire.

[15] Au temps où je revêtis pour la première fois la robe blanche, où mon joyeux printemps était dans sa fleur, j'ai alors assez joué et je ne fus pas ignoré de la déesse qui mêle aux peines d'amour une douce amertume. Mais tous ces goûts du bel âge, le deuil où me plonge la mort d'un frère les a chassés [20] de mon coeur. O mon frère ! qui m'as été arraché pour mon malheur ! Tu as brisé mes joies, ô mon frère, par ta mort ! Avec toi est ensevelie notre famille entière ! Avec toi ont péri toutes les félicités que nourrissait sans cesse durant ta vie une affection si douce ! [25] Depuis ta mort, j'ai banni de mon esprit ces travaux qui faisaient mes constantes délices.

Tu m'écris qu'il est honteux à Catulle de rester à Vérone, que tous les hommes de la meilleure qualité réchauffent leurs membres froids dans la couche qu'il délaisse ; [30] en cela, Manlius, je suis plus à plaindre qu'à blâmer. Tu m'excuseras donc si je ne t'offre pas le tribut que mon deuil m'interdit. Je ne le puis pas. Je n'ai avec moi qu'un tout petit nombre d'auteurs, car Rome est mon séjour : ma demeure est là-bas, [35] mon domicile là-bas, ma vie là-bas. De toutes mes boîtes, une seule est ma compagne. Voilà la vérité. Garde-toi donc de m'accuser de peu de complaisance ou d'ingratitude, si je ne satisfais pas à ta double demande. [40] J'y déférerais de moi-même si j'avais de quoi la satisfaire.

Carm. LXVIII b (considéré comme la suite de la pièce précédente ; The Latin Library ne fait qu'un LXVIII avec les deux parties)

Cependant, ô Muses, je ne tairai pas les obligations que j'ai à Allius, ni tous les services qu'il m'a rendus ; et jamais dans sa fuite le temps n'ensevelira dans les siècles oublieux et dans une nuit obscure ses marques d'amitié. [45] Je vous les confierai : vous, redites-les à des milliers d'autres, et que cette feuille en parle, devenue vieille...

Qu'après sa mort son nom soit connu de plus en plus et que jamais l'araignée aérienne n'ourdisse sa toile légère [50] et ne fasse son ouvrage sur le nom oublié d'Allius ; car vous savez combien l'astucieuse déesse d'Amathonte m'a causé de soucis et en quelle sorte d'amour elle m'a abîmé. Alors que je brûlais autant que la roche Trinacrie et que les ondes Maliaques aux Thermopyles voisins de l'Oeta ; [55] alors que mes yeux désolés ne cessaient de fondre en larmes et mes joues de s'inonder de tristes pleurs ! Tel qu'au sommet d'une haute montagne jaillit d'une roche moussue un limpide ruisseau qui, poursuivant son cours sur le penchant de l'Alpe, [60] vient traverser une route fréquentée et offrir un agréable soulagement au voyageur fatigué et couvert de sueur, dans cette saison où l'excès de la chaleur fend les champs desséchés ; ou tel qu'un vent propice, par sa douce haleine, ranime les nautoniers ballottés par l'ouragan noir, [65] et dont la voix suppliante implorait déjà Castor et Pollux ; tel Allius me porta secours. C'est lui qui ouvrit devant moi, quand il était fermé, un champ plus libre ; c'est à lui que je dois et cette demeure et ma maîtresse, et l'asile où nous nous livrons à nos mutuelles amours ; [70] là souvent ma blanche déesse porta son pas souple et, sur le seuil rasé, effleuré par son pied brillant, arrêta ses sandales sonores. Ainsi jadis, consumée d'amour, Laodamie entra dans le palais de Protésilas, [75] vainement préparé par un hymen sur lequel le sang sacré d'une victime n'avait point d'abord appelé la faveur des dieux : me préserve la vierge de Rhamnonte de jamais rien entreprendre sans l'aveu de nos maîtres ! Laodamie apprit [80] combien un autel à jeun est altéré d'un sang pieux, lorsqu'elle vit son époux ravi à ses embrassements, avant qu'un hiver succédant à un autre eût assouvi par de longues nuits son avide amour et l'eût préparée à vivre sans époux ! [85] Elles le savaient bien, les Parques, qu'une prompte mort attendait Protésilas, s'il descendait armé sous les murs d'Ilion : car alors l'enlèvement d'Hélène appelait l'élite des chefs Argiens contre Troie. Funeste Troie ! commun tombeau de l'Europe et de l'Asie, [90] toi qui ensevelis sous tes cendres tant de héros et de hauts faits ! C'est, aussi toi qui causas le funeste trépas de mon frère ! O malheureux frère, qui me fut ravi ! Malheureux frère ! la mort t'a donc ravi la riante lumière ; avec toi est descendu dans la tombe l'espoir de notre famille entière ; [95] avec toi périssent toutes les félicités que nourrissait sans cesse durant toute une vie, une affection si douce ! Maintenant, ce n'est point parmi nos sépultures honorées, auprès des tombeaux de tes ancêtres que repose ta cendre, mais Troie abjecte, Troie infortunée [100] te retient dans la tombe, dans une terre étrangère, aux extrémités du monde !

Contre cette ville funeste accourut, dit-on, de tous les pays la jeunesse grecque qui abandonna ses foyers domestiques, pour troubler la joie de Pâris et de la femme adultère qu'il avait ravie, et les empêcher de goûter dans une chambre paisible des plaisirs coupables ! [105] Ce fut alors, très belle Laodamie, que le sort te ravit l'époux qui t'était plus cher que la vie et que ton âme ; tel était l'abrupt abîme où t'avait entraînée le tourbillon d'un amour passionné : tel, si l'on en croit les fables des Grecs, le gouffre qui, près de Phénée et du Cyllène [110] dessèche, en épuisant les marécages, le sol gras, et qui fut creusé jadis dans les moelles déchirées de la montagne par le fils supposé d'Amphitryon, au temps où il perça de ses flèches sûres, sur l'ordre d'un détestable maître, les monstres du Stymphale, [115] - travaux qui permirent à un dieu nouveau de fouler la porte du ciel et épargnèrent à Hébé une longue virginité. Oui, l'amour qui apprit à ton coeur, jusqu'alors indompté, à porter le joug, était plus profond encore que ce gouffre ! Moins vive est la vigilance que nourrit la fille unique d'un père accablé par le poids des ans [120] pour l'enfant, héritier tardif, dont le vieillard se hâte d'inscrire le nom sur les tablettes de son testament, afin de lui transmettre l'héritage de ses aïeux et de tromper la joie impie d'un parent déçu qui, comme un vautour, s'envole de sa tête blanche ; [125] moins ardents sont les transports que ressent pour son tourtereau la blanche tourterelle qui prodigue plus de baisers en le mordillant sans cesse que l'amante la plus passionnée. Oui, Laodamie, une fois unie à ton blond mari, [130] tu surpassas ces fureurs elles-mêmes !

Aussi tendre, ou guère moins, était la lumière de ma vie, lorsqu'elle vint se jeter dans mes bras : autour d'elle, souvent, voltigeait çà et là Cupidon, resplendissant dans sa tunique couleur de safran. [135] Peut-être ne se borne-t-elle pas aux seuls hommages de Catulle, mais supportons sans nous plaindre quelques rares infidélités de ma discrète maîtresse, et n'allons pas nous rendre importun, à la manière des sots ! Junon elle-même, la plus grande des habitantes du ciel, cacha son brûlant courroux des fautes de son époux, [140] quand elle apprenait les nombreuses infidélités du volage Jupiter. Mais il est injuste de comparer des hommes aux dieux... Évitons d'être à charge comme un vieux père tremblant ! [145] D'ailleurs, ce n'est pas son père qui l'a conduite par la main dans ma maison embaumée des parfums de l'Assyrie ; mais elle s'échappa furtivement des bras mêmes de son époux dans cette nuit d'ivresse où elle me prodigua tous les trésors de son amour. Ah ! n'est-ce pas assez pour moi d'obtenir d'elle [150] un seul jour qui mérite d'être marqué d'une pierre blanche ?

Accepte ce poème, cher Allius : c'est tout ce que j'ai pu faire pour te prouver ma reconnaissance de tant de bienfaits ; puisse-t-il préserver ton nom de la rouille rugueuse ; que le jour le redise au jour, l'année à l'année, le siècle au siècle ; [155] que les dieux y ajoutent les faveurs sans nombre dont autrefois Thémis comblait les vertueux mortels de l'ancien temps ! Soyez heureux, et toi, et celle qui est ta vie, et ta maison, théâtre de nos propres ébats avec notre maîtresse, et celui qui m'accorda le premier un refuge : [160] Anser, source première de toutes mes félicités ; et surtout, et avant tous les autres, cette lumière de mon âme, qui m'est plus chère que moi-même, et qui, vivante, rend ma vie si douce !

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LXIX. À Rufus

Ne t'étonne plus, Rufus, qu'aucune femme se refuse à étendre sous ton corps la douceur de ses cuisses, même si tu la tentes par le don d'une robe rare ou l'appât d'une pierre à l'eau limpide ! [5] C'est qu'il court sur ton compte un bruit qui te fait beaucoup de tort : on dit que sous tes aisselles habite un affreux bouc. Voilà ce que redoutent toutes les femmes : rien d'étonnant, car le bouc est une fort vilaine bête qu'une jolie femme n'aime pas à trouver dans son lit. Ainsi donc, ô Rufus, ou détruis cette peste cruelle pour les narines, [10] ou cesse de t'étonner que toutes les femmes te fuient.

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LXX. De l'inconstance des femmes en amour

Ma femme dit qu'elle n'aura jamais d'autre époux que moi ; que Jupiter lui-même implorerait en vain ses faveurs. Elle le dit ; mais les serments que fait une femme à l'amant plein de désir, il les faut écrire sur le vent ou sur l'onde rapide.

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LXXI

Si jamais homme fut victime à juste titre du bouc maudit logé sous ses aisselles et de la goutte paresseuse qui le déchire, c'est assurément ton rival, celui qui te remplace auprès de ta maîtresse ; et, chose admirable ! c'est à toi qu'il est redevable de cette double infirmité : [5] toutes les fois, ils en sont punis tous les deux ! Car, toutes les fois qu'il la prend dans ses bras, il l'infecte, de son odeur, et lui, la goutte le tue.

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LXXII. À Lesbie

Jadis tu me disais, Lesbie, que tu ne connaissais que Catulle et que tu préférais mes caresses à celles de Jupiter lui-même. Je t'ai chérie alors, non pas de cet amour vulgaire qu'inspire une maîtresse, mais de cette tendresse qu'un père a pour ses enfants et ses gendres. [5] Mais maintenant je te connais ! Aussi, quoique je brûle et me consume plus que jamais, tu n'as plus pour moi ni les mêmes charmes, ni le même prix. - Comment cela peut-il être ! diras-tu. - C'est qu'une telle perfidie force ton amant à t'aimer davantage, mais à t'estimer moins.

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LXXIII. Contre un ingrat

Cesse de vouloir faire plaisir à quelqu'un ou de croire à la reconnaissance de personne. L'ingratitude est générale ; les bienfaits sont comptés pour rien : que dis-je ? ils sont un fardeau, un sujet de haine. [5] J'en fais la triste expérience, moi qui trouve le plus dangereux, le plus cruel de mes persécuteurs dans celui qui naguère eut en moi son seul et unique ami.

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LXXIV. Contre Gellius

Gellius avait ouï dire que son oncle censurait d'ordinaire ceux qui parlaient de l'amour ou le faisaient. Pour se mettre à l'abri d'un tel reproche, il *a séduit* la propre femme de son oncle et réduit son oncle au rôle d'Harpocrate. [5] Il en est ainsi venu à ses fins : car, bien qu'aujourd'hui il *abuse de* son oncle lui-même, son oncle ne dira mot.

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LXXV. À Lesbie

Vois où tu as réduit mon âme par ta faute, ma Lesbie ; vois à quel degré de misère elle est tombée par sa fidélité : quand tu deviendrais la plus honnête des femmes, je ne pourrais te rendre mon estime, ni cesser de t'aimer, quand tu ferais tout pour cela.

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LXXVI. À lui-même

Si le souvenir du bien qu'il a fait est un plaisir pour l'honnête homme qui peut se dire à lui-même qu'il n'a jamais violé la sainteté du serment, ni jamais, pour tromper ses semblables, abusé de la puissance des dieux, [5] que de joies, ô Catulle, si longue que soit ta vie, te promet un amour si mal récompensé ! Tout ce qu'un homme peut dire et faire de plus bienveillant, tu l'as dit, tu l'as fait, mais en vain, pour l'ingrate qui te trompe. [10] À quoi bon prolonger tes tortures ? reprends courage, romps pour toujours tes chaînes, et, quand les dieux condamnent ton amour, cesse de faire toi-même ton malheur. II est difficile de renoncer tout à coup à un amour si long ; difficile, sans doute ; mais tu dois tout faire pour y parvenir. [15] Là est le seul salut, il te faut remporter cette victoire. II le faut, possible ou non. O dieux ! si la pitié est votre attribut, si jamais vous avez porté secours aux malheureux luttant contre les angoisses suprêmes de la mort, contemplez mon infortune, et, si ma vie fut pure, [20] délivrez-moi de ce fléau destructeur, qui, se glissant comme un poison torpide jusqu'au fond de mes veines, a banni toute joie de mon coeur ! Je ne demande plus qu'elle me paye de retour, ou, - ce serait demander l'impossible, - qu'elle veuille bien écouter la pudeur ; [25] je ne désire que guérir moi-même et chasser cette maladie noire ! O dieux accordez-moi cette grâce pour prix de ma piété !

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LXXVII. À Rufus

C'est donc en vain, Rufus, c'est donc à tort que je t'ai cru mon ami ? Que dis-je, en vain ? j'ai fait même une trop cruelle épreuve de ta fausseté ! As-tu donc pu te glisser ainsi dans mon coeur et, brûlant mes entrailles, me ravir, hélas ! mon bonheur ? [5] Oui, me le ravir ! hélas ! cruel poison de ma vie ! hélas ! fléau de notre amitié !

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LXXVIII. Sur Gallus

Gallus a deux frères : l'un a une femme délicieuse, l'autre un fils séduisant. L'aimable homme que Gallus ! grâce à lui se nouent des amours agréables : un même lit reçoit la jolie femme et le joli garçon. [5] Mais Gallus est un sot, car il ne voit pas qu'il est marié, et qu'il enseigne, lui, un oncle, la façon de tromper un oncle !

... Ce qui m'afflige maintenant, c'est que ton immonde salive a souillé les lèvres pures d'une pure jeune femme ; mais cette insulte ne restera pas impunie : tous les siècles te connaîtront et la renommée devenue vieille dira qui tu es.

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LXXIX. Contre Lesbius

Lesbius est beau : oui, sans doute, puisque Lesbie le préfère à toi, Catulle, et à toute ta famille. Mais, tout beau qu'il est, je consens qu'il vende Catulle et toute sa famille, si, parmi les gens qu'il connaît, il en trouve qui reçoive de lui trois baisers !

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LXXX. À Gellius

Dirai-je, Gellius, pourquoi tes jolies lèvres roses deviennent plus blanches que la neige d'hiver, lorsque tu sors le matin de chez toi et que, dans les longs jours, la huitième heure t'arrache aux douceurs de la sieste ? [5] J'en ignore la cause ; mais dois-je en croire ce que chacun se dit à l'oreille, que ta bouche *dévore un homme dans son centre* ? En effet, les flancs épuisés du malheureux Victor et cette *éjection* qui souille tes lèvres le proclament assez !

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LXXXI. À Juventius

Juventius, parmi la foule qui t'entoure, n'était-il donc aucun homme aimable, digne d'obtenir tes bonnes grâces, pour que tu allasses déterrer sur les rivages empestés de Pisaure ce moribond à la face plus jaune qu'une statue dorée, [5] qui est maintenant l'objet de tes amours et que tu oses nous préférer ? Ah ! tu ne sais pas quel crime tu commets !

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LXXXII. À Quintius

Veux-tu, Quintius, que Catulle te doive les yeux et plus encore, s'il est quelque chose de plus cher que les yeux ? ne cherche point à lui ravir celle qui lui est mille fois plus chère que les yeux, s'il est quelque chose de plus cher que les yeux.

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LXXXIII. Contre le mari de Lesbie

En présence de son mari, Lesbie me dit mille injures ; et le nigaud en est au comble de la joie. Mulet, tu ne te doutes de rien. Si elle ne pensait pas à moi et se taisait, elle serait intacte. Or, elle me gronde et m'injurie. [5] Non seulement elle pense à moi, mais, ce qui est bien pire, elle est en colère, c'est-à-dire brûlante et en feu.

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LXXXIV. Sur Arrius

Lorsque Arrius voulait dire commode, il disait chommode, il disait hembûches pour embûches ; et plus il disait hembûches, plus il se flattait d'avoir parlé à merveille. [5] Ainsi, je crois, prononçait sa mère, ainsi prononçaient l'affranchi son oncle, et son aïeul maternel, et son aïeule. Enfin, il part pour la Syrie et laisse en repos les oreilles de tout le monde ; ces mots avaient repris leur prononciation douce et légère, et nous ne craignions plus de les voir ainsi défigurés, [10] quand tout à coup, horrible nouvelle ! on apprend que, depuis l'arrivée d'Arrius, la mer Ionienne ne s'appelle plus Ionienne, mais Hionienne.

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LXXXV. Sur son amour

Je hais et j'aime. - Comment cela se fait-il ? demandez-vous peut-être. - Je l'ignore ; mais je le sens, et c'est là un supplice.

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LXXXVI. Sur Quintia et Lesbie

Au dire de bien des gens, Quintia est belle : pour moi, je la trouve blanche, grande et bien faite. Détails que je ne lui conteste pas ; mais est-elle belle avec tout cela ? Non sans doute, car dans tout ce grand corps, il n'y a rien de gracieux, rien de piquant. [5] Lesbie, au contraire, est belle, non seulement de par toute sa beauté, mais d'avoir dérobé à toutes les autres femmes tous leurs attraits.

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LXXXVII

Jamais femme n'a pu se dire aussi tendrement aimée que tu l'as été de moi, ô ma Lesbie ! jamais la foi des traités n'a été plus religieusement gardée que ne l'ont été par moi nos serments d'amour.

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LXXXVIII. Contre Gellius

Quel crime, ô Gellius, commet celui qui [passe son désir sur] sa mère et sa soeur, et qui, tunique bas, demeure la nuit près d'elles ? celui qui rend son oncle incapable d'être un mari ? Sais-tu bien tout ce qu'a de criminel cette conduite ? [5] Non, Gellius, ni Téthys qui borne le monde, ni l'Océan, père des Nymphes ne lavent une telle turpitude, car l'homme ne saurait aller plus loin en fait de crime, se dévorât-il lui-même la tête penchée !

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LXXXIX. Sur Gellius

Gellius est mince : comment ne serait-il pas mince ? Il a une mère si bonne et si solide, une soeur si jolie, un si bon oncle ; il compte dans sa famille tant de jeunes parentes ! Comment cesserait-il d'être maigre ? [5] Même s'il ne touchait qu'à ce qu'il lui est interdit de toucher, on devinerait facilement la cause d'une telle maigreur.

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XC. Contre Gellius

Qu'il naisse un mage de l'union impie de Gellius et de sa mère, et qu'il apprenne à l'école des Perses l'art des aruspices ! puisque, s'il faut en croire l'impie superstition des Perses, c'est d'une mère et de son fils que naît le mage [5] dont les hymnes sont agréables aux dieux et qui fait fondre dans la flamme la graisse des victimes.

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XCI. Contre Gellius

Si j'espérais, Gellius, pouvoir me fier à toi dans cet amour insensé qui fait le tourment de ma vie, ce n'est pas que j'eusse bonne opinion de toi et que je crusse à ta constance ni à ta répugnance pour toute action honteuse ; [5] mais je me fiais à ce que celle pour qui je me consumais d'amour n'était ni ta mère ni ta soeur. Or, quelle que fût l'intimité qui existât entre nous, je n'avais pas cru que ce fût une cause suffisante pour que tu devinsses mon rival. C'en fut assez pour toi : tant tu trouves de plaisir [10] dans toute faute qui offre l'ombre du crime !

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XCII. Sur Lesbie

Lesbie médit de moi constamment et jamais ne tarit sur mon compte : que je meure si Lesbie ne m'aime pas. - La preuve ? - C'est qu'aussi bien moi-même je la maudis sans cesse, mais que je meure, si je ne l'aime pas !

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XCIII. Contre César

Je n'ai pas trop envie, ô César, de te vouloir plaire ni de savoir si tu es blanc ou noir.

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XCIV. Contre Mentula

Mentula fornique. - Mentula fornique ? - Parfaitement. Comme dit le proverbe : la marmite cueille les choux toute seule.

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XCV. Sur la Smyrne du poète Cinna

Nous avons compté neuf moissons et neuf hivers depuis que mon cher Cinna a commencé son poème de Smyrne, qui paraît enfin ; pendant cet espace de temps, Hortensius a produit, chaque année, cinq cent mille vers... [5] Mais la gloire de la Smyrne se répandra jusqu'aux eaux profondes du Satraque et la Smyrne sera lue dans les siècles chenus, tandis que les Annales de Volusius mourront aux bords même de la Padoue et feront d'amples tuniques pour envelopper les maquereaux... Tout petits qu'ils sont, puissé-je aimer toujours les ouvrages de mon ami... [10] et je laisse le vulgaire admirer l'ampoulé Antimaque.

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XCVI. À Calvus, sur Quintilia

Si notre deuil, Calvus, peut apporter quelque consolation aux silencieux tombeaux ; s'ils ne sont pas insensibles aux regrets qui nous rappellent nos anciennes amours, aux pleurs que nous donnons à des amitiés depuis longtemps perdues ; [5] ta Quintilia, Calvus, doit moins s'affliger de sa mort prématurée, que se réjouir de ton amour !

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XCVII. Contre Aemilius

Que les dieux m'aiment si je puis dire si c'est la bouche ou le cul d'Aemilius qui sent le plus mauvais. Rien n'est plus immonde que l'un, si ce n'est l'autre. Mais son cul est encore plus propre et préférable, [5] car il n'a pas de dents, tandis que sa bouche offre des dents de six pieds et des gencives semblables à un vieux coffre. Ajoutez que le *sexe* ouvert d'une mule, qui pisse pendant les chaleurs de l'été, présente l'image de cette bouche fendue. Et pourtant cet homme *fait l'amour avec* beaucoup de femmes et a des prétentions à la grâce, [10] et on ne l'envoie pas à la meule et à l'âne du boulanger ! Si quelque belle le touche, ne pouvons-nous la croire capable de lécher le cul d'un bourreau malade ?

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XCVIII. À Vectius

Il existe un proverbe qui s'adresse ordinairement aux bavards et aux niais : "Sa langue n'est bonne qu'à lécher des culs et des sabots de rustre". Or, si jamais personne a mérité qu'on lui en fît l'application, c'est toi surtout, infect Vectius. [5] Si donc tu veux nous perdre tous, ouvre seulement la bouche : tous tes voeux seront satisfaits.

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XCIX. À Juventius

Juventius aussi doux que le miel, je t'ai ravi en jouant, un petit baiser plus doux que la douce ambroisie ! Mais ce baiser ne fut pas impuni. Pendant plus d'une heure, en proie, - je m'en souviens, - au plus cruel supplice, [5] j'ai tâché de me justifier ; mes pleurs n'ont pu désarmer, si peu que ce fût, ta rigueur. À peine t'avais-je pris ce baiser que, pour effacer jusqu'à la trace du contact d'une bouche, tu as essuyé de tous tes doigts tes lèvres humectées, [10] comme si [une immonde bave] les eût souillées de son impure salive. De plus, tu m'as fait longtemps éprouver tous les tourments d'un amour dédaigné ; tu as changé pour moi en un poison plus amer que l'hellébore amer l'ambroisie de ce petit baiser. [15] Puisque c'est le châtiment que tu réserves à l'amour malheureux, jamais plus je ne te ravirai de baisers !

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C. Sur Caelius et Quintius

Caelius et Quintius, la fleur des jeunes gens de Vérone, meurent d'amour, l'un pour Aufilenus, l'autre pour Aufilena ; l'un pour le frère, l'autre pour la soeur. Voilà ce qui s'appelle une confraternité vraiment suave ! [5] Pour qui seront mes voeux ? pour toi, Caelius ; oui, c'est un devoir que m'impose l'amitié dont tu m'as donné tant de preuves, lorsque mes moelles étaient consumées d'un amour insensé. Sois heureux, ô Caelius, et puisse ta vigueur répondre à ton amour.

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CI. Aux Mânes de son frère

J'ai traversé bien des pays et bien des mers pour venir, ô mon frère, apporter à tes restes infortunés la suprême offrande due à la mort et interroger en vain ta cendre muette. [5] Puisque la fortune, t'enlevant à mon amour, me prive, hélas ! si injustement du bonheur de te revoir, permets du moins que, fidèle aux pieux usages de nos pères, je dépose sur ta tombe ces tristes offrandes baignées des larmes fraternelles. Et pour toujours, ô mon frère, salut et adieu !

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CII. À Cornelius

Si jamais il exista un mortel d'une discrétion éprouvée et qui sut garder fidèlement le secret confié par un ami, ce mortel, ô Cornelius ! pour qui la loi du serment fut toujours sacrée, c'est moi : crois-moi devenu un autre Harpocrate !

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CIII. À Silon

Ou rends-moi, s'il te plaît, Silon, mes dix mille sesterces, et sois ensuite aussi cruel, aussi implacable qu'il te plaira ; ou, si les écus ont pour toi tant de charmes, renonce à vouloir avec ton métier d'entremetteur, être si cruel et si implacable !

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CIV. À un quidam sur Lesbie

Crois-tu donc que j'ai pu médire de celle qui est ma vie, de celle qui m'est plus chère que les deux yeux ? Non, je ne l'ai pas pu ; si je le pouvais, je ne l'aimerais pas si éperdument. Mais toi, avec Tappon, tu fais un monstre de tout.

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CV. Contre Mentula

Mentula s'efforce de gravir la montagne de Pipla, les Muses à coups de fourches l'en font descendre la tête la première.

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CVI. Le jeune garçon et le crieur public

En voyant ce joli garçon accompagner un crieur public, que croire, sinon qu'il cherche un acheteur ?

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CVII. À Lesbie

Si quelque événement inespéré vient combler les souhaits et les voeux d'un mortel, rien n'égale alors sa félicité. Celle que j'épouse m'est plus précieuse que l'or, quand tu me reviens, Lesbie, objet de mes désirs. [5] De toi-même, mon désir, tu me reviens, quand je ne t'espérais plus ; ô jour à marquer d'une pierre blanche entre toutes ! Est-il un mortel plus heureux que moi ? Et qui pourra dire que rien soit plus enviable que ma vie ?

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CVIII. Contre Cominius

Si, au gré du peuple, la mort, ô Cominius, mettait un terme à ta vieillesse chenue, souillée par tes moeurs impures, je ne doute point que ta langue, ennemie de tous les gens de bien, ne fût d'abord coupée et livrée à l'avide vautour ; [5] on trancherait les yeux que le noir corbeau dévorerait à coups de bec ; tes entrailles seraient jetées aux chiens et le reste de tes membres aux loups !

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CIX. À Lesbie

Tu me promets, ô ma vie ! que notre amour sera délicieux et qu'il durera toujours : grands dieux ! faites que cette promesse soit vraie, et qu'elle parle sincèrement et du fond du coeur, [5] pour que les noeuds d'un amour sacré durent jusqu'au terme de notre existence !

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CX. À Aufilena

Aufilena, les amies honnêtes reçoivent toujours des louanges ; elles reçoivent le prix des faveurs qu'elles accordent. Mais toi, qui as promis sans tenir, tu n'es pas une amie ; toi, qui prends sans rien rendre, tu commets une mauvaise action. [5] Il est d'une bonne fille de faire ce qu'elle a promis, d'une fille chaste de ne rien promettre. Mais ramasser l'argent et frustrer ceux qui le donnent, c'est faire pis qu'une avide courtisane, qui se prostitue de tout son être.

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CXI. À Aufilena

Aufilena, la gloire des gloires pour une femme mariée, c'est de se contenter toute sa vie d'un seul homme. Mais il vaut mieux qu'une femme cède au premier venu que de vivre avec son oncle et d'être la mère de ses cousins germains.

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CXII. Contre Nason

Tu es innombrable, Nason, mais ceux-là ne sont pas innombrables qui vont avec toi. Oui, Nason, tu es un homme innombrable, un giton.

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CXIII. À Cinna

Sous le premier consulat de Pompée, ô Cinna, Maecilla avait deux amis ; sous son second consulat, ils sont bien restés tous les deux, mais chacun d'eux en a produit des milliers d'autres : tant l'adultère est une semence féconde !

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CXIV. Contre Mentula

La terre de Firmum suffit, non sans raison, pour faire à Mentula la réputation d'un homme riche : que de trésors en effet renferme ce domaine ! gibier, poissons de toute sorte, prairies, terres à blé, bêtes sauvages. Mais à quoi bon ? la dépense excède le revenu. [5] Qu'il soit riche en manquant de tout, j'y consens. Vantons même son domaine, pourvu qu'il meure de faim.

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CXV. Contre Mentula

Mentula a comme trente arpents de prés, quarante de terres labourables : quant au reste, c'est grand comme les mers. Ne pourrait-il prétendre à surpasser Crésus en richesses, celui qui, dans un seul domaine, possède tant de trésors : [5] prairies, champs, forêts immenses, bocages marais, qui s'étendent jusqu'aux Hyperboréens et jusqu'à la mer Océane ? Tout cela sans doute est bien grand, mais Mentula l'est encore plus : ce n'est pas un homme, c'est une mentule énorme et menaçante.

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CXVI. À Gellius

Souvent j'ai cherché dans mon esprit par quel moyen je pourrais te faire parvenir des vers du descendant de Battus, pour calmer ton courroux et soustraire ma tête aux traits vengeurs dont tu ne cesses de la menacer ; [5] mais je vois à présent que mes efforts sont vains et que mes prières sont vaines, ô Gellius : lance donc tes traits, mon manteau suffira pour m'en garantir, mais les miens te perceront d'outre en outre et ils te mettront au supplice.

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Bibliotheca Classica Selecta - Autres traductions françaises dans la BCS

Catulle : Pièces I à LX - Pièces LXI à LXIV - Pièces LXV à CXVI (hypertexte louvaniste)


Commentaires éventuels: Jacques Poucet (poucet@egla.ucl.ac.be)