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Pervigilium Veneris : Texte latin et traduction

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 Pervigilium Veneris

La Veillée de Vénus

 

Poème latin anonyme de l'époque impériale

 

Traduction nouvelle avec notes de Danielle De Clercq, Bruxelles, 2004

 

Introduction

 


 

Un poème en quête d'auteur

    Érasme fut le premier à redécouvrir cet hymne de 93 septénaires trochaïques en consultant un manuscrit qui attribuait l'œuvre à Catulle, affirmation qu'il mit en doute. C'était à Venise en 1507, alors que l'humaniste séjournait chez Aldo Manuzio. Septante ans plus tard, Pierre Pithou réalisait l'édition princeps du poème, qu'il avait découvert, transcrit anonymement, dans le codex Thuaneus (T) du IXe ou du Xe siècle, à côté de vers de l'Anthologie latine attribués à Florus, dont il sera question plus bas.

    Trois autres manuscrits livrèrent encore le texte du poème: en 1619 le Salmasianus (S) de la fin du VIIe ou du VIIIe s., qui contient la majeure partie de l'Anthologie latine, elle-même compilée à Carthage aux environs de 500 p.C.; le Vindobonensis (V) écrit au début du XVIe par le poète Jacopo Sannazaro et qui ne remonte à aucun des deux manuscrits déjà mentionnés; l' Ambrosianus (A) du XVIe s., qui ne transmet que 43 vers du poème. On n'a pas retrouvé de trace du manuscrit consulté par Érasme.

    L'œuvre, souvent traduite depuis le XVIIe siècle, connut la célébrité au point d'être à l'occasion partiellement paraphrasée, notamment dans un passage des Martyrs de Chateaubriand. Elle ne fut traitée scientifiquement, - très abondament d'ailleurs, - qu'à partir du XIXe siècle.

    Si on a abandonné l'idée que le Pervigilium Veneris était un pastiche dû à l'un ou l'autre érudit de la Renaissance ou de l'époque moderne, on n'en a pas moins aucune certitude quant à son auteur et l'époque de sa composition. Tous les critiques ne s'accordent que sur le fait qu'il s'agit d'une œuvre de l'époque impériale et qu'elle ne remonte pas plus haut que le IIe s. Diverses hypothèses ont été émises, dont voici les plus importantes :

- l'œuvre serait contemporaine d'Hadrien, comme cela a été avancé à diverses reprises, et notamment par Schilling, et attribuable à un auteur proche de cet empereur, Florus, connu surtout pour ses Epitomae de l'œuvre de Tite-Live, mais aussi poète à ses heures. Outre de rapprochements stylistiques, on tire argument de l'importance accordée au culte de Vénus par Hadrien (Cf. Schilling pp. XXIX sqq).

- Baehrens place à la seconde moitié du IVe siècle de notre ère la composition du poème, qui serait due au poète Tibérianus, repris, comme Florus, dans l'Anthologie latine.

- D'autres philologues, qui font remonter également l'œuvre au IVe s., l'attribuent à un poète de l'entourage de Symmaque.

- Parmi des commentateurs plus récents, Catlow (pp. 21 sv), refusant catégoriquement ces diverses attributions, pour des raisons historiques, et aussi de style et de métrique, émet l'hypothèse selon laquelle l'œuvre aurait été composée au cours du IVe siècle par un poète originaire de la province d'Afrique, et avance même qu'il s'agirait plutôt d'une poétesse. Le choix de l'époque s'appuie notamment sur la récurrence de l'emploi post-classique dans le poème de la préposition de, comme c'est le cas aussi chez Augustin et Fulgence. Formicola (pp. 28 sv.) réfute ce point de vue et, sans se prononcer sur son auteur, place au cours du IIe siècle de notre ère la composition du poème en s'attardant particulièrement aux traits stoïcisants qui y apparaissent.

    Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un poète profondément marqué par les œuvres des plus grands représentants de l'aurea et de l'argentea latinitas. Le texte fourmille, souvent avec bonheur, de réminiscences, plus ou moins diffuses, qui entraînent le lecteur de Catulle à Stace en passant par Lucrèce, Virgile, Ovide, Tibulle... Il arrive à l'auteur d'aller jusqu'à la paraphrase, comme c'est le cas pour les vers 59-62, directement inspirés des Géorgiques. Ce même éclectisme se retrouve dans le substrat philosophique qui apparaît dans quelques vers. Tout cela aboutit à une composition particulière et originale dans sa fidélité à un passé littéraire prestigieux, qu'elle s'inscrive dans la littérature postclassique du IIe s. ou comme un délicat fleuron païen, - l'un des derniers, - de l'Antiquité tardive du IVe s.

 

Contenu 

Vénus 

    Cet hymne, qu'un refrain lancinant divise en dix strophes de longueurs inégales, célèbre Vénus créatrice de toute vie telle qu'on la découvre chez Ovide (Fastes IV 91 sv). On découvre sous ce nom divin, dans un curieux éclectisme, à la fois la Vénus que l'épicurien Lucrèce, dès les premiers vers du De Natura Rerum, présente comme moteur de la nature, mais aussi le principe créateur stoïcien, quand il s'agit de la description de son action dans l'univers, cela du moins au niveau de la terminologie.

    Vénus toutefois ne se limite pas, loin s'en faut, à la personnification d'un principe universel. Elle est avant tout une divinité bien réelle, qui est l'objet d'un culte, puisqu'il s'agit ici de sa fête liée au retour du printemps. Elle s'inscrit dans la mémoire mythologique avec l'évocation du récit hésiodique de sa naissance. Elle régit la vie de la nature tout entière, qui ressent avec bonheur son emprise, mais aussi l'histoire, - romaine, cela va sans dire, - et les destinées individuelles, en l'occurrence ici par l'initiation des jeunes filles à l'amour et au mariage. Elle est certes désignée par dea, diua, mais aussi, comme chez les auteurs comiques, avec une familiarité déférente par ipsa, comme si une maisonnée parlait de la maîtresse des lieux. C'est "Elle".

Tête de l'Aphrodite pudique du Musée de Tripoli. Époque romaine. Image complète.

    Rôle attendu que celui de déesse de l'amour. Mais la Vénus du Peruigilium, empreinte à la fois de la grâce d'Aphrodite Anaduoménê, et surtout d'une majesté toute romaine, n'a rien de folâtre. C'est la Venus bona de Catulle (LXI, 44). Elle prend d'ailleurs explicitement ses distances avec Cupidon : l'amour doit déboucher sur un engagement unique et sérieux, qui s'inscrit dans la logique de la procréation, loi de l'univers, et non sur des aventures sans lendemain. L'accent est mis dans le poème dès le v. 7 sur l'aspect normatif et directif de Vénus.

Finalité du poème

    Il serait erroné de voir dans le Peruigilium Veneris une œuvre officielle et de commande comparable au Carmen Saeculare d'Horace. La seule intervention du poète confiant ses états d'âme à la fin du poème fournit déjà, à elle seule, un argument suffisant dans ce sens. L'hymne reflète plutôt des festivités célébrant le retour du printemps dès avril et le culte rendu à l'Aphroditê Anaduomenê au sein de certaines communautés de l'Empire, sans qu'il s'agisse pour autant de fêtes officielles de la religion romaine. D'autre part, au cours de la fête décrite ici, Vénus s'adresse à des Nymphes et non à des mortelles, ce qui fait de ce passage du poème (28-58) une sorte de féerie, une projection dans un univers idéal. Certes, il y a une allusion claire à la ville sicilienne d'Hybla, à identifier avec Hybla Gereatis, connue pour son culte de Vénus. Mais Catlow (pp. 33-34) et Formicola (p. 18) y voient plutôt une allusion à la fertilité du site, ce qui était d'ailleurs un lieu commun littéraire.

    D'autre part, l'hymne, qui s'est distingué par sa grâce et son allégresse, change de ton dans les derniers vers et s'achève sur une note personnelle désabusée et chagrine, où l'auteur se présente comme condamné au silence (89 sv.). Pourtant, il n'y a pas de rupture abrupte. On se rend aisément compte d'ailleurs combien cette fin est annoncée dès les tout premiers vers. Ce poème brise un long silence, sans doute conséquence de la fin d'un amour ou de l'absence d'amour, ce qui a amené son auteur à cette méditation sur l'essence même de l'amour et la place de celui-ci dans l'ordre du monde. On se trouve devant une tentative de dépasser le chagrin, un appel à se faire aimer de ce poète qui doute de lui-même et de son talent, et que seul un (nouvel) amour pourrait remettre en confiance. Tout son espoir tient dans la seconde partie du refrain ...et qui a aimé, demain vive d'amour.

 

Traduction et présentation

    La traduction, même si elle est en désaccord sur certains points, s'appuie sur l'édition du texte latin proposée par Catlow et est présentée en regard du texte. La scansion suit les indications de Luisa Cocci. J'ai choisi de rédiger le texte en vers libres dont le contenu, autant que faire se peut, coïncide pour chacun avec son homologue latin. J'ai également ajouté des titres pour marquer les trois parties du poème ainsi que sa division en neuf strophes, la dernière étant divisée en deux.

 

Langue

    L'ensemble du texte se distingue par la simplicité de la syntaxe des propositions, où dominent les indépendantes. Des tournures populaires (38) côtoient quelques hellénismes (7) et néologismes (5; 19). On remarquera que les emplois de la préposition de s'étendent à l'extrême des possibilités de la langue classique et sont parfois déconcertants (cf. 4; 17; 39). D'autre part, on relèvera aussi, dans la première strophe (cf. 5 sv), l'emploi du praesens pro futuro avec l'adverbe cras. On peut s'étonner aussi qu'un sujet au pluriel passe au singulier dans la phrase suivante (cf. 23).

 

Bibliographie

 Éditions critiques commentées

Catlow = Peruigilium Veneris. Edited with a Translation and a Commentary by Laurence Catlow. Latomus 1980.

Formicola = Peruigilium Veneris. Introd., testo cr., trad., comm. e Lexicon a cura di Crescenzo Formicola. Loffredo Editore - Napoli. 1998.

Schilling = La veillée de Vénus. Peruigilium Veneris. Texte établi et traduit par Robert Schilling. Deuxième édition. Paris, Société d'édition "Les Belles Lettres". 1961.

L'introduction et les notes s'appuient essentiellement sur ces trois ouvrages.

Goold = Catullus. Tranlated by. F.W. Cornish. Tibullus. Translated by J.P. Postgate. Pervigilium Veneris. Translated by J.W. Mackail. Second Edition Revised by. G.P. Goold. Loeb Classical Library. Harvard University Press 1988.
La traduction de J.W. Mackail, qui remonte à 1913, est préfacée et remaniée par G.P. Goold (1987).

  Divers

Belfiore = Jean-Claude Belfiore, Dictionnaire de Mythologie grecque et romaine. Larousse. 2003

 

Liens

Édition hypertexte : http://www.intratext.com/X/LAT0118.htm

Version scandée : Luisa Cocci. Peruigilium Veneris - lettura metrica - Informazioni sull' settenario trocaico. http://www.ostraca.it/posta/settenario_pervigilium.htm.

 

Compositions musicales

du XVIIIe siècle

du XXe siècle : http://www.chesternovello.com/work/10052/main.html

 

    Je conclurai en remerciant de tout cœur une nouvelle fois Jacques Poucet et Anne-Marie Boxus pour leur aide précieuse et les conseils qu'ils m'ont dispensés sans compter au cours de l'élaboration de ce document.

 

Danielle De Clercq, Janvier 2004

 

Texte latin et traduction