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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


APULEE

L'Âne d'or ou les Métamorphoses

3a. Chez les brigands (III, 28, 1 - VII, 13, 7)

[sauf le Conte d'Amour et de Psyché]


Le départ avec les brigands

(III, 28, 1) Bientôt l'on force l'entrée; un gros de bandits envahit tout l'intérieur, tandis qu'un autre parti armé jusqu'aux dents garde toutes les issues. De divers côtés, les voisins arrivent au secours; mais les brigands leur font face et les repoussent. (2) Les torches se reflétant sur les glaives nus illuminent les ténèbres, et le double éclat du fer et de la flamme produit l'effet du soleil levant. (3) Au centre de la maison se trouvait une espèce de magasin, bien défendu par toute espèce de fermeture et renfermant les trésors de Milon. (4) Ils en enfoncent la porte à grands coups de hache, s'emparent de tout le butin, l'empaquettent à la hâte, et s'en distribuent la charge entre eux. (5) Mais il se trouve plus de fardeaux que de porteurs: dans l'embarras de tant de richesses et réduits aux expédients, ils me tirent de l'écurie avec l'autre âne et mon cheval, (6) nous chargent impitoyablement de ce qu'il y a de plus lourd dans le bagage, et, le bâton levé, nous poussent hors du logis, après y avoir fait maison nette. Un des leurs cependant resta seul en arrière, avec charge d'observer, et de faire son rapport de ce qui se passerait sur les lieux. Les autres, à force de coups, nous font gagner grand train une passe écartée de la montagne.

(III, 29, 1) L'énormité de ma charge, la roideur de la côte, la longueur du chemin, m'avaient tué plus qu'à demi. L'idée me vint alors, un peu tard, mais tout de bon, de recourir à la protection publique, de faire intervenir pour ma délivrance le nom sacré de l'empereur. (2) Il faisait grand jour quand nous arrivâmes dans un bourg d'une certaine importance, où se tenait précisément un marché, et où par conséquent l'affluence était considérable. Je voulus donc, me trouvant au milieu de cette population grecque, attester l'auguste nom de César dans ma langue maternelle. (3) O! m'écriai-je de l'accent le plus expressif et le mieux articulé. Mais il me fut impossible de prononcer le mot César. (4) Les voleurs, impatientés de cette tenue discordante, font à l'envi pleuvoir une grêle de coups sur mon pauvre cuir, et le mettent hors d'état de servir même de crible. Un moment, toutefois, Jupiter m'offrit une chance de salut que je n'attendais guère. (5) En traversant plusieurs hameaux où se trouvaient quelques habitations considérables, j'aperçois un joli petit jardin, et là, parmi d'autres fleurs, des roses en bouton, humides encore de la rosée du matin: (6) je m'en approche palpitant d'espoir; et déjà mes lèvres étendues étaient près d'y atteindre, quand une sage réflexion m'arrêta. (7) Si je quitte soudain ma figure d'âne pour redevenir Lucius, dis-je à part moi, je m'expose à une mort certaine; ces voleurs vont me prendre pour magicien, ou de ma part craindre des révélations. (8) Je fis donc de nécessité vertu; je passai devant les roses sans y toucher, et, prenant mon mal en patience, je cheminai, rongeant mon frein de baudet.

Le laurier-rose

(IV, 1, 1) Il était près de midi, et le soleil devenait très ardent. Nous fîmes halte dans un hameau, chez de vieilles gens de la connaissance des voleurs, et apparemment de leurs amis. (2) C'est ce que j'augurai d'abord, tout âne que j'étais, de leurs longs pourparlers et de leurs embrassades. (3) En effet, on prit sur mon dos divers objets qu'on leur offrit; et, autant que je pus comprendre, on leur disait tout bas que c'était pour leur part. (4) On nous décharge ensuite tout à fait, pour nous laisser paître en liberté dans un pré voisin. Mais je faussai compagnie à l'autre âne et à mon cheval durant leur repas: un dîner de foin n'était pas encore de mon goût. (5) Cependant, comme je mourais de faim, j'entrai sans façon dans un petit jardin que j'aperçus derrière l'écurie: j'y trouvai pour tout ordinaire des légumes crus, dont je ne laissai pas de m'emplir le ventre. Ce repas fait, je me mets à chercher des yeux de tous côtés, tout en invoquant les dieux, si dans les jardins contigus il ne se montrerait pas quelque part un beau rosier fleuri car, le remède trouvé, (6) j'espérais, grâce à la solitude et avec le secours de quelque buisson, pouvoir quitter incognito mon humble figure de quadrupède, et me redresser sous la forme humaine.

(IV, 2, 1) Tandis que je me perdais dans un océan de réflexions, je crus voir à quelque distance un vallon boisé, formant un épais ombrage. De loin, mes yeux étaient réjouis d'une délicieuse verdure, émaillée de mille fleurs, parmi lesquelles tranchait vivement l'incarnat de la rose. (2) Mon imagination n'était pas encore abrutie: aussi se peignit-elle soudain le bocage favori de Vénus et des Grâces, et, sous son mystérieux feuillage, la fleur consacrait à la déesse s'épanouissant dans tout son éclat royal. (3) Invoquant donc le dieu du Succès, je pars au galop, avec la vitesse, non plus d'un âne, mais d'un cheval de course lancé à fond de train. (4) Vain effort! rien ne servait contre ma mauvaise fortune. (5) J'approche; adieu les roses! adieu ces tendres et délicates fleurs, arrosées de nectar et d'ambroisie! adieu le divin buisson et ses mystiques épines! adieu même le vallon! (6) Je ne vois plus que l'encaissement d'une petite rivière, bordée d'une rangée d'arbres touffus, (7) de ces arbres à feuilles oblongues, imitant celles du laurier, et dont la fleur au calice allongé, d'un rouge pâle, (8) et complètement inodore, n'en a pas moins usurpé dans le rustique vocabulaire le nom de laurier-rose. C'est pour tout animal une nourriture mortelle.

(IV, 3, 1) Mais, dans cette fatale conjoncture, décidé à mourir, je persistais à vouloir manger de ces roses vénéneuses, (2) et j'en approchais, sans trop d'empressement toutefois, lorsqu'un jeune garçon, apparemment le jardinier de l'enclos où j'avais fait un si grand ravage de légumes, accourut, (3) exaspéré de ce dégât, un long bâton à la main. Le drôle me roua de coups, et m'aurait laissé sur la place, si je ne me fusse moi-même secouru fort à propos. (4) Je levai soudain la croupe, et, lui détachant force ruades, je le jetai en assez mauvais état contre l'escarpement de la berge. Puis je pris ma course aussitôt. (5) Mais une femme (la sienne sans doute), qui d'en haut l'avait vu terrassé et sans mouvement, s'élance vers lui avec des hurlements lamentables, et implorant à grands cris, pour elle, une pitié que la gaillarde voulait tourner à mon détriment. (6) Ses doléances, en effet, mirent sur pied toute la population du village. Voilà qu'on appelle les chiens; et chacun d'exciter leur rage à me mettre en pièces. (7) Cette fois, je me crus à ma dernière heure: voir une bande de chiens, et quels chiens! (tous de force à combattre des lions et des ours!) déchaînés ensemble contre moi! (8) Je prends mon parti. Je cesse de fuir, et, revenant sur mes pas, je regagne au plus vite l'écurie où nous étions d'abord entrés. (9) Les paysans, après avoir arrêté leurs chiens à grand-peine, me saisissent, et m'attachent avec une forte courroie à un anneau scellé dans le mur; et puis, on recommence à me battre. Infailliblement, j'allais être assommé, (10) quand mes intestins, contractés par la douleur des coups et déjà torturés par l'indigeste amas de légumes crus dont je les avais bourrés, tout à coup se dilatent et font explosion, lançant une certaine matière dont les éclaboussures atteignent les uns, et dont l'odeur, en dispersant les autres, dégage mon dos à moitié moulu.

Le repaire des brigands

(IV, 4, 1) Il était midi passé, et le soleil déclinait déjà. Les voleurs nous rechargent à la hâte, en augmentant beaucoup mon fardeau, et nous font quitter l'écurie. (2) Après une traite assez longue, je me sentis épuisé de fatigue. J'étais écrasé sous le faix, et tout rompu des coups de bâton que j'avais reçus; la corne de mes pieds était usée; je boitais et trébuchais à chaque pas. (3) Me trouvant au bord d'un ruisseau qui serpentait paisiblement, il me vint une idée que je crus heureuse. Je voulais, fléchissant adroitement les genoux, me laisser aller à terre, (4) et n'en plus bouger en dépit de tous les coups du monde, dût-on m'écharper, dût-on me couper par morceaux. (5) Invalide comme j'étais, et tout près de rendre l'âme, c'était bien le moins que j'obtinsse mon congé. Infailliblement, me disais-je, les voleurs, impatientés du retard et contraints de précipiter leur fuite, vont répartir ma charge entre mes deux compagnons d'infortune, et m'abandonner pour toute vengeance à la pâture des loups et des vautours.

(IV, 5, 1) Mais un coup du sort vint déranger cette belle combinaison. L'autre âne, comme s'il eût deviné ma pensée, prit l'avance sur moi: le voilà, simulant un excès de lassitude, qui se jette à bas avec tout son bagage, (2) et reste par terre étendu comme mort. Coups de bâton, coups d'aiguillon, rien n'y faisait. On le tiraille en tous sens, par la queue, par les jambes, par les oreilles, pour tâcher de le remettre sur pied: aucun signe de vie. (3) Voyant enfin qu'ils perdaient leur temps, les voleurs, après s'être consultés entre eux, décident qu'il n'y a pas à s'inquiéter davantage d'un âne qui est mort, s'il n'est de pierre. (4) Sa charge est aussitôt partagée entre le cheval et moi. Cela fait, ils lui tranchent les jarrets à coups d'épée, et , le tirant du chemin, le font, respirant encore, rouler du haut en bas dans un précipice voisin. (5) Le sort de mon infortuné compagnon me donna à réfléchir. Je me promis bien de renoncer à toute manoeuvre frauduleuse, et de me conduire avec mes maîtres en âne de probité. (6) J'avais d'ailleurs compris, par leurs discours, que nous ne tarderions pas à faire halte définitive, et que leur habitation n'était pas loin. (7) Nous y arrivâmes en effet, après avoir franchi une côte assez douce. On nous débarrassa de tous nos paquets pour les serrer; et, libre enfin de tout fardeau, je me roulai dans la poussière en guise de bain, pour me délasser.

(IV, 6, 1) C'est ici le lieu de faire la description du séjour ou plutôt de la caverne qu'habitaient les voleurs. (2) Belle occasion d'ailleurs de glisser un échantillon de mon savoir-faire, et de mettre mes lecteurs en état de juger si mon esprit et mon goût sont d'un âne, aussi bien que ma figure.

Imaginez un mont de l'aspect le plus sauvage, à la crête hérissée d'une sombre forêt, et s'élevant à une hauteur prodigieuse. (3) Supposez au bas de ses pentes une ceinture impénétrable de rocs escarpés, qui, renforcés d'une tranchée continue de ravins profonds, et coupés de buissons épineux, forment une double ligne de défense naturelle. (4) Que du sommet jaillisse une source abondante, dont l'onde vomie à gros bouillons se déverse d'abord en une suite de cascades argentées, puis se divise en une multitude de petits ruisseaux qui finissent par se recueillir dans les ravins, où leur masse réunie présente l'aspect d'un lac circulaire, ou vaste fossé d'eau stagnante. (5) Qu'en avant de la caverne, qui s'ouvre au pied de la montagne, s'élève, pour en protéger l'entrée, une tour formidable; l'espace intermédiaire, fermé des deux côtés par une forte palissade de claies, offrira dans son enceinte un parc commode au bétail: le tout accessible seulement par une espèce de ruelle resserrée entre deux môles, droits comme des murs de maçonnerie. (6) Voilà, direz-vous, sur ma parole, un repaire de voleurs des mieux conditionnés. Du reste, aucune habitation dans tout le voisinage, si ce n'est une grossière cabane de roseaux, où, comme je l'ai su depuis, la sentinelle désignée par le sort se postait en observation chaque nuit.

(IV, 7, 1) Les voleurs enfilent l'étroite avenue un à un, et les bras serrés contre le corps. Arrivés devant la porte, ils nous attachent avec de fortes courroies; puis les voilà qui apostrophent une vieille décrépite, et, à ce qui semblait, l'unique ménagère de cette bande de vauriens. (2) Allons! hé! carcasse de rebut, dont l'enfer ne veut pas, dont la terre ne veut plus, te moques-tu de nous de rester là les bras croisés ? Est-ce que nous n'avons pas bien gagné notre souper par tant de périls et de fatigues ? Voyons, ne vas-tu rien nous donner, (3) toi qui ne fais jour et nuit qu'engloutir notre bon vin dans ton gouffre de ventre ? (4) La vieille tout effrayée se hâte de répondre, d'une voix cassée et tremblante: Eh! mes bons seigneurs, mes doux maîtres, tout est prêt. Excellents ragoûts cuits à point, pain à discrétion, vin à bouche que veux-tu, verres bien rincés; et l'eau chaude est là pour votre bain, comme à l'ordinaire. (5) Là-dessus, mes gens, mettant habits bas, exposent leurs corps tout nus à la vapeur: ainsi délassés, et après s'être bien frottés d'huile, ils se disposent à faire honneur au copieux banquet.

(IV, 8, 1) À peine étaient-ils à table, qu'il vint du renfort; c'étaient d'autres gaillards composant une troupe bien plus nombreuse, et qu'il n'était pas difficile de reconnaître pour ce qu'ils étaient; (2) car ils arrivaient chargés de butin de toute espèce, monnaie d'or et d'argent, vaisselle plate, étoffes de soie brochées d'or, etc. (3) La cérémonie du bain se répète, et les nouveaux venus prennent place à côté de leurs camarades. Le service est fait par ceux que le sort désigne. (4) Ils se mettent tous à manger et à boire hors de toute règle, de toute mesure; on s'empiffre de mets, on engloutit le pain, on engouffre le vin. (5) On ne cause pas, on vocifère; on ne chante pas, on crie; on se jette, en guise de bons mots, de grosses injures à la tête. C'est toute la scène des Centaures et des Lapithes. (6) Au milieu du tumulte, l'un d'eux, qui surpassait en force tous les autres, s'écrie soudain: Nous sommes gaillardement entrés de vive force chez Milon d'Hypate; nous y avons bravement fait un butin considérable. Eh bien! nous voici de retour, tous sur nos pieds; et même, si cela vaut la peine de le dire, avec huit pieds de plus. (7) Vous autres, qui avez été travailler dans les villes de Béotie, vous nous ramenez une troupe moindre, et, qui pis est, affaiblie de son intrépide chef Lamachus. Je donnerais bien tout le butin que vous avez fait, pour qu'il fût encore là parmi nous. (8) C'est son courage qui a fait sa perte; mais il sera célèbre entre les plus grands rois et les plus illustres capitaines. (9) Vous, vous êtes de ces discrets voleurs bons pour les filouteries domestiques, qui se glissent timidement dans les bains et dans les ménages de vieilles femmes, pour y faire leur main en tapinois.

(IV, 9, 1) Allons donc, reprend un des derniers venus, est-ce que tu ne sais pas que ce sont les grandes maisons qui nous donnent le moins de mal ? (2) Ces milliers de domestiques, éparpillés dans une vaste et opulente demeure, n'ont tous qu'une pensée, c'est de garantir chacun sa peau; ils se soucient bien des richesses de leur maître! (3) Tout au contraire, ces petites gens, qui vivotent dans leur coin, défendent toujours avec acharnement leur petit magot, parfois bien dodu, et toujours bien caché. On leur ôterait plutôt la vie.

Chryséros et de Lamachus

(4) Une fois dans Thèbes aux sept portes, notre premier soin a été de prendre, en gens du métier, nos renseignements sur la fortune des uns et des autres. (5) Nous ne fûmes pas longtemps à savoir qu'un certain banquier, nommé Chryséros, avait chez lui des fonds considérables. Cet homme, pour se soustraire aux fonctions et aux charges publiques, mettait le plus grand soin à dissimuler sa grande fortune. (6) Il vivait seul dans sa maison, chétive retraite, mais bien fermée; mal vêtu, mal soigné, toujours couvant ses monceaux d'or. (7) Nous convînmes d'exploiter celui-là le premier, croyant avoir bon marché d'un homme seul, et faire paisiblement main basse sur ses trésors.

(IV, 10, 1) Tout aussitôt à l'ouvrage. Nous allons, la nuit venue, faire le guet devant la porte de Chryséros. L'enlever des gonds, la crocheter, la forcer, autant de moyens auxquels nous renonçâmes. Elle était à deux battants; le bruit aurait pu nous attirer tout le voisinage sur les bras. (2) Enfin, Lamachus, notre chef intrépide, avec cette détermination que vous lui connaissez, se hasarde à introduire sa main par le trou de la clef, essayant de faire sauter la serrure: (3) mais de tous les animaux à deux pieds le plus pervers, Chryséros, qui nous guettait et suivait tous nos mouvements, approche à pas de loup, sans le moindre bruit; et, s'armant d'un énorme clou, fixe d'un effort soudain la main de notre chef au bois de la porte; (4) puis le laissant à ce traître de gibet, il grimpe au toit de sa baraque, se met à crier à tue tête pour ameuter le quartier: il appelle chacun par son nom, et cherche à répandre l'alarme en disant que le feu vient de prendre à sa maison. C'est un danger auquel les voisins sympathisent; aussi chacun d'accourir au secours.

(IV, 11, 1) Nous voilà dans l'alternative de périr tous là, ou d'abandonner un camarade. La situation était violente. Nous prîmes un parti énergique: le patient lui-même l'exigea. (2) D'un coup dirigé avec précision sur la jointure, nous séparâmes l'épaule du bras, abandonnant le tronçon. Puis, appliquant force linge sur la plaie, afin qu'aucune goutte de sang ne révélât notre trace, nous entraînons rapidement le reste de Lamachus. (3) Tout le quartier était sens dessus dessous. Le danger était pressant; nous ne voyons de salut que dans une prompte fuite. (4) Lamachus sent qu'il ne pouvait marcher du même pas que nous, ni impunément rester en arrière. C'est alors que cette grande âme, cette héroïque vertu se montra tout entière. Il nous prie, nous conjure par le bras droit de Mars, par la foi du serment, de le délivrer tout d'un coup et de ses tortures présentes et de la captivité qui le menace. (5) Démembré du bras qui pille et qui tue, un brave voleur peut-il désirer de vivre ? Il serait trop heureux, lui, de mourir d'une main amie et de son plein gré. (6) Voyant enfin qu'il a beau supplier, que nul ne s'offre à commettre ce parricide, de la main qui lui reste il saisit son épée, et, après l'avoir baisée longtemps, se la passe résolument tout au travers du corps. (7) Nous, remplis de vénération pour cet acte de sublime énergie, nous enveloppons d'un linge ce qui nous reste de notre chef magnanime, et nous en confions le dépôt à la mer. Là repose notre Lamachus, avec un élément tout entier pour tombeau; fin généreuse et grande comme lui.

Alcimus et la vieille

(IV, 12, 1) Quant à notre camarade Alcime, qui avait manoeuvré plus subtilement, sa circonspection ne lui a pas mieux tourné. (2) Il était parvenu à s'introduire par effraction dans le bouge d'une vieille femme, et avait gagné l'étage supérieur sans la réveiller. Il fallait au préalable lui tordre le cou. Mais il s'amusa à nous faire passer pièce à pièce le mobilier par la fenêtre, qui était de largeur à se prêter au déménagement; aussi l'eut-il expédié en un clin d'oeil: (3) mais ne voulant pas faire grâce même à la couchette, il fait rouler ma vieille dormeuse en bas du lit, et s'empare de la couverture pour lui faire prendre le même chemin. (4) La scélérate aussitôt se jette à ses genoux, et d'une voix suppliante: Eh quoi! mon fils, vous dépouillez une misérable vieille de toutes ses pauvres nippes; et pour qui ? pour des riches chez qui donne cette fenêtre! (5) La coquine mentait; mais Alcime s'y laissa prendre. Il eut peur de n'avoir travaillé qu'au profit des voisins. (6) Voulant donc assurer la direction de ce qui restait, il se penche jusqu'à mi-corps par la fenêtre, promène à l'entour son regard scrutateur, s'attachant surtout à se mettre au fait des chances de butin que peut offrir cette maison voisine dont on lui a parlé. (7) Tandis qu'il procède à cette reconnaissance avec plus d'ardeur que de précaution, la vieille gueuse le pousse à l'improviste, d'une main débile à la vérité, mais dont l'effort suffit, dans l'attitude contemplative où il restait comme suspendu, pour le précipiter du haut en bas. (8) La hauteur était effroyable; et le malheur voulut en outre que, donnant sur une énorme pierre de taille qui se trouvait là, il se rompit les vertèbres et les côtes. Son agonie ne fut pas longue; il n'eut que le temps de nous dire ce qui s'était passé, d'une voix qui sortait à peine. Nous lui donnâmes la même sépulture qu'à Lamachus, qui se trouva ainsi en bonne compagnie.

Démocharès et Thrasyléon

(IV, 13, 1) Affaiblis par cette double perte, nous dûmes renoncer à rien entreprendre sur Thèbes. Platée y touche; nous tournâmes nos pas de ce côté. (2) On y parlait beaucoup, au moment de notre arrivée, d'un spectacle de gladiateurs qu'allait donner un citoyen nommé Démocharès, d'une illustre naissance et d'une libéralité égale à sa fortune. La splendeur de ses fêtes répondait à sa haute position. (3) En effet, il n'est talent ni éloquence qui puisse donner même une idée de ses immenses préparatifs. (4) Ses gladiateurs étaient choisis parmi les plus renommés par leur prouesse, ses chasseurs parmi les plus vifs coureurs. On y voyait des criminels voués au dernier supplice, qu'on gardait pour engraisser les bêtes féroces. (5) Une maison avait été construite de pièces de rapport, avec des tours en bois à plusieurs étages; édifice mobile, orné de fraîches peintures, d'où l'on pouvait se donner le spectacle de la chasse. (6) Et quelle réunion d'animaux! quelle variété d'espèces! Démocharès aimait à se donner en grand le divertissement des condamnés livrés aux bêtes, et savait mettre à contribution même les pays les plus éloignés. (7) Mais le plus remarquable élément de ce magnifique ensemble de représentation théâtrale était une riche collection d'ours énormes, que le maître n'épargnait rien pour se procurer. (8) Il la recrutait par ses propres chasses, par des achats à grands frais, et aussi par les libéralités de ses amis, qui le comblaient à qui mieux mieux de cadeaux de cette espèce. Sa sollicitude pour ses ours avait constitué leur entretien sur la plus grande échelle.

(IV, 14, 1) Mais le sort vit d'un oeil jaloux ces apprêts splendides, et les joies que s'en promettait le public. (2) L'ennui de la captivité, les chaleurs de la canicule, la privation de mouvement, affectèrent la santé des ours; on les vit pâtir, languir, dépérir: une maladie contagieuse se déclara, et les emporta presque jusqu'au dernier. (3) Ces grands corps mourants encombraient les places publiques, comme on voit les débris s'amonceler sur la côte après un naufrage. Et le pauvre peuple, à qui la misère ne permet pas de se montrer dégoûté en fait d'aliments, qui de tout fait ventre, surtout quand il n'en coûte rien, affluait de tous côtés à cette curée de carrefour. (4) Nous bâtimes là-dessus, moi et ce bon sujet de Babulus, l'ingénieuse conception que voici. (5) Au nombre des morts se trouvait un ours qui surpassait en grosseur tous les autres. Nous l'emportâmes au lieu de notre retraite, comme pour en faire nos repas. (6) Là nous enlevons artistement la peau de dessus la chair, en ayant bien soin de conserver les griffes, et même en laissant le mufle intact depuis sa jonction avec le cou. Toute cette peau fut soigneusement raclée à l'intérieur, saupoudrée de cendre passée au tamis, et ensuite étendue au soleil pour sécher. (7) Nous, pendant que cette dessiccation s'opérait au feu céleste, nous faisions bravement bombance avec la viande de l'animal. Après quoi, on ouvrit la campagne par le serment dont voici la teneur: (8) L'un de nous, non pas tant le plus robuste que le plus déterminé, allait, de son gré bien entendu, s'enfermer dans cette peau et contrefaire l'ours. On le porterait dans cet équipage chez Démocharès, et, à la faveur de la nuit, il nous procurerait l'entrée de la maison.

(IV, 15, 1) Le rôle était assez neuf pour trouver plus d'un amateur dans les braves de notre troupe. Thrasyléon fut désigné à la pluralité des voix, et accepta le chanceux travestissement. Le voilà donc s'affublant gaiement de cette peau, que la préparation avait rendue souple et maniable. (2) On en rejoint ensuite les deux bords par une couture à points serrés, dont la trace, déjà presque imperceptible, se dérobe tout à fait sous les poils rabattus de l'épaisse fourrure. (3) La tête de Thrasyléon se loge, en forçant un peu, immédiatement au-dessous de l'ouverture de la gueule, à l'endroit où le cou de la bête avait été coupé. On lui perce de petits trous vis-à-vis les yeux et le nez, pour qu'il puisse y voir et respirer. Enfin nous nous procurons une cage à bas prix, et notre intrépide camarade prélude à son rôle d'ours, en s'y fourrant résolument à quatre pattes. (4) Notre stratagème ainsi préparé, voici comment nous nous y primes pour en assurer le succès.

(IV, 16, 1) Nous avions déterré le nom d'un certain Nicanor, Thrace de nation, avec qui Démocharès était, disait-on, en relation intime. Nous fabriquâmes pour ce dernier une lettre où son excellent ami Nicanor lui offrait les prémices de sa chasse, pour contribuer à l'ornement de ses jeux. (2) Et quand la soirée nous parut assez avancée, nous profitâmes de son ombre pour présenter à Démocharès notre Thrasyléon dans sa cage, avec l'épître de notre façon. (3) Notre homme se montra aussi émerveillé de la taille de la bête que ravi du présent dont on le gratifiait si à propos. Il nous fait sur-le-champ compter dix pièces d'or. C'était le fond de sa bourse en ce moment. (4) Tout ce qui est nouveau attire la foule. Notre ours eut bientôt un cercle d'admirateurs. Mais, par d'adroites démonstrations de férocité, il avait soin de tenir les curieux à distance. (5) On ne s'entretenait dans la ville que de l'heureuse étoile de Démocharès, que cette bonne aubaine dédommageait du désastre de sa ménagerie, et mettait en mesure de faire face à tout. Mais voici Démocharès qui tout à coup donne l'ordre d'emmener l'ours dans une de ses terres, en recommandant le plus grand soin dans le transport.

(IV, 17, 1) Il n'y avait pas à barguigner. Seigneur, lui dis-je bien vite, cette bête est déjà fatiguée de la chaleur et du long voyage qu'elle vient de faire; je ne tous conseille pas de la mettre en contact avec les autres ours, qui sont assez mal portants, dit-on. (2) Que ne lui assignez-vous ici quelque emplacement assez vaste, bien aéré, dans le voisinage des bois et de l'eau, s'il est possible ? (3) Ces animaux, vous le savez, hantent de préférence les fourrés et les cavernes humides. Il leur faut l'air frais des collines et des eaux pures. (4) Démocharès eut peur, il récapitula ses pertes, fut docile à l'avis, et nous permit de placer la cage à notre guise. (5) Disposez de nous tous, ajoutai-je, pour passer la nuit devant la cage. L'animal a souffert de la chaleur et de la contrainte; avec nous qui connaissons ses besoins, il aurait plus sûrement sa nourriture à propos, et à boire à ses heures. (6) Il est inutile que vous preniez cette peine, répondit Démocharès; les gens de cette maison sont tous rompus au service des ours.

(IV, 18, 1) Là-dessus nous nous inclinons, et nous voilà partis. Nous sortîmes des portes de la ville, et, assez loin de la route, nous aperçûmes un cimetière dans une position reculée et hors de vue. (2) Il s'y trouvait quantité de cercueils minés par le temps, et dont la décrépitude laissait presque à découvert des ossements qui n'étaient déjà plus que cendre et poussière. Nous en ouvrîmes au hasard quelques-uns, que nous destinâmes à receler notre futur butin. (3) Là, nous attendîmes, suivant la règle, le bon moment de la nuit, l'heure où il n'y a pas de lune, et où chacun dort du premier somme, d'ordinaire si fort et si profond. Notre troupe, l'arme au poing, fait déjà faction à la porte de Démocharès. Nul ne manque à l'appel du pillage. (4) De son côté, Thrasyléon, non moins vigilant, sort à point de sa cage, poignarde l'un après l'autre ses gardiens à moitié assoupis, dépêche également le portier, (5) s'empare de la clef et ouvre les deux battants. On n'eut garde de s'amuser à la porte; nous voilà dans la maison. Il nous montre un grenier où son oeil observateur avait dans la soirée surpris le dépôt d'un trésor considérable. (6) En un instant la porte est enfoncée par nos efforts réunis. J'ordonne à nos compagnons de prendre chacun toute sa charge d'or ou d'argent, d'aller promptement le cacher dans la demeure des morts, de revenir à toutes jambes, et de recommencer. (7) Moi, pendant ce temps, je devais rester seul devant la porte, et faire bonne garde dans l'intérêt commun. D'ailleurs l'apparition d'un ours se promenant en long et en large me semblait un merveilleux épouvantail pour tenir en respect ceux qui viendraient à se réveiller. (8) Il n'y a courage ni intrépidité qui tienne à pareille rencontre, la nuit surtout: chacun devait prendre la fuite, et se blottir tout tremblant derrière de bons verrous.

(IV, 19, 1) Jamais mesures ne furent mieux prises. Un contretemps fit tout échouer: tandis que, l'oreille au guet, j'épiais le retour de mes camarades, le sort voulut qu'un page se réveillât au bruit. Le petit drôle, arrivant en tapinois, (2) aperçoit la bête qui allait et venait du haut en bas tout à son aise. Vite, sans souffler, il revient sur ses pas et fait part à chacun de ce qu'il a vu. (3) La maison avait un nombreux domestique. Voilà tout le monde sur pied: torches, lanternes, flambeaux avec chandelle ou bougie, etc., chassent à l'instant les ténèbres. (4) Chacun s'est armé de bâtons, de lances, d'épées nues. Tous les passages sont gardés. (5) On détache la meute aux grandes oreilles, au poil hérissé; on la lance contre la bête.

(IV, 20, 1) Au milieu du vacarme qui croissait de moment en moment, je jugeai à propos de faire retraite. Mais, caché derrière la porte, je voyais parfaitement Thrasyléon faisant tête aux chiens de la meilleure contenance possible. (2) Réduit aux abois, il continuait, déjà sous la dent de Cerbère, à se montrer digne de lui, de nous, de son antique prouesse, (3) soutenant jusqu'à la mort le rôle dont il s'était volontairement chargé. Thrasyléon tantôt fuyait, tantôt faisait face à l'ennemi. Il fit si bien à force de ruse et d'agilité, qu'il parvint à gagner la porte. Il était libre enfin; mais la retraite lui fut coupée. (4) Voilà que tous les chiens du quartier, débouchant du premier coin de rue, viennent, aussi nombreux qu'acharnés, apporter du renfort à la meute. (5) L'affreux, le cruel spectacle que j'eus alors! le pauvre Thrasyléon assailli de tous côtés par cette bande enragée, qui le déchirait à belles dents! (6) Mon cœur en était navré. À la fin, je n'y pus tenir; je me mêlai aux groupes environnants; (7) et, m'adressant aux principaux piqueurs de cette chasse, seul moyen que j'eusse d'intervenir, sans me compromettre, eu faveur de notre brave camarade: Quel meurtre! m'écriai-je; sacrifier ce bel animal! une bête de si grand prix!

(IV, 21, 1) Mais l'infortuné ne gagna rien à toute mon éloquence. Un grand et vigoureux gaillard sort en courant de la maison, et, sans balancer, lui enfonce un épieu au milieu de son poitrail d'ours. Un autre en fait autant, et bientôt, tous revenus de leur frayeur, le chargent à l'envi à grands coups d'épée. (2) Thrasyléon, honneur de la troupe, ils ont pu t'ôter la vie, cette vie qui devait être immortelle, mais non triompher de ta constance, mais non t'arracher un cri, ou même un hurlement, qui trahit la foi jurée! (3) Déchiré par les dents, mutilé par le fer, tu n'as pas un instant démenti ton rôle; c'était bien toujours le grognement, le frémissement de l'ours aux abois. Ton dévouement te coûte l'existence mais, en dépit du sort, la gloire te reste. (4) Cependant il avait jeté tant d'effroi, tant de terreur dans toute cette foule, que jusqu'au grand jour, et même longtemps après, personne n'avait osé toucher, même du bout du doigt, le monstre étendu sans vie. (5) Enfin après mainte hésitation, un boucher, plus hardi que le reste, ouvrit le ventre de la bête, et le corps de l'héroïque brigand parut alors sous cette dépouille. (6) Voilà comment Thrasyléon est perdu pour ses amis; mais son souvenir est impérissable. Quant à nous, après avoir réuni tous nos ballots, dont les excellents morts se montrèrent fidèles dépositaires, nous quittâmes lestement le territoire de Platée, non sans faire plus d'une fois réflexion qu'il était tout simple qu'on ne trouvât plus la bonne foi dans le commerce de la vie, puisqu'en haine de la perversité des vivants, elle s'était réfugiée chez les morts. (7) En résumé, nous arrivons bien fatigués d'avoir porté lourd et marché ferme. Trois de nous manquent à l'appel, et voilà notre butin.

(IV, 22, 1) Ce récit terminé, ils prennent des coupes d'or, et font des libations de vin pur à la mémoire de leurs défunts camarades. On entonne ensuite des hymnes en l'honneur du dieu Mars, puis on prend quelque repos. (2) Quant à nous, la vieille nous apporta de l'orge nouvelle, à discrétion et sans la mesurer. Mon cheval ne s'était jamais trouvé à pareille fête; c'était pour lui un vrai repas de Saliens. (3) Notez que je lui en laissai ma part. Je suis assez amateur d'orge; mais il me la faut bien pilée, et cuite en mijotant dans le bouillon. (5) Or, en furetant de coin en coin, je finis par trouver celui où l'on déposait le pain de reste du souper. Aussitôt je me mis à jouer vaillamment des mâchoires. Depuis le temps que je jeûnais, mon gosier avait bien pu se tapisser de toiles d'araignée.

L'entrée en scène de Charité

(IV, 22, 6) La nuit s'avançant, les voleurs se réveillent, et décampent diversement accoutrés: les uns armés, les autres déguisés en spectres. Bientôt toute la bande fut loin. Je continuais cependant à manger fort et ferme, en dépit de l'envie de dormir qui commençait à me gagner. Au temps où j'étais Lucius, un pain ou deux suffisaient à mon appétit, mais depuis il m'était survenu un ventre d'une bien autre ampleur à remplir; et je ruminais déjà sur la troisième corbeille, quand, à ma honte, le grand jour me surprit dans cette occupation.

(IV, 23, 1) Pour ne pas déroger à la sobriété proverbiale de l'espèce, je fis alors une pause à mon grand regret, et j'allai me désaltérer dans un ruisseau voisin. Les voleurs ne tardèrent pas à revenir, l'air inquiet et troublé, (2) ne rapportant aucun butin, pas la moindre harde. Mais ils retournaient en masse, tous l'épée au poing, et conduisant avec assez d'égards (3) une jeune fille de haute condition, à en juger par les dehors, et telle qu'un âne de ma sorte ne pouvait la voir impunément, je vous assure. L'infortunée était au désespoir; elle s'arrachait les cheveux et déchirait ses vêtements. (4) Une fois dans la caverne, les voleurs essayaient à leur manière de lui calmer l'esprit. Votre vie et votre honneur, disaient-ils, sont ici en toute sûreté. Un peu de patience; laissez-nous seulement tirer notre épingle du jeu. C'est la misère qui nous a réduits au métier que nous faisons. (5) Vos parents roulent sur l'or, et, bien que durs à la desserre, ils n'iront pas se faire tirer l'oreille pour mettre à leur sang une rançon convenable.

(IV, 24, 1) Ils avaient beau dire, la jeune fille ne s'en désolait pas moins: elle laissa tomber sa tête sur ses genoux, et se prit à pleurer plus amèrement que jamais. (2) Les voleurs alors appellent la vieille, lui ordonnent de s'asseoir auprès de la prisonnière, et de faire de son mieux pour l'endoctriner: (3) mais quoi que celle-ci pût dire, les pleurs ne laissaient pas d'aller leur train; ils redoublaient même. (4) Malheureuse que je suis! s'écriait-elle; moi, née d'un tel sang! si magnifiquement alliée! entourée de serviteurs si dévoués! si chérie des vénérables auteurs de mes jours! me voir indignement ravie, réduite au pire des esclavages, emprisonnée comme la dernière des créatures sous cet horrible rocher! (5) Où sont toutes ces délices pour lesquelles je suis née, au sein desquelles on m'a nourrie? Ah! quand on me laisserait la vie, s'il faut la passer dans ce repaire de carnage, au milieu de cette horde d'effroyables brigands, d'atroces meurtriers, comment ne pas verser des larmes de sang ? comment supporter l'existence ? (6) Ces lamentations durèrent quelque temps. Enfin, accablée par sa douleur, épuisée par ses cris et comme brisée dans tous ses membres, elle laisse tomber ses paupières appesanties, et s'endort un moment.

(IV, 25, 1) Ce ne fut pas pour longtemps: à peine assoupie, elle se réveille en sursaut, et, dans un transport frénétique, se livre à un paroxysme de douleur encore plus violent. Elle se meurtrissait la poitrine et n'épargnait pas son charmant visage. (2) Et comme la vieille s'enquérait avec instance de ce qui ramenait ces signes de désespoir: (3) Ah! dit-elle avec un profond gémissement, je suis perdue, perdue sans ressource! Adieu toute espérance. Il ne me reste plus qu'à me pendre, à me percer le sein, ou à me jeter dans un précipice. (4) La vieille alors prit de l'humeur. Elle lui dit, en fronçant le sourcil: Que signifie, dites-moi, ce débordement de chagrin, après avoir dormi d'un si bon somme ? (5) Auriez-vous dessein, la belle, de frauder ces braves gens du prix de votre rançon ? (6) Continuez, et vous aurez affaire à moi, et toutes vos larmes ne vous empêcheront pas de griller toute vive. Ce genre de musique, voyez-vous, ne réussit guère ici.

(IV, 26, 1) La menace effraya la pauvre fille; elle couvrit de baisers la main de la vieille: Grâce! ma mère, lui dit-elle; je suis si malheureuse! (2) Non, l'âge qui vous a mûri n'a pas, sous vos vénérables cheveux blancs, éteint toute compassion dans votre coeur. Laissez-moi dérouler devant vous le tableau de mon infortune.

(3) J'étais fiancée à un beau jeune homme distingué entre tous ceux de son âge, et que la cité avait tout d'une voix adopté comme son fils. Il était mon cousin, et comptait à peine trois ans de plus que moi. (4) Nourris des mêmes soins, nous avions grandi l'un près de l'autre sous le même toit, dans la même chambre, partageant le même lit. Plus tard, unis des saints noeuds de l'affection la plus tendre, (5) nous nous étions mutuellement engagé notre foi par une promesse de mariage. Déjà le titre de mon époux lui était conféré par l'aveu de ma famille et par les actes publics. Entouré d'un nombreux cortège de parents et d'alliés, il préludait à notre union, en offrant dans tous les temples des sacrifices aux dieux. Notre maison, tapissée de laurier, resplendissait des feux, résonnait des chants d'hyménée. (6) Ma pauvre mère, tenant sa fille sur ses genoux, ajustait ma parure nuptiale, couvrait mon front de baisers, et déjà, au gré de ses voeux ardents, se voyait renaître en espoir dans une postérité nombreuse; (7) quand l'irruption soudaine d'une troupe de gens armés tout à coup fait briller à nos yeux des épées nues, et effraye toute la maison par les démonstrations les plus menaçantes. Ils s'abstiennent toutefois de tuer ou de piller; mais, formés en colonnes serrées, ils se précipitent dans notre appartement. (8) Aucun des nôtres ne songe à les repousser, ou seulement à se mettre en défense. Éperdue et tremblante, je m'évanouis sur le sein de ma mère. Ils vinrent m'en arracher. C'est ainsi que comme celles d'Athrax et de Protésilas, nos noces se changèrent en une scène de trouble et de désolation.

(IV, 27, 1) Tout à l'heure un songe affreux renouvelait pour moi ces images cruelles, et mettait le comble à mon désastre. (2) Je me voyais arrachée violemment de la maison, de la chambre et même du lit nuptial. On m'entraînait dans un affreux désert, et j'implorais à grands cris le nom de mon époux infortuné. (3) Lui, il ne s'aperçoit pas plutôt de mon enlèvement que, tout couvert de parfums, et la couronne de fleurs encore sur la tête, il se met à courir après moi qu'on emportait. (4) Désespéré du rapt de sa femme, il implorait à grands cris le secours de la force publique, quand un des ravisseurs, outré de cette poursuite opiniâtre, ramasse un énorme pavé, et en frappe mortellement mon jeune et malheureux époux. Le saisissement que m'a causé ce rêve épouvantable a mis fin à mon funeste sommeil.

(5) La vieille alors, entrant dans son chagrin, lui parle ainsi: Courage, maîtresse! ne nous laissez pas aller aux vaines terreurs un songe. Les images produites par le sommeil du jour sont, dit-on, tout-à-fait insignifiantes; et le plus souvent, des rêves que l'on fait la nuit, c'est le contre-pied qu'il faut prendre. (6) Pleurer, être battu et quelquefois être assassiné, c'est présage de gain et de réussite; (7) tandis que rire, se bourrer de friandises, goûter le plaisir d'amour, sont tous signes de chagrin, de maladie, ou de quelque autre mésaventure. (8) Tenez, laissez-moi vous distraire par quelque récit intéressant: je sais plus d'un conte de bonne femme. Et elle commence ainsi :

 

[LE CONTE D'AMOUR ET DE PSYCHE]

 

Tentative de fuite avortée de Lucius et de Charité

(VI, 25, 1) Voilà ce que cette vieille radoteuse contait entre deux vins à la belle captive. Et moi qui écoutais à quelques pas de là, je regrettais amèrement de n'avoir ni stylet, ni tablettes, pour coucher par écrit cette charmante fiction. (2) En ce moment, les voleurs rentrent chargés de butin. Ils paraissaient avoir soutenu un rude combat; ce qui n'empêcha pas quelques-uns des plus résolus de se montrer impatients de repartir. Ils avaient à rapporter, disaient-ils, un reste de leur prise qui était resté caché dans une caverne. Les blessés pouvaient demeurer au logis et panser leurs plaies. (3) Là-dessus, ils dévorent à la hâte leur dîner, et les voilà qui repartent, nous emmenant mon cheval et moi, et ne nous épargnant point le bâton. (4) Après avoir tourné, viré, monté, descendu cent et cent fois, nous arrivons vers le soir à une caverne. On nous charge de quantité de paquets, et, sans nous laisser souffler, on nous fait retourner sur nos pas en toute hâte. Leur précipitation était telle, qu'à force de me rouer de coups, (5) ils me firent donner contre une pierre placée le long du chemin, et je m'abattis. Une grêle de coups me fit relever à grand-peine, tout éclopé de la jambe droite et du sabot gauche.

(VI, 26, 1) L'un d'eux se mit à dire: À quoi bon nourrir plus longtemps ce baudet éreinté, et que voilà boiteux par-dessus le marché ? Sur ma parole, reprit un autre, depuis que cette malencontreuse rosse a mis le pied chez nous, rien ne nous a réussi. Nous avons gagné force horions et perdu les meilleurs de notre monde. (2) Ce dont je puis répondre, ajoute un troisième, c'est qu'aussitôt qu'il aura tant bien que mal rapporté son bagage à notre montagne, je l'en ferai dégringoler la tête la première, pour faire fête aux vautours. (3) Mes doux maîtres discouraient encore sur l'espèce de mort qu'ils me réservaient, que déjà nous arrivions à la caverne; car la peur m'avait donné des ailes. (4) En un clin d'oeil les fardeaux sont à bas, et, sans plus s'inquiéter que je vive ou que je meure, ils s'adjoignent leurs camarades blessés et terminent le transport à bras, ennuyés, disaient-ils, de la lenteur de leurs bêtes de somme. (5) Cependant mon inquiétude n'était pas médiocre en songeant aux menaces dont j'avais été l'objet. Eh bien! Lucius, me disais-je, qu'attends-tu ? ces brigands ont décidé ta mort, une mort affreuse, (6) et les préparatifs en seront bientôt faits. Tu vois ces angles saillants, ces pointes de rochers. Tes membres vont être en pièces avant de toucher le sol; (7) car, avec toute ta magie, tu as bien su prendre de l'âne sa forme et ses misères, mais non son cuir épais; ton épiderme est toujours aussi mince que celui d'une sangsue. Que ne prends-tu quelque parti énergique pour ta délivrance, tandis qu'elle est possible ? (8) L'occasion est des plus belles. Cette vieille n'a que le souffle: est-ce une surveillante comme elle qui t'arrête ? Une ruade de ton pied boiteux va t'en faire raison. Mais où fuir ? où trouver asile ? (9) Sotte appréhension! voilà bien raisonner en âne. Est-ce que le premier passant ne va pas se trouver heureux de t'avoir pour monture ?

(VI, 27, 1) Cela dit, d'un effort vigoureux je romps mon licou, et je me mets à jouer des quatre jambes. Mais mon mouvement n'avait pas échappé aux yeux d'épervier de la maudite vieille. Avec une résolution qu'on n'aurait attendu ni de son sexe ni de son âge, elle saisit mon licou, dès qu'elle me voit en liberté, et s'efforce de me retenir et de me rattacher. (2) La perspective du traitement que me gardaient les voleurs me rendit impitoyable. Je lui appliquai une ruade qui l'étendit sur le carreau; (3) mais la malheureuse, toute renversée qu'elle était, se cramponne obstinément à la longe, et se fait traîner quelques pas tout en hurlant, pour obtenir main-forte; (4) mais elle s'égosillait en pure perte: nul n'était à portée, excepté la jeune prisonnière. (5) Celle-ci accourt au bruit, et voit (spectacle mémorable) une Dircé en cheveux blancs, que tirait un baudet en guise de taureau. D'une énergie toute virile, elle tente aussitôt le coup le plus hardi. (6) Elle arrache la courroie des mains de la vieille, me flatte de la voix pour me faire arrêter, saute lestement sur mon dos, et me fait détaler à toute bride.

(VI, 28, 1) Moi qui n'aspirais qu'à m'échapper, qui brûlais de sauver la jeune fille, et qui, de plus, recevais d'elle quelque avertissement manuel de temps à autre, je me lançai au galop en vrai cheval de course, non sans essayer de donner de mon gosier pour répondre à sa douce voix. (2) Quelquefois même tournant la tête, comme pour me gratter le dos, je me hasardais à baiser ses pieds charmants. Enfin, poussant un profond soupir, et s'adressant au ciel avec l'expression la plus fervente: (3) Grands dieux! s'écria-t-elle, secourez-moi dans cet affreux péril. Et toi, Fortune cruelle, cesse enfin de me persécuter! Ne suffit-il pas à tes autels des tourments que j'ai subis ? (4) Et toi, mon libérateur, mon sauveur, si par ton aide je puis revoir le foyer paternel, si tu me rends à mon père, à ma mère, au jeune homme charmant à qui je fus promise, quels remerciements ne te devrai-je pas ? Combien je te choierai! quelle chère je te ferai faire! (5) Cette crinière sera peignée, parée de mes mains; je partagerai en belles touffes le bouquet de ton front; les soies de ta queue, que je vois si mêlées et si rudes parce qu'on ne les lave jamais, je veux, à force de soin, les rendre nettes et luisantes: (6) tu auras des colliers d'or, un harnais relevé en bossettes d'or; tu brilleras de tous les feux du firmament; tu ne marcheras qu'en triomphe, au milieu des acclamations publiques; chaque jour tu t'engraisseras d'amandes et de friandises, offertes de ma propre main dans un tablier de soie.

(VI, 29, 1) C'est peu d'une nourriture exquise, d'un complet repos, de toutes les douceurs de l'existence: je veux que ta vie soit embellie encore par les honneurs et la gloire. (2) Je veux, par un durable monument, perpétuer le souvenir de cette aventure, et de ma gratitude pour la bonté des dieux. Dans le vestibule de ma demeure, un tableau votif retracera l'image de notre fuite. (3) On verra figurée, on entendra raconter, on lira dans les beaux livres, jusqu'à la postérité la plus reculée, la naïve histoire de La jeune princesse délivrée de captivité par un âne. (4) L'antiquité te comptera au nombre de ses merveilles; ton exemple rendra croyable, et le transport de Phryxus à dos de bélier, et le dauphin discipliné par Arion, et le taureau s'offrant pour monture à Europe. (5) Jupiter a bien pu mugir sous la forme d'un boeuf: qui sait si sous cette figure d'âne ne se cachent pas les traits d'un homme, d'un dieu peut-être ? (6) Tandis que la jeune fille exprimait ainsi des voeux entremêlés de fréquents soupirs, nous arrivons à un carrefour. Là, s'emparant de la bride, elle s'efforce de me faire tourner à droite, parce que c'était le chemin qui conduisait chez ses parents. (7) Moi qui savais que c'était dans cette direction que les voleurs étaient allés chercher le reste de leur butin, je résistais de toutes mes forces, en lui adressant cette supplication muette: Que fais-tu, malheureuse enfant ? que fais-tu ? c'est te précipiter dans un abîme. Où veux-tu me conduire ? Tu vas consommer du même coup ta perte et la mienne. (8) Pendant que nous étions là, chacun tirant à soi, comme dans une question de propriété ou de bornage, bien qu'il ne s'agît au fond que de prendre à droite ou à gauche, nous voilà tout à coup face à face avec les voleurs qui revenaient chargés de leur butin. Ils nous avaient reconnus de loin au clair de la lune, et salués de leurs risées.

(VI, 30, 1) L'un d'eux nous apostrophe en ces termes: Où donc allez-vous si vite à pareille heure ? Vous ne craignez pas les Larves ni les Mânes dans vos excursions nocturnes ? (2) L'honnête fille va sans doute voir ses chers parents en cachette ? Eh bien! nous allons lui donner bonne compagnie, lui montrer le plus court chemin. (3) Le geste suit; et, d'une main saisissant mon licou, le voleur m'oblige à rebrousser chemin, non sans me faire renouveler connaissance avec le bâton noueux qu'il tenait de l'autre. (4) Ainsi piteusement revenu à la perspective d'une mort certaine, je me rappelle tout à coup mon mal de pied, et je recommence à boiter en hochant de la tête. (5) Oh! oh! dit celui qui venait de me faire faire volte-face, te voilà clopinant et chopant de nouveau. Ces pieds pourris, qui savent si bien fuir, ne sauraient marcher, Tout à l'heure tu aurais défié les ailes de Pégase. (6) Pendant cette aimable plaisanterie, qu'accompagnait le jeu de son bâton, nous arrivons à la palissade extérieure de la caverne. Là nous vîmes la vieille pendue à la branche élevée d'un haut cyprès. (7) Ils la détachent, et, sans se donner la peine d'ôter la corde qui lui serrait le cou, la jettent au fond d'un précipice. Ensuite, après avoir garrotté la jeune fille, ils se jettent en loups affamés sur le repas que le zèle posthume de la malheureuse vieille avait préparé pour eux.

(VI, 31, 1) Tout en le dévorant, mes gloutons se mettent à délibérer sur notre châtiment et leur vengeance. Comme dans toute assemblée turbulente, chacun eut son avis. Celui-ci opinait pour que la patiente fût brûlée vive, celui-là conseillait de la livrer aux bêtes féroces, un troisième voulait qu'elle fût mise en croix. Un quatrième proposait de la démembrer par la torture. (2) Du reste, le scrutin fut unanime pour la peine de mort. Alors un de la bande requiert le silence, et s'exprime posément comme il suit: (3) Nos principes, notre mansuétude à tous, ma modération personnelle, répugnent à la cruauté, à l'exagération des supplices. Point de bêtes féroces, point de gibet, point de bûcher, point de tenailles. Je ne voudrais même d'aucun de ces moyens violents qui précipitent la mort. (4) Si vous m'en croyez, vous laisserez vivre cette jeune fille, mais de la vie qu'elle mérite. Vous n'avez pas sans doute oublié votre résolution bien prise à l'égard de ce baudet, si paresseux à l'ouvrage, si diligent au râtelier, qui maintenant fait l'éclopé, après avoir été l'agent et le complice de cette malheureuse. (5) Que demain donc sans plus tarder on lui coupe le cou, qu'on lui ouvre le ventre, et qu'après en avoir retiré les entrailles, on y enferme cette créature qu'il nous a préférée; qu'on l'y couse comme dans un sac, (6) de manière à l'emprisonner tout entière, et ne laisser passer que la tête. Puis exposez-moi cet âne, farci de la sorte et bien recousu, sur quelque pointe de rocher, aux rayons d'un soleil ardent.

(VI, 32, 1) Ce procédé réunit en substance toutes les judicieuses propositions qui ont été faites contre les deux coupables L'âne y trouve une mort dès longtemps méritée; la fille sera de fait livrée aux bêtes, quand les vers rongeront ses membres: elle subira le supplice du feu, quand l'ardeur du soleil aura échauffé le cuir de l'animal; les tortures du gibet, quand les chiens et les vautours viendront lui arracher les entrailles. (2) Mais énumérons un peu ce qu'elle aura à souffrir en outre. Vivante, habiter le ventre d'une bête morte, être suffoquée par cette infection cadavéreuse, se sentir miner par la faim, et ne pouvoir faire usage de ses bras pour se donner la mort. (3) À ces mots, tous, sans déplacement de personne, mais d'une commune voix, accèdent avec transport à cette proposition. Mes longues oreilles n'en avaient pas perdu un mot, et je pleurais sur moi-même, qui le lendemain ne devais plus être qu'un cadavre.

 

[LIVRE SEPTIEME]

 

L'arrivée de Hémus le brigand thrace

(VII, 1, 1) L'aube avait dissipé les ténèbres, et déjà le char étincelant du soleil commençait à illuminer la face de la terre, quand je vis arriver un homme de la bande; ce que je reconnus facilement à la manière dont on s'aborda. (2) Le nouveau venu s'assit à l'entrée de la caverne, et, après avoir repris haleine, communiqua les détails suivants à ses camarades: (3) Tout va bien en ce qui concerne Milon, ce bourgeois d'Hypate que nous avons dernièrement dévalisé. Vous savez, braves compagnons, que je restai en arrière au moment où vous regagniez notre forteresse, après avoir fait chez lui maison nette. Je me mêlai donc aux groupes agités qui se formaient sur les lieux, (4) faisant semblant tantôt de m'apitoyer, tantôt de m'indigner de l'aventure. Je voulais savoir comment on informerait sur notre exploit et quelle direction prendraient les recherches, le tout afin de vous en faire mon rapport, ainsi que vous me l'aviez prescrit. (5) Des indices nombreux, et qui avaient tous les caractères de l'évidence, avaient fait réunir les soupçons sur un certain Lucius; et c'était lui qu'on désignait universellement comme ayant dirigé le coup. Cet individu, qui, peu de jours avant, s'était donné à Milon pour homme de bien, à l'aide de fausses lettres de recommandation, avait, disait-on, réussi à s'introduire fort avant dans ses bonnes grâces. (6) On l'avait traité en hôte, admis dans l'intimité de la famille et retenu plusieurs jours; ce dont le gaillard avait profité pour jouer l'amoureux près de la servante et la séduire, examiner de près les serrures, et s'assurer de la position des cachettes à argent du maître du logis.

(VII, 2, 1) On citait une particularité significative. La nuit même du vol, ce Lucius avait décampé, et on ne l'avait pas revu. De plus, et sans doute pour assurer sa retraite et se mettre plus tôt hors de la portée des poursuites, il avait emmené un cheval blanc, sa monture ordinaire. (2) On s'était bien saisi de son domestique, qu'il avait laissé au logis; et, dans l'espoir de quelque révélation, les magistrats l'avaient fait jeter dans les prisons de la ville; mais le lendemain on avait appliqué à la question et torturé cet homme presque jusqu'à la mort, (3) sans tirer de lui aucun aveu. Plusieurs émissaires avaient été dépêchés au pays de Lucius pour rechercher le coupable et le livrer à la justice.

(4) Pendant ce récit, je gémissais au fond de mon âme, en comparant ma condition antérieure à mon abjection présente, le brillant Lucius d'autrefois au pauvre baudet d'aujourd'hui. Je m'avisai alors, pour la première fois, de tout ce qu'il y a de justesse dans cette allégorie des vieux moralistes, la Fortune privée d'yeux. (5) Ne la voit-on pas toujours, en effet, prodiguer ses biens aux méchants et aux indignes ? La raison est-elle jamais consultée dans ses choix ? Et qui visite-t-elle de préférence ? Ceux-là précisément dont, clairvoyante, elle se tiendrait le plus loin. (6) Par elle, enfin, quelle diversité ou plutôt quelle aberration dans les jugements des hommes! Elle environne le pervers d'une auréole de probité, et met l'innocence même à la merci des bouches les plus coupables.

(VII, 3, 1) Moi, dont, par un jeu cruel, elle avait fait une bête, un quadrupède, qu'elle avait traité de façon à me rendre un objet de pitié pour les coeurs les plus endurcis, je me voyais pour comble accusé de vol, au préjudice d'un hôte que je chérissais. (2) Que dis-je ? de pis encore, de parricide. Et je ne pouvais me détendre, ni même ouvrir la bouche pour dire: Non. (3) Il ne me fut pas possible cependant d'acquiescer tout à fait par mon silence à cette accusation horrible, et, dans l'excès de mon irritation, je tâchai de crier: Non, je n'en ai rien fait. (4) Je réussis bien à braire le premier mot à plusieurs reprises; mais il n'y eut pas moyen, quoi que je fisse, d'articuler le second. J'en restai donc à cette première syllabe bien et dûment vociférée: Non, non. Le tout avec une ouverture désespérée de mâchoire, et un écartement non moins démesuré de mes lèvres pendantes. (5) Mais que sert de gémir en particulier sur chacune de mes disgrâces, quand la Fortune avait bien pu me ravaler à la condition et m'associer au travail de l'animal qui me servait de monture ?

(VII, 4, 1) Cependant, au milieu de l'agitation de mon esprit, une pensée prenait toujours le dessus. Le décret des voleurs qui m'immolait aux mânes de la jeune fille me revenait en mémoire, et je regardais piteusement au-dessous de moi, comme si mon pauvre ventre subissait déjà cette fatale grossesse. (2) Cependant le bandit qui venait de débiter tant de calomnies sur mon compte tira mille écus d'or, cachés dans la doublure de ses habits. C'était le produit de contributions levées sur différents voyageurs, et que sa probité, disait-il, lui faisait un devoir de verser à l'épargne commune. Il s'enquit ensuite avec intérêt de la santé de ses camarades. (3) Apprenant qu'un certain nombre d'entre eux, et les plus braves, avaient diversement succombé, tous en gens de coeur, il ouvrit l'avis de laisser momentanément la paix aux grands chemins, et, toute expédition ajournée, de ne s'occuper qu'à remplir les vides par voie d'enrôlement ou de contrainte, afin de remettre la belliqueuse compagnie sur son ancien pied. (4) Il faut, disait-il, agir sur les récalcitrants par la terreur, sur les hommes de bonne volonté par l'appât des récompenses. Pour combien de gens, esclaves ou pauvres hères, notre condition n'est-elle pas préférable au régime que leur impose le despotisme ou le besoin ? (5) Pour ma part, j'ai déjà fait une recrue. C'est un grand jeune homme taillé en force, et qui sait jouer des mains. Je lui ai remontré, et j'ai fini par l'en convaincre, qu'il se rouillait dans l'oisiveté; que, jouissant d'une si belle santé, il devait s'empresser d'en tirer parti par quelque honnête occupation; (6) qu'avec un bras aussi vigoureux on ne tend pas la main pour recevoir l'aumône, mais qu'on s'en sert activement pour amasser des trésors.

(VII, 5, 1) Une approbation unanime accueillit ces paroles. On décide l'admission au préalable d'un candidat qui paraît si méritant, et subsidiairement l'adjonction de nouvelles recrues pour compléter la troupe. (2) Mon homme sort un moment et revient, introduisant un jeune gaillard aux proportions vraiment colossales, et avec lequel je crois qu'aucun homme de notre temps ne pourrait entrer en comparaison; car, sans parler du développement extraordinaire de ses muscles, il passait les assistants de toute la tête: et cependant un poil follet commençait à peine à se dessiner sur sa face. (3) Il n'était qu'à demi vêtu de haillons chamarrés de pièces et de morceaux; et le tout assez mal cousu semblait tenir à l'étroit l'osseuse charpente de sa vaste poitrine et les massifs contours de ses flancs. (4) Le candidat étant introduit dans cet équipage: Salut, dit-il, ô vous compagnons du vaillant dieu de la guerre, et, à dater de ce jour, mes fidèles camarades! Recevez dans vos rangs un homme de courage et d'action, plus empressé à prendre sa part des coups que des dépouilles; un homme à qui la présence de la mort, si redoutée des autres, ne fait que redonner du coeur. (5) N'allez pas me prendre pour un mendiant, pour un homme de rien, ni juger ce que je vaux par les guenilles que je porte. Tel que vous me voyez, j'ai commandé une troupe des plus intrépides, et mis la Macédoine entière à feu et à sang. (6) En un mot, je suis le fameux Hémus de Thrace, dont le nom seul fait frémir les provinces. Mon père est l'illustre Théron qui m'a nourri de sang humain, et élevé dans les rangs de sa troupe. Il m'a légué sa vaillance, et l'héritage n'a pas dépéri entre mes mains.

(VII, 6, 1) Mais cette noble association d'antique prouesse, et, avec elle, tout ce que je possédais de fortune, tout cela a péri dans un moment. Dans une attaque nocturne contre un intendant des finances impériales, depuis tombé en disgrâce... Mais il est bon de reprendre les choses d'un peu plus haut.

L'histoire de Plotine

(2) Il y avait à la cour de César un personnage éminent par ses services, et dont l'empereur faisait personnellement le plus grand cas. (3) Il eut des envieux, et leurs manoeuvres parvinrent à élever contre lui une accusation qui aboutit à l'exil. Son épouse Plotine, femme d'un mérite rare, d'une fidélité exemplaire, et dont l'heureuse fécondité avait grossi sa famille d'un dixième gage de leur union, prit l'héroïque résolution de renoncer aux fastueuses délices de la vie romaine, pour suivre un époux banni et s'associer à son infortune. (4) Elle rasa ses cheveux, prit un habit d'homme, rassembla tout ce qu'elle possédait d'argent monnayé, et le renferma avec ses plus précieux bijoux dans sa ceinture. On la voyait à la tête de l'escorte, intrépide au milieu des armes, partager tous les périls de son mari, et supporter, pour l'amour de lui, les veilles et les fatigues avec une force et une constance au-dessus de son sexe. (5) Enfin, après avoir surmonté les difficultés sans nombre d'un voyage par terre et les terreurs d'une traversée maritime, ils se dirigeaient sur l'île de Zacinthe, que le fatal décret leur avait assignée pour résidence temporaire.

(VII, 7, 1) Ils touchaient à Actium au moment où notre troupe, qui, alors, exploitait la Macédoine, battait le pays dans les environs. La nuit était fort avancée, et l'équipage, pour ne pas coucher à bord, s'était établi dans une petite auberge sur le rivage, à proximité du navire. Nous profitâmes de l'occasion pour fondre sur eux; et, après avoir fait main basse sur ce qu'ils possédaient, nous disparûmes, non sans avoir couru nous-mêmes un grand danger; (2) car la dame, au premier bruit qu'elle entendit à la porte, se mit à courir dans sa chambre, s'efforçant par des cris répétés de donner l'alarme. Soldats et domestiques, elle appelait chacun par son nom, et réclamait en même temps le secours de tout le voisinage. Par bonheur chacun resta blotti dans son coin, et craignant pour sa peau: autrement nous n'eussions pas effectué impunément notre retraite. (3) Cependant cette admirable (car il faut dire la vérité), cette incomparable épouse, profitant de l'intérêt excité par sa noble conduite, obtint de l'empereur par ses sollicitations que son mari serait rappelé, et que justice serait faite de notre agression. (4) César, un beau jour, voulut qu'il n'existât plus de bande du brigand Hémus, et la bande fut anéantie. Un grand prince n'a qu'à vouloir. Cernée par une force supérieure, ma troupe fut accablée et taillée en pièces. Seul j'échappai aux gouffres de l'Érèbe, et voici par quel moyen.

(VII, 8, 1) Je m'affublai d'une robe de femme à grand ramage, à plis flottants; et, coiffé d'un chapeau d'étoffe, les pieds passés dans des mules blanches et fines, comme en portent les femmes, je me juchai sur un âne qui portait des gerbes d'orge, et, grâce à mon accoutrement féminin, je passai sans encombre au beau milieu des ennemis. On me prit pour la femme de quelque ânier, et les rangs s'ouvrirent pour me faire place. Vous saurez que mes joues, alors imberbes, conservaient encore l'éclat et le poli du teint d'un enfant. (2) Malgré cet échec, on ne dira pas que j'aie dérogé à la gloire de ma famille, ou manqué à ma propre réputation. Bien que sous le couteau de l'ennemi pour ainsi dire, et peu rassuré par un tel voisinage, j'ai su, à la faveur de mon déguisement, exploiter mainte ferme, et me ramasser une escarcelle de voyage, comme vous le voyez, assez rondelette. Déboutonnant alors ses guenilles, il fait briller à leurs yeux une somme de deux mille pièces d'or. (3) Voici, dit-il, ma bienvenue, ou, si vous aimez mieux, ma dot. Je vous en fais hommage; et, si vous me voulez pour chef, je m'offre à vous de bon cœur. Laissez-moi faire, et je ne serai pas longtemps à changer en or chaque pierre de ce logis.

Hémus sauve la situation

(VII, 9, 1) On ne fut pas longtemps à l'élire: un suffrage unanime lui décerna le commandement. On apporta des habits un peu plus propres, dont on l'invita à se revêtir. Débarrassé de sa souquenille qui cachait tant de richesses, le nouveau chef en costume donne à tous l'accolade, et, prenant place sur un lit plus élevé que le reste, inaugure son installation par un festin largement arrosé. (2) On causa beaucoup de la tentative d'évasion de la jeune fille, et le chef apprit quel monstrueux supplice nous était réservé. Il demanda alors en quel lieu on gardait la prisonnière, s'y fit conduire; et quand il l'eut vue chargée de chaînes, sa figure prit une expression marquée de mécontentement. Je ne veux pas, dit-il à son retour, m'interposer brutalement et à l'étourdie pour empêcher l'exécution de votre décret: cependant ma conscience me reprocherait de ne pas vous faire entendre ce que je crois être une vérité utile. (3) Avant tout, soyez persuadés que ma sollicitude seule pour vos intérêts me fait ouvrir la bouche. Vous serez, d'ailleurs, les maîtres d'en revenir plus tard à votre âne; (4) mais moi, je pense que des voleurs qui savent leur métier songent au profit avant tout, même avant la vengeance; il en coûte souvent de s'y livrer. Quand vous aurez donné à cette jeune fille un âne pour tombeau, vous aurez satisfait votre haine eu pure perte. (5) Mon avis est donc qu'il faut mener notre prisonnière à quelque ville, et l'y vendre bel et bien. Fille à cet âge est de bonne défaite. (6) J'ai moi-même parmi les agents de ce négoce telle vieille connaissance qui, si je ne me trompe, achèterait à très haut prix, pour la louer aux amateurs, une poulette de si bonne couvée. Une fois mise en cage, il faudra bien qu'elle renonce à prendre son vol de nouveau; et, dans le métier qu'elle fera, votre juste colère trouvera satisfaction. Voilà, suivant ma manière de voir, le parti le plus utile; mais à vous le droit de juger dans vos affaires et de disposer de ce qui vous appartient.

(VII, 10, 1) C'est ainsi qu'en se constituant l'avocat fiscal des voleurs, ce digne homme plaidait notre cause, et sauvait du même coup fille et baudet. (2) Longue fut la délibération; et moi je languissais et mourais à petit feu, attendant l'issue du débat. Enfin le conseil se range à l'avis du nouveau venu. Sur-le-champ on débarrasse la captive de ses liens; (3) mais celle-ci, au premier coup d'oeil jeté sur le jeune chef, et à la simple mention d'agents et de lieux de prostitution, se laissa aller aux plus vives démonstrations d'allégresse; et moi d'en tirer un texte d'accusation contre son sexe en général: Eh quoi! une jeune fille, naguère inconsolable de la perte d'un chaste amour, d'un hymen légitime, montrer ce scandaleux transport au seul nom du vice et de ses immondes repaires! (4) Et toute l'espèce féminine en masse de passer sur la sellette, devant un juge à longues oreilles.

Le jeune homme reprit alors la parole: Allons, dit-il, offrir un sacrifice au dieu Mars; demandons-lui la vente de la jeune fille ainsi que des recrues; mais, à ce que je puis voir, nous n'avons pas ici une seule bête à sacrifier, ni même assez de vin pour en boire à discrétion: (5) confiez-moi dix de nos hommes; il ne m'en faut pas plus pour tomber sur la première bourgade que je rencontrerai, et je vous rapporte de quoi faire un repas de Saliens. Les voilà bientôt en campagne, tandis que le reste allume au logis un vaste brasier, et construit en gazon un autel au dieu de la guerre.

(VIII, 11, 1) L'expédition ne tarda pas à revenir avec une charge d'outres pleines de vin, et chassant en avant un troupeau de bétail. On choisit un bouc, le plus vieux et le plus barbu qu'on put trouver, et on l'immole à Mars bon Guide et bon Compagnon. Un copieux festin s'apprête: (2) Vous allez voir, dit alors l'étranger, si je ne sais être votre chef qu'en fait d'expéditions et de capture, et si j'y vas de main morte quand il s'agit de vos plaisirs. Voilà mon homme aussitôt à la besogne, et qui la dépêche avec une aisance merveilleuse: (3) en moins de rien on voit le sol balayé et jonché, les mets rôtis ou fricassés de main de maître, dressés avec goût et servis à point; mais surtout il a soin de multiplier les rasades et d'abreuver son monde largement. Tout en allant et venant, sous prétexte de vaquer au service, il visitait fréquemment la jeune fille, et lui glissait à la dérobée quelque bribe de festin; ou, d'un oeil brillant de plaisir, il lui offrait à boire dans une coupe où ses lèvres avaient d'abord trempé. (4) Toutes ces prévenances étaient accueillies d'un air passionné. Une bouche caressante allait au-devant du baiser qui lui était destiné, et le rendait avec usure. Ces privautés me déplaisaient fort. (5) Ah! jeune fille, disais-je, as-tu donc oublié la foi promise et cette ardeur mutuelle! À ce mari que je ne connais point, mais qu'ont choisi tes parents, peux-tu préférer un coureur de grands chemins, un coupe-jarrets ? (6) Quoi! sans remords, foulant aux pieds tout sentiment, tu te prostitues ainsi de gaieté de cœur au milieu des lances et des épées ? Et si le reste de la troupe avait le moindre soupçon de votre intelligence... ? derechef on aurait recours au pauvre âne, au risque de ce qui peut lui en revenir. Ah! c'est trop se jouer de ma peau.

(VII, 12, 1) Tandis qu'un sentiment d'indignation m'entraînait ainsi aux suppositions les plus injustes, quelques demi-mots, faciles à interpréter pour un âne aussi intelligent, m'eurent bientôt mis au fait. Je compris que le prétendu brigand Hémus n'était autre que Tlépolème, le propre fiancé de la jeune fille. (2) En effet, de parole en parole, il finit par lui dire assez haut, sans plus s'inquiéter de ma présence que si j'eusse été défunt: Courage! ma bien aimée Charité! tes ennemis sous peu vont être en ton pouvoir. (3) Et il revenait toujours plus pressant vers ses convives, leur versant le vin coup sur coup, sans y mêler une goutte d'eau, et après l'avoir fait tiédir. Déjà la tête leur tourne; lui, toujours sur la réserve, ne cesse d'arroser leur ivresse. (4) À vrai dire, j'eus quelque soupçon qu'il mêlait quelque drogue somnifère à la liqueur dont il les abreuvait. À la fin, depuis le premier jusqu'au dernier, tous gisaient ivres-morts à la disposition de qui voudrait s'en défaire. (5) Alors, sans la moindre peine, mon homme se mit à les garrotter étroitement l'un après l'autre. Et quand ils furent tous accommodés à sa fantaisie, il plaça sa maîtresse sur mon dos, et prit avec elle le chemin de la ville où ils demeuraient.

(VII, 13, 1) À notre approche, toute la population se porta au dehors, pour jouir de ce spectacle impatiemment attendu. Parents, alliés, clients, valets, serviteurs, se précipitaient à l'envi. Le contentement est dans tous les yeux, la joie dans tous les cœurs. (2) Le cortège était de tout sexe, de tout âge; mais quelle vue aussi! le triomphe d'une vierge par le secours d'un âne. (3) Moi aussi je voulus, à ma manière, contribuer à la représentation, et bien constater la part que j'y prenais. Je dressai l'oreille, dilatai mes naseaux, et me mis à braire intrépidement, d'un ton à rivaliser avec le tonnerre. (4) Voilà la jeune fille rendue à ses foyers et aux caresses des auteurs de ses jours. Tlépolème aussitôt me fait tourner bride, avec grand renfort de bêtes de somme et suivi d'une multitude de ses concitoyens. Je ne demandais pas mieux. (5) Pour un curieux quelle occasion! on allait mettre la main sur tous ces brigands. Nous retrouvons nos captifs, dont les mouvements étaient enchaînés par l'ivresse plus encore que par les liens. (6) La caverne fut fouillée et vidée de tout ce qu'elle contenait; on nous chargea d'or, d'argent et d'objets précieux. Quant aux voleurs, ils furent les uns roulés, tout garrottés, jusqu'au bord des précipices voisins, dont on leur fit faire le saut; les autres, décapités sur place avec leurs propres épées. (7) Après cette exécution, nous reprîmes en triomphe le chemin de la ville. On déposa au trésor public les richesses reprises, et l'hymen mit Tlépolème en possession légitime de sa conquête.

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