Bibliotheca Classica Selecta - Autres traductions françaises dans la BCS - Plan - Scène IX - Scène XI

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EURIPIDE

MÉDÉE

Traduction nouvelle commentée et annotée
Danielle De Clercq, Bruxelles, 2005

COMMENTAIRE ET NOTES

 

Scène X (vv. 446-626)

Jason se présente sans être annoncé. On devine qu'il vient d'apprendre la décision de Créon d'exiler Médée et ses enfants. Cette conséquence du divorce, à laquelle il ne s'attendait visiblement pas, le contrarie car elle entache l'image qu'il veut donner de lui. Dépassé par les événements, il en rend d'emblée Médée responsable (446-458; 605; 607). Réunis ainsi pour la première fois sur scène, les deux ex-époux entament un long dialogue de sourds. Chacun exposant longuement et méthodiquement son point de vue, l'échange est d'abord - et dans sa majeure partie (446-578) - assez statique, ponctué seulement de deux répliques convenues du coryphée sur le (dés)amour (520-521) et le respect de la justice dans le mariage (576-578). Puis il s'exacerbe en répliques plus brèves et, inabouti, se clôture brutalement: Jason est chassé par Médée qui ne veut rien savoir des bonnes intentions qu'il affiche (579-626).

Jason relativise les bienfaits que Médée lui a prodigués. Tout d'abord, l'amour qu'elle lui a témoigné est né à l'initiative de Cypris et d'Éros, qui sont donc les véritables responsables du salut de Jason (526-530) au contraire de ce que prétend Médée (475-482). D'autre part, il lui a fait découvrir la supériorité morale - qu'il illustre lui-même très mal d'ailleurs! - du monde grec (Cf. 801) où Médée a vu s'étendre sa renommée de magicienne. Enfin, il raille le mal d'amour de l'épouse délaissée (568). À diverses reprises, il tient aussi à se montrer malgré tout préoccupé par le sort de Médée et des enfants - justifiant ainsi sa présence sur scène - et lui propose de l'aide dans l'immédiat pour mieux supporter l'exil (459-464; 609-615; 619-622). Dans le même esprit, il présente son nouveau mariage et son entrée dans la famille de Créon comme un moyen inespéré d'améliorer la situation de ses enfants... et celle de Médée (546-568). On peut d'ailleurs s'étonner de le voir invoquer, comme motif de sa démarche, la pauvreté, situation que Médée n'a pas évoquée précédemment. Cf. SC.VI; SC VIII.

Ulcérée et passionnée, Médée (465-519) ne pardonne pas à Jason d'avoir bafoué son amour et le dévouement sans limite qu'elle a déployé depuis la quête de la Toison d'Or pour le sauver de situations périlleuses, dévouement qui l'a fait aller jusqu'au crime dans sa propre famille et celle de Pélias. Seule la stérilité aurait pu justifier sa répudiation (490-491). Cf. Foucault pp. 161; 165-166. On se retrouve donc devant une nouvelle redite du malheur qui frappe l'épouse bafouée, mais sur un mode différent, plus ample et plus clair, fait pour convaincre définitivement le spectateur de sa détresse, de toute la déception que lui inspire de découvrir la réalité de cet homme qu'elle a tant aimé, et l'inviter à en accepter les conséquences. Cf. 1-19; 111-11; 160-167; 204-212; 256-258; 431-438.

Le cynisme de chacun des deux protagonistes se déploie: l'amour fou de Médée a éveillé en elle la tueuse qui s'est d'abord déchaînée contre sa proche famille. Elle évoque sans états d'âme ses crimes atroces comme autant de bienfaits (483-487; 502 sv). Jason révèle un insupportable arrivisme en privilégiant le côté utile des rapports humains (551-567). S'ajoute un aspect machiste facile (568 sv). Par ailleurs, si Jason manifeste de la sollicitude, c'est surtout pour se valoriser. On peut s'interroger sur la sincérité de son amour pour sa nouvelle épouse et pour ses enfants, dont il aurait pu facilement éviter l'exil en intercédant auprès de sa nouvelle belle-famille.

famille royale (455). Dans le texte, il est question de basiléôn, génitif pluriel de basileus, roi, fils de roi, qui est repris aux vv. 458 et 607 par le terme plus général de turannous, accusatif pluriel de turannos, qui peut aussi prendre le genre féminin. Méridier fait de basiléôn un pluriel poétique qui désigne Créon. Il traduit turannous par un pluriel au v. 458 et l'interprète comme Créon au vv. 607. N'est-il pas plutôt question ici, dans les deux expressions, de Créon et de sa fille, dont on connaît le rapport assez fusionnel, ou aussi d'autres membres de la famille, comme on peut le déduire du v. 1304? Cf. SC. XXIII.

taureaux (478). Aeétes avait imposé à Jason comme épreuve préalable à la capture de la Toison d'or d'atteler sous le même joug deux taureaux, monstres aux sabots d'airain pour labourer une terre où il devait semer ensuite des dents de dragon. Celles-ci devaient devenir des guerriers qu'ils fallait vaincre. Cf. Apollonios, Arg. III 1378-1407.

l'emprise de la passion (485). Cf. 432.

respect de tes serments (492). Cf. 439-445.

Cypris (527). Cette dénomination d'Aphrodite, déesse de l'amour et mère d'Éros, est dérivée de Kúpros (Chypre) où elle aborda venant de Cythère (Cf. Hésiode, Th. 191 sv.) et où fut construit le premier temple en son honneur. Une interprétation différente du rôle de la déesse est donnée SC.XIV.

renom (541) Cf. 677.

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