Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant I (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante


ÉNÉIDE, LIVRE I

ARRIVÉE D'ÉNÉE À CARTHAGE

Jupiter et Vénus aident Énée (1, 223-417)

 

Vénus implore Jupiter (1, 223-253)

Dans le ciel, Vénus implore son père en faveur des Troyens. Fine diplomate, elle flatte Jupiter, insiste sur la piété de ses protégés, lui rappelle ses promesses de faire naître des Troyens le peuple destiné à régner sur l'univers (1, 223-239).

Elle compare les épreuves que leur inflige Junon au sort d'Anténor, un autre rescapé de Troie, établi en Illyrie (1, 240-253).

Et iam finis erat, cum Iuppiter aethere summo

despiciens mare ueliuolum terrasque iacentis

Déjà c'était la fin du festin ; Jupiter qui, du sommet de l'éther,

regardait la mer parsemée de voiles, les terres déployées à ses pieds,

litoraque et latos populos, sic uertice caeli

constitit, et Libyae defixit lumina regnis.

Atque illum talis iactantem pectore curas

tristior et lacrimis oculos suffusa nitentis

adloquitur Venus : « O qui res hominumque deumque

les rivages et les peuples largement disséminés, s'immobilisa alors

au plus haut point du ciel et fixa ses regards sur le royaume de Libye.

Et tandis qu'il remuait ces préoccupations en son coeur,

Vénus, tout affligée, les yeux brillants mouillés de larmes,

s'adresse à lui : « Toi qui, de toute éternité, tiens sous tes lois

1, 225

aeternis regis imperiis, et fulmine terres,

quid meus Aeneas in te committere tantum,

quid Troes potuere, quibus, tot funera passis,

cunctus ob Italiam terrarum clauditur orbis ?

Certe hinc Romanos olim, uoluentibus annis,

le sort des hommes et des dieux, toi qui les terrifies de ta foudre,

quel crime si grand de mon cher Énée a-t-il pu t'offenser,

quelle faute les Troyens, éprouvés par tant de deuils, ont-ils commise

pour que tout l'univers leur soit fermé devant l'Italie ?

De là pourtant, un jour,  suite au déroulement des années,

1, 230

hinc fore ductores, reuocato a sanguine Teucri,

qui mare, qui terras omni dicione tenerent,

pollicitus, quae te, genitor, sententia uertit ?

Hoc equidem occasum Troiae tristisque ruinas

solabar, fatis contraria fata rependens.

 

 devaient naître les Romains qui, du sang ravivé de Teucer,

seraient les maîtres dominant les mers et l'univers entier !

Tu l'avais promis ! Père, quelle pensée t'a retourné ?

Moi, je me consolais de la chute de Troie, de ses tristes ruines,

espérant que les destins compenseraient ces destins funestes.

 

1, 235

Nunc eadem fortuna uiros tot casibus actos

insequitur. Quem das finem, rex magne, laborum ?

Antenor potuit, mediis elapsus Achiuis,

Illyricos penetrare sinus, atque intima tutus

regna Liburnorum, et fontem superare Timaui,

Maintenant la même infortune poursuit ces hommes qui ont vécu

  tant d'épreuves ! Quel terme, grand roi, fixes-tu à leurs maux ?

Anténor, échappé aux Achéens, a  pu  pénétrer dans les golfes d'Illyrie

et gagner en toute quiétude le coeur du royaume des Liburnes ;

il a pu franchir la source du Timave qui  par ses neuf bouches,

1, 240

unde per ora nouem uasto cum murmure montis

it mare proruptum et pelago premit arua sonanti.

Hic tamen ille urbem Pataui sedesque locauit

Teucrorum, et genti nomen dedit, armaque fixit

Troia ; nunc placida compostus pace quiescit :

s'avance vers la mer déchaînée, en faisant gronder la montagne,

et qui recouvre les champs de ses flots sonores.

C'est là donc que ce héros fonda Padoue et installa les Teucères,

qu'il donna un nom à leur peuple et fixa les armes de Troie ;

maintenant apaisé, il y repose dans une paix sereine.

1, 245

nos, tua progenies, caeli quibus adnuis arcem,

nauibus infandum ! amissis, unius ob iram

prodimur atque Italis longe disiungimur oris.

Hic pietatis honos ? Sic nos in sceptra reponis ? »

Et nous, tes propres enfants, que tu daignes accueillir en ton palais céleste,

nous avons perdu nos vaisseaux, ô honte ! et  nous sommes livrés

à la colère d'une seule déesse, retenus loin des rivages de l'Italie.

Est-ce là le prix de la piété ? Est-ce là nous restituer notre sceptre ? »

1, 250

 

Jupiter prophétise la grandeur de Rome (1, 254-304)

Jupiter rassure Vénus sur le sort des Troyens et l'avenir d'Énée, puis entreprend de brosser un tableau de l'histoire de Rome avant sa fondation : guerre entre Troyens et Rutules ; fondation de Lavinium ; mort et divinisation d'Énée après trois ans ; règne d'Ascagne-Iule pendant trente ans ; fondation d'Albe-la-Longue ; dynastie albaine de race troyenne pendant trois cents ans ; naissance des jumeaux (1, 254-274).

Il annonce ensuite la fondation de Rome ; l'empire universel de la nouvelle Troie, après la conquête romaine de la Grèce, présentée comme l'ultime vengeance des Troyens ; le revirement de Junon elle-même et enfin l'avènement d'Auguste-César, descendant des Troyens et instaurateur de la paix (1, 275-296).

Il dépêche enfin à Carthage son messager Mercure, qui inspire à Didon et aux Carthaginois des sentiments bienveillants à l'égard des Troyens (1, 297-304).

Olli subridens hominum sator atque deorum, Le père des hommes et des dieux, arborant ce visage

 

uoltu, quo caelum tempestatesque serenat,

oscula libauit natae, dehinc talia fatur :

« Parce metu, Cytherea : manent immota tuorum

fata tibi ; cernes urbem et promissa Lauini

moenia, sublimemque feres ad sidera caeli

qui apaise ciel et tempêtes, sourit à sa fille,

effleure son visage d'un baiser,  puis lui dit :

« Rassure-toi, Cythérée ;  les destins de tes protégés

restent immuables ; tu verras la ville et les murs promis de Lavinium,

et tu emmèneras très haut, jusqu'aux astres du ciel,

  1, 255

magnanimum Aenean ; neque me sententia uertit.

Hic tibi fabor enim, quando haec te cura remordet,

longius et uoluens fatorum arcana mouebo

bellum ingens geret Italia, populosque feroces

contundet, moresque uiris et moenia ponet,

le magnanime Énée ; nul avis n'a changé ma volonté.

Énée je vais en effet, puisque ce souci te taraude,

parler un peu longuement et dérouler les secrets du destin ,

mènera en Italie une grande guerre, brisera des peuples farouches

et imposera à ces hommes des lois et des murailles

1, 260

tertia dum Latio regnantem uiderit aestas,

ternaque transierint Rutulis hiberna subactis.

At puer Ascanius, cui nunc cognomen Iulo

additur, – Ilus erat, dum res stetit Ilia regno, –

triginta magnos uoluendis mensibus orbis

jusqu'au troisième été qui le verra régner sur le Latium

et jusqu'au troisième hiver après la soumission des Rutules.

Mais le jeune Ascagne, doté maintenant du surnom de Iule,

il s'appelait Ilus, tant que subsista le royaume d'Ilion ,

exercera le pouvoir au cours des mois de trente longues années,

1, 265

imperio explebit, regnumque ab sede Lauini

transferet, et longam multa ui muniet Albam.

Hic iam ter centum totos regnabitur annos

gente sub Hectorea, donec regina sacerdos,

Marte grauis, geminam partu dabit Ilia prolem.

 

puis il transférera son trône de son siège de Lavinium

à Albe-la-Longue, qu'il munira de puissants remparts.

Là dès ce moment, durant trois fois cent longues années,

régnera la race d'Hector, jusqu'au jour où une prêtresse royale,

Ilia, enceinte de Mars, donnera naissance à des jumeaux.

 

1, 270

Inde lupae fuluo nutricis tegmine laetus

Romulus excipiet gentem, et Mauortia condet

moenia, Romanosque suo de nomine dicet.

His ego nec metas rerum nec tempora pono ;

imperium sine fine dedi. Quin aspera Iuno,

Ensuite, prospère grâce à la protection d'une fauve nourrice

Romulus perpétuera la race, fondera les murailles de Mars

et donnera son propre nom aux Romains.

Moi, je n'impose de terme ni à leur puissance ni à leur durée.

Je leur ai accordé un empire sans fin. Et même, l'âpre Junon,

1, 275

quae mare nunc terrasque metu caelumque fatigat,

consilia in melius referet, mecumque fouebit

Romanos rerum dominos gentemque togatam :

sic placitum. Veniet lustris labentibus aetas,

cum domus Assaraci Phthiam clarasque Mycenas

qui en ce moment importune de ses craintes terre, mer et ciel,

reviendra à des décisions meilleures et chérira avec moi

les Romains, maîtres du monde, peuple de citoyens en toge.

Voilà ma volonté. Après bien des lustres, viendra le temps

où les fils d'Assaracus asserviront la Phthie et l'illustre Mycènes,

1, 280

seruitio premet, ac uictis dominabitur Argis.

Nascetur pulchra Troianus origine Caesar,

imperium oceano, famam qui terminet astris,

Iulius, a magno demissum nomen Iulo.

Hunc tu olim caelo, spoliis Orientis onustum,

où ils régneront en maîtres sur les Argiens vaincus.

Un Troyen naîtra, César, d'illustre naissance,

qui bornera son empire à l'Océan et son renom aux étoiles,

Jules, dont le nom lui viendra du grand Iule.

Un jour, au ciel, tu l'accueilleras chargé des dépouilles de l'Orient,

1, 285

accipies secura ; uocabitur hic quoque uotis.

Aspera tum positis mitescent saecula bellis ;

cana Fides, et Vesta, Remo cum fratre Quirinus,

iura dabunt ; dirae ferro et compagibus artis

claudentur Belli portae ; Furor impius intus,

et tu seras apaisée ; vers lui aussi monteront des voeux.

Alors, les guerres seront délaissées, les âpres siècles s'adouciront :

la Bonne Foi chenue et Vesta, Quirinus et Rémus, son frère,

institueront des lois ; sinistres, étroitement serrées de ferrures,

les portes de la Guerre resteront closes ; à l'intérieur la Fureur impie,

1, 290

saeua sedens super arma, et centum uinctus aenis

post tergum nodis, fremet horridus ore cruento ».

 

Haec ait, et Maia genitum demittit ab alto,

ut terrae, utque nouae pateant Karthaginis arces

hospitio Teucris, ne fati nescia Dido

redoutable, sera assise sur des armes entassées, les bras liés derrière le dos

 par cent noeuds d'airain, et terrible, elle grondera, la bouche sanglante ».

 

Après ces paroles, il dépêche du haut du ciel le fils de Maia ;

il veut que les terres et la citadelle toute neuve de Carthage s'ouvrent,

accueillantes, aux Teucères, et que Didon, ignorant les arrêts du destin,

1, 295

finibus arceret : uolat ille per aera magnum

remigio alarum, ac Libyae citus adstitit oris.

Et iam iussa facit, ponuntque ferocia Poeni

corda uolente deo ; in primis regina quietum

accipit in Teucros animum mentemque benignam.

ne les écarte pas de sa terre. Mercure, usant de ses ailes comme de rames,

vole à travers l'espace infini et, rapide, se pose sur le rivage de Libye.

Aussitôt il exécute les ordres et les Puniques, par la volonté du dieu,

mettent fin à leur haine féroce ; la reine surtout, l'esprit apaisé,

adopte à l'égard des Troyens des dispositions  bienveillantes .

1, 300

 

Une inconnue informe Énée sur Didon (1, 305-368)

Entre-temps, Énée explore les lieux, quand sa mère Vénus se présente à lui sous les traits d'une jeune chasseresse. Sans la reconnaître, bien que pressentant son statut de déesse, il l'interroge sur le pays où il a échoué (1, 305-334).

La chasseresse, sans révéler son identité, le renseigne sur l'histoire de Carthage et de sa fondatrice : Didon avait épousé en Phénicie le riche Sychée, assassiné secrètement par le roi de Tyr Pygmalion, frère de Didon et jaloux des richesses de son beau-frère. Un jour le fantôme de Sychée révéla à Didon le crime de Pygmalion et lui conseilla de fuir, en lui disant où se trouvaient des trésors cachés. Didon s'embarqua et arriva en Libye avec ses partisans et ses richesses ; elle se procura le territoire où s'élève maintenant sa ville (1, 335-368).
 

At pius Aeneas, per noctem plurima uoluens,

ut primum lux alma data est, exire locosque

explorare nouos, quas uento accesserit oras,

qui teneant, nam inculta uidet, hominesne feraene,

quaerere constituit, sociisque exacta referre.

Durant la nuit, le pieux Énée a remué maintes pensées

et, dès que paraît la bienfaisante lumière, il décide de sortir

et d'explorer ces lieux nouveaux, ces rivages où le vent l'a poussé ;

les trouvant en friche, il décide d'enquêter sur leurs occupants,

hommes ou  bêtes ? ,  et  faire à ses compagnons un rapport précis.

1, 305

Classem in conuexo nemorum sub rupe cauata

arboribus clausam circum atque horrentibus umbris

occulit ; ipse uno graditur comitatus Achate,

bina manu lato crispans hastilia ferro.

Cui mater media sese tulit obuia silua,

Il a mis sa flotte à l'abri, dans une anse boisée, au creux d'un rocher :

entourée d'arbres et d'ombres inquiétantes, elle est bien cachée.

Il se met en route, accompagné du seul Achate,

qui serre dans sa main deux javelots à large lame.

Au milieu de la forêt, sa mère se présenta à lui, sous les traits

I, 310

uirginis os habitumque gerens, et uirginis arma

Spartanae, uel qualis equos Threissa fatigat

Harpalyce, uolucremque fuga praeuertitur Hebrum.

Namque umeris de more habilem suspenderat arcum

uenatrix, dederatque comam diffundere uentis,

et l'allure d'une jeune fille, armée comme une jeune Spartiate ;

on eût dit la Thrace Harpalicé, qui dans sa fuite plus prompte

que l'Hèbre au cours rapide épuise ses chevaux.

Car, à la manière d'une chasseresse, elle portait un arc souple

suspendu à son épaule, et laissait ses cheveux flotter au vent ;

I, 315

nuda genu, nodoque sinus collecta fluentis.

Ac prior, « Heus » inquit « iuuenes, monstrate mearum

uidistis si quam hic errantem forte sororum,

succinctam pharetra et maculosae tegmine lyncis,

aut spumantis apri cursum clamore prementem. »

elle avait les genoux nus, un noeud retenait les plis ondoyants de sa robe.

Elle parla la première : « Eh! jeunes gens, dites-moi :

n'avez-vous pas vu par hasard une de mes soeurs égarée ici ?

Elle est armée d'un carquois et porte une peau de lynx tacheté ;

peut-être en criant poursuit-elle à la course un sanglier écumant ».

I, 320

Sic Venus ; et Veneris contra sic filius orsus :

« Nulla tuarum audita mihi neque uisa sororum,

O quam te memorem, uirgo ? Namque haud tibi uoltus

mortalis, nec uox hominem sonat. O, dea certe

 an Phoebi soror ? an nympharum sanguinis una ? –

Ainsi parle Vénus ; et son fils alors lui répond :

« Je n'ai entendu aucune de tes soeurs, je n'ai vu personne,

ô vierge, comment te nommer ? Ton visage n'est pas d'une mortelle,

et ton timbre n'est pas d'une voix humaine. Déesse sûrement,

es-tu la soeur de Phébus ? es-tu née du sang des Nymphes  ?

I, 325

sis felix, nostrumque leues, quaecumque, laborem,

et, quo sub caelo tandem, quibus orbis in oris

iactemur, doceas. Ignari hominumque locorumque

erramus, uento huc uastis et fluctibus acti :

multa tibi ante aras nostra cadet hostia dextra. »

 

sois bénie et, qui que tu sois, allège notre épreuve.

Apprends-nous enfin sous quels cieux, en quels rivages du monde

nous sommes jetés : ne connaissant ni les habitants ni les lieux,

nous errons, poussés ici au gré du vent et des flots déchaînés.

En ton honneur, notre main immolera maintes victimes sur les autels ».

I, 330

Tum Venus : « Haud equidem tali me dignor honore ;

uirginibus Tyriis mos est gestare pharetram,

purpureoque alte suras uincire cothurno.

Punica regna uides, Tyrios et Agenoris urbem ;

sed fines Libyci, genus intractabile bello.

 Vénus dit alors : « Vraiment, je ne me juge pas digne d'un tel honneur ;

les jeunes Tyriennes ont coutume de porter un carquois

et de lacer haut sur leurs mollets des cothurnes pourpres.

Tu vois ici le royaume punique, les Tyriens et la ville d'Agénor ;

mais il s'agit du territoire des Libyens, peuple intraitable à la guerre.

1, 335

Imperium Dido Tyria regit urbe profecta,

germanum fugiens. Longa est iniuria, longae

ambages ; sed summa sequar fastigia rerum.

Huic coniunx Sychaeus erat, ditissimus agri

Phoenicum, et magno miserae dilectus amore,

Didon y exerce le pouvoir ; elle est partie de la ville de Tyr,

fuyant son frère. Longue suite d'injustices et de vicissitudes !

Mais je raconterai  les points les plus saillants de son histoire.

Sychée était son époux, le plus riche des Phéniciens,

que, pour son malheur, elle aimait d'un amour profond ;

1, 340

cui pater intactam dederat, primisque iugarat

ominibus. Sed regna Tyri germanus habebat

Pygmalion, scelere ante alios immanior omnes.

Quos inter medius uenit furor. Ille Sychaeum

impius ante aras, atque auri caecus amore,

elle était vierge lorsque son père l'avait unie à lui

sous les auspices d'un premier hymen. Mais, à Tyr,

régnait son frère Pygmalion, le plus scélérat des hommes.

Entre Sychée et lui naquit une haine furieuse. L'impie surprend

devant les autels un Sychée sans défiance et, aveuglé par l'amour de l'or,

1, 345

clam ferro incautum superat, securus amorum

germanae ; factumque diu celauit, et aegram,

multa malus simulans, uana spe lusit amantem.

Ipsa sed in somnis inhumati uenit imago

coniugis, ora modis attollens pallida miris,

l'abat secrètement de son arme, sans égard pour les amours de sa soeur.

Il cacha longtemps son forfait et, à force de simulations,

entretint chez la malheureuse amante l'illusion d'un vain espoir.

Mais, dans son sommeil, elle vit l'image même de son époux,

privé de sépulture et qui levait vers elle un visage étrangement pâle ;

1, 350

crudeles aras traiectaque pectora ferro

nudauit, caecumque domus scelus omne retexit.

Tum celerare fugam patriaque excedere suadet,

auxiliumque uiae ueteres tellure recludit

thesauros, ignotum argenti pondus et auri.

Il parle de l'autel ensanglanté, dénude sa poitrine transpercée par le fer,

et dévoile point par point le crime de sa maison, resté secret, .

Puis il la persuade de fuir au plus vite, de quitter sa patrie.

Pour l'aider dans son voyage, il révèle où sont enterrés

d'anciens trésors, masse ignorée d'or et d'argent.

1, 355

His commota fugam Dido sociosque parabat :

conueniunt, quibus aut odium crudele tyranni

aut metus acer erat ; nauis, quae forte paratae,

corripiunt, onerantque auro : portantur auari

Pygmalionis opes pelago ; dux femina facti.

Émue, Didon préparait sa fuite, cherchait des compagnons.

Autour d'elle se rassemblent ceux qui vouaient au tyran une haine féroce

ou qu'habitait une grande crainte ; des bateaux qui se trouvaient prêts,

sont pris d'assaut et on y entasse l'or ; la mer emporte

les trésors de l'avide Pygmalion ; c'est la femme qui dirige tout.

1, 360

Deuenere locos, ubi nunc ingentia cernis

moenia surgentemque nouae Karthaginis arcem,

mercatique solum, facti de nomine Byrsam,

taurino quantum possent circumdare tergo. »

Les fugitifs parvinrent en ces lieux, où tu vois maintenant

d'immenses remparts et la citadelle naissante de la jeune Carthage,

qui s'appelle Bursa du fait qu'ils ont acheté comme surface de terrain

juste la quantité qu'ils pouvaient entourer avec la peau d'un taureau. »

1, 365

 

L'inconnue écoute Énée et le rassure (1, 369-417)

À son tour, Énée renseigne l'inconnue sur son passé et sur le but que lui dicte le destin : il veut gagner l'Italie pour y installer les Pénates de Troie arrachés à l'ennemi ; mais, victime d'une tempête, il a échoué, avec sept navires, sur les côtes de Libye. L'assurant de la protection des dieux, l'inconnue engage Énée à se présenter à la reine des lieux et lui annonce, sur la foi d'un présage, le sauvetage de la flotte qu'il croyait avoir perdue (1, 369-401).

Énée reconnaît alors Vénus qui disparaît aussitôt, le laissant très frustré. Mais elle le soustrait auparavant à la curiosité des Libyens, en l'enveloppant d'un nuage, avant de rejoindre sa demeure de Chypre (1, 402-417).

« Sed uos qui tandem, quibus aut uenistis ab oris, « Mais vous enfin, qui êtes-vous ? De quels rivages venez-vous ?  

quoue tenetis iter ?  » Quaerenti talibus ille

suspirans, imoque trahens a pectore uocem :

« O dea, si prima repetens ab origine pergam,

et uacet annalis nostrorum audire laborum,

ante diem clauso componat Vesper Olympo.

Où allez-vous ? ». Tandis qu'elle s'informait en ces termes,

Énée, en soupirant, tira ces mots du fond de son coeur :

« Ô déesse, si je racontais mon histoire, en partant du tout début,

et si tu avais le temps d'écouter le récit détaillé de nos épreuves,

 avant la fin, Vesper chasserait le jour et l'Olympe serait fermé.

1, 370

Nos Troia antiqua, si uestras forte per auris

Troiae nomen iit, diuersa per aequora uectos

forte sua Libycis tempestas adpulit oris.

Sum pius Aeneas, raptos qui ex hoste Penates

classe ueho mecum, fama super aethera notus.

Depuis l'antique Troie, peut-être ce nom a-t-il frappé vos oreilles ,

nous avons été emportés de mer en mer, et la tempête,

au gré de sa fantaisie, nous a poussés aux bords de Libye.

Je suis le pieux Énée, j'emporte avec moi sur mes vaisseaux

nos Pénates arrachés à l'ennemi, et mon renom s'étend jusqu'à l'éther.

1, 375

Italiam quaero patriam et genus ab Ioue summo.

Bis denis Phrygium conscendi nauibus aequor,

matre dea monstrante uiam, data fata secutus ;

uix septem conuolsae undis Euroque supersunt.

Ipse ignotus, egens, Libyae deserta peragro,

Je cherche l'Italie, terre de mes pères ; ma race est issue du grand Jupiter.

Avec deux dizaines de navires je me suis embarqué sur la mer de Phrygie ;

ma mère divine me montrait la route, tandis que je suivais les oracles.

Sept navires seulement restent, disloqués par les flots et par l'Eurus.

Moi-même, méconnu, démuni, je parcours les déserts de Libye,

1, 380

Europa atque Asia pulsus. » Nec plura querentem

passa Venus medio sic interfata dolore est :

« Quisquis es, haud, credo, inuisus caelestibus auras

uitalis carpis, Tyriam qui adueneris urbem.

Perge modo, atque hinc te reginae ad limina perfer.

chassé d'Europe et d'Asie. » Ne le laissant pas gémir davantage,

Vénus l'interrompit au milieu de ses lamentations :

« Qui que tu sois, tu n'encours pas, je crois, la haine des dieux du ciel,

puisque tu es bien vivant et parvenu à cette ville tyrienne.

Poursuis ta route et, de ce pas, va te présenter au seuil de la reine.

1, 385

Namque tibi reduces socios classemque relatam

nuntio, et in tutum uersis aquilonibus actam,

ni frustra augurium uani docuere parentes.

Aspice bis senos laetantis agmine cycnos,

aetheria quos lapsa plaga Iouis ales aperto

Je t'annonce que tes compagnons sont revenus, que ta flotte

t'est rendue, menée en lieu sûr par le changement des Aquilons,

si du moins mes parents abusés ne m'ont pas enseigné en vain l'art augural.

Vois cette joyeuse colonne de douze cygnes ; glissant de l'éther

l'oiseau de Jupiter s'était abattu sur eux  et les dispersait dans l'étendue du ciel.

1, 390

turbabat caelo ; nunc terras ordine longo

aut capere, aut captas iam despectare uidentur :

ut reduces illi ludunt stridentibus alis,

et coetu cinxere polum, cantusque dedere,

haud aliter puppesque tuae pubesque tuorum

Maintenant,  on voit leur longue file reprendre place sur la terre,

ou observer d'en haut les endroits qu' ils se réservent désormais ;

de même que ces oiseaux fêtent leur retour en battant des ailes,

et font résonner leurs chants, après la ronde de leur troupe dans le ciel,

ainsi tes vaisseaux et le groupe de tes jeunes compagnons

1, 395

aut portum tenet aut pleno subit ostia uelo.

Perge modo, et, qua te ducit uia, dirige gressum. »

 

Dixit, et auertens rosea ceruice refulsit,

ambrosiaeque comae diuinum uertice odorem

spirauere, pedes uestis defluxit ad imos,

ont gagné le port ou sont en train d'y pénétrer à pleines voiles.

Va donc, et dirige ton pas là où te conduit la route ».

 

Elle se tut et se détourna ; de son cou de rose jaillit un éclair ;

de sa tête aux cheveux d'ambroisie monta un parfum divin ;

sa robe tomba jusqu'à ses pieds, et à sa démarche

1, 400

et uera incessu patuit dea. Ille ubi matrem

adgnouit, tali fugientem est uoce secutus :

« Quid natum totiens, crudelis tu quoque, falsis

ludis imaginibus ? Cur dextrae iungere dextram

non datur, ac ueras audire et reddere uoces ? »

se révéla la vraie déesse. Dès qu'il eut reconnu sa mère,

Énée la poursuivit et lui dit tandis qu'elle s'enfuyait :

« Pourquoi, cruelle toi aussi, te jouer si souvent de ton fils

avec ces apparences vaines ? Pourquoi ne nous est-il pas donné

de joindre nos mains, et d'échanger de vraies paroles ? »

1, 405

Talibus incusat, gressumque ad moenia tendit :

at Venus obscuro gradientes aere saepsit,

et multo nebulae circum dea fudit amictu,

cernere ne quis eos, neu quis contingere posset,

moliriue moram, aut ueniendi poscere causas.

Après ces reproches, il dirige ses pas vers les remparts :

Vénus toutefois entoura leur marche d'un sombre nuage,

répandant autour d'eux une épaisse enveloppe de brume ;

ainsi personne ne pourrait ni les voir, ni les toucher,

ni les retarder, ni s'informer des raisons de leur venue.

1, 410

Ipsa Paphum sublimis abit, sedesque reuisit

laeta suas, ubi templum illi, centumque Sabaeo

ture calent arae, sertisque recentibus halant.

Elle-même s'envola vers Paphos et, tout heureuse,

retrouva sa demeure, où se dresse son temple et où cent autels

 brûlent l'encens sabéen et exhalent le parfum de fraîches guirlandes.

1, 415

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Notes (1, 223-417) 

c'était la fin (1, 223). Ce début de vers marque une rupture dans le récit. De la plage où se reposent les rescapés, le lecteur est transporté dans le monde des dieux.

Libye (1, 225). Rappelons que ce terme désigne l'Afrique, en l'occurrence la région où s'élevait Carthage et où avaient échoué les Troyens (1, 22 ; 1, 158).

Vénus (1, 228-229). Première apparition du nom d'une divinité qui jouera un très grand rôle dans le poème. Son signalement dans la religion romaine archaïque n'est pas clair. Le terme uenus serait à l'origine un neutre qui désignerait « un mouvement de confiance envers les dieux, mouvement qui se veut séduisant, auquel on compte que le destinataire divin ne résistera pas ». En réalité, le terme a été personnifié et, au genre féminin, il est devenu « le charme persuasif », entité particulièrement apte à recevoir, plus tard, les signalements qui s'attachaient à l'Aphrodite grecque, déesse de l'amour notamment. Et effectivement, comme ce fut le cas pour beaucoup d'anciennes divinités latines, Vénus perdit son signalement ancien : elle fut dès le 2e siècle avant J.-C. assimilée à l'Aphrodite grecque, fille de Zeus et de l'Océanide Dioné, déesse de l'amour et de la beauté. Dans la légende grecque, Aphrodite s'éprit un jour du Troyen Anchise, qui gardait ses troupeaux. De cette union naquit Énée. Chez Homère, Aphrodite est censée avoir protégé à diverses reprises son fils lors de la guerre de Troie. Virgile prolongea ce motif homérique. Tout au long de l'Énéide, Vénus intervient très activement en faveur de son fils. C'est ici sa première intervention, qui  sera suivie debeaucoup d'autres. Elle veillera notamment à lui faire fabriquer par Vulcain des armes divines (8, 370-453), qu'elle lui remettra en personne (8, 608-625).

foudre (1, 230). La foudre passe pour un attribut de Zeus-Jupiter, symbolisant son pouvoir.

les Romains devaient naître... (1, 234-236). Rome est la nouvelle Troie ; par l'intermédiaire d'Énée, les Romains sont les descendants lointains des Troyens.

Teucer (1, 235). C'est l'ancêtre lointain de la famille royale de Troie (cfr 1, 38n).

Anténor (1, 242). Dans l'Iliade, Anténor est présenté comme un sage vieillard de Troie, partisan de la paix et de la restitution d'Hélène aux Grecs. Ses sympathies pour les Grecs font que des traditions postérieures à Homère le présentent comme un traître à sa patrie. Lors de la chute de Troie, les Grecs lui permettent de quitter librement la ville ; il gagne l'extrémité nord de la mer Adriatique (cfr « les golfes d'Illyrie » du vers 243) ; il passe pour être l'ancêtre des Vénètes et le fondateur de Padoue (cfr 1, 247). Il sera fait allusion à ses trois fils aux Enfers en 6, 484.

Achéens (1, 242). À proprement parler, ce sont les habitants de l'Achaïe, mais dans l'Iliade et dans l'Énéide, le terme désigne les « Grecs ».

golfes d'Illyrie (1, 242-243). Si l'Illyrie désigne dans l'Antiquité une région relativement étendue à l'est de l'Adriatique (en gros l'ancienne Yougoslavie), l'expression virgilienne de « golfes d'Illyrie » correspond ici à ce que nous appelons aujourd'hui le « Golfe de Venise », au fond de la mer Adriatique.

Liburnes (1, 243-244). Les Liburnes étaient un peuple illyrien, sur la côte nord-est de l'Adriatique. S'ils avaient jadis dominé une grande partie de cette côte, ils n'occupaient plus, à l'époque d'Auguste, qu'un modeste territoire. Ils avaient été longtemps redoutés comme pirates et avaient inventé un bateau de guerre rapide, appelé de leur nom liburna (ou liburnica) et adopté par les Romains. Tout cela devait en faire un nom évocateur pour des lecteurs romains. Manifestement, avec tous ces noms géographiques qui ne doivent pas être pris au sens technique, Virgile recherche moins la précision qu'une certaine atmosphère.

Timave (1, 244-246). « Au fond du golfe Adriatique, les Anciens désignaient sous ce nom un chapelet de sources situées à proximité immédiate de la mer ; ils y voyaient la résurgence d'un fleuve devenu souterrain » (J. Perret, Virgile. Énéide, I, 1981, p. 14, n. 1). Si l'on en croit ce passage de Virgile, ce devait être jadis un cours d'eau important ; Servius en tout cas signale qu'avec ses neuf sources qui sortaient d'énormes rochers, le Timave formait autrefois un large fleuve, dont les eaux au goût saumâtre le faisaient appeler mare (une mer) par les habitants du pays. On ne voit pas très bien à quoi il pourrait correspondre aujourd'hui.

un nom à leur peuple (1, 248). Anténor, on l'a dit (1, 242n), passait dans la tradition latine pour le fondateur de Padoue (la Patauium antique). Il aurait donné à son territoire d'accueil (la Vénétie) le nom des gens (Hénètes; Énètes) qui l'accompagnaient depuis qu'il avait quitté Troie. Cfr Tite-Live (I, 1, 2-3) pour plus de détails : « C'est une chose bien connue, qu'après diverses aventures, Anténor, à la tête d'une troupe nombreuse d'Hénètes qui, chassés de la Paphlagonie par une sédition, et privés de leur roi Pylémène mort sous les murs de Troie, cherchaient un chef et une retraite, pénétra jusqu'au fond du golfe Adriatique, (3) et que, chassant devant eux les Euganéens, établis entre la mer et les Alpes, les Hénètes, réunis aux Troyens, prirent possession de leur territoire. » On montrait encore à Padoue le tombeau d'Anténor.

fixa les armes de Troie (1, 248). Les compagnons d'Anténor avaient accroché leurs armes aux murs, puisque ils vivaient désormais en paix.

une seule déesse (1, 251). Junon bien sûr.

restituer notre sceptre (1, 253). C'est-à-dire permettre la renaissance de Troie dans une ville - Rome - qui devra à terme dominer les terres et les mers. Il en avait été question aux vers 234-237. C'était une promesse de Jupiter ; c'était aussi et surtout l'arrêt des destins.

sa fille (1, 256). Plusieurs traditions circulaient sur la naissance d'Aphrodite-Vénus. Selon l'une d'entre elles, Aphrodite serait la fille de Jupiter et de Dioné (cfr 3, 19). Virgile suit ici Homère, car cette généalogie était déjà présentée dans l'Iliade (5, 370-417), où Aphrodite blessée va se faire consoler par Dioné, sa mère. Selon une autre version (notamment Hésiode, Théogonie, 188-200), la déesse aurait jailli de l'écume (en grec aphros) de la mer qui se serait amassée autour des bourses du dieu Ouranos lorsque son fils Cronos les lui coupa. C'est la version que Neptune présentera en 5, 801.

Cythérée (1, 257). Aphrodite possédait un temple très célèbre sur l'île de Cythère, qui lui était consacrée au sud du Péloponnèse, d'où son surnom de Cythérée. Un de ses autres lieux de prédilection était Paphos à Chypre (1, 415).

Lavinium (1, 258). Il a été question de Lavinium en 1, 2. C'est la ville que fondera Énée pour abriter les Pénates de Troie ; le héros lui donnera le nom de son épouse Lavinia, la fille de Latinus. Mais, selon la vision virgilienne, il faudra attendre pour cela que Turnus soit tué et que la paix soit conclue avec les Latins. L'Énéide, qui se termine avec la mort de Turnus, ne raconte pas la fondation de Lavinium.

jusqu'aux astres du ciel (1, 259). Allusion à l'apothéose d'Énée, destiné à devenir un dieu. Tout à la fin du poème, Jupiter rappellera à Junon que les destins d'Énée l'élèvent jusqu'aux astres (12, 794-795). Un peu plus loin (1, 289-290), Jupiter évoquera la divinisation d'un César, Auguste probablement plutôt que le dictateur Jules César. Le poème virgilien suggère une sorte d'identification entre Énée et l'empereur Auguste. Cfr la position d'Ovide, Mét., 15, 843-870.

dérouler les secrets du destin (1, 262). « Dérouler », un peu comme si Jupiter allait lire sur un rouleau de parchemin les arrêts du destin concernant l'histoire romaine. La grande prophétie qui va suivre permet à Virgile d'intégrer un aperçu succinct de l'histoire romaine jusqu'à Auguste dans une oeuvre qui se termine en fait avec le duel entre Turnus et Énée. De très nombreux événements ultérieurs sont toutefois intégrés dans l'Énéide grâce à diverses techniques littéraires. Les prophéties sont un de ces moyens.

Rutules (1, 266). C'est la première mention d'un peuple du sud du Latium, dont la capitale était Ardée. Turnus, son roi, était fiancé à Lavinia, fille de Latinus, avant l'arrivée d'Énée. Il joue un grand rôle dans la seconde partie de l'Énéide, car il est l'âme de la résistance des Latins contre l'installation troyenne en Italie. Il sera tué en combat singulier par Énée à la fin du chant douze. En fait, il n'est pas rare que l'Énéide emploie le mot Rutules pour désigner les Latins en général ; cela semble être le cas ici. Les Troyens, après leur victoire, fusionneront avec leurs anciens adversaires : Énée deviendra le roi du nouveau peuple issu de la fusion et, dans la ville de Lavinium qu'il fondera, il régnera sur les Latins pendant trois ans avant de mourir.

Ascagne (1, 267-271). Suite de l'histoire. Après la mort d'Énée, c'est son fils Ascagne qui régnera à Lavinium pendant trente ans, avant d'aller fonder une nouvelle ville, Albe-la-Longue. Dans la version virgilienne, Ascagne est le fils d'Énée et de Créuse, l'épouse troyenne qui n'avait pu fuir avec lui. Ce jeune homme joue un grand rôle tout au cours de l'Énéide et représente pour Énée un sujet de préoccupation constant. Virgile, sauf exception (9, 590-655), le tient à l'écart des combats. Il a dû choisir à son propos entre plusieurs traditions différentes : certaines en effet présentent Ascagne comme le fils d'Énée et de Lavinia ; d'autres en font un guerrier qui prendra la direction des combats après la mort de son père.

Iule... Ilus... Ilion (1, 267-268). Ascagne est parfois appelé Iule (Iulus), un nom qui renvoyait à Ilos un des plus anciens rois de Troie, censé avoir également donné son nom à Ilion, autre dénomination de Troie (cfr 1, 38n et 1, 67n). Une grande famille romaine, la gens Iulia, à laquelle appartenaient Jules César et l'empereur Auguste, jouera sur ce nom d'Iule et fera du fils d'Énée le fondateur de sa race. Cela permettait à César et à Auguste de faire remonter leur ascendance jusqu'à Vénus, mère d'Énée.

Albe-la-Longue (1, 271). Après Lavinium, Albe-la-Longue représente une autre métropole religieuse de Rome. D'après la tradition suivie par Virgile, Ascagne, après avoir régné trente ans sur Lavinium, serait parti fonder une autre cité sur les bords du lac Albain, y jetant les bases d'une dynastie royale qui occupa le trône pendant trois siècles. Le dernier représentant légitime de cette longue série de rois albains (les Siluii) fut Numitor, dont les petits-fils, Romulus et Rémus, s'en allèrent à leur tour fonder une ville nouvelle : Rome. Lavinium, fondation d'Énée ; Albe-la-Longue, fondation d'Ascagne ; Rome, fondation de Romulus : ce sont les trois cités primordiales du Latium. Toujours d'après la tradition, Albe-la-Longue fut détruite par le troisième roi de Rome, Tullus Hostilius. Virgile évoque cette destruction en 8, 642-645. En fait, l'endroit qui jouait un rôle important dans la vie religieuse de Rome, c'est moins la ville d'Albe-la-Longue (dont l'existence pourrait fort bien n'être que mythique) que le mont Albain (± 1000 mètres de hauteur), sur lequel s'élevait un sanctuaire de Jupiter vénéré par l'ensemble du Latium. Chaque année, aux Féries Latines, se déroulaient sur ce mont Albain des cérémonies rituelles qui rassemblaient les peuples latins, et que Rome (à l'époque historique en tout cas) présidait. Cfr aussi 5, 597 ; 6, 766 ; 8, 42ss ; 9, 387.

trois fois cent longues années (1, 272). C'est la durée de la dynastie albaine, chez Virgile en tout cas, car d'autres auteurs proposent d'autres chiffres. On aura remarqué l'importance du chiffre sacré « trois » dans tout ce contexte : trois ans de règne pour Énée, trente ans pour Ascagne, trois cents ans pour les rois d'Albe, descendants d'Ascagne. Le total forme un chiffre symboliquement important (333). « Ces trois nombres, écrit J. Perret (Virgile. Énéide, I, 1981, p. 144) dans leur progression et dans leur somme symbolisent la durée illimitée où ils aboutissent. »

race d'Hector (1, 274). Sur Hector, voir 1, 98n. Le choix d'Hector pour désigner l'origine troyenne des rois d'Albe semble mettre l'accent sur la vaillance et la qualité que Virgile veut attribuer à ces personnages, purement fictifs pourtant, car les rois d'Albe n'ont aucune existence historique.

Ilia, enceinte de Mars (1, 273). Ilia (ou Rhéa Silvia selon d'autres versions de la légende) était la fille de Numitor. Dernier roi légitime d'Albe, ce dernier fut détrôné par son frère Amulius, lequel fit de sa nièce Ilia une prêtresse de Vesta pour l'empêcher d'avoir des enfants susceptibles d'exiger le pouvoir. Elle mit néanmoins au monde deux jumeaux, Romulus et Rémus, conçus par l'opération miraculeuse du dieu Mars. Les deux nourrissons furent exposés sur les rives du Tibre en crue et sauvés par une louve, avant d'être recueillis et élevés par le berger Faustulus. Devenus adultes, les jumeaux fondèrent Rome, à l'endroit où ils avaient été recueillis.

murailles de Mars (1, 276). Rome est à double titre fille de Mars, par la filiation de son fondateur Romulus, et par le caractère belliqueux de son histoire.

je n'impose de terme... (1, 278-279). C'est le thème de la Rome éternelle, expression de la fierté patriotique et de l'orgueil nationaliste, qui devait plaire aux Romains.

Junon (1, 279-282). Cfr 1, 4n. C'est au livre douze seulement, on l'a dit, que Junon reviendra à des dispositions meilleures envers les Troyens.

maîtres du monde, peuple de citoyens en toge (1, 283). Évocation des deux aspects de la puissance romaine. Peuple conquérant qui a établi sa domination partout par les armes ; et peuple en paix, régi par le droit, peuple de citoyens libres, que symbolise le port de la toge, vêtement auquel Auguste attachait une certaine importance (par exemple Suétone, Auguste, 40, 8).

Assaracus... Phthie... Mycènes... Argiens... (1, 284-285). Assaracus, fils de Tros (cfr 1, 38n et 1, 67n), est un des rois de Troie, grand-père d'Anchise. Rome étant la nouvelle Troie, les « fils d'Assaracus » désignent ici les Romains, qui, en 146 avant J.-C. ont conquis le pays des Argiens, c'est-à-dire la Grèce (cfr 1, 24n), évoquée ici par la Phthie de Thessalie, patrie d'Achille (cfr 1, 30n), Mycènes, patrie d'Agamemnon, et Argos, patrie de Diomède. La conquête de la Grèce par Rome est présentée ici comme une lointaine vengeance du destin, après la chute de Troie.

César... Iule (1, 286-288). Il s'agirait peut-être, non pas de Jules César, mais d'Octave-Auguste, son neveu et fils adoptif. Mais une certaine ambiguïté subsiste, peut-être voulue par Virgile. En temps que membre de la famille Iulia, Octave-Auguste prétendait avoir Ascagne-Iule comme ancêtre (cfr 1, 267-268n), et donc descendre des Troyens et d'Énée.

au ciel, tu l'accueilleras (1, 289). Allusion au culte impérial. Jules César, le père adoptif d'Auguste, a déjà été divinisé, et le tour d'Auguste viendra : à sa mort, il sera lui aussi divinisé et recevra un culte.

dépouilles de l'Orient (1, 289). Allusion à la victoire d'Octave sur Antoine et Cléopâtre, à Actium en 31 av. J.-C., un événement qui sera longuement décrit sur le bouclier d'Énée en 8, 671-713, et présenté comme un conflit entre l'Occident et l'Orient.

Bonne Foi chenue (1, 292). La Fides ou Bonne Foi était une divinité vénérée à Rome depuis une très haute antiquité, au moins depuis Numa Pompilius d'après la tradition (cfr par exemple Tite-Live, 1, 21, 4). Elle a des cheveux blancs, parce qu'elle est très ancienne. Les Romains attachaient une très grande importance à cette valeur de la fides.

Vesta (1, 292). Déesse du foyer, Vesta était une ancienne divinité italique. Elle possédait à Rome un temple rond sur le Forum et ses prêtresses, les Vestales, passaient pour avoir été créées par Numa. Outre le feu de la cité, sur lequel veillaient les Vestales, le temple abritait un certain nombre de talismans, gages d'empire (pignora imperii), au nombre desquels figuraient les Pénates de Troie (cfr 1, 6n et 1, 67n) et le Palladium, une statue de la déesse Pallas, censée protéger la ville de Troie, dérobée par Ulysse et Diomède (2, 162-170 ; 9, 150-151), et finalement restituée à Énée.

Quirinus et Rémus (1, 292). Quirinus, une très ancienne divinité romaine, avait donné son nom à Romulus divinisé. Il est assez piquant de voir Romulus et Rémus « instituer des lois », si l'on songe que Rémus fut tué par son frère.

les portes de la Guerre (1, 294). Il s'agit ici du temple de Janus, ancienne divinité romaine des passages. Une ancienne coutume, censée remonter au roi Numa (cfr Tite-Live, 1, 19, 2-3) et que Virgile utilisera en 7, 601-622, voulait que ses portes soient ouvertes en temps de guerre et fermées en temps de paix. Closes une seule fois durant la période républicaine, en 235 av. J.-C., après la première guerre punique, elles le furent trois fois sous le règne d'Auguste, en 29 av. J.-C. (année où Virgile commença son poème), en 25 av. J.-C., et en 8 av. J.-C.

Fureur impie (1, 294). Personnification de la guerre. Ce passage résonne sans doute comme un hommage à l'oeuvre pacificatrice d'Auguste, mais montre aussi (cfr l'adjectif impie) l'horreur que devait éprouver Virgile pour les guerres, en particulier les guerres civiles auxquelles avait mis fin l'empereur.

le fils de Maia (1, 297-301). Mercure, identifié à l'Hermès grec, était le fils de Jupiter et de Maia, une nymphe du mont Cyllène en Arcadie. Entre autres choses, Mercure était à Rome le protecteur des commerçants et des voyageurs. Il jouait aussi le rôle de messager des dieux, en particulier de Jupiter. Comme Hermès, il était représenté avec des ailes aux talons, ce qui lui permettait de voler à travers les airs (1, 301).

Didon... (1, 299). Didon, la reine de Carthage, qui joue un grand rôle dans la première partie de l'Énéide, et dont on reparlera souvent. Virgile présentera son histoire plus en détail en 1, 335-370. C'est pour permettre à Énée d'être secouru dans l'immédiat et mis à l'abri de la colère de Junon, que Jupiter veut tenir Didon dans l'ignorance de l'avenir : son abandon par Énée et, beaucoup plus tard, la destruction de la puissance carthaginoise par les Romains.

les Puniques (1, 302). Autre nom des Carthaginois, dû à leur origine phénicienne, le latin Poenus étant un emprunt au grec Phoinix.

Achate (1, 312). C'est le compagnon fidèle d'Énée (cfr 1, 120n).

jeune Spartiate (1, 315). Vénus se présente donc à Énée sous les traits d'une jeune fille. C'était aussi l'aspect pris par Athéna lorsqu'elle apparut à Ulysse, au moment où il entre au palais d'Alcinoüs (Homère, Odyssée, 7, 19-21). L'éducation sportive et martiale des jeunes Spartiates était bien établie : selon Cicéron (Tusculanes, 2, 36), elles « préféraient la palestre, l'Eurotas [c'est-à-dire la natation dans ce fleuve], le soleil, la poussière, les fatigues de la guerre à une fécondité barbare ».

Harpalicé (1, 316). Fille d'un roi thrace nommé Harpalycus, Harpalicé avait été élevée comme une guerrière. Après avoir sauvé des mains de ses ennemis son père finalement chassé et massacré par ses sujets, Harpalycé vécut dans les bois de chasses et de rapines, avant d'être finalement capturée et mise à mort. Elle avait la réputation d'une chasseresse très rapide à la course. Il ne serait pas exclu que certains traits de sa légende aient inspiré Virgile dans sa peinture de la figure de Camille (11, 532-596).

Hèbre (1, 317). L'Hèbre est un fleuve de Thrace (aujourd'hui la Maritza), qui prenait sa source dans les monts Rhodope et se jetait dans la mer Égée (cfr 12, 331; Bucoliques, 10, 65; Géorgiques, 4, 463 et 524). Le courant du fleuve devait être rapide.

la soeur de Phébus (1, 334). C'est Diane, l'Artémis grecque, soeur d'Apollon / Phébus, souvent représentée en chasseresse.

cothurnes pourpres (1, 337). Hauts brodequins de cuir, d'origine grecque, portés habituellement par les chasseurs, et enveloppant le pied et la jambe jusqu'au mollet. (d'après A. Rich, Dictionnaire des antiquités, Paris, 1873, s.v.). La pourpre était une teinture provenant de coquillages abondants sur les côtes de Phénicie ; la pourpre tyrienne était particulièrement réputée et synonyme de luxe. On notera aussi qu'au théâtre les cothurnes étaient également les chaussures des acteurs tragiques.

punique... Tyriens... Libyens (1, 338-339). On a dit plus haut (1, 12-14) que Carthage, située pour les Anciens en Libye, était une fondation de colons phéniciens, venus des villes de Tyr et de Sidon. D'où les noms divers (Puniques, Tyriens, Libyens) qui servent à désigner les Carthaginois. L'expression de « peuple intraitable à la guerre » évoque les durs conflits des guerres puniques aux IIIe et IIe siècles avant J.-C., si dangereux pour Rome.

Agénor (1, 338). Agénor est un roi légendaire de Tyr ou de Sidon. Le lien généalogique qu'il entretient avec Bélus, le père de Didon d'après Virgile (1, 621) n'est pas clair.

Didon (1, 340-369). Présentation détaillée de Didon, fille de Bélus, soeur du roi de Tyr Pygmalion, épouse de Sychée, le plus riche des Phéniciens. Didon, de son nom ancien Élissa, avait sa propre légende, résumée par Justin (18, 4-6), dont est fort proche la version de Timée (frg. 23 Müller). Virgile adapte la version des auteurs grecs et latins qui l'ont précédé. Sans qu'il soit question de présenter ici les modifications que Virgile a fait subir à la tradition, nous retranscrivons ci-dessous la présentation de Macrobe (Saturnales, 5, 17, 5-6).

« La légende de Didon existait avant Virgile, et racontait un épisode des migrations phéniciennes vers l'Occident méditerranéen. Sous sa forme la plus ancienne, elle se présentait comme suit. Le roi de Tyr, Mutto, avait deux enfants, un fils, Pygmalion, et une fille, Élissa. Lorsqu'il mourut, il légua son royaume à ses enfants, et le peuple reconnut comme roi Pygmalion, bien qu'il ne fût encore qu'un enfant. Élissa épousa son oncle Sicharbas, prêtre d'Héraclès, et le second personnage dans l'État, après le roi. Mais Pygmalion fit assassiner Sicharbas pour s'emparer de ses trésors. Il n'y réussit pas, car sa soeur, par horreur pour son crime, décida de s'enfuir. En secret, elle chargea les trésors de Sicharbas sur des bateaux, et s'enfuit, accompagnée par des nobles tyriens mécontents. On racontait que pendant le voyage, pour tromper la cupidité de Pygmalion, elle avait ostensiblement jeté dans la mer des sacs en réalité pleins de sable, mais qu'elle disait pleins d'or, et dont elle faisait offrande à l'âme de son mari. À Chypre se joignit à elle un prêtre de Zeus, poussé par un avis divin. Là, les compagnons de Didon enlevèrent 80 jeunes filles qui s'étaient consacrées à Aphrodite, pour en faire leurs femmes. Ensuite, les émigrants gagnèrent l'Afrique où ils furent bien accueillis par les indigènes. Ceux-ci permirent à Didon, qui leur demandait une terre où s'établir, d'en prendre "autant qu'elle pourrait en faire tenir dans une peau de boeuf". Didon découpa une peau de boeuf en lanières très minces, et obtint ainsi un long lacet dont elle entoura un territoire assez vaste. Les indigènes, tenus par leur promesse, lui concédèrent la terre ainsi délimitée. Bientôt les habitants d'Utique envoyèrent aux nouveaux venus des présents et les encouragèrent à fonder une ville. Sur le premier emplacement choisi, en creusant, on trouva une tête de boeuf, ce qui parut de mauvais augure. On changea donc d'établissement, et, en fouillant, on trouva une tête de cheval, ce qui parut un excellent signe de la valeur guerrière de la ville future. C'est alors, après que des apports de nouveaux colons venus de la métropole eurent donné à la ville une force nouvelle, que Iarbas, le roi indigène d'un peuple voisin, désira épouser Didon et la menaça, si elle refusait, de déclarer la guerre à sa ville. Didon, ne pouvant refuser, mais ayant horreur de cette nouvelle union, demanda un délai de trois mois, sous prétexte de calmer, par des sacrifices, l'ombre de son premier mari. À l'expiration de ce délai, elle monta sur un bûcher et se donna elle-même la mort. »

On voit donc que dans la légende originale de Didon, Énée ne jouait aucun rôle. D'autre part, si la reine se suicidait, c'était pour ne pas devoir accepter le mariage avec un prince africain, car elle ne pouvait supporter de rompre son  voeu de fidélité à la mémoire de son mari défunt Sychée.

Bursa (1, 367). Byrsa c'est le nom de la citadelle de Carthage vient d'un terme phénicien signifiant la forteresse. Le texte de Macrobe, qui figure dans la note précédente, raconte l'étiologie qu'avaient imaginée les Grecs pour expliquer ce nom à partir d'un terme grec, bursa, signifiant « cuir, peau d'un animal ». En réalité, Bursa viendrait d'un mot phénicien qui signifierait « contrefort, bastion ».

Vesper... Olympe (1, 374). Vesper est l'étoile du Soir (ou du Berger), opposée à l'étoile du matin (ou Lucifer). Virgile imagine que son apparition entraînait, avec la tombée de la nuit, la fermeture des portes du palais des dieux, sur le mont Olympe.

Je suis le pieux Énée (1, 378-379). À rapprocher d'Homère, Odyssée, 9, 19-20, où Ulysse se présente au roi des Phéaciens. On notera l'insistance mise sur la piété du héros (1, 6).

terre de mes pères (1, 380). Première mention, discrète encore, du thème de l'Italie vue comme la terre ancestrale d'Énée. Selon le poète en effet, Dardanus serait originaire d'Italie (cfr 7, 205-209) : avec son frère Iasius (cfr 3, 168), il aurait quitté la ville étrusque de son père, Corythus (cfr 3, 170), pour gagner Samothrace et la Troade. En réalité, nulle part avant Virgile, il n'est question d'une origine italienne de Dardanus. Mais le poète tient beaucoup à cette innovation, sur laquelle il reviendra à plusieurs reprises (3, 94-96 ; 3, 163-171 ; 8, 36). Cette transformation apportée à la tradition prévirgilienne était d'importance. Devenu maintenant le descendant lointain d'un Italien, le troyen Énée n'arrive plus en Italie comme un étranger ; il rentre dans sa patrie.

issue du grand Jupiter (1, 380). Par son père Anchise, Énée descend de la race de Dardanos et donc de Jupiter. Quant à sa mère, Aphrodite, elle était, rappelons-le, fille de Jupiter.

Phrygie (1, 381). Contrée d'Asie Mineure ; le mot désigne ici Troie et la Troade. Le mot « Phrygiens » est souvent utilisé pour « Troyens ». (cfr 1, 468).

mère divine (1, 382). Vénus, à qui Énée s'adresse sans la reconnaître. Selon Varron, nous apprend le commentaire de Servius, Énée fut, dès son départ de Troie, guidé par l'étoile de sa mère Vénus, dont la disparition signifiait qu'il était arrivé au terme de son voyage. Le motif de l'étoile-guide ne sera plus utilisé par Virgile dans la suite du récit. Manifestement le poète augustéen veut montrer qu'il connaissait cette tradition varronienne, qu'il n'a toutefois pas suivie dans son récit principal.

sept navires (1, 383). Cfr 1, 170.

Eurus (1, 383). Pour l'Eurus, voir 1, 84-86n. C'est le nom grec du vent du sud-est, dont le nom Latin est Volturnus, généralement synonyme de vent violent.

Aquilons (1, 391). L'Aquilon est le vent du nord (cfr 1, 102).

si du moins... (1, 392). Vénus essaie de se faire passer pour une prophétesse, afin de mieux convaincre son fils sans révéler son identité. Les augures interprétaient les signes envoyés par les dieux, notamment le vol des oiseaux.

colonne de douze cygnes... (1, 393-398). Les cygnes étaient des oiseaux consacrés à Vénus ; s'il faut en croire une citation d'Aemilius Macer, conservée par Servius, ils étaient également censés envoyer des présages aux marins. L'aigle, quant à lui, était consacré à Jupiter. Il faut imaginer qu'un aigle avait fondu sur un groupe de cygnes, lesquels s'étaient envolés en se dispersant ; ensuite, une fois le danger passé, les cygnes avaient repris leur place.

ainsi tes vaisseaux (1, 399-400). La pseudo-chasseresse interprète le prodige, qu'elle applique au cas des navires d'Énée. Le héros avait quitté Troie avec vingt bateaux (1, 381) ; la tempête avait englouti celui d'Oronte (1, 113-117) ; il en restait sept à Énée lorsqu'il aborde en Libye (1, 170). Il lui en manque donc douze : les douze cygnes représentent donc les douze navires qui vont être retrouvés.

ambroisie (1, 403). Dans la mythologie, l'ambroisie était à la fois une liqueur et un parfum, réservé aux dieux.

sa robe tomba... (1, 404-405). Vêtue en chasseresse, elle ne portait donc pas au départ la longue robe flottante caractéristique des déesses, du moins de celles qui n'ont rien à voir avec la chasse. Vénus dévoile donc ici sa divinité. « Les déesses glissent sur la terre sans y toucher », note le commentaire de M. Rat qui cite un texte du Mahabharata. Selon ce poème sanscrit, continue-t-il, « on reconnaît les dieux et les déesses à quatre signes : ils n'ont ni sueur ni poussière ; ils ne clignent pas des yeux ; ils n'ont pas d'ombre ; leurs couronnes ne se flétrissent pas. Cette conception des dieux de l'épopée sanscrite est commune aux peuples indo-européens, et en particulier aux anciens Grecs et Latins. » Cfr dans l'Énéide, en 5, 647-649, la liste des signes qui permettent de reconnaître qu'une divinité a pris l'apparence de Béroé. On verra aussi en 2, 588-592, l'éclat de Vénus se manifestant à Énée lorsqu'il envisage de tuer Hélène, pendant l'attaque des Grecs contre Troie.

si souvent (1, 407). Dans le reste de l'Énéide en tout cas, on n'en trouve pas d'autres exemples. Faut-il imputer ce détail au fait que Virgile n'a pas pu terminer son oeuvre ? Peut-être.

un sombre nuage (1, 411). Chez Homère aussi (Odyssée, 7, 14-17), Athéna enveloppe Ulysse d'un nuage, pour lui éviter d'être un objet de curiosité pour les Phéaciens. On est dans le domaine du merveilleux épique.

Paphos (1, 415-417). Vénus, heureuse d'avoir obtenu ce qu'elle souhaitait de Jupiter (1, 228) regagne Paphos, une ville de l'île de Chypre où elle avait un temple. Un autre de ses endroits de prédilection était l'île de Cythère (1, 257).

encens sabéen (1, 415-417). L'encens de Saba, une ville d'Arabie dans l'actuel Yémen, était renommé.


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