Bibliotheca Classica Selecta - Traductions françaises : sur la BCS - sur la Toile

Virgile : Énéide - Géorgiques

Bucoliques : Gen - I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X (Hypertexte louvaniste)

MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


 

VIRGILE - BUCOLIQUES - X

(Trad. de la collection M. Nisard, Paris, 1850)

 


[1] Permets, ô Aréthuse, ce dernier effort à ma muse champêtre. Que mon cher Gallus ait de moi peu de vers, mais des vers qui soient lus de Lycoris elle-même : qui refuserait des vers à Gallus ? Ainsi puisse ton onde, coulant sous les flots de Sicile, [5] ne se mêler jamais avec l'onde amère de Doris ! Commençons, et chantons les malheureuses amours de Gallus, tandis que mes chèvres camuses brouteront les tendres arbrisseaux. Ici rien n'est sourd à nos chants, j'entends déjà les forêts me répondre.

Quels bois, ô Naïades, quelles forêts vous cachaient à la lumière, [10] quand Gallus se mourait d'un indigne amour ? Car ni les sommets du Parnasse ni ceux du Pinde ne vous retenaient, ni les claires eaux d'Aganippe. Les lauriers le pleurèrent ; il fut aussi pleuré des bruyères : le Ménale couronné de pins le pleura, quand il le vit gisant sous ses rochers solitaires ; [15] le Lycée aussi s'attendrit, et ses crêtes glacées : autour du berger sont ses brebis, ses brebis elles-mêmes sensibles à ses maux.

Ne va pas dédaigner les troupeaux, divin poète ! Le bel Adonis aussi mena paître des brebis le long des fleuves. Les bergers, les bouviers aux pas tardifs, tous accoururent ; [20] Ménalque vint, que mouillait encore le gland d'hiver ramassé dans les bois.

Tous te demandent : "Pourquoi cet amour ?"

Apollon vint, et te dit : "Gallus, quelle folie est la tienne ? Ta flamme, ta Lycoris suit les pas d'un autre à travers les neiges, à travers les horreurs des camps."

Sylvain parut aussi, [25] le front ceint d'une couronne champêtre, agitant des tiges fleuries et de grands lis. Pan vint aussi, Pan, dieu d'Arcadie ; nous vîmes nous-mêmes son visage divin, que rougissaient l'hièble sanglante et le carpin : "Quand finiront ces plaintes, dit-il ? L'Amour ne s'en met pas en peine ; le cruel Amour ne se rassasie point de larmes, non plus que les prés d'eau ; [30] les abeilles de cytise, les chèvres de feuillage."

Mais le triste Gallus leur répondait : "Vous direz pourtant, Arcadiens, vous les seuls habiles à chanter, vous direz mes tourments à vos montagnes. O que mes os reposeront mollement, si, votre flûte un jour redit mes amours ! [35] Que n'ai-je été l'un de vous ? que n'ai-je ou gardé vos troupeaux, ou vendangé avec vous la grappe mûre ! Soit que j'eusse brûlé pour Phyllis, soit que j'eusse aimé Amyntas (qu'importe qu'Amyntas ait le teint hâlé ? les violettes sont brunes, et brune est l'airelle), [40] il serait couché près de moi entre les saules et sous des pampres verts : Phyllis me tresserait des guirlandes, Amyntas me chanterait ses airs".

"Ici sont de fraîches fontaines, ici, Lycoris, de molles prairies, ici des bois : ici je vivrais, je finirais mes jours avec toi. Mais un amour insensé te retient loin de moi, [45] au milieu des armes du cruel Mars, des traits homicides, des ennemis menaçants. Loin de ta patrie (ah, que n'en puis-je douter ?) tu affrontes seule et sans moi, cruelle, les neiges des Alpes et les frimas du Rhin ! Ah, que les froids ne te blessent pas ! que les âpres glaçons ne déchirent pas tes pieds délicats !"

[50] "J'irai parmi les bergers ; et les vers que j'ai renouvelés du poète de Chalcis, je les modulerai sur le chalumeau du poète de Sicile. C'en est fait ; je veux, caché dans les forêts, au milieu des repaires des bêtes farouches, y souffrir seul, et graver mes amours sur l'écorce des tendres arbres : ils croîtront, vous croîtrez avec eux, mes amours."

[55] "Cependant j'irai, me mêlant aux nymphes, fouler les sommets du Ménale, et je poursuivrai les sangliers impétueux : les frimas les plus rigoureux ne m'empêcheront pas de cerner avec ma meute les forêts du mont Parthénius : il me semble déjà courir à travers les rochers et les bois retentissants : nouveau Parthe, j'aime à décocher [60] la flèche cydonienne : comme si c'étaient là des remèdes à mon incurable amour ; comme si le cruel Amour savait s'attendrir aux maux des mortels ! Déjà les Hamadryades, déjà les chants ne me plaisent plus ; et vous aussi, forêts, adieu : mes rudes travaux ne pourraient vaincre l'invincible Amour ; [65] non, quand même je boirais les eaux glacées de l'Hèbre, quand au fort des hivers pluvieux j'endurerais les neiges de la Sithonie ; quand même, à l'heure où l'écorce desséchée des grands ormeaux meurt sous les feux du midi, je conduirais mes brebis dans les plaines de l'Éthiopie, brûlées par le Cancer : l'Amour soumet tout ; et toi aussi, cède à l'Amour."

[70] Muses, c'est assez : voilà les vers que chantait votre poète, tandis qu'assis sur le gazon, il tressait le jonc assoupli : relevez-les aux yeux de Gallus, de Gallus pour qui ma tendresse croît autant chaque jour, que chaque jour, au printemps, croissent les tiges verdoyantes de l'aune.

[75] Levons-nous ; l'ombre est nuisible à ceux qui chantent, l'ombre du genévrier surtout ; l'ombre aussi est nuisible aux moissons. Allez à la bergerie, ô mes chèvres, vous êtes rassasiées ; voici venir le soir, allez, mes chèvres.


Traductions françaises : sur la BCS - sur la Toile

Virgile : Énéide - Géorgiques

Bucoliques : Gen - I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X (Hypertexte louvaniste)

 


[Dernière intervention : 10 décembre 2002]

 

Bibliotheca Classica Selecta - FUSL - UCL (FLTR)