Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant VIII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante


ÉNÉIDE, LIVRE VIII

 

PALLANTÉE : LA  FUTURE ROME – BOUCLIER D'ÉNÉE

Recherche de renforts (8, 1-101)

 

Les alliés de Turnus et les conseils de Tibérinus à Énée (8, 1-67)

À l'appel de Turnus, le Latium entier se soulève ; des alliés extérieurs se présentent spontanément, et les Latins recherchent l'alliance du héros grec Diomède, installé après la guerre de Troie dans le sud de l'Italie. (8, 1-17)

Devant ces mouvements, Énée hésite sur le parti à prendre et tombe endormi près du Tibre. Le dieu Tibérinus apparaît en songe à Énée et le rassure sur sa destinée en lui annonçant l'imminence du présage de la truie blanche, qui préfigure notamment la fondation d'Albe par Ascagne. (8, 18-48)

Tibérinus prodigue aussi à Énée deux conseils : contracter une alliance avec l'arcadien Évandre, installé à Pallantée, et honorer Junon par des offrandes et des prières. Après s'être présenté, Tibérinus disparaît, et Énée se réveille. (8, 49-67)

Vt belli signum Laurenti Turnus ab arce

extulit et rauco strepuerunt cornua cantu,

utque acris concussit equos utque impulit arma,

extemplo turbati animi, simul omne tumultu

Dès que Turnus eut levé l'étendard de la guerre, depuis la citadelle laurente

dès qu'il eut fait sonner les cors au chant rauque,

fouetté ses ardents chevaux et entrechoqué ses armes,

les esprits aussitôt se troublent et, dans un vacarme trépidant,

coniurat trepido Latium saeuitque iuuentus

effera. Ductores primi Messapus et Vfens

contemptorque deum Mezentius undique cogunt

auxilia et latos uastant cultoribus agros.

Mittitur et magni Venulus Diomedis ad urbem,

tout le Latium se soulève et la jeunesse farouche se déchaîne.

Les principaux chefs, Messapus et Ufens et Mézence,

le contempteur des dieux,  de toutes parts rassemblent des forces

et privent les champs immenses de leurs cultivateurs.

On envoie aussi Vénulus à la ville du grand Diomède,

8, 5

qui petat auxilium et Latio consistere Teucros :

aduectum Aenean classi uictosque penatis

inferre et fatis regem se dicere posci

edoceat multasque uiro se adiungere gentis

Dardanio et late Latio increbrescere nomen.

pour demander de l'aide et l'informer de l'installation des Troyens 

au Latium ; pour l'informer qu'Énée, arrivé avec une flotte,

y apporte ses pénates vaincus et prétend être le roi qu'exige le destin ;

 que de nombreux peuples se rallient au héros dardanien,

et que son nom se répand largement à travers le Latium.

8, 10

Quid struat his coeptis, quem, si Fortuna sequatur,

euentum pugnae cupiat, manifestius ipsi

quam Turno regi aut regi apparere Latino.

 

Talia per Latium. Quae Laomedontius heros

cuncta uidens magno curarum fluctuat aestu,

Sur ces bases, ce que projette de constuire le Troyen,

ce qu'il espère de l'issue de ce combat, si la fortune le favorise,

c'est plus clair encore pour lui que pour les rois Turnus ou Latinus.

 

Voilà ce qui se passe au Latium.  Voyant cela, le héros

né de Laomédon, hésite, plongé dans un océan de soucis ;

8, 15

atque animum nunc huc celerem, nunc diuidit illuc.

In partisque rapit uarias perque omnia uersat :

sicut aquae tremulum labris ubi lumen aenis

sole repercussum aut radiantis imagine lunae

omnia peruolitat late loca iamque sub auras

son esprit subtil, emporté tantôt ici, tantôt là, est tiraillé

entre divers partis qu'il tourne et retourne en tous sens.

Ainsi, dans un vase de bronze, la lumière tremblante de l'eau

frappée par le soleil ou les rayons d'une lune bien claire,

virevolte partout au loin et bientôt s'élève dans les airs,

8, 20

erigitur summique ferit lacuaria tecti.

 

Nox erat, et terras animalia fessa per omnis

alituum pecudumque genus sopor altus habebat :

cum pater in ripa gelidique sub aetheris axe

Aeneas, tristi turbatus pectora bello,

se reflétant aux plafonds ouvragés d'une haute demeure.

 

C'était la nuit et, par toute la terre, un sommeil profond

pesait sur les vivants fatigués, les oiseaux et les troupeaux.

Alors, sous la voûte céleste,  dans la fraîcheur, au bord du fleuve,

le vénérable Énée, le coeur inquiet par la guerre funeste,

procubuit seramque dedit per membra quietem.

Huic deus ipse loci fluuio Tiberinus amoeno

populeas inter senior se attollere frondes

uisus ; eum tenuis glauco uelabat amictu

carbasus, et crinis umbrosa tegebat harundo,

s'étendit et accorda  à ses membres un repos tardif.

Alors lui apparut Tibérinus, dieu du fleuve au cours agréable.

Vieillard, il se présenta parmi les feuillages des peupliers :

une fine étoffe de lin l'enveloppait d'un voile glauque

et des roseaux couvraient d'ombre sa chevelure.

8, 30

tum sic adfari et curas his demere dictis :

« O sate gente deum, Troianam ex hostibus urbem

qui reuehis nobis aeternaque Pergama seruas,

exspectate solo Laurenti aruisque Latinis,

hic tibi certa domus, certi, ne absiste, penates ;

Il adressa au héros ces paroles qui dissipèrent ses soucis :

« Rejeton d'une race divine, toi qui nous ramènes la ville de Troie,

arrachée aux ennemis, toi qui perpétues Pergame l'éternelle,

toi qu'attendaient la terre des Laurentes et les champs du Latium,

 ici  une demeure t'est assurée, tes pénates aussi sont assurés,

8, 35

neu belli terrere minis : tumor omnis et irae

concessere deum.

Iamque tibi, ne uana putes haec fingere somnum,

litoreis ingens inuenta sub ilicibus sus,

triginta capitum fetus enixa, iacebit,

ne renonce pas ; et ne crains pas les menaces de guerre :

tout le courroux et les colères des dieux ont cédé le pas.

Et maintenant, ne crois pas qu'un songe vain t'abuse :

sous les yeuses de la rive, tu découvriras  une énorme truie,

venant de mettre bas trente petits ; elle sera étendue sur le sol,

8, 40

alba, solo recubans, albi circum ubera nati.

[Hic locus urbis erit, requies ea certa laborum]

ex quo ter denis urbem redeuntibus annis

Ascanius clari condet cognominis Albam.

Haud incerta cano. Nunc qua ratione quod instat

toute blanche, avec, blancs aussi, ses petits à ses mamelles.

[Ce sera l'endroit d'une ville, un havre sûr après les épreuves.]

À partir de ce moment, lorsqu'auront passé trois fois dix années,

Ascagne fondera une ville, Albe au nom explicite.

Je ne t'annonce pas des faits incertains. Maintenant, de quelle façon

8, 45

expedias uictor, paucis aduerte docebo.

 

Arcades his oris, genus a Pallante profectum,

qui regem Euandrum comites, qui signa secuti,

delegere locum et posuere in montibus urbem

Pallantis proaui de nomine Pallanteum.

tu vaincras ce qui te menace, je te le dirai en peu de mots, écoute.

 

Des Arcadiens, peuple issu de Pallas, sont venus sur nos rives,

accompagnant leur roi Évandre et suivant  ses enseignes.

Ils ont choisi un endroit et sur nos collines ont établi une ville

nommée Pallantée, du nom de leur ancêtre Pallas.

8, 50

Hi bellum adsidue ducunt cum gente Latina ;

hos castris adhibe socios et foedera iunge.

Ipse ego te ripis et recto flumine ducam,

aduersum remis superes subuectus ut amnem.

Surge age, nate dea, primisque cadentibus astris

Ils sont continuellement en guerre avec le peuple latin ;

prends-les comme alliés de ton camp et fais un pacte avec eux.

Je t'y conduirai moi-même  par mon cours direct, entre mes rives,

ainsi poussé  par tes rames, tu triompheras du contre-courant.

Allons, debout, fils de déesse, et dès le déclin des étoiles,

8, 55

Iunoni fer rite preces iramque minasque

supplicibus supera uotis. Mihi uictor honorem

persolues. Ego sum pleno quem flumine cernis

stringentem ripas et pinguia culta secantem,

caeruleus Thybris, caelo gratissimus amnis.

adresse à Junon les prières rituelles, et que tes voeux de suppliant

triomphent de sa colère et de ses menaces. Une fois vainqueur,

tu m'en rendras hommage. Je suis ce fleuve aux eaux abondantes, 

que tu vois rasant ses rives et séparant de fertiles terres cultivées ;

je suis Thybris l'azuré, le fleuve le plus aimé des dieux du ciel.

8, 60

Hic mihi magna domus, celsis caput urbibus, exit. »

Dixit, deinde lacu fluuius se condidit alto,

ima petens ; nox Aenean somnusque reliquit.

Ici, se trouve ma grande demeure, et ma source jaillit pour de hautes cités. »

Cela dit, le dieu du fleuve alla se cacher au fond des eaux,

gagnant les profondeurs ; la nuit s'acheva et Énée sortit de son sommeil.

8, 65

 

Énée en route vers Pallantée (8, 68-101)

À son réveil, Énée honore les divinités du fleuve et surtout Tibérinus, puis prépare son départ en équipant deux de ses navires. (8, 68-80)

Apercevant le prodige annoncé de la truie blanche et de ses trente porcelets, le héros pieux s'empresse de les immoler à Junon ; puis il confie ses deux navires au fleuve complice qu'il remonte joyeusement jusqu'au modeste royaume du roi  Évandre, à Pallantée, sur le site de la future Rome. (8, 81-101)

Surgit et aetherii spectans orientia solis

lumina rite cauis undam de flumine palmis

Il se leva et, regardant la lumière du soleil qui montait

dans le ciel, dans le creux de ses mains, il prit selon le rite

sustinet ac talis effundit ad aethera uoces :

« Nymphae, Laurentes nymphae, genus amnibus unde est,

tuque, o Thybri tuo genitor cum flumine sancto,

accipite Aenean et tandem arcete periclis.

Quo te cumque lacus miserantem incommoda nostra

de l'eau du fleuve et lança ces paroles vers le ciel :

« Nymphes, Nymphes laurentes, d'où sourdent les fleuves,

et toi, ô vénérable Thybris, père d'un fleuve sacré,

accueillez Énée et écartez enfin de lui les dangers.

Toi qui prends nos malheurs en pitié, où que soit la source 

8, 70

fonte tenet, quocumque solo pulcherrimus exis,

semper honore meo, semper celebrabere donis

corniger hesperidum fluuius regnator aquarum.

Adsis o tantum et propius tua numina firmes. »

Sic memorat geminasque legit de classe biremis

des eaux que tu habites, d'où que tu jaillisses dans toute ta splendeur,

toujours je t'honorerai, toujours mes présents te célébreront,

ô fleuve cornu, qui règnes sur les eaux de l'Hespérie.

Aide-moi simplement et, dans ta bonté, confirme-moi tes volontés. »

Il dit, choisit dans sa flotte deux birèmes, les équipe de rameurs,

8, 75

remigioque aptat, socios simul instruit armis.

 

Ecce autem subitum atque oculis mirabile monstrum :

candida per siluam cum fetu concolor albo

procubuit uiridique in litore conspicitur sus.

Quam pius Aeneas tibi enim, tibi, maxuma Iuno,

et fournit en même temps des armes à ses compagnons.

 

Et voilà que soudain s'offre à sa vue un prodige étonnant :

une truie blanche, de même couleur que sa portée,

est couchée dans la forêt, se détachant sur la verdure du rivage.

Apportant les objets sacrés, le pieux Énée t'immole cette bête,

8, 80

mactat sacra ferens et cum grege sistit ad aram.

Thybris ea fluuium, quam longa est, nocte tumentem

leniit, et tacita refluens ita substitit unda,

mitis ut in morem stagni placidaeque paludis

sterneret aequor aquis, remo ut luctamen abesset.

ô très puissante Junon, et la place sur l'autel avec ses petits.

Durant cette longue nuit, Thybris calme ses eaux gonflées ;

l'onde reflue silencieuse et s'immobilise doucement,

au point que, comme la nappe d'un étang ou d'un paisible marais,

la surface de l'eau reste étale, rendant superflue la lutte des rames.

8, 85

Ergo iter inceptum celerant rumore secundo ;

labitur uncta uadis abies ; mirantur et undae,

miratur nemus insuetum fulgentia longe

scuta uirum fluuio pictasque innare carinas.

Olli remigio noctemque diemque fatigant

Alors, ils accélèrent l'allure de leur course, dans un joyeux brouhaha ;

le sapin enduit de poix glisse sur les eaux ; les ondes s'étonnent,

la forêt aussi s'étonne, peu accoutumée à voir briller au loin

des boucliers de guerriers et des carènes peintes voguer sur le fleuve.

Durant un jour et une nuit, les hommes peinent sur leurs rames ;

8, 90

et longos superant flexus uariisque teguntur

arboribus uiridisque secant placido aequore siluas.

Sol medium caeli conscenderat igneus orbem,

cum muros arcemque procul ac rara domorum

tecta uident, quae nunc Romana potentia caelo

ils remontent les longues courbes du fleuve, à l'ombre des arbres,

et, sur la calme surface de l'eau, traversent les forêts verdoyantes.

Le disque enflammé du soleil avait parcouru la moitié de son cercle,

quand ils aperçoivent au loin des murailles, une citadelle,

et les toits de quelques maisons ; ce pauvre royaume que, aujourd'hui,

8, 95

aequauit, tum res inopes Euandrus habebat :

ocius aduertunt proras urbique propinquant.

la puissance romaine a élevé jusqu'au ciel, était alors le domaine d'Évandre.

Très vite, les Troyens tournent leurs proues et s'approchent de la ville.

8, 100

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Notes (8, 1-101) 

l'étendard de la guerre (8, 1). Servius, dans son commentaire, évoque un usage romain qui voulait que dans certaines situations dangereuses pour l'État, celui qui allait prendre le commandement de l'armée monte sur le Capitole et y brandisse deux étendards, un rouge pour appeler les fantassins, un bleu pour appeler les cavaliers. C'est ici Turnus qui prend cette initiative.

les cors (8, 2). Grandes trompettes circulaires, faites à l'origine de corne, puis de bronze, les cors (en latin cornua) étaient des instruments de musique largement utilisés à l'armée. Pour un autre instrument de musique militaire, à savoir la trompette, cfr 8, 526.

entrechoqué ses armes (8, 3). On frottait la hampe du javelot contre le bouclier (cfr 7, 722 : « les boucliers résonnent » ; 12, 332 : « Mars frappe son bouclier »). C'était notamment le geste des Saliens lorsque, parcourant la ville de Rome au début du mois de mars, ils étaient censés ranimer les ardeurs guerrières des Romains.

Messapus – Vfens – Mézence (8, 6-7). Ces chefs ont été cités dans le « Catalogue des Italiens » au livre 7. Messapus (7, 691 ss), fils de Neptune, est à la tête d'un contingent de Falisques et de Capénates ; Ufens (7, 744 ss) conduit des Èques, et Mézence (7, 647 ss) est un Étrusque, venu de Caeré (Agylla) avec son fils Lausus. En 7, 647, Virgile avait déjà qualifié Mézence de « comtempteur des dieux ». On retrouvera en 8, 478-495 ce personnage et ses crimes.

Vénulus (8, 9). Vénulus, inconnu par ailleurs, aurait été inventé par Virgile. Il reparaît en 11, 242 et 11, 742. Virgile (11, 757) en fait un Tiburtin. On peut supposer qu'il était d'origine argienne, comme Catillus et Cora (7, 670-677), d'où cette mission dont on l'aurait chargé auprès de Diomède, qui avait été roi d'Argos.

Diomède (8, 9-17). Fils de Tydée, Diomède est un héros grec venu à Troie avec un contingent de 80 bateaux d'Argos et de Tyrinthe. Il joue un rôle important dans cette guerre, où il y apparaît notamment comme le compagnon habituel d'Ulysse lors des missions délicates (par exemple le vol du Palladium, en 2, 163-170, ou la « Dolonie » au chant 10 de l'Iliade.) C'est lui aussi qui avait blessé Énée et même Aphrodite au livre 5, 297-431 de l'Iliade. Revenu à Argos après la guerre de Troie, il en avait été chassé et avait dû s'enfuir en Apulie, où il avait été accueilli par le roi Daunus. Il aurait fondé en Grande-Grèce plusieurs villes, dont Bénévent, Brindes et Vénafre. On apprendra plus loin (11, 246-250) que l'ambassade latine rencontrera Diomède dans la ville d'Argyripa (Arpi) en Apulie qu'il était alors en train de fonder. On ne doit pas s'étonner que Turnus ait cherché à faire entrer Diomède dans son alliance. Ennemi farouche des Troyens, Diomède devrait s'inquiéter au moins autant que les Latins de voir renaître Troie en Italie. En fait, l'ambassade reviendra avec une réponse négative : le héros, qui ne veut plus de la guerre, recommandera de faire la paix avec Énée. Cfr aussi 1, 96-97.

Laomédon (8, 18). Laomédon, le père de Priam, n'était pas un ascendant en ligne directe d'Énée. En outre, il est réputé pour ses parjures, qui furent une cause de la perte de Troie (cfr 8, 291n.). On a peine à croire que Virgile ait voulu donner à l'expression une valeur péjorative. Probablement la périphrase est-elle choisie par souci de variation. Quelques vers plus haut (8, 13), pour désigner Énée, le poète avait utilisé la formule « héros dardanien ».

lumière tremblante de l'eau (8, 22-25). Comparaison inspirée d'Apollonius de Rhodes (Argonautiques, 3, 754-758) et de Lucrèce (4, 211ss.), et souvent imitée depuis (Silius Italicus, 8, 143; Claudien, De raptu Proserpinae, II; Ronsard, Franciade, III; Voltaire, Henriade, II).

Tibérinus (8, 31 ss). Virgile s'inspire vraisemblablement d'une oeuvre d'art représentant le dieu du Tibre, sous la forme d'un vieillard.

voile glauque (8, 33). Les poètes attribuaient aux divinités de la mer et des fleuves des vêtements et des yeux de la même couleur que les eaux (cfr 12, 885).

lin (8, 34). Le lin était une matière considérée comme religieusement pure. Le mot latin qui le désigne ici est carbasus. Il sera question du lin plus loin (12, 119).

ramènes (8, 36). Énée amène en effet en Italie les Pénates que Dardanus avait emportés d'Italie à Troie (cfr 1, 380 ; 7, 205-209).

énorme truie (8, 42-48). Ce prodige avait déjà été annoncé à Énée par Hélénus, en 3, 389-393. Sa signification est assez claire : la ville qui sera fondée sera Albe (« la blanche ») et les trente porcelets symbolisent les trente années séparant la fondation de Lavinium (par Énée) de celle d'Albe (par Ascagne).

l'endroit d'une ville (8, 46). En fait, chez Virgile, l'endroit de la gésine miraculeuse ne marque pas, comme tel, l'emplacement d'une ville, ce qui explique que certains éditeurs modernes considèrent ce vers comme interpolé. D'autres auteurs anciens, plus fidèles peut-être que Virgile au motif folklorique de l'animal-guide, racontent que Énée avait fondé Lavinium à l'endroit où la truie s'était arrêtée pour mettre bas ses trente petits.

Arcadiens - Évandre - Pallas - Pallantée (8, 51-58). Selon une version de la légende, Évandre avait dû quitter l'Arcadie avec un groupe d'Arcadiens, soit de son plein gré, soit contraint après le meurtre de son père, ou de sa mère.Venu se réfugier en Italie dans le Latium, il avait été bien accueilli par Faunus, le roi des Aborigènes, et avait fondé sur le site de la future Rome, à l'emplacement même du futur Palatin, une ville qu'il avait appelée Pallantée, en souvenir de la cité arcadienne du même nom dont l'éponyme et fondateur était Pallas, un des fils de Lycaon. Évandre avait régné avec bonté, contribuant à civiliser les rudes habitants du pays, leur enseignant l'écriture, la musique et certaines techniques. Virgile lui a donné un fils, qui jouera un grand rôle dans la suite de l'Énéide et qui porte le même nom que le fondateur de la ville arcadienne. Il y a donc deux Pallas et deux villes appelées Pallantée. Quant au mot Évandre, il semble bien être un terme grec qui, pour certains Modernes, aurait le même sens que le latin Faunus. Virgile reviendra plus loin (8, 127-142) sur les rapports de parenté entre Énée et Évandre.

fils de déesse (8, 59). On n'oublie pas qu'Énée est le fils d'Aphrodite ou Vénus.

Junon (8, 60). Énée doit donc prier Junon, bien que cette divinité soit farouchement hostile aux Troyens. En 3, 433-440, Hélénus, à Buthrote, avait, lui aussi, conseillé solennellement à Énée d'adorer la déesse : « en premier lieu, adore dans ta prière la puissance de la grande Junon, plais-toi à réciter à Junon des formules de voeux ; que tes offrandes et tes supplications triomphent de cette maîtresse puissante ». À force de prières et de supplications, le héros doit amener Junon à renoncer à la colère qu'elle éprouve à son égard. Énée se conformera strictement aux prescriptions du Tibre (8, 84-86).

l'azuré (8, 64). L'adjectif « glauque » (glaucus) ou « azuré » (caeruleus, employé ici) désigne régulièrement les dieux des mers ou des fleuves. En fait, l'épithète souvent utilisée en poésie pour désigner le Tibre est « jaune, jaunâtre» (flauus). Pour Virgile – et donc pour les dieux –, c'est le plus beau fleuve du monde.

grande demeure (8, 65). Virgile imagine que le palais du Tibre se dresse à l'embouchure du fleuve.

hautes cités (8, 65). Ce passage évoque la source du fleuve et les importantes villes d'Étrurie qui s'y trouvent. Dans les perspectives de Virgile, note J. Perret (Virgile. Énéide, II, 1978, p. 205), « ces origines du fleuve ont un intérêt tout particulier à cause des origines étrusques de Dardanus, l'ancêtre des Troyens ».

soleil qui montait (8, 68). Normalement, quand on priait les dieux, on se tournait vers l'est.

selon le rite (8, 69). Geste rituel de purification avec de l'eau courante, puisée ici dans le Tibre.

Nymphes laurentes (8, 71). Les Nymphes sont des divinités féminines de la nature, représentant notamment la puissance divine des sources, des fontaines, des forêts, des arbres (cfr aussi 8, 314). Il s'agit en l'occurrence ici des sources. Énée évoque en bloc les puissances qui patronnent les eaux du pays des Laurentes et dont il ignore encore les noms, avant de s'adresser au Tibre, qu'il connaît bien maintenant puisque le dieu du fleuve lui était apparu au début du chant.

fleuve cornu (8, 77). Les fleuves sont souvent qualifiés de « cornus » par les poètes. Virgile par exemple, en 8, 727, donne au Rhin l'épithète de bicornis. Cela n'a rien d'étonnant quand on songe à l'iconographie antique des fleuves, représentés d'abord comme des taureaux, puis comme des taureaux à face humaine, puis comme des hommes à cornes de taureaux. Probablement la puissance des flots et leurs grondements évoquaient-ils cet animal. Pour une représentation anthropomorphique du Nil, cfr la description du bouclier d'Énée, en 8, 711.

qui règnes sur les eaux de l'Hespérie (8, 77). Dans la conception virgilienne, le Tibre est donc le roi des fleuves de l'Italie.

confirme-moi tes volontés (8, 78). Ce qui va se produire trois vers plus loin, avec le prodige de la truie.

Énée t'immole cette bête (8, 84). Comme l'avait implicitement suggéré le Tibre un peu plus haut (8, 59-61). Denys d'Halicarnasse (I, 57, 1) rapporte la même donnée. En fait, dans le rituel romain, tel que nous le connaissons, le sacrifice à Junon d'une truie et de l'intégralité de sa portée n'est pas attesté, mais, en tant que poète, Virgile reste libre d'imaginer des cérémonies qui ne trouvent pas d'appui dans la réalité.

Thybris calma ses eaux (8, 86-89). Ce phénomène avait été annoncé en 8, 57-58. Énée et ses compagnons, qui remontent le fleuve, ne doivent donc pas lutter contre le courant. Nouveau prodige en quelque sorte.

sapin enduit (8, 91). Les bateaux faits de sapin enduit de poix.

carènes peintes (8, 93).  Sur le modèle d'Homère (cfr Iliade, 2, 637 : « douze nefs aux joues vermillonnées »; ou Odyssée, 9, 127 : « un navire aux joues de vermillon »), Virgile présente régulièrement des bateaux qui sont censés « peints » (ici en 8, 93, mais cfr aussi  5, 663, et 7, 431) ; il en est de même pour Ovide (cfr par exemple Mét., 3, 639 et 6, 511). Prise au sens strict l'épithète homérique pourrait signifier que les flancs du bateau étaient peints en rouge, mais il est difficile de savoir ce qu'il en était dans la réalité. D'après le vieux Lexique des Antiquités Grecques de P. Paris - G. Roques, Paris, 1909, p. 268 : « on la peignait d'ordinaire [= la coque], du moins la partie au-dessus de la ligne de flottaison, en rouge, bleu ou autre couleur vive ». Virgile a déjà fait allusion (en 7, 431) à cet usage ancien de peindre les carènes des bateaux.

disque enflammé (8, 97). Vers inspiré d'Homère (Iliade, 8, 68). Les Troyens ont donc navigué un jour, une nuit et le lendemain jusqu'au milieu de la journée.

a élevé jusqu'au ciel (8, 100). La littérature du début de l'Empire souligne systématiquement l'opposition entre d'une part la modestie et la pauvreté de la Rome des débuts et d'autre part la puissance et la richesse de la Rome impériale.


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