Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant XI (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante


ÉNÉIDE, LIVRE XI

 

DEUILS - POURPARLERS - GESTE DE CAMILLE

Geste de Camille (1) (11, 532-724)

 

Histoire de Camille (11, 532-596)

Au ciel, Diane raconte à Opis, une de ses nymphes, l'histoire de Camille, particulièrement chère à son coeur : Métabus, tyran de Privernum, au pays des Volsques, exilé par ses sujets, avait spectaculairement sauvé sa fille Camille, puis l'avait consacrée à Diane. (11, 532-566)

Élevée dans les bois, elle mena la vie d'une vierge chasseresse, jusqu'au jour où elle s'engagea dans la guerre contre les Troyens. Son destin ayant été d'y périr, Diane charge Opis de la venger, s'engageant elle-même à protéger et honorer son cadavre. (11, 567-596)

Velocem interea superis in sedibus Opim,

unam ex uirginibus sociis sacraque caterua,

compellabat et has tristis Latonia uoces

Pendant ce temps, au royaume céleste, la fille de Latone

 parla à la véloce Opis, une des vierges de son bataillon sacré ;

de sa bouche sortaient ces paroles empreintes de tristesse :

ore dabat : « Graditur bellum ad crudele Camilla,

O uirgo, et nostris nequiquam cingitur armis,

cara mihi ante alias. Neque enim nouus iste Dianae

uenit amor subitaque animum dulcedine mouit.

Pulsus ob inuidiam regno uiresque superbas

« Ô vierge, Camille est en marche vers la guerre cruelle,

et c'est bien en vain qu'elle est revêtue de mes armes,

elle qui m' est chère entre toutes. Cet amour n'est pas neuf

et une douceur soudaine n'a pas ému  le coeur de Diane.

Chassé de son royaume, Métabus, honni pour ses violences

11, 535

Priuerno antiqua Metabus cum excederet urbe,

infantem fugiens media inter proelia belli

sustulit exsilio comitem matrisque uocauit

nomine Casmillae mutata parte Camillam.

Ipse sinu prae se portans iuga longa petebat

et sa superbe, sortit de l'antique ville de Priverne,

et s'enfuit au travers des combats et de la guerre,

emportadans son exil sa fillette nouveau-née ;

et lui donna le nom de sa mère Casmille, changé en Camille.

La tenant contre son coeur, il  gagnait la longue ligne des crêtes

11, 540

solorum nemorum : tela undique saeua premebant

et circumfuso uolitabant milite Volsci.

Ecce fugae medio summis Amasenus abundans

spumabat ripis : tantus se nubibus imber

ruperat. Ille, innare parans, infantis amore

des forêts solitaires, pressé de partout par des traits cruels ;

les soldats volsques déployés autour de lui allaient et venaient.

Soudain, durant sa fuite, le cours de l'Amasénus se gonfla,

bouillonnant au ras de ses rives, après le si violent orage

qui avait déchiré les nuages. Métabus, prêt à plonger, hésite

11, 545

tardatur caroque oneri timet. Omnia secum

uersanti subito uix haec sententia sedit.

Telum immane manu ualida quod forte gerebat

bellator, solidum nodis et robore cocto,

huic natam, libro et siluestri subere clausam,

par amour pour son enfant, par peur pour son précieux fardeau.

En pensée, il envisage toutes les solutions, puis soudain se décide :

en sa main puissante de guerrier il tenait un immense javelot,

un trait solide fait de chêne noueux et durci au feu ;

il y attache sa fille, enveloppée dans une écorce de liège sylvestre,

11, 550

implicat atque habilem mediae circumligat hastae ;

quam dextra ingenti librans ita ad aethera fatur :

ʻ Alma, tibi hanc, nemorum cultrix, Latonia uirgo,

ipse pater famulam uoueo ; tua prima per auras

tela tenens supplex hostem fugit. Accipe, testor,

et la fixe habilement au milieu de la hampe. De sa droite de géant,

il balance alors le trait, et tourné vers le ciel, dit :

ʻ Bienfaisante fille de Latone, hôtesse de ces bois, voici ta servante,

je te la consacre, moi, son père ; tenant tes armes, en suppliante,

elle est la première à fuir un ennemi à travers les airs. Ô déesse,

11, 555

diua tuam, quae nunc dubiis committitur auris ʼ.

Dixit et adducto contortum hastile lacerto

immittit : sonuere undae, rapidum super amnem

infelix fugit in iaculo stridente Camilla.

At Metabus, magna propius iam urgente caterua,

je t'en prie, reçois celle que je confie maintenant au caprice des vents ʼ.

Il dit et, ramenant son bras en arrière, brandit son trait et le lance :

les ondes ont résonné et, au-dessus du courant rapide,

 l'infortunée Camille fuit, attachée à un javelot strident.

Alors Métabus, serré déjà de très près par une troupe nombreuse,

11, 560

dat sese fluuio atque hastam cum uirgine uictor

gramineo donum Triuiae de caespite uellit.

 

Non illum tectis ullae, non moenibus urbes

accepere neque ipse manus feritate dedisset :

pastorum et solis exegit montibus aeuom.

se jette dans le fleuve et triomphant retire d'une touffe d'herbes

à la fois la lance et sa fille, qu'il offre en présent à Trivia.

 

Nulle cité ne l'accueillit en ses demeures, dans ses murs,

d'ailleurs lui-même, trop sauvage, n'aurait pas tendu la main,

et il  vécut comme les bergers dans la solitude des montagnes.

11, 565

Hic natam in dumis interque horrentia lustra

armentalis equae mammis et lacte ferino

nutribat, teneris immulgens ubera labris.

Vtque pedum primis infans uestigia plantis

institerat, iaculo palmas armauit acuto

Là, dans les broussailles, dans des tanières épineuses,

pressant sur les lèvres tendres de sa fille les mamelles

d'une jument de troupeau, il la nourrissait de lait sauvage.

Dès que l'enfant eut marqué le sol de ses premiers pas,

il arma les mains de sa petite fille d'un javelot pointu

11, 570

spiculaque ex umero paruae suspendit et arcum.

Pro crinali auro, pro longae tegmine pallae

tigridis exuuiae per dorsum a uertice pendent.

Tela manu iam tum tenera puerilia torsit

et fundam tereti circum caput egit habena

et suspendit à son épaule un arc et des flèches.

Elle n'a point d'or dans les cheveux, ni un long châle pour la couvir,

mais une peau de tigre pend du haut de sa tête le long de son dos.

De sa main tendre encore, déjà elle a lancé ses flèches d'enfant ;

à l'aide d'une lanière souple faisant tourner  au-dessus sa tête

11, 575

Strymoniamque gruem aut album deiecit olorem.

Multae illam frustra Tyrrhena per oppida matres

optauere nurum : sola contenta Diana

aeternum telorum et uirginitatis amorem

intemerata colit. Vellem haud correpta fuisset

 une fronde, déjà elle a abattu grue du Strymon ou cygne blanc.

Nombreuses furent les mères, dans les cités tyrrhéniennes,

à l'avoir, en vain, souhaitée pour bru ! Comblée par la seule Diane,

elle a voué un amour définitif aux armes et à la virginité,

et est restée pure. Comme je voudrais qu'elle n'ait pas été prise

11, 580

militia tali, conata lacessere Teucros :

cara mihi comitumque foret nunc una mearum.

Verum age, quandoquidem fatis urgetur acerbis,

abere, nympha, polo finisque inuise Latinos,

tristis ubi infausto committitur omine pugna.

par cette vie de combat, et n'ait pas tenté d'affronter les Troyens !

Elle serait maintenant une de mes suivantes, chère à mon coeur.

Mais allons, puisque des destins cruels la pressent,

descends du ciel, ô nymphe, et va visiter le pays des Latins,

où s'engage un triste combat  sous de funestes auspices.

11, 585

Haec cape et ultricem pharetra deprome sagittam :

hac quicumque sacrum uiolarit uolnere corpus,

Tros Italusque, mihi pariter det sanguine poenas.

Post ego nube caua miserandae corpus et arma

inspoliata feram tumulo patriaeque reponam.»

Prends ceci, et tire de ce carquois une flèche vengeresse :

elle percera celui, Troyen ou Italien, qui  d'une blessure souillera

ce corps sacré et il me le paiera de son sang. Ensuite, j'emporterai

 la malheureuse au creux d'un nuage, sans qu'elle soit dépouillée

de ses armes et je les déposerai sous un tertre, dans sa patrie. »

11, 590

Dixit ; at illa leuis caeli delapsa per auras

insonuit, nigro circumdata turbine corpus.

Elle dit, tandis qu'Opis, à travers les brises légères du ciel,

se laisse bruyamment glisser, le corps entouré d'un noir tourbillon.

11, 595

 

Engagement de la cavalerie (11, 597-647)

Les cavaleries des Rutules et des Troyens s'affrontent, en une succession d'attaques et de retraites, comparées au flux et au reflux de la mer. (11, 597-630)

Finalement un troisième combat très meurtrier pour les deux camps s'engage, qui sert de préliminaires à l'intervention de Camille. (11, 631-647)

At manus interea muris Troiana propinquat

Etruscique duces equitumque exercitus omnis,

compositi numero in turmas. Fremit aequore toto

Cependant les troupes troyennes s'approchent des murailles,

ainsi que les chefs étrusques et toute l'armée des cavaliers,

rangés en escadrons égaux en nombre. Tout au long de la plaine, 

insultans sonipes et pressis pugnat habenis

huc conuersus et huc ; tum late ferreus hastis

horret ager campique armis sublimibus ardent.

Nec non Messapus contra celeresque Latini

et cum fratre Coras et uirginis ala Camillae

les chevaux frémissent, piaffent, se rebiffent contre leurs rênes,

tournent en tous sens ; alors sur une large étendue, la plaine

se hérisse de fer, et la campagne flamboie de l'éclat des armes brandies.

Et voici que face à eux,  Messapus et les rapides Latins,

Coras avec son frère et l'aile de la jeune Camille apparaissent,

11, 600

aduersi campo apparent hastasque reductis

protendunt longe dextris et spicula uibrant,

aduentusque uirum fremitusque ardescit equorum.

Iamque intra iactum teli progressus uterque

substiterat : subito erumpunt clamore furentisque

menaçants, dans la plaine ; de loin, le bras droit en arrière,

ils portent leurs lances devant eux et agitent leurs javelots ;

l'arrivée des guerriers, le frémissement des chevaux embrasent tout.

Déjà, les deux armées, qui s'étaient avancées à une portée de trait,

sont à l'arrêt : soudain un cri s'élève ; tous s'ébranlent et excitent

11, 605

exhortantur equos ; fundunt simul undique tela

crebra niuis ritu caelumque obtexitur umbra.

Continuo aduersis Tyrrhenus et acer Aconteus

conixi incurrunt hastis primique ruina

dant sonitum ingenti perfractaque quadrupedantum

leurs chevaux fougueux. En même temps, de partout pleuvent les traits,

serrés comme flocons de neige, voilant le ciel de leur ombre.

Sans attendre, Tyrrhénus et le farouche Acontée, tendant leurs forces,

courent l'un contre l'autre, piques en avant. Ils sont les premiers

à s'écrouler dans un bruit assourdissant. Poitrail contre poitrail,

11, 610

pectora pectoribus rumpunt : excussus Aconteus

fulminis in morem aut tormento ponderis acti

praecipitat longe et uitam dispergit in auras.

Extemplo turbatae acies, uersique Latini

reiciunt parmas et equos ad moenia uertunt.

leurs montures se heurtent et se fracassent. Désarçonné,

Acontée, tel un éclair ou une pierre lancée par une baliste,

est projeté au loin et exhale sa vie dans les airs.

Aussitôt, les rangs sont bouleversés, et les Latins font volte-face,

rejettent  en arrière leurs boucliers et dirigent les chevaux vers les murs ;

11, 615

Troes agunt, princeps turmas inducit Asilas.

Iamque propinquabant portis, rursusque Latini

clamorem tollunt et mollia colla reflectunt :

hi fugiunt penitusque datis referuntur habenis.

Qualis ubi alterno procurrens gurgite pontus

les Troyens, emmenés par Asilas, les poussent devant eux.

Et déjà ils s'approchaient des portes, quand les Latins, se reprenant,

poussent un cri et font se retourner les chevaux aux souples encolures ;

les Troyens fuient et brides lâchées se replient complètement.

Ainsi la mer s'avance, rapide, en un mouvement de va-et-vient ;

11, 620

nunc ruit ad terram scopulusque superiacit unda

spumeus extremamque sinu perfundit arenam,

nunc rapidus retro atque aestu reuoluta resorbens

saxa fugit litusque uado labente relinquit :

bis Tusci Rutulos egere ad moenia uersos,

tantôt, elle se rue vers la terre et, de son onde écumeuse,

recouvre les rochers et va mouiller le sable au fond des baies ;

tantôt, rapide, elle se retire et, absorbant les galets roulés par la marée,

elle fuit comme une nappe glissante en quittant le rivage.

Deux fois les Étrusques ont fait fuir les Rutules jusqu'à leurs murs ;

11, 625

bis reiecti armis respectant terga tegentes.

Tertia sed postquam congressi in proelia totas

implicuere inter se acies legitque uirum uir :

tum uero et gemitus morientum et sanguine in alto

armaque corporaque et permixti caede uirorum

deux fois refoulés, ils se retournent, se couvrant le dos de leurs boucliers .

Mais lorsque ils se rencontrent pour un troisième combat,

toutes les lignes s'entremêlent et chacun se choisit un adversaire :

alors montent les gémissements des mourants, les armes et les corps

baignent dans des mares de sang, les chevaux mêlés au carnage

11, 630

semianimes uoluuntur equi, pugna aspera surgit.

 

Orsilochus Remuli, quando ipsum horrebat adire,

hastam intorsit equo ferrumque sub aure reliquit.

Quo sonipes ictu furit arduus altaque iactat

uulneris impatiens arrecto pectore crura :

s'écroulent, à demi-morts : un âpre combat se lève.

 

Orsiloque, qui tremblait d'affronter directement Rémulus,

frappe son cheval d'une pique qui lui reste plantée dans l'oreille ;

sous le coup, le coursier devint furieux et, excédé par sa blessure,

poitrail dressé, lance en l'air ses longues pattes et désarçonne Rémulus

11, 635

uoluitur ille excussus humi. Catillus Iollan

ingentemque animis, ingentem corpore et armis

deicit Herminium, nudo cui uertice fulua

caesaries nudique umeri, nec uulnera terrent :

tantus in arma patet. Latos huic hasta per armos

qui roule sur le sol. Catillus jette à terre Iollas et le grand Herminius,

grand par le courage, grand aussi par la taille et les épaules ;

il a une chevelure fauve, la tête nue, les épaules découvertes,

et les coups ne lui font pas peur : de toute sa taille, il s'offre aux traits!

Une pique s'enfonce en vibrant entre ses larges épaules,

11, 640

acta tremit duplicatque uirum transfixa dolore.

Funditur ater ubique cruor ; dant funera ferro

certantes pulchramque petunt per uulnera mortem.

transperce le guerrier et le plie en deux de douleur.

Partout se répand un sang noir ; les combattants, fer à la main,

sèment le trépas et cherchent sous les coups une belle mort.

11, 645

 

Succès de Camille (11, 648-724)

Camille est présentée comme une Amazone, entourée de ses compagnes. (11, 648-665)

Elle massacre de nombreux ennemis, en les affrontant successivement, toujours avec des méthodes différentes et appropriées. Son ardeur et sa vaillance sont décrites comme surhumaines. (11, 666-698)

Elle tue notamment un Ligure, dont elle a réussi à déjouer la ruse. (11, 699-724)

At medias inter caedes exsultat Amazon,

unum exserta latus pugnae, pharetrata Camilla,

Mais au milieu des massacres bondit une Amazone, le flanc découvert

 pour mieux combattre ; c'est Camille avec son carquois.

et nunc lenta manu spargens hastilia denset,

nunc ualidam dextra rapit indefessa bipennem ;

aureus ex umero sonat arcus et arma Dianae.

Illa etiam in tergum, siquando pulsa recessit,

spicula conuerso fugientia dirigit arcu.

Tantôt son bras répand de souples javelots en une pluie serrée,

tantôt sa droite infatigable brandit une forte hache à deux tranchants.

Sur son épaule, sonnent l'arc d'or et les armes de Diane.

Et quand, repoussée et le dos tourné, elle se replie et fuit,

elle retourne encore son arc et lance ses traits rapides.

11, 650

At circum lectae comites, Larinaque uirgo

Tullaque et aeratam quatiens Tarpeia securem,

Italides, quas ipsa decus sibi dia Camilla

delegit pacisque bonas bellique ministras :

quales Threiciae cum flumina Thermodontis

Elle est entourée de ses compagnes préférées, la jeune Larina,

et Tulla, et Tarpéia qui brandissent une hache de bronze ;

ce sont des filles d'Italie que s'est choisies la divine Camille

pour être honorée et servie dans la paix et dans la guerre :

telles ces femmes de Thrace qui frappent les flots du Thermodon,

11, 655

pulsant et pictis bellantur Amazones armis

seu circum Hippolyten, seu cum se Martia curru

Penthesilea refert, magnoque ululante tumultu

feminea exsultant lunatis agmina peltis.

 

Quem telo primum, quem postremum, aspera uirgo,

 ces Amazones qui guerroient avec des armes peintes,

soit autour d'Hippolyté, soit, autour de Penthésilée, la fille de Mars,

se retirant sur son char, ces troupes de femmes qui bondissent

dans le tumulte et les hurlements avec des boucliers en forme de lune.

 

Qui est la première victime de ton trait, vierge farouche,

11, 660

deicis ? Aut quot humi morientia corpora fundis ?

Eunaeum Clitio primum patre, cuius apertum

aduersi longa transuerberat abiete pectus :

sanguinis ille uomens riuos cadit atque cruentam

mandit humum moriensque suo se in uolnere uersat.

qui la dernière ? Combien de corps moribonds étends-tu sur le sol ?

Il y a d'abord là devant elle, Eunée, le fils de Clytius,

la poitrine découverte, qu'elle transperce d'une longue pique de bois.

Vomissant des flots de sang, il tombe, mord la terre sanglante

et en mourant se tord  autour de sa blessure.

11, 665

Tum Lirim Pagasumque super ; quorum alter habenas

suffosso reuolutus equo dum colligit, alter

dum subit ac dextram labenti tendit inermem,

praecipites pariterque ruunt. His addit Amastrum

Hippotaden, sequiturque incumbens eminus hasta

Ensuite Liris, et sur lui Pagase ; l'un, jeté à terre par son cheval

effondré sous lui, rassemblait les rênes ; l'autre s'approchait de lui

et, le voyant glisser, lui tendait une main désarmée.

Tous deux, tête en avant, se sont écroulés en même temps.

Amastrus, fils d'Hippotès les rejoint et, les pressant de sa lance,

11, 670

Tereaque Harpalycumque et Demophoonta Chrominque ;

quotque emissa manu contorsit spicula uirgo,

tot Phrygii cecidere uiri. Procul Ornytus armis

ignotis et equo uenator Iapyge fertur,

cui pellis latos umeros erepta iuuenco

Camille poursuit de loin Térée et Harpalycus, Démophoon et Chromis.

Aussi nombreux sont les traits que brandit et lance la main de Camille,

aussi nombreux tombent les héros phrygiens. Ornytus le chasseur

paraît au loin, avec ses armes singulières et son cheval iapyge :

une peau de jeune taureau couvre ses larges épaules ;

11, 675

pugnatori operit, caput ingens oris hiatus

et malae texere lupi cum dentibus albis,

agrestisque manus armat sparus ; ipse cateruis

uertitur in mediis et toto uertice supra est.

Hunc illa exceptum, neque enim labor agmine uerso,

un loup à la gueule béante et aux mâchoires munies de

de crocs blancs protège son énorme tête

et un épieu grossier arme ses mains ; il va et vient

parmi les escadrons qu'il domine de toute la tête.

Sans peine, Camille le cueille, sa colonne venant de tourner bride ;

11, 680

traicit et super haec inimico pectore fatur :

« Siluis te, Tyrrhene, feras agitare putasti ?

Aduenit qui uestra dies muliebribus armis

uerba redarguerit. Nomen tamen haud leue patrum

manibus hoc referes, telo cecidisse Camillae. »

elle le transperce et, pleine d'agressivité, ajoute :

« Croyais-tu, Tyrrhénien, poursuivre des bêtes dans tes forêts ?

Il est arrivé le jour où les armes d'une femme confondront votre jactance.

Pourtant, le titre que tu emporteras chez les mânes de tes pères

n'est pas sans éclat : celui d'être tombé sous le trait de Camille. »

11, 685

Protinus Orsilochum et Buten, duo maxima Teucrum

corpora, sed Buten auersum cuspide fixit

loricam galeamque inter, qua colla sedentis

lucent et laeuo dependet parma lacerto ;

Orsilochum fugiens magnumque agitata per orbem

Et aussitôt elle abat Orsiloque et Boutès, deux des Troyens

les plus élevés en taille. Comme Boutès lui tournait le dos, elle le transperça

d'une pique entre la cuirasse et le casque, à l'endroit où luit son cou,

là où pend à son bras gauche son bouclier. Fuyant Orsiloque

qui l'a pourchassée en un large cercle, elle, de l'intérieur du cercle

11, 690

eludit gyro interior sequiturque sequentem,

tum ualidam perque arma uiro perque ossa securim

altior exsurgens oranti et multa precanti

congeminat : uulnus calido rigat ora cerebro.

 

Incidit huic subitoque aspectu territus haesit

l'esquive par une volte et de poursuivie, devient poursuivante.

Dressée alors de toute sa taille, par deux fois elle frappe

de sa hache puissante l'armure et les os de l'homme qui la prie et la supplie ;

la cervelle s'échappe toute tiède de la blessure et lui inonde le visage.

 

Survient un guerrier qui, effrayé par cette vue soudaine, s'arrête figé :

11, 695

Appenninicolae bellator filius Auni,

haud Ligurum extremus, dum fallere fata sinebant.

Isque ubi se nullo iam cursu euadere pugnae

posse neque instantem reginam auertere cernit,

consilio uersare dolos ingressus et astu

le fils d'Aunus, du pays des Apennins, n'était pas le dernier des Ligures,

au temps où les destins permettaient de pratiquer la fourberie.

Dès qu'il vit qu'il ne pourrait pas compter sur la course

pour échapper au combat et pour écarter la reine qui le menaçait,

il s'est mis à imaginer diverses ruses et  dit avec astuce :

11, 700

incipit haec : « Quid tam egregium, si femina forti

fidis equo ? Dimitte fugam et te comminus aequo

mecum crede solo pugnaeque adcinge pedestri :

iam nosces, uentosa ferat cui gloria fraudem. »

Dixit, at illa furens acrique adcensa dolore

« Que fais-tu de si extraordinaire, toi, une femme, qui ne comptes

que sur la vaillance d'un cheval ? Renonce à fuir, fie-toi comme moi

à un sol où nous serons égaux, combats debout, corps à corps ;

alors tu sauras qui la gloire capricieuse comme le vent taxe d'imposture ».

Il dit et, elle, pleine de fureur, brûlant d'un violent ressentiment,

11, 705

tradit equum comiti paribusque resistit in armis,

ense pedes nudo puraque interrita parma.

At iuuenis, uicisse dolo ratus, auolat ipse,

haud mora, conuersisque fugax aufertur habenis

quadrupedemque citum ferrata calce fatigat.

laisse son cheval à une compagne et fait face à armes égales,

à pied, l'épée nue, intrépide avec son bouclier sans emblème.

Le jeune homme lui, croyant sa ruse aboutie, s'envole aussitôt ;

il fait tourner bride à son cheval qui l'emporte, s'enfuit

et, à coups de talons ferrés, épuise sa rapide monture.

11, 710

« Vane Ligus frustraque animis elate superbis,

nequiquam patrias temptasti lubricus artis,

nec fraus te incolumem fallaci perferet Auno, »

haec fatur uirgo et pernicibus ignea plantis

transit equum cursu frenisque aduersa prehensis

« Inconsistant Ligure, tu es gonflé d'orgueil, mais c'est en vain ;

dans ta duplicité, tu as tenté d'user des artifices de tes pères,

mais ta fourberie ne te ramènera pas vivant chez le perfide Aunus  ».

Ainsi parle la vierge, fille de feu aux pieds agiles ; à la course,

elle dépasse le cheval et, lui faisant face, elle saisit ses rênes,

11, 715

congreditur poenasque inimico ex sanguine sumit :

quam facile accipiter saxo sacer ales ab alto

consequitur pennis sublimem in nube columbam

comprensamque tenet pedibusque euiscerat uncis ;

tum cruor et uulsae labuntur ab aethere plumae.

affronte son ennemi et se venge en répandant un sang abhorré :

elle a l'aisance d'un épervier, oiseau sacré fonçant du haut d'un rocher,

poursuivant une colombe qui en son vol s'est élevée jusqu'aux nuages ;

il l'attrape et la tient, il la déchire de ses serres crochues,

tandis que du ciel tombent son sang et ses plumes arrachées.

11, 720


Notes (11, 532-724)

Histoire de Camille (11, 532-596). Un long passage est consacré à Camille. On a parfois trouvé surprenant que le personnage n'ait pas été présenté plus haut, lors de sa première apparition, en 7, 803-817. Mais « si long qu'il soit, il n'a pas le caractère d'une intrusion forcée puisqu'il se trouve justement à un point mort de l'action terrestre et remplit un espace inoccupé. D'autre part, il ne pouvait figurer au Catalogue du livre VII à cause de ses dimensions. Enfin c'est l'usage de Virgile de ne donner des détails sur ses personnages qu'au moment où ils vont agir et lorsque ces détails ont pour le lecteur un intérêt frais et récent » (A. Bellessort, citant A. Cartault).

au royaume céleste (11, 532). Sur le modèle d'Homère, Virgile a l'habitude de transporter son lecteur dans le monde des dieux. Ce fut le cas en 1, 223-296 (la longue prophétie de Vénus à Jupiter) ; en 5, 779-830 (Vénus et Neptune) ; en 7, 286-322 (Junon et la Furie Allecto) ; en 8, 370-406 (Vénus et Vulcain) ; en 10, 1-118 (conseil dans l'Olympe, sous la présidence de Jupiter).

la fille de Latone (11, 532). C'est l'Artémis grecque, fille de Latone et soeur d'Apollon, identifiée à la Diane latine dans son rôle de déesse de la chasse et de protectrice des forêts. Sur le modèle de l'Artémis grecque, Diane présente à Rome une personnalité complexe : elle est perçue aussi comme la Lune (Phébé) dans le ciel, et comme Hécate dans les Enfers.

Opis (11, 532). Opis est une nymphe (Virgile l'appellera dea au vers 852), censée venue à Délos de chez les Hyperboréens pour servir Diane dont elle devint une des favorites. Elle va jouer dans la suite un grand rôle.

Métabus... Priverne... (11, 539-542). Père de Camille, Métabus est un Volsque. Priverne en effet était une ville du pays des Volsques, située à quelque 60 km à vol d'oiseau au sud-ouest de Lavinium et qui fut dans l'histoire le dernier bastion de la résistance à Rome en 329 avant J.-C. (Tite-Live, 8, 19-21). Virgile présente le personnage comme une sorte de réplique de Mézence (10, 852) : comme ce dernier, il aurait été chassé de sa ville par ses concitoyens qui le haïssaient. Servius rapproche son nom de celui de Métapontos, l'éponyme de la ville de Métaponte, en Grande-Grèce.

Casmille (11, 543). Remarque érudite, comme il y en a beaucoup chez Virgile, poète savant ; elle n'a aucune valeur linguistique.

Amasénus (11, 547). Ce fleuve, aujourd'hui Amaseno, baigne Privernum, traverse les Marais Pontins, et se jette dans la mer Tyrrhénienne entre Circéi et Terracine.

hôtesse de ces bois (11, 557). On l'a dit plus haut (11, 532n), Diane était la déesse de la chasse et régnait sur les bois, les prés et les pacages. Ses armes étaient le carquois et les flèches. Pour une autre prière adressée à Diane avant le jet d'un javelot, on verra celle de Nisus en 9, 404-409.

les ondes ont résonné (11, 562). « Ce passage est diversement entendu. Les uns comprennent que la vigueur avec laquelle Métabus a lancé son javelot a fait retentir, du sifflement du trait, les eaux de l'Amasène. D'autres pensent que les ondes du fleuve elles-mêmes sont émues et frémissent de l'audace que l'amour paternel inspire à Métabus. D'autres encore estiment que le poète songe au grondement du torrent, qui rend plus terrible le risque que court le précieux javelot. La première interprétation nous paraît la plus simple et la plus vraisemblable » (M. Rat).

Trivia (11, 566). C'était une des épiclèses de Diane à Rome. On l'a déjà rencontrée à plusieurs reprises (en 7, 516 [avec la note ad locum] ; 774ss  et en 10, 537).

Nulle cité etc. (11, 567). Une fois l'Amasène franchi, Métabus se trouvait hors du territoire volsque, dans une terre (la Campanie) que Virgile imagine contrôlée par les Étrusques. On a en effet l'impression que les « cités tyrrhéniennes » du vers 11, 581 correspondent à ces « cités » dont aucune ne veut l'accepter. Métabus vit donc avec sa fille en dehors de tout cadre urbain.

Elle n'a point d'or (11, 576). Peut-être Virgile s'inspire-t-il dans cette description d'une statue de Diane, mais on ne peut préciser davantage.

grue du Strymon (11, 580). Il a déjà été question de ces grues du Strymon, fleuve de Thrace, en 10, 265.

dans les cités tyrrhéniennes (11, 581). Cfr plus haut 11, 567n.

comblée par la seule Diane (11, 582-584). Camille est présentée ici comme une dévote de Diane, un peu comme l'était l'Hippolyte / Virbius, décrit en 7, 761-782.

Comme je voudrais etc. (11, 584-586). Diane revient ici à ce qu'elle disait au début de son discours, avant la longue digression retraçant l'histoire de Camille. On ne sait pas comment Camille a été entraînée dans cette guerre ou, plus exactement, comment elle est revenue au pays des Volsques. Virgile nous dit bien (11, 801) qu'elle est leur « reine », mais ne précise ni quand ni comment ils l'ont choisie.

Troyen ou Italien (11, 591-592) . C'est en fait un Italien, l'Étrusque Arruns, qui tuera Camille (759-831), avant de périr lui-même de la flêche lancée par Opis (836-867).

les déposerai sous un tertre (11, 594). Le motif d'une divinité protégeant le cadavre d'un héros mort au combat semble inspiré d'Homère (Iliade, 16, 667-683), où Apollon, sur ordre de Zeus, transporte en Lycie le corps de Sarpédon.

le corps entouré d'un noir tourbillon (11, 596). « En signe de deuil. Vénus, au contraire, quand elle apporta à Énée les armes forgées par Vulcain, était descendue éblouissante. Cfr 8, 608 » (M. Rat).

les troupes troyennes etc. (11, 597-602). Virgile imagine un déploiement de forces à la manière des habitudes romaines de son époque. Il utilise d'ailleurs systématiquement les termes de cohorte, de manipule, de turme (un escadron de cavalerie).

se hérisse de fer (11, 602). Littéralement : « un champ de fer se hérisse de lances » (ferreus hastis horret ager ). La formule, empruntée à Homère (Iliade, 13, 339), avait déjà été utilisée par Ennius (cité par Macrobe, Saturnales, 6, 4, 6). Virgile lui-même y avait eu recours en 7, 525-526 : « On se bat avec des lames à double tranchant et, à perte de vue, se hérisse la sombre moisson d'épées brandies ».

Messapus etc. (11, 603-604). Un rappel des vers 517-519, dans lesquels Turnus confiait à Camille le commandement sur Messapus, sur les escadrons latins et sur les troupes de Tibur.

les rapides Latins (11, 603). Le texte latin parle des celeres Latini, une expression qui pourrait évoquer, si l'on en croit Servius, le corps des 300 cavaliers, les Celeres, institué par Romulus (cfr Tite-Live, 1, 15, 8).

aile (11, 604). Terme technique qui, en latin (ala), désigne un corps de cavalerie.

comme flocons de neige (11, 610-611). La comparaison est homérique (Iliade, 12, 156-158): « Les pierres tombent à terre, aussi serrées que ces flocons de neige qu'un vent violent [...] répand à flots pressés sur le sol nourricier » (trad. P. Mazon).

Tyrrhénus et le farouche Acontée (11, 612-618). Tyrrhénus est ici le nom propre d'un cavalier tyrrhénien, c'est-à-dire étrusque. Acontée est un Latin, qui n'est cité qu'ici.

en arrière (11, 619). Par-dessus leurs épaules, pour se protéger pendant leur fuite (cfr11, 630).

Asilas (11, 620). Asilas est ici un Troyen, mais le nom désigne ailleurs un Étrusque (10, 175) et un Rutule (9, 571). Cfr aussi 12, 127 et 12, 550.

Ainsi la mer s'avance (11, 624-628). On trouve quelques comparaisons de ce genre dans l'Iliade (11, 305-308 et 14, 16-19), mais celle de Virgile l'emporte de beaucoup par la précision des détails.

Orsiloque... Rémulus (11, 636-640). Rémulus le Rutule est terrassé par Orsiloque le Troyen, qui mourra lui-même des mains de Camille (11, 694-698). Rémulus porte le même nom que Rémulus Numanus, le Rutule tué par une flèche d'Ascagne en 9, 590-637. « Depuis le vers 631, écrit J. Perret (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 237) les deux cavaleries se sont mêlées en une sorte de corps à corps où l'on combat de la lance et de l'épée. Orsiloque, face à Rémulus, n'ose pas affronter ce genre de combat ; avant de se trouver tout proche, il lance sa pique [...]. S'il vise le cheval plutôt que le cavalier, c'est sans doute parce que l'animal est moins bien protégé. »

Catillus... Iollas.... Herminius (11, 640-647). Catillus, frère de Coras (cfr 11, 464 et 11, 604), renverse Iollas, un Troyen, puis Herminius, un Étrusque, deux personnages qui n'apparaissent qu'ici dans l'Énéide. Le premier de ces noms a une consonance grecque ; le second est emprunté à l'histoire romaine : un Herminius est en effet présent chez Tite-Live (2, 10, 6) aux côtés de Horatius Coclès lors de la défense du pont Sublicius. L'Herminius de Virgile semble mépriser tellement le danger qu'il ne porte ni casque ni cuirasse.

une belle mort (11, 647). Ce concept moral de la belle mort a déjà été évoqué à propos de Nisus (9, 401).

Amazone (11, 648-649). Les Amazones étaient un peuple mythique de femmes guerrières d'Asie Mineure : elles ont déjà été présentées en 1, 490.

javelots (11, 650). S'il faut en croire Pline (Histoire naturelle, 7, 201), le pilum, arme nationale de l'infanterie romaine, aurait même été inventé par Penthésilée, reine des Amazones.

Et quand etc. (11, 653-654). Camille est habile à tirer à l'arc tout en fuyant, comme les cavaliers parthes.

ses compagnes etc. (11, 655-657). Aux compagnes favorites de Camille, Virgile a donné des noms italiens. Ces « filles d'Italie » ne sont citées qu'ici. Larina évoque une ville d'Apulie, Larinum, ou peut-être le culte romain des Lares. Tulla fait penser au roi Tullus Hostilius, et Tarpeia à la jeune Romaine qui, séduite par l'or, livra la citadelle du Capitole aux ennemis sabins.

divine (11, 657). L'adjectif met en évidence Camille, une sorte d'incarnation de l'Italie ancienne.

Thermodon (11, 659). Le Thermodon était un fleuve de Cappadoce qui se jetait dans le Pont-Euxin, après avoir arrosé Thémiscyre. Les Amazones étaient censées habiter sur ses rives. Cfr aussi Ovide, Mét., 9, 189-190 et la note.

ces femmes de Thrace (11, 659). Le problème est que le Thermodon ne se trouve pas en Thrace. Peut-être les Amazones passaient-elles pour être venues de ce pays ? À moins que le mot Thrace soit utilisé ici d'une manière vague, pour désigner des contrées lointaines au nord-est de Rome.

frappent les flots (11, 659). Autre indécision. Comme l'écrit J. Perret (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 111n.), « on ne sait trop si [les] eaux renvoient l'écho de la course des Amazones, ou si leurs chevaux font sonner la glace qui recouvre le fleuve. Mais ces indécisions ajoutent au fantastique ».

armes peintes (11, 660). Leurs boucliers sont peints, comme ceux des Labicans en 7, 796.

Hippolyté (11, 661). Hippolyté était une reine mythique des Amazones, dont Héraclès alla conquérir la ceinture et qu'il tua. D'autres traditions veulent qu'elle ait été faite prisonnière par Thésée, et qu'elle en ait eu un fils, Hippolyte. Cfr aussi Ovide, Mét., 9, 189-190 et la note.

Penthésilée (11, 661). Penthésilée fut une autre de leurs reines. Participant à la guerre de Troie aux côtés de Priam, elle fut tuée par Achille. Il en a été question en 1, 490-493, dans la description des portes du temple de Junon à Carthage.

des boucliers en forme de lune (11, 663). Des boucliers en forme de croissant (lunati en latin) sont aussi évoqués comme caractéristiques des Amazones en 1, 491. Il s'agit de la pelte (pelta en latin), petit bouclier léger de bois ou d'un treillage d'osier recouvert de cuir. De forme elliptique, il était d'ordinaire tronqué à son sommet où il présentait une ou deux échancrures semi-circulaires, d'où le nom de lunata qui le caractérise. Sous cette forme, il appartenait plus spécialement aux Amazones et aux races asiatiques. Il doit être distingué du bouclier thrace, auquel on donne aussi le nom de pelte, parce qu'il était fait de matières légères, mais qui était de forme carrée. « Avec l'arc et la double hache, la pelte fait partie de l'armement traditionnel des Amazones » (J. Perret, Virgile. Énéide, III, 1980, p. 110, n. 1).

Qui est ta première victime (11, 664-665). Cette apostrophe à Camille rappelle l'adresse faite à Patrocle, dont la mort toutefois est clairement annoncée (Homère, Iliade, 16, 692-693) : « Quel est alors le premier, quel est le dernier que tu abats, Patrocle, dès l'instant où les dieux t'appellent à la mort ? » (trad. P. Mazon).

Eunée, le fils de Clytius (11, 666-669). Un guerrier troyen ou étrusque, inconnu par ailleurs, dont la mort semble particulièrement affreuse.

Liris, Pagase, Amastrus, Térée, Harpalycus, Démophoon, Chromis (11, 670-675). Guerriers troyens qui ne sont cités qu'ici dans l'Énéide.

Ornytus (11, 677-683). Guerrier étrusque, portant un nom grec signifiant « le bondissant ». C'est un chasseur d'une taille gigantesque, assez sauvage, armé de façon étrange, et qui semble un peu mal à l'aise au combat.

sa colonne venant de tourner bride (11, 684). Ornytus aurait été surpris et gêné par le mouvement de repli de ses compagnons. Camille n'a donc pas de mal à le « cueillir », d'autant plus qu'il ne portait pas de véritable cuirasse.

Il est arrivé le jour etc. (11, 686-687). Camille semble s'adresser, derrière Ornytus, à la race étrusque comme telle (cfr le « Tyrrhénien » de 11, 686). Camille feint de croire que les Étrusques ont prétendu pouvoir chasser les Volsques devant eux comme, à la chasse, ils poursuivent le gibier. Camille est déchaînée et ne se contrôle plus.

le titre que tu emporteras (11, 688-689). C'était un titre de gloire de mourir de la main d'un héros célèbre (cfr par exemple 10, 829-830, où Énée s'adresse à Lausus).

Orsiloque et Boutès (11, 690-698). Orsiloque le Troyen était apparu en 11, 636, où il abat Rémulus ; quant à Boutès, un autre Troyen de taille gigantesque, il ne faut pas le pas confondre avec l'écuyer d'Anchise dont Apollon prend les traits en 9, 647. Le coup mortel qui lui asséné peut être rapproché de celui d'Achille à Hector (Iliade, 22, 322-327). Un Boutès est également censé avoir affronté Darès dans les jeux funèbres organisés en l'honneur d'Hector (5, 372).

le bouclier (11, 693). Le nom latin qui désigne le bouclier de Butès est parma. Il s'agit d'un bouclier en fer de forme circulaire porté par les troupes légères et les cavaliers. Celui de Butès se balançait à son bras gauche et ne le protégeait donc pas au moment où il tournait le dos à Camille.

elle l'esquive (11, 695). Le texte n'est pas facile à comprendre, et on ne voit pas clairement la manoeuvre de Camille. Ou bien celle-ci fuit en un cercle qui se rétrécit progressivement si bien que finalement les deux adversaires se trouvent presque côte à côte, ou bien brusquement Camille cesse de fuir pour bondir à l'intérieur du cercle, bernant Orsiloque qui va désormais devenir le poursuivi.

le fils d'Aunus (11, 699-701). L'homme, dont l'histoire s'étend jusqu'au vers 724, est désigné seulement par le nom de son père. C'est un Ligure, une population qui habitait le nord de l'Italie en bordure de l'actuel Golfe de Gênes, sur les hauteurs des Apennins. Leur réputation de mauvaise foi était avérée dans l'antiquité. Ainsi Caton affirmait, au livre deux de ses Origines, que « tous les Ligures sont des menteurs », et pour Nigidius Figulus (cité par Servius), c'étaient « des brigands poseurs d'embûches, des fourbes et des menteurs ».

un sol où nous serons égaux (11, 706-707). Le latin dit aequo... solo (un sol égal). Quel sens exact donner ici à l'adjectif ? L'adversaire de Camille veut-il dire qu'à cheval, le combat ne sera pas égal, car Camille le distancera rapidement à cause de la rapidité de sa monture, et qu'une pugna pedestris le sera donc davantage ?

gloire capricieuse comme le vent (11, 708). La tradition manuscrite hésite entre fraudem et laudem. Notre traduction suit la première leçon.

bouclier sans emblème (11, 714). Son bouclier était sans emblème, contrairement à ceux des Amazones décrites en 11, 660. Peut-être parce que précédemment, elle n'aurait jamais combattu (cfr 9, 548).

à coups de talons ferrés (11, 714). Les temps héroïques ne connaissaient pas encore les éperons, seulement le fouet ou l'aiguillon. « Mais, sans qu'il y ait d'anachronisme de la part de Virgile, on peut admettre que certains cavaliers portaient, attachée au talon, une simple lame de fer » (M. Rat).

fille de feu (11, 718). C'est-à-dire « vive comme le feu ». La même image sera appliquée à Tarchon au vers 746. Au livre 7, 807, Virgile insistait sur l'agilité des pieds de Camille, qui partage cette caractéristique avec l'Achille d'Homère.

elle a l'aisance d'un épervier, oiseau sacré (11, 721-724). Les comparaisons avec des oiseaux sont fréquentes, tant chez Virgile (cfr par exemple plus loin 11, 751-754) que chez Homère (cfr par exemple Iliade, 22, 139-142), mais aucune ne peut être rapprochée avec précision de celle-ci. Pour justifier l'adjectif « sacré » qui caractérise l'épervier, on signalera qu'Homère l'appelle « rapide messager d'Apollon » (Odyssée, 15, 526) et que, selon Servius, il était consacré à Mars. De toute façon, on tirait des présages de son vol.


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