Traduction nouvelle avec notes par Danielle De Clercq (Mars 2008)
75. Le dialogue est contemporain du sixième anniversaire de l'avénement de Vespasien qui devint empereur en 69. Cf. XVII 3.
cicéroniens. Notamment les trois livres du De Oratore (55 a.C.) consacrés respectivement aux connaissances indispensables à l'orateur, à l'invention et à la disposition, et au style. Brutus (46 a.C.), où Cicéron expose l'histoire de l'éloquence romaine et se défend contre les néo-attiques. Orator (44 a.C.) présente le portrait de l'orateur parfait et entame une nouvelle polémique contre les néo-attiques.
décennie. On place la composition de l'I.O. vers 92-93.
morale. Cf. Germ. XVIII -XIX.
97. Cf. Guill Tome 1, p. 10 note 2 ; Pl. Ep. I 5, 8; 11.
nommé. Cf. Stef note 1 p. 201.
orateur. Cf Ep. II 1, 6 où Pline rapporte l'hommage funèbre rendu au consulaire Verginius Rufus, son tuteur, lors des funérailles officielles de celui-ci : Huius uiri exsequiae magnum ornamentum principi, magnum saeculo, magnum etiam foro et rostris attulerunt. Laudatus est a consule Cornelio Tacito. Nam hic eius supremus felicitati cumulus accessit, laudator eloquentissimus. Les obsèques d'un tel homme firent grand honneur au prince, grand honneur à son époque, grand honneur aussi à l'éloquence judiciaire et politique. Cornelius Tacitus qui était consul prononça son éloge, car le bonheur de Verginius connut cet apogée suprême que de recevoir l'éloge du plus éloquent des orateurs. Ep. II 11 où Pline relate le procès intenté en 98 à Marius Priscus en raison de sa collaboration avec le régime de Domitien. Tacite répond à un avocat de la défense : 17. Respondit Cornelius Tacitus eloquentissime et, quod eximium orationi eius inest, σεμνῶς. Cornelius Tacitus lui fit la plus éloquente des réponses avec toute la noblesse qui distingue sa parole. Cf. Guill Tome 3 pp. 156; 187. On remarquera que Pline ne qualifie Tacite de disertus, le plaçant ainsi parmi les orateurs dans la ligne de l'éloquence cicéronienne.
lettre. Cf. Ep. VII 20, 4 : Equidem adulescentulus cum iam tu fama gloriaque floreres, te sequi, tibi, « longo, sed proximus intervallo », et esse et haberi concupiscebam. Et erant multa clarissima ingenia, sed tu mihi (ita similitudi naturae ferebat) maxime imitabilis, maxime imitandus uidebaris. Pour ma part, moi qui n'étais encore qu'un petit jeune homme, alors que déjà tu jouissais d'une glorieuse réputation, je n'aspirais qu'à te suivre, et être, à une longue distance certes, le plus proche de toi et être considéré comme tel. Il y avait alors beaucoup de talents très en vue, mais c'était toi, comme m'y portait le ressemblance de nos personnalités, qui me semblait celui que je pouvais le plus imiter, que je devais le plus imiter. Le vers est tiré de Virgile Aen. V 320. Rappelons que Tacite et Pline le Jeune ne diffèrent que de quelques années.
ami. Cf. I.O. X 3, 12 sv : Accidit enim etiam ingeniosis adulescentibus frequenter ut labore consumantur et in silentium usque descendant nimia bene dicendi cupiditate. Qua de re memini narrasse mihi Iulium Secundum illum, aequalem meum atque a me, ut notum est, familiariter amatum, mirae facundiae uirum, infinitae tamen curae, quid esset sibi a patruo suo dictum. 13. Is fuit Iulius Florus, in eloquentia Galliarum, quoniam ibi demum exercuit eam, princeps, alioqui inter paucos disertus et dignus illa propinquitate. Il arrive souvent que des jeunes gens doués se consument dans leurs efforts, et que leur désir excessif de bien s'exprimer les condamnent au silence. À ce sujet je me rappelle ce que m'a un jour raconté ce cher Julius Secundus, mon contemporain, et, comme on sait, mon ami intime, un homme d'une rare éloquence, doublée d'une minutie infinie. Il tenait ce récit de son oncle Julius Florus, le meilleur orateur des Gaules, seul endroit où il exerça son art, habile à parler comme peu le sont et digne de cette parenté (avec Secundus). Cf. I.O. XII 10, 10.
élogieux. Cf. I.O. X 1, 120-121.
biographie. Cf. XIV 4.
décédé. Cf. I.O. X 1, 120-121 Iulio Secundo si longior contigisset aetas, clarissimum profecto nomen oratoris apud posteros foret: adiecisset enim atque adiciebat ceteris uirtutibus suis quod desiderari potest, id est autem, ut esset multo magis pugnax et saepius ad curam rerum ab elocutione respiceret. 121. Ceterum interceptus quoque magnum sibi uindicat locum, ea est facundia, tanta in explicando quod uelit gratia, tam candidum et leue et speciosum dicendi genus, tanta uerborum etiam quae adsumpta sunt proprietas, tanta in quibusdam ex periculo petitis significantia. S'il avait vécu plus longtemps, Julius Secundus aurait certainement transmis à la postérité un renom d'orateur des plus illustre. Il aurait ajouté à toutes ses autres qualités, il y ajoutait d'ailleurs déjà, ce qu'il pouvait améliorer : être plus combatif et plus souvent attentif aux situations qu'à leur énoncé. De plus, tout en ayant été surpris par la mort, il s'arroge encore une belle place, car il a une telle facilité d'expression, tant de grâce à exprimer tout ce qu'il veut, son style si pur, doux et brillant, tant son élocution a de propriété jusque dans ses métaphores et de valeur expressive dans certaines de ses hardiesses.
violente. Cf. note 53 p. 24.
source. Cf. GoBo p. 9.
romaine. Cf. XXVII 1 ; GoBo n. 3 p. XXVI.
apathie. Cf. Agr. II-III 2. 1 : Legimus, cum Aruleno Rustico Paetus Thrasea, Herennio Senecioni Priscus Heluidius laudati essent, capitale fuisse, neque in ipsos modo auctores, sed in libros quoque eorum saeuitum, delegato triumuiris ministerio ut monumenta clarissimorum ingeniorum in comitio ac foro urerentur. 2. Scilicet illo igne uocem populi Romani et libertatem senatus et conscientiam generis humani aboleri arbitrabantur, expulsis insuper sapientiae professoribus atque omni bona arte in exilium acta, ne quid usquam honestum occurreret. 3. Dedimus profecto grande patientiae documentum; et sicut uetus aetas uidit quid ultimum in libertate esset, ita nos quid in seruitute, adempto per inquisitiones etiam loquendi audiendique commercio. 4. Memoriam quoque ipsam cum uoce perdidissemus, si tam in nostra potestate esset obliuisci quam tacere. III 1. Nunc demum redit animus; et quamquam primo statim beatissimi saeculi ortu Nerua Caesar res olim dissociabilis miscuerit, principatum ac libertatem, augeatque cotidie felicitatem temporum Nerua Traianus, nec spem modo ac uotum securitas publica, sed ipsius uoti fiduciam ac robur adsumpserit, natura tamen infirmitatis humanae tardiora sunt remedia quam mala; et ut corpora nostra lente augescunt, cito extinguuntur, sic ingenia studiaque oppresseris facilius quam reuocaueris: subit quippe etiam ipsius inertiae dulcedo, et inuisa primo desidia postremo amatur. 2. Quid, si per quindecim annos, grande mortalis aeui spatium, multi fortuitis casibus, promptissimus quisque saeuitia principis interciderunt, pauci et, ut ita dixerim, non modo aliorum sed etiam nostri superstites sumus, exemptis e media uita tot annis, quibus iuuenes ad senectutem, senes prope ad ipsos exactae aetatis terminos per silentium uenimus ? Qu'avons-nous donc lu ? Arulenus Rusticus avait rédigé le panégyrique de Paetus Thrasea, Herennius Sénécion celui de Priscus Heluidius : ils furent condamnés à mort ! On ne s'acharna pas seulement sur la personne de ces auteurs, mais aussi sur leurs livres : les triumvirs reçurent l'ordre de brûler au comitium, en plein forum, les témoignages de ces talents sans pareil. 2. Dans ces flammes, on croyait étouffer la voix du peuple romain, la liberté du sénat et la conscience du genre humain. Mieux encore, on chassa aussi de leurs écoles nos maîtres de philosophie et on exila toute personne portée au bien, pour ne plus trouver nulle part d'incitation à la moralité. 3. Comme nous nous sommes montrés soumis ! Nos aïeux ont vécu le comble de la liberté, nous celui de l'asservissement ! Nous sachant contrôlés, n'avons-nous pas renoncé à communiquer les uns avec les autres ? Nous aurions perdu la mémoire tout autant que la parole, si nous pouvions aussi bien oublier que nous taire ! III 1. Maintenant, la vie revient enfin : Nerva a ouvert une ère de grand bonheur en conciliant ce qui fut pendant longtemps incompatible, le principat et la liberté. Notre époque voit, grâce à Trajan, son bonheur grandir tous les jours : le sentiment d'être délivrés de l'arbitraire rencontre non seulement nos espoirs et notre attente, mais se renforce dans la confiance qu'engendre la réalisation de cette attente. Mais, comme le veut la nature, les remèdes agissent moins vite que les maux sur notre faiblesse humaine : ne voyons-nous pas nos corps croître lentement pour dépérir en peu de temps ? N'est-il pas plus facile d'écraser des personnalités et leurs élans que de les réveiller ? Car l'apathie elle-même devient bien séduisante. L'inaction, on la maudit d'abord et on finit par l'aimer ! 2. Quinze années ont passé ainsi. Que c'est long dans une vie d'homme ! Beaucoup sont morts au hasard des circonstances et les plus combatifs ont été les victimes de la cruauté du prince. Nous ne sommes que quelques-uns qui survivons non seulement aux autres, mais - comment dire ? - à nous-mêmes : on nous a dépouillés de tant d'années au beau milieu de notre vie ! Ainsi, enfermés dans notre silence, avons-nous atteint, pour les plus jeunes, le seuil de la vieillesse et, pour les plus âgés, presque le terme d'une vie révolue.
publicité. Cf. XXXIX-XL 1. Pline le Jeune exprime une opinion curieusement divergente mais au moins aussi pessimiste. Cf. Ep. II 14. 4-8 (entre 97 et 100) : Sequuntur auditores actoribus similes, conducti et redempti. Manceps conuenitur; in media basilica tam palam sportulae quam in triclinio dantur; ex iudicio in iudicium pari mercede transitur. (5) Inde iam non inurbane σοφοκλεῖς uocantur, isdem Latinum nomen impositum est laudiceni. (6) Et tamen crescit in dies foeditas utraque lingua notata. Heri duo nomenclatores mei - habent sane aetatem eorum qui nuper togas sumpserint - ternis denariis ad laudandum trahebantur. Tanti constat ut sis disertissimus. Hoc pretio quamlibet numerosa subsellia implentur, hoc ingens corona colligitur, hoc infiniti clamores commouentur, cum mesochorus dedit signum. (7) Opus est enim signo apud non intellegentes, ne audientes quidem. (8) Nam plerique non audiunt, nec ulli magis laudant. Si quando transibis per basilicam et uoles scire, quo modo quisque dicat, nihil est quod tribunal ascendas, nihil quod praebeas aurem; facilis diuinatio: scito eum pessime dicere, qui laudabitur maxime. Viennent ensuite des auditeurs qui pareils des avocats sont loués et achetés. Ils vont à la rencontre du chef de claque. En pleine basilique, aussi ouvertement que dans une salle à manger, il distribue les sportules. D'un procès on passe au suivant pour un salaire égal. Aussi les a-t-on nommés non sans esprit σοφοκλεῖς (crieurs de bravos). En latin "laudiceni" (qui applaudissent pour recevoir à dîner). Et pourtant cette ignominie ne fait que s'accroître de jour en jour, tout en étant stigmatisée dans les deux langues. Hier deux de mes nomenclateurs (ils ont bien l'âge des jeunes gens qui viennent de prendre la toge) se laissaient entraîner à applaudir pour trois deniers chacun. Voilà ce que cela coûte pour être très doué pour la parole. À ce prix les bancs ont beau être nombreux, ils se remplissent. À ce prix on rassemble un immense cercle d'auditeurs. À ce prix des applaudissements sans fin se déclenchent au signal du chef d'orchestre. C'est qu'il faut un signal pour des gens qui n'y comprennent rien, qui n'écoutent même pas. Oui, la plupart n'écoutent pas, mais n'en applaudissent que davantage. Si tu traverses la basilique et si tu veux connaître comment plaide chaque avocat tu ne devras pas monter sur l'estrade du tribunal, tu ne devras pas prêter attention. Ce sera facile à deviner. Qui plaidera le plus mal ? Celui qui sera le plus applaudi.
opinion. Cf. I.O.X 1, 122 : Habebunt qui post nos de oratoribus scribent magnam eos qui nunc uigent materiam uere laudandi: sunt enim summa hodie quibus inlustratur forum ingenia. Namque et consummati iam patroni ueteribus aemulantur et eos iuuenum ad optima tendentium imitatur ac sequitur industria. Les auteurs qui après moi écriront sur les orateurs qui maintenant sont à l'honneur auront de quoi les louer à juste titre. Oui, le barreau aujourd'hui brille des plus grands talents. En effet des avocats aux qualités éprouvées soutiennent la comparaison avec les anciens et les jeunes dont le zèle tend à la perfection les imitent et suivent leurs traces.
comparable. Cf. Ann. XIV 19, 1.
place. Cf. XVIII-XXIII ; XXV-XXVI.
passé. Cf. XVI 6.
orateurs. Cf. I.O. X 1, 104 : nos genera degustamus, non bibliothecas excutimus. Je ne présente que des exemples des genres littéraires, je n'écume pas des bibliothèques.
progresser. Cf. XIX 5, XII 4-5 sv.
ultérieurement. Cf. XL 2 ; XL1 4.
ailleurs. Cf. Marcellus ; Régulus.
judiciaire. Cf. X 8. L'emploi du subjonctif dans la relative montre que s'exprimer en toute liberté dans des cas extrêmes relève plus du souhait que de la réalité.
généralités. Cf. XX 4-7 ;XXI 8 ; XXII 4-5.
Pseudo-Longin. Cf. L. Canfora, Histoire de la littérature grecque à l'époque hellénistique p. 190. Ed. Desjonquères 2004.
demi-teinte. Cf. I.O. X 1, 120-121.
interventions. Cf. V 1 ; XIV 2 ; XVI 1.
certains. On compte parmi ceux-ci Michel et Stef. En fait, si on attribue à Maternus cet exposé, XL 2 sv. représente une redondance par rapport à XXXVI-XXXVII, séparée de plus par les considérations sur l'évolution de l'appareil judiciaire. Cette redite est plus concevable dans le cadre d'une récapitulation (lacunaire) que fait Maternus de l'ensemble du débat ou du moins de ce qui a été dit depuis l'arrivée de Messalla.
austères. Cf. Ann. III 55 4-9. Dans cette digression Tacite fait allusion à l'évolution des moeurs suite aux troubles qui marquèrent la difficile succession de Néron (68-69) : Postquam caedibus saeuitum et magnitudo famae exitio erat, ceteri ad sapientiora conuertere. Simul noui homines e municipiis et coloniis atque etiam prouinciis in senatum crebro adsumpti domesticam parsimoniam intulerunt, et quamquam fortuna uel industria plerique pecuniosam ad senectam peruenirent, mansit tamen prior animus. sed praecipuus adstricti moris auctor Vespasianus fuit, antiquo ipse cultu uictuque. obsequium inde in principem et aemulandi amor ualidior quam poena ex legibus et metus. nisi forte rebus cunctis inest quidam uelut orbis, ut quem ad modum temporum uices ita morum uertantur; nec omnia apud priores meliora, sed nostra quoque aetas multa laudis et artium imitanda posteris tulit. uerum haec nobis {in} maiores certamina ex honesto maneant. Comme la répression s'était traduite par des massacres et qu'une grande célébrité s'avérait périlleuse, tous adoptèrent des conduites plus sages. En même temps, les hommes nouveaux issus des municipes, des colonies et même des provinces qu'on faisait entrer au sénat en grand nombre, apportèrent à Rome de leur pays le sens de l'économie. Et quoique la plupart d'entre eux, aidés par la chance ou par leur dynamisme, arrivèrent à une vieillesse dorée, leur premier état d'esprit se maintint malgré tout. Mais le principal initiateur de ce comportement plus strict fut Vespasien, dont le mode de vie et la table étaient à l'ancienne. Le désir de plaire au prince et l'empressement de l'imiter furent plus efficaces que la crainte des lois et des châtiments. Les choses humaines seraient-elles en quelque sorte cycliques ? Peut-être les comportements varient-ils comme les époques. Tout n'était pas mieux autrefois, mais notre temps aussi a produit des vertus et des talents dignes d'être imités par nos descendants. Puissions-nous toujours rivaliser de vertus avec nos ancêtres ! (Traduction L. Burnouf)
dirige. Cf. XVI 3 ; XXIV ; XXVII ; XLII.
conclusion. Cf. XL 2-XLI.
autoritaires. Cf. XL 2-3.
républicain. Cf. II 1 ; III 2.