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PVBLII CORNELII TACITI DIALOGVS DE ORATORIBVS

Débat sur les orateurs de Publius Cornelius Tacitus dit Tacite

Traduction nouvelle avec notes par Danielle De Clercq (Mars 2008)


 

TRADUCTION

 

4. CAUSES DU DÉCLIN DE L'ÉLOQUENCE (XXXVI-XLI 1) (2e partie)

Conditions politiques (XXXVI-XXXVII)

Le développement et le succès de l'éloquence sont liés aux troubles politiques de la République (XXXVI 1-5)

XXXVI. 1. Secundus : ...mener une réflexion sur le sujet. Rien de mesquin, rien de terre à terre ne pouvait être abordé. Telle la flamme, la grande éloquence se nourrit de matière, s'avive dans l'agitation et brille en brûlant. Cette même raison explique dans notre cité aussi les progrès de l'éloquence des anciens.

 2. Certes, à notre époque, nos orateurs jouissent aussi de l'importance qu'il est légitime de se voir attribuer dans le cadre d'une situation politique stable, calme et heureuse. Cependant, étant donné les turbulences et l'anarchie qui régnaient, ceux d'autrefois jouaient, semble-t-il, un rôle plus grand. Du fait que le chaos était généralisé en l'absence d'un modérateur unique, tout orateur mesurait son habileté à sa faculté d'emporter les suffrages d'un peuple sans repères. 3. D'où de continuelles propositions de lois assurant leur popularité, d'où des magistrats qui passaient presque la nuit aux rostres à prononcer des harangues, d'où des accusations portées contre des puissants mis en cause et des inimitiés qui se reportaient jusque sur des familles, d'où des factions de citoyens de haut rang et des luttes incessantes du sénat contre la plèbe.

4. Tous ces troubles avaient beau mettre l'État en pièces, ils n'activaient pas moins l'éloquence de cette époque et paraissaient la gratifier de nombreuses prérogatives : plus on était influent par la parole, plus facilement alors on obtenait des charges, plus on surpassait ses propres collègues dans l'exercice même de ces charges, plus on s'attirait la faveur des premiers citoyens, plus on exerçait d'ascendant sur le sénat et plus on se ménageait de notoriété et de renommée auprès de la plèbe. 5. Les orateurs, eux, avaient pléthore de clients, même à l'étranger. C'était eux que les magistrats en partance vers leurs provinces révéraient pour, à leur retour, les entourer de leur estime. C'était eux que prétures et consulats avaient même l'air d'appeler. C'était eux qui, loin d'être de simples particuliers sans pouvoir, dirigeaient peuple et sénat de leurs conseils et de leur ascendant.

Les formes même de la vie politique et un certain sens de l'honneur rendaient l'éloquence incontournable (XXXVI 6-XXXVII 3)

6. Bien plus, on avait la conviction que personne sans l'éloquence ne pouvait occuper dans l'État une place en vue et dominante ou s'y maintenir. 7. À cela rien d'étonnant, puisque, même contre son gré, on devait se présenter devant le peuple. Il ne suffisait pas d'exprimer son avis brièvement au sénat. Non, il fallait être capable de défendre son opinion avec éloquence. Quand on était appelé à répondre à quelque jalousie ou grief, on ne pouvait faire appel qu'à sa propre voix. Même dans les procès publics, on était obligé de témoigner, non pas en absence ni par écrit, mais en étant présent à la barre. 8. Ainsi, tout en jouissant des plus hautes prérogatives, l'éloquence s'avérait aussi indispensable. On jugeait beau et glorieux de se montrer habile à parler, dégradant par contre d'avoir l'air d'un muet incapable de s'exprimer. XXXVII. 1. Par conséquent, tout autant que celle des prérogatives, la perspective du déshonneur stimulait les orateurs : ils redoutaient d'être comptés au nombre des clients plutôt que des patrons, de voir les relations héritées de leurs ancêtres passer à d'autres, et aussi ne pas obtenir de charges ou de mal les remplir une fois obtenues, dans l'idée qu'ils auraient été jugés inefficaces et inaptes à celles-ci .

2. Avez-vous eu en mains ces écrits anciens qu'on trouve encore dans des bibliothèques d'amateurs d'antiquités, et qui précisément maintenant sont synthétisés par Mucien ? Ils sont déjà, comme je le pense, groupés en onze livres pour les Actes et en trois pour les Lettres, et publiés. 3. Ces écrits font comprendre que, si Cnaeus Pompée et Marcus Crassus se sont imposés par la puissance de leurs armes, c'est aussi par leur intelligence et leurs facultés oratoires, que les Lentulus, les Metellus, les Lucullus, les Curions – et je n'oublie pas le reste de la troupe des citoyens d'élite ! – ont mis dans ces études beaucoup d'application et de soin, et que personne en ce temps-là n'a acquis une grande influence sans quelque talent oratoire.

L'importance des causes favorisait l'éloquence (XXXVII 4-6)

4. S'ajoutaient à cela la personnalité brillante des accusés et l'importance des procès, qui par elles-mêmes favorisent le plus l'éloquence. En effet, il est bien différent d'avoir à parler d'un vol, d'une formule, d'un interdit, plutôt que de brigue dans les comices, d'alliés spoliés et de citoyens massacrés. 5. Certes, il vaut mieux que pareils malheurs ne se produisent pas, et la situation de notre État est à considérer comme la meilleure qui ne nous fait subir rien de tel. Or, en se produisant, ces malheurs offraient à l'éloquence une matière infinie. En effet l'ampleur des sujets fait se déployer le talent avec plus de force. On ne peut produire un discours brillant et mémorable sans une cause à même de l'inspirer. 6. Non, je ne crois pas que les discours que Démosthène a composés contre ses tuteurs fassent sa gloire ni que les défenses de Publius Quintus ou de Licinius Archias fassent de Cicéron un grand orateur. Catilina et Milon et Verrès et Antoine l'ont entouré de gloire. Non, ce n'était guère avantageux pour l'État de subir de mauvais citoyens, mais cela dispensait aux orateurs une vaste matière pour prendre la parole.

La grande éloquence ou la paix ? (XXXVII 6-7)

Mais, comme je ne cesse de vous le faire remarquer, souvenons-nous de la question et sachons bien que nous parlons d'une chose qui se manifeste plus facilement dans des époques de turbulences et d'insécurité. 7. Ignore-t-on qu'il est plus utile et meilleur de jouir de la paix que d'être harcelé par la guerre ? Or les guerres produisent plus de bons guerriers que la paix. 8. Il en va de même pour l'éloquence. En effet, plus elle se trouve souvent, dirai-je, sur la ligne de front, plus elle porte de coups et en reçoit, plus elle s'affirme agressive dans des combats toujours plus grands et plus acharnés, elle en sort d'autant plus élevée et plus sublime et anoblie par ces dangers, et vit dans les propos des gens, dont la nature est telle que la sécurité (crux).....ils veulent.

Évolution de l'appareil judiciaire (XXXVIII-XL 1)

Autrefois (XXXVIII)

XXXVIII. 1. Je passe à la forme que prenaient habituellement les jugements d'autrefois. Si celle d'aujourd'hui respecte mieux la vérité, le forum d'alors exerçait davantage l'éloquence : personne n'était contraint de boucler sa plaidoirie en un nombre d'heures très réduit, les ajournements étaient libres, chacun fixait lui-même la durée de sa prise de parole et le nombre de jours et de défenseurs n'était pas limité.

2. Lors de son troisième consulat, Cnaeus Pompée fut le premier qui restreignit ces dispositions et mit pour ainsi dire des freins à l'éloquence. Cependant toutes les procédures avaient encore lieu au forum, toutes dans le respect de la légalité, toutes par l'entremise des préteurs. Qu'auprès de ceux-ci des affaires, ô combien importantes, étaient ordinairement traitées, en existe-t-il plus grande preuve que le fait que les procès plaidés auprès des centumvirs, qui maintenant occupent la première place, étaient éclipsés par l'éclat des autres jugements ? En effet, ni de Cicéron ni de César ni de Brutus ni de Caelius ni de Calvus, bref d'aucun grand orateur on ne retient les discours prononcés devant les centumvirs, sauf ceux d'Asinius intitulés Pour les héritiers d'Urbinia, que Pollion lui-même tint au milieu du règne du divin Auguste, alors que le calme prolongé de cette époque, l'inactivité politique du peuple, la placidité du sénat et surtout la discipline imposée par le prince avaient pacifié, comme tout le reste, l'éloquence elle-même.

Aujourd'hui (XXXIX 1-3)

XXXIX. 1. Ce que je vais dire aura sans doute l'air insignifiant et ridicule. Je le dirai quand même, ne fût-ce même que pour en rire. Quelle cure d'humilité, pensons-nous, pour l'éloquence que ces petits paletots, dans lesquels nous nous sentons étriqués, pour ne pas dire prisonniers, quand nous nous adressons aux juges ! Quel impact, à notre avis, ont enlevé au discours les salles et les greffes où quasiment les plus nombreuses causes sont exposées ! 2. En effet, de même que des espaces réservés aux courses prouvent la valeur des chevaux, ainsi y a-t-il, dirais-je, du champ pour les orateurs. S'ils ne s'y laissent pas emporter libres de tout lien, leur éloquence s'affaiblit et se brise.

3. Bien plus, nous expérimentons que le soin même que nous prenons méticuleusement à nous exprimer d'une manière minutieuse se retourne contre nous, parce que le juge nous demande souvent quand nous allons entrer dans le sujet, et que, dès cette question, il nous faut y entrer. Fréquemment à nos argumentations et à nos témoins c'est le silence que (crux).... le patron impose. Seul, l'un ou l'autre est venu soutenir l'orateur et le procès se déroule comme dans un désert.

Nostalgie : les réactions du public impliquaient davantage les orateurs et amélioraient la qualité de leur art (XXXIX 4-XL 1)

4. Or un orateur a besoin de cris, d'applaudissements, mais oui d'un théâtre ! Tout cela les orateurs d'autrefois le vivaient. Quelle affluence de personnages tellement en vue réduisait les proportions du forum ! Leurs clients aussi et leurs tribus, et même des délégations des municipes et une partie de l'Italie soutenaient ceux qui étaient mis en cause ! Dans la plupart de ces procès le peuple romain croyait que l'issue avait de l'importance pour lui ! 5. Rappellerai-je que Caius Cornelius et Marcus Scaurus et Titus Milon et Lucius Bestia et Publius Vatinius ont été accusés et défendus en présence de tous les citoyens accourus en masse ? Ainsi les passions et les rivalités du peuple pouvaient, elles aussi, exciter et enflammer même les plus froids des orateurs. C'est pourquoi, par Hercule, de telles œuvres ont survécu qui prouvent que ce n'est pas pour leurs autres discours que leurs auteurs sont davantage appréciés.

XL. 1. De plus de continuelles harangues, le droit acquis de malmener tous les personnages les plus influents, et aussi la gloire même qu'on tire des inimitiés, quand la plupart des hommes doués pour la parole n'épargnaient même pas Publius Scipion ou Lucius Sylla ou Cnaeus Pompée et que, pour s'en prendre aux hommes de pouvoir, comme y porte naturellement la jalousie, du peuple aussi (crux).... et les histrions remplissaient les oreilles, quelle effervescence cela communiquait aux talents, quel feu cela boutait aux orateurs !...

(Lacune : Il manque la fin de l'exposé de Secundus et le début de la conclusion de Maternus)


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