TACITE : Agricola - Germanie - Débat sur les orateurs (Accueil - Introduction - Page précédente - Page suivante)
Traduction nouvelle avec notes par Danielle De Clercq (Mars 2008)
3. L'ÉLOQUENCE EST-ELLE EN DÉCLIN ? (XIV-XXVII) (1e partie)
Messalla arrive et la discussion s'engage (XIV-XVI 3)
XIV. 1. Pris par l'excitation ou plutôt l'inspiration, Maternus venait à peine d'en terminer, lorsqu'entra dans la chambre Vipstanus Messalla, qui se douta, rien qu'à voir l'expression tendue de chacun, qu'ils débattaient d'un sujet assez élevé.
Messalla : Sans doute ne vous attendiez-vous pas à me voir arriver...Vous tenez des propos confidentiels et vous examinez une cause...
2. Secundus : Pas du tout, pas du tout ! J'aurais même préféré te voir arriver plus tôt, car tu aurais été ravi par l'exposé si soigné de ce cher Aper, qui a exhorté Maternus à consacrer tout son talent et sa passion à défendre des causes, et par la réponse brillante de Maternus en faveur de ses poèmes. Son développement a été assez audacieux, comme on s'y attend de poètes sur la défensive, et relevait plus de la poésie que de l'art oratoire.
3. Messalla : Pour ma part, j'aurais écouté cet échange avec un plaisir immense et ceci aussi me réjouit : vous qui êtes des hommes de bien, des orateurs d'aujourd'hui, vous n'exercez pas votre talent rien qu'au barreau et à la pratique de la déclamation, mais vous entamez aussi de ces discussions qui nourrissent l'intelligence et offrent un divertissement plein d'érudition littéraire. Voilà qui est très agréable non seulement pour vous, qui discutez, mais aussi pour vos auditeurs.
4. C'est pourquoi, par Hercule, je vois qu'on te loue, Secundus, pour avoir en composant la biographie de Julius Africanus permis au public d'espérer d'autres ouvrages du même genre. Il en est d'ailleurs de même pour Aper, car il n'a pas encore abandonné les controverses d'école et préfère employer son temps libre à la manière des rhéteurs actuels que des anciens orateurs.
XV. 1. Aper : Tu ne renonces pas, Messalla, à n'admirer que des oeuvres anciennes, voire antiques, et à traiter avec dérision et mépris celles qui sont du goût de notre époque. En effet je t'ai souvent entendu tenir ce propos, puisque, sans tenir compte aussi bien de ton propre talent oratoire que de celui de ton frère, tu prétendais qu'il n'y avait de nos jours aucun orateur. Tu y mettais, je crois, d'autant plus d'aplomb que tu ne redoutais pas qu'on te taxe de dénigrement, toi qui te refusais à toi-même la gloire que d'autres t'accordaient.
2. Messalla : Eh bien ! Je n'éprouve aucun regret d'avoir tenu ce propos, et je ne crois pas que vous, Secundus ou Maternus, pensiez le contraire, ou encore toi-même, Aper, bien qu'il t'arrive parfois de défendre le point de vue opposé. Et je voudrais arriver à ce que l'un d'entre vous explore les causes de cette différence infinie pour en rendre compte, car leur recherche m'est bien souvent présente à l'esprit. 3. D'ailleurs, ce qui console certains ne fait que renforcer mon questionnement, quand je vois que cela s'est passé aussi en Grèce. Ce fameux Sacerdos Nicetes et tout autre rhéteur qui ébranle Éphèse ou Mytilène par les acclamations unanimes et les ovations de ses élèves ne sont ils pas plus éloignés d'Eschine et de Démosthène, que ce qui sépare Afer ou Africanus ou vous-mêmes de Cicéron ou d'Asinius ?
XVI. 1. Secundus : Quelle grande question viens-tu de soulever et qui mérite d'être traitée ! Mais qui la développera avec plus de justesse que toi, dont l'extrême érudition et l'esprit éminent sont secondés par l'exigence de ta recherche et ta réflexion ?
2. Messalla : Je ne dévoilerai ma pensée, que si auparavant j'obtiens de vous de m'assister aussi dans mon exposé.
3. Maternus (désignant Secundus) : Je nous y engage tous deux ! Oui, moi-même et Secundus, nous nous chargerons des parties que, comme nous le comprendrons, tu préféreras passer sous silence pour nous les confier. Quant à Aper, il est généralement d'un avis différent, tu viens de le dire, et lui-même fourbit évidemment ses armes pour défendre le contraire, tant il lui en coûte que nous nous mettions d'accord pour défendre le mérite des anciens.
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