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PVBLII CORNELII TACITI DIALOGVS DE ORATORIBVS

Débat sur les orateurs de Publius Cornelius Tacitus dit Tacite

Traduction nouvelle avec notes par Danielle De Clercq (Mars 2008)


 

TRADUCTION (I-V 2)

 

1. PROLOGUE (I-V 2)

Pourquoi l'éloquence évolue-t-elle mal au temps de Tacite ? (I 1-2)

I. 1. Que de fois, Fabius Iustus, me demandes-tu : « Pourquoi, si les siècles antérieurs ont brillé du talent et de la gloire de tant d'orateurs éminents, notre époque en est-elle particulièrement dépourvue, privée qu'elle est de l'éclat de l'éloquence, au point d'user à peine du terme même d'orateur ? Nous ne désignons plus ainsi que ceux d'autrefois, tandis qu'à l'heure actuelle les gens habiles à parler sont dénommés professionnels du barreau, avocats, défenseurs en justice ou que sais-je encore, mais jamais orateurs. »

 2. Répondre à ton interrogation et assumer le poids d'une question si vaste revient à juger défavorablement soit nos capacités, si nous n'arrivons pas au même niveau, soit nos goûts, si nous refusons d'atteindre celui-ci.

Tacite va se référer aux avis autorisés des maîtres qui l'ont formé (I 2-3)

Je ne m'y risquerais pas, par Hercule, si je n'avais à exposer que mon seul point de vue et non les propos de personnages très habiles à parler selon les critères actuels. Tout jeune, je les avais entendus traiter à fond cette même question. 3. Ainsi ne devrai-je pas faire appel à ma réflexion mais aux ressources de ma mémoire. J'exposerai les pensées subtiles que j'ai entendu formuler avec force par des hommes sans pareils. Chacun d'eux avançait des justifications différentes ou divergentes, mais toujours dignes d'approbation et qui révélaient la qualité de sa personnalité et de son intelligence. Je reprendrai les mêmes points et les mêmes raisonnements tout en respectant le déroulement du débat. En effet, l'un d'eux ne laissa pas de soutenir un point de vue divergent en mettant à mal et en tournant en dérision les temps révolus, lui qui préférait l'éloquence de notre temps au talent des anciens.

Les trois premiers acteurs du débat : Maternus, Aper et Secundus (II)

II. 1. La veille, Curiatius Maternus avait lu en public son Caton. Il avait, disait-on, heurté des personnages influents, car en choisissant ce sujet de tragédie, il se serait oublié lui-même pour être le porte-parole de Caton. Alors qu'à Rome on ne parlait plus que de cela, Marcus Aper et Iulius Secundus, représentants très connus de notre barreau, se rendirent chez lui.

Or, tous deux, je les écoutais avec quelle passion aux procès, mais je les retrouvais partout, aussi bien chez eux qu'en public, animé que j'étais d'une prodigieuse passion de m'instruire et d'une certaine ardeur juvénile, au point d'assimiler leurs propos familiers, leurs débats et les secrets de leurs échanges confidentiels. Dès lors, que m'importait la mesquinerie de bien des gens qui prétendaient que le débit de Secundus n'était pas aisé, et qu'Aper devait sa réputation d'éloquence plus à son talent et à ses qualités innées qu'à sa formation et son étude des auteurs. 2. En réalité, l'élocution de Secundus était correcte et concise, son débit était aussi coulant qu'il le fallait sans jamais lui faire défaut. Aper, imprégné qu'il était de tous les savoirs, traitait de haut les auteurs sans les ignorer pour autant. Il croyait voir son activité et ses efforts couronnés d'une plus grande gloire, en donnant à penser que son talent ne s'appuyait nullement sur le savoir-faire d'autrui.

Discussion informelle : la poésie est-elle une activité préférable à l'éloquence judiciaire ? (III-V 1)

III. 1. Nous sommes entrés dans la chambre de Maternus que nous avons pris sur le fait : assis, il tenait entre ses mains le livre qu'il avait lu la veille en public.

2. Secundus : Tu n'as vraiment pas peur, Maternus, des propos de gens malveillants ! Ils ne t'empêchent pas d'aimer ce qui choque dans ton cher Caton ! Mais, peut-être, as-tu pris ce livre pour le remanier avec plus de soin ? Comptes-tu supprimer les passages qui ont prêté à une interprétation discutable ? Ainsi tu pourrais publier un Caton non pas meilleur, mais moins risqué.

3. Maternus : Tu y liras ce que Maternus se devait à lui-même de dire et tu y reconnaîtras ce que tu as entendu. Et si mon Caton a omis quelque chose, lors de la prochaine lecture c'est mon Thyeste qui le dira ! Oui, j'ai déjà établi le plan de cette tragédie et je l'ai composée dans ma tête. C'est bien pourquoi je me hâte de mettre au point l'édition de ce livre-ci, afin que, ce souci oublié, je me concentre de tout mon coeur sur mon nouveau projet.

4. Aper : N'en as-tu jamais assez de ces tragédies ? Tu négliges la pratique des discours et des procès ! Tout ton temps, tu le gaspilles, il y a peu pour Médée, maintenant pour Thyeste ! Mais voilà, les causes de tant d'amis, ta clientèle de tant de colonies et de municipes te réclament au forum ! Tu aurais d'ailleurs du mal à les satisfaire, même si, de toi-même, tu ne t'étais pas chargé d'un nouveau travail pour mettre en scène Domitius et Caton, des personnages de notre histoire, et associer des noms romains aux légendes des petits Grecs.

IV. 1. Maternus : Te voilà bien sévère ! J'en perdrais mon sang-froid, si des controverses serrées et incessantes ne faisaient pas quasiment partie de nos habitudes. Car toi, tu n'arrêtes pas de critiquer et de brocarder les poètes, et moi, que tu traites de paresseux quand il s'agit de plaider, je prends tous les jours en charge de défendre la poésie de tes attaques ! 2. Je me réjouis d'autant plus qu'un juge nous soit offert : soit il m'interdira de composer des vers, soit, – et c'est ce que je souhaite depuis bien longtemps ! – sa propre autorité me contraindra à négliger la voie étriquée de l'éloquence judiciaire, – je ne m'y suis donné que trop de mal ! – pour cultiver cette expression plus pure et plus auguste.

V. 1. Secundus : Pour ma part, avant qu'Aper ne me récuse comme juge, je ferai comme tous les juges honnêtes et modérés qui se font excuser dans les procès où l'une des parties leur inspire visiblement plus de sympathie. 2. Qui en effet ignore que personne ne m'est plus proche et par les liens d'amitié et une fréquentation sans relâche que Saleius Bassus, le meilleur des hommes certes, mais aussi l'élite des poètes ? Bien plus, si la poésie est mise en cause, je ne vois pas d'autre accusé plus exposé à la critique.


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