Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 95b-104aN

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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RÈGNE DE THÉODOSE Ier - SAINT SERVAIS (suite) - LES PREMIERS ROIS DE FRANCE - LES HUNs

Ans 386-392 de l'Incarnation


 

NOTES DE LECTURE


Ce fichier qui couvre les années 386 à 392 de l'Incarnation et correspond aux p. II, 95 du Myreur, contient trois sections :

 

* A. Ans 386-388 (Myreur, II, p. 95b-99a) : Début du règne de Théodose - Suite et fin de l'histoire de saint Servais [sommaire et texte]

* B. Ans 388-391 (Myreur, II, p. 99b-102a) : Suite du règne de Théodose - Histoire des origines des Francs - Pharamond, premier roi de France - Varia [sommaire et texte]

* C. Ans 391-392 (Myreur, II, p. 102b-104a) : Encore les Huns [sommaire et texte]

 

[Vers le texte et la traduction]

 


 

Plan des notes de lecture

 

Note. En ce qui concerne l'histoire de saint Servais, la troisième et dernière partie (II, p. 96-99) est examinée à part dans le Dossier 13. Les parties précédentes l'ont été, rappelons-le, dans des dossier particuliers, le Do 6 (pour les p. 63-67 et p. 75) et le Do 11 (pour les p. 89-94).

 

 

Introduction

1. Les Huns

2. Les chronologies et leur distorsion

3. Théodose Ier et sa période

 

A. La période de Théodose Ier (379-395) dans l'Histoire et chez Jean d'Outremeuse

1. L'accession de Théodose au pouvoir

2. La période de l'usurpateur Maxime

3. Le séjour milanais de Théodose et l'épisode de Thessalonique - Le retour à Constantinople

4. En Occident, Valentinien II, Arbogast, l'usurpateur Eugène, la réaction païenne, la victoire de Théodose à la Rivière Froide, Arcadius et Honorius

5. Généralités sur le rôle de Théodose en matière religieuse

6. Théodose Ier impose par la force l'ordre orthodoxe nicéen...

7. ...du moins dans les limites de l'Empire romain de son temps

 

B. Pharamond, le premier « roi des Français ou de France ou des Francs »

 

C. Varia

1. Les Chroniques de Saint-Denis et la légende troyenne des Francs

2. Saint Augustin

3. Prudence

4. Saint Sirice

5. Alaric, roi des Goths

6. Sicambres, Sicambrie et Yborus

7. Godicaire, roi des Burgondes

 


 

 

Introduction

 

Précisons, dans cette introduction, quelques éléments importants, dont nous aurons régulièrement besoin dans la suite.

 

 

1. Les Huns chez Jean d'Outremeuse

Il a déjà été question des Huns dans les fichiers II, p. 17 à 26 et II, p. 79-95. On les retrouve encore ici, aux p. 102-104. Mais leur place chez Jean d'Outremeuse est telle ‒ nous l'avons déjà dit précédemment que nous avons jugé utile de leur consacrer une étude détaillée qui a été publiée dans le t. 41 (janvier-juin 2021) des FEC et à laquelle le lecteur trouvera nombre d'informations, non seulement sur la question des Huns mais sur la manière de travailler du chroniqueur liégeois. Elle comporte cinq chapitres, intitulés respectivement :  I. Le cadre historique - II. Trois motifs légendaires et leur utilisation - III. Les origines des Huns - IV. Les voyages des Huns - V. Attila et les Huns, auxquels le lecteur pourra se reporter chaque fois qu'il sera question des Huns dans le texte de Jean, ce qui nous dispense de commenter systématiquement dans nos notes de lecture les textes de Jean qui font intervenir les Huns.

Rappelons simplement ici que cet article montre combien le récit de Jean sur les Huns est éloigné de la vérité historique. Le sujet est évidemment très complexe, mais deux exemples suffiront à en persuader le lecteur. Premier exemple. Attila, d'après Jean, est censé lancer sa première attaque sur l’Empire romain en l'an 383 de l’Incarnation, à une époque où pour l’historien moderne le roi des Huns n’était pas encore né (on date sa naissance des alentours de 395). Deuxième exemple. Jean place l’affrontement entre Attila et le patrice Aétius en l'an 391 de l'Incarnation, c'est-à-dire pour Jean lui-même à l'époque de Théodose Ier, alors que dans l'histoire ce conflit majeur eut lieu en 451 de notre ère, à l'époque de Valentinien III. En un mot, le Myreur décale ici les faits de quelque soixante années.

Pour dire les choses en très bref, Jean, dans son récit, n'a absolument pas conscience que les Huns n'ont pas influencé directement l'histoire de l'empire romain avant l'extrême fin du IVe siècle et que, pour l'essentiel, ils ne sont intervenus qu'au Ve siècle. Il ira même jusqu'à leur attribuer le massacre des Onze mille vierges de Cologne (cfr II, p. 16), qu'il date de l'an 242 de l'Incarnation. Ce faisant il anticipe de plus de deux siècles leur arrivée en Occident !

En fait, comme le montre notre article de 2021, en ce qui concerne les Huns, la chronologie de Jean d'Outremeuse (celle de l'Incarnation) ne correspond pas à la nôtre (notre ère commune).

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2. Les chronologies et leur concordance 

Notre article de 2021 a longuement étudié ce bouleversement de chronologie et montré qu'il ne se présente d'ailleurs pas uniquement pour les Huns, ce qui pose un certain nombre de problèmes dans l'interprétation des événements rapportés par Jean. Notre chroniqueur par exemple fait se rencontrer des personnages qui n'auraient pu le faire dans l'histoire authentique.

Mais il ne faut pas exagérer ni surtout généraliser. Ce que nous avons qualifié de « distorsion chronologique » entre la chronologie de Jean (celle de l'Incarnation) et la nôtre ne se présente généralement pas (ou très peu) lorsqu'il s'agit de dater les empereurs ou les papes.

Prenons le cas de Théodose Ier par exemple. Dans le Myreur, cet empereur est censé avoir régné de l'an 386 (II, p. 95b) à l'an 397 (II, p. 106) de l'Incarnation ; dans la réalité de l'histoire, il a occupé le pouvoir de l'an 379 à l'an 395 de l'ère commune. L'écart n'est donc pas considérable.

Si l'on examine le cas des papes, on constate que Damase est remplacé par Sirice en 384 de notre ère et en 384 de l'Incarnation (II, p. 94-95) ; Sirice est remplacé par Anastase en 399 de notre ère et en 399 de l'Incarnation (II, p. 107). La chronologie de Jean est ici en accord complet avec la nôtre. Par contre, une différence de quatre années apparaît dans le récit du remplacement d'Anastase par Innocent : 405 dans la chronologie de Jean (II, p. 114) et 401 dans la nôtre. Elle se réduit toutefois à une seule année pour ce qui est de la mort d'Innocent : 416 dans la chronologie de Jean (II, p. 124) et 417 dans la nôtre. Ces variations minimes ne heurtent guère et ne perturbent pas les analyses.

En d'autres termes, la « distorsion chronologique » ne se manifeste guère dans l'histoire des empereurs et des papes. Elle apparaît essentiellement, lorsqu'il est question, des Huns bien sûr comme nous venons de le dire, mais aussi des autres peuples étrangers à Rome, comme les Francs par exemple. L'écart entre notre chronologie et celle de Jean d'Outremeuse peut alors comporter plusieurs décennies et parfois même dépasser le demi-siècle.

Prenons par exemple le cas de Clovis, de son couronnement et de sa mort. Le Clovis de l’Histoire est devenu roi des Francs en 481/483 de notre ère : le Myreur (II, p. 138) place son couronnement en 438 de l’Incarnation, soit un décalage de quelque 42 ans. Le Clovis de l'Histoire est mort à Paris le 27 novembre 511 de notre ère ; Jean d'Outremeuse (II, p. 166) le fait mourir à Lutèce le 13 juin de l’an 468 de l'Incarnation. L'écart est ici de 43 ans. En ce qui concerne l’affrontement majeur entre Attila et Aétius, il était, rappelons-le, de 60 ans.

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3. Théodose Ier et sa période

Une autre remarque sera peut-être utile. Les développements qui vont suivre portent en gros sur le dernier tiers du IVe siècle et le tout début du Ve siècle. Pour des raisons de facilité, nous les rangeons sous l'intitulé « Théodose Ier et sa période ». Si cet empereur, nommé pour diriger l'Orient en 379 de notre ère et qui aura finalement la responsabilité de l'ensemble de l'Empire et mourra en 395, reste le personnage principal, nous verrons toutefois apparaître d'autres noms que le sien. Certains furent importants. Il y a Gratien, son collègue d'Occident, qui règne de 376 à 383. Il y a Maxime, un usurpateur qui sera pendant quelques années (383-388) le maître de la Bretagne et de la Gaule, qui sera même reconnu comme légitime par Théodose avant d'être éliminé par lui.

Il y a Valentinien II, le fils de Valentinien I. En théorie, il est co-empereur d'Occident avec Gratien depuis 375, mais comme il avait reçu ce titre à l'âge de quatre ans, il était très jeune et restera longtemps sous la tutelle de sa mère, Justine, laquelle assurera activement la régence conseillée par saint Ambroise de Milan et assistée de ses généraux francs, Rumorid et Bauto. Après la mort de Justine, Théodose, qui n'avait guère confiance en Valentinien II, l'encadrera strictement en lui imposant comme conseiller le général Arbogast, un Franc romanisé.

Il y a aussi l'usurpateur Eugène, que l'ambitieux Arbogast, déçu de n'être pas promu par Théodose à la mort de Valentinien II, avait mis en avant pour diriger l'Occident, et dont les forces furent écrasées par celles de Théodose à la Rivière Froide. Il y a aussi les fils de Théodose Ier, Honorius et Arcadius, qui, à la mort de leur père, dirigeront, le premier, l'Occident (de 395 à 423) et le second, l'Orient (de 395 à 408). Tous ces personnages apparaîtront dans la suite à la place qui leur revient.

Terminons en notant que, dans l'empire romain, la première moitié du Ve siècle sera occupée en Occident par Valentinien III, empereur de 423 à 455 (après la mort d'Honorius), et en Orient par Théodose II, qui régnera de 408 à 450.

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A. La période de Théodose I dans l'Histoire et chez Jean d'Outremeuse

 

1. L'accession de Théodose au pouvoir (les dates sont en ère commune)

On sait par le fichier précédent que le désastre d'Andrinople en août 378 et la mort de Valens, chargé de la partie orientale de l'Empire, avaient permis aux Goths de se répandre dans toute la péninsule balkanique. Il ne restait au pouvoir que l'empereur chargé de la partie occidentale, « le faible Gratien, dépassé par l'événement » (M. Bordet, Précis, p. 279). Celui-ci, se sentant incapable de régner seul en une période si dangereuse, fit appel à l'Espagnol Théodose, le fils d'un général qui l'avait beaucoup aidé dans ses opérations militaires. Il le proclama Auguste le 19 janvier 379 et lui confia la pars orientalis, c'est-à-dire la préfecture d'Orient et les diocèses de Dacie et de Macédoine. Ce n'était pas encore le clivage définitif de l'Empire qui aura lieu plus tard avec Honorius et Arcadius, mais on s'y acheminait.

« Avec les Goths qui poursuivaient leurs ravages, Théodose se résigna vite à traiter ; le foedus de 382 leur fit place dans l'Empire en tant que nation indépendante et exempte d'impôts, à charge de fournir des troupes : un tel accord en dit long sur l'affaiblissement du monde romain. Heureusement la mort de Sapor II ouvrait une ère de coexistence pacifique sur l'Euphrate » (ibidem).

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2. La période de l'usurpateur Maxime

En 383, la situation en Occident devint inquiétante, à cause de l'usurpation de l'Espagnol Maxime (Magnus Maximus). Il a déjà été question de ce Maxime à la fin du fichier précédent (II, p. 95), où Jean l'appelait Maximiain (Maximien) et le présentait comme « un grand prince » qui « avait conquis la Petite-Bretagne et revendiquait sur Gratien la terre vers l'Occident ». Comme il occupe aussi une assez grande place dans le présent fichier (II, p. 99-100 et p. 103), il peut être utile de lui consacrer quelques lignes de commentaire.

Venons-en à l'an 383 et aux circonstances de son usurpation.

Valentinien I une fois mort en 375, Gratien, moins doué que son père sur le plan militaire, se révéla incapable de défendre correctement la Gaule et le Danube supérieur. En août 383, l'armée de Bretagne se révolta et proclama empereur son chef, Maxime, qui passa aussitôt en Gaule et s'en empara. « La cause de l'empereur légitime, Gratien, ne souleva aucun enthousiasme ni auprès de la population ni parmi les généraux et les soldats qui le trahirent, non loin de Lutèce. Gratien s'enfuit vers l'Italie mais il fut rattrapé à Lyon et assassiné en août 383 ».

Celui qui devait lui succéder était son petit frère, le jeune Valentinien II, qui n'avait alors qu'une douzaine d'années et qui était sous la tutelle de sa mère Justine. Celle-ci, dans les faits, « assuma le gouvernement de la préfecture centrale (Italie, Afrique, Illyricum), tandis que Maxime, installé à Trèves, et Théodose, demeuré en Orient, se disputaient la tutelle de leur jeune collègue. En 384, un compromis fut négocié, Maxime fut reconnu Auguste. C'est que Théodose, pacifique au fond, ou dans une période dépressive, en outre tout occupé à lutter contre hérétiques et païens et à réparer les ruines causées par les Goths et le désastre d'Andrinople, ne voulait pas la guerre civile. [...] Cependant Maxime sentit son ambition grandir et voulut s'emparer de tout l'Occident. Il réclamait en vain la présence auprès de lui et la tutelle de Valentinien II, quand celui-ci, pressé par une attaque barbare en Pannonie, commit l'imprudence de solliciter son aide. Maxime envahit l'Italie pour son propre compte en 387. Justine et son fils, [Valentinien II, chassés d'Italie,] se réfugièrent en Orient, à Thessalonique. Théodose qui venait d'épouser la jeune sœur de Valentinien II, Galla, la dernière fille du grand Valentinien, se décida cette fois pour la guerre. Bien préparée, elle fut rapidement victorieuse, après des succès, à Siscia et Poetovio [en Pannonie]. Maxime fut pris à Aquilée et tué par les soldats en août 388. Cet usurpateur, que la tradition officielle accable comme 'tyran', ce qui était naturel, fut le seul à être reconnu quelque temps pour un empereur légitime. » (P. Petit, Empire, p. 632-633).

*

La vision du chroniqueur liégeois ne correspond pas à la réalité historique. Alors que l'opération de Théodose qui amena l'élimination physique de l'usurpateur eut lieu dans le nord de l'Italie, Jean, qui présente Maxime comme duc de la Petite-Bretagne, fait bien état, en II, p. 95 b, d'une expédition militaire menée contre lui, mais dans la Petite-Bretagne même. Elle ravage le pays mais il réussit à échapper. Maxime va réapparaître en II, p. 99, associé au roi de Bourgogne, à la tête d'une armée qui vient attaquer Théodose en Italie même. Les deux alliés sont battus par les Romains. Maxime regagne le Petite-Bretagne dont il était le chef et devient même roi de Bourgogne. Un peu plus tard, dans le Myreur (II, p. 104), après la bataille des Champs Catalauniques (cfr infra), Maxime est censé avoir attaqué l'armée d'Aetius qui passait par la Bourgogne en retournant à Rome. Toujours selon Jean, Maxime, tout comme Aetius d'ailleurs, aurait trouvé la mort dans cette bataille. La Bourgogne sera alors gouvernée par son fils, Gondicar, avant d'être envahie et dominée par les Huns d'Attila. De ces Huns aussi, et de la mort d'Aetius, on reparlera. C'est de Maxime et de son sort qu'il s'agissait ici. On voit que sur ce point Jean est très loin de la vérité historique. Mais avançons dans le sujet en revenant à l'histoire.

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3. Le séjour milanais de Théodose et l'épisode de Thessalonique - Le retour à Constantinople

Après la mort de Maxime à Aquilée en 388, Théodose place en Gaule le jeune Valentinien II, qui, rappelons-le, avait été proclamé empereur en 375 à l'âge de quatre ans, mais n'avait jamais exercé un véritable pouvoir. Pour sa part, il s'installe à Milan d'où de 388 à 391, il gouverne tout l'Empire. Il vint toutefois à Rome en 389 célébrer un triomphe et écouter le panégyrique du Gaulois Pacatus. À Milan, il eut à diverses reprises, « des rapports orageux » (Petit, Empire, p. 638) avec saint Ambroise « qui considérait qu'en matière religieuse l'Eglise devait avoir le pas sur l'État et qu'en outre l'empereur à titre personnel devait être considéré comme un simple fidèle » (Petit, Empire, p. 638). L'humiliation de l'empereur par Ambroise à la suite de l'épisode du massacre de Thessalonique en 390 est restée célèbre.

En voici une brève présentation par P. Petit, Empire, p. 638-639 :

En 390, il [= Théodose] ordonna, hâtivement et sous le coup de la colère, le massacre de la population de Thessalonique qui avait tué au cours d'une émeute un général goth. Plusieurs miliers de personnes rassemblées dans le cirque périrent, le contrordre étant arrivé trop tard. Ambroise indigné lui refusa la communion et lui imposa une pénitence. Théodose hésita plusieurs semaines, puis se soumit après s'être réconcilié avec l'évêque, sur les instances de son nouveau préfet du prétoire d'Orient, Rufin.

C'est peut-être cet épisode historique qui se retrouve dans le récit de Jean (II, p. 101), mais fort transformé, en ce qui concerne le lieu (Césarée au lieu de Thessalonique), le motif (le viol d'une jeune fille au lieu de la mort de Buthéric, un général goth), le nombre et la qualité des victimes (700 chrétiens au lieu de plusieurs milliers d'habitants). Jean parle d'un concile réuni à Rome par le pape (Sirice à l'époque, dans le récit de Jean). Cfr infra ce qui concerne le pape Sirice.

Théodose retourna ensuite à Constantinople, où « sa politique redevint très fanatique : il exila Tatianos [préfet du prétoire, païen avéré, élevé au consulat], gouverna avec Rufin, son nouveau préfet du prétoire, un catholique très fervent, et le maître de la milice, le demi-Vandale Stilicon, son neveu par alliance » (ibidem, p. 633). Il avait laissé l'Occident à Valentinien II, placé sous la tutelle du général franc Arbogast.

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4. En Occident, Valentinien II, Arbogast, l'usurpateur Eugène, la réaction païenne, la victoire de Théodose à la Rivière Froide, Arcadius et Honorius

« Arbogast était une forte personnalité et la faiblesse de l'ascétique et dévot Valentinien II faisait de lui le véritable souverain de l'Occident. Il entra en violent conflit avec le jeune empereur qui fut trouvé mort un beau matin : suicide ou assassinat, on ne le sut jamais. Théodose accepta l'hypothèse du suicide qui le dispensait de la guerre. Mais Arbogast, qui semble avoir espéré que Théodose lui confierait la tutelle d'Arcadius [le premier fils de Théodose], se trouva forcé d'agir quand il apprit que l'empereur avait chassé Tatianos et choisi comme préfet Rufin. Il suscita alors une nouvelle usurpation et fit proclamer un professeur de rhétorique sans surface Eugène [...]. Malgré ses efforts, des ambassades et des témoignages de respect, Eugène ne put se faire reconnaître par Théodose ni accueillir par saint Ambroise [...] En 393, il se tourna alors presque malgré lui (car il était chrétien mais fort tiède) vers les païens de Rome, exacerbés par la lutte que Théodose menait contre le paganisme depuis 381. » (P. Petit, Empire, p. 633-634)

« Une violente réaction païenne éclata alors avec une force surprenante, conduite par Nicomaque Flavien, soutenue par les généraux francs. [...] Arbogast réunit une forte armée de Francs et d'Alamans fédérés. De son côté, Théodose avait cessé d'hésiter, la situation aux frontières étant meilleure qu'à l'époque de Maxime. Il avait édicté en 392 la loi décisive qui abolissait le paganisme et nommé Auguste son second fils Honorius [...]. Son armée, très forte, se composait pour la plus grande partie de barbares, de Goths et même des Huns redoutés de tous, et de plusieurs contingents orientaux, et elle était commandée par les généraux barbares Bacurius [Ibère d'origine] et Gaïnas [Goth d'origine], sous les ordres supérieurs de Stilicon [Vandale d'origine] et du 'romain' Timasius. »

 « Cette armée traversa les Alpes à la rencontre de celle d'Arbogast sur la défensive. Entre Émona [en Pannonie] et Aquilée, sur la Rivière Froide (fluvius Frigidus) [près de l'actuelle Gorizia], le 5 septembre 394, les Goths de Gaïnas furent d'abord battus, mais un commando de Francs envoyés sur les arrières de Théodose trahit Eugène, et le lendemain les troupes d'Arbogast succombèrent sous une nouvelle attaque des adversaires et également, dit-on, sous les assauts du terrible vent local, la bora, qui soufflait du bon côté, c'est-à-dire des chrétiens... Les protagonistes, Eugène, Arbogast, Nicomaque Flavien furent tués ou se suicidèrent. »

« Théodose se montra clément pour les autres et vint peut-être à Rome présenter [son fils] Honorius au Sénat. Peu de semaines plus tard, le 17 janvier 395, il mourut brusquement à Milan. L'empire passait aux mains de deux enfants, Arcadius [son autre fils] toujours en Orient, et Honorius, que Théodose sur son lit de mort recommanda à Stilicon. Dans son esprit, il est certain que les deux jeunes frères devaient gouverner chacun une partie de l'Empire, mais en bonne intelligence, comme autrefois Valentinien et Valens, et que Stilicon veillerait sur eux et les protégerait militairement. L'unité de l'Empire serait ainsi préservée, mais les circonstances en décidèrent autrement. » (P. Petit, Empire, p. 634-635)

En tout cas, en ce qui concerne son rôle dans la gestion de l'Empire, on peut dire, avec P. Petit, que « sans mériter le nom de 'Grand' que l'Église lui décerna, Théodose prit facilement de l'ascendant sur le faible Gratien et réussit, malgré plusieurs usurpations, à préserver jusqu'à sa mort l'unité de l'empire qu'il gouverna seul en pratique de 383 à 395. » (P. Petit, Empire, p. 631)

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5. Généralités sur le rôle de Théodose en matière religieuse

« Personnage déconcertant par sa versatilité et dont les qualités politiques furent très irrégulièrement mises en œuvre, Théodose le Grand ne mérite son nom [de Grand] ni par ses efforts contre le barbare ni par la sérénité intérieure de son règne. Mais son rôle fut décisif en matière religieuse. Il est le premier empereur qui refuse à son avènement le manteau bleu du Pontifex Maximus, et Gratien de rejeter aussitôt le sien : c'est la séparation du paganisme et de l'État impérial, confirmée par toute une série de lois de plus en plus sévères contre les anciens rites à partir de 391 ; les temples sont démantelés, les Jeux Olympiques sont prohibés... La même intolérance est opposée aux chrétiens non nicéens par l'édit de 380, qui leur promet la vengeance divine et celle du prince ; de fait elle se manifeste par des édits multiples et rigoureux » (M. Bordet, Précis d'histoire romaine, 1969, p. 280). Pour dire les choses en quelques mots : « il plaçait ses devoirs de chrétien bien au-dessus de ses devoirs de prince. » (ibidem, p. 279).

Son rôle dans l'histoire des querelles doctrinales fut particulièrement important.

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6. Théodose Ier impose par la force l'ordre orthodoxe nicéen...

Il fallut en effet attendre le Concile de Constantinople que Théodose Ier convoqua de mai à juillet 381 pour que l’ordre orthodoxe d’origine nicéenne soit finalement rétabli, ou plus exactement imposé. Et d’une manière très ferme d’ailleurs, car cet autre militaire qu’était Théodose ne fera pas dans la dentelle.

Le christianisme deviendra alors la seule religion officielle de l’Empire, et pas n’importe quel christianisme. Ce sera la « vraie foi », celle fondée, comme le précise déjà un décret de Thessalonique signé en 380, sur la croyance en « l'unique divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ayant une majesté égale dans la pieuse Trinité ». Autrement dit, la doctrine nicéenne. Et le décret ajoute que « ceux qui refuseront de s'y soumettre devront s'attendre à être l'objet de la vengeance divine, mais aussi à être châtiés par nous selon la décision que le Ciel nous a inspirée ».

Ces textes ne resteront pas lettre morte. « L'une des premières mesures de Théodose à son arrivée à Constantinople sera la convocation de l'évêque, un arien qu'il somme de "revenir à la vraie foi" ». Celui-ci refusant, l'empereur le condamne à l'exil et installe Grégoire de Nazianze sur le siège épiscopal de la capitale. » L’empereur ne se contente pas de mesures administratives. Il « envoie ses troupes à l'assaut des églises et des lieux de rassemblement ariens qui sont détruits, tandis que les ouvrages "hérétiques" sont brûlés. Car Théodose n'est pas homme de compromis. Ses ennemis sont les dissidents qui s'écartent de l'orthodoxie romaine – arianistes, donatistes, apollinaristes, etc. –, désormais en butte aux rigueurs de la loi. Au total, sous son règne, une quinzaine d'édits de persécution seront promulgués à leur encontre. » (Fr. Lenoir, Comment Jésus est devenu Dieu, Paris, 2010, p. 247-248). C’est ainsi que dans les dernières décennies du IVe siècle Théodose Ier régla le problème de l’arianisme.

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7. ...du moins dans les limites de l'Empire romain de son temps

Du moins dans les limites de l’Empire romain de son temps. Car Théodose n’avait pas fait disparaître pour autant l’arianisme. Des peuples entiers qui pénétrèrent plus tard dans l’empire romain, comme les Wisigoths, les Burgondes, les Vandales par exemple, étaient des chrétiens ariens. Convertis sur leurs lieux d’origine par des missionnaires chrétiens ariens, ils mirent beaucoup de temps à adopter le christianisme orthodoxe, « nicéen ». Chez les Francs, c’est vers 500 seulement que le roi Clovis, païen d’origine, l’adopta et l’imposa à son peuple. La conversion de Clovis marque certainement le « déclin de l’arianisme » (A. Boureau, Légende dorée, p. 1117, n. 5), mais le mouvement subsistera chez les Lombards d'Italie jusque dans la seconde moitié du VIIe siècle.

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B. Pharamond, premier « roi des Français ou de France »

 

Pharamond est apparu pour la première fois dans le fichier précédent (II, p. 89), avec le titre de promier roy des Franchois ou de Franche « le premier roi des Francs ou de France ». C'était en l'an 383 de l'Incarnation, lorsque, à la mort de Marcon, le duché de Gaule est censé avoir été transformé en royaume : « Alors ils [= les Gaulois/Sicambres] prirent Pharamond, le fils du duc Marcon, et le couronnèrent d’une couronne d’or et de pierres précieuses. Ce fut le premier roi des Français ou de France, et il régna onze ans ». Dans la chronologie de Jean, la transformation du duché en royaume se serait donc produite sous le règne de Gratien (mort en 386 de l'Incarnation).

Pharamond réapparaît ici, en II, p. 100, dans le récit des événements de l'an 389 de l'Incarnation : « Cette année-là, Pharamond, roi de France, rassembla de grandes forces et se mit à conquérir des terres en Allemagne pour les ajouter aux siennes. [...] Il rencontra peu de résistance ». Quelques pages plus loin, en II, p. 104, à la fin des notices traitant des Huns, donc vers 392-393 de l'Incarnation, Jean place Pharamond à la tête d'une coalition dont faisaient également partie ly conte de Flandre et de Lovay, et ly dus de Lotringe. Elle suffira à décourager les Huns qui se retirèrent. Le début du fichier suivant (II, p. 105) fera état de la mort de Pharamond en juillet 394 de l'Incarnation et de l'accession au trône de Clodion, son successeur, pour un règne de huit ans. Plus loin, en II, 143, dans ce qui se présente comme une sorte de synthèse ou de résumé de l'histoire des premiers rois francs, Pharamond est censé avoir donné à son peuple une forme déjà fort élaborée de législation, dont la loi salique.

Dans Ly Myreur, Pharamond apparaît donc comme un contemporain de Gratien, mort en 386 de l'Incarnation (II, p. 95), et de Théodose Ier, mort en 397 de l'Incarnation (II, p. 106). Dans l'Histoire, Gratien est mort en 383 et Théodose Ier en 395. En ce qui concerne les empereurs romains, on peut considérer que les dates de Jean correspondent globalement à celles de notre calendrier. Mais la présentation du chroniqueur place d'une manière précise et explicite le règne de Pharamond et les débuts du royaume de France (ou des Français) dans les deux dernières décennies du IVe siècle, sous Théodose Ier.

En procédant de la sorte, Jean s'est-il inspiré d'un modèle ou a-t-il agi de sa propre initiative ? La question de ses sources se pose.

En fait, Pharamond est inconnu de Grégoire de Tours et du pseudo-Frédégaire. Le Liber Historiae Francorum (I, 4, p. 243-244, éd. B. Krusch) est le premier texte suivi à présenter le motif de l'élection de Pharamond comme premier roi des Francs, mais il ne livre aucune précision de date : « Les Francs choisirent Faramond, son fils, et l’élevèrent au-dessus d’eux à la dignité de roi chevelu ». L'information sera reprise dans la suite. Selon Aimoin, « les Francs, suivant en cela la coutume des autres peuples, se glorifient d’un trône royal : ils se choisissent comme roi Pharamon, le fils de Marchomir » (I, 3, col. 640, éd. P.L.), mais le moine de Fleury, lui aussi, ne donne aucune précision chronologique. Il reste dans le flou. C'est vrai qu'il n'entend pas écrire une véritable chronique.

Ce n'est pas le cas de Sigebert de Gembloux dont la Chronographia, publiée en 1105, se présente, elle, sous l'aspect d'une véritable chronique, établie année par année à partir de 381 (fin du règne de Gratien). « À la mort de leurs ducs Sunnon et Marcomir, écrit-il, les Francs décident en commun d’avoir eux aussi un roi, comme les autres peuples. Ils se choisissent Pharamond, fils du duc Marcomir, comme roi. Il régna onze ans » (Chronographia, p. 307, l. 2-3, de l’éd.). Et pour la première fois dans l'histoire de l'évolution du motif apparaît une date précise : 419. Cest le seul événement qu'enregistre la notice de cette année. Celle de l'année précédente (418) en contenait plusieurs liés à l'empereur, notamment le traité par lequel il cédait l'Aquitaine aux Goths. Quant à celle de l'année suivante (420), elle était consacrée à des tensions liées à la consécration du pape Boniface et à des ordonnances de celui-ci excluant les femmes, même les religieuses, du service de l'autel. On ignore la provenance de cette date de 419 : Sigebert l'a-t-il trouvée quelque part ? L'a-t-il calculée lui-même et, si c'est le cas, sur quelle base ? On ne le sait. Quoi qu'il en soit, il date explicitement le règne de Pharamond de 419 à 430.

Cette date ne semble pas s'être imposée vraiment. Ainsi par exemple, les Grandes Chroniques de France, qui lui sont postérieures, que Jean d'Outremeuse semble d'ailleurs connaître et qui consacrent une partie du chapitre 4 de leur premier livre à Pharamonz li premiers rois de France, le créditent d'avoir changé le nom de la capitale (de Lutèce en Paris), d'avoir gouverné noblement le roiaume tant com il vesqui et d'être mort après un règne de vingt ans. Mais aucun élément du chapitre ne permet de dater le début ou la fin du règne de ce premier roi.

Dans ces conditions, on est assez tenté de croire que les dates que contient le Myreur sont dues à Jean d'Outremeuse. Notre chroniqueur aurait été mieux inspiré de suivre Sigebert qui fait de ce Pharamond un contemporain d'Honorius, mort en 423 de notre ère, plutôt qu'un contemporain de Théodose Ier, mort en 395, de notre ère toujours. Mais cela ne doit pas nous étonner. Nous avons évoqué plus haut distorsion chronologique caractéristique de l'histoire des Francs chez Jean d'Outremeuse. Elle peut atteindre plusieurs dizaines d'années, parfois plus d'un demi-siècle.

Disons un mot, pour terminer, sur la question de l'historicité de ce Pharamond.

S'il était encore considéré sous l'Ancien Régime comme le premier roi des Francs et l'ancêtre des Mérovingiens, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Certains y voient un personnage purement légendaire, d'autres pensent qu'il pourrait avoir une existence historique, mais qu'il n'aurait été qu'une sorte de « chef (dux) de Francs », comme les Marcomir, Sunno ou Genabaud, dont parle Grégoire de Tours. La question est secondaire, pour ceux qui, comme nous, s'intéressent essentiellement à l'évolution des différents motifs de l'historiographie médiévale.

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C. VARIA

 

1. Les Chroniques de Saint-Denis et la légende troyenne des origines des Francs (II, p. 100-101)

En II, p. 100, lorsqu'il arrive dans son récit à l'installation de Pharamond, premier roi de France, Jean d'Outremeuse fait une courte pause, qui a toutes les apparences d'un résumé du début d'une oeuvre dont il donne le nom : Les Chroniques de Saint-Denis. Son but semble clair. Il veut mettre sous leur garantie ce qu'il a écrit sur les origines lointaines des Francs. Si on le comprend bien, à l'exception de quelques dates, la version du Myreur concorderait avec celle des Chroniques de Saint-Denis. Que vaut cette affirmation ?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord expliquer ce que sont ces Chroniques de Saint-Denis.

Il s'agit d'une vaste compilation, entreprise sans doute sous le règne de Philippe II Auguste (1180-1223) et proposant l'histoire des rois de France à partir des origines. « Elles furent écrites à partir des chroniques latines réunies à l'abbaye de Saint-Denis et complétées au XIIIe siècle par les vies de Louis IX et de Philippe le Hardi. Au XIVe siècle commença la rédaction d'une nouvelle chronique en français, qui forma avec la traduction des textes antérieurs les Grandes Chroniques de France, imprimées à la fin du XVe siècle » (Larousse)

L'édition classique, fort intéressante parce qu'accessible directement sur la Toile, est celle de Jules Viard, Les Grandes Chroniques de France, publiées pour la Société de l'Histoire de France, 10 vol., Paris, 1920-1953 (cfr Gallica pour les 9 premiers ; Archive.org pour le dixième). Le premier volume, publié en 1920, va des origines à Clotaire II. Dans le Livre I, les quatre premiers chapitres abordent successivement les questions suivantes : I. Coment François descendirent des Troiens - II. De diverses opinions pourquoi il furent apelé François - III. Coment il conquistrent Alemaigne et Germanie et coment il desconfirent les Romains - IV. Coment et quant la cité de Paris fu fondée, et dou premier roi de France.

Pour l'histoire des Francs, des origines aux fils de Clovis, on dispose aussi aujourd'hui de l'édition/traduction de Nathalie Desgrugillers, Les grandes chroniques de France (576-1380). Texte original du manuscrit de Sainte-Geneviève. I. Origine des Francs. Clovis ; II. Les fils de Clovis, Clermont-Ferrand, 2011, 212 et 232 p. (L'encyclopédie médiévale).

Lorsqu'on confronte le texte du Myreur à celui des Grandes Chroniques de France, il est difficile de penser que Jean d'Outremeuse s'est réellement inspiré des Grandes Chroniques pour écrire la sienne. Non seulement l'organisation de la matière est totalement différente dans les deux oeuvres, mais on relève aussi des différences ponctuelles assez importantes. On n'en citera que deux : les Grandes Chroniques ignorent totalement le terme Anténorides, largement utililisé par Jean ; et, pour envisager le fondateur de Lutèce, l'Yborus du Myreur a peu de choses en commun avec celui des Grandes Chroniques. Les deux oeuvres ont certes beaucoup d'éléments communs, mais ils s'expliquent par leur communauté de sources. On sait depuis longtemps que dans son récit sur les origines des Francs, l'auteur des Grandes Chroniques se base sur Aimoin, source également de Jean d'Outremeuse. Ce qui est plus vraisemblable, c'est que le chroniqueur liégeois a rencontré les Grandes Chroniques après avoir rédigé son Myreur, et qu'il a constaté un indiscutable rapport entre les deux oeuvres

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Cela dit, on rencontre un peu plus loin dans le Myreur un passage (II, p. 143-144) qui présente des caractéristiques formelles assez proches du nôtre, à savoir une sorte de résumé comportant toutefois des ajouts. À cet endroit (II, p. 142-144), le chroniqueur traite de Pharamond et des rois francs qui lui ont succédé. On a nettement l'impression de se trouver en présence de la suite du passsage des pages II, 100-101, qui résumait la légende troyenne des origines des Francs et qui se terminait par Pharamond. Des deux côtés (II, p. 100-101 et II, p. 143-144) Jean semble avoir utilisé une autre source d'information. Ne pourrait-il pas s'agir là aussi (II, p. 143-144) des Chroniques de saint-Denis ?  

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2. Saint Augustin (II, p. 101)

Jean d'Outremeuse confond Augustin d'Hippone et Augustin de Cantorbéry. Le premier et le plus ancien (354-430) est le Père de l'Église latine, évêque d'Hippone, et auteur notamment de La Cité de Dieu et des Confessions. Romain d'Afrique, il est né d'un père païen et d'une mère chrétienne (sainte Monique). Professeur d'éloquence et resté longtemps en dehors de l'Église, il se convertit en 387 sous l'influence d'Ambroise de Milan et devint évêque d'Hippone en 396. Il meurt en 430 dans cette ville, alors assiégée par les Vandales (cfr II, p. 138). Le second, Augustin de Cantorbéry, né à Rome dans le premier tiers du VIe siècle, est un moine bénédictin qui sera le chef de la mission envoyée par le pape Grégoire le Grand pour convertir les Anglo-Saxons. Il deviendra le premier archevêque de Cantorbéry en 597 et mourra dans cette ville entre 604 et 609. Il est considéré comme « l'apôtre des Anglais » et l'un des fondateurs de l'Église anglaise. Son ministère est principalement connu grâce à l'Histoire ecclésiastique du peuple anglais de Bède le Vénérable, rédigée au début du VIIIe siècle. On notera que deux siècles (396 pour l'un ; 597 pour l'autre) séparent leur accession au trône épiscopal. Une erreur surprenante pour un chroniqueur si soucieux en général de chonologie. On trouvera dans le Myreur nombre d'autres mentions de l'évêque d'Hippone : en I, p. 3 (source), p. 83 (école grecque qu'il dirige à Rome), p. 84 (son église à Rome), p. 496 et p. 498 (deux citations) ; en II, p. 78-79 (martyre de chrétiens), II, p. 433-434 (ses ossements transportés à Pavie), mais peu de mentions de l'archevêque de Canterbéry (II, p. 199 et II, p. 280).

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3. Prudence (ans 390-391)

En ce qui concerne les ouvrages écrits par des personnages importants, Jean parle de Prudence (en II, p. 102) : « En l’an 391, le dernier jour de mars, naquit l’illustre poète Prudence, qui a traité de la bataille opposant les vertus et les vices ». C'est un poète latin chrétien (348-vers 415 de notre ère), auteur de deux livres Contre Symmaque, dernier défenseur du paganisme, et de la Psychomachie, un poème allégorique présentant le combat entre les vices et les vertus, qui fut fort en vogue au Moyen Âge. Ici encore, en ce qui concerne la date de naissance du poète, l'écart entre la chronologie de Jean et la nôtre est considérable.

 

4. Le pape (Sirice, II, p. 95, p. 102 et p. 107 - pape de 384 à 399 de notre ère) et l'affaire de Thessalonique

Sa désignation en II, p. 95 pour remplacer le pape Damase (l'index Bormans parle aussi, à propos de II, 95, d'une réunion d'un concile à Constantinople, et de statuts, mais ce doit être une erreur). -- Second renvoi à II, p. 102, avec la mention de Bormans : "il réunit un concile à Rome." Ce qui fait allusion au texte de JOM : " Quand le pape apprit le massacre ordonné par Théodose I [en 390 de notre ère), il réunit en concile à Rome tous les évêques et prélats de l’empire, en expliquant aux participants pourquoi l’empereur avait ainsi persécuté les chrétiens (II, p. 102). -- Dernière mention chez Bormans : il meurt en II, p. 107.

Il doit y avoir une erreur à propos de ce concile qui aurait été réuni à Rome par le pape sur l'épisode de Thessalonique (qui est Sirice dans le récit par Jean de l'épisode de Thessalonique) (II, p. 101). Il semble en effet que ce soit Ambroise de Milan qui ait joué le grand rôle dans cette affaire et non pas le pape Sirice. Ce dernier, par ailleurs, durant son pontificat, a réuni plusieurs conciles importants. Wikipédia en signale deux à Rome (386 et 392), et un à Capoue (392). Ils n'ont rien à voir avec l'épisode de Thessolonique. Ceux de Rome concernaient, le premier, la nécessité d'une enquête préalable sur les candidats aux ordres, le second, condamnait le moine Jovinien, qui niait la virginité de Marie, et récusait la vie de célibat et de chasteté. La condamnation de Théodose n'a d'ailleurs (je crois) pas été décidée dans un quelconque concile.

À voir sur le pape Sirice la notice de Martin, Chronique, p. 417, l. 15-33, Weiland. Elle fait bien mention d'un important synode (315 évêques !!!) que Sirice aurait réunis, mais c'était à Constantinople (!!!). Par ailleurs cette notice parle de saint Jérôme et de ses traductions, de Rufin d'Aquilée, de la matrone Paula et de sa fille à Jérusalem, du moine Arsène de Rome : ex senatore factus monachus et qui per 40 annos in heremo vixit, et d'un enfant à eux à deux poitrines et deux têtes, et enfin de Jean Chrystostome. Une addition traite d'Orose, d'une ordonnance pontificale et de sa sépulture.

 

5. Alaric, roi des Goths, (II, p. 92, dans la vie de saint Servais)

« Ce roi avait entendu dire que les Huns dévasteraient l’empire romain et avait quitté son pays pour aider les Huns dans leur entreprise. » (Athalaric rex Gothorum, chez Gilles d'Orval, M.G.H., p. 22 ; cfr aussi Geste de Liège, 4928ss. Le nom d'Alaric est manifestement porteur. Bormans signale dans son index s.v° Alaric : « père d'Alafis, roi de Goths ; il aide les Huns contre les Romains (II, p. 110-111) ; tué à Orléans (II, p. 120) ». Cette notice des p. 110-111 est une sorte de synthèse-résumé, faisant état de divers rois des Goths.

Un dernier Alaric est encore cité dans l'index : « neveu de Béodas, roi d'Espagne et de Gothie, duc d'Aquitaine ; il secourt Rome contre les Danois et les Hongrois (II, p. 152) ; il conquiert l'Auvergne (II, p. 153) ; attaqué par Clovis (II, p. 161) ; tué à Vouglé (II, p. 161) ; étendue de son royaume (II, p. 163). » Ce troisième Alaric est probablement Alaric II.

 

6. SIcambres, Sicambrie, Yborus (II, p. 100)

On ne trouve de date précise pour la fondation de Sicambrie, ni ici, en II, p. 100, ni en I, 28, mais en I, 20, la destruction de Troie est datée par Jean de 1180 a.C.n. Le voyage d'Anténor, depuis Troie jusqu'en Germanie, a dû être fort long puisqu'il est passé par la Sicile, l'Afrique, le Palus-Méotide et - peut-être aussi - la Pannonie. En tout cas, la suite du récit montre que les descendants d'Anténor ont vécu au moins 225 ans en Sicambrie, avant d'émigrer en Gaule avec leur prince Yborus conduisant un groupe de 80.000 hommes. On notera que le texte ne précise pas si tous les habitants de Sicambrie sont partis avec Yborus ou si l'émigration n'a frappé qu'une partie de la population. Dans ce cas, des Sicambres seraient restés en Germanie. À cet endroit de la présente notice, on n'envisage pas un changement de nom des Anténorides en Sicambres, ce qui est supposé infra et dit explicitement ailleurs.

À propos d'Yborus et de la fondation de Lucèce en II, p. 100, on pourrait rappeler la notice de Myreur, I, p. 46, où Jean raconte aussi la fondation de Lutèce/Paris ex nihilo, sur terre vierge, par Yborus, duc de Gaule, séduit par l'endroit. Mais le récit de Jean en I, p. 46, est très différent. Son Yborus ne semble rien avoir de commun avec l'Yborus, chef de quelque 80.000 Anténorides/Sicambres qui avaient quitté leur ville fondée longtemps auparavant par le Troyen Anténor. Par ailleurs, la notice de I, p. 46, ne fait pas la moindre allusion aux Sicambres. En I, p. 46, l'opération est datée avec précision (888 a.C.n.), ce qui correspond grosso modo à la formule utilisée en I, p. 100 pour dater l'oeuvre de l'Yborus Sicambre : « ce fut bien neuf cents ans avant l'Incarnation ».

L'emploi du mot « Sicambres » (fin II, p. 100/début p. 101) est un peu ambigu. Faut-il comprendre que si les Sicambres de Gaule (qui demoront en Galles dedont en avant) étaient si puissants et apparaissaient seuls capables de battre les Alains, c'est qu'ils étaient étroitement apparentés aux Sicambres « des origines », ceux qui tenoient encor le fort paiis de Sycambre, oultre les Palus-Meotides ? Selon l'auteur de ce texte, au IVe siècle de notre ère on aurait donc encore pu trouver des Sicambres sur leurs territoires d'origine : ils ne seraient pas tous partis avec Yborus en 888 a.C.n.

Quid maintenant de l'origine du mot « franc » ? Le texte dit clairement que les Sicambres furent appelés Francs « parce qu’ils furent libérés et affranchis de leur tribut ». C'est là un épisode que le chroniqueur liégeois a raconté précédemment en long et en large. Et le rapport entre « Francs » et « affranchis » est évident. La suite l'est moins, où l'on nous dit qu'en grec, le mot « franc » correspond à : crueux (« cruel »), etc.

 

7. Gondicaire (II, p. 104)

Le Gondicaire historique « fut tué lors d'une bataille livrée contre des mercenaires huns à la solde du général en chef romain Aetius en 437 : cfr Gundicarium Burgundionum regem Aetius bello subegit pacemque ei reddidit supplicanti, quem non multo post Hunni deleverunt (Cassiodore, Chron., ad. a. 435.) »

 


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