Jean d'Outremeuse, Myreur DES HISTORS, II, p. 9b-17a

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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SÉVÈRE ALEXANDRE ET GORDIEN - AFFAIRES DE L’ÉGLISE - Divers

Ans 230-241 de l'Incarnation


 

Texte et traduction

 


La très longue Geste de Valentin, Thomas et Clodas s’était clôturée, assez brusquement, à la fin du fichier précédent (II, p. 1-9). Le début du présent fichier (II, p. 9-10) apparaît comme une sorte d’épilogue, marquant la transition vers les opérations militaires de Sévère Alexandre en Perse. Elles expliquent en effet pourquoi Rome et la Perse n’avaient pas répondu à la demande d’aide lancée par Tibérius de Carthage (II, p. 9). Les Romains ne l’avaient jamais reçue parce que les messagers avaient fait naufrage. Les Perses, eux, en avaient bien été informés, mais ils n’avaient pas voulu venir secourir des alliés de Rome. Ce refus, qui irrite profondément Sévère Alexandre, est à l’origine de l’expédition qu’il décide de lancer vers la Perse et au cours de laquelle il trouvera la mort en 235 de l'Incarnation. La date de 235 est conforme à celle de l'Histoire, mais le récit qu'en donne Jean et qui va occuper une partie du présent fichier ne l'est pas.

Quoi qu'il en soit, et pour en revenir aux réalités historiques, la mort de Sévère Alexandre ne met pas seulement fin à la dynastie des Sévères. Elle ouvre également dans l’histoire de l’Empire romain une crise politique et militaire de grande ampleur qui durera plus de trente ans et qui ne se terminera qu’avec Aurélien, empereur de 270 à 275 de notre ère. Pendant cette période sombre, des régions entières ont échappé au pouvoir central. On voit ainsi apparaître, à côté d’une autorité officielle et légitime, des « usurpateurs », c'est-à-dire des généraux ayant sous leurs ordres un nombre important de légions qui prennent le contrôle de vastes territoires et qui vont jusqu'à se proclamer empereurs. À certains moments, l’Empire romain connut ainsi plusieurs empereurs en même temps. On comprend pourquoi cette période de 235 à 270 de notre ère est parfois désignée par l’expression d’« anarchie militaire ».

Le présent fichier (II, p. 9-17) et le suivant (II, p. 17-26) couvrent les événements qui se sont déroulés durant les seize premières années d’« anarchie militaire » ; c'est-à-dire de la mort de Sévère Alexandre (235 de notre ère) à celle de Dèce (251 de notre ère). Le règne d'Aurélien (270-275), l'empereur qui mettra fin à ces sombres années, sera présenté plus loin encore, dans le fichier II, p. 26-37. Le présent fichier ne traite que de Sévère Alexandre et de Gordien, son premier successeur.

Les Notes de lecture tenteront d'abord de proposer une vue d'ensemble de l'histoire de l'Empire romain et de ses empereurs, en la comparant à la vision (généralement déformée ou imaginée) qu'en donne le chroniqueur liégeois. Elles s'intéresseront ensuite à quelques aspects de l'histoire de l'Église, de sa doctrine et de ses papes, avant d'aborder deux varia, l'un, important, comme l'équivalence entre Gaulois et Sicambres chez Jean d'Outremeuse (II, p. 13), l'autre, très secondaire, comme les notices sur les successions en Flandre et à Louvain. Un plan plus détaillé figurera en tête du fichier.

 

[Vers les Notes de lecture]

 


 

 

Sommaire

 

Sévère Alexandre, empereur de Rome, contre les Perses (230-231)

Succession à Louvain - Origène à Alexandrie - À Rome, les papes Urbain et Pontien, martyrs (231-232)

Sévère Alexandre soumet Barbadas et la Perse - Origène et saint Jérôme - Succession en Flandre (232)

Sévère Alexandre en Bourgogne et en Gaule - Défait par Marcon de Gaule, il se rend en Allemagne, est battu à Aix et se replie à Mayence (233-235)

* Marcon de Gaule et les Allemands contre Sévère Alexandre à Mayence - Succession à Louvain (235-236)

Sévère Alexandre est tué à Mayence par le duc de Gaule, qui a déjoué sa ruse - Son corps est ramené à Rome - Gordien successeur de Sévère Alexandre (236)

Digression : Témoignages d’Eusèbe et de Jérôme sur Origène, sa vie et sa doctrine

Gordien vaincu par les Perses rentre à Rome - Mortalité en Égypte (237)

Successions papales (Pontien, Cyriaque) - Les onze mille vierges (238)

Succession à Louvain - Meurtre de Gordien et avènement de Maximin à Rome (239-240)

Les papes Antère et Fabien (240-241)

 

 

Sévère Alexandre, empereur de Rome, contre les Perses (230-231)

[II, p. 9] Adont mandat ly roy de Cartage à l'emperere de Romme chu qu'ilh ly estoit avenus, et comment ilh l'avoit mandeit à Romme, sy n'estoit mie venus ; et ly mandat encors chu que ly roy de Persie avoit respondut aux messagiers, que ilh avoit à luy envoiet por avoir de luy sourcour. Quant ly emperere de Romme Alixandre entendit ches novelles, si fut mult corochiés de chu que ly roy de Persie avoit dit et respondut ; si assemblat ses oust et se montat sour mere l'an IIc et XXX, en mois de marche.

[II, p. 9] Alors le roi de Carthage fit savoir à l’empereur de Rome (Sévère Alexandre) ce qui lui était arrivé, qu’il avait fait appel à Rome, mais que Sévère Alexandre n'était pas venu. Il lui fit aussi savoir ce que le roi de Perse avait répondu aux messagers envoyés pour lui demander de l’aide (cfr II, p. 9). Quand l’empereur de Rome entendit ces nouvelles, il fut très irrité de ce qu’avait dit et répondu le roi de Perse. Il rassembla ses armées, et prit la mer en mars 230.

[II, p. 10] [Grant guerre entre l’emperere et le roy de Persie] Et arivat droit en Alixandre, et là fist-ilh martirisier sens nombre de cristiens. Et puis entrat en son chemien, et n'arestat ; se vint en la terre de Persie, si le commenchat à ardre et destruire, et les gens ochire, et citeis et casteals abattre. Et quant ly roy de Persie le soit, si assemblat ses gens et vint contre ly ; et oit à ly batalhe l'an deseurdit, en mois de novembre le XIIe jour, en laqueile bataille ilh fut ochis VIm Persiens, et en fut ly roy ochis. Adont furent les Persiens desconfis, sy s'enfuirent, et ly emperere les cachat, sy en ochist asseis en cachant. Puis assegat ly emperere la citeit de Tourmentine, et y seit IIII mois, et puis le gangnat le secon jour d'avrilh, l'an IIc et XXXI.

[II, p. 10] [Grande guerre entre l’empereur et le roi de Perse] L’empereur arriva directement à Alexandrie où il fit martyriser d’innombrables chrétiens. Puis il prit la route et ne s’arrêta qu'en terre de Perse qu’il se mit à incendier et à dévaster, tuant les gens et abattant les châteaux-forts. À cette nouvelle, le roi de Perse rassembla ses gens et marcha contre lui. Le 12 novembre de l’an susdit [230] se déroula entre eux une bataille, au cours de laquelle furent tués six mille Perses dont le roi. Les Perses défaits s’enfuirent, pourchassés par l’empereur qui en tua beaucoup lors de la poursuite. Ensuite, l’empereur assiégea durant quatre mois la cité de Tourmentine qu’il conquit le 2 avril de l’an 231.

[L’emperere conquist chi mult de paiis] Puis soy partit et allat assegier la citeit de Formacie, qui mult astoit forte, et durat li siege VI mois ; puis le rendirent en mois de septembre, se les prist ly emperere à merchis. Apres assegat l'emperere la citeit de Barbadas, et fist là tendre ses trefs ; chi siege durat plus de XV mois, car ilh estoit bien garnie et estoit forte et plaine de bonnes gens d'armes.

[L’empereur conquit là beaucoup de terres] Puis l’empereur partit et alla assiéger la cité de Formacie, qui était très fortifiée. Après six mois de siège, en septembre, les habitants se rendirent et l’empereur leur fit grâce. Ensuite, l’empereur assiégea la cité de Barbadas, où il fit dresser ses tentes. Ce siège-là dura plus de quinze mois, car la cité était bien défendue, fortifiée et remplie de guerriers bien armés.

 

Succession à Louvain - Origène à Alexandrie - À Rome, les papes Urbain et Pontien, martyrs (231-232)

[p. 10] [Adrien le VIIe conte de Lovay] En cel an, en mois d'octembre, morut Andriens, ly VIIe conte de Lovay ; si regnat apres luy son fis Ludovis V ans.

[p. 10] [Adrien, septième comte de Louvain] En octobre de cette année [231], Adrien, septième comte de Louvain mourut. Son fils Louis lui succéda cinq ans.

[Origenes tient les escolles en Alixandre] En cel an, en mois de decembre, fuit fais maistre des escolles d'Alixandre Origenes, qui adont estoit de mult gran nom par tout le monde. Chis Origene tenoit les escolles de la divine Escripture. A cel temps estoit la mere Alixandre l'emperere en la cité d'Antyoche ; sy oiit parleir de la grant science que Origenes avoit, si le mandat pardevant lée por oiir sa parolle. Et Origenes y alat et parlat asseis à la damme, et tant que la damme fut mult edifiiée en brief temps par les parolles Origenes

[Origène dirige les écoles à Alexandrie] En décembre de cette même année [231], Origène devint le maître des écoles d’Alexandrie. Il jouissait d’un très grand renom partout dans le monde. Cet Origène dirigeait les écoles de la divine Écriture. À cette époque, la mère de l’empereur Sévère Alexandre (Mammée) vivait à Antioche. Elle entendit parler de la grande science d’Origène et le fit venir devant elle pour l’entendre. Origène se rendit à son appel et ils se parlèrent longtemps ; elle fut rapidement très édifiée par ce qu’il disait (cfr II, p. 11).

[De sains Urbain pape qui morut, et ses vertus, et qu’il fut décoleis awec sainte Cecile et pluseurs altres] Item, l'an II et XXXII, le XXVe jour de may, morut ly pape sains Urbain : chis sains Urbain fut de noble lignie, et fut cristin de son enfanche, de grant vertus et de caste vie. Et al derain Valeriain, le marit sainte Cecile, et Tyburtien son frere, et sainte Cecile oussy, furent tous decolleis awec sains Urbain, et furent ensevelis desous I alteit. Et adont fut troveis sains Maximiien, qui estoit leur compangnon ; sy fut martirisiet et ensevelis awec eaux.

[Le pape saint Urbain : sa mort, ses vertus, sa décapitation avec sainte Cécile et plusieurs autres] En l’an 232, le 25 mai, mourut le pape saint Urbain. Il était de noble lignée, chrétien depuis l’enfance, de grande vertu et menant une vie chaste. Valérien, le mari de sainte Cécile, son frère Tiburce, ainsi que sainte Cécile elle-même, furent tous décapités en même temps que saint Urbain et ensevelis sous un autel. On mit aussi la main sur saint Maximien, qui était leur compagnon : il fut martyrisé et enseveli avec eux.

[Promier que l’Englise commenchat à possideir biens heretable] A temps de chis sains Urbain, commenchat ly Engliese promier à possideir biens heretable. De quoy sains Urbain les clers et les notaires, qui escrioient les giestes des [II, p. 11] martires, paioit leur salair et despens ; car en devant vivoit li Engliese al manere des apostles.

[Pour la première fois, l’Église commença à posséder des biens] Au temps de saint Urbain, l’Église commença à posséder des biens qui pouvaient se transmettre par héritage. Cela permit à saint Urbain de payer les salaires et les frais des clercs et des notaires qui rédigeaient les gestes des [II, p. 11] martyrs. Avant cette date, l’Église vivait à la manière des apôtres.

À la manière des apôtres : Martin (Chronique, p. 413, éd. L. Weiland), dans sa présentation du pape Urbain, précise : pecuniam tantum recipiens pro egenis (« ne recevant de l'argent que pour aider les indigents »)

[Poncianus, le XIXe pape] Apres la mort sains Urbain, vacat ly siege XXVIII jours ; et apres le XXIIIe jour de junne fut consacreis à pape I sains proidhons qui fut nomeis Poncianus, de la nation de Romme ; et tient le siege V ans II mois et VII jours.

[Pontien, dix-neuvième pape] Après la mort de saint Urbain, le siège resta vacant vingt-huit jours, puis, après le 23 juin, fut sacré pape un saint homme, appelé Pontien, originaire de Rome. Il occupa le siège durant cinq ans, deux mois et sept jours (cfr II, p. 15).

 

Sévère Alexandre soumet Barbadas et la Perse - Origène et saint Jérôme - Succession en Flandre (232)

[II, p. 11] En cel an, en mois de may, fist ly emperere Alixandre assalhir la citeit de Barbadas devant laqueile ilh seioit, et à cel assault ne conquist riens ; ains ilh y perdit IIIc hommes ; sy lassat l'assault et retrahit ses gens aux trefs.

[II, p. 11] En mai de cette année [232] l’empereur Sévère Alexandre lança l’assaut sur la cité de Barbadas qu’il assiégeait, mais sans rien conquérir. Il perdit trois cents hommes, renonça à l’attaque et ramena ses gens dans les tentes.

[Origenes fut ordineis preistre] En cel an, en mois d'awost, soy partit Origenes de Antyoche et s'en allat vers Alixandre en Egypte, où ilh governat les escolles ; si passat parmi la citeit de Cesair, et là se fit-ilh ordineir à priestre. Apres revint en Alixandre, et commenchat à faire pluseurs beaux libres, por les Escriptures miés et plus parfaitement expoiseir et entendre.

[Origène fut ordonné prêtre] En août de cette année, Origène quitta Antioche pour se rendre à Alexandrie, en Égypte, où il dirigea les écoles. Il passa par la cité de Césarée, où il fut ordonné prêtre. Arrivé à Alexandrie, il se mit à écrire beaucoup de beaux livres, afin d’exposer plus parfaitement les saintes Écritures et de les faire mieux comprendre.

[Origenes avoit toudis VII escrivens qui scrisoient chu qu’ilh leur disoit] Et sy avoit Origenes toudis VII escrivens qui ne faisoient aultre chouse fours que escrires chu que ilh leur disoit. Et fist tant de libres que chu fut grant mervelhe ; desqueis les pluseurs furent, longtemps apres sa mort, condampneis en plain conciele en la citeit de Alixandre, por les grandes erreurs qui furent dedens troveis encontre la foid catholique.

[Origène avait toujours sept scribes pour écrire ce qu’il leur disait] Origène avait toujours sept scribes, qui ne faisaient rien d’autre qu’écrire ce qu’il leur disait. Il composa un nombre prodigieux de livres. Plusieurs d’entre eux, longtemps après sa mort, furent condamnés, en plein concile, dans la cité d’Alexandrie, parce qu’on y trouva de grandes erreurs à l’encontre de la foi catholique.

[Sains Jerome dist] Et dist sains Jerome enssi : « Nuls ne dist miés que Origenes en tous lieu où ilh vout bien dire, et nuls oussy ne dist pies en lieu où ilh vuet mal dire. »

[Parole de saint Jérôme] Saint Jérôme dit : « Personne ne parle mieux qu’Origène, partout où il veut bien parler ; et personne aussi ne parle plus mal que lui là où il veut mal parler. » (cfr II, p. 113 et II, p. 14-15)

[L’emperere at desconfis les Persiens] En cel an, en mois de septembre, issirent les Persiens fours de leur citeit, sy corurent sus les Romans ; se perdirent les Romans mult de gens, mains al derain furent les Persiens desconfis. En cel batalhe perdirent les Romans VIm hommes, et les Persiens IXm ; mains ilh estoit tant des Romans que la perde n'y aparut.

[L’empereur défait les Perses] En septembre de cette année [232], les Perses sortirent de leur cité [Barbadas] et affrontèrent les Romains, qui perdirent énormément d’hommes. Finalement, les Perses furent défaits. Dans la bataille, les Romains perdirent six mille hommes et les Perses neuf mille, mais les Romains étaient si nombreux que leurs pertes n’étaient pas sensibles.

[De conte de Flandre] En cel an morut Prian, le conte de Flandre ; si fut conte apres luy son fis Salomon, lyqueis regnat XXXII ans.

[Le comte de Flandre] Cette année-là [232] mourut Priam, le comte de Flandre (cfr I, p. 582) ; son fils Salomon lui succéda et régna trente-deux ans.

[L’emperere mist en tregut les Persiens] En cet an, en mois de novembre, le XXVIe jour, soy rendirent les Persiens, eaux et leur citeit, sauf corps et avoir, à l'emperere. Et ilh les prist à merchi, si les mist en sa subjection par tregut, et en fist roy de I sien cusin, fis de sa soreur Edea, et oit nom Nerva.

[L’empereur soumit les Perses au tribut] Cette année-là, le 26 novembre, les Perses se rendirent, eux et leur cité, sauf corps et biens, à l’empereur. Celui-ci les épargna, se contentant de leur imposer le tribut et d’installerà leur tête comme roi un de ses cousins, fils de sa sœur Edea, appelé Nerva.

 

Sévère Alexandre en Bourgogne et en Gaule - Défait par Marcon de Gaule, il se rend en Allemagne, est battu à Aix et se replie à Mayence (233-235)

[II, p. 11] Item, l'an IIc XXXIII, revint li emperere Alixandre à Romme, et rentrat en la citeit le XVIe jour de junne. Adont fist ly emperere logier tout ses gens à Romme, et reposeir [II, p. 12] I mois.

[II, p. 11] En l’an 233, l’empereur Sévère Alexandre revint à Rome. Il rentra dans la ville le 16 juin, y installa tous ses hommes et leur accorda un [II, p. 12] mois de repos.

Et apres soy mist l'emperere Alixandre en son chemien, sy entrat en Borgongne et le destruit grandement, tout en allant sens atargier, portant qu'ilh creioient en Jhesu-Crist, et nient por aultre chouse ; car ilhs paioient bien leur tregut tos les ans, enssi com ilh le devoient payer.

Puis Alexandre reprit la route et pénétra en Bourgogne, y causant au passage beaucoup de dommages, mais sans s’attarder en chemin. Il agissait ainsi pour la seule raison que les Bourguignons croyaient en Jésus-Christ, car ils payaient bien leur tribut, tous les ans, comme ils devaient le faire.

[Marcones, dus de Galle, at desconfis les Romans] Puis passat oultre ly emperere, sy entrat en Galle en la terre le duc Marcones. Mains quant ly dus le soit, se vint contre luy à grans gens et le corit sus. En cel batalhe perdirent les Romans XIm hommes et les Sycambiens IIm ; et fut ochis Madaros, ly fis l'emperere, et XIIII des plus grans senateurs de Romme. Et furent les Romans desconfis, et soy retrahirent arier ; et s'en allerent vers Allemangne, sy lasserent Galle, car ilh disoient que ch'astoient dyables en Galle, car nus ne poioit dureir contre eaux en batalhe.

[Marcon, duc de Gaule, défait les Romains] Après avoir traversé la Bourgogne, l’empereur pénétra en Gaule, sur les terres du duc Marcon. Quand le duc l’apprit, il marcha contre l’empereur et l’attaqua avec des forces nombreuses. Dans la bataille, les Romains perdirent onze mille hommes et les Sicambres deux mille ; Madaros, fils de l’empereur, et quatorze des sénateurs les plus importants de Rome furent tués. Les Romains vaincus reculèrent et, délaissant la Gaule, allèrent en Allemagne, disant que, en Gaule, il y avait des diables, et que nul ne pouvait leur résister au combat.

Adont revint ly dus Marcones à Lutesse ; se prist conselhe à ses gens, qui ly conselharent qu'ilh en alast apres l'emperere, et se soy vengast de luy. Enssi fut-ilh fais que je devisse. Si assemblat ly dus Marcones ses gens tant que ilh en oit bien XLm, et s'en allat chevalchant apres l'emperere.

Le duc Marcon revint à Lutèce. Il consulta ses gens, qui lui conseillèrent de poursuivre l’empereur et de se venger de lui. Et il fut fait comme je le raconte. Le duc Marcon rassembla ses hommes, au moins quarante mille, et chevaucha à la poursuite de l’empereur.

[Alixandre l’emperere assegat Aise en Allemangne - IIc XXXIIII] Et ly emperere et ses gens chevalchont tant, qu'iIh sont venus à Aise, en Allemangne. Adont ly emperere Alixandre assegat Aise et y seyt pres de VI mois, dont ly roy d'Allemangne en estoit roy, qui estoit nommeis Panter, qui en fut corochiés. Et fut fais chi siege l'an IIc XXXIIII, le XXIIe jour de junne. Et faisoit sovens l'emperere assalhir la citeit, mains ilh n'y poioit riens conquesteir, car ches qui estoient dedens soy defendoient gentiment.

[L'empereur Sévère Alexandre assiège Aix en Allemagne - An 234] De leur côté, l’empereur et ses soldats avaient chevauché jusqu’à Aix, en Allemagne, ville qu’Alexandre Sévère assiégea près de six mois. Le roi d’Allemagne, nommé Panter, qui était aussi roi d’Aix, s’en irrita beaucoup. L’assaut (définitif) eut lieu en l’an 234, le 22 juin. L’empereur romain lançait souvent des attaques contre la ville, mais sans pouvoir rien conquérir, car ceux qui étaient à l’intérieur se défendaient fort bien.

[Marcones, ly dus de Galle, desconfist les Romans devant Aise] A chi jour que je vos dis, quant li siege avoit dureis VI mois, vint ly dus Marcones de Galle à Aise, ons ly avoit dit que li emperere estoit. Quant l'emperere soit que ly dus de Galle venoit, se le dobtat, se fist ses gens armeir et vint contre les Sycambiens ; sy oit batalhe à eaux le XXVIe jour de marche, l'an IIc XXXV. Là oit si grant batalhe que onques les Romans ne furent enssi desconfis com ilhs furent à chest fois ; car en ladit batalhe ilhs perdirent bien XVIIm hommes, et les Sycambiens n'en perdirent que IIIc.

[Marcon, le duc de Gaule, défait les Romains devant Aix] En ce jour dont je vous parle, après un siège qui avait duré six mois, le duc Marcon de Gaule arriva à Aix, où se trouvait, lui avait-on dit, l’empereur romain. Celui-ci, informé de l’arrivée du duc de Gaule, eut peur ; il fit s’armer ses gens et marcha contre les Sicambres. La bataille eut lieu le 26 mars 235. Elle fut si importante que jamais les Romains ne connurent pareille défaite ; ils perdirent au moins dix-sept mille hommes, contre trois cents seulement chez les Sicambres.

Adont s'enfuit l'emperere et n'arestat, se revint à Maienche, et là sourjournat-ilh por luy à repoiseir ; mains ilh ly vasist mies qu'ilh fust aleis en Indre le Maiour, enssi com vos oreis chi-apres.

L’empereur prit alors la fuite et ne s’arrêta qu’à Mayence, où il séjourna pour se reposer. Il aurait mieux valu pour lui être allé en Inde la Grande, comme vous l’entendrez ci-après (cfr II, p. 14).

 

Marcon de Gaule et les Allemands contre Sévère Alexandre à Mayence - Succession à Louvain (235-236)

[II, p. 13] Et quant les barons qui estoient dedens Ays veirent la batalhe desconfit, sy sont fours yssus et vinrent al duc Marcones, sy ly ont grandement remerchiet de son socour, et ly ont dit et presenteit que ilh prende en leur pays tout chu que mestier ly estoit : et ly ont presenteit mult de nobles joveals, et ly ont dit que tout est à son commandement. Adont dest ly duc que jamais n'aresteroit, s'auroit troveit l'emperere, car ilh moroit en la paine ou ilh l'ochiroit.

[II, p. 13] Quand les barons qui se trouvaient dans Aix virent la défaite des Romains, ils sortirent de la ville et vinrent auprès du duc Marcon, qu’ils remercièrent vivement pour son aide. Ils lui proposèrent de prendre dans leur pays tout ce dont il avait besoin, lui offrirent en présent un grand nombre de joyaux précieux, disant que tout était à ses ordres. Le duc dit alors qu’il ne s’arrêterait qu'après avoir trouvé l’empereur : il mourrait à la tâche ou le tuerait.

Adont soy partit ly duc et ses barons awec luy ; et ont tant chevalchiet que ilh ont encontreit XII Romans, que ly emperer envoioit à Romme por avoir sorcour. Quant ly dus veit les Romans, se les cognuit mult bien ; se les fist prendre et dest que ilh les ochiroit, se ilhs ne ly disoient novelle de l'emperere.

Le duc s’en alla avec ses barons ; ils chevauchèrent jusqu’à ce qu'ils rencontrent douze Romains que l'empereur envoyait à Rome pour demander du secours. Quand le duc les vit, il les identifia parfaitement, les fit arrêter et dit qu’il les tuerait, s’ils ne le renseignaient pas sur leur empereur.

Quant les Romans entendirent chu, se ly ont dit, pour leur vie salveir, que ly emperere estoit à Maienche, et que ilh les envoioit à Romme por ameneir le socour. Et quant ly dus entendit chu, sy en fut mult liies ; se fist coupeir les tiestes des XII chevaliers romans, portant que ilh ne voult mie que ly socour venist.

À ces mots, les Romains, pour sauver leur vie, dirent que l’empereur était à Mayence et qu’il les envoyait à Rome pour en ramener des secours. En entendant cela, le duc fut très satisfait. Il fit couper la tête des douze chevaliers romains, car il ne voulait pas voir arriver des secours.

[Ly duc de Galle assegat l’emperere dedens Maienche, et le conquist] Adont s'en alat ly dus Marcones à banier desploiié et n'arestat, se vint à Maienche ; mains quant l'emperere le soit, se fist la citeit fermeir. Et ly dus l'assegat, et jurat que ilh ne s'en partiroit se auroit la vilhe prise, ou ilh seroit ochis.

[Le duc de Gaule assiégea l’empereur dans Mayence et s’empara de lui] Alors le duc Marcon se mit en route, bannières déployées, et ne s'arrêta qu'à Mayence. En apprenant la nouvelle, l’empereur fit fermer la cité. Le duc l’assiégea et jura qu’il ne partirait pas avant la prise de la ville, ou qu’il serait tué.

En cel an, en mois de septembre, issit l'emperere Alixandre et ses hommes fours de Maienche, et soy combattirent aux Sycambiens. Et durat celle batalhe mult longement, et furent ochis sens nombre de gens des dois parties ; mains les Romans perdirent plus et furent desconfis, sy rentront en Maienche et fermarent leurs portes. Adont fist ly duc assalhir mult fort la vilhe ; mains cheaux qui estoient dedens soy defendoient mult bien, car ilhs avoient gens asseis.

Cette année-là [235], en septembre, l’empereur Alexandre et ses troupes sortirent de Mayence et se battirent contre les Sicambres. La bataille dura très longtemps et d’innombrables personnes furent tuées dans les deux camps. Mais ce furent les Romains qui subirent le plus de pertes. Vaincus, ils rentrèrent à Mayence dont ils fermèrent les portes. Le duc lança alors de vigoureux assauts sur la ville ; mais ceux qui se trouvaient à l’intérieur se défendaient très bien, car ils étaient fort nombreux.

Quant ly dus veit bien que ilh ne poroit riens conquesteir al assalhir, se fist ses gens retraire aux treif et reposeir, et puis les delivrat largement ; et enssi durat ly sige plus de XIIII mois.

Voyant qu’il ne pourrait rien obtenir par la force, le duc ordonna à ses hommes de rejoindre leurs tentes et de se reposer. Ensuite il leur laissa beaucoup de temps libre. Le siège dura ainsi plus de quatorze mois.

[IIc XXXVI - Prian, conte de Lovay] Item, l'an IIc et XXXVI, morut Ludovis, ly conte de Lovay ; si fut conte apres luy son fis Prian, qui regnat III ans.

[An 236 - Priam, comte de Louvain] En l’an 236 mourut Louis, le comte de Louvain ; son fils Priam devint comte après lui et régna trois ans.

 

Sévère Alexandre est tué à Mayence par le duc de Gaule, qui a déjoué sa ruse - Son corps est ramené à Rome - Gordien successeur de Sévère Alexandre (236)

[II, p. 13] En cel an, le XXIIIIe jour de novembre, fist ly dus Marcones de Galle assalhir la vilhe de Maienche et le conquist par forche ; sy avoit siet devant XIX mois. Adont furent ches de Maienche laidement ochis.

[II, p. 13] Cette année-là [236], le 24 novembre, le duc Marcon de Gaule lança l’assaut sur Mayence qu’il conquit par la force ; le siège avait duré dix-neuf mois. Les gens de Mayence furent vilainement tués.

Et quant l'emperere veit chu, se vestit les draps de uns povres hons et s'en vint passant [II, p. 14] parmy la vilhe, sy com chi qui escappeir quidoit. Mains ly dus Marcones avoit fait les portes fermeir, puis avoit fait crieir qui poroit à luy rendre l'emperere ilh ly donroit XL donnier d'or, qui adont estoit plus gran dons qui ne seroit maintenant XXm.

Voyant cela, l’empereur revêtit les habits d’un pauvre homme et traversa [II, p. 14] la ville, comme quelqu’un cherchant à s’échapper. Mais le duc Marcon avait fait fermer les portes et proclamer qu’il donnerait quarante deniers d’or à qui pourrait lui livrer l’empereur. C'était à l’époque une somme plus importante que vingt mille deniers aujourd’hui.

Enssi comme ons faisoit le cry, se muchat ly emperere en une maison de unc povre hons et s'aquatit là ens IX jours ; et leur disoit qu'ilh estoit varlet à l'emperere, se ne soy oisoit monstreir. Al IXe jour, assavoir le IIIe jour de decembre, fist crieir ly dus un altre cry qui auroit l'emperere esponse en son hosteil, ilh auroit le chief coupeit.

Pendant qu’on faisait cette proclamation, l’empereur se cacha dans la maison d’un pauvre homme, où il se tint tranquille durant neuf jours : il disait qu'il était un valet de l’empereur et n’osait pas se montrer. Le neuvième jour, c’est-à-dire le 3 décembre, le duc fit proclamer un autre édit, disant que celui qui aurait accueilli chez lui l’empereur aurait la tête coupée.

[Ly duc de Galle ochist l’emperere Alixandre] Adont ly hons où ly emperere estoit soy vat partir pasiblement de son hosteit, se vint à XII chevaliers de duc, se leur dest : « Veneis en maison, se regardeis I homme qui se dit eistre varlés à l’emperere, sy ch'est chis qui vos demandeis. » Et cheaux y alarent, se trovarent l'emperere ; se l'ont pris et ameneit devant le duc, qui tantoist ly fist coupeir le chief. Oncques ne ly vot respit donneir por homme qui l’en priast, ne pardon, ne franquiese que ly emperere ly prometist. Enssi fut mors ly emperere Alixandre, qui fut ly XXVe.

[Le duc de Gaule tua l’empereur Alexandre] Alors l’homme qui hébergeait l’empereur quitta son logis tranquillement et alla trouver douze chevaliers du duc pour leur dire : « Venez chez moi, et regardez si l’homme qui dit être un valet de l’empereur n’est pas celui que vous réclamez ». Ils y allèrent et trouvèrent l’empereur ; ils s’en saisirent et l’amenèrent devant le duc, qui lui fit aussitôt couper la tête. Jamais il ne voulut accorder le moindre respect ni pardonner à l’homme qui le priait, ni accepter les privilèges promis par l’empereur. Ainsi mourut Sévère Alexandre, le vingt-cinquième empereur.

Et quant chu fut fait, se revint ly dus Marcones en Galle awec ses gens. Et se myst unc duc en Sycambre, car ly dus estoit mors à Maienche ; et ly dus de Galle estoit syre de Sycambre, portant les apellat-ons Sycambiens, por cel citeit qui estoit fondeit longement devant qui estoit loir.

Cela fait, le duc Marcon revint en Gaule avec ses gens. On installa un duc en Sicambrie, le précédent étant mort à Mayence. Le duc de Gaule était sire de Sicambrie, ce qui explique qu'on ait appelé les gens de Gaule Sicambres, du nom de cette cité, qui avait été fondée longtemps auparavant et qui était à eux (cfr notamment I, p. 28).

Et cheaux de Maienche fisent reporter à Romme le corps l'emperere ; et ilh fut ensevelis en la columpne Adriain l'emperere.

Les gens de Mayence firent ramener à Rome le corps de l’empereur, qui fut enseveli dans la colonne de l’empereur Hadrien.

[De Gordianus] Apres fut refais emperere des Romans Gordianus, son manneis fis, lyqueis regnat IIII ans III mois et IIII jours ; et se vacat le siege III mois et XI jours. Chis emperere Alixandre qui estoit mors, fut appelleis Alixandre Cesar et Augustus ; car il maintenoit les oust sicom Cesar, jasoiche qu'il en chaiist maul, et par les senateurs ilh fut dit Augustus.

[Gordien] Après lui, son fils cadet Gordien devint empereur des Romains. Il régna quatre ans, trois mois et quatre jours ; le siège était resté vacant trois mois et onze jours. L’empereur défunt fut appelé Alexandre César et Auguste ; car il dirigeait les armées comme César, bien que cela ait mal tourné pour lui, et il fut appelé Auguste par les sénateurs.

 

Digression : Témoignages d’Eusèbe et de Jérôme sur Origène, sa vie et sa doctrine

[II, p. 14] [Proverbe de Origenes et de sa vie] Et estoit de lui unc proverbe, car teile qu’ilh estoit de vie, teile [II, p. 15] estoit-ilh de doctrine. IIh ne jut oncques sour lit, et alloit toudis descaux ; ilh ne mangnat onques de chair et ne bevit de vin, enssi c'on lyst ens hystoires de sainte Engliese.

[II, p. 14] [Vérité sur Origène et sa vie] Il existait sur Origène une maxime disant que sa vie ressemblait [II, p. 15] à sa doctrine. Il ne couchait jamais dans un lit et marchait toujours nu-pieds. Il ne mangeait jamais de viande et ne buvait jamais de vin, selon ce qu’on lit dans les histoires de la sainte Église.

[Coment Eusebe excuse Origenes] Et portant qu'ilh estoit de sy sainte vie et si sainte doctrine, tous les docteurs l'escusent des erreurs que ons ly ametit avoir faite, enssi com sains Eusebe, evesque de Cesaire, et Rufien, le preistre de Aquilée, escrisent à sains Jerome et mult d'altres que, apres sa mort, les heretiques por son bon nom à enorchir leurs libres de heresies entremelarent awec les siens.

[Comment Eusèbe disculpe Origène] C’est parce que sa vie et sa doctrine étaient si saintes que tous les docteurs le disculpent des erreurs dont on l’accusa. C’est ce qu’écrivirent à saint Jérôme saint Eusèbe, évêque de Césarée, Rufien, prêtre d’Aquilée, et bien d’autres, disant qu’après la mort d'Origène et pour nuire à son bon renom, les hérétiques avaient mêlé leurs livres d’hérésies aux siens.

[Sains Jerome lesit VIIm dez libres Origenes, car ilh avoit todis VII clers et VII pucelles qui scrisoient apres chu qu’ilh disoit] Item, en cel an, sains Jeromme confessat en propre conciel qu’ilh avoit leut al escolle des libres Origenes VIIm volumes, sens les epistles qu’ilh envoiat en diverses lieu : ilh avoit tousjours VII joveneceals et VII puchelles qui de sa propre bouche escrissoient chu qu’ilh disoit.

[Saint Jérôme avait lu sept mille livres d’Origène, qui avait toujours sept clercs et sept demoiselles pour écrire ce qu’il disait] Cette année-là, saint Jérôme reconnut en plein concile qu’il avait lu, à l’école, sept mille volumina des ouvrages d’Origène, sans compter les épîtres qu'il avait envoyées en divers endroits. Origène avait toujours sept jeunes gens et sept jeunes filles pour mettre par écrit les paroles sorties de sa bouche (cfr II, p. 21).

 

Gordien vaincu par les Perses rentre à Rome - Mortalité en Égypte (237)

[II, p. 15] ltem, l'an IIc et XXXVII, vinrent novelles à Romme que les Persiens estoient rebelles encontre l'empire, et avoient ochis leur roy et soy estoient mis en la subjection del emperere d'Yndre. Quant Gordianus, l'empereur de Romme, entendit chu, se n'en fut mie liies, car ilh n'estoit mie combattans ; mains, portant qu'ilh estoit noveal emperere, sy n'oisat lassier que ilh n'alast en Persie.

[II, p. 15] En l’an 237, la nouvelle parvint à Rome que les Perses s’étaient rebellés contre l’empire, qu'ils avaient tué leur roi et avaient fait leur soumission à l’empereur d’Inde. Quand Gordien, l’empereur de Rome, apprit cela, il ne s’en réjouit pas du tout, car il n’était pas un combattant. Néanmoins, comme il était empereur depuis peu, il n’osa pas renoncer à se rendre en Perse.

Si assemblat ses oust et montat sour mere ; et puis quant ilh fut ariveis à Acre, ilh entrat en son chemien à baniere desploié et n'arestat se vint en Persie. Si trovat l'emperere d'Yndre à grant gens qui estoient là por gardeir le pays encontre l'emperere de Romme, car ilh savoit bien que ilh venroit oussytoist com ilh saroit que les Persiens seiroient rendus à ly.

Il assembla ses armées et prit la mer. Une fois débarqué à Acre, il se mit en route, bannières déployées, pour ne s’arrêter qu’en Perse. Il y trouva l’empereur d’Inde à la tête d’une grande armée, qui était là pour protéger son pays, car il savait bien que l’empereur de Rome arriverait aussitôt qu’il saurait que les Perses lui avaient fait leur soumission.

[L’an IIc XXXVIII - Grant batalhe entre l’emperere d’Yndre et l’emperere de Romme qui fut desconfis] Adont les dois empereres sont venus ly uns contre l'autre, et si sont sus corus ; et là oit forte batalhe entre eaux et dure, et fut cest batalhe le XXVIe jour de julle l'an IIc et XXXVIII. Et perdirent les Yndois mult de gens ; mains les Persiens vinrent d'aultre costeis, qui assalhirent les Romans, sy que les Romans furent enclous et furent laidement folleis et furent desconfis, si s'enfuirent. Adont revint ly emperere Gordianus à Romme à pou de gens, qui laidement fut rechus de ses gens, portant qu'ilh estoit enssi revenus chaitievement.

[An 238 - Grande bataille entre l’empereur d’Inde et celui de Rome qui fut vaincu] Alors les deux empereurs avancèrent l’un contre l’autre et s’attaquèrent. Une bataille forte et dure se déroula entre eux le 26 juillet de l’an 238. Les Indiens subirent beaucoup de pertes en vies humaines ; mais les Perses, qui arrivèrent par un autre côté, attaquèrent les Romains et les encerclèrent. Vilainement écrasés et défaits, ceux-ci prirent la fuite. L’empereur Gordien rentra alors à Rome, avec peu d’hommes. Il fut mal reçu par son peuple, pour être revenu en si piteux état.

En cel an oit mult grant mortaliteit en Egypte, si morut tant de gens que sens nombre.

Cette année-là, une grande mortalité frappa l’Égypte, et il y eut tant de morts qu’on ne pouvait les compter.

 

Successions papales (Pontien, Cyriaque) - Les onze mille vierges - le pape Antère (238) 

[II, p. 15] [Ly pape Pontianus morut] En cel an, le XIXe jour de septembre, morut ly pape de Romme Pontianus ; mains sainte Engliese faite sa fieste le jour de sa nativiteit, le XIIIe kalende de decembre. Chis pape fut envoiés en exilhe en l'isle de Sardine, par l'emperere Gordiain, une an devant sa mort ; si estoit adont revenus [II, p. 16] à Romme, sy fut martyrisiés, et puis fut ensevelis en la cymitere sains Calixte. Les aultres dient qu'ilh morut en exilhe, et sains Fabiain le fist ramineir en neif à Romme. Et vacat apres sa mort ly siege XI jours.

[II, p. 15] [Mort du pape Pontien] Cette année-là [238], le 19 septembre, mourut le pape de Rome Pontien [cfr II, p. 12], mais la sainte Église célèbre sa fête le jour de sa naissance, le 13 décembre. Ce pape avait été exilé dans l’île de Sardaigne, par l’empereur Gordien, un an avant sa mort ; revenu alors [II, p. 16] à Rome, il fut martyrisé et enseveli dans le cimetière Saint-Calixte. D’autres disent qu’il mourut en exil et que saint Fabien le fit ramener par bateau à Rome. Après sa mort, le siège resta vacant durant onze jours.

[Cyriacus, le XXe pape, qui fut ochis awec les XIm virges, et resignat sa papaliteit à Antheros] Apres, le Xe jour de decembre, fut consecreis à pape de Romme uns proidhons qui fut nommeis Cyriacus, qui fut de la nation de Bretangne ; et tient le siege III ans III mois et IIII jours. Mains Martiniain dist qu'ilh ne fut mie mis en cathologe awec les papes, portant qu'ilh refusat la papaliteit, encontre la volenteit de la clergrie, en le main de Antheros, qui fut unc bon proidhons.

[Cyriaque, le vingtième pape, fut tué avec les onze mille vierges, et abandonna la papauté à Antère] Ensuite, le 10 décembre, un homme sage, qui s’appelait Cyriaque, originaire de Bretagne, fut sacré pape de Rome. Il occupa le siège durant trois ans, trois mois et quatre jours. Mais Martin [p. 413, l. 16-21, éd. L. Weiland] dit qu’il ne fut pas mis dans la liste des papes, parce qu’il avait refusé la papauté, contre la volonté des clercs, au profit d’Antère, un homme sage et bon.

[Cyriacus pape baptizat les XIm virges] Et puis se en allat V ans awec les XIm virges, lesqueiles ilh baptizat à Romme. Et puis vinrent à Collongne, où ilhs trovarent les Huens qui les martirisont tous, enssi com vos oreis chi-apres.

[Le pape Cyriaque baptisa les onze mille vierges] Ensuite Cyriaque s’en alla pendant cinq ans avec les onze mille vierges, qu’il baptisa à Rome. Elles vinrent ensuite à Cologne, où elles rencontrèrent les Huns, qui les martyrisèrent toutes, comme vous l’entendrez ci-après (cfr II, p. 17).

 

Succession à Louvain - Meurtre de Gordien et avènement de Maximin à Rome (239-240)

[II, p. 16] [De conte de Lovay] Item, l'an IIc et XXXIX, morut Prian, le conte de Lovay ; si regnat apres luy [ses] frere Paris XV ans. En cel an fist l'emperere Gordianus martirisier pluseurs cristiens.

[II, p. 16] [Le comte de Louvain] En l’an 239, Priam, le comte de Louvain, mourut ; après lui, son frère Paris régna quinze ans. Cette année-là, l’empereur Gordien fit martyriser de nombreux chrétiens.

[L’emperere Gordianus fut ochis en son palais, et refut eslus Maximianus XXVIe] Item, l'an IIc et XL, le XVIIe jour de may, fut ochis en son palais à Romme ly emperere Gordianus, portant que ilh ne voloit mie alleir sour cheaux de Persie qui estoient rebelles. Et quant Gordianus fut ochis, fut coronneis com emperere de Romme son frere Maximianus, qui fut mult felles et contraires aux cristiens. Chis regnat V ans III mois et XXI jour et toudis en fellonie.

[L’empereur Gordien est tué dans son palais - Maximin est réélu comme vingt-sixième empereur] En l’an 240, le 17 mai, l’empereur Gordien fut tué dans son palais à Rome, parce qu’il ne voulait pas marcher contre les Perses, entrés en rebellion. Après la mort de Gordien fut couronné empereur de Rome son frère Maximin, qui se montra très cruel et hostile aux chrétiens [cfr II, p. 19-20]. Il régna durant cinq ans, trois mois et vingt et un jours, toujours avec cruauté.

 

Les papes Antère et Fabien (240-241)

[II, p. 16] [Antheros, le XXIe pape de Romme] En cel an, le XIIIIe jour de marche, qui estoit ly dierain mois de l'an al daute del Incarnation, ly pape Cyriacus renonchat à son papaliteit, sycom dit est, et substituat en son lieu Antheros, qui estoit de la nation de Greche, le fis Romulus. Si fut pape IX mois et XXVIII jours. Del regnation de chis pape Antheros est mult grant discors entres les hystoriens ; car Martiniain dist qu'ilh tient le siege III ans I mois et XV jours, et uns aultre dist une an. Et Damascus dist XIII ans I mois et XII jours. Et Jerome et Prosper dient I mois, et se vacat le siege VII jours. Et en la matiroloige Usuarde dist-ilh XII ans.

[II, p. 16] [Antère, vingt-et-unième pape de Rome] Cette année-là [240], le 14 mars, dernier mois de l’année dans le comput de l’Incarnation, le pape Cyriaque renonça à la papauté, comme on l’a dit, et mit à sa place, Antère, qui était originaire de Grèce et fils de Romulus. Il fut pape neuf mois et vingt-huit jours. À propos du règne de ce pape Antère, un profond désaccord divise les historiens. Selon Martin, il occupa le siège trois ans, un mois et quinze jours ; selon un autre auteur, un an ; Jean Damascène dit treize ans, un mois et douze jours ; Jérôme et Prosper [d'Aquitaine] un mois, ajoutant que le siège resta vacant sept jours, et, dans son martyrologe, Usuard [abbé de Saint-Sauveur] dit douze ans.

[Ly pape Antheros morut] Item, l'an IIc et XLI, le XIe jour de jenvier, fut martirisiet ly pape Antheros ; si fut ensevelis en la cymitere Sains-Calixte : chis pape instituat que les evesques de unc siege en l’autre se puellent transferreir.

[Mort du pape Antère] En l’an 241, le 11 janvier, le pape Antère fut martyrisé et enseveli dans le cimetière Saint-Calixte. Ce pape décida que les évêques pouvaient être transférés d’un siège à l’autre.

[Sains Fabiain, pape XXIIe] Item, VII jour apres, assavoir le XVIIIe jour de jenvier, fut consacreis pape de [II, p. 17] Romme uns sains proidhons qui fut nommeis sains Fabiain, qui fut de la nation de Romme, le fis Fabiain de la region de Celimonte. Et tient le sige XIIII ans II jour moins ; et, solonc Martiniain, XIII ans XI mois et XI jours ; et Damaise dist XIIII ans ; et Jerome et Prosper dient XIII ans et VIII jours. Et vacat ly siege VII jours.

[Saint Fabien, vingt-deuxième pape] Sept jours après, c’est-à-dire le 18 janvier, fut consacré pape [II, p. 17] de Rome un homme saint et sage, nommé saint Fabien, originaire de Rome, fils de Fabien, venant de Célimonte. Il occupa le siège quatorze ans, moins deux jours, mais, selon Martin, treize ans, onze mois et onze jours ; selon Jean Damascène, quatorze ans ; selon Jérôme et Prosper treize ans et huit jours. Le siège resta vacant sept jours.

[Par le colon qui descendit sur Fabiain, ilh fut pape] Et fut fais chi pape par le grasce de Dieu ; car ilh venoit, le jour que ons devoit eslire le pape, de alcon lieu, et ly peuple parloit de l'election de pape. Se avint que uns blan colon ly vint sus le tieste en disant : « Tu seras l'evesque de Romme. » Et quant ly college estoit ensemble, tant et si longement qu'ilh y fut, ly Saint-Espir ly seioit sus la tieste. Et à chu cognutons qu'ilh plaisoit à Dieu qu'ilh tenist le siege sains Pire ; sy fut enssi eslus pape.

[Fabien devint pape grâce à une colombe qui descendit sur lui] Fabien devint pape par la grâce de Dieu. En effet, le jour où on devait élire le pape, Fabien arrivait dans la ville, venant de je ne sais où. Les gens parlaient de l’élection du pape. Il se fit qu’une blanche colombe se posa sur sa tête, en disant : « Tu seras l’évêque de Rome ». Et pendant tout le temps où le collège était en réunion, le Saint-Esprit resta posé sur sa tête. À cela, on reconnut qu’il plaisait à Dieu que ce Fabien occupe le siège de saint Pierre. C’est ainsi qu’il fut élu pape.

 


[Texte précédent II, p. 1-9] [Notes de lecture] [Texte suivant II, p. 17-26]