Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 70b-79a

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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LES TROIS FILS DE CONSTANTIN LE GRAND (338-362) et JULIEN L’APOSTAT (362-366)

 

Ans 338 à 366 de l'Incarnation


Texte et traduction


 

Les trois sections de ce fichier reflètent la présentation adoptée par Jean d'Outremeuse pour décrire les événements. Elles suivent la chronologie propre au chroniqueur, à savoir les années de l'Incarnation. On trouve ainsi dans l'ordre les événements qui se sont passés :

* A. dans les années 338-341 (II, p. 70b-72a), lorsqu'étaient au pouvoir les trois fils de Constantin le Grand : Constantin II, Constance et Constant [sommaire et texte],

* B. dans les années 341-362 (II, p. 72b-77a), lorsque, après la mort de Constantin II, Constant et Constance régnèrent d'abord ensemble, le premier sur l'Occident et le second sur l'Orient, avant que la mort de Constant ne fasse du seul fils survivant, Constance, l'empereur unique de l'Orient et de l'Occident [sommaire et texte],

* C. dans les années  362-365 (II, p. 77b-79a), lorsque Julien dit l'Apostat prit le pouvoir après la mort de son cousin Constance [sommaire et texte].

La datation suivie par Jean est, rappelons-le, celle des années de l'Incarnation. Voici, à toutes fins utiles, la date en années communes de la mort de Constantin le Grand et de ses successeurs : Constantin est mort en 337,  Constantin II en 340, Constant en 350 et Constance en 361. Quant à la biographie de Julien, il fut choisi comme César par Constance en 355, acclamé Auguste par ses troupes en 360, un an donc avant la mort de Constance, et décéda en 363.

 

[Vers les notes de lecture]

 


 

 

A. Les trois fils de Constantin le Grand : Constantin II, Constance et Constant, jusqu’à la mort de Constantin II (338-341) [Myreur, II, p. 70b-72a]

 

 

Sommaire

 

Constantin II, Constance et Constant, les trois fils de Constantin le Grand, règnent ensemble en tant que trente-neuvième groupe impérial (338)

Succession au Danemark - Constantin II, chrétien, c’est-à-dire nicéen, est vainqueur de ses frères, qui sont ariens - Ceux-ci fuient en Grèce, où ils persécutent les chrétiens et exilent de nombreux évêques - Donat le grammairien - Arius et son influence sur Constance, qui ordonne l’exil des opposants à Arius, tels Athanase, Eusèbe de Verceil, etc. (339-341)

À Rome, Constantin II, sous l’influence du pape Jules, part attaquer en Grèce ses frères hérétiques - Catastrophes naturelles prémonitoires - Mort de Constantin II - Partage de l’empire : Constance est empereur d’Orient et Constant, empereur d’Occident (341)

 

 

 

Constantin II, Constance et Constant, les trois fils de Constantin le Grand, règnent ensemble en tant que trente-neuvième groupe impérial (338)

[II, p. 70b] Chis emperere Constantin oit trois fis, asqueiles demorat ly empire : ly anneis fut nommeis Constantin après son pere, et ly secon Constanches, et ly IIIe Constans, si qu'ilhs orent tous trois unc seul nom apres le nom de leur pere, et encordont ilh n'y oit nom que ilh n'y awist differenche qui bien les sonne, jasoiche que tous trois revengnent à unc.

[II, p. 70b] L’empereur Constantin eut trois fils, à qui revint l’empire. L’aîné s’appelait Constantin, comme son père, le second Constance, et le troisième Constant. Ils avaient tous les trois un nom en rapport avec celui de leur père. Pour qui les prononçaient bien, ces noms étaient légèrement différents, mais ceux qui les portaient comptaient pour un seul empereur.

[Trois emperere qui sont le XXXIXe] Ches trois fis furent empereres ensemble, si regnarent maiement ; ly dierain regnat XXIIII ans, III mois et VIII jours, tous trois com I seul emperere XXXIXe.

[Trois empereurs qui sont le trente-neuvième empereur] Ces trois fils furent empereurs ensemble et régnèrent également ensemble, le dernier pendant vingt-quatre ans, trois mois et huit jours. Ils constituent à eux trois le trente-neuvième empereur.

 

Succession au Danemark - Constantin II, chrétien, c’est-à-dire nicéen, est vainqueur de ses frères, qui sont ariens - Ceux-ci fuient en Grèce, où ils persécutent les chrétiens et exilent de nombreux évêques - Donat le grammairien - Arius et son influence sur Constance, qui ordonne l’exil des opposants à Arius, tels Athanase, Eusèbe de Verceil, etc. (339-341)

[II, p. 70] Item, l'an IIIc et XXXIX en mois de marche, morut Ogens, ly roy de Dannemarche, de flu de ventre dont iIh avoit languit III ans ; si regnat après luy son fis Meleon XLVI ans.

[II, p. 70] En l’an 339, au mois de mars, mourut Ogens, le roi de Danemark, d’un flux de ventre dont il avait souffert trois ans. Son fils Mélion régna après lui pendant quarante-six ans (cfr I, p. 530ss et II, p. 89).

[Persecution sor les cristiens] Lesdittes trois empereres orent en cest an debat entre eaux ; car Constantin estoit baptiziet et creioit en Dieu, sycom son peire, et Constanches fut decheus des mals heresies Arriain, et envoiat en exilhe les sains proidhons cristiens où ilh les faisoit rechivoir martyr qui ne voloient nient assentir à son opinion ; et tant qu'ilh en oit batalhe entre eaux.

[Persécution contre les chrétiens] Les trois empereurs eurent cette année-là une contestation entre eux. Constantin II était baptisé et croyait en Dieu, comme son père, mais Constance, abusé par les hérésies malfaisantes d’Arius, envoya en exil les saints hommes chrétiens ou fit martyriser ceux qui ne voulaient pas adopter ses opinions. Il en résulta un conflit armé entre les trois frères.

[L’emperere Constantin at desconfis ses II freres empereres] Si oit [II, p. 71] Constantin ly anneis victoire, et Constanche awec Constans furent desconfis et leurs gens ochis ; si s'enfuirent en Grèche, dont leur peire avoit esteit emperere awec l'empire de Romme, et le usurparent. Se orent les cristiens en Grèche grant persecution et forte.

[L’empereur Constantin a vaincu ses deux frères] [II, p. 71] Constantin, l’aîné, remporta la victoire ; Constance et Constant furent vaincus et leurs gens tués. Ils s’enfuirent en Grèce, sur laquelle leur père avait régné comme sur le reste de l’empire romain. Ils s’en approprièrent le pouvoir. Les chrétiens de Grèce subirent alors une persécution très importante.

[Doctrinal ly gramarien] A cel temps estoit Doctrinals ou Donates en l'art de gramaire instruis, scrivens et commandours ; et sy morut sains Anthoine abbeit.

[Donat le grammairien] À l’époque vivait Doctrinal ou Donat, instruit dans l’art de la grammaire, écrivain et commentateur. À cette époque aussi mourut saint Antoine, abbé (cfr II, p. 76).

A cel temps estoit sains Atanaise, evesque d'Alixandre, ly gran defendeur de la foid, et sains Eusebe, evesque de Verselle, et sains Denis, evesque de Malau, et sains Paulin, evesque de Trieve, qui furent tous enyoiés en exilhe.

En ce temps-là vivaient saint Athanase, évêque d’Alexandrie, le grand défenseur de la foi, saint Eusèbe, évêque de Verceil, saint Denis, évêque de Milan et saint Paulin, évêque de Trèves [cfr IV, p. 186 : son corps rapporté du Bénévent]. Tous furent envoyés en exil. [Cfr II, p. 87, une autre liste de contemporains importants.]

[De sains Andrier et sains Luke] A cel temps furent les osseals sains Andrier l'apostle et sains Luk ly ewangeliste aporteis en Constantinoble.

[Saint André et saint Luc] Cette année-là, les ossements de l’apôtre saint André et de l’évangéliste saint Luc furent transportés à Constantinople (cfr II, p. 76).

[Arriain decheut l’emperere Constanche] Apres, l'an IIIc et XL furent tous les evesques devantdit envoiés en exilhe par l'emperere Constanche ; et sains Athanaise chis y fut envoiés le XVIe jour d'awost par l'infourmanche de faux preistre Arriain, portant que ilh prechoit vériteit contre les faux heresies Arriain.

[Arius trompe l’empereur Constance] Ensuite, en l’an 340, tous les évêques cités ci-dessus furent envoyés en exil par l’empereur Constance. Saint Athanase fut exilé le 16 août, suite à la dénonciation du faux prêtre Arius, parce qu’il combattait les hérésies mensongères de ce dernier, en prêchant contre lui la vérité.

Chis emperere Constanche fut decheus par les malvais doctrines Arriain, qui estoit uns faux preistre plains de mals heresies ; si avoit si enchanteit Constanche, le secon desdit freres, que ilh ne creioit se ly nom ; et, par son ennortement, Constanche faisoit envoier en exilhe les sains hommes qui à cel heresie ne soy voloient consentir.

L’empereur Constance fut trompé par les mauvaises doctrines d’Arius, qui était un faux prêtre, répandant des hérésies malsaines. Il avait ensorcelé Constance, le second des frères cités plus haut, au point que ce dernier ne croyait qu’en lui. C’est sur les conseils d’Arius que Constance fit exiler les saints hommes qui ne voulaient pas accepter cette hérésie.

Adont oit mult à souffrir sains Athanaise por sorcorir la foid, qui mervelheusement estoit empecheit des heresies Arriain.

À cette époque, saint Athanase, qui s’était tout particulièrement opposé aux hérésies d’Arius, eut beaucoup à souffrir pour soutenir la foi.

 

À Rome, Constantin II, sous l’influence du pape Jules, part attaquer en Grèce ses frères hérétiques - Catastrophes naturelles prémonitoires - Mort de Constantin II - Partage de l’empire : Constance, empereur d’Orient, Constant, empereur d’Occident (341)

[II, p. 71] Item, l’an IIIc et XLI en mois de june, assemblat l'emperere Constantin les chevaliers de Romme, et s'en allat vers Greche por destruire ses II freres, portant qu'ilhs envoioient enssi les sains evesques en exilhe, et qu'ilhs sourtenoient les heresies Arriain ; car Constantin creioit en Jhesu-Crist et faisoit tout chu que ly pape Julius ly disoit, car ilh ly demonstroit clerement la vraie foid de Dieu, si qu'ilh apparoit overtement chu que Arriain disoit estoit faux heresie ; et les altres dois freres sourtenoient del tout les faux heresies deseurdit. Si vinrent ensemble par batalhe par pluseurs fois, et durat la gerre asseis longement.

[II, p. 71] En juin 341, l’empereur Constantin II rassembla les chevaliers de Rome et partit pour la Grèce, afin d’écraser ses deux frères, parce qu'ils envoyaient les saints évêques en exil et soutenaient les hérésies d’Arius. C’est que Constantin II croyait en Jésus-Christ et faisait tout ce que lui disait le pape Jules. Ce dernier lui expliquait clairement la vraie foi en Dieu, faisant apparaître clairement que les doctrines d’Arius étaient des hérésies mensongères. Par contre les deux autres frères soutenaient totalement ces hérésies. Ils s’affrontèrent en plusieurs batailles, et la guerre dura très longtemps.

[Grant muet de terre - Y pluit sanc] En cel an en mois de décembre, fut grant muet de terre, et le XIIIe jour dedit mois pluit sanc, de quen les clers dessent entre eaux que cristiniteit auroit mult à souffrir por les heresies Arriain.

[Grand tremblement de terre et pluie de sang] Cette année-là [341], en décembre, il y eut un grand tremblement de terre et une pluie de sang le 13 du mois. Voyant cela, les clercs se dirent entre eux que la chrétienté aurait beaucoup à souffrir des hérésies d’Arius.

[Constantin l’emperere fut ochis de ses II freres] En cel an en mois de [II, p. 72] decembre, oit gran batalhe deleis la citeit d'Aquilée entre Constantin ly anneis emperere et ses dois freres Constanche et Constans, en laqueile Constantin, ly anneis fis Constantin, fut ochis et ses gens desconfis. Adont furent les II frères empereres : Constanche fut emperere vers Orient, et Constans vers occident. Enssi fut ly empire partie entre eaux.

[Constantin l’empereur fut tué par ses deux frères] Cette année-là [341], en [II, p. 72] décembre, eut lieu, près d’Aquilée, entre Constantin II l’aîné et ses deux frères, Constance et Constant, une grande bataille, au cours de laquelle Constantin II, le fils aîné de Constantin (le Grand), fut tué et ses troupes vaincues. Ses deux frères devinrent alors empereurs : Constance, empereur d’Orient, et Constant, empereur d’Occident. C’est ainsi que l’empire fut partagé entre eux.

[Grant persecution sor cristiens par Constanche et Constans empereres] Adont orent les cristiens mult de persecutions, car les II emperere estoient contraire à la loy de Dieu, jasoiche qu'ihz fussent baptizies, mains tout chu faisoit ly faux preistre Arriain.

[Grande persécution menée contre les chrétiens par les empereurs Constance et Constant] Alors les chrétiens subirent beaucoup de persécutions, car les deux empereurs, bien que baptisés, étaient hostiles à la loi de Dieu. Mais tout cela était dû au faux prêtre Arius.

 

 


 

 

B. Constant empereur d’Occident (343-353) - Constance empereur d’Orient, puis seul empereur d’Orient et d’Occident (343-362)  [Myreur, II, p. 72b-77a]

 

Sommaire

 

Constant vainc et soumet au tribut de Rome les gens d'Aquitaine et les Sicambres de Gaule - Le duc de Gaule Anténor est tué - Ses fils, Hector puis Priam, lui succèdent - Athanase, persécuté par Constance et soutenu par Constant, récupère son siège d’évêque d’Alexandrie - Catastrophes et dérèglements climatiques en Germanie et ailleurs (343-349)

Mort du pape Jules - Le concile de Viterbe condamne l’arianisme - Le pape Libère - Succession à Louvain et en Flandre (349-353)

Les Romains de Constant sont lourdement défaits par les Perses de Shapur - L’empereur Constant est tué - Constance, resté seul empereur d’Orient et d’Occident, est sous l’influence d’Arius - Exil du pape Libère - Félix l’intrus malgré ses rapports avec Constance est fidèle à la vraie foi (353)

* Saint Servais à Tongres - Les Huns défaits en Hongrie (354-355)

Constance exile Félix et remet Libère, devenu arien, sur le siège papal - Nombreux clercs persécutés, parce que hostiles à Arius (356)

Mortalité dans le bétail - Canonisation de saint Antoine - Châsse à Constantinople pour les ossements des saints André et Luc - Saint Hilaire de Poitiers, hostile à Arius, est momentanément exilé à Éphèse - Les chrétiens murmurent contre l’empereur - Le pape Félix blâme les hérétiques lors d’un concile - Saint Martin devient disciple de saint Hilaire - Constance et Arius sont tués à Rome par les chrétiens (357-362)

 

 

Constant vainc et soumet au tribut de Rome les gens d'Aquitaine et les Sicambres de Gaule - Le duc de Gaule Anténor est tué - Ses fils, Hector puis Priam, lui succèdent - Athanase, persécuté par Constance et soutenu par Constant, récupère son siège d’évêque d’Alexandrie - Catastrophes et dérèglements climatiques en Germanie et ailleurs (343-349)

[II, p. 72] [L’emperere Constans at desconfis cheaz d’Aquitaine et de Galle et remis en tregut] Item, l’an IIIc et XLIII, assemblat ly emperere Constans grans gens, sy s’en allat en Aquitaine où ilh erent rebelles, sy oit batalhe à eaux, si les disconfit, et les remist en sa subjection.

[II, p. 72] [L’empereur Constant défait les gens d'Aquitaine et de Gaule, qui redeviennent ses tributaires] En 343, l’empereur Constant rassembla de grandes forces et partit en Aquitaine, entrée en rébellion. Une bataille s’y déroula ; l’empereur défit les Aquitains et les remit en sa sujétion.

Adont fut-ilh racompteit à dit emperere Constans que les Sycambiens de Galle estoient si orgulleux, que ilh ne voloient nullement payer leur tregut aux Romans, et avoient enssi esteit longtemps. Adont assemblat ly emperere Constans tant de gens, que ons ne les poioit nombreir, et entrat en la terre de Galle, sy les commenchat à destruire ; mains quant ly dus Anthenoir le soit, se vint contre les Romans à grant gens, sy les corut sus ; et soy defendirent mult bien les Romans, et les Sycambiens oussy. Là oit sy fort batalhe, que ons n’avoit en longtemps parleit de teile batailhe, et fut bien mors en cel bataille LXIIm Vc et XLVI Romans ; et fussent desconfis, sy ne fust fortune qui fut contraire aux Sycambiens : car ly dus Anthenoir fut ochis, et sa banire abatue contre terre par Constans l’emperere, sique chu desconfist les Sycambiens, et soy misent al fuir vers Lutesse ; mains ilh y avoit jà des Romans qui avoient la citeit prise. Enssi et aussi chaitivement del tout furent desconfis les Sycambiens, et les covient rendre à l’emperere et remettre en tregut, enssi qu’ilh avoient devant esteit.

On rapporta alors à l’empereur Constant que les Sicambres de Gaule étaient si orgueilleux qu’ils refusaient absolument de payer un tribut aux Romains, et cela depuis longtemps. Alors l’empereur Constant réunit un très grand nombre de soldats, pénétra en Gaule et se mit à la saccager. Quand le duc Anténor le sut, il marcha contre les Romains avec de nombreuses troupes et les attaqua : les Romains se défendirent très bien et les Sicambres aussi. Là au cours d’une bataille, comme il n'y en avait pas eu depuis longtemps, moururent au moins soixante-deux mille cinq cent quarante-six Romains. Les Romains auraient été défaits, si la fortune n’avait pas été contraire aux Sicambres. En effet, le duc Anténor fut tué et son étendard jeté à terre par l’empereur Constant ; cela mit en déroute les Sicambres, qui tentèrent de fuir vers Lutèce. Mais des Romains s’étaient déjà emparés de la cité. Ainsi, et misérablement, les Sicambres furent totalement vaincus : ils durent se rendre à l’empereur et se soumettre au tribut, comme c’était le cas auparavant.

[De dus de Galle] Après la mort Anthenoir fut fais dus de Galle son anneis fis qui fut nommeis Ector, et si oit I aultre qui oit nom Priant. Chis Ector fut mult preux et chevalereux : ilh allat en la Grant-Bretangne por guerroier les cristiens et por eaux mettre en sa subjection, mains ilh morut sour mere, quant iIh oit regneit I an.

[Le duc de Gaule] Après la mort d’Anténor, son fils aîné, nommé Hector, devint duc de Gaule. Il avait un autre fils, qui s’appelait Priam. Hector fut un très preux chevalier : il s’en alla en Grande-Bretagne, pour faire la guerre aux chrétiens et se les soumettre, mais il mourut en mer, après avoir régné un an.

Item, l’an IIIc et XLIIII en junne, fut [II, p. 73] fais dus de Galle Prian, ly frere ledit Ector, et regnat XXXII ans : chis fut mult preux à son temps, et abattit le tregus en Galle, sicom vos oreis chi-apres.

En juin 344 fut [II, p. 73] fait duc de Gaule, Priam, le frère du dit Hector. Il régna trente-deux ans. Il fut très preux à son époque et mit fin au tribut en Gaule, comme vous l’entendrez ci-après (II, p. 82-83 ; II, p. 85-86).

[De sains Athanaise] En cel an fut sains Athanaise rencachiés fours de son evesqueit d’Alixandre par l’emperere Constanche, le frere Constans. Adont vint Athanaise à Romme à l’emperere Constans, portant qu’il ly sembloit estre plus droturieres que son frere : se ly priat, que ilh ly voisist aidier à chu qu’ilh refuist en son siege remis. Et ly emperere ly dest que ilh demorast à Romme I an ou II, tant comme son frere fuist unc pau assuagiet de cest heresie Arriain, et puis le remettroit en son siege. Enssi demorat sains Athanaise II ans à Romme.

[Saint Athanase] Cette année-là [344], saint Athanase fut chassé de son évêché d’Alexandrie, par l’empereur Constance, le frère de Constant. Alors Athanase vint à Rome trouver l’empereur Constant, parce qu’il lui semblait plus sensible au droit que son frère. Athanase le pria de bien vouloir l’aider à retrouver son siège. Constant lui dit de rester à Rome un an ou deux, jusqu’à ce que son frère se soit un peu calmé vis-à-vis de l'hérésie d’Arius ; après cela, il le remettrait sur son siège. Ainsi saint Athanase resta deux ans à Rome.

[Grandes aighes qui sormontoit les mansons] Item, l’an IIIc et XLVI en mois de marche, commenchat une plueve qui durat XX jours sens cesseir : si furent les aighes si grant, que c’estoit grant hisdeur del regardeir, car parmy le gran pays de Germaine convenoit les gens fuir sour les mostiers ; sy grant estoit Ii aighe qu’ilh sourmontoit les mansons par les vilhes, et durat III jours en teile grandeur.

[Des inondations dépassant la hauteur des maisons] En l’an 346, en mars, la pluie se mit à tomber pendant vingt jours, sans arrêt. Les eaux montèrent si haut que c'était  terrible à voir. Ainsi, dans le grand pays de Germanie, les habitants devaient fuir dans les monastères ; il y avait tant d’eau que dans les villes sa hauteur dépassait celle des maisons ; et ce fut ainsi pendant  trois jours.

[Grant mortaliteit et grant steriliteit] Apres cest aighe fut si grant mortoir, que les gens, par les vilhes où ly aighe avait esteit, chaioient mors par les rues. En cel an fallirent par toute Germaine les bleis et les vins et toutes altres semenches, car les terres avoient esteit si grandement destempreez et laveez que riens ne fructifiat ; si en fut ly temps si chiers, que ilh covient mangier escorches d’arbres et pluseurs altres choses mollues en lieu de pain.

[Grande mortalité et grande stérilité] Ces crues furent si meurtrières que, dans les villes où elles avaient lieu, les gens tombaient morts dans les rues. Et cette année-là, dans toute la Germanie, disparurent les blés, les vignes et tout ce qui avait été semé : les terres avaient été tellement détrempées et lavées qu’elles ne produisaient plus rien ; les temps étaient si difficiles qu’on dut manger des écorces d’arbres et d’autres choses moulues en guise de pain.

Item, l’an apres, l’an IIIc et XLVII, fut ly année si bonne par Germaine, et si bien attemprée de gallée et de toutes aultres chouses, que ilh fut grant planteit de tous biens ; et furent les gens mult rasaisis.

L’année suivante, en 347, fut si bonne en Germanie et si épargnée par le gel et les autres intempéries qu’il y eut une grande abondance de tous les biens. Les gens furent complètement rassasiés.

[De sains Athanaise] En cel an revient sains Athanaise à l’emperere Constans, et ly priat qu’ilh le remetist en son siege en l’honeur de Jhesu-Crist. Adont ly donnat ly emperere lettre qu’ilh portat à son frere, qui, tantoist qu’ilh le veit, le remist en son siege.

[Saint Athanase] Cette année, saint Athanase revint trouver l’empereur Constant, et le pria de le replacer sur son siège, pour honorer Jésus-Christ. Alors l’empereur lui donna une lettre qu’il porta à son frère. Dès que Constance la vit, il lui rendit son siège.

[De roy de Hongrie] En cel an en mois de novembre, morut ly roy de Hongrie : si fut apres luy roy son fis Prian qui regnat XXXII ans.

[Le roi de Hongrie] Cette année-là, au mois de novembre, mourut le roi de Hongrie. Son fils Priam lui succéda et régna pendant trente-deux ans.

[Muet de terre] Item, l’an IIIc et XLVIII, fut par III jours si grant muet de terre que pluseurs citeis chairent en Campangnie (ms B) ; et à Romme oussi oit mult grant muet de terre, si chait des murs de la citeit XIIII bonniers de long.

[Tremblement de terre] En l’an 348, il y eut pendant trois jours un tel tremblement de terre qu’en Campanie beaucoup de cités s’écroulèrent. À Rome aussi, il y eut un très grand séisme ; des murs de la cité s’écroulèrent sur une longueur de quatorze bonniers.

[II, p. 74] Sour l’an IIIc et XLIX, fut ly temps sy douls, que les arbres jettarent leurs fleurs partout Germaine en mois de jenvier, et furent les frus sicom cherises, pommes et poires temprement maours en la fin de marche et en avrilh ; et les vins furent tous vendegiés en jule et en awoust, et les bleis en mois de may. Chis temps semblat as gens mult bons, mains ilh fut tres malvais, car droit en mois d’octembre, sor cest an meismes, commenchat une forte gelée, qui continuat jusques à Ve jour de mois de may tantoist après ensewant, assavoir l’an IIIc et L : par cesti gelée, qui fut si grant, ne furent par tout Galle ne Germaine les terres semeez, si en fut mult grant chier temps ; mains ly année devant avoit esteit sy plantivois, qu’ilh aidat sorporteir le defaulte de cel année.

[II, p. 74] En l’an 349, le temps fut si doux que les arbres fleurirent partout en Germanie au mois de janvier. Des fruits comme les cerises, les pommes et les poires mûrirent plus tôt que d'habitude, à la fin mars et en avril. Les vins furent tous vendangés en juillet et en août, et les blés coupés en mai. Ce temps parut fort bon aux gens, mais il devint ensuite très mauvais. En effet, juste en octobre de la même année, se produisit une forte gelée qui se prolongea jusqu’au cinquième jour du mois de mai suivant, c’est-à-dire de l’an 350. À cause de l’importance de cette gelée, les terres ne furent nulle part ensemencées, ni en Gaule et en Germanie. Ce fut une période où la vie fut très chère, mais I’année précédente avait été si féconde que cela aida à supporter les difficultés.

 

Mort du pape Jules - Le concile de Viterbe condamne l’arianisme - Le pape Libère - Succession à Louvain et en Flandre (349-353)

[II, p. 74] [De pape Julius qui morut] En cel an, en mois d'avrilh le XIIe jour, morut ly pape Julius à Romme, où ilh estoit revenus de exilhe où ilh avoit longtemps esteit, et quant ilh fut rapelleis, se revint a grant gloire, et fist II englieses : l'une en Marchiet et l'autre de Sains-Valentien en la voie flamyne ; et fut ensevelis en la cymitere Calepodii, qui siiet à III mil del citeit de Romme.

[II, p. 74] [Mort du pape Jules] Cette année-là [349], le 12 avril, le pape Jules (cfr II, p. 69) mourut à Rome, où il était revenu après un long exil. Son rappel lui valut une grande gloire. Il fit construire deux églises : l’une sur le Marché et l’autre, celle de Saint-Valentin, sur la voie Flaminia. Il fut enseveli dans le cimetière de Calépode, situé à trois milles de la cité de Rome.

[De conciel de Viterve] A son temps, quant ilh estoit en exilhe, fut celebreit une senne à Viterve de IIIc et XXVIII evesques, en queile furent condempneez les heresies Arriain, maiement là ilh disoit le fis est plus petis que le pere. Et apres sa mort vacat ly siege XXV jour.

[Le concile de Viterbe] À son époque, pendant qu’il était en exil, s’était tenue à Viterbe une assemblée de trois cent vingt-huit évêques, au cours de laquelle furent condamnées les hérésies d’Arius, notamment là où il disait que le fils est moindre que le père. Après la mort du pape, le siège fut vacant vingt-cinq jours.

[Liberius ly XXXVIIIe pape] Et apres le VIIIe jour de may fut consacreis pape Liberius, unc cardinal, lyqueis tient le siege XVI ans III mois et III jours ; et Martiniain dist XVII ans, VII mois et III jours. Chis Liberius fut de la nation de Romme, fis le senateur Liguste.

[Libère, trente-huitième pape] Ensuite, le 8 mai, fut consacré pape Libère, un cardinal, qui occupa le siège seize ans, trois mois et trois jours, et selon Martin, dix-sept ans, sept mois et trois jours. Libère était romain et il était le fils du sénateur Auguste (selon le Liber Pontificalis ; Liguste pour Martin et Jean).

[De Lovay et de Flandre] Item, l'an IIIc et LI, morut Poros ly conte de Lovay, si regnat apres luy son fis Prian XIII ans ; et l'an IIIc LII morut Ector, li conte de Flandre, si regnat apres luy son fis Prian XVIII ans. A cel temps ne savoit-ons nuls prinche en Europe qui ne fust apelleis Prian, se pou nom.

[Louvain et la Flandre] En l’an 351 mourut Porus, le comte de Louvain ; son fils Priam lui succéda pendant treize ans. En l’an 352 mourut Hector, le comte de Flandre ; son fils Priam régna après lui. En ce temps-là, on ne connaissait aucun prince en Europe qui ne fut appelé Priam. C'était à peine un nom (?).

 

Les Romains de Constant sont lourdement défaits par les Perses de Shapur - L’empereur Constant est tué - Constance, resté seul empereur d’Orient et d’Occident, est sous l’influence d’Arius - Exil du pape Libère - Félix l’intrus malgré ses rapports avec Constance est fidèle à la vraie foi (353)

[II, p. 74] [Gerre entre le roy de Persie et les Romans] Item, l'an IIIc et LIII, esmut mult grant gerre entre les Romans et Sapor, le roy de Persie, ly secon de chi nom ; si orent en cel an batalhe entre eaux, et fut une mult terrible batalhe, car ly emperere Constans y fut ochis et XLIXm Romans awec ly (variante textuelle chez  Bo) ; et perdirent les [II, p. 75] Romans II citeis, Plaxadas et Ordanas, lesqueiles ly roy de Persie gangnat.

[II, p. 74] [Guerre entre le roi de Perse et les Romains] En l’an 353 éclata une très grande guerre entre les Romains et Shapur, le roi de Perse, deuxième du nom. La bataille dans laquelle ils s’affrontèrent fut vraiment terrible. L'empereur Constant y fut tué, en même temps que quarante-neuf mille Romains. Les Romains [II, p. 75] perdirent deux cités, Plaxadas et Ordanas, conquises par le roi de Perse.

[Ly pape Liberius fut envoiet en exilh] Adont tient Constanche l'empire tou seul, et fut Arrien I gran maistre deleis luy. Chis emperere, tantoist qu'il vint à Romme, mandat le pape Liberius, et ly commandat que ilh se vosist accordeir aux opinions le preistre Arriain ; mains ly pape le refusat, si en fut envoiet en exilhe, et fut mis en son lieu I altre preistre qui estoit asseis favorable à Arriain, lyqueis fut nommeis Felix, et fut romans.

[Le pape Libère fut envoyé en exil] Constance fut alors seul à la tête de l’empire, et Arius devint son grand maître. Dès son arrivée à Rome, Constance convoqua le pape Libère et lui ordonna d’adopter les opinions du prêtre Arius. Le pape Libère refusa et fut envoyé en exil. Un autre prêtre, plutôt favorable à Arius, fut mis sa place : nommé Félix, il était originaire de Rome.

Apres ly emperere Constanche envoiat tous les proidhons en exilhe, qui sourtenir ne voloient les heresies Arriain, et qui le vraie foid catholique prechoient.

Après cela, l’empereur Constance exila tous les hommes de bien qui ne voulaient pas soutenir les hérésies d’Arius et qui prêchaient la vraie foi catholique.

[Felix le intrus] Chis intrus pape Felix fut uns hons mult discreis, et, jasoiche qu'iIh fut del acontement l'emperere, nonporquant ilh les blamoit, et reprendoit luy et Arriain que ly pape Liberius et les aultres proidhons estoient enssi exilhiiés. Sy en fut ly emperere mult corochiés, et ly dest, s'ilh ne soy relassoit de estre si contraire à Arriain, que ilh l'osteroit de son siege et l'envoiroit en exilhe.

[Félix l’intrus] Ce Félix, le pape intrus, était un homme très réservé et, bien qu’il fût du côté de l’empereur, il ne lui adressait pas moins des critiques. Ainsi lui reprochait-il, à lui et à Arius, d’avoir exilé le pape Libère et les autres sages. L’empereur en fut très irrité et lui dit que s’il ne renonçait pas à son hostilité envers Arius, il serait privé de son siège et envoyé en exil.

[Ly intrus Felix parlat mult saintement à l’emperere del papaliteit] Mains onques ly intrus pape Felix par ses maneches ne laisat à prechier la foid, et disoit, si l'emperere l'ostoit de siege, portant ilh ne l'ostat mie de l'amour de Dieu que ilh amoit mies que le siege de la papaliteit, car ilh n'estoit mie pape, ne ilh ne soy tenoit mie por pape, anchois ilh estoit suffragans et lieutenans de pape Liberius qui estoit en exilh. Enssi ne fut mie pris ly pape Felix par maneches, ains prechat toudis la foid mult diligemment.

[Félix l’intrus parla très saintement à l’empereur de la papauté] Mais jamais, malgré ces menaces, Félix, le pape intrus, ne cessa de prêcher la foi. Il disait que, si l’empereur lui ôtait son siège, il ne lui ôterait pas l’amour de Dieu, de beaucoup préférable au siège papal. Il n’était pas pape et ne se considérait pas comme pape, mais comme l'assistant et le remplaçant du pape Libère en exil. Ainsi Félix, insensible aux menaces, prêcha toujours la foi avec beaucoup de zèle.

 

Saint Servais à Tongres - Les Huns défaits en Hongrie (354-355)

[II, p. 75] [De sains Servais, evesque de Tongre qui fondat I englise] Apres sains Servais, evesque de Tongre, edifiat en mois de may l'an IIIc et LIIII une engliese à Tongre en l'honeur de sains Coyme et sains Damyen, qui fut ly promier qui fust onques fondée en monde en l'honeur d'eaux : et ilh estoient apparus à luy en son dormant, et ly avoient priiet del faire, car ilh estoient de la lignie sains Servais.

[II, p. 75] [Saint Servais, évêque de Tongres, fonde une église] Ensuite, saint Servais, évêque de Tongres, édifia dans cette ville, en mai 354, en l’honneur des saints Côme et Damien, une église qui fut la première jamais fondée au monde en leur honneur : ils étaient apparus à saint Servais pendant son sommeil et l’avaient prié de le faire, car ils étaient de sa famille [Sur saint Servais, cfr II, p. 63-67 ; II, p. 89-94 et II, p. 96-99].

[Les Huens furent desconfis en Hongrie] Item, l’an IIIc et LV, rentront les Huens en Hongrie, qui habitoient en la terre de Rossie ; mains ly roy Prian et ly dus de Bulgarie les desconfirent en batalhe, si s'en refuirent en la terre de Rossie.

[Les Huns sont défaits en Hongrie] En l’an 355, les Huns, installés dans la terre de Russie, rentrèrent en Hongrie, mais le roi Priam et le duc de Bulgarie les vainquirent en une bataille. Les Huns s’enfuirent à nouveau vers la Russie.

 

Constance exile Félix et remet Libère, devenu arien, sur le siège papal - Nombreux clercs persécutés, parce que hostiles à Arius (356)

[II, p. 75] [Felix intrus pape fut envoiet en exilhe, et Liberius fut remandeis] Item, l’an IIIc et LVI, prechoit ly intrus pape Felix mult diligemment la foid catholique contre les faux heresies Arriain, et tant que l'emperere le soit, se l'oistat de siege ; et ilh denunchat tantoist l'emperere excommengniés et malvais heretique.

[II, p. 75] [Félix le pape intrus est envoyé en exil, et Libère rappelé] En l’an 356, Félix, le pape intrus, prêchait avec beaucoup de zèle la foi catholique, contre les hérésies mensongères d’Arius. Dès que l’empereur le sut, il lui enleva son siège ; Félix déclara aussitôt l’empereur excommunié et mauvais hérétique.

[Ly pape Liberius fut remis en son siege, portant qu’ilh fut amis à Arriain et devient heretiques] Adont fut-ilh envoyés en exilhe, et fut remandeis ly pape Liberius et [II, p. 76] remis en son siége portant qu'ilh s’acordat à l'emperere et à Arriain et soy consentit à leur heresyes.

[Le pape Libère est remis sur son siège, pour autant qu’il soit ami d’Arius et devienne hérétique] Alors Félix fut envoyé en exil. Le pape Libère fut rappelé et [II, p. 76] réinstallé sur son siège, pour autant qu’il s’accorde avec l’empereur et avec Arius ; il consentit à leurs hérésies.

Et quant la clergerie de Romme veit chu, si fut mult confut, et reprisent grandement le pape Liberius de chu qu'ilh ne prechoit contre les heresyes Arriain ; mains quant li pape entendit chu, si soy plendit à l'emperere de son college et de toute la clergerie. De chu [fut] l'emperere si corochiet qu'ilh fist martyrisiier mult des clers le pape Liberius qui estoient contraires à luy. Adont fut martirisiiet I preistre qui oit nom Eusebe, portant que ilh disoit le pape Liberius estre drois heretiques, et por chu ly avoit l'emperere rendut le siege.

En voyant cela, les clercs de Rome furent très troublés et reprochèrent vivement au pape Libère de ne pas prêcher contre les hérésies d’Arius. Quand il entendit cela, le pape se plaignit à l’empereur de son collège et de tous les clercs. L’empereur fut si fâché qu’il fit martyriser un grand nombre des clercs du pape Libère qui s’opposaient à lui. Ce fut le cas d'un prêtre nommé Eusèbe : il disait que le pape Libère était un véritable hérétique et que c’était pour cela que l’empereur lui avait rendu le siège pontifical.

 

Mortalité dans le bétail - Canonisation de saint Antoine - Châsse à Constantinople pour les ossements des saints André et Luc - Saint Hilaire de Poitiers, hostile à Arius, est exilé momentanément à Éphèse - Les chrétiens murmurent contre l’empereur - Le pape Félix blâme les hérétiques lors d’un concile - Saint Martin devient disciple de saint Hilaire - Constance et Arius sont tués à Rome par les chrétiens (357-362)

[II, p. 76] [Grant mortaliteit des biestes] Item, l'an IIIc et LVII, fut sy grant mortaliteit de toute manere de biestes, qu'ilhs chaioient mortes par les champs, et se ne savoit-ons qu'ilh les falloit ; et durat chu VIII mois.

[II, p. 76] [Grande mortalité dans le bétail] En l’an 357, la mort frappa des bêtes de toute sorte qui tombaient dans les champs sans qu’on sache ce qui leur manquait. Cela dura huit mois.

Item, l’an IIIc et LVIII, fut sains Anthoyne ly moynes canonisiés qui fut heremite, et morut en l'eiage de cent et V ans de temps l'empereur Constanche, sicom nos avons dit par-dessus.

En l’an 358 fut canonisé le moine saint Antoine, qui avait été ermite et était mort à l’âge de cent et cinq ans, au temps de l’empereur Constance, comme nous l’avons dit ci-dessus (II, p. 70 ; cfr aussi II,  p. 227).

Item, l'an IIIc et LIX, furent mis en fietre en Constantinoble les osseals sains Andrier et sains Luke ewangeliste.

En l’an 359, on mit dans une châsse à Constantinople les ossements de saint André et de saint Luc, l’évangéliste (cfr II, p. 71).

[Sains Hylaire fut envoiet en exilhe en Ephese où il fist mult de librez - Ilh nommat le pape cos et lyon] Item, l'an IIIc et LX, envoiat l'emperere Constanche en exilh en Frise sains Hilaire, l'evesque de Poytier, portant que ilh prechoit contre les heresyes Arriain. Et là fist sains Hylaire mult de beais libres plains de vraie doctrine de la foid Jhesu-Crist ; et apellat le pape Lyberius lyon et cos, en disant : « Tu es un cos, mains nom fis de geline ; et sy es lyon, mains chu n'est mie de la lignie Juda. » Ons ne pot oncques savoir porquoy sains Hylaire avoit chu dit, car Liberius n'avoit mie à nom Lyon, se ilh ne interpretoit lyon, portant que ilh savoit le pape.

[Saint Hilaire fut envoyé en exil à Éphèse où il écrivit beaucoup de livres - Il appela le pape coq et lion] En l’an 360, l’empereur Constance exila en Phrygie saint Hilaire, l’évêque de Poitiers, parce qu’il prêchait contre les hérésies d’Arius. Dans son exil, Hilaire rédigea de nombreux ouvrages, fort beaux et remplis de la vraie doctrine de la foi en Jésus-Christ. Il traita aussi le pape Libère de lion et de coq, disant : « Tu es un coq, mais qui n’est pas né d’une poule ; tu es aussi un lion, mais qui n’est pas de la lignée de Judas. » On ne put jamais savoir pourquoi saint Hilaire avait dit cela, car Libère ne s’appelait pas Léon, et il ne pouvait songer à un lion, parce qu'il connaissait le pape (Cfr notes de lecture).

Item, en cel an commencharent les cristiens à Romme grandement à murmureir contre l'emperere.

Et cette même année [360], à Rome, les chrétiens se mirent à murmurer fortement contre l’empereur.

[Felix denunchat le pape et l’emperere, et Arrian heretiques] Item, en cel an assemblat Felix, qui estoit en exilhe, unc conciel de XLIII evesques où ilh avoit II preistres entachiés dez heresyes Arriain, qui estoient nommeis Ursicyens et Valens et estoient [II, p. 77] familiares à l'emperere ; se les fist vuidier, et fist devant eaux dénunchier et denunchat le pape Liberius, et l'emperere Constanche et Arriain heretiques.

[Félix déclara hérétiques le pape, l’empereur et Arius] Cette année-là [360], Félix, qui était en exil, rassembla un concile de quarante-trois évêques, parmi lesquels se trouvaient deux prêtres contaminés par les hérésies d’Arius. Ils s’appelaient Ursace et Valens et étaient [II, p. 77] familiers de l’empereur. Il les chassa de l’assemblée après avoir déclaré solennellement hérétiques le pape Libère, l’empereur Constance et Arius.

[Sains Hylaire fut remis en son siege] Item, l'an IIIc et LXI, fut sains Hylaire rapelleis et remis en son siége com uns proidhons et loial.

[Saint Hilaire retrouva son siège] En l’an 361, saint Hilaire fut rappelé et réinstallé sur son siège, comme un homme sage et juste.

[Sains Martin devint disciple sains Hylaire] Et l'an IIIc LXII, relenquit sains Martin chevalrie et se devint disciple à sains Hylaire, evesque de Potiers ; si demorat awec ly et l'ordinat tou promier.

[Saint Martin devint disciple de saint Hilaire] En l’an 362, saint Martin quitta la chevalerie et devint le disciple de saint Hilaire, évêque de Poitiers ; il demeura avec lui et fut le premier à être ordonné par lui. [Sur saint Martin, cfr aussi II, p. 53-54 ; p. 62 ; p. 110 ; p. 119 ; p. 165 ; p. 174 ; p. 260]

[L’emperere Constanche et Arriain furent ochis] En cel an fut l'emperere Constanche et Arriain son maistre, le XXIIIIe jour de septembre, ochis à Romme en son palais depart les cristiens cuy ilh formynoient trop.

[L’empereur Constance et Arius furent tués] Le 24 septembre de cette année-là [362], fut tué, dans son palais à Rome, l’empereur Constance, ainsi qu’Arius, son maître, par les chrétiens, qu’ils malmenaient trop.

 

Arius : Constance n’est pas mort dans son palais, tué par des chrétiens, mais en Orient, de maladie, en 361 de notre ère.  Il y était arrivé l’année précédente pour lutter contre les Perses. Quant à Arius, il était mort depuis longtemps, en 336 de notre ère, sans doute à Constantinople, et de maladie.

 

 


 

 

C. Julien l’Apostat, quarantième empereur (362-365) [Myreur, II, p. 77b-79a]

 

 

Sommaire

Julien, neveu de Constantin le Grand, et cousin de Constance, resta longtemps moine dans une abbaye - Craignant d’être tué par Constance et sous l’influence d’un maître inspiré par le diable, Julien renia sa foi pour devenir empereur et, arrivé à Rome après la mort de Constance, devint l’empereur Julien l’Apostat - Ses persécutions (362ss)

Succession à Louvain - Ordonnance du pape Félix - Julien autorise la reconstruction du temple de Jérusalem - Les Juifs, croyant que la chance a tourné, rappellent leurs frères les Huns, plutôt réticents - Un tremblement de terre empêche la reconstruction du temple (363-364)

Saint Augustin fut d‘abord un païen et un persécuteur - Julien l’Apostat attaque les Perses, mais est défait et meurt, cruellement supplicié par Shapur [écorchement et salage] (365)

 

 

Julien, neveu de Constantin le Grand, et cousin de Constance, resta longtemps moine dans une abbaye - Craignant d’être tué par Constance et sous l’influence d’un maître inspiré par le diable, Julien renia sa foi pour devenir empereur et, arrivé à Rome à la mort de Constance, devint l’empereur Julien l’Apostat - Ses persécutions (362ss)

[II, p. 77b] [Julien l’apostate fut fais emperere le XLe] Apres sa mort fut fais emperere de Romme Julien ly apostate. Chis Julien ly apostate estoit del sanc del emperere, si vos dirons comment : Constantin ly gran, emperere, fut frere al peire Julien l'apostate, si qu'ilh estoit oncle de Julien, et ses trois fis qui avoient esteit empereres, assavoir Constantin, Constanche et Constans, si estoient cusiens germains à Julien ; mains Constantin le gran, emperere, avoit ochis son frere le peire Julien, ne say la cause porquoy ; se avient que quant Constantin fut mors que Constanche, son fis, fist Julien moyne en une abbie ; et fut tant moyne, qu'ilh fut clameis frere.

[II, p. 77b] [Julien l’apostat devint le quarantième empereur] Après la mort de Constance, Julien l’Apostat devint l’empereur de Rome. Ce Julien était du même sang que l’empereur. En effet, l’empereur Constantin le Grand était le frère du père de Julien l’Apostat, et ses trois fils, Constantin, Constance et Constant qui avaient été empereurs, étaient les cousins germains de Julien. Mais l’empereur Constantin le Grand avait tué son frère, le père de Julien, pour une raison que j’ignore et il se fit qu’après la mort de Constantin, Constance, son fils, imposa à Julien d’être moine dans une abbaye. Il y resta moine et y fut proclamé frère.

[Coment Julien refusat l’abit de son religion] Se revient à Romme al temps del persecution Constanche l'emperere, sy renfuit se voie vers l'abbie, car ilh avoit paour que Constanche ne le fesist ochire ; si s'en allat unc pou apres par diverses provinches, et n'avoit point l'abit de son ordre et estoit apostate ; et soy entremelloit d'enchantemens de l'art de nygromanche.

[Comment Julien refusa l’habit religieux] Revenu à Rome au temps des persécutions de l’empereur Constance et craignant d’être tué sur son ordre, il reprit la route pour se réfugier vers l’abbaye. Un peu plus tard, il s’en alla et parcourut diverses provinces sans toutefois porter l’habit de son ordre, car il était apostat. Il s’occupait aussi d’enchantements et de magie.

[Julien renoiat la foid cristine] Et sy trovat un melheur maistre de li qui parmy l'art de dyable ly dest, s'ilh li voloit creanteir qu'ilh renoieroit la foid cristine, ilh seroit temprement emperere de Romme. Ilh respondit oilh, et y renunchat là meisme par foid et par seriment. Et chil ly dest qu'il chevalchast tantoist vers Romme en armes, et ilh le fist, car ilh vient à Romme, se trovat que son cusin Constanche estoit mors ; se fut tantoist eslus par les donnes qu'ilh donnat et promist aux sénateurs.

[Julien renia la foi chrétienne] ll se trouva un maître meilleur qui, inspiré par l’art du diable, lui dit que s’il voulait garantir qu’il renierait la foi chrétienne, il serait bientôt empereur de Rome. Il répondit oui et y renonça sur place même, en toute loyauté et sous serment. Son maître lui dit alors de s’armer et de chevaucher immédiatement vers Rome, ce qu’il fit. Quand il arriva dans la ville, il trouva son cousin Constance mort et fut aussitôt élu, grâce aux dons et aux promesses qu'il fit aux sénateurs.

[Porquoy ilh oit nom Julien l’apostate] Apres, chis Julien fut nommeis apostate por le raison que je vos diray : vos deveis savoir, et est veriteit, que Julien estoit cristien baptisiés, et avoit pres de XXIIII ans esteit moyne dedens une abbie qui estoit en Antyoche awec pluseurs religieux proidhommes ; et encordont ilh renoiat Dieu, sa mere et tous les sains de paradis por venir [II, p. 78] à l'empire, et mist sa creanche del tout aux ydolles adoreir. Et enssi fut-ilh II fois apostate, car ilh avoit lassiet son ordre en laqueile ilh avoit esteit professe XXIIII ans, et avoit repris cel qu'ilh ne devoit mie tenir ; et oussi ilh avoit renoiet sa droit loy en laqueile ilh estoit professe et baptisiet de XL ans, sy avoit pris une aultre loy, et por ches dois chouses ilh estoit double apostate.

[Pourquoi il reçut le nom de Julien l’Apostat] Par la suite, ce Julien fut nommé l’Apostat, pour la raison que voici. Vous devez savoir, et c’est la vérité, que Julien était un chrétien baptisé et qu’il avait été moine pendant près de vingt-quatre ans dans une abbaye à Antioche, avec plusieurs religieux sages. Pourtant, il renia Dieu, sa mère et tous les saints du paradis pour parvenir [II, p. 78] à l'empire et il mit sa confiance totale dans l’adoration des idoles. Ainsi fut-il deux fois « apostat ». Il avait abandonné l’ordre où il avait été profès vingt-quatre ans pour reprendre le rôle qu’il ne devait pas tenir. Il avait aussi renié la loi droite, dans laquelle il avait professé des vœux et avait été baptisé depuis quarante ans pour en adopter une autre. Pour ces deux raisons, il était doublement apostat.

[Mult grant persecution par Julien l’emperere] Chis emperere Julin fist plus grant persecution à Sainte-Engliese que tous cheaux qui devant luy avoient regneit en l'empire, et ch'estoit rason ; mains ilh regnat pou, car ilh ne regnat que II ans, dois mois et IX jours.

[Très grande persécution par Julien l’empereur] Cet empereur persécuta la Sainte-Église plus que tous ceux qui avaient dirigé l’empire avant lui ; mais son règne fut court et c’était une bonne chose car il ne régna que deux ans, deux mois et neuf jours. 

et ch'estoit rason : « Il est possible que ces trois mots doivent venir après les quatre qui suivent », note Borgnet ad locum. Nous avons traduit en suivant sa suggestion.

 

Succession à Louvain - Ordonnance du pape Félix - Julien autorise la reconstruction du temple de Jérusalem - Les Juifs, croyant que la chance a tourné, rappellent leurs frères les Huns, plutôt réticents - Un tremblement de terre empêche la reconstruction du temple (363-364)

[II, p. 78] Item, l'an IIIc et LXIII en mois de june, morut Prian ly conte de Lovay ; si regnat apres luy son fis Jonas XI ans.

[II, p. 78] En juin 363 mourut Priam, comte de Louvain. Après lui, son fils Jonas régna pendant onze ans.

[Status papales] En cel an ordinat li pape Felix que quiconques evesques soit appelleis al conciel qu'ilh y vengne.

[Ordonnance papale] Cette année-là [363], le pape Félix ordonna que tout évêque, quel qu’il soit, appelé au concile, devait s'y rendre.

[Julien donnat congier aux Juys de refeir le temple Salmon] Item, l'an IIIc et LXIIII en mois de may, donnat ly emperere Julien, por faire plus grant despit à la loy cristine, congier aux Juys de reedifier le temple Salmon. Adont se rasemblarent les Juys, qui bien quidarent que Dieu les awist visenteit et leur profit mis en la volenteit l'emperere ; si mandarent promierement aux Huens que Dieu les avoit visenteit et sorcorut, et qu'ilh awissent sour chu bon conselhe del revenir ou del conquiere avant, car ilh estoient entreis en la ruwe de fortune por regneir.

[Julien accorda aux Juifs la liberté de reconstruire le temple de Salomon] En mai 364, l’empereur Julien, pour mépriser davantage encore la foi chrétienne, accorda aux Juifs l’autorisation de reconstruire le temple de Salomon. Alors les Juifs se rassemblèrent, persuadés que Dieu s'était mis de leur côté et avait poussé l’empereur à favoriser leurs intérêts. Ils informèrent d'abord les Huns de cette nouvelle attitude divine, s'appuyant sur elle pour leur conseiller de revenir et de reprendre leurs conquêtes : les Huns étaient entrés dans la roue de la fortune pour prendre le pouvoir.

Et apres s'en allerent en Jherusalem, et recommencharent le temple reedifier ; mains ly vraie Dieu, qui leur oevre ne prisoit gaire, envoiat I muet de terre si orible, que tout chu qu'ilh avoient faite en III mois fut tout destruite en une nuit, et là fut pluseurs Juys ochis : si demorat ly ovraige enssi. Quant les Huens entendirent le mandement de leurs freres les Juys, se dessent que à bon preu les vengne, car leur fortune n'estoit mie entrée del conquesteir, et chu savoient-ilh bien par les astrenomiens de leur loy qui estoient awec eaux.

Ensuite les Juifs allèrent à Jérusalem et commencèrent à reconstruire le temple. Mais le vrai Dieu, qui n’appréciait guère leur ouvrage, envoya un tremblement de terre si terrible que ce qu’ils avaient fait en trois mois fut entièrement détruit en une nuit. De nombreux Juifs furent tués et le travail fut interrompu. Quand les Huns apprirent ce qui était arrivé à leurs frères les Juifs, ils se dirent que cela arrivait à propos : l'heure n’était pas encore venue pour eux de faire des conquêtes : ils le savaient par les mages de leur religion qui les accompagnaient.

 

Saint Augustin fut d‘abord un païen et un persécuteur - Julien l’Apostat attaque les Perses, mais est défait et meurt, cruellement supplicié par Shapur [écorchement et salage] (365)

[II, p. 78] [De sains Augustin qui estoit païens - Sains Augustin fist ochier pluseurs sains cristiens] A cel temps regnoit sains Augustin, mains ilh estoit mescreans et faisoit tant de persecucion sour les cristiens qu'ilh en fut mult martirisiet à sa porcuration et par son enortement, entres lesqueiles [II, p. 79] furent martyrisiiés sains Poul, et sains Johans, et Cyrillus le XXVIe jour de junne, l'an IIIc et LXV.

[II, p. 78] [Saint Augustin était païen - Il fit mettre à mort de nombreux saints chrétiens] En ce temps-là vivait saint Augustin (cfr II, p. 101 et II, p. 138-139), mais il était mécréant et persécutait tellement les chrétiens que beaucoup d’entre eux furent martyrisés sur son ordre et ses encouragements. Ce fut le cas [II, p. 79], le 26 juin de l’an 365, de saint Paul, saint Jean et Cyrille.

[Julien vowat, s’ilh avoit victoir, ilh destruroit cristiniteit] Item, en cel an passat mere à grans gens l'emperere Julien, et s'en allat sour le roy de Persie ; si vowat à ses ydolles, se ilh venquoit la batalhe, porquen ilh metist les Persiens à merchi, il destruroit à sa revenue tout cristiniteit, et feroit par tot son empire croire et adoreir les ydolles.

[Julien fit vœu, s’il remportait la victoire, de détruire la chrétienté] Cette année-là, l’empereur Julien traversa la mer avec des troupes nombreuses pour attaquer le roi de Perse. Il promit à ses idoles, s'il remportait la bataille et mettait les Perses à sa merci, qu'à son retour il détruirait la chrétienté et imposerait dans tout son empire de croire dans les idoles et de les adorer.

Adont oit-ilh batalhe à roy Sapor, le secon de chi nom, qui fut mult peruelheux ; en laqueile batalhe l'emperere ochist Ector, le fis Sapor de Persie, de quen ly roy son pere fut mult corochiés, car ilh amoit son fis. Atant escriat Sapor ses gens, et assalhit les Romans par teile manere qu'ilh furent tous desconfis.

Il y eut alors contre le roi Shapur, second du nom, une bataille très périlleuse, au cours de laquelle Julien tua Hector, le fils du roi. Cela irrita beaucoup le père, qui aimait son fils. Shapur appela alors ses gens à grands cris et attaqua les Romains d’une manière telle qu’ils furent tous vaincus.

[Julin l’emperere fut escorchiés et ocis, et se gens desconfit] Adont fut par forche pris l'emperere Julien l'apostate : se le fist le roy tantoist loyer sor une tauble, et ly fist trois fois le jour a casconne fois talhyer I corroie de cure de son dos, et puis le faisoit saleir de vive chals ; enssi viscat-ilh sens boire et sens mangnier III jours, en criant à hault vois, enssi qui dist sains Jerome : « Tu m'as vanqut, Jhesus de Galilée, tu as vanquut ; » et puis ilh morut, et adont ly roy Sapor le fist jetteir en la mere. Enssi morut Julien ly apostate, le VIIIe jour de mois de septembre.

[Julien l’empereur fut écorché et mis à mort, et ses gens furent défaits] Alors l’empereur Julien l’Apostat fut fait prisonnier. Le roi le fit lier sur une table et ordonna de lui tailler trois fois par jour une bande de peau sur son dos, en faisant saler la blessure avec de la chaux vive. Julien vécut ainsi sans boire et sans manger durant trois jours, en criant à haute voix, d’après saint Jérôme : « Tu m’as vaincu, Jésus de Galilée, tu as vaincu » ; puis il mourut. Alors le roi Shapur le fit jeter à la mer. Ainsi mourut Julien l’Apostat, le huitième jour du mois de septembre.

écorché : Pour d'autres exemples de ce supplice, de l'écorchement avec salage, cfr I, p. 217-218 (César et le roi Hanigos)  ; II, p. 114 (Attila et le traître Abafis) ; II, p. 128 (le prévôt Clarnus et le traître Henri) ; II, p. 223 (Frédégonde et son amant Landeric)


[Texte précédent II, p. 51-70] [Notes de lecture] [Texte suivant II, p. 79-95]