Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 104b-121a

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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LES RÈGNES DE CLODION (393-402) ET DE MÉROVÉE (402-412)

 

MORT DE THÉODOSE Ier - ARCADIUS ET HONORIUS - LA FRANCE DE CLODION,

 LA FLANDRE D'AGRICOLA ET LE BRABANT D'HECTOR - MÉROVÉE  - TONGRES ET SES ÉVÊQUES - LES PAPES - VIE DE SAINT ALEXIS - ATTAQUES ET EXPANSION DES HUNS - VARIA

 

Ans 393-412 de l'Incarnation

 

Texte et traduction

 


Ce fichier qui couvre les années 393 à 412 de l'Incarnation et correspond aux II, p. 104-121 du Myreur, contient deux sections :

 

* A. Ans 393-402 (Myreur, II, p. 104b-110a) : À l'époque de Clodion, deuxième roi de France [sommaire et texte]

* B. Ans 402-412 (Myreur, II, p. 110b-121a) : À l'époque de Mérovée, troisième roi de France - Vie de saint Alexis - Expansion des Huns - Leurs destructions  [sommaire et texte]

 

N.B. Le fichier suivant (II, p. 121-138 du Myreur), sera essentiellement consacré à l'époque de Childéric Ier. On y trouvera la suite d'un certain nombre d'événements abordés dans le présent fichier (II, p. 104-121). Cela explique que  les Notes de lecture des fichiers II, p. 104-121 et II, p. 121-138 ont été traitées dans un seul et même fichier.

 


 

 

A. Ans 393-402 : ÉPOQUE DE CLODION, DEUXIÈME ROI DES FRANCS (de 393 à 402)

 

 

Sommaire

Événements divers à Rome (sont notamment abîmées des statues faites par Virgile ainsi que sa balance) (393) - Canonisation de Jean Chrysostome, archevêque d'Antioche (394) - Mort de Pharamond, premier roi des Francs (394) et accession au pouvoir de Clodion qui établit toute une législation en faveur et de son peuple et des Germains soumis par Pharamond (395) - Des siamois en Judée (396)

Une dispute pour la possession des biens de Théodoric le Poilu, mort sans héritier, provoque une guerre entre Clodion, roi de France, et Agricola, comte de Flandre, qui revendiquent tous les deux le territoire du défunt (397)

* Mort de Théodose Ier (397) - Arcadius et Honorius, ses deux fils, lui succèdent - Prestige à Rome du moine Arsène - Saint Jérôme traduit la Bible (397)

Agricola, le comte de Flandre, s'est emparé des terres de Théodoric - En réaction, Clodion, roi des Francs, envahit la Flandre qu'il saccage - Il exige qu'Agricola non seulement lui rende hommage pour la Flandre mais lui remette les possessions de Théodoric - Refus d'Agricola - Guerres autour de Cambrai et de Tournai qui sont finalement contrôlées par Clodion (398-399)

Mort du pape Sirice remplacé par le pape Anastase (399)

Clodion, qui a annexé les possessions de Théodoric, exige désormais la Flandre - Il assiège Gand mais doit renoncer et rentrer dans son pays car Attila et ses Huns l'envahissent - Il sera vainqueur d’Attila à Lutèce (399-400)

Ordonnance du pape Athanase - À Tongres, mort de l’évêque Agricola et élection d’Ursin pour le remplacer (401)

Agricola, comte de Flandre, ayant fait alliance avec Hector, comte de Brabant, les Francs doivent maintenant affronter les deux pays - Défi - Invasion par les forces de Clodion - Batailles - Nombreux combats racontés sur le mode épique - Ils sont à l’avantage des Francs, mais se terminent par la mort de Clodion, trop hardi et trop imprudent - Les Francs retournent à Lutèce avec le cadavre de leur roi (401-402)

 

 

Événements divers à Rome (sont notamment abîmées des statues faites par Virgile ainsi que sa balance) (393) - Canonisation de Jean Chrysostome, archevêque d'Antioche (394) - Mort de Pharamond, premier roi de France (394) et accession au pouvoir de Clodion qui établit toute une législation en faveur et de son peuple et des Germains soumis par Pharamaond (395) - Des siamois en Judée (396)

[II, p. 104b] [De grant effodre de Romme] Item, IIIc XCIII, en mois de may, chaiit unc gran effoudre à Romme, qui abatit à terre pluseurs des ymagines que Virgile avoit faites, de quoy les Romans furent mult corochiés, et oussi fut ly pape, jàsoiche qu'elles fussent faites par nygromanche, car elles fasoient bien à peuple et nient mal.

[II, p. 104b] [Rome gravement frappée par la foudre] En mai 393, la foudre frappa violemment Rome, faisant s’écrouler de nombreuses statues réalisées par Virgile. Cela contraria beaucoup les Romains et aussi le pape, car ces statues, bien que dues à la magie, faisaient du bien au peuple et ne causait aucun mal.

[Del balanche Virgile] A chesti effoudre fut abattue la balanche que Virgile fist, que une ymage tenoit, dont on vendoit et achatoit [II, p. 105] justement, enssi qu’ilh est fait mension chi-desus, al temps que Virgile visquoit.

[Del balanche Virgile] La foudre abattit ainsi la balance que tenait une statue réalisée par Virgile. Elle permettait de vendre et d’acheter [II, p. 105] au juste prix, comme signalé ci-dessus dans la vie de Virgile (cfr I, p. 230).

[Johans-Crisostomi] Sour l'an IIIc et XCIIII, fut canonisiés sains Johans-Crisostomes, qui promier fut preistre en Antyoche ; et apres fut-ilh archevesque de Constantinoble.

[Jean Chrysostome] En l’an 394 fut canonisé saint Jean Chrysostome. D'abord prêtre à Antioche, il était devenu par la suite archevêque de Constantinople (cfr II, p. 119 et II, p. 144). [cfr Martin, Chronique, p. 417, s.v° Siricius]

[Clodius, li IIe roy de Franche] En cel an en mois de jule, morut Pharamon, ly promier roy de Franche ; si fut roy apres luy son fis Clodius, qui regnat VIII ans. Chis Clodius fist et ordinat en son pays mult de loys de justiches, et d'aultres chouses qui astoient profitauble à common peuple, petit et grant.

[Clodion, deuxième roi de France] En cette même année, au mois de juillet, mourut Pharamond, le premier roi de France (cfr II, p. 89 ; II, p. 100 et p. 101 ; II, p. 143). Son fils Clodion lui succéda et régna huit ans. Il établit dans son pays de nombreuses lois concernant la justice et d’autres sujets, dans l’intérêt commun de tous, petits et grands.

Item, l'an IIIc XCV en mois d'avrilh, assemblat ly roy Clodius ses hommes à cheval, et s'en allat en parties de Germaine, se prist les homaiges à tous cheaux qui son pere Pharamon avoit mis en sa subjection le temps devant ; et donnat à eaux certaines loys et franchieses, teiles qu'ilh avoit donneit az gens de son pays. Apres chu revient Clodius à Lutesse, sa citeit, qui mult estoit riche d'avoir.

En l’an 395, au mois d’avril, le roi Clodion rassembla ses chevaliers, se rendit dans des régions de Germanie et y reçut les hommages de tous ceux que son père Pharamond avait soumis précédemment. Il leur octroya des lois et des franchises, comparables à celles qu’il avait accordées aux gens de son pays. Après quoi, il revint à Lutèce, sa cité, qui abondait en richesses.

[Mervelheux creature d’homme] Item, l'an IIIc XCVI, nasquit en I casteal en Judee, qui est nommeis Emaux, I enfes qui de la botroul en amont estoit deviseis en la fachon de II corps humaine, car ilh avoit dois potrines, quattres bras, dois tiestes, et en cascon les propres figures et le propre sens que uns hons doit avoir. Ceste figure veit-ons sovent mangnier par une bouche et nient par l'autre, et alconne fois par les dois ; et alconne fois ilh dormoit des yeux de l'unne des tiestes, et si voilhoit de l'autre ; et ploroit enssi alconne fois ensemble et teile fois de l'unne par ly. Et vos disons que ilh viscarent enssi ensemble dois ans, et apres morut ly unc apres l'autre IIII jours. Chu fut une grant senefianche, che disoient les gens de chi pays ; mains tant que à mon avis, je dis que chu est nature qui tant sceit faire de diverses chouses.

[Extraordinaire créature humaine] En l’an 396, en Judée, dans une place fortifiée, nommée Emmaus, naquit un enfant qui, au-dessus du nombril, était séparé en deux, à la manière de deux corps humains, car il avait deux poitrines, quatre bras, deux têtes ayant chacune leur propre visage, et l’intelligence propre à tout homme. On les voyait souvent manger par une bouche et non par l’autre, et quelquefois par les deux ; parfois les yeux d’une des têtes dormaient, tandis que l’autre figure était éveillée ; parfois aussi, elles pleuraient ensemble, et d’autres fois, l’une sans l’autre. Nous vous disons qu’ils vécurent ainsi ensemble deux ans ; puis l’un mourut, et l’autre quatre jours après. Ce fut un grand présage, selon les gens du pays ; à mon avis, la nature peut faire tant de choses diverses [cfr Martin, Chronique, p. 417, s.v° Siricius].

 

Une dispute pour la possession des biens de Théodoric le Poilu, mort sans héritier, provoque une guerre entre Clodion, roi de France, et Agricola, comte de Flandre, qui revendiquent tous les deux le territoire du défunt (397)

[II, p. 105] [Gerre entre les François et les Flamens] Apres l'an IIIc et XCVII, muet grant gerre entre le roy Clodius de Franche et le conte Agricolay de Flandre ; et le cause de la gerre fut teile : ilh avoit en Franche I chevalier qui oit nom Theoderic ly Polhus, de Tournay saingnour et de Cambray, et de pluseurs altres vilhes et de casteals jusques à la rivier de Somme. Si avient que chis chevalier morut en l'an deseurdit ; et apres sa mort ly conte de Flandre dest que, portant ly dis chevalier estoit mors sens heures et qu'il n'avoit nulle prochain amis, que la terre que ly chevalier tenoit devoit parvenir à ly, car elle avoit jadit esteit à ses [II, p. 106] predicesseures.

[II, p. 105] [Guerre entre les Francs et les Flamands] Ensuite, en l’an 397, éclata une grande guerre entre le roi de France Clodion et le comte de Flandre Agricola. En voici la cause. Vivait en France un chevalier nommé Théodoric le Poilu, seigneur de Tournai et de Cambrai, et de plusieurs autres villes et places fortes situées jusqu’à la rivière de la Somme. Ce chevalier vint à mourir, en l’an cité ci-dessus. Comme il était mort sans héritiers et n’avait aucun ami proche, le comte de Flandre déclara que la terre que détenait le chevalier devait lui revenir, à lui, comte de Flandre, car elle avait jadis appartenu à ses [II, p. 106] prédécesseurs.

Et ly roy de Franche respondit que, nonobstante toutes les parolles le conte de Flandre, la terre devoit aleir à ly et à sa royalme, car ceste terre, et oussi toute Flandre, avoit esteit promierement faite par les dus de Galle, si que Franche en estoit chief. Por chesti cause muet la gerre qui mult costat.

Le roi de France répondit que, contrairement à ce que disait le comte de Flandre, cette terre lui revenait à lui et à son royaume, car elle, ainsi que toute la Flandre, avaient d'abord été des créations des ducs de Gaule. La France en était donc propriétaire. Telle est l'origine de cette guerre, qui coûta très cher.

 

Mort de Théodose Ier - Arcadius et Honorius, ses deux fils, lui succèdent - Prestige à Rome du moine Arsène - Saint Jérôme traduit la Bible (397)

[II, p. 106] En cel an, le Ve jour de may, morut l'emperere Theodosius en la citeit de Melain ; mains ilh fut cel an meismes translateit en Constantinoble.

[II, p. 106] Le 5 mai de cette année-là [397], l’empereur Théodose Ier mourut dans la cité de Milan. Il fut transféré la même année à Constantinople.

Al temps Theodosius estoit en grant auctoriteit à Romme Aresemus, qui fut fais moyne par les senateurs, et sains Jerome translatat le Vielh Testament de hebreu en latin et toute le Byble.

Au temps de Théodose jouissait d’une grande autorité  à Rome Arsène, qui fut fait moine alors qu'il était sénateur. Saint Jérôme traduisit l’Ancien Testament et toute la Bible de l’hébreu en latin. [cfr Martin, Chronique, p. 417, s.v° Siricius]

[Archadien, le XLVIIIe emperere] Apres la mort l'emperere Theodosius, fut fais emperere Archadien, son fis, lyqueis regnat XV ans II mois et lX jours ; et regnat awec luy Honorien, son frere, qui encor estoit jovene.

[Arcadius, quarante-huitième empereur] Après la mort de l’empereur Théodose Ier, son fils Arcadius fut institué empereur et régna durant quinze ans, deux mois et neuf jours. Son frère Honorius, jeune enfant encore, régna avec lui.

 

Agricola, le comte de Flandre, s'est emparé des terres de Théodoric - En réaction, Clodion, roi des Francs, envahit la Flandre qu'il saccage - Il exige qu'Agricola non seulement lui rende hommage pour la Flandre mais lui remette les possessions de Théodoric - Refus d'Agricola - Guerres pour Cambrai et Tournai qui sont finalement  contrôlées par Clodion (398-399)

[II, p. 106] [Les Franchois ont victoire contre les Flammens] Item, l'an IIIc XCVIII en mois de septembre, s'en allat Clodius à grant gens sour le conte de Flandre, qui avoit saisis les vilhes de prinche desqueiles debas estoit ; si commenchat à ardre et exilhier la terre de Flandre, et mandat batalhe à conte de Flandre, où ilh ly venist faire homaige de toute la terre de Flandre, et ly rendist la terre de chevalier qu'ilh avoit sasie ; et, se chu ne faisoit-ilh, le cacheroit fours.

[II, p. 106] [Les Francs victorieux des Flamands] En septembre 398, Clodion marcha avec de nombreuses troupes contre le comte de Flandre, qui s’était emparé des villes litigieuses [celles de Théodoric le Poilu]. Il se mit à incendier et à saccager la Flandre, et déclara la guerre au comte : ce dernier viendrait lui faire hommage de toute la terre de Flandre et lui rendrait les terres du chevalier dont il s’était emparé ; sinon, il l’en chasserait.

Quant ly conte Agricolay oit teile mandement, ilh fut mult corochiés, et vient contre le roy à grant gens, qui avoit assagiet Cambray, et le corut sus : là oit fort batalhe, qui durat del heure de prime jusques à medis.

Quand le comte Agricola reçut cette injonction, il fut très en colère. À la tête de forces nombreuses, il marcha contre le roi, qui avait assiégé Cambrai, et l’attaqua : il y eut là une grande bataille, qui dura de la première heure à midi.

Mains ly conte de Flandre perdit XIIIIm hommes, et luy-meismes fut grandement navreis : se le navrat le roy Clodius, qui ochiet en la batalhe de sa propre main XVIIxx hommes ; car ons savoit bien lesqueis ilh avoit ochis, à chu qu'ilh fendoit I homme jusqu'en pis d'onne ghisarme qu'il portoit, que ons nommoit altrement unc spafut. Chis roy Clodius fut grans de XI piés, et astoit gros et fort à l'avenant ; et astoit ly plus hardis de monde et mult hastans en ses fais. Enssi furent desconfis les Flammens. Et ly roy Clodius demorat devant Cambray III mois, et le prist par forche, et mist dedens ses gens et sa justiche.

Le comte de Flandre perdit quatorze mille hommes et fut lui-même grièvement blessé  par le roi Clodion, qui au cours de la bataille tua de sa propre main deux cent quarante hommes. Il était facile d'identifier les gens qu’il avait tués, parce qu’il fendait un homme jusqu’à la poitrine, avec une arme de hast qu’il portait et qu’on appelle aussi un espadon. Ce roi Clodion mesurait onze pieds de haut, avec une corpulence et une force à l’avenant. Il était le plus hardi au monde et très rapide dans ce qu’il faisait. Les Flamands furent vaincus. Le roi Clodion resta trois mois devant Cambrai, dont il s’empara par la force. Il y installa ses gens et sa cour de justice.

Apres ly roy Clodius assegat Tournay, et seit devant VI mois, puis le prist en mois de may l'an IIIc XCIX.

Ensuite, le roi Clodion assiégea Tournai durant six mois, avant de prendre la ville en mai 399.

 

Mort du pape Sirice remplacé par le pape Anastase

[Anastaise le XLIIe pape de Romme] En cel an en mois [II, p. 107] d'avrilh, morut ly pape de Romme Syricius, qui mult fut proidhons ; si vacat le siege XX jour, et puis fut consecreis le XVIIIe jour de may unc cardinal qui oit nom Anastaise et fut de la nation de Romme, le fis Maximiain qui fut senateur, et tient le siege VI ans et XXVI jours.

[Anastase, quarante-deuxième pape de Rome] En avril de cette année-là [399] [II, p. 107] mourut le pape Sirice de Rome (cfr II, p. 95 et p. 102). C'était un homme très sage. Le siège resta vacant vingt jours. Puis, le 18 mai, un cardinal du nom d’Anastase fut consacré pape. Il était originaire de Rome, fils de Maximien, un sénateur. Il occupa le siège durant six ans et vingt-six jours. (Cfr II, p. 108, p. 110, p. 114).

 

Clodion, qui a annexé les possessions de Théodoric, exige désormais la soumission de la Flandre - Il assiège Gand mais doit renoncer et rentrer dans son pays car Attila et ses Huns l'envahissent - Il sera vainqueur d’Attila à Lutèce (399-400)

[II, p. 107] ltem, en cel an prist ly roy Clodius toutes les vilhes et les casteals qui avoient esteit le prinche Theodoric le Polhus, et fist tant qu'ilh fut de tout la terre en plaine possession, et se l'ajondit à son paiis. Adont jurat ly roy que jamais ly conte de Flandre n'auroit paix à luy, s'ilh ne ly rendoit sa terre en sa main, si en feroit sa volenteit par teile condition que ly conte ne tenroit jamais plain piet, ains le donroit ly roy où ilh voroit.

[II, p. 107] Cette année-là [399], le roi Clodion s’empara de toutes les villes et places fortes qui avaient appartenu au prince Théodoric le Poilu et réussit à s’approprier tout le territoire qu’il adjoignit à son pays. Le roi jura qu’il n’y aurait jamais de paix entre lui et le comte de Flandre, si ce dernier ne lui rendait pas sa terre et ne se pliait pas à ses volontés : le comte ne devrait plus jamais y mettre le pied et le roi en disposerait à son gré.

[Ly roy Clodius assegat Gant] Atant entrat ly roy en Flandre, gastant le pays et ardant, et assegat Gant, et dest qu'ilh ne s'en partiroit se l'aroit pris. Mains de chu falit-ilh, car ilh y seit VIII mois tous plains que oncques ne le pot avoir ; et, enssi qu'il seioit là, entrat en son pays ly roy Atilla awec ses Huens, et commenchat la terre à destruire.

[Le roi Clodion assiégea Gand] Alors le roi entra en Flandre, saccageant et incendiant le pays. Il mit le siège devant Gand, déclarant qu’il ne partirait pas avant d’avoir pris la ville. Sur ce point pourtant, il échoua, car Gand subit un siège de huit mois complets sans être prise. C’est que le roi Attila avait pénétré dans le pays de Clodion avec ses Huns et s'était mis à le dévaster.

[Les Huens entront en Franche, mains ly roy Clodius les desconfist] Et quant Clodius oiit ches novelles, ilh laisat le siege mult corochiés ; mains ilh estoit mult aise et joians de chu que Atilla estoit en son paiis, car ilh avoit grant volenteit del combattre à luy.

[Les Huns entrèrent en France mais le roi Clodion les défit] En apprenant cela, Clodion, très contrarié, abandonna le siège ; mais il était par ailleurs satisfait et heureux de la présence d’Attila dans son pays, car il désirait beaucoup se battre contre lui.

[L’an IIIIc] Si soy partit en mois de jule l'an IIIIc, et se vient droit à Lutesse, où les Huens estoient ; se mandat à Atilla que le roy Clodius estoit venus, qui li calengoit son pays, et qu'ilh fust apparelhiés de luy al defendre, car ilh le couroit tout maintenant, et li monstreroit qu'ilh n'avoit pointe d'amisteit à luy.

[L’an 400] Clodion se mit en route en juillet de l’an 400 et s'en alla directement à Lutèce, où se trouvaient les Huns. Il fit dire à Attila que le roi Clodion était arrivé, qu’il lui réclamait son pays et était prêt à le défendre. Il allait l’attaquer sur-le-champ et lui montrer qu’il n’y avait point d’entente possible avec lui.

Quant ly roy Atilla entendit chu, ilh fist ses gens armeir et vient contre le roy Clodius. Et, quant ilhs vinrent l'unc à l'autre, ilh soy corurent sus. Et deveis savoir que les promieres cops de la batalhe furent des dois roys, Clodius et Attila ; et brisat Atilla sa lanche, et Clodius l'abatit à terre, son cheval sour luy. De celle jouste furent les Huens mult enbahis, se relevarent leur saingnour.

Quand Attila entendit cela, il fit armer ses gens et marcha contre Clodion. Dès qu’ils s’aperçurent, ils se coururent sus. Vous devez savoir que les premiers coups portés dans la bataille le furent par les deux rois : Attila brisa la lance de Clodion qui le jeta à terre, écrasé sous son cheval. Les Huns furent très impressionnés par cette joute et durent relever leur seigneur.

Mains les Franchois les ont assalhis ; là fut la batalhe mult crueux de VIIxx milhes Huens contre XLVIm Franchois. Et encordont en orent toudis les Franchois le melhour, et bien y parut, car les Huens furent desconfis, et en fut ochis XXVIIm et IIIm Franchois. Enssi encachat Clodius les Huens de son paiis, et si oit tout le tressoir qu'ilh avoient aporteis. Apres chu [II, p. 108] rentrat Clodius en Lutesse, si fist ses gens repoiseir, car ilhs estoient mult travelhiiés.

Les Francs les attaquèrent : une bataille très cruelle se déroula alors entre cent quarante mille Huns et quarante-six mille Francs. Et pourtant ces derniers eurent toujours le dessus. Il est clair que les Huns furent défaits : il y eut vingt-sept mille Huns tués contre trois mille Francs. Ainsi Clodion chassa les Huns de son pays et s’empara de tout le trésor qu'ils transportaient avec eux. Après quoi [II, p. 108], Clodion rentra à Lutèce et laissa ses hommes se reposer, car ils étaient très éprouvés.

 

Ordonnance du pape Anastase - À Tongres, mort d’Agricola et élection d’Ursin comme évêque (401)

[II, p. 108] [Status papales] Item, l'an IIIIc et unc, ordinat li pape Anastaise qui n'avoit tous ses membres entier, qu'ilh ne fust pointe passeit à clerc ne à ordene de clergerie, car nuls ne devoit estre clers s'ilh n'estoit parfais entirement.

[II, p. 108] [Ordonnance papale] L’an 401, le pape Anastase établit que celui qui n’avait pas l’intégrité de ses membres ne pouvait pas devenir clerc, ni accéder à un ordre de clergie. En effet, personne ne pouvait être clerc s’il n’était absolument parfait. (Cfr II, p. 107, p. 110 et p. 114)

[De Agricolay, evesque de Tongre] En cel an mandat l'evesque Agricolay de Tongre par-devant ly, à Treit, tout sa clergerie, et les priat que ilh vosissent demoreir tout nuit deleis luy, en disant la letanie, car al ajournée ilh trespasseroit. Et ilh avient enssi, car ilh trespassat le XVIIIe jour de jule. Ychis evesques Agricolay fut ensevelis de costés Sains-Servais, et est nommeis sains Agricolay, par lequeile Dieu fist depuis mult de beais myracles.

[Agricola, évêque de Tongres] Cette année-là [401], Agricola, évêque de Tongres, fit venir devant lui, à Maastricht, tous ses clercs et les pria de rester toute la nuit près de lui, en récitant les litanies, car à l’aube, il trépasserait. Et c’est ainsi que cela se passa : il mourut le 18 juillet. Cet Agricola fut enseveli à côté de saint Servais. Il est appelé saint Agricola par l'intermédiaire de qui, depuis lors, Dieu accomplit beaucoup de beaux miracles.

[Ursins li XIIe evesque de Tongre] Apres sa mort, fut esluis et consacreis evesque XIIe de Tongre uns valhans hons qui fut nommeis Ursins, qui estoit canone de Nostre-Damme de Tongre, et fut fis de unc senateur de Romme qui avoit nom Ursins ; et astoit adont et encors est ly plus grans linaige de Romme, et estoit sa mere la filhe à roy de Borgongne. Et tient le siege XII ans.

[Ursin, douzième évêque de Tongres] Après sa mort, on élut et consacra comme douzième évêque de Tongres, un vaillant homme, qui s’appelait Ursin. Il était chanoine de Notre-Dame de Tongres et fils d’un sénateur de Rome du même nom. C’était alors, et c’est encore, le plus noble lignage de Rome. Sa mère était la fille du roi de Bourgogne. Il occupa le siège durant douze ans.

 

Agricola, comte de Flandre, ayant fait alliance avec Hector, comte de Brabant, les Francs doivent maintenant affronter les deux pays - Défi - Invasion par les forces de Clodion - Batailles - Nombreux combats racontés sur le mode épique - Ils sont à l’avantage des Francs, mais se terminent par la mort de Clodion, trop hardi et trop imprudent - Les Francs retournent à Lutèce avec le cadavre de leur roi (401-402)

[II, p. 108] En cel an fist ly conte de Flandre à Ector, le conte de Lovay, certain alianches encontre le roy Clodius, et li mandat que ly roy Clodius li volait toute sa terre de Flandre tollir ; mains, s'ilh en venoit à chief, tout enssi ly voroit-ilh tollir sa terre de Brabant.

[II, p. 108] Cette année-là [401], le comte de Flandre [Agricola] conclut  avec Hector, comte de Louvain (cfr II, p. 95, et II, p. 116), certains accords dirigés contre le roi Clodion. Il fit savoir à Hector que le roi Clodion voulait lui enlever toute sa terre de Flandre et que, s’il y parvenait, il voudrait aussi s’emparer de celle de Brabant.

[Ly conte de Lovay deffiat les Franchois]] Quant ly conte Ector entendit chu, se ly semblat que ly conte li desist veriteit : sy at ottriet les alianches et deffiet le roy Clodius, de quoy ilh fut mult corochiet. Si assemblat ses gens et entrat en la terre de Brabant, et si commenchat tout à destruire, et ardoit toutes les vilhes qu'ilh trovoit. Et fist tant qu'ilh assegat la vilhe de Lovay ; mains ly conte astoit à Bruxelle, qui là ses gens assembloit, et oussi faisoit ly conte de Flandre ; mains ilhs fisent sy longement leurs assemblées que ly roy Clodius gangnat Lovay anchois que ilh fuist desagiet, et le destruit tout.

[Le comte de Louvain défia les Francs] Quand il entendit cela, le comte Hector estima que le comte (de Flandre) avait raison : il accepta l'alliance et défia le roi Clodion, qui en fut très irrité. Clodion rassembla ses forces et envahit le Brabant. Il se mit à tout saccager, incendiant les villes partout sur son passage pour finir par assiéger Louvain. Le comte, lui, était à Bruxelles, où il rassemblait ses forces, comme le faisait aussi de son côté le comte de Flandre. Mais leurs délibérations prirent tellement de temps que Clodion avait gagné Louvain qu'il avait complètement détruite avant même d'en avoir dû faire le siège.

[Ly roy franchois desconfist Brabechons et Flammens] Apres ilh alat vers Bruxelle pour assegir ; mains il encontrat les Brabechons et les Flammens qui le corurent sus, l’an IIIIc et II en mois de may. Adont Clodius ly roy ne fut mie enbahis, car il estoit la fleur de toute chevalerie de monde à son temps ; sy assalhit ses annemis en escriant ses hommes qui astoient fortes gens et poissans. La commenchat mult grant batalhe, car ilh y morit des dois parties plus de XLm hommes, dont ly plus (II, p. 109) fut des Flamens et des Brabechons, et enssi furent desconfis ; si oit ly roy Clodius la victoir, et ses ennemis s’enfuirent com desconfis.

[Le roi franc défit Brabançons et Flamands] Clodion partit alors assiéger Bruxelles, mais il tomba sur les Brabançons et les Flamands qui l’attaquèrent en mai 402. Cela n'effraya pas le roi Clodion qui était à l'époque la fleur de la chevalerie du monde entier. Il lança l’assaut sur les ennemis, appelant à grands cris ses hommes qui étaient forts et puissants. Commença alors une terrible bataille dans laquelle périrent dans les deux camps plus de quarante mille hommes. La majorité d’entre eux (II, p. 109) étaient des Flamands et des Brabançons : c'étaient eux les vaincus. Le roi Clodion remporta la victoire et ses ennemis, en gens battus qu'ils étaient, s'enfuirent.

Quand Clodius veit ses annemis fuir, il les cachat mult fort, car ilh veioit devant luy fuyr  le conte Agricolay et le conte Ector ; se les escriat au halt vois que ilh retournassent à luy por defendre leur paiis, ou ilh les ochiroit en fuant. Atant retournat Agricolay son vis, si voit venir le roy tout seul, se dest à ses gens : « Veischi vient mon annemi, or l’atendons. ;»

Quand Clodion les vit, il les pourchassa avec beaucoup d'énergie, car c'étaient le comte Agricola et le comte Hector qu'il voyait voir devant lui. Il leur cria d’une voix forte de revenir vers lui pour défendre leur pays, sinon il les tuerait pendant leur fuite. Alors Agricola se retourna, vit venir le roi qui était seul, puis dit à ses gens : « Voici venir mon ennemi, attendons-le ».

Adont sont tous les fuans atargiés, dont ilh en estoit plus de XIIIIm ; et ly roy Clodius, qui tant fut hardis qu’ilh y perdit, les corut sus, car ilh avoit teile orguelh en luy qu’ilh ne dengnat retraire arrier. De chu mescheit trop à roy Clodius, que ses hommes ne savoient qu’ilh estoit devenus al retraire de l’estour, si ne le suoit nullus.

Alors tous les fuyards, qui étaient plus de quatorze mille, s’arrêtèrent. Le roi Clodion, hardi jusqu’à sa perte, les attaqua. Il y avait en lui tant d’orgueil qu’il jugea indigne de faire marche arrière. Ce qui fit surtout le malheur de Clodion, c’est que ses hommes ne savaient pas ce qu’il était devenu en s’éloignant du combat. Personne ne le savait.

[Ly roy fist grant hardileche] Enssi assalhit ly roy Clodius ses annemis si asprement, que ilh entrat en eux si roidement qu’ilh les passat tout oultre, c’oncques ne trovat encombrier, et sy en abattit plus de XII ; puis soy retournat vers eaux, en sa main son espaffut, si en ochit XVII que nuls ne l’aprochoit, ne anchois que nuls ne le ferist, car nuls ne l’osoit aprochier por les grans cops que ilh donnoit : les dois contes meismes ne l’osoient appprochier, anchois crioient à leurs gens que ilh fust ochis.

[Le roi accomplit un exploit très audacieux] Clodion attaqua ses ennemis si vivement et s’enfonça si rudement dans leurs rangs qu’il les traversa entièrement sans être arrêté. Il abattit plus de douze hommes, puis revint vers ses adversaires, son espadon à la main, et en tua dix-sept autres, sans que personne ne puisse s’opposer à lui ni lui porter de coup. Nul en effet n’osait l’approcher, vu les coups terribles qu’il assénait. Les deux comtes eux-mêmes n'osaient pas le faire ; ils criaient simplement aux leurs de le tuer.

Atant fut Clodius assalhit de tous costeis et li fut lanchiés mains fors espirs, car oncques nuls ne l’oisoit aprochier, ains jectoient à luy lanches agues ; et quant ilh soy tournoit à unc des leis, ilh le fuoient com ilh awist awec luy cent M hommes. Tant fist ly roy Clodius que ilh fut troveit qu’ilh ochist là por bon compte IIIc et XIII hommes, anchois qu’ilh fuste demonteis. Adont fut ferus son cheval de IIII espirs en son corps, si chaiit à terre..

Alors Clodion fut attaqué de tous les côtés. De loin ‒ car personne n'osait l'approcher ‒  on lui lança quantité de gros épieux ainsi que des lances acérées. S’il se tournait vers un de ses ennemis, ce dernier s'enfuyait comme s’il avait devant lui cent mille hommes. Le roi se battit avec une telle force qu’il sembla avoir tué exactement trois cent et treize hommes, avant d’être démonté : son cheval était tombé à terre, frappé par quatre épieux.

[Ly noble roy Clodius de Franche fut ochis] Quand ly cheval fut cheus, ly roy Clodius salhit sus ; mains là ly avient encombrier qu’ilh salhit avant vers ses annemis par si grant vertu, qu’ilh reversat en sanc des mors, et anchois qu’il fust releveis ilh fut ochis de ses annemis ; de quoi chu fut grant damaige, et perdit Franche à luy le miedre chevalier de monde, et encor il awist esteit melhour, car il estoit d’eaige jovene hons : enssi morut ly valhans roy Clodius.

[Le noble roi Clodion de France fut tué] À la chute de son cheval, le roi Clodion avait sauté à terre mais, pour son malheur, c’était dans la direction de ses ennemis et avec une telle vigueur qu’en retombant il avait glissé sur le sang des morts. Il fut tué avant même de pouvoir se relever. Ce fut là un grand malheur. La France perdit le meilleur chevalier du monde, et il aurait pu s'améliorer encore, car il était jeune. Ainsi mourut le vaillant roi Clodion.

Après fut pris ly roy, et fut mis sour unc cheval al traverse, si fut renvoyet à son fils Meroveux et à ses hommes qui estoient devant Bruxelles, et fut remyneis par II messeais portant que aultres gens n’y oissassent aleir ; et fut envoiés (II, p. 110) awec comment ilh estoit mors, par escript.

On prit alors le roi, on le plaça en travers sur un cheval et on le renvoya à son fils Mérovée et à ses hommes, qui se trouvaient devant Bruxelles. Ce furent deux lépreux qui le ramenèrent parce que personne d’autre n’osait y aller. On envoya aussi (II, p. 110) une lettre pour expliquer comment il était mort.

Quant les Franchois orent leur droit saingnour mort, sy furent grandement enbahis ; et quand Meroveux veit enssi son père, si fut trop corochiés, et demandat à ses hommes conselhe que ilh feroit de cel fait, et en queile manere ilh vengeroit son pere, car ilh estoit jovene, se ne soy savoit bien aidier. Adont fut acordeis par les Franchois que ons soy retrairoit arrier à Lutesse, por ensevelir leur saingnour son père, solonc chu qu’ilh afferoit à luy ; et enssi fut fait, car les Franchois retournarent à Lutesse, où ilhs ensevelirent honestement.

Quand les Francs apprirent la mort de leur roi, ils furent très abattus. Mérovée surtout fut terriblement affligé et en colère. Il demanda à ses conseillers comment réagir en pareille circonstance et comment venger son père, car il était jeune et ne savait pas bien ce qu'il fallait faire. Alors les Francs décidèrent de retourner à Lutèce, afin d'y enterrer leur seigneur, son père, comme il convenait de le faire. C'est ce qui fut fait. Les Francs rentrèrent à Lutèce, où ils ensevelirent Clodion avec honneur.

 

 


 

B. ÉPOQUE DE MÉROVÉE, TROISIÈME ROI DES FRANCS (402-412) - VIE DE SAINT ALEXIS - SUITE DES ATTAQUES ET DE L'EXPANSION DES HUNS - VARIA

 

 

Sommaire

Couronnement de Mérovée (402) - Mort de saint Martin de Tours (402) - Saint Brice, son successeur, rencontre des problèmes (il est accusé d'adultère, on lui attribue un enfant) - Ordonnances du pape Anastase (402-403)

Incursions dans l'empire romain des Huns d'Attila et de son fils Wandus auxquels sont alliés les rois Goths Alafis et Alaric - Sous Arcadius, ils affrontent en Auvergne à Clermont une forte coalition de Romains (Engésion, patrice de Rome) et de rois alliés (parmi lesquels les Francs de Mérovée) - Violents combats racontés sur le mode épique avec de nombreux participants nommément cités, dont Mérovée, qui n'est pas en reste d'exploits et qui impressionne notamment Engésion - Les Huns réussissent à s'enfuir de nuit vers Marseille et à gagner la Frise (dates non précisées)

Les Huns vainqueurs en Frise où ils défont les Danois (403-404)

Concile d’Alexandrie : Origène, défendu par saint Jérôme ? (404)

Destructions faites par les Huns en Bavière et à Trèves (404-405)

Saint Jérôme compose son livre sur les hommes illustres - Mort du pape Anastase à qui succède le pape Innocent I (405)

Les Huns s'emparent de Cologne, vendue à Attila, lequel se venge cruellement du traître (supplice de l’écorchement) - Les Huns détruisent Aix-la-Chapelle, Metz et de nombreuses autres villes dans différents pays (406)

Les Huns assiègent Tongres, que personne ne vient aider, mais ils n'aperçoivent pas Maastricht (406)

Combat entre Mérovée et le duc Hector de Brabant, qui est tué - Mérovée annexe le Brabant, supprime la seigneurie de Brabant et installe à Louvain un bailli à ses ordres - Ordonnances du pape Innocent - Concile de Bretagne condamnant l’hérésie de Pélage

Basile de Césarée - saint Alexis quitte Rome - Vie de saint Alexis (406-409)

Tongres est finalement prise après un siège de trois ans et détruite par les Huns - Terrible bataille avec quelque 45.000 Tongrois tués - Les 10.000 survivants vont se réfugier à Maastricht - Leur descendance a terni la réputation de cette ville (409)

Reims est détruite par les Huns -  Naissance de saint Remi - Sévère, hérétique repenti, écrit la biographie de saint Martin de Tours - Période de gelée - Le palais de Constantinople est détruit par une tempête (409-411)

Les Huns attaquent Châlons, Troyes (saint Loup et miracle) et Orléans (saint Aignan) - Les forces réunies par Mérovée viennent délivrer Orléans assiégée - Attila est blessé, ses rois alliés sont tués, les Huns sont lourdement défaits - Attila se replie vers l’Italie (411)

Mort du roi Mérovée après sa victoire sur Agricola, comte de Flandre (412)

 

 

Couronnement de Mérovée - Mort de saint Martin de Tours - Saint Brice, son successeur, rencontre des problèmes (il est accusé d'adultère, on lui attribue un enfant) - Ordonnances du pape Anastase (années 402-403)

[II, p. 110] [Meroveux, le IIIe roy de Franche] Ne passat gaires que les Franchois coronont roy de Franche le thiers Meroveux, le fis Clodius, qui mult fut chevalereux ; mains encors estoit unc pou jovenes, et regnat X ans.

[II, p. 110] [Mérovée, troisième roi des Francs] Il ne fallut pas longtemps pour que les Francs couronnent leur troisième roi, Mérovée, fils de Clodion, qui fut un preux chevalier. Il était toutefois un peu jeune. Il régna dix ans.

[Le trespasse sains Martin de Tour] En cel an trespassat de chi siecle li glorieux confes sains Martin, evesque de Tour ; et, le propre nuit que ilh trespassat, oiit sains Severius, archevesque de Collongne, les vois des sains angles qui l'arme de luy emportarent en paradis. Et de li gieste le corps en l'engliese de ladit citeit de Tours.

[La mort de saint Martin de Tours] En cette année [402], le glorieux comte saint Martin, évêque de Tours, trépassa. La nuit même de son décès, saint Séverin (cfr II, p. 93), archevêque de Cologne, entendit les voix des saints anges qui emportèrent son âme au paradis. Son corps repose en l’église de la ville de Tours.

[De sains Brisse, evesque de Tours] Apres sains Martin fut evesque de Tour sains Brisse, son disciple, qui oit mult à souffrir en son evesqueit, portant que ilh n'avoit mie porteit à sains Martin teile honneur que ilh dewist, ains l'avoit tousjours degabbeit et despletiet ; et por chu Dieu ly envoiat à souffrir, et tant que ilh fut accuseis de adultere, porquoy ilh fut decachiet hours del englise de sa citeit, et le covient aleir au Romme. Mains Dieu demonstrat myracle teile, qu'ilh fist l'enfant que ons ly donnoit parleir, et si estoit ly enfé novellement neis, et dire que ilh n'estoit mie son pere. Si fut apres remis en son siege, et fut vraie repentans de chu qu'ilh avoit forfait à sains Martin.

[Saint Brice, évêque de Tours] Après saint Martin, saint Brice, son disciple, devint évêque de Tours. Il eut beaucoup à souffrir dans son évêché, parce qu’il n’avait pas rendu à saint Martin tous les honneurs qu’il aurait dû, mais l’avait toujours moqué et méprisé. C’est pourquoi Dieu le fit souffrir. Brice fut accusé d’adultère et dès lors chassé de l’église de sa cité. Il dut se rendre à Rome. Mais Dieu intervint par un grand miracle : l’enfant qui lui avait été attribué parla à la naissance et dit que Brice n’était pas son père. Ce dernier par la suite retrouva son siège et regretta sincèrement le tort qu'il avait fait à Martin.

[Status papales, quant ons lyst l’ewangeile ons ne doit mie seoir]] Item, l'an IIIIc et III, fist ly pape Anastaise et ordinat que, toutes fois et en tous lieu où ons lisoit l'Ewangeile, que la clergerie, qui là stesoit présens, demorast en estant sens seioir ; et ordinat que nuls hons qui venist de oultremere ne fust rechus à clerc ne ordineis, s'ilh n'avoit lettres de l'evesque de cuy dyoceise astoit saileez en signe de tesmonnaige.

[Ordonnances papales : quand on lit l’évangile, on ne doit pas être assis] En l’an 403, le pape Anastase (cfr II, p. 107, p. 108 et p. 114) institua et ordonna que partout, chaque fois qu’on lisait l’Évangile, les clercs présents restent debout, sans s’asseoir. Il ordonna aussi que personne venant d’outre-mer ne soit reçue en tant que clerc et ordonné, s’il n’apportait en témoignage des lettres scellées de l’évêque de son diocèse d’origine.

 

Incursions dans l'empire romain des Huns d'Attila et de son fils Wandus auxquels sont alliés les rois Goths Alafis et Alaric  - Sous Arcadius, ils affrontent en Auvergne à Clermont une forte coalition de Romains (Engésion, patrice de Rome) et de rois alliés (parmi lesquels les Francs de Mérovée) - Violents combats racontés sur le mode épique avec de nombreux participants nommément cités, dont Mérovée, qui n'est pas en reste d'exploits et qui impressionne même Engésion - Les Huns réussissent à s'enfuir de nuit vers Marseille et à gagner la Frise qu'ils dévastèrent (II, p. 110-112 ; cfr Geste, vers 5116-5411) (année 403)

[II, p. 110] [Les Huens font grant mal en Rommenie] A cel temps recommancharent les Huens à ralleir ès parties de Rommenie, et fasoient grant persecution ; et avoient awec eaux le roy Alafis, qui estoit le fis Theodorich de Turinge et d'Estrogothie, et le roy Alarich de Gothelies, son frere, desqueiles ly roy Alarich jadis astoit [II, p. 111] oncles. Ches dois Alafis et Alarich astoient à grant gens awec les Huens, et por destruire les Romans. Adont estoit patris de Romme Engesion, li fis Eciel, qui avoit esteit devant ochis par le roy de Borgongne Maximiain, enssi com dit est.

[II, p. 110] [Les Huns causent de grands dommages dans l’empire romain] À cette époque, les Huns se mirent à revenir dans des régions de l’empire romain, y faisant de grands dommages. Ils avaient avec eux le roi Alafis, fils de Théodoric, roi de Thuringe et des Ostrogoths (cfr II, p. 120), ainsi que le roi Alaric du royaume des Goths (cfr II, p. 120), son frère, qui avaient eu jadis pour oncle le roi Alaric [II, p. 111]. Ces deux Alafis et Alaric, à la tête de nombreuses troupes, s’étaient alliés aux Huns pour anéantir les Romains. Le patrice de Rome était alors Engésion, le fils d’Aétius tué précédemment par le roi Maxime de Bourgogne, comme cela a été dit (cfr l'ensemble du bloc II, p. 102-104).

[Les Huens destruent le pays d’Avergne où ilh orent grant batalhe, et furent desconfis] Chis patris, par le commandement Archadyen l'emperere, assemblat grant gens et se vient contre les Huens ; mains les Huens astoient jà retrais arire vers Avergne, où ilhs destrusoient tot le pays.

[Les Huns dévastèrent la terre d’Auvergne, où ils livrèrent une grande bataille et furent défaits] Ce patrice, sur l’ordre de l’empereur Arcadius, rassembla une grande armée et marcha contre les Huns, mais ceux-ci s’étaient déjà retirés vers l’Auvergne, y semant la dévastation.

Adont mandat ly patris, par ses lettres, le roy Meroveux de Franche et Theodonel le roy de Jochie, et Tresodane son fis le roy d'Aquitaine, et Sygebans le roy d'Alenie, et le roy Gercans de Saxongne et pluseurs altres, que cascon venist à grant gens, por le paiis gardeir et l'honeur de l'empire contre les Huens qui astoient en Avergne ; et se les mist ly patris logiche à Arle le Blanche.

Alors le patrice fit savoir par lettres au roi franc Mérovée et au roi Théodoric des Wisigoths, à son fils Thorismond, roi d’Aquitaine, et à Sangiban, roi des Alains, ainsi qu’au roi Gercans de Saxe et à plusieurs autres encore, de venir, chacun avec des troupes nombreuses, sauver le pays et l’honneur de l’empire contre les Huns présents en Auvergne ; le patrice les fit séjourner à Arles-la-Blanche.

Quant ly roy Atilla et ses aidans sorent que tant de gens astoient assembleis à Arle, se ne furent mie liies, et portant ilh soy partirent de là où ilh astoient et voloient monteir sour mere, quant ly assemblée d'Arle vient en Avergne, et ont raconseus les Huens à la citeit de Clermont.

Quand le roi Attila et ses alliés surent que tant de monde était rassemblé à Arles, ils ne furent pas contents, et pour cela quittèrent l’endroit où ils étaient ; ils voulaient prendre la mer, quand les troupes assemblées à Arles arrivèrent en Auvergne, et rattrapèrent les Huns dans la cité de Clermont.

Quant Atilla veit chu, se dest aux roys Alafis et Alarich qu'ilh les convenoit defendre ou morir en fuant. Atant se sont rengiés d'ambdois pars et se sont sus corus ; et al assembleir des lanches ilh y oit Xm d'abatus, puis ont trais les espées, si ont l'estour commenchiet fort et fiere, car les Huens sont gens hardies, et les Romans et Franchois awec leur aidans sont poissans et hardis. Meroveux, ly roy de Franche, ochioit les Huens à grant poioir, enssi fasoient les aultres prinches et leurs gens ; et ly patris Engense chis en ochioit tant com à mervelhe.

Attila, en voyant cela, dit aux rois Alafis et Alaric qu’ils devaient se défendre ou mourir dans leur fuite. Alors des deux côtés, les hommes se mirent en rangs et se coururent sus ; dix mille hommes furent abattus par le jet des lances ; puis on tira les épées, et le combat commença, dur et cruel, car les Huns sont des hommes audacieux, et les Romains, les Francs et leurs alliés sont puissants et hardis. Mérovée, le roi des Francs, tuait les Huns avec une grande force, comme le faisaient les autres princes et leurs gens ; le patrice Engésion en tuait un nombre prodigieux.

Et Atilla, Alafis, Alarich et Wandus, ly fis Atilla, et tous les aultres soy defendoient valhamment. Et Wandus at veiiut Engense le patris, se ly quidat fuyr, mains Engense le ferit, se le fendit jusques en dens, puis escriat : Sains Pire ; et ly roy Gercains at ochis Josué, et li coupat le senestre bras. Tant font Ies Romans que les Huens sont reculeis ; là fist ly roy Meroveux tant de fais d'armes que onques Clodius son pere ne fist tant. Atilla alast volentier josteir à ly, mains ilh n'oisoit.

Attila, Alafis, Alaric et Wandus, le fils d’Attila, ainsi que tous les autres, se défendaient vaillamment. Wandus aperçut le patrice Engésion et crut qu’il fuyait, mais Engésion le frappa, le fendit jusqu’aux dents, puis s’écria « Saint Pierre » ; le roi Gercans tua Josué et lui coupa le bras gauche. Les Romains réussirent à repousser les Huns ; le roi Mérovée accomplit là des faits d’armes, en grand nombre, comme jamais ne le fit son père Clodion.

Mains ilh avoit I juys qui oit nom Meliadas, qui fut tant valhant et qui estoit de mult grant poioir : chis jostast volentier al roy Meroveux, s'ilh [II, p. 112] powist avenir à luy. Et la batalhe enforchoit toudis ; ly roy Atilla ferit le roy Gercains si qu'ilh ly deseurat l'espalle, mains ilh ne fut mie mors, et ly roy Segebaus coupat à Atilla le neis et le sourchilh.

Attila aurait aimé jouter avec lui, mais il n’osait pas. Un Juif très vaillant et très puissant, nommé Méliadas, aurait lui aussi volontiers jouté avec le roi Mérovée, s’il [II, p. 112] avait pu l’approcher. La bataille devenait toujours plus acharnée ; le roi Attila frappa le roi Gercans et lui démit l'épaule, mais Gercans ne mourut pas ; le roi Sagiban coupa le nez et le sourcil d’Attila.

Atant vient Cymbal, unc juys boisteux, qui trahoit de saetes barbues parmy l'estour, si at trait apres le roy franchois. Vers le roy franchois trahit son saetes, sy fausat del roy, si consuit Damolin unc juys, se l'at ochis ; mains quant ly roy franchois le veit, se le ferit et l'ochist ; et puis se fiert ès altres, si ochist Hanibal, David, Salomon, Godelans, Jonel et tant d'altres que chu fu mervelhe. Quant Engense le patris le veit, si jurat grant seriment que ly roy franchois estoit digne d'estre emperere. En la fin furent les Huens desconfis.

Alors survint Cymbal, un juif boiteux, qui dans la mêlée tirait des flèches munies d’arêtes. Il en lança une sur le roi franc et le rata ; elle atteignit un Juif, qu'elle tua. Quand le roi franc (Mérovée) l'aperçut, il le frappa et le tua. Puis il se porta vers les autres, tua Hannibal, David, Salomon, Godelans, Jonel et tant d’autres : c’était prodigieux. Quand le patrice Engésion le vit, il jura solennellement que le roi des Francs était digne d’être empereur. Finalement, les Huns furent vaincus.

Mains ilhs soy defendirent gentiment et ochisent Ambrose, le fis Emmanuel de Melant et Richier de Sardain, Engoran de Pavie, Tybaux de Myrabel, Renars de Saint-Omeir et Renier de Tudion, et les tuat tous li fis Atilla, Jonas, qui coupoit une homme jusqu'en pis ; mains ly roy Meroveux le tuat al josteir. Adont la batalhe fut desconfite, sy s'enfuirent les Huens tout la nuit. Et les Franchois ont fait gaitier leurs oust Erchebaut de Puilhe ; et ly roy franchois y at mis Tybaut, son mariscaul, à Xm hommes par ly.

Mais les Huns se défendirent avec noblesse et tuèrent Ambroise, fils d’Emmanuel de Milan, Richir de Sardaigne, Enguerrand de Pavie, Thibaut de Myrabel, Renars de Saint-Omer et Renier de Tudion. Jonas, fils d’Attila, capable de pourfendre un homme juqu’au torse, les tua tous, mais il fut tué dans une joute par le roi Mérovée. Alors la bataille fut perdue, et les Huns s’enfuirent toute la nuit. Les Francs laissèrent leur armée sur pied de guerre sous les ordres d'Archibald de Pouille, à qui le roi franc adjoignit Thibaut, son maréchal, avec dix mille hommes.

[Les Huens vinrent en la Basse-Frise] Et les Huens s'en vont droit à Marselle, et là se sont mis sour mere, si ont tant nagiet qu'ilhs vinrent en la Basse-Frise, si ont destruis le pays, et les barons de Romme et d'aultre part se sont partis, et est cascon raleis en son paiis ; et les Huens sont en Frise et ardent vilhes et casteals, et destruent toute ; et les trois roys qui sont awec eaux ont jureit que, por à morir, jamais ne monteront sour mere por fuir, si auront esteit tout destruant la terre d'Avergne, dont ilhs astoient derainement partis.

[Les Huns partirent en Basse-Frise] Les Huns se dirigèrent directement vers Marseille, où ils prirent la mer. Ils naviguèrent longtemps jusqu’en Basse-Frise, où ils dévastèrent le pays. Les barons de Rome et d’ailleurs se séparèrent et chacun rentra dans son pays. Les Huns en Frise incendièrent villes et places fortes, dévastant tout ; quant aux trois rois qui étaient de leur côté, ils jurèrent que, dussent-ils mourir, jamais ils ne prendraient la mer pour fuir : ils resteraient pour détruire toute l’Auvergne, qu'ils venaient de quitter.

A cest fois fut fais ly passaige de la grant destruction que les Huens fisent par-dechà mere, de laqueile les commonnes hystoires parollent, qui ne font nulle mension de tous leurs altres fais.

Ainsi se termine le récit de la grande destruction accomplie par les Huns, de ce côté de la mer. Les histoires habituelles en parlent, sans faire mention de tous leurs autres faits.

 

Les Huns vainqueurs en Frise où ils défont les Danois (403-404) (= Geste, vers 5424-5443) (année 403-404)

[II, p. 112] [L’an IIIIc et III] Mains je vos diray des Huens qui la terre de Frise destruent, sour l'an IIIIc et III en mois de decembre, et vos dis que adont commenchat ly flaiel sour le peuple si fort et teilement, que les Huens ne venoient en nulle pays que toutes les gens ne s'enfuissent tantoist ; et si soy defendirent mult pou de gens encontre eaux. Ches Huens destrurent en la terre de Frise IIII citeis, assavoir : Archada, Pollux, Frisonel et Gapmada, [II, p. 113] et XII fors casteals.

[II, p. 112] [L’an 403] Maintenant je vous parlerai des Huns, qui détruisirent la terre de Frise, en l’an 403, au mois de décembre. Un fléau très puissant s'abattit alors sur le peuple. Quand les Huns arrivaient quelque part, tous les gens s'enfuyaient immédiatement ; très peu s’opposaient à eux. En Frise, ils détruisirent quatre cités : Archada, Pollux, Frisonel et Gapmada [II, p. 113] et douze châteaux forts.

Adont s'enfuit ly roy Godakins de Frise en Dannemarche à son cusien le roy Ogier, et ly priat de luy aidier contre une manere de gens, qui sa terre ly avoient destruite et gastée.

Le roi Godakins de Frise s’enfuit au Danemark, chez son cousin, le roi Ogier, et le pria de l’aider à combattre ces gens qui avaient dévasté et saccagé sa terre.

[L’an IIIIc IIII - Les Huens desconfirent les Dannois] Adont assemblat ly roy Ogiers ses gens et en vient vers Frise, l'an IIIIc et IIII en mois de junne, et oit batalhe aux Huens ; mains les Dannois furent desconfis, et furent ochis ly roy Ogiers et ly roy Godakins, et les altres enfuirent. Quant les Dannois revinrent en Dannemarche, ilh fisent roy Ector, le fis Ogiers, lyqueis regnat XXIIII ans.

[L’an 404 - Les Huns défirent les Danois] Alors, le roi Ogier rassembla son armée et arriva en Frise, en juin 404. Il combattit contre les Huns, mais les Danois furent vaincus. Le roi Ogier et le roi Godakins furent tués, et leurs troupes s'enfuirent. Quand les Danois revinrent au Danemark, ils nommèrent roi Hector, le fils d’Ogier, qui régna vingt-quatre ans.

 

Concile d’Alexandrie : Origène, défendu par saint Jérôme ? (année 404)

[II, p. 113] [De conciel de Alixandre] En cel an fut fais unc conciel en la citeit d'Alixandre, en queile conciel ilh furent condempneis une grant partie des libres que Origenes avoit fait, enssi com ons ly amettoit par envie, et por alcon erreur contre la foid qui furent dedens troveis, dont ly une estoit teile que ilh disoit que nuls hons ne poioit faire pechiet porquen ilh fust condempneis perpetuelment ; et disoit encors que Dieu rechiveroit mors oussi, por les malignes espirs à rachateir, que ilh avoit fait por la lignie humaine. Et de mult aultres erreurs astoient plains les libres que je dis ; mains alcons bons clers vorent dire que Origenes ne les fist onques, car ilh avoit esteit si excellent proidhons que ilh n'awist por riens mis en ses libres ches erreurs, car en ses libres meismes disoit-ilh le contrable ; mains alcons par envie ly avoient ses libres corrumpus apres sa mort.

[II, p. 113] [Le concile d’Alexandrie] Cette année-là [404] se tint dans la cité d’Alexandrie un concile, au cours duquel furent condamnés une grande partie des livres composés par Origène. Des envieux l’accusaient à cause de quelques erreurs contre la foi qui s’y trouvaient ; l’une d’elles consistait à dire que personne ne pouvait commettre un péché qui le condamnerait à perpétuité ; une autre que Dieu serait mort aussi pour racheter les mauvais esprits, qu’il avait faits dans la race humaine. Les livres dont je parle étaient pleins de beaucoup d’autres erreurs ; mais certains clercs avertis vinrent dire qu’Origène n’en fut jamais l’auteur : un sage aussi grand que lui n’aurait absolument pas mis ces erreurs dans ses livres, car il disait le contraire ailleurs dans ces mêmes livres. En fait, certains, par envie, les avaient falsifiés après sa mort.

A cesti conciel fut sains Jerome, qui grant partie de ses libres ramenda, lesqueiles Sainte Engliese tient, et les aultres furent condampneis. Et dist sains Jerome que là Origenes vot bien dire nuls ne dest onques miés, et là ilh vot mal dire nuls ne dest onques pies. Et dist que ses Iibres avoient esteit corrumpus par envie, et que ilh parloit plainement contre la matere que dit est chi deseur.

À ce concile participa saint Jérôme, qui corrigea une grande partie des livres que retint la Sainte Église, tandis que les autres furent condamnés. Et saint Jérôme dit que Origène a voulu dire bien ce que personne jamais n’a mieux dit, et a voulu par ailleurs dire mal ce que personne jamais n’a dit de pire. Il dit aussi que ces livres avaient été falsifiés par des envieux, et qu’Origène était pleinement opposé aux idées en question ci-dessus.

 

Destructions faites par les Huns en Bavière et à Trèves (404-405) (= Geste, vers 5444-5448) (année 404-405)

[II, p. 113] [Les Huens destrurent Bealwier] En cel an les Huens destrurent Bealwier et le pays là entour.

[II, p. 113] [Les Huns détruisirent la Bavière] Cette même année [404], les Huns détruisirent la Bavière et le pays tout autour.

[Les Huens destrurent Trives et ochisent tous les gens] Item, l'an IIIIc et V assegont les Huens la citeit de Trive, devant  laqueile ilhs seirent IIII mois anchois qu'ilh le poissent avoir, puis le prisent en mois d'octembre et le destrurent toute, et ochisent toutes les gens [II, p. 114] que onques nuls ne soy defendit.

[Les Huns détruisirent Trèves et tuèrent tous les habitants] En l’an 405, les Huns assiégèrent Trèves durant quatre mois avant de la conquérir ; ils s’en emparèrent en octobre, la détruisirent complètement, tuant tout le monde [II, p. 114], sans que personne ne se défende.

 

Saint Jérôme compose son livre sur les hommes illustres - Mort du pape Anastase à qui succède le pape Innocent I (année 405)

[II, p. 114] Item, en mois de may II jours devant, morut ly pape Anastaise. A son temps composat son libre sains Jerome, en la citeit de Bethleem, des hommes illustres, c'est-à-dire des nobles hommes.

[II, p. 114] Deux jours avant mai, le pape Anastase (cfr II, p. 107, p. 108 et p. 110) mourut. À l’époque de ce dernier, saint Jérôme composa à Bethléem son livre sur les hommes illustres, c’est-à-dire les hommes célèbres.

[Innocens le XLIIIe pape de Romme] Apres la mort le pape Anastaise vacat ly siege XII jours, et puis fut consecreis pape de Romme, le XVe jour de may, Innocens, qui astoit I proidhons ; et fut de la nation albaine, le fis de I escuwier qui oit nom Innocent. Et tient le siege XI ans II mois et XII jour ; et solonc sains Grigoire et Martiniain, XV ans II mois et XX jours.

[Innocent, quarante-troisième pape de Rome] Après la mort du pape Anastase, le siège resta vacant douze jours. Après quoi, le 15 mai, Innocent, un homme sage, fut consacré pape de Rome. Il provenait d’Albe et était le fils d’un écuyer, nommé Innocent. Il occupa le siège onze ans, deux mois et douze jours mais, selon Grégoire et Martin, quinze ans, deux mois et vingt jours. (Sur ce pape, cfr II, p. 116, p. 117, p. 123 et p. 124).

 

 Les Huns s'emparent de Cologne, vendue à Attila, lequel se venge cruellement du traître (supplice de l'écorchement) - Les Huns détruisent Aix-la-Chapelle, Metz et de nombreuses autres villes dans différents pays (année 406) (= Geste, vers 5449-5460, qui n'a rien correspondant à la dernière notice, sur Toul, etc.)

[II, p. 114] [Sor IIIIc et VI les Huens destrurent Colongne, et apres Ays-le-Grain] En cel an assegarent les Huen la citeit de Collongne, devant laqueile ilhs seirent VIII mois, car elle estoit bien garnie de gens d'armes et de vitalhes ; et encor ne l'eussent mie gangniet, mains cheaux qui le governoient les vendirent à Atilla, et li ovrirent les portes le IIIe jour d'awost, sor l'an IIIIc et VI. Adont fut la citeit toute gastée et les englieses destruttes, et tous les tressours et les joweals emporteis par les Huens. Et puis ilh alerent vers Ays-Ie-Grain, que Granus, le frere Nero l'emperere de Romme, avoit devant fondeit.

[II, p. 114] [En 406, les Huns détruisirent Cologne, puis Aix-la-Chapelle] Cette année-là [406], les Huns assiégèrent la ville de Cologne, devant laquelle ils restèrent huit mois, car elle était bien pourvue en armes et en vivres. Ils ne s’en seraient pas emparés si ceux qui gouvernaient la ville ne l’avaient pas vendue à Attila et ne lui en avaient ouvert les portes le 3 août 406. La cité fut alors complètement saccagée, les églises détruites, tous les trésors et joyaux emportés par les Huns. Ceux-ci marchèrent ensuite vers Aix-la-Chapelle, fondée jadis par Granus, le frère de Néron, l’empereur de Rome (cfr I, p. 457).

[Coment miserablement fut travalhiiet chis qui vendit Collongne - Des trahitours] Si trovarent le maistre chevaliers qui les avoit vendut la citeit de Colongne, qui oit nom Abafis, et ly lacherent une chaine de fier en son coul et l'emmynoient awec eaux ; et ly coupoient cascon jour une coroie sour son dos, de chief jusqu'à piés desous, et puis le saloient de seil ; et quant ilh crioit à Atilla que ilh ne ly tenoit mie ses covent, se ly respondoit que aux trahitours ne doit-ons tenir nulle loialteit. Et en teile manere viscat Abafis IX jours, et puis apres ilh morut à grant tourmens.

[Les tortures infligées à celui qui vendit Cologne - Des traîtres] Les Huns trouvèrent le traître qui leur avait vendu la cité de Cologne, un chevalier nommé Abafis. Ils lui mirent une chaîne en fer au cou et l’emmenèrent. Chaque jour, on prélevait sur son dos une bande de peau de la tête aux pieds, puis on salait la plaie. Quand il criait à Attila qu’il ne respectait pas leurs conventions, celui-ci répondait que les traîtres ne méritaient pas qu’on soit loyal envers eux. Abafis vécut ainsi neuf jours avant de mourir dans de grandes souffrances.

bande de peau : Pour d'autres exemples de ce supplice, cfr I, p. 217-218 (César et le roi Hanigos) ; II, p. 79 (Shapur et Julien l'Apostat)  ; II, p. 128 (le prévôt Clarnus et le traître Henri) ; II, p. 223 (Frédégonde et son amant Landeric)

Apres chu, les Huens assegont Ays, et le prisent le XIIIe jour de novembre l'an deseurdit, et le destruisent si vilainement que chu fut mervelhe ; car ilhs destrurent les englieses, les maisons et les murs de la fermeteit, si qu'ilh n'y demorat pire sour pire, et sembloit qu'iIh n'y avoit oncques oyut citeit. Et tant fisent là et altrepart de mal et de despit à Dieu, que ons ne l'oise dire ne mettre en escript.

Après cela, les Huns assiégèrent Aix qu’ils prirent le 13 novembre de l’an susdit et qu’ils saccagèrent d’une manière effroyable. Ils détruisirent les églises, les maisons et les murailles de l’enceinte, dont il ne resta que pierre sur pierre. On aurait dit qu’il n’y avait jamais eu de ville à cet endroit. Les Huns firent là et ailleurs tant de mal, avec un tel mépris de Dieu, qu’on n’ose ni le dire ni l’écrire.

[Les Huens destrurent Messe, Tou, Verdon, Mostirs, Maienche, Pirage, Strasborg, Spire et pluseurs] Apres, les Huens s'en allont vers Germaine, si assegont Messe en Lhoraine, et le prisent le vigile del sainte Pasque ; et là furent tous les citains vilainement ochis, et leur citeit destruite et desrobée, et toute arse jusques à terre, excepteit tant seulement le oratoir Sains-Estiene, qui, par le myracle de Dieu, demorat sens et entier ; car à celle jour avoit sus l'oratoir [II, p. 115] unc celestien corps, qui mult estoit en ses armes resplendissant et beais, qui le defendoit et encachoit le feu arrier.

[Les Huns détruisirent Metz, Toul, Verdun, Münster, Mayence, Prague, Strasbourg, Spire et beaucoup d’autres endroits] Ensuite les Huns se rendent en Germanie, assiègent Metz en Lorraine, et s’en emparent la veille de la sainte fête de Pâques. Tous les habitants furent honteusement tués et leur ville détruite, pillée, et brûlée jusqu’au sol, à la seule exception de l’oratoire Saint-Étienne, qui par un miracle de Dieu resta intact et entier. Ce jour-là en effet, se tenait sur l’oratoire [II, p. 115] un être céleste, de toute beauté dont l’armure resplendissait, qui défendait l’édifice et repoussait le feu.

Apres alarent les Huens à Tou la citeit, et puis à Verdon, et si destrurent tout ; apres ilhs destrurent les evesqueit et citeis chi apres devisée : Utreit, Mostirs, Maienche, Pirage, Strasboch, Spire, Warmaise et pluseurs aultres, et les mettirent toutes en feu et en carbons.

Ensuite les Huns s’en allèrent dans la ville de Toul, puis dans celle de Verdun, où ils détruisirent tout. Après cela, ils saccagèrent les évêchés et les cités suivants : Utrecht, Münster, Mayence, Prague, Strasbourg, Spire, Worms et beaucoup d’autres. Ils les incendièrent et les réduisirent en cendres.

 

Les Huns assiègent Tongres, que personne ne vient aider, mais ils n'aperçoivent pas Maastricht (année 406) (= Geste, vers 5461-5554)

   [II, p. 115] [Les Huens assegarent Tongre] Puis sont venus à Tongre la citeit, qui la plus belle estoit de monde et ly plus jolie, et où ilh avoit plus grant planteit d'englieses, et l'assegarent de costeit vers le plain, car vers la mere ne le poioit-ons assegier ; mains les Tongrois n'orent mie pawour d'eaux, car ilh sont bien garnis de tout chu qu'ilh estoit mestier et necessaire por la guerre à myneir, et de vitalhe asseis et largement ; et se leur venoit tousjours par mere chu que mestier leur estoit, que ons ne le poioit deffendre.

[II, p. 115] [Les Huns assiégèrent Tongres] Puis ils gagnèrent la cité de Tongres, la ville la plus belle et la plus plaisante du monde qui comptait le plus grand nombre d’églises. Ils l’assiégèrent du côté de la plaine car, du côté du fleuve, le siège était impossible. Les Tongrois ne craignaient pas les envahisseurs, car ils disposaient de tout le nécessaire pour mener la guerre ; ils avaient des vivres en abondance et chaque jour leur arrivait par le fleuve ce dont ils avaient besoin, sans que l’ennemi puisse l’empêcher.

Et sont les gens d'armes venus aux creteaux, sy jettent et trahent si fort qu'ilh ont faite les Huens traire arier dois fois leurs treis.

Les hommes armés montés aux créneaux jetèrent des pierres et lancèrent des traits avec tant de force que les Huns durent par deux fois reculer leur camp.

[De VIIIxx et VI englises de Tongre] Et deveis savoir que à Tongre oit casteals et tours, ortant que j'ay dit desus à la fondation de lée ; et y oit depuis faite par les evesques de Tongre VIIIxx et VI englieses, car ly evesque sains Valentin et ly altre devant luy en edifiarent IIII collegials à leurs temps, et si en y avoit jà LXXII : chu sont LXXVI, et toutes de canones et de moynes à grant colleges ; et puis y avoit LX englieses parochials et XXX de recluys et de recluses.

[Des 166 églises de Tongres] Vous devez savoir qu’à Tongres les forteresses et les tours étaient aussi nombreuses que je l'ai dit plus haut, dans le récit de sa fondation (cfr I, p. 189). Depuis, les évêques de Tongres élevèrent cent soixante-six églises. L’évêque saint Valentin et d’autres avant lui avaient construit quatre collégiales ; avec les soixante-douze déjà construites, cela faisait soixante-seize. Chacune comptait de grands collèges de chanoines et de moines. Il y avait aussi soixante églises paroissiales et trente églises de religieux et religieuses cloîtrés.

Et deveis savoir que se ly emperere et ly roy de Franche et pluseurs altres grans saingnours fussent là venus, que ilh les awissent bien mis affin ; mains cascons d'eaux disoit que ilh dobtoit que, quant ilhs auroient leurs gens myneis jusques à Tongre, que les Huens, qui tant estoient malicieux, ne venissent en leur paiis.

Vous devez aussi savoir que si l’empereur, le roi de France et beaucoup d’autres grands seigneurs étaient venus à Tongres, ils auraient pu venir à bout des Huns. Mais tous redoutaient, disaient-ils, que, s’ils menaient leurs troupes jusqu’à Tongres, les Huns, qui étaient tellement mauvais, ne viennent attaquer leurs pays.

Encor y avoit une aultre raison por lequeile cheaux de Tongre ne furent point socorus : ilh avoit tant de bois adont entour le paiis de Tongre que nuls ne s'y oisoit enbattre.

Une autre raison encore pour laquelle les Tongrois ne furent pas secourus est que le pays de Tongres était entouré de tellement de forêts que personne n’osait s’y aventurer.

Enssi fut faite li siege devant Tongre, qui durat III ans, tant fort astoit-ilh. Toutes les citeis d'Allemangne ne duront mie tant. Et ont les Huens tout le paiis là altour, X liwes long, foreit et wasteit, et se n'ont encors troveit Treit, ne aperchut ne vehue ; si bien l'avoit Dieu absconseit, qu'ilh ne le porent onques aporchivoir.

Ainsi se passa le siège de Tongres, qui dura trois ans, tant la ville était fortifiée. Aucune cité d’Allemagne ne résista aussi longtemps. Les Huns pillèrent et dévastèrent tout le pays alentour, sur une distance de dix lieues, mais ils ne trouvèrent, ni n'aperçurent, ni ne virent Maastricht ; Dieu l’avait si bien cachée qu’ils ne purent jamais l’apercevoir (suite II, p. 117-118).

 

Combat entre Mérovée et le duc Hector de Brabant, qui est tué - Mérovée annexe le Brabant, supprime la seigneurie de Brabant et installe à Louvain un bailli à ses ordres - Ordonnances du pape Innocent - Concile de Bretagne condamnant l'hérésie de Pélage - Basile de Césarée - saint Alexis quitte Rome - Vie de saint Alexis (années 406-408)

[II, p. 116] [Franchois ont desconfis Brabechons] En cel an assemblat ly roy de Franche Meroveux ses oust, sy entrat en la terre de Brahant à feu et à flamme por vengier la mort de son pere. Quant ly dus Ector le soit, se vient contre luy et le corut sus ; là oit grant batalhe, mains en la fien furent les Brabechons desconfis et leur dus ochis. Adont prist la possession de tout le paiis de Brabant ly roy de Franche, et se l'ajondit à son paiis, et y mist unc lieutenant por luy que ons nommoit le balhies de Lovay.

[II, p. 116] [Les Francs défirent les Brabançons] Cette année-là [406], le roi de France Mérovée rassembla ses armées et envahit le territoire du Brabant qu’il mit à feu et à flamme pour venger la mort de son père. Quand le duc Hector (cfr II, p. 95 et p. 108) le sut, il marcha contre lui et l’attaqua. Il s'ensuivit une grande bataille, mais finalement les Brabançons furent vaincus et leur duc tué. Alors le roi de France prit possession de tout le Brabant, l’adjoignit à son pays et y installa un lieutenant à ses ordres, appelé le bailli de Louvain.

[La saingnorie de Brabant fut abatue] Enssi fut Brabant conquis (add. Bo), et n'y oit saingnour longtemps Ià apres, sicom vos oreis chi apres.

[La seigneurie de Brabant fut supprimée] Ainsi fut conquis le Brabant, où il n’y eut pas de seigneur pendant longtemps, comme vous l’entendrez ci-après.

[Status papales] Item, l'an IIIIc et VII ordinat ly pape Innocent que ons donnast à baisier le paix à la messe, se ilh n'estoit de requiem ; et enssi l'use-ons encor.

[Ordonnance papale] En l’an 407, le pape Innocent ordonna qu’on donne le baiser de paix à la messe, sauf lors d’une messe de requiem. Cet usage subsiste encore. (Sur ce pape, cfr aussi II, p. 114, p. 117, p. 123 et p. 124)

[Le conciel de Bretangne] En cel an assemblat ly pape unc conciel, où ilh condempnat unc gran adversaire de sainte Engliese, qui fut nommeis Pelage ; et fut chis conciel tenus en Bretangne. Chis Pelaige astoit mult plains de mals erreurs contre sainte Engliese, por lesqueiles ilh fut enssi condempneis, entres lesqueiles ilh disoit et sortenoit que les Huens se poioent bien salveir sens jà avoir la grasce de Dieu ; et disoit que les enfans poioient bien naistre et nasquoient sens pechiet originel ; et disoit que les orisons fait en sainte Engliese ne puelent porteir nul profit à cheaux por cuy ilh sont faites. Et por ches meismes erreurs condempnat ly pape Innocent dois altres adversaires et complices al deseurdit Pelage, qui furent nommeis Celestin et Julien.

[Le concile de Bretagne] Cette année-là [407], le pape réunit un concile, où il condamna un grand adversaire de la Sainte Église, qui se nommait Pélage. Le concile se tint en Bretagne. Pélage proférait contre la Sainte Église quantité d’erreurs malveillantes, pour lesquelles il fut ainsi condamné. Il disait et soutenait notamment que les Huns pouvaient être sauvés, sans avoir auparavant reçu la grâce de Dieu ; il disait que les enfants pouvaient naître et naissaient sans le péché originel ; il disait aussi que les oraisons faites dans la Sainte Église ne pouvaient en rien profiter à ceux pour qui elles étaient faites. Le pape Innocent condamna aussi pour ces mêmes erreurs deux autres adversaires, nommés Célestius et Julien, complices du Pélage précité.

[Status papales - Del juneir le samedis] Item, l'an IIIIc et VIII ordinat ly pape à juneir le semedis, por le raison de chu que ly corps de Jhesu-Crist jut adont en sepulcre, et les disciples junarent tout le temps que ilh y fut gisant.

[Ordonnance papale - Le jeûne du samedi] En l’an 408, le pape ordonna de jeûner le samedi, pour la raison que le corps de Jésus-Christ resta alors au tombeau et que les disciples jeûnèrent tout le temps qu’il y reposa.

 [De sains Basilh et Alexis] A cel temps regnoit à Romme unc sains hons de bonne vie, qui oit nom Basilien et estoit evesque de Cesaire en Capadoche. En cel an soy partit de Romme unc sains hons qui oit à nom Alexis, qui fut ly fis Eufemien, unc senateur de Romme.

[Les saints Basile et Alexis] À cette époque vivait à Rome un saint homme, à la vie exemplaire, nommé Basile, qui était évêque de Césarée en Cappadoce. Cette année-là aussi quitta Rome un saint homme, du nom d’Alexis. Il était fils d’Euphémien, un sénateur de Rome.

 

Vie de saint Alexis - Ordonnance du pape Innocent (années 408-409 ?)

[II, p. 116] [La vie sains Alexis] Chis Alexis estoit mariés, et avoit à chi jour esposeit une femme par le commandement de son pere et sa mere. Si avient, quant sa femme fut cuchié et ons quidat que Alexis se dewiste aleir cuchier awec sa femme, lidis Alexis soy partit tout coiement de la cambre sa femme et de Romme, et en alat celéement par mult long temps par les paiis, en faisant grant penitanches, par l'espause de XVII ans. Et puis ilh revient à Romme en la maison son pere, sicom uns povres hons pelerins, et habitat en la maison son pere XVII ans que onques son pere et [II, p. 117] sa mere ne le recognurent ; ne oussi ilh ne soy fist cognisaible, ains souffroit mult de laidures et de paines que les masnies del hosteit son pere li faisoient et dissoient, car ilh quidoient que chu fust uns estrangne peleriens. Et quant ilh duit de chi siecle partir, ilh mist tout sa vie et son regnation en escript de tout le temps qu'ilh soy estoit absentis, et escript certaines ensengnes par lesqueils ons poioit bien cognoistre que chu estoit-ilh.

[II, p. 116] [La vie de saint Alexis] Cet Alexis était marié à une femme qu’il avait épousée ce jour-là sur ordre de son père et de sa mère. Une fois sa femme couchée, alors qu’il était supposé devoir la rejoindre, Alexis s’éloigna très discrètement de la chambre de sa femme et de Rome. Longtemps, en fait dix-sept ans, il parcourut incognito le pays, en faisant grande pénitence. Dans la suite il revint à Rome comme un pauvre pèlerin dans la maison de son père, où il vécut pendant dix-sept ans, sans jamais que son père ou [II, p. 117] sa mère ne le reconnaissent. Il ne faisait d’ailleurs rien pour être reconnu. Il supporta ainsi nombre de méchancetés et de souffrances infligées par les serviteurs de l’hôtel de son père, qui le considéraient comme un bien étrange voyageur. Quand vint pour lui le moment de quitter ce siècle, il mit par écrit le récit de toute sa vie et de sa conduite durant tout le temps où il avait été absent, en signalant certains faits susceptibles de l’identifier.

Apres, quant ilh fut trespasseis, les dois empereras de Romme, Archadius et Honorius, qui adont astoient à Romme presens, oiirent une vois de ciel qui leur dest que en la maison Eufemien le senateur gisoit le corps de uns sains hons qui là ens estoit trespasseis. Adont les dois empereres, à grant compangnie, alerent quiere le corps Alexis el maison de son pere ; quant ilh fut trespasseis, les masnies qui lavarent le corps et le misent en vasseal regardarent en sa main, si veirent I escript, mains ilhs ne li porent oisteir fours de sa main, ne personne qui fust là. Quant ly pape y vient awec son college, adont prist-ilh l'escript, se le fist liire toute hault devant toute la clergerie et le pueple qui là estoit  ; se trovarent que chu estoit Alexis. Adont fisent pere et mere et tous les amis mervelheux duelh, eaux mervelhant comment ilh avoit tant entres eaux habiteit, se ne l'avoient onques cognuit ne raviseit.

Après son trépas, les deux empereurs de Rome, Arcadius et Honorius, présents à Rome à ce moment-là, entendirent une voix céleste leur disant que dans la demeure du sénateur Euphémien gisait le corps d’un saint homme qui y était mort. Alors les deux empereurs, en grande compagnie, allèrent chercher le corps d’Alexis dans la maison de son père. Lorsque, après son décès, les serviteurs lavèrent son corps et le mirent dans un cercueil, ils regardèrent dans sa main et virent un texte écrit, mais ni eux ni aucune personne présente ne purent le lui retirer. Quand le pape vint avec ses conseillers, il prit l’écrit, se le fit lire à haute voix devant l’ensemble des clercs et devant le peuple présent. On découvrit qu’il s’agissait d’Alexis. Le père, la mère et tous les amis firent alors un deuil remarquable, s’étonnant qu’il ait habité si longtemps chez eux, sans jamais avoir été ni reconnu ni vu par personne.

Puis fut ly corps ensevelis mult noblement ; mains ilh s'y assemblat si grant peuple que ly empereres, por derompre le presse des gens, fisent jetteir argent et monoie à grant planteit par les rues ; mais la plus grant partie des gens entendirent à suere de tout pres le sains corps plus qu'ilh ne fesissent al argent ; et enssi fut ensevelis.

Alexis fut ensuite inhumé avec éclat. Mais la population rassemblée était si nombreuse que les empereurs, pour réduire la pression de la foule, firent lancer en grande quantité de l’argent et de la monnaie dans les rues. La plupart des gens choisirent pourtant de suivre de très près le corps du saint plutôt que d’aller ramasser l’argent. Ainsi fut enseveli Alexis.

[Status papals del oyle des malaides] Item, l'an IIIIc et IX, ordinat ly pape Innocent que ly oyle, por enondre les malaides à la derain unction, fust consacrée par uns evesque dedont en avant.

[Ordonnance papale sur l’onction des malades] Et en l’an 409, le pape Innocent ordonna que l’huile servant à l’extrême onction des malades soit dorénavant consacrée par un évêque. (Sur ce pape, cfr II, p. 114, p. 116, p. 123 et p. 124).

 

Tongres est finalement prise après un siège de trois ans et détruite par les Huns - Terrible bataille avec quelque 45.000 Tongrois tués - Les 10.000 survivants vont se réfugier à Maastricht - Leur descendance a terni la réputation de cette ville (année 409) (= Geste, vers 5555-5669)

[II, p. 117] [Coment la citeit de Tongre fut destruit par les Huens] En cel an en mois de jule le XIIIe jour, fut martyrisiés mult de sains proidhommes en la citeit de Tongre, qui adont fut gangnié et destruite par les Huens. Si vos dirons la maniere comment les Huens avoient là tant esteit qu'ilh n'avoient que mangnier, et avoient foreit le paiis tout altour XII liewes et plus.

[II, p. 117] [La cité de Tongres fut détruite par les Huns] En cette année [409], le 13 juillet, de nombreux saints hommes furent martyrisés dans la ville de Tongres, qui fut alors conquise et détruite par les Huns. Nous vous dirons que les Huns étaient restés là si longtemps qu’ils n’avaient plus rien à manger et qu’ils avaient pillé le pays tout autour, sur plus de dix lieues.

Si avient unc jour que ilh prisent conselhe entre eaux qu'ilh soy delogeroient, et en yroient en aultre terre plus legiere à conquesteir, jusqu'à tant que chis paiis seroit recrassiés. Et tout enssi fut-ilh faite, [II, p. 118] car ilhs sont tous deslogiés l'an deseurdit le XIIIe jour de jule, et ont trosseit leurs harnois et soy misent al chemyn.

Un jour ils se mirent à délibérer entre eux et décidèrent de changer d'endroit et d’aller dans un autre pays, plus facile à conquérir, en attendant que (Tongres) soit redevenue fertile. Et tout se passa ainsi. [II, p. 118] Les Huns levèrent tous le siège, le 13 juillet comme on l'a dit ; ils replièrent leurs équipements et se mirent en route.

[Chu qui doit avenir jà ne puet trespasseir] Or nous dist uns proverbe qui est vray que chu qui doit avenir jà ne puet trespasseir. Et Tongre devoit estre destruite, car Dieu l'avoit dit de sa propre boche et mandeit à sains Servais, et tout chu si apparut evidemment, car ilh fussent aleis leur voie, se cheaux de Tongre ne fussent hours issus ; car quant les Tongrois veirent que les Huens soy departoient et s'en aloient enssi, si soy armarent et ont jureit que ilh les assalheront, car puisqu'ilh s'en vont enssi ilh sont desconfis.

[Ce qui doit arriver ne peut pas ne pas arriver] Un proverbe, bien exact, dit que ce qui doit arriver ne peut pas ne pas arriver. Or Tongres devait être détruite, car Dieu de sa propre bouche l’avait dit et fait savoir à saint Servais. Et  la vérité du proverbe apparut ici à l’évidence, car les Huns auraient continué leur chemin, si les Tongrois n’étaient pas sortis de la ville. En effet, quand les Tongrois constatèrent le départ des ennemis, ils s’armèrent et jurèrent de les attaquer. Puisqu’ils s’en allaient ainsi, c’est qu’ils étaient battus.

Adont ilhs sont fours issus LXm hommes bien armeis, et trovarent les Huens aux champs tous rengiés, car ly roy Atilla avoit à constumme d'aleir rengier quant ilh approchoit ou eslongoit les citeis. Et cheaux de Tongre ferirent à le cowe derier ; sy en abatirent Xm des Huens, anchois que ilh sawissent que ons les awist assalhis ; mains là se sont retourneis, si soy defendent.

Alors soixante mille hommes bien armés sortirent (de Tongres). Ils trouvèrent les Huns dans les campagnes, mais rangés en bon ordre, car le roi Attila avait l’habitude de marcher en rangs quand il s’approchait ou s’éloignait des cités. Les Tongrois attaquèrent les Huns sur leurs arrières et en jetèrent par terre dix mille, avant qu'ils ne réalisent qu’ils avaient été assaillis. Mais alors ils se retournèrent et se défendirent.

[Terrible batalhe entre Tongrois et les Huens, où Tongrois furent desconfis et la citeit destruite] Là commenchat batalhe mult orrible : les Huens y fisent mervelhe, et Huelins, le senescaul de Tongre, ochioit les Huens à forche de brache ; ilh at ochis Joiel, Gardon et tant des altres que ilhs le fuent. Atilla voit chu, se le ferit amont son hayme si qu’ilh li parfent jusqu'en pis ; et at coupeit le chief à Baldeven, maire de Tongre, le fis Gosselin, le sires de Lonchin et d'Aleur, et bien XIIII en at jetteit sus la terre mors.

[Terrible bataille entre Tongrois et Huns - Les Tongrois furent vaincus et la ville détruite] Et là commença une bataille vraiment horrible : les Huns y firent merveille, mais Huelins, le sénéchal de Tongres, les tuait à force de bras ; il a tué Joël, Gardon et tant d’autres Huns que ceux-ci prennent la fuite. Voyant cela, Attila frappe le sénéchal au sommet du heaume et le fend jusquà la poitrine. Il coupe la tête de Baudouin, maire de Tongres et fils de Gosselin, seigneur de Loncin et d’Alleur, et jette au moins quatorze morts à terre.

Et finablement Tongrois sont reculeis jusques à grant pont qui estoit ly plus beal de monde, et estoit tout de marbre noire com gaiete ; et al entrée fut fort la batalhe, et fut sens nombre de gens là abatus, sique tout en fut coverte la terre. Mains Atilla aloit par la batalhe et ochioit ches Tongrois ; ilh at ochis Tybal del Hale, Guilheme de Sains-Materne, le fis Gatier de Sains-Materne, le valhant chevalier jadit.

Finalement les Tongrois ont reculé jusqu’au grand pont, le plus beau du monde, tout de marbre noir comme de la houille. À l’entrée du pont, le combat fit rage, et des hommes sans nombre furent abattus, au point que la terre en était couverte. Attila parcourait le champ de bataille, tuant les Tongrois, comme Thibaut de Halle, Guillaume de Saint-Materne, fils de Gautier de Saint-Materne, vaillant chevalier jadis (cfr II, 39ss).

Chis Guilhemme avoit unc frere qui avoit oussi à nom Gaitier com le pere, qui fut grandement corochiet de son frere que Atilla avoit ochis ; si le ferit, mains ilh fausat, car Atilla se destournat, et chis ferit Jobal, si l'ochist, puis ferit en l'estour et ochioit à deistre et à senestre.

Ce Guillaume avait un frère, qui s’appelait aussi Gautier comme leur père. Furieux qu’Attila ait tué son frère, il le frappa mais le rata, car Attila s’était détourné. Alors Guillaume frappa Jobal, le tua, puis il se lança dans la mêlée, tuant des adversaires sur sa droite et sur sa gauche.

Atilla fut valhant chevalier, car ilh at ochis Renars et Hermain de Molins et Gaitier de Sains-Materne et Richars son frere, Arnars, Engelbert et Godelons freres de Jupilhe et Symon le prevoste, et tant des altres que [II, p. 119] Tongrois sont desconfis et mors. Là fut acomplie la prophetie, car ilh ont perdut le pont et les Huens sont sus monteis : là furent ochis des Tongrois XLVm hommes, chu sont les trois pars, et si en fut bien navrés qui morurent Vm, et les altres Xm s'enfuirent leurs voie vers Treit por eistre à garant.

Attila était un vaillant chevalier : il tua Renard et Herman de Molins, et Gautier de Saint-Materne, ainsi que son frère Richard, Arnaud, Englebert et Godelon, frères de Jupille, Simon le prévôt, et tant d’autres que [II, p. 119] les Tongrois furent défaits et moururent. Là fut accomplie la prophétie, car ils perdirent le pont et les Huns y montèrent. Quarante-cinq mille Tongrois, c’est-à-dire les trois quarts d’entre eux, furent tués, et il y eut au moins cinq mille blessés, qui moururent ; les dix mille autres s’enfuirent vers Maastricht, pour se mettre en sécurité.

Et les Huens sont entreis en la citeit de Tongre, sy l'ont arse et bruie et toute abatue, tours et chasteals et englieses, et ont martirisiiés tous les hommies et femmes et enfans qu'ilh y trovont, et tous les biens pilhiiés et robeit et tout mys à niant. Les fuans s'en allont à Treit, enssi com nos avons dit, où Ursins leur evesque habitoit ;

Les Huns sont entrés dans la cité de Tongres, qu'ils ont incendiée et rasée, tours, châteaux, églises. Ils ont martyrisé tous les hommes, les femmes et les enfants qu'ils y trouvèrent. Ils ont tout pillé et volé, tout réduit à rien. Les rescapés s'enfuirent, comme nous l’avons dit, à Maastricht où habitait Ursin, leur évêque. [fin de la Geste comme source]

[Del mal generation de Treit] mains ons true en l'Escripture que cheaux de Treit astoient à cel temps, et avoient esteit tousjours, les miedres gens de monde et les plus sains. Mains quant Tongre fut destruite, sicom dit est, se vinrent des Tongrois une grant partie demoreir à Treit, desqueis ilh est issus tant de generations que trop ; et tant est multipliiet la generation que cheaux de Treit sont maintenant la piour generation, c'est des Tongrois, et la plus envieuse qui soit, car on ne troveroit en tout le remanant de monde plus mals gens ne plus trahitres com sont cheaux qui sont de la nation de Treit.

[La mauvaise réputation des gens de Maastricht] On trouve par aillleurs dans les textes que les habitants de Maastricht étaient alors, et avaient toujours été, les gens les meilleurs et les plus saints du monde. Mais quand Tongres fut détruite, comme dit plus haut, une grande partie des Tongrois vinrent habiter à Maastricht où ils donnèrent naissance à une descendance beaucoup trop nombreuse. Elle s’est tellement multipliée que les gens de Maastricht sont maintenant la pire des races. À cause des Tongrois, le groupe le plus méchant qui soit, on ne pourrait trouver dans le reste du monde des gens plus mauvais et plus traîtres que ceux du pays de Maastricht. [absent de la Geste, semble-t-il]

 

Reims est détruite par les Huns - Naissance de saint Remi - Sévère, hérétique repenti, écrit la biographie de saint Martin de Tours - Période de gelée - Le palais de Constantinople est détruit par une tempête (années 409-411)

[II, p. 119] [Les Huens destrurent Rains] En cel an en mois d'octembre, fut destruite par les Huens la citeit de Rains en Campangne, et là fut martyrisiiet sains Nycase et sa soreur sainte Eutrope.

[II, p. 119] [Les Huns détruisirent Reims] En octobre de cette année [409*, la ville de Reims, en Champagne, fut détruite par les Huns, où furent martyrisés saint Nicaise et sa sœur sainte Eutropie. [= Geste, vers 5672-5675]

[De sains Remy] Item, l'an IIIIc et X fut neis sains Remy, qui puis fut archevesque de Rains.

[Saint Remi] En l'an 410, naquit saint Remi, qui fut plus tard archevêque de Reims.

[De sains Martin et de son disciple Severus] En cel an fut escripte la vie le glorieux confes sains Martin de Tour, par unc sien diesciple qui fut nommeis Severus, lyqueis fut decheus des heresies Pelage ; mains en brief temps ilh soy repentist, et soy remist à la droit voie et à la foid de sainte Engliese, et de son erreur ilh fist teile penitanche que onques depuis parolle ne issit de sa boche, ains amendat par scilenche wardeir chu qu'il avoit meffait par follement parleir.

[Saint Martin et son disciple Sévère] Cette année-là fut rédigée la vie du glorieux confesseur saint Martin de Tours, par un de ses disciples, nommé Sévère (cfr II, p. 93 et  II, p. 110). Il fut égaré par les hérésies de Pélage, mais très peu de temps après, il s’en repentit et revint dans le droit chemin, à la foi de la sainte Église. Pour se punir de son erreur, il fit pénitence et, depuis ce moment, plus aucune parole jamais ne sortit de sa bouche ; en gardant le silence, il répara le mal qu’il avait fait en parlant inconsidérément.

[Grant galée - Grant tempeste] En cel an fut une grant galée, qui durat del fieste Sains-Andrier jusqu'à XIIe jour de fevrier tantost apres ensiwant.

[Grande gelée] En cette année-là, une période de grande gelée dura de la fête de saint André [30 novembre] jusqu’au 12 février suivant.

[Grant tempeste] Item, l'an IIIIc et XI, chaiit unc grant tempeste sour la citeit de Constantinoble, et abatit unc grant partie de palais imperial ; et fut là morte l'emperres, la femme l'emperere Archade, qui estoit emperere de Romme et de Constantinoble, par cuy enortement deldit emperres sains Johan Crisostome avoit esteit exilhiiés.

[Grande tempête] En l’an 411, une forte tempête frappa la cité de Constantinople et abattit une grande partie du palais impérial ; c’est là que mourut l’impératrice [Eudoxie], épouse d’Arcadius, empereur à la fois de Rome et de Constantinople. C’est sur l’ordre de cet empereur que saint Jean Chrysostome avait été exilé (cfr II, p. 105 et II, p. 144).

 

Les Huns attaquent Châlons, Troyes (saint Loup et miracle) et Orléans (saint Aignan) - Les forces réunies par Mérovée viennent délivrer Orléans assiégée - Attila est blessé, ses rois alliés sont tués, les Huns sont lourdement défaits - Attila se replie vers l’Italie (411)

En cel an destrurent les Huens Chalons, et apres vinrent à Troie en [II, p. 120] Campangne, et si commencharent aux portes de la citeit fortement assaillir. De cesti citeit estoit sains Leu evesque : chis vient sour le porte et criat en demandant à Atilla : « Qui es-tu, qui as devasteit nos terres et pays, et qui les gens perturbes si vilainement ? »

Cette année-là [411], les Huns dévastèrent Châlons, puis arrivèrent à Troyes en [II, p. 120] Champagne, aux portes de la cité, où ils se mirent à lancer un violent assaut. Saint Loup était l’évêque de Troyes. Il vint à la porte et cria, demandant à Attila : « Qui es-tu, toi qui as dévasté nos terres et nos pays, et qui tourmentes si vilainement la population ? »

[Atilla dest qui estoit le flaiel de Dieu] Adont at respondut Atilla al evesque : « Je suy Atilla, le flaiais de Dieu. » Quant ly evesque entendit chu, si fut mult enbahis, se ovrit les portes de sa citeit en depriant Dieu que ilh vosist luy et ses gens et sa citeit gardeir de mal.

[Attila dit qu’il était le fléau de Dieu] Alors Attila répondit à l’évêque : « Je suis Attila, le fléau de Dieu ». L’évêque, en entendant cette réponse, fut tout abasourdi. Il ouvrit les portes de la cité en priant Dieu de le protéger du malheur, lui, ses gens et sa cité.

[Grant myracle des Huens à Troie] Là demonstrat Dieu grant myracle : car les Huens entrarent en la citeit de Troie, mult convoiteux del destruire ; mains al entreir en la citeit, ly roy Atilla et tous les aultres furent tous avoigleis, teilement que onques nus d'eaux ne veit aultre chose en la citeit que son droit chemyn par-devant luy jusques à l'autre porte, qu'ilh issirent de la citeit sens aultre mal faire ne grevanche.

[Grand miracle des Huns à Troyes] Là Dieu fit un grand miracle. Les Huns pénétrèrent dans la cité, très désireux de la détruire ; mais à leur entrée, le roi Attila et tous les autres (Huns) furent tellement aveuglés qu'aucun d’entre eux ne vit jamais que le chemin devant lui, qui menait directement à l’autre porte. Ainsi sortirent-ils de la ville sans causer ni de mal ni de dégâts.

[Les Huens assegent Orliens] Apres s'en alarent les Huens en destruant pluseurs citeis et vilhes, et fisent tant qu'ilh vinrent devant Orlins, qui mult estoit noble citeit et plaisante, si l'ont assegiet mult enforchiement ; mains ly roy de Franche le soit et pluseurs altres saingnours, sy sont alleis cel part à grant gens, et s'asemblarent à Arle-Ie-Blanche. Adont s'apensat sains Aviens, ly evesque de Orlien, qui de cel siege astoit mult dolens ; si en alat droit à Arle-IeBlanche, car ons ly avoit dit que Engense, ly patris de Romme, et mult d'aultres saingnours astoient là.

[Les Huns assiègent Orléans] [= Geste, vers 5682-5700] Ensuite les Huns s’en allèrent en détruisant de nombreuses villes et cités, pour aboutir finalement à Orléans, cité très illustre et très puissante. Ils l’assiégèrent avec une grande violence. En apprenant cela, le roi des Francs et bien d’autres seigneurs se rendirent dans la région avec des hommes nombreux, qui se rassemblèrent à Arles-la-Blanche. Alors saint Aignan [sains Abiers, dans Geste], évêque d’Orléans, très malheureux de ce siège, décida d’aller directement à Arles-la-Blanche, car on lui avait dit qu’Engésion, le patrice de Rome, et beaucoup d’autres seigneurs étaient là.

[Sains Aviens priat à mult de saingnours qu’ilh vosissent desegier sa citeit Orlins] Et quant ly evesque sains Aviens fut venus à Arle, sy suppliat aux saingnours qu'ilhs vosissent sa citeit desegier ; et cheaux ly otriarent tantoist, et soy partirent de là et vinrent devers Orlin. Tant ont aleis les saingnours aloiiés qu'ilh vinrent à Orlins, où ilh trovarent les Huens ; se les corurent sus, et ilhs soy defendirent valhamment.

[Saint Aignan pria de nombreux seigneurs de mettre fin au siège de sa cité d’Orléans] Lorsque l’évêque saint Aignan fut arrivé à Arles, il supplia les seigneurs de mettre fin au siège de sa cité. Ceux-ci lui donnèrent tout de suite leur accord, quittèrent l’endroit où ils étaient et se dirigèrent vers Orléans. Ils y trouvèrent les Huns, les attaquèrent, et se battirent vaillamment.

[Terrible batalhe contre les Huens à Orlins où ilh furent desconfis] Là oit forte batalhe et ruste : là fist le roy Meroveux de Franche tant de fais d'armes que ons ne le poroit racompteir, et furent les Huens en la fin desconfis, et s'enfuirent tous esbahis. En cesti batalhe fut ochis ly roy Alafis de Thuringe et d'Estrogothie, et ly roy Alarich de Gontelhies et XLm Huens ; et fut ly roy Atilla navreis en sa destre espal mult laidement, car ilh en fut à tousjours afolleis.

[Terrible bataille à Orléans contre les Huns, qui furent vaincus] Là se déroula une bataille forte et violente, où le roi de France, Mérovée, accomplit tant de faits d’armes qu’on ne pourrait les raconter. Finalement, les Huns furent défaits et, effrayés, s’enfuirent. Au cours de cette bataille, le roi Alafis de Thuringe et des Ostrogoths (cfr II, p. 110) et le roi Alaric du royaume des Goths (cfr II, p. 110) furent tués, ainsi que quarante mille Huns ; le roi Attila fut très grièvement blessé à l’épaule droite et mutilé à tout jamais. [Là ot ruste batalhe, dont rins dire n'oreis, dans Geste, vers 5696]

[Les Huens en ralont en Ytaile] Adont s'enfuit ly roy Atilla et les remanans de ses gens, et s'en alat vers la terre de Strogothie, où ilh assemblat grant gens, et revient en Ytalie à oust banit, enssi com vos oreis chi-apres.

[Les Huns retournèrent en Italie] Alors le roi Attila s’enfuit avec ses soldats rescapés et se rendit au pays des Ostrogoths où il rassembla de nombreuses troupes et revint en Italie, bannières déployées, comme vous l’entendrez ci-après (II, p. 131ss). [Geste, vers 5697-5704]

 

Mort du roi Mérovée après sa victoire sur Agricola, comte de Flandre (année 412)

[II, p. 120] [Ly roy de Franche desconfit Flamens ; mains ilh en morut] En cel an assemblat ly roy franchois Meroveux ses oust,  si [II, p. 121] destruite mult de la terre de Flandre. Et ly conte Agricolay de Flandre vint contre luy à grant gens, et là oit grant batalhe, sour l'an IIIIc et XII en mois de junne, sy furent les Flamens desconfis et s'enfuirent ; et awist ly roy franchois conquesteit la conteit de Flandre, se ilh fust tendamment aleis apres eaux ; mains ilh ne poioit, ains le covient retourneir arier par forche, car ilh estoit teilement navreis en ventre que les boiauz ly gisoient sour l'archon de la selle de son cheval, et morut dedens I mois. Si fut ensevelis à Lutesse à grant honneur, solonc sa loy.

[II, p. 120] [Le roi de France défit les Flamands, mais mourut au combat] Cette année-là [412], le roi franc Mérovée assembla ses armées, et [II, p. 121] fit beaucoup de destructions en terre de Flandre. Le comte du pays, Agricola, marcha contre lui avec des forces nombreuses, et une grande bataille eut lieu en juin 412. Les Flamands, vaincus, s’enfuirent. Le roi franc aurait conquis le comté de Flandre, s’il les avait poursuivis tout de suite, mais il ne le pouvait pas. Il fut forcé de se retirer, car il était gravement blessé au ventre et ses viscères gisaient sur l’arçon de sa selle. Il mourut dans le mois et fut enseveli à Lutèce, avec de grands honneurs, selon sa loi.


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