Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 95b-104a

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

[BCS] [FEC] [Accueil JOM] [Fichiers JOM] [Pages JOM] [Table des Matières JOM]


 

RÈGNE DE THÉODOSE Ier - SAINT SERVAIS (fin) - LES PREMIERS ROIS DE FRANCE - LES HUNs

Ans 386-392 de l'Incarnation


 

Texte et traduction


Ce fichier, qui correspond aux p. II, 95-104 du Myreur et couvre les années 386 à 392 de l'Incarnation, a été présenté en trois sections :

 

* A. Ans 386-388 (Myreur, II, p. 95b-99a) : Début du règne de Théodose Ier - Suite et fin de l'histoire de saint Servais [sommaire et texte]

* B. Ans 388-391 (Myreur, II, p. 99b-102a) : Suite du règne de Théodose Ier - Résumé de l'histoire des origines des Francs - Pharamond, premier roi de France - Varia [sommaire et texte]

* C. Ans 391-392 (Myreur, II, p. 102b-104a) : Encore les Huns [sommaire et texte]

 

[Vers les notes de lecture]

 


 

A. début du règne de Théodose I le Grand - suite et fin de l'histoire de saint Servais (386-388)

 

Sommaire

Théodose devient le quarante-septième empereur - Opérations militaires en Petite Bretagne de Théodose et de Maxime - Concile de Constantinople et condamnation de Macédonius - Pape Sirice - Succession en Flandre (386-388)

Légende de saint Servais (suite et fin) : sa mort, sa clé et ses miracles (388)

 

 

Théodose devient le quarante-septième empereur - Opérations militaires en Petite Bretagne de Théodose et de Maxime - Concile de Constantinople et condamnation de Macédonius - Ordonnance du pape Sirice - Succession en Flandre (386-388)

[II, p. 95b] [De Theodosiien, le XLVIIe emperere] Apres la mort Gratiain l'emperere, fut fais emperere XLVIIe Theodosien, frere à l'emperere Gratiain, lyqueis regnat XI ans III mois et XIII jours.

[II, p. 95b] [Théodose, quarante-septième empereur] Après la mort de Gratien [386] fut nommé quarante-septième empereur, son frère Théodose. Le nouvel empereur régna onze ans, trois mois et treize jours.

Théodose, quarante-septième empereur : Jean d'Outremeuse n'est pas fidèle à son système de numérotation impériale. Son prédécesseur Gratien, qui aurait dû être cité comme le 44e empereur, n'avait pas reçu de numéro. Théodose aurait dû être le 45e.

[L’emperere destruite tout Bretangne] Et quant ilh fut fais emperere, si s'en allat en la petit Bretangne à grant gens sour Maximiain, le prinche qui avoit ochis son frere, et ardit en destruant tout son paiis, syqu'ilh n'y lassat une seule maison à destruire, et ochist toutes les gens ; mains Maximiain n'y estoit mie. Adont revient ly emperere à Romme lies et joians de la venganche qu'ilh avoit prise de la mort de son frere.

[L’empereur dévasta toute la Bretagne] Une fois empereur, Théodose, avec beaucoup d’hommes, s’en alla en Petite Bretagne attaquer Maxime, le prince qui avait tué son frère. Il dévasta par le feu tout son pays, sans y laisser une seule maison intacte et en tuant tout le monde. Mais Maxime n’y était pas. Alors l’empereur revint à Rome, content et heureux de la manière dont il avait vengé la mort de son frère.

[IIIc IIIIxx VII] En cel an, en fevrier, assemblat Maximiain, le prinche de la petit Bretangne, ses gens chu qu'ilh en pot avoir por guerroier les Romans ; mains quant ilh veit que sy pou en avait, sy lassat son entreprise tant que ilh poroit mies.

[An 387] En février de cette année, Maxime, le prince de la Petite Bretagne, rassembla ce qu’il put avoir comme soldats pour faire la guerre aux Romains. Mais quand il vit le peu de gens qu’il avait à sa disposition, il différa son projet (suite II, p. 99-100).

[De concilhe que le pape assemblat en Constantinoble] Item, l'an IIIc et IIIIxx et VII, fist l'emperere Theodosien, par le consentement de pape Syricius, assembleir I concielhe en Constantinoble de C et L evesques ; et là fut condempneis Machidonius, qui refusoit à croire que ly Sains-Esperit fust Dieu. A chi conciel fut ordineit et confirmeit que dedont en avant ly evesque de Constantinoble fust soverains de tout le monde en la cristiniteit, apres le pape de Romme.

[Le concile rassemblé par le pape à Constantinople] L’an 387, l’empereur Théodose, avec l’accord du pape Sirice, rassembla un concile de 150 évêques à Constantinople. C’est là que fut condamné Macédonius (cfr II, p. 88), qui refusait de croire que le Saint-Esprit était Dieu. Ce concile ordonna et confirma que dorénavant l’évêque de Constantinople serait le souverain du monde chrétien, après le pape de Rome.

[Status papales] En cel an ordinat Syricius li pape que toutes maneres de gens qui avaient esté [II, p. 96] sourpris de alcunne heresie et voloient retourneir à la vraie foid catholique ne fussent mie refuseit, ains fussent rechus à sainte Engliese sens rebaptizier s'ilh estoit vraie repentans.

[Ordonnance papale] Cette année-là, le pape ordonna que tous les gens qui avaient été [II, p. 96] séduits par une hérésie et voulaient retourner à la vraie foi catholique ne se heurtent pas à un refus, mais soient reçus dans la Sainte Église, sans nouveau baptême, s’ils étaient vraiment repentants (Cfr Martin, Chronique, p. 417, l. 16-19).

[De conte Flandrois] En cel an morut Gallien, ly conte de Flandre ; si fut conte apres luy Porus, son fis, qui regnat III ans.

[Le comte de Flandre] Cette année-là mourut Gallien, le comte de Flandre. Son fils Porus lui succéda et régna trois ans.

 

Légende de saint Servais (suite et fin) : la mort du saint, sa clé et ses miracles (388)

[II, p. 96] [Sains Servais morut l’an IIIc LXXXVIII en may] Item, l'an IIIc IIIIxx et VIII, en mois de may, morut ly vraie confes sains Servais, ly Xe evesque de Tongre ; si fut ensevelis en la cripte del engliese où ilh avoit habiteit III ans.

 [II, p. 96] [Saint Servais mourut en mai 388] En mai 388 mourut saint Servais, vrai confesseur et dixième évêque de Tongres. Il fut enseveli dans la crypte de l’église où il avait vécu trois ans (cfr II, p. 94).

[Del cleif et de corps sains Servais] Et deveis savoir que le cleif d'argent que sains Pire donnat à sains Servais, quant ilh fut à Romme, demorat en ladit engliese awec l'autre tresoire ; mains puisedit fut ly cleif, awec l'autre tresoire et le propre corps sains Servais, translaleit de chi lieu en la cripte del engliese que sains Monulphe, evesque, fondat en l'honeur sains Bertremere à Treit meismez, en laqueile engliese ladit cleif est mult diligemment wardée.

[La clé et le corps de saint Servais] Vous devez savoir que la clé d’argent que saint Pierre donna à saint Servais quand il était à Rome resta dans la dite église avec le reste du trésor. Mais plus tard, l'ensemble ‒ la clé, le trésor et le corps de saint Servais ‒ fut transporté de là dans la crypte de l’église que saint Monulphe, évêque, fonda, à Maastricht même, en l’honneur de saint Barthélemy. C’est dans cette église que la clé est très soigneusement gardée. [cfr aussi G.L. 5063ss, qui ne s’étend pas sur la suite et passe à Agricola].

[Le vertus del cleif sains Servais] Apres deveis savoir que cel cleif a teil vertut que s'ilh avient que ons prende la cleif et le port-ons en temps que les semenches croisent sour terre parmy les ahans aux champs, que tous les biens que ly porteurs de la cleif enclourat et cirquerat à passeir, seront gardeis de tous vermines, de tous mals effoudres et de tous tempiestes tout l'an entirement, sicom ons at exproveit par pluseurs fois. Et sachiés que chu tesmongnent pluseurs clers et canones de ladit engliese que ladit cleif ons pluseurs fois porteit jusqu'en Hesbay et jusqu'en Saxongne, por necessiteit de tempeste.

[La force de la clé de saint Servais] Vous devez aussi savoir que cette clé a une telle puissance que si on la prend pour la porter dans les champs au moment où les semences poussent dans les terres labourées, les cultures que le porteur de la clé entourera d’un cercle seront protégées une année entière de toute vermine, coup de foudre et tempête. Cela a été expérimenté plusieurs fois. Sachez aussi, ce dont témoignent plusieurs clercs et chanoines de la dite église, qu’on a porté plusieurs fois cette clé jusqu’en Hesbaye et en Saxe, pour des raisons imposées par la tempête.

[Des myracles de la cleif sains Servais] Et true-ons par certaines hystoires approuvées, que longtemps apres la mort sains Servais oit en Saxongne teile tempeiste que, drois en mois de may, par effoudre, toutes les bleis et les aultres semenches que aux champs estoient furent toutes tempesteez XII liwes de circuites. Si avient que ly sires de chi paiis, qui nommeis estoit Hircans, avoit plusours fois oyt parleir des myracles que la cleif d'argent sains Servais faisoit par le paiis, si montat à cheval, et awec luy XI chevaliers de son paiis, et vient à Treit ; et fist tant aux canones deldit engliese que la cleif fut là envoiet et enportée par VI canones tous revestis com ilhz dewissent messe chanteir ; et chevalcharent enssi tous revestis tant qu'ilhs vinrent en Saxongne.

[Les miracles de la clé de saint Servais] On trouve dans certaines histoires authentifiées que, longtemps après la mort de saint Servais, sévit en Saxe, en mai précisément, une tempête telle que la foudre détruisit dans les champs tous les blés et les autres semences, dans un périmètre de douze lieues. Le seigneur de l’endroit, appelé Hyrcan, qui avait plusieurs fois entendu parler des miracles réalisés dans le pays par la clé d’argent de saint Servais, monta sur son cheval et, accompagné de onze chevaliers de la région, se rendit à Maastricht. Il réussit à obtenir des chanoines de la dite église l’envoi de la clé, emmenée par six d'entre eux, tous habillés comme s’ils devaient chanter la messe, qui chevauchèrent dans cette tenue jusqu’en Saxe.

Quant ilh furent là venus, ilh fisent assembleir tout le peuple de paiis, puis [II, p. 97] portarent les cleif tout altour des champs qui destruis estoient ; et tout enssi com la cleif passoit, les bleis et les aultres semenches soy redrechoient oussi belle qu'ilh avoient oncques esteit. Enssi par le vertut de la cleif fut Saxongne restaurée, qui estoit tout perdue ; et encordont estoit ly pueple de chi paiis-Ià creans en Jupiter et en aultres ydolles, com païens.

Arrivés à destination, ils firent rassembler tout le peuple, puis [II, p. 97] portèrent la clé autour des champs détruits. Et au fur et à mesure que la clé passait, les blés et les autres céréales se redressaient, aussi beaux qu’ils l'avaient été. Ainsi par la vertu de la clé, la Saxe, complètement dévastée, fut restaurée. Et pourtant les habitants de ce pays-là croyaient en Jupiter et dans les autres idoles ; ils étaient païens.

[Del cleif sains Servais] Item, tous les ans le solloit-ons porteir, en mois de marche, entour Treit, et molhoit-ons la cleif en benoite aighe, et celle aighe jettoit-ons par les terres, et par enssi ilh ne poioient perir par nuls mals. Si avient que ilh avoit, en une terre asseis pres de Treit, une chevaleresse qui fut nommée Andelis, femme d'onc chevalier qui oit nom Amans, qui estoit trespasseis, laqueile terre est à presens nommée Falconmont ; de laqueile terre cel damme Andelis estoit damme. Et avoit-ons à constumme del porteir la cleif parmy cheste terre tous les ans ; et droit sour l'an de la Nativiteit Nostre-Saingnour VIc regnoit chest damme ; si avient que elle ne vot mie souffrir que cest an fust la clef portée parmy ses terres, car elle disoit que chu estoit tout chouse frivolle, car se la cleif n'y estoit jà portée, sy n'aroit jà garde de tempeste si biens, et se ly tempeiste les devoit perdre, ne le lairoit-elle jà por la cleif.

[La clé de saint Servais] Chaque année, en mars, on avait l’habitude de la porter autour de Maastricht ; on la mouillait dans de l’eau bénite et on aspergeait les sols avec cette eau. Grâce à cela, aucun mal ne pouvait les atteindre. Or, il arriva qu’il y avait, dans une terre très proche de Maastricht, une dame nommée Andelis ; c'était la veuve d’un chevalier appelé Amans. Cette terre est maintenant nommée Fauquemont ; à l'époque, Andelis en était la propriétaire. On avait l’habitude de porter la clé chaque année autour de cette terre mais, en l’an 600 de la Nativité de Notre-Seigneur, cette dame n'accepta pas. Elle disait que ce geste n'avait aucune valeur : ne pas le faire n'assurerait pas une moins bonne protection contre la tempête et, si la tempête devait tout abîmer, ce n'était pas la clé qui l'arrêterait.

Quant les saingnours qui la cleif portoient entendirent chu, si ne portarent mie leur cleif parmy les biens de ladit damme, mains ilhs le portarent parmy les ahanz des altres gens marchissans à ladit damme. Adont avient que tout enssi que la cleif fut portée, ly effoudre, à thier jour apres, chaiit et tempestat toutes les bleis et aultres biens que la damme avoit en sa terre, et tous cheaux qui marchissoient à lée de tous costeis furent gardeis de tous tempestes. Quant la dame veit chu, si fut mult enbahie ; si allat à Treit, en ladit engliese Sains-Servais, et priat merchis à son corps, sor sa tumbe, de chu qu'elle avoit meffait ; et fist tant que la cleif fut portée parmy sa terre, et tous les biens revinrent oussi beals com ilh estoient devant.

Quand les seigneurs qui portaient la clé entendirent cela, ils ne passèrent pas à travers les biens de cette dame, mais à travers les labours voisins qui appartenaient à d’autres personnes. Or, il se fit que trois jours plus tard, la foudre tomba et détruisit les blés et les autres biens que cette dame avait sur sa terre, tandis que tous les champs tout autour furent complètement protégés. Quand la dame vit cela, elle fut toute ébahie. Elle se rendit à Maastricht, en l’église Saint-Servais, et demanda pardon au corps du saint, sur sa tombe, pour la faute qu’elle avait commise. Et elle en fit tant qu'on porta la clé sur sa terre et que tous ses champs redevinrent aussi beaux qu’ils l’étaient auparavant.

Des teils myracles faisoit Dieu par chesti cleif en pluseurs lieu, et tant que chu seroit mervelheux chouse del croire et del tout à racompteir.

Tels étaient les miracles que Dieu accomplissait en plusieurs endroits par l’intermédiaire de cette clé. Il y en avait tant que ce serait merveille d’y croire et de tout raconter.

[Comment ladit cleif fut emblée jadit] Item, cest cleif fut jadit emblée par des larons awec le tressoir de ladit engliese Sains-Servais. Si avient que, quant les laurons qui chu avoient [II, p. 98] fait vinrent aux champs à une arbre espine qui seoit al defour de Treit, ilh commenchat à ajourneir et ly jour si cleir leveir qu'ilh n'osarent avant porteir le tressoir qu'ilh ne fussent aparchus et troveis ; si fisent là une grant fosse desous chesti arbre spine et misent la cleif dedens, et puis jettarent ens le tressoire si roidement à chu que ilh pessoit que li cleif fut brisié en II pieches ; et puis prist cascon de ches larons une partie de chi tresoire, et sor l'autre ilh jettarent del terre et le covrirent, puis s'en alerent leur voie et dessent que à la nuit ilh venroient requerir le remanant del tressoir.

[La dite clé fut un jour emportée] Cette clé fut un jour emportée par des voleurs avec le trésor de l’église Saint-Servais. Voici ce qu'il advint alors. Lorsque les auteurs du larcin [II, p. 98] arrivèrent, dans la campagne en dehors de Maastricht, près d’un arbuste aux branches garnies de piquants, il commençait à faire si clair qu’ils n’osèrent pas emmener le trésor plus loin par peur d’être aperçus et découverts. Ils creusèrent un grand trou sous l’arbre épineux, y mirent la clé, et jetèrent ensuite le trésor dans le trou si rudement que son poids brisa la clé en deux. Chaque voleur emporta ensuite une partie du trésor en recouvrant l’autre de terre. Puis il s’en allèrent, se disant qu’ils reviendraient la nuit suivante rechercher ce qui restait.

[Coment ly corbeal demonstrat le larchien] Adont avient que chis qui avoit l'offiche de gardeir le tressorier deldit engliese vient al matinée en son tressorier, sy trovat tout perdut le tressoire ; si commenchat à crieir et fist mult grant frinte, et revelat et le dest aux canoines deldit engliese, qui en furent mult enbahis ; et prisent la crois et la benoite aighe et fisent une procession tous revestis, en chantant la letanie tout entour Treit; et droit enssi qu'ilh chantoient, leurs vint deseur eaux unc gran oyseal, que ons nomme I corbeal, qui voloit et ravolloit, et les ensengnoit la voie par laqueile les larons astoient alleis ; et tant fist que ly chantre delle engliese, qui astoit nommeis Segnius, dest aux aultres que ilhs vosissent aleir la voie que ly corbeal leurs ensengnoit, car chu estoit alcon signe que Dieu leurs avoit envoiet por leur tressoire à recovreir.

[Un corbeau indiqua l’emplacement du trésor volé] Le gardien de l’église arriva le matin au local abritant le trésor et constata qu'il avait complètement disparu. Le gardien se mit à crier et à faire grand bruit, puis annonça ce qui s’était passé aux chanoines, qui en furent très frappés. Ils prirent la croix et de l’eau bénite, et, en vêtements adéquats, firent une procession en chantant des litanies tout autour de Maastricht. Et pendant qu’ils chantaient, arriva un grand oiseau, qu’on appelle un corbeau, qui les précédait puis revenait vers eux, en montrant le chemin qu’avaient emprunté les voleurs. Ils en firent tant que le chantre de l’église, un certain Segnius, comprit et dit aux autres de suivre la route indiquée par le corbeau, que c’était un signe que Dieu leur envoyait pour retrouver le trésor.

Quant les aultres canones entendirent chu, sy soy misent à la voie apres le corbeal. Et le corbeal volat sour le spine et commenchat à braire, enssi com ilh vosist dire ly tresoire est chi-desous. Atant vinrent là awec la procession et trovarent desous la spine la terre novellement talhié, si foirent iIIuc et trovarent le tresoire et la cleif, mains ilh le trovarent brisié, de quoy ilhs furent mult dolans.

Quand les autres chanoines entendirent cela, ils suivirent le corbeau. L’oiseau vola sous l’arbuste et se mit à crier, comme s’il voulait dire que le trésor était en-dessous. Arrivés avec la procession à l’endroit désigné, les chanoines virent sous l’épineux la terre récemment remuée ; ils creusèrent à cet endroit et trouvèrent le trésor et la clé. Mais celle-ci était brisée, ce qui les rendit très tristes.

[Des ovriers qui volrent refaire la cleif sains Servais et ilh ne porent] Adont revinrent à Treit et mandarent tous les miedres ovriers d'orfaverie qu'ilh porent troveir et les delivrarent la cleif, en depriant que ilhs vosissent mettre conselhe à chu que la cleif fust honestement refaite et resodée. Adont les ovriers prisent la cleif, sy en fisent tout chu qu'ilh porent, mains onques n'y porent faire choise qui fust de valoire, de quoy les canones furent mult dolans.

[Des ouvriers voulurent refaire la clé de saint Servais, mais sans y réussir] Ils revinrent à Maastricht, convoquèrent tous les meilleurs orfèvres qu’ils purent trouver et leur remirent la clé, en leur demandant de trouver ensemble un moyen de refaire convenablement la clé et de la ressouder. Les ouvriers la prirent, firent tout ce qui était en leur pouvoir, mais ne purent jamais réussir quelque chose qui en vaille la peine, ce qui attrista beaucoup les chanoines.

Adont soy mist ly capitle ensemble, où ilh avoit des valhans docteurs en theologie et en philosophie, entres lesqueis oit unc docteur qui dest aux altres que la cleif estoit faite par divine oevre et nient par ovraige humaine, [II, p. 99] et portant ne le poioit refaire oevriers mortails, ains le convenoit refaire par le maistre qui faite l'avoit, ou elle ne seroit mie refait ; si qu'ilh conselhoit por bien que la cleif fust mies sour l'auteit del engliese, et priassent devoltement à Dieu et à la virgue Marie, et à tous les sains et les saintes, qu'ilhs vosissent à Dieu proier que Ia cleif fust refaite. Chis conseais fut fais et tenus.

Alors le chapitre se réunit. Il se composait de brillants docteurs en théologie et en philosophie. L'un d'entre eux dit aux autres que la clé était une œuvre divine, et non pas humaine, [II, p. 99] et que dès lors des mortels ne pouvaient la réparer. Elle ne pourrait l'être que par le maître qui l’avait fabriquée. Il conseillait donc de la déposer sur l’autel de l’église et de prier dévotement Dieu, la Vierge Marie, tous les saints et toutes les saintes. C’est à Dieu qu’il fallait demander que la clé soit réparée. On suivit ce conseil.

Car droit à soleal couchant, assavoir à la vesprée, fut la cleif mise sus l'auteit, et tous les canones soy misent devant l'auteit en genos et fisent mult devoltement leurs orisons ; et puis soy partirent et alerent dormir.

Ainsi, précisément au coucher du soleil, la clé fut mise sur l’autel, devant lequel tous les chanoines s’agenouillèrent pour faire dévotement leurs oraisons. Puis ils se séparèrent et allèrent dormir.

[La cleif fut refait par la volonteit de Dieu] Mains quant ilhs revinrent por dire leur matines, ilhs trovarent la cleif tout entire et oussi belle que le jour que sains Pire le donnat à sains Servais. Et est cest cleif en l'engliese Sains-Servais à Treit, et est bien gardée.

[La clé fut réparée par la volonté de Dieu] Et quand ils revinrent pour dire les matines, ils trouvèrent la clé tout entière et aussi belle que le jour où saint Pierre la donna à saint Servais. Cette clé est à l’église Saint-Servais de Maastricht, où elle est bien gardée.

Et deveis savoir que chu que j'ay dit de cest cleif fut longtemps apres la mort sains Servais, et aussi longtemps apres la mort sains Monulphe ; mains nos l'avons chi mis portant que les canones ont mal gardeit les dautes quant chu avenoit, sique ons ne le puet mettre à son droit lieu ; mains qui lirat le legent sains Servais, ilh en porat plus avant troveir que nos n'en aions dit.

Vous devez savoir que ce que je viens de raconter au sujet de cette clé s’est passé longtemps après la mort de saint Servais, et aussi longtemps après la mort de saint Monulphe. Nous avons mis le récit à cet endroit parce que les chanoines n’ont pas bien gardé la date de l’événement, ce qui fait que nous n’avons pas pu en faire état au bon endroit. Mais celui qui lira l’histoire de saint Servais pourra trouver plus d’informations que nous n’en avons données.

Or revenons à nostre matere de chu qu'ilh avient apres la mort sains Servais.

Revenons maintenant à notre sujet, à ce qui est arrivé après la mort de saint Servais.

 

 


 

B.  Suite du règne de Théodose I - Résumé de l'histoire des origines des Francs - Pharamond, premier roi de France - Varia (388-391)

 

Sommaire

Agricola, évêque de Tongres - Saint Ambroise, saint Gervais et saint Protais (388)

Guerres entre Théodose I et Maxime - Maxime, duc de la Petite Bretagne, devient roi des Burgondes (388)

Pluie de sang en Allemagne - Conquêtes en  Allemagne de Pharamond, roi de France (389)

Résumé de l'histoire des origines des Francs d'après les Chroniques de Saint-Denis

Confusion entre l'Augustin d'Hippone et celui de Grande-Bretagne

Massacre de 700 chrétiens par Théodose I à Césarée - Le pape menace de l'excommunier - L'empereur demande pardon (390)

Succession en Hongrie (390) - Naissance du poète Prudence (391)

 

 

Agricola, évêque de Tongres - saint Ambroise, saint Gervais et saint Protais (388)

[II, p. 99b] [De Agricolay, le XIe evesque de Tongre] Apres la mort sains Servais fut esluys ly XIe evesque de Tongre, le siege stesant à Treit, uns valhans et noble hons qui oit à nom Agricolay, fis Geliien jadit conte de Flandre, et frere à Porus qui adont en estoit conte ; et sa mere fut filhe à roy de la Grant-Bretangne. Chis Agricolay estoit canone deI engliese Nostre-Damme de Tongre, qui estoit l'engliese cathedrale de tout la dyoceis, et tient le siege XIII ans.

[II, p. 99b] [Agricola, onzième évêque de Tongres] Après la mort de saint Servais, un homme vaillant et noble, appelé Agricola, fut élu comme onzième évêque de Tongres, dont le siège était à Maastricht. C’était le fils de Gallien, ancien comte de Flandre, et le frère de Porus, qui en était alors le comte (cfr II, p. 96). Sa mère était la fille du roi de Grande-Bretagne. Cet Agricola était chanoine de l’église Notre-Dame à Tongres, l’église cathédrale du diocèse. Il occupa le siège durant treize ans.

[De sains Gervaise et Prothase] Et cel an trovat sains Ambrose, en la citeit de Melan, les II sains corps de sains Gervaise et Prothaise, se les mist dedens des fietres mult honorablement.

[Saint Gervais et saint Protais] Cette année-là [388], saint Ambroise trouva dans la ville de Milan les corps de deux saints, Gervais et Protais, qu’il plaça dans des châsses avec de grands honneurs.

 

Guerres entre Théodose I  et Maxime - Maxime, prince de la Petite Bretagne, devient roi des Burgondes (388)

[Gerre entre les Bretons et Romans, mains Romans orent victoire] En cel an assemblat Maximiain, li prinche de la Petit-Bretangne, grant gens, car ilh fist alianche à roy Bello de Bourgogne (ms B), qui les Romans haioit. Si entrarent en Itayle en destruant le paiis ; mains quant l'emperere Theodosien le soit, si les vient sus corir en Calabre où ilh estoient : là oit mult grant batalhe, mais ly emperere oit la victoire, et fut ly roy de Bourgogne (ms B) ochis et tous ses aidans desconfis.

[II, p. 99] [Guerre entre Bretons et Romains - Les Romains sont victorieux] Cette année-là [388], Maxime, le prince de la Petite Bretagne, rassembla de nombreuses troupes. Il fit en effet alliance avec le roi Bello de Bourgogne, qui haïssait les Romains. Ils entrèrent en Italie en dévastant le pays. Dès que l’empereur Théodose en fut informé, il vint les attaquer en Calabre, où ils se trouvaient. S’ensuivit une grande bataille, où l’empereur remporta la victoire. Le roi de Bourgogne fut tué, et tous ses alliés battus.

Adont s'enfuit Maximiain awec ly remanans qui escappeis estoit, et revinrent en Bretangne ; [II, p. 100] mains quant ilhs furent là revenus, Maximiain fist tant aux Bretons qui awec luy estoient revenus et az Borgengnons, qui fut eslus roy de Borgongne, car ly roy en estoit mors sens heures, et ilh (ms B) ilh les oit enconvent que ilh les vengeroit des Romans. Enssi fut Maximiain roy de Borgongne ; si fist puis mult de mals aux Romans.

Alors Maxime prit la fuite avec les rescapés et retourna en Bretagne. [II, p. 100] Mais arrivé là, il se comporta si bien avec les Bretons revenus avec lui et avec les Burgondes, qu’il fut élu roi de Bourgogne. Car le roi de ce pays était mort sans héritier et Maxime avait promis [aux Burgondes] de les venger des Romains. Ainsi Maxime était-il devenu roi de Bourgogne. Il fera ensuite beaucoup de mal aux Romains (cfr II, p. 103).

 

Pluie de sang en Allemagne - Conquêtes en  Allemagne de Pharamond, roi de France (389)

[II, p. 100] [Y plovit sanc III jour en Allemangne] Item, l'an IIIc IIIIxx et IX, en mois de may, trois jours, assavoir XXI, XXII et XXIII, plovit-ilh sanc es parties de Allemangne.

[II, p. 100] [Pluies de sang pendant trois jours en Allemagne] En l’an 389, pendant trois jours, les 21, 22 et 23 mai, il plut du sang dans plusieurs régions d’Allemagne.

[Pharamon, ly roy de Franche, conquist mult en Allemangne] En cel an assemblat ly roy Pharamon de Franche grant gens, et se soy mist à conquerre terre en Allemangne por adjosteir awec le siene, et commenchat grandement à regneir et conqueire ; si trovat pou de gens qui soy defendissent à eaux, car les Franchois estoient tant redobteis que ch’estoit mervelhe, et tant qu'ilh conquist trois journeez sour les Allemans et se ne perdit riens, anchois y gangnat sens perdre riens qui grevast (sans perdre chouse qu’on pousist dire ms B).

[Pharamond, le roi de France, fit beaucoup de conquêtes en Allemagne] Cette année-là [389], Pharamond, roi de France (cfr II, p. 89 ; II, p. 101 ; II, p. 104 et 105 ; II, p. 143), rassembla de grandes forces et se mit à conquérir des terres en Allemagne pour les ajouter aux siennes. Il commença à devenir un grand souverain et un grand conquérant. Il rencontra peu de résistance, car les Francs étaient prodigieusement redoutés. Durant les trois jours de ses conquêtes en Allemagne, il ne perdit rien ; ou plutôt il gagna sans subir quoi que ce soit comme dommage.

 

[Résumé de l'histoire des origines des Francs d'après les Chroniques de Saint-Denis]

Fuyant la chute de Troie, Anténor fonde Sicambrie en Germanie - 225 ans plus tard, avec 80.000 hommes, Yborus quitte Sicambrie pour s'installer en Gaule et fonder Lutèce - Au IVe siècle de l'Incarnation, les Sicambres, commandés par le duc Priam, l'emportent sur les Alains et sont appelés Francs -  Priam a comme successeurs  Marcon et Pharamond - Ce dernier est couronné roi des Francs/roi de France

[II, p. 100] [Del citeit de Sycambre] Les croniques de Sains-Denis en Franche dient à leur commenchement que, apres la fondation de la citeit de Sycambre en Germaine, c'est Allemangne, que unc prinche qui fut nommeis Anthenoir, le duc de Sorue, de Troie, qui vient apres la destruction de Troie en cel lieu oultre les Palus Metropes habiteir, edifiat et fut sires de Sycambre toute sa vie, et apellat ses gens Anthenorides,

[II, p. 100] [La cité de Sicambre] Le début des Chroniques de Saint-Denis en France raconte la fondation de la cité de Sicambrie en Germanie, c’est-à-dire en Allemagne, par un prince troyen, nommé Anténor, duc de Sorbe. Après la destruction de Troie, il vint habiter cet endroit situé au-delà des Marais Méotides. Il y fonda Sicambrie, en fut le seigneur toute sa vie et appela ses gens Anténorides (cfr I, p. 27-28).

qui, apres chu, IIc et XXV ans, orent I prinche qui avoit nom Yborus, à XXIIIIm hommes vient en Galle, que ons nom maintenant Franche, où ilh avoit beal paiis et bon et crasse, et où Franco, li fis Ector de Troie, avoit promier habiteit. Si edifiat chis Yborus Lutesse, la citeit que ons nom maintenant Paris. Et chu fut bien IXc ans devant l'Incarnation Jhesu-Crist.

Les Anténorides, deux cent vingt-cinq ans plus tard, eurent un prince nommé Yborus. À la tête de vingt-quatre mille hommes, il alla en Gaule, qu’on appelle maintenant France, où il y avait un beau pays, bon et fertile, où Franco, le fils d’Hector de Troie, avait été le premier à s'installer (cfr I, p. 28). C'est là qu'Yborus édifia la cité de Lutèce, appelée maintenant Paris. Ce fut bien neuf cents ans avant l’Incarnation de Jésus-Christ.

[Les armes de duc de Galle] Et estoit ly escus de chis dus Yborus roge à une pelle d'or ; et dist que quant ches Sycambiens, qui demoront en Galles dedont en avant, orent la batalhe aux Alans et les desconfirent. Ches Alans astoient tant fors que nuls ne les pot desconfir ne conquiere se les Sycambiens nom, car ilhs estoient extrais del sang des Sycambiens, et tenoient encor le fort paiis de Sycambre, oultre les Palus-Meotides ou Meotipes, et por chest raison furent les Sycambiens apelleis Frans, qu'ilh furent deaservis et afranquis de leur tregut ; et en la lenge des Grigois ilh sonne le [II, p. 101] diction des Frans : crueux, etc.

[Les armes du duc de Gaule] L’écu de ce duc Yborus était rouge avec une plume d’or. On dit que quand ces Sicambres, qui demeurèrent désormais en Gaule, eurent à combattre les Alains, ils les mirent en déroute (cfr II, p. 80-83). Les Alains étaient si forts que nul, sinon les Sicambres, ne pouvait les battre ni les conquérir. Car ils étaient issus du sang des Sicambres qui occupaient encore le puissant pays de Sicambrie, au-delà des Marais Méotides ou Méotipes. Les Sicambres furent appelés Francs parce qu'ils furent libérés et affranchis de leur tribut (cfr II, p. 87-88). Et en grec, le mot « franc » [II, p. 101] correspond à : « crueux » (cruel), etc.

Et dist que à cel temps del batalhe contre les Alans coroit le daute del Incamation sour IIIc LXXI an, et c'est veriteit, sicom nous avons dit par-desus. Et le fist ly dus Prian, qui commenchat à regneir l'an del Incarnation IIIc et XLIIII an, et morut l'an IIIc LXXVI an.

On dit que la bataille contre les Alains eut lieu en l'an 371 de l’Incarnation, et c’est la vérité, comme nous l’avons dit plus haut. Cette bataille fut menée sous le duc Priam, qui commença à régner en l’an 344 de l’Incarnation et mourut en l’an 376 (cfr II, p. 80-82).

Et Marchones, son fis, regnat VII ans ; puis fut coronneis roy des Franchois Pharamon, ly fis Marchones.

Marcon, son fils régna durant sept ans ; ensuite Pharamond (cfr II, p. 89 ; II, p. 100 ; II, p. 104 et p. 105) ; II, p. 143, fils de Marcon, fut couronné roi des Francs [383 de l'Incarnation donc].

Toute enssi com nos avons deviseit, le devise ly croniques Sains-Denis de Franche briefement en son commenchement, et sont biens d'acors fours qu'en es dautes.

Tout cela, comme nous l’avons dit, se trouve raconté brièvement au début des Chroniques de Saint-Denis de France. Et ces récits concordent, sauf en ce qui concerne les dates.

 

Confusion entre l'Augustin d'Hippone et celui de Grande-Bretagne

[II, p. 101] [Sains Augustin fut baptiziet par sains Ambrose] En cel an laissat sains Augustin les escolles qu'ilh tenoit à Melain, et fut convertis à la vraie foid de Dieu, car devant fut par sa grant clergerie dechus des erreurs contre la foid catholique. De tout chu fut oisteis sains Augustin par les larmes et proyers que sa mere faisoit cascon jour à Dieu, et fut baptiziet à Melain par sains Ambrose.

[II, p. 101] [Saint Augustin fut baptisé par saint Ambroise] Cette année-là [389], saint Augustin quitta les écoles qu’il tenait à Milan et se convertit à la foi au vrai Dieu. Auparavant, sa grande érudition l’avait fait tomber dans des erreurs contre la foi catholique. Grâce aux larmes de sa mère et à ses prières quotidiennes à Dieu, saint Augustin échappa à tout cela, et fut baptisé à Milan par saint Ambroise.

[Comment sains Augustin fist penitanche en mendiains] Chis sains Augustin fut puis evesque de la citeit de Yponne, mains ilh alat anchois, com povres hons, mendians de son greit par mult de paiis, por faire la penitanche à Dieu de chu qu'ilh avait enssi esteit contre la foid catholique.

[Saint Augustin fit pénitence en mendiant] Saint Augustin fut ensuite évêque de la cité d’Hippone, mais avant cela, de son plein gré, il parcourut de nombreux pays, en mendiant comme un homme pauvre, pour faire pénitence devant Dieu d’avoir été si hostile à la foi catholique.

[Comment sains Augustin prechat en pluseurs paiis et faisoit myracles] Sains Augustin prechat asseis en la Grant-Bretangne, et en Scoche, et en Cornualhe, et en la terre de Lonois ; et faisoit Dieu par luy mult de myracles, desqueiles Beda faite expresse mention ès histoires de Engleterre.

[Saint Augustin prêcha en de nombreux pays en faisant des miracles] Saint Augustin prêcha beaucoup en Grande-Bretagne, en Écosse, en Cornouailles et en terre de Léonois. Et Dieu, par son intermédiaire, accomplissait de nombreux miracles, dont Bède fait expressément mention dans les histoires d’Angleterre.

Et sachiés que ches sont escripts trop brievement ens ès histoires d'Engleterre, Greche, Affrique, Aisie et toutes les parties delà oultre mere, et oussi pluseurs parties dechà mere, portant que teils paiis ont leurs hystoirs por eaux.

 Sachez que ces faits sont très résumés dans les histoires universelles qui traitent d’Angleterre, de Grèce, d’Afrique, d’Asie et de toutes les régions au-delà et même souvent en deçà de la mer, ces différents pays ayant leurs propres histoires pour en faire (largement) état.

[Augustin destruit mult de heresies] Sains Augustin fut enssi en prechant la vraie foid esluit evesque de Ypoine en Affrique, où ilh prechoit sicom fors escus à sainte Engliese, et si destruoit mult de heresies qui à cel temps estoient.

[Augustin mit fin à de nombreuses hérésies] Saint Augustin, dispensant ainsi la vraie foi, fut élu évêque d’Hippone en Afrique, où il prêchait comme vigoureux défenseur de la sainte Église, réfutant beaucoup d’hérésies courantes à cette époque.

[lh fist milhe et XXX libres] Et fist mult de bons libres et epistles de sainte doctrine, desqueiles ilh sont por certains milh et XXX, par lesqueiles sainte Engliese est bien illumynée jusques à jour d'huy.

[Il rédigea mille trente livres] Il rédigea beaucoup de bons livres et des épîtres sur la sainte doctrine, mille trente selon certains. Ses livres donnent un vif éclat à la sainte Église jusqu’à nos jours. [sur saint Augustin, cfr aussi II, p. 78-79 et II, p. 138-139]

 

Massacre de 700 chrétiens par Théodose I à Césarée - Le pape menace de l'excommunier - L'empereur demande pardon (390)

[II, p. 101] [L’emperere ochist VIIc cristin, por I homme qui fut ochis] Item, l'an IIIc et XC, en mois de junne, estoit ly emperere Theodosius en la citeit de Cesaire. Sy avient que unc sien servan, qui oit nom Symon, vot entreir en la maison d'unne dammoisel par nuit oultre son greit ; et celle soy fist oiir et frintat tant que dois des freres la dammoiselle vinrent là et pluseurs altres gens, et ochisent ledit Symon ; de cuy ly emperere, quant ilh le soit, [II, p. 102] en prist grant venganche, car ilh en fist mettre à mort VIIc hommes cristiens, car en ladit citeit regnoit enssi bien des cristiens com des gens payens creians en ydolles, mains la dammoiselle estoit cristien, et portant ilh prist la venganche aux cristiens.

[II, p. 101] [L’empereur tua sept cents chrétiens, pour le meurtre d’un homme] En juin 390, l’empereur Théodose se trouvait dans la ville de Césarée. Un jour, un de ses serviteurs, dénommé Symon, voulut entrer pendant la nuit dans la maison d’une demoiselle, sans son consentement. Celle-ci cria et fit du bruit jusqu’à l’arrivée de deux de ses frères et de plusieurs autres personnes, qui tuèrent le Symon en question. Quand il apprit cela, [II, p. 102] l’empereur en tira une sévère vengeance. Il fit tuer sept cents chrétiens. Dans cette cité vivaient des chrétiens et des païens croyant aux idoles et, comme la demoiselle était chrétienne, l’empereur vengea le meurtre en frappant des chrétiens.

[De conciel de Romme et del penanche que l’emperere fist de forfait] Apres chu revient l'emperere à Romme ; mains quant ly pape soit le faite, si assemblat I conciel de tous les evesques et les prelas del empire, et fut ly conciel à Romme et demonstrat à eaux comment ly emperere avoit faite teile persecution sour les cristiens.

[Le concile de Rome et la pénitence de l’empereur pour son crime] L’empereur revint ensuite à Rome. Mais quand le pape (cfr II, p. 95 et p. 107) apprit ce qui s’était passé, il réunit en concile tous les évêques et prélats de l’empire, en expliquant aux participants pourquoi l’empereur avait ainsi persécuté les chrétiens.

[Del grant humiliteit de l’empereir, et puis fondat I engliese] Et enssi qu'ilh demonstroit le fait, ly emperere, qui bien savoit que chu estoit por ly excommengnier, vient là, et soy mist par-devant le pape en genols, car ilh estoit mult proidhons et religieux, et vraie cristien, et amoit sainte Engliese ; se disst qn'ilh estoit vraie repentans de chu qu'ilh avoit faite feire des cristiens, se priat merchi parmy amende de penitanche et absolution. Quant ly pape et ly college de concile entendirent chu, si furent liies et joians del humiliteit l'emperere ; se li fut donneit en penanche que ilh fondast une engliese de religion en ladit citeit de Cesaire. Et ilh le fist mult devoltement, et fist dedens ensevelir tous les corps de cheaux qui avoient devant esteit ochis, enssi com dit est.

[La grande humilité de l’empereur, qui fonda ensuite une église] Le fait étant avéré, l’empereur, sachant qu’il méritait l’excommunication, se présenta et s’agenouilla devant le pape, car il était très sage et religieux, un vrai chrétien, attaché à la Sainte Église. Il dit qu’il se repentait vraiment de ce qu’il avait fait subir aux chrétiens, implora sa miséricorde et un châtiment en guise de pénitence, et demanda l’absolution. Quand le pape et les participants du concile entendirent cela, ils se réjouirent beaucoup et apprécièrent l’humilité de l’empereur. Sa pénitence consista en la fondation d’une église chrétienne dans la ville de Césarée. Théodose, avec grande ferveur, fit édifier cette église, où il fit ensevelir les corps de tous ceux qui avaient été tués, comme cela a été dit.

 

Succession en Hongrie (390) - Naissance du poète Prudence (391)

[De Hongrie] En cel an en decembre, morut ly roy de Hongrie Ector ; si fut roy apres luy son fis Franco, qui regnat XXXII ans.

[En Hongrie] En décembre de cette année [390] mourut Hector, roi de Hongrie. Son fils Franco régna après lui pendant trente-deux ans.

Item, l'an IIIc XCI le derain jour de marche, fut neis ly noble poete Prudenche, Iyqueis parolle de la batalhe qui est entre les vertus et les visches.

En l’an 391, le dernier jour de mars, naquit l’illustre poète Prudence, qui a traité de la bataille opposant les vertus et les vices.

 


 

C. LES HUNS (II, p. 102-104)

 

 

Sommaire

Les  Huns attaquent l'empire romain et sont défaits près de Brindes, par Aétius, le patrice romain - Batailles sanglantes - Attila se retire après avoir fait décapiter plusieurs des siens, dont son frère, qui lui reprochent cette décision (391-392 ??)

Les opérations des Huns en Espagne et en Bourgogne

* Coalition du roi de France Pharamond et des seigneurs de Flandre, de Louvain et de Lorraine, contre les Huns, qui se retirent (vers 392 ?)

 

Les  Huns attaquent l'empire romain et sont défaits près de Brindes, par Aétius, le patrice romain - Batailles sanglantes - Attila se retire après avoir fait décapiter plusieurs des siens, dont son frère, qui lui reprochent cette décision (391-392 ??)

[II, p. 102] [Les Huens destruent Rommenie] En cel an commencharent les Huens fortement à regneir et en grant fortune ès parties de Rommenie, portant qu’ilh voloient oultre passeir por exiliier tous les altres paiis ; mains ly emperere envoiat contre eaux, le patris Etre de Romme à grant gens.

[II, p. 102] [Les Huns ravagent l’empire romain] Cette année-là (391), les Huns avaient commencé à devenir puissants et remportaient de grands succès dans les régions de l’empire romain d’Occident, qu’ils voulaient traverser pour dévaster tous les autres pays (cfr II, p. 86 et p. 89). C'est alors que l’empereur envoya contre eux le patrice romain Aétius avec des troupes nombreuses.

[De Patris de Romme qui oit grant batalhe aux Huens et les desconfist] Et deveis savoir que chis patris estoit ly plus gran apres l'emperere, car ilh estoit deseur tous les senateurs, et portant ilh estoit nommeis patris qu'ilh estoit pere et pastre de tous les Romans apres l'emperere.

[Le patrice de Rome livra une grande bataille contre les Huns et les défit] Vous devez savoir que ce patrice était le personnage le plus important après l’empereur ; il était au-dessus de tous les sénateurs et il était appelé patrice, parce que, après l’empereur, il était le père et le pasteur de tous les Romains.

Chis patris vient encontre les Huens à grant gens, car ilh avoit bien LX homme encontre XXX Huens ; si oit à eaux grant batalhe à XII liewes pres de Brandis sour mere, et les Huens soy defendirent mult bien ; si fut [II, p. 103] de II parties ochis cent et IIIIxx milhe hommes. Et durat cel bataille tout jour jusques à la nuit, que la nuit les departit par forche, et perdirent les Romans plus de gens que les Huens ; mains encordont les Huens furent plus desconfis en ceste batalhe, car, quant ilhs furent retrais, Atilla leur roy ne vot mie souffrir que ons atargast là, ains vot chemyneir tout par nuit tant que ilh fut eslongiet les Romans, car ilh n'avoit mie en volenteit del combattre lendemain. Et portant que Bleda, le frere Atilla, et pluseurs altres chevaliers reprirent Atilla de chu que ilh fuoit, ilh les fist decapiteir.

Ce patrice marcha contre les Huns avec des forces nombreuses : il disposait de soixante hommes au moins contre trente chez ses adversaires. Une grande bataille eut lieu à douze lieues de Brindisi sur mer. Les Huns se défendirent vaillamment et il y eut [II, p. 103] dans les deux camps cent quatre-vingt mille tués. La bataille dura toute la journée, jusqu’à ce que la nuit les force à se séparer. Les Romains perdirent plus d’hommes que les Huns, mais cependant ces derniers furent davantage découragés. Quand ils se furent retirés du champ de bataille, leur roi Attila ne voulut plus rester à cet endroit. Il marcha toute la nuit pour s’éloigner des Romains, car il n’avait pas l’intention de combattre le lendemain. Et parce que Bléda, frère d’Attila, et plusieurs autres chevaliers lui reprochaient de fuir, Attila les fit décapiter.

[Ly Patris perdit contre les Huens VIIxx milhes hommes] Quant ilh fut jour, les novelles vinrent aux Romans que les Huens s'en alloient ; mains quant ly patris entendit chu, si rendit grasce à Dieu qu'ilh soy partoit enssi à son honneur, car ilh ratendoit la batalhe, et ne veit onques si fortes gens qu'ilh estoient ; et avoit bien perdus VIIxx milhes hommes.

[Le patrice perdit contre les Huns cent quarante mille hommes] Au lever du jour, les Romains apprirent que les Huns s’en allaient. À cette nouvelle, le patrice remercia Dieu qu’Attila parte en lui laissant ainsi tout l’honneur, car il s’attendait à la reprise du combat et n’avait jamais eu d’adversaires aussi forts. Il avait bien perdu cent quarante mille hommes.

 

Les opérations des Huns en Espagne et en Bourgogne

Les Huns se retirent vers Compostelle, où leur allié, le Goth Alaric, a été tué par le roi de Compostelle, ami des Romains - Les Huns, renforcés par les rescapés goths et menacés par un rassemblement de rois espagnols, se replient vers la Bourgogne - L'ancien usurpateur Maxime, devenu roi de Bourgogne, tue le patrice qui retournait à Rome, et meurt dans la bataille - Son fils, Gondicair, lui succède - Il sera tué par Attila - Les Huns s’imposent en Bourgogne et deviennent dominants (vers 392 ?)

[II, p. 103] [Ly roy de Compostel ochist le roy Alarich et desconfist ses gens] Et encors avoit plus grant paour que ly roy Alarich de Gothelies en Espangne, qui estoit là tou pres, Iyqueis estoit à gran gens en l'ayde le roy Atilla. Enssi disoit ly patris qui soy dobtoit sens raison del roy Alarich, qui avoit le jour devant oiiut batalhe contre le roy de Compostel, où ly roy Alarich fut ochis et mult de ses gens awec luy ; et ly remanant s'en estoit refuys et aleis awec les Huens.

[II, p. 103] [Le roi de Compostelle tua le roi Alaric et défit ses troupes] Le patrice avait d’autant plus peur que le roi des Goths, Alaric, se trouvait en Espagne, là tout près, avec des forces importantes susceptibles d’aider le roi Attila. C’est ce que pensait le patrice, mais il avait tort de redouter Alaric, parce que celui-ci avait été tué la veille avec beaucoup de ses hommes, dans une bataille contre le roi de Compostelle. Les rescapés goths s’étaient enfuis et étaient partis avec les Huns. [Est-ce cet Alaric dont les gens avaient fait prisonnier saint Servais, en II, 92 ? Cfr infra, II, p. 104]

[Ly roy de Borgongne ochist le Patris et awec ly LXIIm hommes] Et ly patris retournat à Romme ; mains, enssi qu'ilh s'en alloit, ilh encontrat Maximiain, le roy de Borgongne, qui estoit entreis en paiis de Rommenie. Et quant les II parties soy veirent, ilhs soy corurent sos ; et là oit grant batalhe où ly patris fut ochis et awec luy LXllm hommes. Et del altre partie fut ochis Maximiain et XXXVIm hommes, et ly remanant retournarent et s'enfuirent vers Borgongne. Et quant ilh revinrent là, ilh coronarent à roy Gondicar, le fis Maximiain, qui estoit mult chevalereux. Et quant l'emperere soit que ly patris estoit mors, sy en fut dolans ; mains ilh ne le vot mie adont altrement amendeir, ains reconfortat ses gens al mies qu'ilh pot.

[Le roi de Bourgogne tua le patrice ainsi que septante-deux mille hommes] Le patrice retourna alors à Rome mais, en chemin, il rencontra Maxime, le roi de Bourgogne, qui avait pénétré dans les terres des Romains. Quand les adversaires s’aperçurent, ils coururent l’un vers l’autre et se livrèrent une grande bataille dans laquelle le patrice et soixante-deux mille hommes furent tués. Dans l’autre camp, Maxime et trente-six mille hommes périrent ; les rescapés s’enfuirent et retournèrent en Bourgogne. Une fois rentrés, ils couronnèrent comme roi Gondicaire, le fils de Maxime, un preux chevalier. Quand l’empereur romain apprit la mort du patrice, il fut attristé ; toutefois, il ne voulut rien faire d’autre que réconforter ses gens du mieux qu’il put.

Gondicar (hapax dans Ly Myreur) : fait penser à Gondicaire, « premier roi de Bourgogne (v. 385-436). Chef burgonde, il franchit le Rhin en 413, pour s’établir en Gaule. Il fut tué en luttant contre Attila » (Larousse).

Apres deveis savoir que les Huens quant ilhs vinrent à Brandis, ilhs montarent sour mere et commencharent à nagier, tant qu'ilhs vinrent en Compostel. Et là les fut dit comment ly roy Alarich estoit mors, et ly roy Thiris son frere s'en estoit fuys à chu de gens qu'ilh pot avoir. Et chu estoit voirs, car ly roy Thiris s'enfuit en Affrique, où ilh morut subitement.

Vous devez savoir aussi que les Huns, quand ils étaient revenus à Brindisi, avaient pris la mer et navigué jusqu’à Compostelle. Là on leur raconta que le roi Alaric était mort et que son frère, le roi Thiris, s’était enfui avec les gens qu’il avait pu réunir. Et c'était vrai : le roi Thiris s’était enfui en Afrique où il était mort subitement.

[Les Huens gastent le royalme de Compostel] Adont demandat Atilla par cuy ly roy [II, 104] Alarich avoit esteit desconfis ; y li fut respondut par le roy Gorlans de Compostel. Adont commenchat Atilla à gasteir le royalme de Compostel, et là trovat-ilh des gens le roy Alaric qui de la batalhe estoient escappeis. Enssi fut ly peuple Atilla grandement regrandis.

[Les Huns saccagent le royaume de Compostelle] Alors Attila demanda par qui le roi [II, 104] Alaric avait été défait, et on lui répondit : par le roi Gorlans de Compostelle. Attila se mit alors à dévaster le royaume de Compostelle, où il trouva des hommes du roi Alaric, qui avaient échappé à la bataille. Ainsi l’armée d’Attila fut considérablement renforcée.

[Les Huens desconfirent le roy de Compostel] Apres chu advint que ly roy de Compostel assemblat ses hommes, se vient contre les Huens et oit batalhe à eaux. Et fut ly roy awec ses gens desconfis ; et adont awist esteit tout son paiis desconfis et destrus, mains novelles vinrent à Atilla que tous les roys d'Espangne astoient assembleis pour luy destruire ; sy soy partit de chesti paiis et tournat son chemyen vers Galle, que ons nom maintenant Franche. Chesti batalhe fut en mois de jule l'an IIIc et XCII

[Les Huns défirent le roi de Compostelle] Après quoi, le roi de Compostelle rassembla ses hommes et marcha contre les Huns. S’ensuivit une bataille dans laquelle le roi et ses gens furent vaincus. Cette fois tout son pays aurait pu être défait et anéanti, mais Attila apprit que tous les rois d’Espagne s’étaient rassemblés pour l’abattre. Il quitta donc ce pays et se mit en route pour la Gaule, que l’on appelle maintenant la France. Cette bataille eut lieu au mois de juillet de l’an 392.

[Les Huens desconfirent les Borgongnons] En cel an en mois d'octembre, entrat Atilla awec ses gens en la terre de Borgongne ; mains quant y roy Gondicar le soit, si les corut sus, et là oit grant batalhe ; mains ly roy de Borgongne fut mors et ses gens desconfis. Enssi commencharent les Huens à regneir fortement et à destruire le paiis entour eaux, et fisent mult de mals à tout les costeis.

[Les Huns défirent les Burgondes] Cette même année, en octobre, Attila et ses hommes pénétrèrent en terre de Bourgogne. Quand le roi Gondicaire le sut, il les attaqua ; une grande bataille s’ensuivit dans laquelle le roi de Bourgogne mourut et ses gens furent vaincus. Ainsi les Huns commencèrent à imposer leur pouvoir par la force et à dévaster le pays autour d’eux. Ils firent beaucoup de tort de tous les côtés.

 

Coalition du roi de France Pharamond et des seigneurs de Flandre, de Louvain et de Lorraine, contre les Huns, qui se retirent (vers 392 ?)

[II, p. 104] Adont commenchat la novelle à espandre que les Huens destruioient tout, et conqueroient tous paiis. Adont fisent pluseurs saingnours allianches entre entre eaux por alleir contres les Huens : de chesti allianche fut soverains ly roy Pharamon de Franche, et les altres furent ly conte de Flandre et de Lovay, et ly dus de Lotringe. Tous ches saingnours commencharent à chevailcher contre les Huens ; mains quant les Huens les sorent venans sy soy retrahirent arier, car ilh dobtoient mult le roy Pharamon et ses gens.

[II, p. 104] La nouvelle commença à se répandre que les Huns dévastaient et conquéraient tous les pays. Plusieurs seigneurs conclurent alors des alliances contre eux : le chef de cette alliance était Pharamond, le roi des Francs (cfr II, p. 89 ; II, p. 100 et 101 ; II, p. 105 ; II, p. 143; en faisaient également partie le comte de Flandre et de Louvain ainsi que le duc de Lotringe. Tous ces seigneurs se mirent à chevaucher contre les Huns, mais quand ces derniers apprirent qu’ils arrivaient, ils se retirèrent, car ils redoutaient beaucoup le roi Pharamond et ses gens.

Et deveis savoir que les Huens chevachoient bien de la vesprée jusques à lendemain al matinée XXXII liewes long, et enssi ilhs escapoient toudis, car les aultres saingnours ne poissent chevalchier la motié al plus, et encors fussent-ilhs si formyneis qu'ilh les covenist repoiseir trois jours. Enssi escapparent les Huens ; et les aultres saingnours qui estoient alloiiés ensemble retournarent en leurs paiis.

Vous devez savoir que les Huns étaient capables de parcourir à cheval une distance de trente-deux lieues, depuis le soir jusqu’au lendemain matin. C’est ainsi qu’ils réussissaient toujours à s’échapper, car les autres cavaliers ne pouvaient parcourir que la moitié de cette distance tout au plus, et encore ils étaient tellement épuisés qu’ils devaient se reposer trois jours. C’est ainsi aussi que les Huns échappèrent à leurs poursuivants ; les autres seigneurs alliés retournèrent chez eux.

 


[Texte précédent II, p. 79-95]  [Notes de lecture]  [Do 13 : sur saint Servais]  [Texte suivant II, p. 104-121]