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Métamorphoses d'Ovide : Avant-Propos - Notices - Livre XIII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Iconographie ovidienne - Page précédente - Page suivante
OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE XIII
[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2008]
Énéide ovidienne (I). Énée entre Troie et la Sicile (13, 623-721)
Escale à Délos : Anius et la métamorphose de ses filles (13, 623-674)
Le pieux Énée, selon la volonté du destin, quitte Troie en flammes en emportant avec lui les emblèmes sacrés de la ville ainsi que son père Anchise et son fils Ascagne. Sa première escale est Délos, dont le roi et prêtre d'Apollon est Anius, qui offre l'hospitalité aux fugitifs. (13, 623-639)
Anchise, qui s'enquiert des enfants d'Anius qu'il avait rencontrés lors d'une précédente visite à Délos, apprend ce qu'ils sont devenus : le fils, doté par Apollon du don de prophétie, règne sur l'île d'Andros, qui porte son nom ; ses quatre filles, à qui Liber avait accordé le pouvoir de transformer en nourriture ce qu'elles touchaient, avaient assuré la prospérité de Délos, jusqu'au jour où Agamemnon eut connaissance de leur pouvoir. Pour échapper à Agamemnon, deux d'entre elles se réfugient en Eubée, et les deux autres à Andros, auprès de leur frère qui, ne pouvant résister à la menace des soldats grecs, leur livre ses soeurs. Mais au moment d'être enchaînées, elles demandent l'aide de Liber, qui les métamorphosa en colombes, oiseaux de Vénus. (13, 640-674)
13, 623 |
Non tamen
euersam Troiae cum moenibus esse |
Cependant
les destins ne permettent pas que Troie, perdant ses murs |
13, 625 |
fert
umeris, uenerabile onus, Cythereius heros. |
le
héros Cythéréen
les emporte sur ses épaules, avec son père, |
13, 630 |
linquit
et utilibus uentis aestuque secundo |
Puis, à
la faveur de vents favorables et de flots
porteurs, |
13, 635 |
Latona
quondam stirpes pariente retentas. |
auxquels
s'était jadis retenue Latone, lors de son
accouchement. On alluma de l'encens, on versa en abondance du vin sur l'encens, on fit brûler selon le rite les entrailles de génisses sacrifiées, puis ils gagnèrent le palais. Là, installés sur des tapis épais, ils se restaurent des dons de Cérès et de la liqueur de Bacchus. |
13, 640 |
Tum pius
Anchises : « O Phoebi lecte sacerdos, |
Alors, le
pieux Anchise : « Ô distingué prêtre
d'Apollon, est-ce erreur de ma part, ou n'avais-tu pas, quand je vis ces murs une première fois, un fils et quatre filles, si je me souviens bien ? ». Anius, agitant ses tempes entourées de bandelettes couleur de neige, lui dit, plein de tristesse : « Tu ne te trompes pas, héros magnanime ; |
13, 645 |
maxime ;
uidisti natorum quinque parentem, |
tu as vu
un père de cinq enfants, et tu le vois
maintenant, |
13, 650 |
Delius
augurium dedit huic ; dedit altera Liber |
Le dieu
de Délos l'a doté
de l'art de la prophétie.
Liber a accordé |
13, 655 |
Hoc ubi
cognouit Troiae populator Atrides, |
Dès que
l'Atride, le destructeur de Troie, connut leur
pouvoir, |
13, 660 |
Effugiunt
quo quaeque potest ; Euboea duabus |
Elles
s'enfuient chacune où elles peuvent ; deux
d'entre elles gagnèrent l'Eubée, et deux autres Andros, l'île de leur frère. Des soldats se présentent, le menacent de guerre, s'il ne les livre pas. La crainte l'emporta sur l'amour fraternel, et il livra ses soeurs à la vengeance ennemie. Mais ce frère timoré peut être excusé ; |
13, 665 |
non hic
Aeneas, non, qui defenderet Andron, |
Énée
n'était pas présent, et, pour défendre Andros, il
n'y avait pas |
13, 670 |
muneris
auctor opem, si miro perdere more ferre uocatur opem ; nec qua ratione figuram perdiderint, potui scire aut nunc dicere possum ; summa mali nota est ; pennas sumpsere, tuaeque coniugis in uolucres, niueas abiere columbas. » |
de qui
elles tenaient leur pouvoir, les aida, si l'on
appelle aider |
Fin de l'escale à Délos : légende des filles d'Orion (13, 675-704)
Après une nuit de repos, les Troyens, au moment de reprendre la mer sur le conseil de l'oracle d'Apollon, reçoivent des présents d'Anius, en particulier un cratère ancien, provenant de Béotie. (13, 675-684)
Le cratère était orné de ciselures représentant la ville de Thèbes, identifiable par ses sept portes, avec à l'avant-plan des scènes de deuil, et à l'intérieur de la cité la représentation du suicide des deux filles d'Orion, de leur cortège funèbre et de leur crémation en présence de la foule, et aussi de l'apparition de deux jeunes gens, nés de leurs cendres, les Coronae, qui mènent le convoi . (13, 685-701)
Les Troyens à leur tour offrent à Anius des objets précieux. (13, 702-704)
13, 675 |
Talibus
atque aliis postquam conuiuia dictis inplerunt, mensa somnum petiere remota ; cumque die surgunt adeuntque oracula Phoebi ; qui petere antiquam matrem cognataque iussit litora ; prosequitur rex et dat munus ituris, |
Ces
propos et d'autres les occupèrent durant le
repas, |
13, 680 |
Anchisae
sceptrum, chlamydem pharetramque nepoti, |
leur
offre des présents :
un sceptre à Anchise, une chlamyde et un
carquois |
13, 685 |
Vrbs erat
et septem posses ostendere portas ; |
Une ville
y figurait, dont on pouvait distinguer
les sept portes ; |
13, 690 |
siccatosque queri fontes ; sine frondibus arbor
|
et se
plaindre devant des fontaines taries ; un arbre
sans feuillage |
13, 695 |
pro
populo cecidisse suo pulchrisque per urbem |
tombées
pour leur peuple et emportées en un somptueux
convoi |
13, 700 |
Hactenus
antiquo signis fulgentibus aere, |
Là
s'arrêtaient ces brillantes scènes sur le
bronze antique, |
Autres escales d'Énée avant la Sicile (13, 705-721)
En quittant Délos, Énée et les Troyens, en route pour l'Italie, firent sans s'attarder un parcours qui passa par la Crète et différents lieux de la mer Ionienne. Pour ce parcours, Ovide s'est inspiré très librement de Virgile, et a cité aussi divers lieux lui permettant d'évoquer des métamorphoses. La dernière halte avant l'arrivée en Sicile fut Buthrote, en Épire.
13, 705 |
Inde
recordati Teucros a sanguine Teucri |
Ensuite,
s'étant souvenus que c'était du sang de
Teucer, |
13, 710 |
portubus
infidis exterruit ales Aello. |
au port
peu fiable, ils sont épouvantés par Aello au
corps d'oiseau. |
13, 715 |
iudicis,
Actiaco quae nunc ab Apolline nota est, |
ville
connue de nos jours, grâce à l'Apollon d'Actium. Ils voient la terre de Dodone qui parle par son chêne sacré, et les anses de Chaonie, où les enfants du roi des Molosses, soutenus par des ailes ont échappé à un incendie criminel. Les Troyens se dirigent vers les terres très proches des Phéaciens, |
13, 720 |
rura
petunt ; Epiros ab his regnataque uati |
plantées
de fertiles vergers. De là, ils gagnent l'Épire
et Buthrote, royaume du devin Phrygien, et découvrent une maquette deTroie. |
NOTES
Énéide ovidienne (13, 623ss.) Ici commence un long passage des Métamorphoses, centré sur Énée, passage qui se terminera en 14, 608, avec le récit de son apothéose. En prenant l'Énéide comme fil conducteur, Ovide s'en démarque fortement, développant des points qui n'ont pas retenu Virgile, et négligeant nombre de passages importants du poème virgilien. Par ailleurs, Ovide puise aussi à d'autres sources que Virgile.
le héros Cythéréen... (13, 623-627). Énée, fils de Vénus/Aphrodite, la déesse de Cythère, et d'Anchise, quitte Troie en flammes, emportant avec lui, les emblèmes sacrés de Troie, son vieux père Anchise, et son jeune fils, Ascagne. Ce passage peut être mis en rapport avec l'Énéide, surtout avec 2, 705-729 et avec avec 3, 1-12.
Antandros (13, 628). Ville de Troade, dans les environs de l'Ida, où Énée avait fait construire une flotte pour se sauver (Én., 3, 6).
Thraces... Polydore (13, 629). Pour la Thrace et Polydore, voir Mét., 13, 429-438 et 13, 533-575. Ovide les a mis en rapport avec Hécube. Virgile, Én., 3, 13-72, présente différemment la mésaventure de Polydore.
la ville d'Apollon... Latone (13, 631-635). Il s'agit de l'île de Délos, dans la mer Égée, île consacrée à Apollon, car c'est là que Latone/Léto, grosse d'Apollon et de Diane et poursuivie par la jalouse Héra/Junon, s'était réfugiée pour pouvoir s'accoucher (voir Mét., 6, 146-203 et 6, 319-338, avec les notes). Pour l'escale à Délos chez Virgile, voir Én., 3, 73-120, avec les notes.
Anius (13, 632). Sa légende, ignorée des poèmes homériques, s'est développée à l'époque hellénistique. Anius, fils d'Apollon, régnait à Délos au temps de la guerre de Troie et était prophète d'Apollon. Il était aussi une ancienne connaissance d'Anchise ; Virgile ne mentionne pas l'histoire de la métamorphose de ses filles.
Cérès... Bacchus (13, 639). Respectivement le blé et le vin, désignés par leur divinité protectrice.
Andros (13, 649). Une île de la mer Égée, au nord de Délos, qui tiendrait son nom du fils d'Anius, que l'on ne semble connaître que par ce passage d'Ovide.
Liber (13, 650). Dieu romain, assimilé à Bacchus. Voir Mét., 3, 520.
blanche Minerve (13, 654) Minerve/Athéna, déesse à qui était consacré l'olivier, dont le feuillage est blanc-argenté. Ici encore, le nom de la déesse désigne l'huile, produit de l'olivier (comme en 13, 639).
ton épouse (13, 674). Vénus/Aphrodite, (dont les colombes étaient les oiseaux emblématiques, à l'époque d'Ovide), était l'épouse d'Anchise. Fils de Capys et de Thémisthé (ou de Hiéromnémé), Anchise appartient à la famille de Priam. Un jour qu'il gardait ses troupeaux sur l'Ida, en Troade, Aphrodite se présenta à lui incognito. Elle s'unit à lui, puis lui révéla son identité, lui recommandant de garder le secret de leur union, s'il voulait empêcher leur futur fils, Énée, d'être foudroyé par Zeus (cfr Mét., 9, 425).
antique mère (13, 678). Comme chez Virgile, 3, 94-96 et 1, 38 avec la note. L'oracle veut parler de l'Italie, d'où était originaire Dardanus, un des fondateurs de Troie. Mais Anchise se méprendra, croyant qu'il s'agissait de la Crète, d'où provenait Teucer.
des présents (13, 680). Les échanges de présents sont courants dans l'épopée (Én., 1, 647ss. : Énée à Didon ; 3, 464ss ; 3, 483 : Hélénus et Andromaque à Énée ; etc.).
Thersès l'Isménien... Aonie (13, 682). Ce Thersès n'est pas autrement connu. Isménos est un fleuve, qui coule près de Thèbes, en Béotie, appelée aussi Aonie.
Alcon d'Hylé (13, 683). On connaît un ciseleur alexandrin, nommé Alcon. Hylé était une petite ville de Béotie. L'érudition d'Ovide se permet sans doute quelque fantaisie anachronique et géographique.
une longue histoire (13, 684). Ovide annonce ici l'« ekphrasis » (description de scènes figurant sur une oeuvre d'art) qui va s'étendre de 13, 685 à 701). Sur un cratère sont représentées différentes scènes situées à Thèbes, et liées à la légende des filles d'Orion, dont nous n'avons connaissance que par ce passage d'Ovide et par un texte d'Antoninus Liberalis, XXV, dont voici un résumé, d'après le texte de l'édition Budé :
Orion, qui périt d'une flèche d'Artémis, avait eu deux filles, élevées par leur mère, et instruites par Athéna dans l'art de tisser. Comme la peste avait frappé l'Aonie, l'oracle d'Apollon avait recommandé d'immoler deux vierges qui se porteraient volontaires pour apaiser les dieux infernaux. Seules les deux filles d'Orion, Métioché et Ménippé, offrirent de s'immoler pour sauver les habitants de la Béotie. Elles se donnèrent la mort en s'ouvrant la gorge à l'aide de leur navette. Perséphone et Hadès, pris de compassion, rendirent leurs cadavres invisibles, et firent monter du sol deux astres, qui aussitôt apparus, s'élevèrent au ciel, astres que les hommes appelèrent « comètes ». On fonda à Orchomène en Béotie, un sanctuaire en l'honneur de ces jeunes filles, à qui on offre chaque année des offrandes expiatoires et qu'on appelle les « Vierges Coronides ».
sept portes (13, 685). Ces sept portes identifient, depuis Homère, la ville de Thèbes.
se portant des coups énergiques (13, 694). Un problème de traduction se pose pour ce vers, la tradition manuscrite étant incertaine (ainsi par exemple Fr. Bömer retient fortia, et G. Lafaye inertia). En tout cas, si l'on se réfère au texte d'Antoninus Liberalis (note à 13, 684), elles se sont donné la mort avec leur navette.
Couronnes (13, 698). Ici encore la tradition manuscrite hésite (Coronos ou Coronas), et ne correspond pas entièrement au texte d'Antoninus Liberalis. Nous suivons le texte adopté par J. Chamonard et par G. Lafaye. « Comme Orion, note J. Chamonard, ils ont été mis au ciel sous la forme d'une constellation ».
Teucer (13, 704). Fils de Télamon et Hésioné (la fille de Laomédon), Teucer est un des fondateurs de Troie, d'où le nom de Teucri pour désigner les Troyens. On le croyait originaire de Crète. Cfr Mét., 11, 194-217 avec les notes ; 13, 157).
Crète... Cent Villes... Ausonie (13, 705-708). Pour le séjour d'Énée en Crète, l'île aux Cent Villes, cfr Virgile, Én., 3, 121-191, où on lit qu'en Crète un oracle a appris à Énée que la terre promise était en Italie, appelée aussi Ausonie.
Strophades... Aello (13, 709-710). Les Strophades sont deux petites îles de la mer Ionienne, proches de la côte ouest du Péloponnèse. Chez Virgile, Én., 3, 192-269 (en particulier n. à 209-213), les fugitifs troyens y sont mal accueillis par les Harpyes, oiseaux monstrueux à tête de jeunes filles. Le plus souvent, elles sont deux (Aello et Ocypété), mais Virgile donne à une troisième, Céléno, un rôle de prophétesse.
Dulichium... Ithaque... Samos... Nérite (13, 711-712). Îles de la mer ionienne, proches ou appartenant au royaume d'Ulysse. Samos (ou Samé) serait un autre nom de Céphallénie.
Ambracie (13, 714). Ville d'Épire, sur le golfe qui sépare l'Épire de l'Acarnanie. Allusion à une légende que nous connaissons par Antoninus Liberalis, 4 : Apollon, Artémis et Héraclès se disputant le patronage de la ville d'Ambracie, prirent comme arbitre de leur différend un vieillard réputé juste et de bon sens, Cragaleus, qui faisait paître ses troupraux. Après avoir écouté les arguments des trois dieux, Cragaleus décréta qu'Ambracie appartenait à Héraclès. Apollon, dépité, métamorphosa sur place le brave Cragaleus en rocher.
Actium (13, 715). Sur le promontoire d'Actium, proche d'Ambracie, célèbre depuis la victoire d'Octave sur Antoine en 31a.C., s'élevait un temple à Apollon (Voir Én., 3, 275-280 avec les notes).
Dodone (13, 716). Ville d'Épire, célèbre par son temple de Zeus, dont les volontés se manifestaient par le bruissement des feuilles du chêne sacré (voir Mét., 7, 623).
Chaonie... Molosse (13, 716-717). La Chaonie est une région de l'Épire, où Mounichios, un devin juste et bon, régnait sur les Molosses. Ils furent, lui, sa femme et ses enfants, métamorphosés par Zeus en oiseaux, pour leur éviter d'être brûlés vifs dans un incendie allumé par des brigands (cfr Antoninus Liberalis, 14).
Phéaciens (13, 719). Peuple mythique, immortalisé par l'Odyssée d'Homère, qui les situe dans l'île de Schéria (Corcyre/Corfou ?). Cfr Virgile, Én., 3, 291.
Buthrote... (13, 720-721). Ces deux vers font allusion au séjour d'Énée à Buthrote, en Épire, où il rencontre Andromaque, devenue l'épouse d'Hélénus, le devin, fils de Priam. Cfr Én., 3, 289-355.
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