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Suétone (généralités)
Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)
LXXXIV. Ses funérailles
(1) Le jour de ses
funérailles étant fixé, on lui
éleva un bûcher dans le
champ
de Mars,
près du tombeau de Julie,
et l'on construisit, devant la tribune
aux harangues,
une chapelle dorée, sur le modèle du
temple de Vénus
Genetrix. On
y plaça un lit d'ivoire couvert de pourpre
et d'or, et à la tête de ce lit un
trophée,
avec le vêtement qu'il portait quand il fut
tué. (2) La journée
ne paraissant pas devoir suffire
au défilé de tous ceux qui voulaient
apporter des offrandes, on
déclara
que chacun irait, sans observer aucun ordre et par
le chemin qui lui plairait, déposer ses dons
au champ de Mars. (3) Dans les jeux
funèbres,
on chanta des vers propres à exciter la
piété pour le mort et la
haine contre les
meurtriers; vers qui étaient tirés du
Jugement des armes, de Pacuvius,
par exemple: et des passages de
l'Électre
d'Atilius,
qui avaient le même sens. (4)
En guise d'éloge
funèbre, le consul Antoine fit lire par un
héraut le sénatus-consulte
qui décernait à César tous les
honneurs divins et humains, puis le
serment
par lequel tous les sénateurs
s'étaient engagés à
défendre la vie du seul César. Il
ajouta fort peu
de mots à cette lecture. (5) Des magistrats en
fonction ou sortis de charge portèrent le
lit au
forum, devant la tribune aux
harangues. (6) Les uns voulaient
qu'on brûlât le corps dans le
sanctuaire de Jupiter
Capitolin;
les autres dans la curie
de Pompée.
Tout à coup, deux
hommes,
portant un glaive à la ceinture, et à
la main deux javelots, y mirent le feu avec des
torches ardentes; et aussitôt chacun d'y
jeter du bois sec, les sièges et
les
tribunes des magistrats, enfin tout ce qui se
trouvait à sa portée. (7) Bientôt
après, des joueurs
de flûte
et des acteurs,
qui avaient revêtu, pour cette
cérémonie, les ornements
consacrés aux pompes triomphales, s'en
dépouillèrent, les mirent en
pièces, et les jetèrent dans les
flammes; les vétérans
légionnaires y jetèrent en même
temps les armes dont ils s'étaient
parés pour les funérailles; et
même
un grand nombre de matrones, les
bijoux qu'elles portaient, avec les
bulles
et les prétextes
de leurs enfants. (8) Une foule
d'étrangers prirent part à ce
grand
deuil public, manifestèrent à qui
mieux mieux
leur douleur,
chacun à la manière de son pays. On
remarqua surtout les Juifs,
lesquels veillèrent même, plusieurs
nuits de suite, auprès de
son
tombeau. (1)
Funere indicto rogus extructus est in Martio campo
iuxta Iuliae tumulum et pro rostris aurata aedes ad
simulacrum templi Veneris Genetricis collocata;
intraque lectus eburneus auro ac purpura stratus et
ad caput tropaeum cum ueste, in qua fuerat
occisus. (2)
Praeferentibus munera, quia suffecturus dies non
uidebatur, praeceptum, ut omisso ordine, quibus
quisque uellet itineribus urbis, portaret in
Campum. (3)
Inter ludos cantata sunt quaedam ad miserationem et
inuidiam caedis eius accommodata, ex Pacuui Armorum
iudicio: men
seruasse, ut essent qui me perderent? et ex
Electra Acili ad similem sententiam. (4)
Laudationis loco consul Antonius per praeconem
pronuntiauit senatus consultum, quo omnia simul ei
diuina atque humana decreuerat, item ius iurandum,
quo se cuncti pro salute unius astrinxerant; quibus
perpauca a se uerba addidit. (5)
Lectum pro rostris in forum magistratus et
honoribus functi detulerunt. (6)
Quem cum pars in Capitolini Iouis cella cremare
pars in curia Pompei destinaret, repente duo quidam
gladiis succincti ac bina iacula gestantes
ardentibus cereis succenderunt confestimque
circumstantium turba uirgulta arida et cum
subselliis tribunalia, quicquid praeterea ad donum
aderat, congessit. (7)
Deinde tibicines et scaenici artifices uestem, quam
ex triumphorum instrumento ad praesentem usum
induerant, detractam sibi atque discissam iniecere
flammae et ueteranorum militum legionarii arma sua,
quibus exculti funus celebrabant; matronae etiam
pleraeque ornamenta sua, quae gerebant, et
liberorum bullas atque praetextas. (8)
In summo publico luctu exterarum gentium multitudo
circulatim suo quaeque more lamentata est
praecipueque Iudaei, qui etiam noctibus continuis
bustum frequentarunt.
Les
avais-je épargnés, pour tomber
sous leurs coups?
CommentaireTrophée : selon G. Charles-Picard, ce trophée offrait un support à l'âme errante de César, victime de mort violente, et servait provisoirement d'image de culte dans la chapelle qui lui était consacrée (Les trophées romains. Contribution à l'histoire de la Religion et de l'Art triomphal de Rome, Paris, 1957, p.225-227).
Pacuvius : poète tragique, c.220-130 a.C. On connaît les titres d'une douzaine de ses tragédies et l'on en a conservé un peu plus de quatre cents fragments. Le Jugement des armes serait inspiré d'Eschyle. Cf. H. Zehnacker - J.-Cl. Fredouille, Littérature latine, Paris, 1993, p.36-37.
Électre : traduction de la pièce de Sophocle par un certain Atilius. Cf. Cicéron, De Finibus, I, 2, 5 : « Je suis si éloigné de penser comme ces gens-là [qui prétendent négliger les livres en latin] que, malgré toute la perfection de l'Électre de Sophocle, je me fais un devoir de lire la mauvaise traduction d'Atilius » (trad. J. Martha).
Sénatus-consulte : Suétone évoque à nouveau ce sénatus-consulte au ch. 86, 2.
Serment : voir aussi, ci-dessous, le ch. 86, 2.
Au Forum, devant la tribune aux harangues : le récit de Suétone n'est pas très clair. Le lit d'apparat de César se trouvait déjà au Forum, dans la chapelle construite devant la tribune aux harangues (voir ci-dessus, § 1). Il faut sans doute comprendre que les magistrats ont sorti le lit de la chapelle, pour l'exposer en plein air.
Deux hommes : Suétone est le seul à mentionner ces deux personnages dont l'intervention a quelque-chose de surnaturel.
Joueurs de flûte : les funérailles des grands personnages, à Rome, s'accompagnaient de musique. Le cortège comprenait des joueurs de flûte, de trompette, de cor. Cf. J. Prieur, La mort dans l'antiquité romaine, Rennes, 1986, p.21-24.
Acteurs : mimes et danseurs. Cf. Suétone, Vespasien, 19, 6
Bulles : médaillons en métal précieux ou en cuir que les enfants portaient au cou, en guise d'amulette.
Juifs : César leur avait concédé d'importants privilèges ; cf. Flave-Josèphe, Antiquités juives, 14, 10, 2-7, avec les commentaires de M. Pucci Ben Zeev, Caesar's Decrees in the Antiquitates: Josephus' Forgeries or Authentic Roman Senatus Consulta? dans Athenaeum, 84, 1996, p.71-91.