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Suétone (généralités)
Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)
LXXIX. Tentatives qui sont faites pour le nommer roi
(1) À ce cruel
outrage fait au sénat, il ajouta un trait
d'orgueil encore plus odieux. (2) Il rentrait dans
Rome, après le sacrifice des
Féries
latines,
lorsque, au milieu des acclamations
excessives
et inouïes du
peuple, un homme, se détachant de la foule,
alla poser sur sa statue une couronne de laurier,
nouée par
devant d'une bandelette
blanche.
Les tribuns de la plèbe Epidius
Marullus et Caesetius Flavus
firent enlever la bandelette
et conduire l'homme en prison. Mais César,
voyant avec douleur que cette allusion à
la royauté
eût si peu de succès, ou, comme il le
prétendait, qu'on lui eût ravi la
gloire du refus, apostropha durement les tribuns,
et les dépouilla de leur pouvoir. (3) Jamais il ne put
se laver du reproche déshonorant d'avoir
ambitionné le
titre de roi, quoiqu'il
eût répondu un jour au peuple, qui le
saluait
de ce nom: "Je
suis César et non pas roi," et qu'aux
Lupercales
il eût repoussé et fait porter au
Capitole, sur la statue de Jupiter
Très Bon et Très
Grand,
le diadème que le consul
Antoine
essaya, à plusieurs reprises, de placer sur
sa tête, dans la tribune
aux harangues. (4)
Bien
plus, différents bruits coururent: il
devait, disait-on, transporter à Alexandrie
ou à Troie les richesses
de l'empire,
après avoir épuisé l'Italie
par des levées
extraordinaires, et laissé à ses amis
le gouvernement de Rome. On ajoutait qu'à la
première assemblée du sénat,
le quindécemvir
Lucius
Cotta devait
proposer de
donner à César le nom de roi,
puisqu'il était écrit dans les
livres
Sibyllins
que les
Parthes
ne pouvaient être vaincus que par un
roi. (1)
Adiecit ad tam insignem despecti senatus
contumeliam multo arrogantius factum. (2)
Nam cum in sacrificio Latinarum reuertente eo inter
inmodicas ac nouas populi acclamationes quidam e
turba statuae eius coronam lauream candida fascia
praeligata inposuisset et tribuni plebis Epidius
Marullus Caesetiusque Flauus coronae fasciam
detrahi hominemque duci in uincula iussissent,
dolens seu parum prospere motam regni mentionem
siue, ut ferebat, ereptam sibi gloriam recusandi,
tribunos grauiter increpitos potestate
priuauit. (3)
Neque ex eo infamiam affectati etiam regii nominis
discutere ualuit, quanquam et plebei regem se
salutanti Caesarem se, non regem esse responderit
et Lupercalibus pro rostris a consule Antonio
admotum saepius capiti suo diadema reppulerit atque
in Capitolium Ioui Optimo Maximo
miserit. (4)
Quin etiam uaria fama percrebruit migraturum
Alexandream uel Ilium, translatis simul opibus
imperii exhaustaque Italia dilectibus et
procuratione urbis amicis permissa, proximo autem
senatu Lucium Cottam quindecimuirum sententiam
dicturum, ut, quoniam fatalibus libris contineretur
Parthos nisi a rege non posse uinci, Caesar rex
appellaretur.
CommentaireFéries latines : fête de l'ancienne Ligue latine, association de peuples du Latium célébrant le culte de Jupiter Latiaris au sommet du Mont Albain (cf. B. Liou-Gille, Naissance de la ligue latine. Mythe et culte de fondation, dans Revue belge de philologie et d'histoire, 74, 1996, p.73-97). Suétone parle ici de la fête célébrée au début de l'année 44.
Acclamations : adressées à César qui, à son retour des Féries latines, avait fait l'objet d'une ovatio (forme atténuée du triomphe), attestée dans une inscription (C.I.L., I 1 [2e éd.], p.50, a.710).
Bandelette blanche : nouée autour de la tête, insigne de la royauté. Sur les aspirations de César à la royauté, voir P.M. Martin, L'idée de royauté à Rome, II. Haine de la royauté et séductions monarchiques (du IVe siècle av. J.-C. au principat augustéen, Clermont-Ferrand, 1994, p.363-386.
C. Epidius Marullus, L. Caesetius Flavus : tribuns en 44 ; ne sont connus que pour l'épisode raconté ici par Suétone.
Jupiter Très Bon Très Grand : Iuppiter Optimus Maximus (I.O.M.), divinité suprême à Rome. Il a son temple au Capitole où il est entouré de Junon et Minerve. Cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, p.284-288.
Tribune aux harangues : tribune qui, à l'origine, se trouvait devant la Curie, local du Sénat. César l'a déplacée à peu de distance, vers le S.-O., là où on en voit les restes aujourd'hui. Cette tribune a gardé son nom (Rostres) qu'elle avait à l'origine, nom désignant les éperons de navires pris à l'ennemi à la bataille d'Antium (338 a.C.) qui la décoraient.
Levées : il s'agit de levées de troupes (dilectus).
Quindécemvir : membre d'un collège de quinze prêtres, les quidecemviri sacris faciundis, qui avaient la garde des livres sibyllins.
L. Aurelius Cotta : frère de C. Aurelius Cotta (cf. ch.1). Préteur en 70, consul en 65, Cotta est donc relativement âgé quand, en tant que XVvir, il propose de conférer la royauté à César.
Livres sibyllins : contenant les oracles de la Sibylle. Le recueil original a été détruit lors de l'incendie du Capitole en 83, puis reconstitué (cf. Tacite, Annales, VI, 12).
Parthes : on se souvient qu'en 44, César envisageait une grande expédition contre les Daces et les Parthes ; cf. ci-dessus, ch.44.